L’offensive en Artois en sept. 1915

 

 

 

 

 

 

 

L'attaque prononcée le 16 juin par la 10e Armée pour compléter le succès du 9 mai, en cherchant à rompre la ligne de défense ennemie et en forçant les Allemands à accepter la bataille en rase campagne, n'a donné que de faibles résultats, car l'ennemi, en éveil, a pu concentrer en temps utile des réserves  importantes.

Jusqu'alors, l'importance des moyens dont disposait le Général en chef lui avait permis, en effet, que de mener des attaques localisées sur le front d'une seule Armée.

Mais l'augmentation importante de nos réserves, en hommes et en matériel, au cours de l'été 1915, va permettre à Joffre d'adopter le plan général suivant: pendant que les forces ennemies seront fixées par une attaque secondaire combinée avec les Anglais, rechercher la rupture des organisations adverses sur une autre partie du front.

 

POURQUOI ?

Le 13 juin, pour préparer et faciliter la conduite ultérieure des opérations, le général Joffre a décidé de répartir les forces françaises en trois groupes d'Armées.

 

Une instruction du 12 juillet fixe les grandes lignes de ces opérations.

Le Groupe d'Armées du Nord  (général Foch) attaquera dans la région d'Arras en liaison avec Anglais et Belges, mais cette attaque gardera un caractère secondaire, le Groupe d'Armées du Centre devant conduire l'attaque principale en Champagne.

 

La 10e Armée, chargée de l'offensive en Artois, recherchera la rupture du front ennemi ou tout au moins la conquête de la fameuse crête 119 -140.

Elle disposera, pour cette opération, de douze divisions actives, deux divisions de cavalerie, trois cents pièces d'artillerie lourde, forces moindres que celles engagées en mai et juin dans cette même région.

 

Pour donner, néanmoins, à cette action des chances de succès, on cherche à la renforcer, à l'élargir, à la « rajeunir », selon l'expression de Foch, par trois moyens différents : une coopération des Anglais plus effective et plus directe, une extension du front d'attaque au sud d'Arras, enfin des approvisionnements considérables en munitions d'artillerie lourde

 

Le 16 août, le maréchal French donne des ordres fermes en vue d'une offensive britannique sur le front Loos-Hulluch.

D'autre part, le général Foch envisage l'attaque sur Beaurains-Ficheux pour étendre le front d'action de la 10e Armée.

 

La Préparation

Le 22 août, le Commandement décide cette extension et renforce l'Armée, à cet effet, de quatre divisions et de quarante quatre pièces lourdes.

Enfin, la dotation en munitions est assurée très supérieure aux quantités allouées précédemment le 12 août, le Général en chef fixe à 216000 obus de gros calibre l'allocation de la 10e Armée; ce chiffre est augmenté de 33500 coups le 22 août.

 

Le 23 septembre enfin, le général Foch met à la disposition de l'Armée les 18500 obus de gros calibre formant sa réserve particulière.

 

D'autre part, la 10e Armée ne disposant en arrière de son front que de réserves insuffisantes, le général Joffre met aux ordres du général Foch deux nouvelles divisions (58e et 154e)

Au total, le jour de l'attaque, 25 septembre, la 10e Armée comprend 18 divisions, appuyées par 380 pièces de gros calibre, disposant de 268000 obus.

La préparation d'artillerie commence le 19 septembre; elle ira en augmentant d'intensité jusqu'au jour de l'attaque.

Malheureusement le temps incertain à partir du 20, pluvieux et brumeux dès le 23, devient peu favorable à l'observation; le 24, le Commandement envisage l'éventualité de remettre l'attaque, en raison de l'état du terrain; la date reste cependant fixée au 25, septembre.

L’Attaque

Le 25 septembre (le même jour que l’offensive principale en Champagne) à 12h25, l'attaque d'infanterie se déclenche ; à 13 heures commence une pluie qui dure presque toute la journée, rendant très pénible la progression en terrain libre et particulièrement difficiles les mouvements dans les boyaux remplis de boue.

 

En fin de journée, les résultats, très inégaux, se résument ainsi :

Nuls à droite (9e et 17e Corps d'Armée) ; peu marqués au centre (12e et 3e Corps d'Armée, droite du 33e Corps) où la première ligne allemande n'est enlevée que partiellement; à gauche, par contre, très satisfaisants : la gauche du 33e Corps d'Armée a pris le château de Carleul et le cimetière de Souchez, le 21e Corps d'Armée atteint la route Souchez-Angres.

