La bataille de la SOMME

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La deuxième phase (20 juillet à fin août)

 

 

 

 

La dernière semaine de juillet, très chaude, d'une chaleur lourde et poussiéreuse, fut encore féconde en brillants faits d'armes.

 

Le 20, une grande attaque générale avait été décidée, entre la région de Pozières et celle de Vermandovillers.

Dans le secteur français, nos troupes s'emparèrent, au nord de la Somme, de toute la première ligne entre Hardecourt et Hem; tandis qu'au sud, Barleux, véritable nid de mitrailleuses résistant encore aux assauts de nos coloniaux, était sur le point de succomber.

 

On ne saurait raconter les traits d'héroïsme. Il faut pourtant parler de celui qui rendit célèbre, à la prise des bois de Hem, le nom du caporal de chasseurs à pied Goutandier.

Le bataillon venait de s'élancer à l’assaut : déjà une première vague avait bousculé l'ennemi, puis une deuxième passait à son tour... Soudain, vers la droite, d'un repli de terrain, une fusillade nourrie partit sur les assaillants.

 

Le caporal Goutandier, qui se trouvait à l'aile droite de cette deuxième vague, appela un de ses hommes :

 

- Guillot, viens avec moi ! Et tous deux se dirigèrent vers l'endroit d'où partait la fusillade.

- Guillot, prépare tes grenades, dit le caporal à son compagnon.

Impassibles sous le feu, insouciants du danger, se glissant d'arbre en arbre, ils arrivent à hauteur d'un abri, d'où une compagnie allemande, qui s'y était réfugiée, continuait de tirer. Une pluie de grenades s'abattit sur l'abri boche ; la fusillade s'arrêta aussitôt.

- Rendez-vous ! Cria alors une voix de stentor.

C'était Goutandier qui, toujours dissimulé derrière un tronc d'arbre, clamait cette sommation. Alors, de l'abri, les bras levés, cent hommes sortirent, cent Allemands ayant à leur tête deux officiers.

- Approchez par ici, cria de sa cachette le caporal. Sortez du bois tout de suite, et en route pour l'arrière !

Deux minutes plus tard, les cent Allemands, conduits par Goutandier et par Guillot, arrivaient dans nos lignes. Mais ils avouèrent que plusieurs de leurs camarades étaient restés dans l'abri.

- Viens, Guillot, dit Goutandier ; viens, allons les chercher.

Les deux hommes repartirent... Mais Guillot bientôt tombait, atteint d'une balle à la poitrine. Le caporal, cette fois, dut renoncer à son entreprise

Quelques jours après, le général attachait sur la poitrine de ce brave la croix de la Légion d'Honneur.

 

 

Le temps était toujours splendide, mais d'une chaleur accablante.

 

Les 24, 25, 26 et 27, dans le secteur anglais cependant, l’armée Gough prenait pied dans la forte position de Pozières et reprenait aux Allemands, une deuxième fois, le bois Delville et Longueval. Elle échouait, par contre, au cours de combats féroces qui durèrent pendant plus d'une semaine, sur Guillemont.

 

Chez nous, le 1e Corps d'Armée (général Guillaumat) remplaçait le 20e et entrait en action à son tour ; et, pour ses débuts, il s'immortalisait par la prise de Maurepas, emporté en deux rudes combats, l'un du 12 août (enlèvement de la moitié sud du village), l'autre du 24 août, au cours duquel le 2 bataillon du 1e régiment d'infanterie, composé en grande partie de soldats originaires des régions envahies, sous les ordres de l'héroïque commandant Frère, arracha à la Garde prussienne la moitié nord de cet amas de ruines.

Car il ne s'agissait plus que de ruines !

 

L'un de nos camarades, qui fut « de Maurepas », Paul Dubrulle, a peint l'effroyable spectacle de ces débris informes, tout sanglants de l'héroïque combat :

« Au sortir du village, un tableau plus sinistre s'offre à moi.

Dans le village, les ruines avaient voilé les horreurs les plus poignantes, la vue des cadavres ; sur ce terrain, elles s'étalent. Le combat a été atroce; partout des Allemands sont étendus. J'arrive au fameux chemin creux... Mettant à profit cette défense naturelle, l'ennemi y avait organisé une résistance farouche : nos soldats ont dû le déloger, un à un, de ses niches par un combat à la grenade. Le terrain n'avait pas encore été nettoyé.

