VERDUN

 

LES JOURS TRAGIQUES

21 février-25 février 1916

 

 

 

Comme il le fera au début de 1918, avant l'attaque du 21 février, le Commandement allemand préluda, en 1916, à son offensive principale par de nombreuses actions locales sur tout le front, de l'Yser aux Vosges. Procédé excellent.

Le Commandement adverse ne peut pas ne pas être ému de cette multiplicité de coups, surtout lorsqu'il sait, comme au début de 1915, qu'il va avoir à supporter un violent assaut sur un point ignoré.

D'elles-mêmes, les unités « resserrent » sur le front : le régiment fait « serrer » son ou ses bataillons de réserve ; la division, son ou ses régiments de seconde ligne; Le Corps d'Armée agit de même; l'Armée et le groupe d'Armées ont tendance à faire appel aux réserves de Commandement.

Un mouvement général d'arrière en avant se produit, qui augmente la densité dans les premières lignes et les rend, par suite, plus vulnérables. Les troupes, dont l'ennemi vise la destruction, se trouvant massées sur une moindre profondeur, il devient plus facile de les isoler en un point, de les broyer et de passer.

D'autre part, même avec un Commandement gardant son parfait sang froid comme le Commandement français l'expérience l'a prouvé une tactique de ce genre permet de donner le change à l'ennemi.

 

Pourquoi L’armée allemande nous a trompée sur l’offensive sur Verdun ?

 

En fait, les Allemands ont réussi les deux fois à nous tromper :

 

En 1916, on les vit attaquer successivement le 5 janvier, en Champagne, à la cote 195 et à la butte de Tahure; le 10 janvier, encore en Champagne, au Mont-Têtu et à la Courtine (Main-de-Massiges); le 22 janvier, dans les Flandres, à Steenstraat : ils tentaient de franchir le canal de l'Yser; le 23 janvier, en Artois, entre le bois de Givenchy et Arras.

Le 24 janvier, ils bombardaient Nieuport, sur la côte de la Mer du Nord.

Du 29 janvier au 14 février, ils assaillaient, avec toutes apparences de vouloir mener les choses à fond, le secteur de Frise, dans la Somme.

Le 12 février, ils renouvelaient leur tentative de franchissement de l'Yser. Le même jour, à l'autre bout du front, ils attaquaient à l'est de Saint-Dié, pénétraient dans nos tranchées de Wissernbach.

Deux jours plus tard (14 février), ils déclenchaient un bombardement intense entre Reims et Soissons, la région la plus vulnérable de notre front puisque, presque partout, ils y tenaient les positions dominantes et les observatoires, et que, là aussi, une partie de nos troupes aurait dû combattre avec une rivière à dos, l'Aisne, difficilement franchissable en tout temps, et de plus gonflée par les pluies en cette saison.

Enfin, le dimanche 20 février, pour la troisième fois, ils tentaient de franchir l'Yser.

 

Où allait se porter l'attaque principale?

Il était bien difficile de le prévoir.

Depuis le début de décembre, des indices inquiétants attiraient l'attention sur Verdun.

L'aviation, par ses photographies, par ses reconnaissances, signalait le développement inquiétant des voies de 60 centimètres derrière le front ennemi; l'activité insolite des gares de Conflans, Chambley, Baroncourt, Muzeray, Romagne-sous-les-Côtes, Vilosnes, Nantillois; les interrogatoires de prisonniers, les comptes rendus de notre service de renseignement montraient que le Commandement adverse accumulait sur ce point les batteries, les munitions, les troupes.

 

Et parmi ces troupes figuraient des groupements d'élite, le XVIII Corps d'Armée; le XVe Corps de Metz, l'un des meilleurs de l'Armée allemande; enfin, le fameux IIIe Corps d'Armée, l'ancien Corps d'Alvensleben, recruté dans la vieille Marche et resté égal à sa réputation.

De plus, ainsi qu'il arrivait à la veille de toute offensive, des déserteurs franchissaient nos lignes. Ils confirmaient l'annonce d'une attaque prochaine dans le secteur.

 

Le 15 février, notamment, trois fantassins du 172e régiment d'infanterie (régiment du XVe Corps d'Armée) déclaraient que leur Corps devait attaquer sous peu. Il l'aurait déjà fait, n'était le mauvais temps (le début de février avait été très pluvieux).

 

Un ordre du jour de l'Empereur leur avait été lu la veille, annonçant la bataille que d'autres estimaient devoir être la dernière. « Nous allons prendre Verdun, la plus grande forteresse des Français; après, ce sera la paix ».

Et, cependant, le Commandement français conservait des doutes. Il lui paraissait difficile d'admettre que le Commandement ennemi voulût faire porter son effort principal sur Verdun.

Lui même ne se rendait pas compte exactement de la faiblesse réelle de la position.

Il était confirmé dans ses doutes par l'absence de parallèles de départ.

Sur le front d'attaque présumé, les points où les tranchées adverses étaient en contact se trouvaient fort peu nombreux. Il n'y en avait guère que deux sur la rive gauche : Béthincourt et le bois de Forges, et trois sur la rive droite : le bois de Consenvoye, le bois des Caures et le Moulin-d'Ornes.

Partout ailleurs, pour aborder nos lignes, l'ennemi devait franchir six cents, huit cents mètres, en espace découvert.