 

D'autre part, les troupes anglaises ont emporté d'un seul élan les lignes allemandes, s'emparant de Loos et atteignant, à l'est, les abords immédiats d'Hulluch et la cote 70.

 

 

Le 26 septembre

Il importait d'assurer les opérations du lendemain en s'efforçant d'exploiter les premiers succès obtenus. Tel est le but des attaques qui se poursuivent le 26 septembre.

Au cours de cette journée, les progrès continuent à la gauche de la 10e Armée.

 

Souchez, qui défiait tous nos efforts depuis si longtemps, tombe en notre pouvoir.

Ce village, enfoncé dans une cuvette humide et verte, et son bastion avancé, le château de Carleul, étaient organisés de façon formidable.

Par des travaux de dérivation du ruisseau de Carency, les Allemands avaient transformé tout ce bas-fond en un marais qui paraissait infranchissable.

D'autre part, les batteries allemandes installées à Angres prenaient, au nord, le vallon en enfilade. Derrière les crêtes 119 -110, une puissante artillerie contre-battait la nôtre.

Le parc et le château de Carleul à côté de Souchez formaient un obstacle redoutable : il y avait là une ligne d'abris, puis une grande douve de cinq mètres de large ; en arrière, un amas de ruines hérissé de mitrailleuses; Au delà du château, un bois offrant un fouillis de troncs, d'arbustes, d'abattis, sur un sol marécageux, tourmenté, confus, semé de fondrières.

Pour faire tomber cet obstacle, nos sapeurs jetèrent sur les douves des passerelles pliantes, auxquelles on ajouta des troncs d'arbres pour faciliter le passage des fantassins. Par endroits, les troupes d'attaque enfonçaient dans l'eau jusqu'au genou.

Le soir du deuxième jour, toutes ces organisations tombaient en notre pouvoir.

 

Le 27 septembre

Les Allemands, menacés d'être coupés dans Souchez, abandonnent la place, non sans laisser entre nos mains 1378 prisonniers.

Cependant, le 21e Corps d'Armée a pris pied dans le bois en Flache et dans celui de Givenchy.

Le 12e Corps, de son côté, croit avoir atteint la cote 132, erreur dont les conséquences se font malheureusement sentir toute la journée du 27; elle occasionne des faux mouvements qui contrarient l'entrée en action du 3e Corps d'Armée. Aussi, à 16 heures, le Commandant de l'Armée donne-t-il l'ordre aux 12e et 3e Corps d'arrêter l'offensive.

Sur le reste du front, les résultats ont d'ailleurs été insignifiants le 27 septembre.

 

Mais la journée du 28 est marquée par un résultat sérieux.

La droite du 33e Corps d'Armée et la gauche du 3e Corps qui, jusque-là, n'ont obtenu que des succès insignifiants et éphémères, recueillent le fruit de leur opiniâtreté.

Les 59e et 77e divisions d'infanterie, pendant la nuit des 27 et 28 et la journée du 29, ont franchi le ravin de Souchez, en ont remonté la pente est et sont parvenus jusqu'à la crête bordant les tranchées de Lubeck et de Brême. La 6e division d'infanterie, de son côté, a progressé à leur hauteur, poussant des éléments jusqu'à la cote 140.

Cependant, les Anglais ont repris l'offensive à l'est de Loos et réalisé des progrès sensibles; mais leurs divisions ont perdu les deux tiers des effectifs.

 

Le 29 septembre

Dans ces conditions, le général Foch se rencontre le 29 à Lillers avec le maréchal French, et concerte avec lui une prochaine attaque d'ensemble, réglée par les directives suivantes, approuvées par le Commandant en chef et données le 30

--à la 10e Armée : pour les 17e, 12e et 3e Corps, s'organiser, retirer et reposer une partie de leurs forces ;

--pour les 33e et 21e Corps, achever par une attaque d'ensemble, la conquête des crêtes 119 -140 (La Folie), afin de pouvoir y amener une artillerie découvrant et battant la plaine ;

--pour le 9e Corps d'Armée, s'établir solidement sur le terrain occupé et en faire une base de départ, afin d'élargir nos gains sur la cote 70 aussitôt que la 1" Armée anglaise attaquera

 

Début octobre 1915

Mais les circonstances ne permettent pas de réaliser ce plan.