A chaque pas, sur le bord du chemin, dans les trous, des cadavres gisaient, horribles, noircis, gonflés, mutilés par d'affreuses blessures ; çà et là des membres détachés, des têtes, ajoutaient encore au tragique du tableau.

Le sol était couvert de matériel de guerre en quantité énorme : fusils, mitrailleuses, caisses et bandes de cartouches, grenades, outils, havresacs, capotes, casques, bérets, gisaient éparpillés dans un désordre navrant ... »

 

 

 

 

La troisième phase (3 septembre à fin octobre)

 

L'artillerie lourde s'étant avancée sur le terrain conquis, un effroyable bombardement recommença et se remit à broyer les lignes ennemies : obus de 400, de 380, de 270, s'abattirent pendant plusieurs jours, en vue d'une nouvelle grande attaque : celle-ci était fixée au 3 septembre.

Le temps s'était mis à la pluie ; et la boue, cette fameuse boue de la Somme, qui devait rester légendaire, commençait à faire parler d'elle.

 

 

 

Au nord, les Anglais avaient, depuis près d'un mois, fait des travaux d'approche autour de Guillemont « l'inexpugnable ».

Le 3 septembre, dès les premières heures de l'attaque, Guillemont fut pris. Ginchy, enlevé parles régiments irlandais, fut reperdu.

En liaison avec les Anglais, les Français, le même jour, voyaient tomber entre leurs mains Le Forest et Cléry sur Somme (au nord de la Somme), avec 2000 prisonniers.

 

Au sud, la 10e Armée (général Micheler) se mettait en branle à son tour : le 4, elle enlevait toute la première position entre Deniécourt et Vermandovillers: Soyécourt et Chilly (25e,136e régiments d'infanterie,10e RAC) étaient pris, avec 2.700 prisonniers; Chaulnes était directement menacé par Lihons.

 

Le 5, des contre-attaques allemandes furent vigoureusement repoussées et, le 6, la 1e Armée s'emparait d'une grande partie de Berny en Santerre.

 

Dans ces trois jours, les deux Armées, française et anglaise, avaient capturé plus de 6000 prisonniers et pris 36 canons. L'avance continua.

 

Le 9, les Anglais achevèrent de conquérir Ginchy et poussèrent leur marche, en oblique, sur Combles.

 

Le 12, grande attaque des Français entre Morval et la Somme toute la première ligne ennemie est emportée, les objectifs sont dépassés par une troupe admirable d'ardeur, et Bouchavesnes succombe; on menace maintenant Péronne par le nord.

 

Enfin, le 15, les Anglais de Rawlinson, à leur tour, s'élancent sur un front de 10 kilomètres.

 

Là, pour la première fois, font leur apparition, sur le champ de bataille,

« d'énormes, de terrifiantes machines qui, vomissant le feu par toutes leurs ouvertures, gravissent en courant les pentes les plus abruptes, renversent tous les obstacles, traversent en se jouant les plus solides défenses, les réseaux de fil de fer les plus inextricables, les nids de mitrailleuses les plus meurtriers, broyant tout, écrasant tout, semant partout l'émerveillement, l'épouvante et la mort: ce sont les tanks, ou chars d'assaut, qui, perfectionnés et multipliés, couronneront un jour la totale défaite allemande. »

Le combat dura trois jours, et le « tableau en fut magnifique : avec 4000 prisonniers, Courcelette, Martinpuich, le bois des Fourcaux, le village de Flers.

 

Et, à cette même date du 17, la 1e Armée française prenait Vermandovillers et Berny.

 

Les combats, cependant, il faut bien le reconnaître, devenaient de plus en plus difficiles. Le temps était franchement mauvais : pluie, pluie, pluie, et, de plus en plus, des flots de boue : la bataille « s'enlisait »

 

Et puis, aussi, l'ennemi réagissait avec un courage et un entêtement auxquels on est bien obligé de rendre éloge, surtout pendant ces batailles de septembre.