D'une part, les contre-attaques ennemies, particulièrement violentes du 3 au 8 octobre sur la 1e Armée anglaise, obligent celle-ci à utiliser toutes ses forces pour conserver le terrain gagné ; l'attaque projetée pour le 4 va donc être remise de jour en jour, et enfin abandonnée.

 

D'autre part, l'attaque de la 1e Armée, fixée d'abord au 5, remise au 6, en raison de l'état du terrain, se trouve finalement reportée au 11 octobre.

Mais l'attaque du 11 octobre, menée par les 21e et 33e Corps d'Armée, aboutit à un échec, par suite d'une préparation d'artillerie insuffisante et d'un aménagement incomplet du terrain ; dans la soirée, le commandant de la 10e Armée prescrit d'arrêter momentanément l'offensive et de se consolider sur la position.

L'intention du général commandant le G. A. N. était alors tout en profitant des progrès réalisés depuis le 25 septembre, de poursuivre l'achèvement de la conquête des crêtes 119 -140, par des actions à base d'artillerie

 

Mais, le 14 octobre, le Commandant en chef, considérant la fatigue des troupes et la nécessité d'économiser les munitions, prescrit à la 1e Armée de s'organiser sur la position qu'elle occupe, en limitant son offensive aux rectifications de front nécessaires, tant pour rendre cette occupation durable qu'en vue de l'attaque éventuelle que le 9e Corps d'Armée devra exécuter en liaison avec la 1e Armée anglaise.

 

En définitive, pendant ces dix-huit jours de combat, sur un front que les attaques précédentes avaient amené l'ennemi à renforcer puissamment, la 10e Armée a enlevé la première ligne allemande sur une largeur de 9 kilomètres environ, le terrain gagné atteignant parfois en profondeur 2 kilomètres ; mais la valeur de ce terrain importe plus que son étendue ; La vallée de la Souchez dépassée (50e régiment d’infanterie), les abords immédiats des crêtes 119 -140 en notre possession, ce sont là des résultats précieux qui permettent d'entrevoir comme fructueuse la poursuite de ces opérations.

 

Au moment de son arrêt, la 10e Armée se rend maîtresse d'une partie de la crête de Vimy (7e, 9e, 11e régiments d’infanterie) prise déjà par elle à revers des positions de Loos (68e régiments d’infanterie).

 Nous nous trouvons donc ainsi en excellente posture pour reprendre l'offensive.

 

Mais, à la différence du 9 mai, les résultats acquis ne l'ont pas été d'un seul élan. Faibles le 25 septembre, les gains n'ont accusé une réelle importance que le 28, par notre progression vers le bois de Givenchy et sur les crêtes 119 -140.

C'est qu'au premier jour l'ennemi a pu, grâce à la perfection de ses organisations et à la solidité de ses abris, garnir suffisamment ses ouvrages pour décimer celles de nos troupes qui franchissaient les lignes; mais, à partir du 28, il a fini par céder, usé et démoralisé par la continuité de nos actions.

Si notre succès a été limité, une des causes en fut la préparation d'artillerie que le mauvais temps gêna beaucoup.

 

Néanmoins, par son importance et sa vigueur, cette offensive d'Artois, bien que secondaire, a rempli son but en faisant une diversion puissante au profit des Armées alliées et de l'attaque principale qui se développait en Champagne.

 

De leur côté, les Anglais, après avoir subi les 8 et 9 octobre de très violentes attaques sur le front de leur 1e Armée, prennent l'offensive le 13 octobre. Ils atteignent un moment la croupe d'Hulluch, mais ne peuvent conserver le terrain conquis.

Le 14 au soir, le Commandement britannique arrête définitivement les opérations.

 

La situation balkanique oblige les Gouvernements français et anglais à prélever d'urgence des forces importantes sur le front occidental pour former rapidement un Corps expéditionnaire, destiné au nouveau théâtre d'opérations qui va s'ouvrir en Orient.

 

 

 

LA 55e DIVISION EN ARTOIS …...vécu par le soldat José GERMAIN

Automne 1915

 

...Avec l'été agonisant, l'espoir ressurgit en Artois. On nous promit la grande délivrance pour l'automne. Les généraux Foch et d'Urbal multiplièrent les annonces d'une préparation foudroyante et formidable. Six jours durant, l'artillerie tonnerait.

 

Nous restions toutefois sceptiques. Pourquoi parler ouvertement d'une offensive qu'on avait tout intérêt à dissimuler si l'on voulait réussir. Les plus fins pensaient même qu'on en parlait trop pour qu'elle eût vraiment lieu.

Les leçons du 9 mai et du 18 juin avaient péremptoirement montré l'immense valeur de la surprise. Or, les Allemands étaient passés maîtres dans l'art de réaliser des prisonniers au bon moment et de les « cuisiner » utilement. Nos relèves s'en ressentaient.

 

Bientôt, nos travaux d'approche s'en ressentirent plus encore. L'ennemi devinait, se doutait, était prévenu. Les piocheurs et pelleteurs chaque nuit étaient dérangés par des patrouilles vigilantes. La pluie, adversaire invaincu et invincible, fit enfin son apparition : les ouvrages d'argile s'effondrèrent.

Il y eut bien une longue préparation d'artillerie de six jours et six nuits ; mais les calibres étaient trop faibles.

Nos 75 se livraient à un labour léger du sol : aucun abri allemand n'était certainement atteint. Les fils de fer de la première ligne nous narguaient encore quand, le 25 septembre, parvint l'ordre d'attaque.

Un temps effroyable, comme le hasard ou l'état-major devait nous en réserver pour tant d'affaires dans la suite : le bas ciel d'Artois avait revêtu sa plus grise robe, et l'âme de nos gens était sympathiquement à son image.

 

Des troupes fatiguées, vieillies, renforcées d'éléments malades ou mal rétablis, furent précipitées sur Souchez et les contre-pentes du grand ravin des Écouloirs. A gauche de l'attaque, le but à atteindre: Givenchy ; au centre : les cotes 119 et 140; à droite : le bois de La Folie. (74e, 121e régiments d'infanterie)

 

Mais l'Allemand veillait.

Artillerie lourde et mitrailleuses entrèrent en danse et, sur toute la ligne, l'attaque fut repoussée.

Sous la pluie battante de fer et d'eau, les assaillants furent écrasés, Ils rentrèrent dans leurs lignes où ils dormirent parmi la boue de sang. On recommença le 26 et, après un essai infructueux. Souchez fut enfin et définitivement pris par la 77e division d'infanterie.

 

Mais la pluie s'acharnait : les pentes des cotes 119 et 140 devenaient patinoires.

 L'ordre fut cependant donné, le 27, de les enlever.

Chasseurs alpins (1e, 3e et 10e bataillon) et  fantassins tentèrent l'impossible.

L'impossible resta impossible : les deux hauteurs tinrent bon, seul le nombre des morts s'accrut. L'optimisme était réduit à néant parmi nous et lorsque l'aube du 28, plus sale, plus mouillée, plus noire encore que ses sœurs aînées, nous lança à l'assaut, personne n'espérait plus la victoire. La 55e division d'infanterie, par dessus les cadavres alignés des trois vagues d'assaut écrasées les jours précédents, s'éleva vers la cote 119.

 

Les Allemands, tournés au nord par le 21e Corps d'Armée, se livraient justement à une fausse manœuvre. Surpris, ils permirent aux fantassins du 231e régiment d'infanterie, du 246e et du 282e, d'être à midi dans « Hambourg »

Une halte horaire sous la voûte des obus de tous calibres, et la vague française, poussée par le succès, irrésistiblement, s'éleva jusqu'à la fameuse tranchée d'Odin qui couronnait la cote 140.

A droite, (74e régiment d'infanterie) nos gens parvenaient jusqu'aux vergers de La Folie ; à gauche, ils bordaient Givenchy. Mais, ni le bois, ni le village ne purent être enlevés. La crête, la fameuse crête où se profilait le saillant de la Légion, près du chemin de Neuville à Givenchy, n'était pas atteinte.

 

Une quatrième offensive fut décidée. Toutes les troupes du secteur devaient y participer.

Fatiguées, déprimées, à peine ranimées par une demi-victoire, soutenues par une artillerie elle-même lasse, aux pièces usées, aux dépôts presque vides, elles partirent encore en avant, avec le désir d'arriver, une fois pour toutes, à cette crête qui hantait l'imagination et fascinait les yeux depuis le 9 mai.

Hélas, le 11 octobre devait strictement rappeler le 18 juin. Ces retours d'action ne valent jamais rien. Ils trouvent toujours un adversaire en éveil, bien abrité, bien protégé, l'oeil au guet.