Certes, rien de tout cela n'eût été capable d'arrêter les fantassins de France : le 25 septembre encore, dans un élan irrésistible, ils emportaient Rancourt (au nord de Bouchavesnes) et Frégicourt, tandis que les troupes de Douglas Haig, en liaison avec eux et électrisées par leur exemple, faisaient tomber Morval.

 

Combles était positivement encerclé

 

Et, le 26 enfin, journée glorieuse : les deux Armées se donnaient la main dans Combles, le principal pilier de la défense allemande, la « clef » entre Bapaume et Péronne; et, d'autre part, tout à fait au nord, les Britanniques enlevaient Thiepval.

Mais les troupes anglaises étaient très fatiguées.

Joffre et Foch auraient continué la lutte : ils savaient ce qu'ils pouvaient demander aux soldats de Verdun, même en dépit des souffrances de l'hiver commençant.

Nous étions maîtres de toutes les hauteurs en face de Bapaume et de Péronne il semble bien que les deux Armées n'avaient plus qu'à donner l'assaut décisif, qui les conduirait rapidement au cœur des deux villes.

 

D'autant plus que la résistance allemande, après ce sursaut dont j'ai parlé, paraissait faiblir... Mais le général Douglas Haig ne se crut pas le pouvoir d'imposer à sa jeune Armée, qui aspirait au repos et que les intempéries éprouvaient, un nouvel effort.

 

Ajoutons que, dans le même temps, tout à fait au sud, nous prenions (250e, 278e, 307e, 308e, 358e régiments d'infanterie) Ablaincourt et Le Pressoir (7 novembre), tandis que les Anglais, au nord, enlevaient Beaumont-Hamel et Beaucourt le 13 novembre.

 

D'autre part, à l'arrière, on commençait à trouver cette bataille interminable. La «décision» semblait lointaine.

Combien de mois faudra-il encore pour faire craquer cette ligne allemande, sans cesse reformée ?

A Paris, Joffre lui-même et Foch, par surcroît, devenaient impopulaires auprès de certains politiciens.

S’en était donc fait : il était impossible, dans ces conditions, de poursuivre l'offensive : la bataille s'arrêta.

 

Rappelons que l'offensive française sur Verdun (pour la reprise de Vaux) commença aux derniers jours d'octobre.

 

 

Conséquences de la bataille

 

Pour ceux qui ont vu la bataille de la Somme, ce qui reste caractéristique - en dehors des horribles traits communs à toutes les batailles - c'est la dévastation par les marmites et la boue.

 

On avait déjà vu, au cours de cette guerre, bien des « patelins » démolis ; mais, cette fois, dans ces champs du Santerre, il semblait que toute la région eût été retournée sens dessus dessous, ou comme labourée par quelque soc gigantesque : il ne restait plus trace de vie !... Et d'autant moins trace de vie que, sur tout cela, à partir de septembre, était arrivée, implacable, l'inondation par la boue.

 

« De toutes les boues, écrit le colonel Lorieux, qui ont été, pour le poilu, l'une des plus cruelles souffrances de la guerre, celle de la Somme occupe, dans ses souvenirs, la première place. Boue lourde, gluante, dans laquelle on ne risque pas de disparaître comme en Woëvre, mais d'où l'on ne sort pas ! »

 

 

Pierre Loti, qui visita « l'enfer de la Somme », a écrit, sur ces paysages sinistres, quelques pages saisissantes qu'on voudrait pouvoir citer toutes :

« ... Par degrés, nous pénétrons dans ces zones inimaginables à force de tristesse et de hideur, que l'on a récemment qualifiées de lunaires.

La route, réparée en hâte depuis notre récente avance française, est encore à peu près possible, mais n'a, pour ainsi dire, plus d'arbres de l'allée d'autrefois restent seulement quelques troncs, pour la plupart fracassés, déchiquetés à hauteur d'homme ; et, quand au pays à l'entour, il ne ressemble plus à rien de terrestre : on croirait plutôt, c'est vrai, traverser une carte de la Lune, avec ces milliers de trous arrondis, imitant des boursouflures crevées.