Ni les chasseurs, ni les 77e et 55e divisions d'infanterie ne purent parvenir jusqu'à la ligne allemande.

 Les Maxims firent merveille et fauchèrent nos rangs. Des champs nouveaux passèrent de la teinte verte à la teinte bleu horizon. Le carnage de 1915 s'achevait en apothéose. A quelques mètres du but, notre patient effort de cinq mois échouait.

La justice immanente des Armées décida-t-elle alors de nous punir de notre glorieux échec ; toujours est-il que le martyre des troupes d'Artois s'aggrava d'un supplice nouveau: celui de la boue.

Sur un secteur ruiné, dévasté, retourné de toutes manières, le ciel ne cessa de verser des torrents d'eau. L'argile fendillée s'écroula. En moins de huit jours, il n'y eut plus un boyau, plus une tranchée. Les abris s'effondraient sur leurs occupants angoissés. L'enlisement sévissait. Des cris la nuit, puis plus rien : un homme venait de s'enterrer vivant. Aucun secours possible. Le sauveteur s'engluait avec l'homme pris au piège de la terre vengeresse.

« Kiel » et « Krupp » n'étaient plus que des torrents de boue épaisse. On se réfugiait au fortin de Givenchy et dans trois cavernes qui avaient jusqu'alors résisté et menaçaient de toutes parts de s'effondrer.

Les hommes n'étaient plus que de grelottantes statues de glaise; et comme les Allemands, en face, avaient pris, bien malgré eux, le même uniforme, les deux ennemis, à découvert sur le bled marécageux, décidaient tacitement une trêve des coups de fusil. Contre l'adversaire commun, cruel jusqu'à l'inexorable, les deux champions du drame universel, un instant, semblaient se réconcilier.

 

La mort n'avait plus besoin des balles pour achever des divisions squelettiques : le froid, la fatigue et la terre spongieuse suffisaient. Et c'est alors que fut tiré le bouquet du feu d'artifice. On inaugura la guerre de mines.

Des escouades et des sections entières sautèrent de part et d'autre sans le moindre profit. Les entonnoirs jouèrent le rôle d'arènes de mort.

Rien ne nous intéressait plus, sinon les potins de cuisine. Une pensée nous obsédait, soutenait notre énergie le jour, troublait notre nuit : partir.

On vit pour j'en aller, disaient les fantassins résignés. Mais trop de « tuyaux » faux avaient crevé personne ne croyait plus un tel bonheur possible

 

Brusquement, un train nous ramena vers l'Aisne paradisiaque d'où, au 8 mai, nous étions partis confiants, nourris d'espoirs, courage au vent, soleil au coeur et sur la tête.

Beaux rayons de mai, où étiez-vous?

Cette année 1915, nous avait plus vieillis que toute notre existence. L'Artois devait rester le cauchemar de notre campagne.

 

Ni la Champagne, ni Verdun ne purent nous faire oublier le plateau où 100000 Français reposent, où notre division perdit plus que son effectif, le bois de La Folie où l'artillerie allemande s'affola parmi 6000 cadavres des siens, le plateau, champ clos de glaise, de marne et de craie, où, entre trois murailles de collines, s'affrontèrent sept mois durant, sans résultats décisifs, les armées de Foch et de Rupprecht von Bayern.

 

José GERMAIN

 

Voir les photos du carnet de guerre de Georges  TARDY

 

   

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EXTRAIT de L’HISTORIQUE DU 74e REGIMENT D’INFANTERIE

1914-1918

IMPRIMERIE L. WOLF, 13-15, RUE DE LA PIE, ROUEN

 

 

L’objectif de la Division est le plateau de Vimy, clé de la plaine de Douai. Du cimetière de Neuville à la tranchée des Cinq-Chemins, la 10ème brigade va se lancer à l’assaut, soutenue par le 74ème chargé de l’exploitation du succès.

La nuit du 24 au 25 est calme, mais un orage transforme en ruisseau, tranchées et boyaux.

 

Le 25, dès le lever du jour, la préparation d’artillerie se déclenche.

Les obus pleuvent sur la ligne ennemie ; nous avons l’impression que toutes ses organisations vont être nivelées.

A 10h30, nos bataillons occupent derrière les compagnies d’assaut de la 10ème brigade, la « parallèle 10 ».

A 12h25, sur tout le front de l’attaque, de Souchez à Ecurie, les premières vagues franchissant les parapets s’élancent sur les tranchées allemandes. Mais l’ennemi, qui attend notre attaque depuis plusieurs jours, a renforcé sa garnison et réagit  très violemment. A peine sorties de la tranchée, les vagues sont accueillies par une grêle de balles.

Le combat corps à corps s’engage partout âpre et farouche.

A 16 heures, le 129ème, à droite, a pénétré dans la « Tranchée-Brune » et le « Vert-Halo ». Mais le fortin de « La Dent » tient toujours, balayant la plaine de ses mitrailleuses, et empêchant tout mouvement.

A 17 heures seulement l’obstacle est surmonté.

A gauche, le 36ème a pénétré aussi dans le « Vert-Halo » et poussé jusqu’à 400 mètres du bois de la Folie. Les pertes sont sévères.

Les 2ème et 3ème bataillons du 74ème appelés à la rescousse pour renforcer la ligne essaient de se rapprocher du bois, mais sans succès. La nuit est employée à l’organisation du terrain.

 

Le 26, à 2h 30 une contre-attaque échoue sous nos feux.

Au petit jour, le 274ème nous dépasse, il est cloué au sol par le feu de l’adversaire.

Les 2ème et 3ème bataillons s’élancent, à peine la vague d’assaut a-t-elle franchi le parapet qu’elle est fauchée à son tour. Le Commandant LACHEVRE, blessé à la tête, passe le commandement du 3ème bataillon au lieutenant BOULE qui, vainement, tente de progresser. Pendant ce temps, le lieutenant HUBEAU, parti en même temps que le 274ème avec un groupe de braves, est allé au bois de la Folie, mais personne ne peut le soutenir.

Il se défend énergiquement et, à la nuit, rejoint son unité avec les deux hommes qui lui restent.

La mission du 2ème bataillon est d’occuper la tranchée Hindenburg abandonnée par l’ennemi.

A 5 heures, la 8ème et la 6ème compagnie partent. A peine quelques mètres sont faits dans la plaine qu’un feu meurtrier arrête net leur élan. La 6ème compagnie se jette dans le boyau des Anes, pousse jusqu’au contact de l’adversaire, et s’y maintient malgré lui.

La 8ème compagnie est moins heureuse, deux sections seulement ont pu prendre le boyau « U-U » reliant le Vert-Halo à la tranchée Hindenburg. Les autres éléments se terrent à 20 mètres du boche sous un feu meurtrier.

Toute la journée ils creusent et s’organisent.

Le Sergent COGNARD, les adjudants LEVESQUE et LABBE se distinguent particulièrement.

Les deux sections qui sont dans le boyau U-U établissent une barricade au nez de l’adversaire. Des éléments de tranchées sont creusés de chaque côté. Quelques bons tireurs bien abrités derrière les plaques de blindage tirent sur toute tête qui se montre.

Trois fois l’ennemi tente de prendre le fortin improvisé, trois fois il est repoussé.

 

Pendant dix jours, la 8ème compagnie, réduite à quelques hommes, soutient bravement le combat ; sa conduite est héroïque.

 

Elle est citée par le général DURBAL à l’ordre de la Xème Armée dans les termes suivants :

« Sous le commandement de son chef, le lieutenant MONGIS, s’est portée avec un entrain nettement affirmé, vers son objectif. Arrêtée dans son mouvement par le feu nourri de l’ennemi occupant une tranchée signalée comme évacuée, s’est maintenue sans faiblir à courte distance de cette tranchée. A organisé à quatre mètres des fils de fer ennemis une barricade qu’elle a tenue pendant dix jours ».

 

Le 1er bataillon relève dans la nuit du 27 au 28 le 3ème et tente de progresser, mais l’ennemi tient bon. Depuis deux jours la garde prussienne est là et nous attend. Une attaque sans préparation d’artillerie est décidée pour 19 heures sur la tranchée d’Hindenburg à cheval sur le chemin creux de Neuville – Ferme de la Folie.

La 3ème et la 1ère compagnies passent en rampant le parapet pour ne donner l’éveil, mais l’ennemi, vigilant, les a vues et ouvre le feu. Tout le monde alors se redresse et se précipite malgré les balles.

Le capitaine BOURDIN, blessé, tombe : « Laissez-moi, crie-t- il. En avant ! Vive la France ! ».