Mais, dans la Lune, au moins, il ne pleut pas ; tandis qu'ici tout cela est plein d'eau à l'infini, ce sont des séries de cuvettes trop remplies, que l'averse inexorable fait déborder les unes sur les autres ; la terre des champs, la terre féconde, avait été faite pour être maintenue parle feutrage des herbes et des plantes; mais, ici, un déluge de fer l'a tellement criblée, brassée, retournée, qu'elle ne représente plus qu'une immonde bouillie brune, où tout s'enfonce.

Çà et là, des tas informes de décombres, d'où pointent encore des poutres calcinées ou des ferrailles tordues, marquent la place où furent les villages »

 

 

Le Santerre, nom mystérieux..

La légende prétend qu'il signifie : Terre de sang ...

 

 

Telle quelle, on peut et on doit dire que la bataille de la Somme reste une des grandes batailles de la guerre.

Sans doute, nous n'avions pris ni Bapaume ni Péronne. Mais le vrai but, qui était, ne l'oublions pas, de dégager Verdun, avait été impeccablement atteint.

L'ennemi avait bien vu lui-même, d'ailleurs, dès les premiers jours, sa surprise passée, l'importance d'une telle offensive et ce qu'elle dénotait de véritable force chez nous.

 

 

Après trois mois de lutte à peine, Joffre avait pu dicter son ordre du jour célèbre du 29 septembre : « Verdun dégagé, 25 villages reconquis, etc... » ; et, la bataille terminée, Douglas-Haig, à son tour, concluait son rapport officiel par cette phrase qui résume bien toute l'offensive de Picardie, en 1916

« Ainsi, les trois principaux objectifs pour lesquels nous avions entrepris cette offensive étaient atteints Verdun a été dégagé, de gros effectifs allemands ont été retenus sur le front occidental et une usure considérable a été infligée aux troupes ennemies ».

L'ennemi avait eu, en effet, 700000 hommes hors de combat, dont 105000 prisonniers ; il avait perdu 350 canons et plus de 1500 mitrailleuses. »

 

 

Mais au point de vue stratégique, le grand résultat de notre victoire de la Somme ne devait apparaître que quatre mois plus tard, lorsque, fin mars, les Allemands, se sentant impuissants à défendre le saillant Noyon-Roye, l'abandonnèrent sans bruit, et se replièrent sur la fameuse ligne Hindenburg : ils se refusaient eux-mêmes à subir une seconde bataille

 

 

« Te me rappelle, un soir d'octobre 1916, écrit M. Victor Giraud, avoir rencontré un petit chasseur qui, le matin même, avait quitté Sailly Saillisel.

Fourragère, croix de guerre, deux blessures, le casque bosselé, la capote déteinte, encore toute maculée de la glorieuse boue des tranchées tous les signes extérieurs de l'héroïsme.

Rien pourtant, dans sa vie antérieure, ne semblait l'avoir prédestiné à être un héros : simple petit employé dans un magasin de nouveautés, il arrivait en permission, et il allait embrasser sa femme et son enfant. A le voir, à l'entendre parler, tout vibrant encore de la bataille d'où il sortait, on respirait littéralement l'air du front.

Ses propos étaient magnifiques. Avec une modestie parfaite, sans la moindre emphase, sans se plaindre, il décrivait les misères et les dangers de leur dure vie quotidienne, misères et dangers plus terribles que ceux qu'il avait connu à Verdun, les bombardements effroyables, les ravitaillements inexistants, les abris dans les trous d'obus remplis d'une boue glacée, et la pluie qui tombe sans cesse, qui détrempe les corps et les âmes.

Oui, certes, disait-il, la vie que nous menons est infernale. Mais c'est le devoir. Et nous lutterons jusqu'au bout, car nous sommes sûrs de vaincre. Et nous ne voulons pas que nos enfants voient ce que nous avons vu »

 

Il n'était peut-être pas un seul soldat français qui n'eût souscrit à ces viriles paroles.

 

Oui, Verdun, la Somme : deux atteintes irréparables portées au prestige de l'Armée allemande.

 

Texte tiré de « La grande guerre vécue, racontée, illustrée par les Combattants, en 2 tomes Aristide Quillet, 1922 »

 

 

Deux combats pendant la bataille de la Somme :

L’attaque de Estrées et Deniécourt

La bataille de Combles

 

20 cartes postales de la Somme de cette période

 

 

 

 

 

Suite des opérations : Les offensives de début 1917

 

 

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