Le  Lieutenant ROUSSEL, de la 3ème compagnie, prend le commandement et lance ses deux compagnies en chantant la Marseillaise. La garde impressionnée recule, la tranchée est occupée par les 40 hommes qui restent encore. L’ordre arrive pendant la nuit de replier. La petite fraction se barricade dans le chemin creux. Jusqu’au 8 septembre, elle se maintient sous un feu violent, repoussant les contre-attaques. Les hommes sont des lions ; les pusillanimes deviennent braves :

Le soldat LATROMBE, qui avait hésité au début de l’attaque, revient à sa compagnie ; pris d’une folie héroïque, il monte sur la barricade, et debout, il fusille les allemands dans leur propre tranchée.

Cinq fois blessé, LATROMBE tire toujours, jusqu’au moment où une balle le frappe à la tête.

 

En récompense de son attitude splendide au feu, la 3ème compagnie est citée à l’ordre de la Xème Armée avec le motif suivant :

« La 3ème compagnie du 74ème, ayant reçu l’ordre de se porter à l’attaque d’une tranchée ennemie est sortie d’un seul bond au commandement de son chef, le Capitaine BOURDIN ; s’est élancée impétueusement à l’assaut en chantant la Marseillaise. A pénétré dans la tranchée ennemi, s’en est emparée et a organisé la position conquise malgré un feu très violent ».

 

Le 7 octobre, après dix huit jours de durs combats, le Régiment est relevé et emmené au repos aux environs de Doullens.

 

 

 

EXTRAIT de L’HISTORIQUE DU 129e REGIMENT D’INFANTERIE

Le Havre

Imprimerie du journal LE HAVRE (O. Randolet, imprimeur)

35, rue Fontenelle, 35

 

 

 

Le 25 septembre, l’attaque doit se déclencher à midi 25.

Le Régiment est encadré : à droite par un Régiment du 12e Corps, le 50e ; à gauche, par le 36e ; l’attaque doit se produire sur un large front, de la gauche de Notre-Dame-de-Lorette, devant Liévin, à Beaurains, à droite d’Arras.

 

Le 129e a comme premier objectif : la « Dent de Scie » et la « Tranchée Brune », puis, le « Vert-Halo », la « Tranchée des Saules » et, si possible, le Bois de la Folie.

 

Dans la brume, dès l’aube, le 25 septembre, les tranchées ennemies allongent leur réseau gris, dans la plaine nue, jusqu’à la Folie, protégées par de puissantes défenses de fil de fer, et semblent défier par leur force tranquille, la masse des assaillants qui se prépare à l’attaque.

Le feu préparatoire de l‘artillerie française devient d’une violence inouïe ; à midi, c’est un enfer, les obus rasent les premières lignes, abandonnées momentanément, et s’écrasent dans un bruit assourdissant sur les lignes ennemies.

Le Bois de la Folie disparaît dans la fumée, et l’artillerie ennemie, qu’il cache, se tait.

Petit à petit, les Compagnies d’assaut (2e et 3e Bataillons) se portent dans la tranchée de première ligne. Les parallèles de départ n’ont pu être achevées et les hommes seront obligés de sortir, un à un, par les sapes d’attaque.

En avant, malgré le tir de notre artillerie, la première tranchée allemande, à 40 mètres, semble intacte, et nos hommes, à qui l’interdiction de tirer un seul coup de fusil a été donnée, voient avec rage les guetteurs allemands, la tête au-dessus de leur tranchée, qui gesticulent et les attendent.

 

A midi 15, devant Neuville, une équipe spéciale des Pompiers de Paris vient actionner, devant nos premières lignes, plusieurs lance-flammes. Les jets, trop courts, tombent entre les tranchées et la démonstration attire une assez vive fusillade.

Cette fusillade est à peine calmée que, à midi 25, d’un seul bond, la première vague d’assaut du 129e, la baïonnette haute, s’élance en avant.

Immédiatement, de nombreux points de la ligne ennemie, un feu de mitrailleuses, extraordinairement nourri, l’accueille. Les grenades pleuvent comme la grêle, devant la ligne allemande, et nos hommes, surpris dans leur ruée sublime, tournoient, chancellent, et tombent frappés à mort.

Une seconde vague succède, elle n’est pas plus heureuse que la première. Certaines mitrailleuses ennemies exécutent un tir bloqué sur nos têtes de sapes et, un à un, tous ceux qui se présentent s’écroulent foudroyés.

Néanmoins, dans la nappe de balles qui sème effroyablement la mort, quelques éléments se sont accrochés au terrain et, en rampant, cherchent à atteindre la ligne ennemie.

Dans la partie gauche de la « Dent de Scie », en première ligne, quoique privée de ses officiers, tombés au début de l’action, la 10e Compagnie tient bon ; un peu plus à gauche, la 12e Compagnie, qui a vu tomber, blessé, son chef, le Capitaine CABANEL, réussit aussi à prendre pied dans la tranchée ennemie et continue à combattre.

Sur la partie droite de la « Dent de Scie », la 5e Compagnie, superbement enlevée par le Sous-lieutenant DELAPORTE, qui, malade la veille, s’est fait transporter dans la tranchée d’assaut pour partir en avant avec ses « poilus », gagne du terrain, malgré de très lourdes pertes, et atteint la « Tranchée Brune » ; le Sous-Lieutenant DELAPORTE est blessé, la 5e Compagnie n’a plus d’officiers, le Sergent CLAUSS progresse encore et atteint le « Vert-Halo », puis la 8e Compagnie prend pied à son tour dans la « Dent de Scie ».

Sur la droite, plusieurs Sections des 50e et 126e R.I. (12e C.A.) ont atteint le groupe de maisons « des Tilleuls » et sont arrêtées par une contre-attaque ennemie.

L’Aspirant de MAZILLY, de la C.M.1 du 129e, établit ses mitrailleuses dans la partie de la tranchée du « Vert-Halo », que les éléments des Régiments voisins viennent de dépasser, et arrête net la contre-attaque, permettrant aux Sections du 50e, trop avancées, de revenir au « Vert-Halo ».

 

Au cours de l’après-midi, les Compagnies, qui ont pu pendre pied dans la « Dent de Scie », progressent et « nettoient » la tranchée ennemie, faisant de nombreux prisonniers.

Les Compagnies, dont l’élan a été arrêté, à midi 25, prennent part à cette progression.

A la nuit, la « Dent de Scie » est entièrement réduite, et la première ligne du 129e se trouve au « Vert-Halo », à hauteur des éléments voisins du 12e Corps.

La 9e Compagnie, sous les ordres du Sous-Lieutenant de GRAND d’ESNON, un véritable entraîneur d’hommes, s’élance en avant de la tranchée du « Vert-Halo » et va atteindre la tranchée des « Saules », quand son glorieux Chef tombe frappé d’une balle au front à quelques mètres du parapet. La Compagnie est clouée sur place sous un feu de mousqueterie et de mitrailleuses d’une violence inouïe.

 

Sur la gauche, le 36e a dépassé aussi le « Vert-Halo ».

 

Le lendemain 26, à 13 heures, l’attaque est reprise sur la tranchée des « Saules », la 7e Compagnie, brillamment enlevée par le Lieutenant CUÉRON, voit son élan arrêté par un puissant réseau que notre artillerie n’a pu écraser ; se maintenant dans les trous d’obus, les hommes de la Compagnie tiennent sous les bombes à ailette et les rafales de mitrailleuses, ils ne se replient que le soir et par ordre.

 

Pendant ces deux journées, les pertes, au 3e et 2e Bataillons, partis en première vague, ont été particulièrement lourdes ; presque tous les officiers sont tombés, en tête de leurs hommes : Capitaine LOY, Capitaine DOURY, Lieutenants DESHAYES, LEBON.

Dans la tranchée conquise, les cadavres allemands, pêle-mêle, montrent avec quel acharnement les combats ont été livrés. Les pertes ennemies paraissent au moins aussi élevées que les nôtres, la « Garde Prussienne » a dû s’incliner, une fois de plus…

 

Relevé le 27 septembre par le 39e R.I., le 129e va se reformer à Écoivres.

 

Le 28 au soir, il redescend à gauche de Neuville pour appuyer un mouvement éventuel vers

l’avant du 39e R.I. ; puis il reste en réserve aux « Ouvrages blancs » et à la « Targette » (Ouest de Neuville-Saint-Vaast).

 

Le 3 octobre, le Colonel MARTENET est appelé au commandement d’une brigade et est remplacé par le Lieutenant-Colonel VALZI.

 

Le 129e est relevé le 7 octobre et va cantonner à Acq et Frévin-Capelle….

 

 

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