Comment admettre qu'il lancerait son infanterie à l'assaut sans tracer, au préalable, des parallèles de départ, comme nous l'avions fait en Champagne en septembre 1915 ?

 

La surprise de l’attaque allemande

 

Et c'est ainsi que l'assaut du 21 février 1916 fut pour nous une surprise.

Le temps, pluvieux depuis le début du mois, s'était rasséréné, après quelques jours de violentes bourrasques qui avaient empêché nos avions de sortir.

Le dimanche 20 février avait été une journée de soleil radieux ;et c'est par un beau froid sec que, le 21 au matin, à 7h15,se déclenchait le «trommelfeuer».

Un ouragan d'acier s'abattait sur nos lignes, depuis Malancourt jusqu'aux Eparges.

Pendant que nos tranchées étaient soumises à un tir massif qui crevait les abris, retournait les parapets, comblait les courtines, les villages et les forts plus en arrière : Marre, Vacherauville, Charny, Douaumont, Vaux, étaient écrasés par les gros calibres. Sur Verdun tombaient des 380; l'un des premiers défonçait la façade du collège Marguerite.

En même temps, des tirs d'interdiction à obus spéciaux, étaient exécutés sur les routes, pistes et nœuds de communications, de manière à empêcher l'arrivée de renforts et à isoler la portion du front que l'on voulait enlever.

 

C'était la méthode employée par nous en Champagne, mais singulièrement amplifiée et perfectionnée.

La violence du bombardement dépassa en intensité tout ce que l'on avait pu voir jusqu'alors. Nos observateurs renonçaient à noter toutes les batteries repérées en action. Les bois de Consenvoye, d'Etrayes, de Crépion, de Moirey, la côte de Romagne, les forêts de Mangiennes et de Spincourt, qui recelaient l'artillerie boche, rougeoyaient comme des forges.

Dans le ciel, six « drachen » observaient les effets du tir.

 

A 16 heures, l'intensité du bombardement atteignait son maximum.

 

A 16h45, sur la rive droite, de Brabant à Ornes, le tir ennemi s'allongeait, constituant des barrages en arrière du bois de Haumont, du bois des Caures, du bois-de-Ville et de l'Herbebois. L'infanterie ennemie marchait à l'assaut.

Attaquant avec cinq divisions (IIIe et XVIIIe Corps. d'Armée, plus la 13e division du VIIe Corps d'Armée), les Allemands espéraient bousculer rapidement les deux divisions que nous lui opposions, la 51e et la 72e divisions d'infanterie, et jeter à la Meuse ou faire prisonnières les troupes épargnées par le bombardement.

 

Une fois de plus, l'héroïque ténacité de notre infanterie et son admirable esprit militaire allaient sauver la patrie.

Dans leurs tranchées éboulées, comblées aux trois quarts, sous l'enchevêtrement dés arbres abattus, les survivants du bombardement attendaient l'ennemi, le fusil au poing.

Sur tout le front d'attaque, nos troupes soutinrent le choc magnifiquement ; à Brabant, le 351e régiment d'infanterie ; au bois de Haumont le 165e ; au bois des Caures, les 56e et 59e bataillons de chasseurs, que commandait le lieutenant-colonel Driant; à l' Herbebois, le 164e régiment d'infanterie, luttèrent jusqu'à la nuit tombante.

Et lorsque l'ombre eut arrête la bataille, les Boches n'avaient fait pour toute conquête que celle du bois de Haumont !

Partout ailleurs, dans ces positions de notre première ligne, à Brabant, au bois des Caures, au bois-de-Ville, à l'Herbebois, une lutte confuse fixait encore l'assaillant, qui avait bien espéré atteindre le soir même la ligne des forts : Côte du Poivre-Douaumont-Vaux

 

Malgré les angoisses des jours qui suivirent et l'horreur sanglante des grandes ruées qui se succédèrent durant cinq mois encore, on peut dire que, dès ce moment, la grande offensive allemande avait échoué.

Elle en était encore, en effet, à s'assurer notre première ligne, et déjà les secours étaient mandés; Déjà même ils approchaient : le 20e Corps (général Balfourier),dès le lendemain mardi 22, commençait à débarquer dans la région Revigny  Bar le Duc Ligny-en-Barrois.

 

La nuit du 21, il neigea; et le matin blafard se leva, le 22, sur un champ de bataille recouvert d'un épais tapis blanc. Les vagues d'assaut boches ne devaient plus être, de longtemps, favorisées par une journée comme celle du 21 février !

Et elles n'avaient pas réussi !

Comment réussiraient-elles maintenant qu'il leur faudrait avancer péniblement par la boue glacée…

On reprit la préparation d'artillerie.

Même déluge d'acier que la veille.

Pour s'emparer du bois-de-Ville et achever d'occuper le bois des Caures, où le lieutenant-colonel Driant et le commandant Renouard, restés les derniers, trouvaient une mort héroïque non sans avoir heureusement assuré le repli de leurs chasseurs sur Beaumont.

Ce n'était, pas l'avancée promise, l'arme à la bretelle, à travers un terrain conquis par l'artillerie et où ne subsistait plus un défenseur. Il fallait combattre âprement. La marche foudroyante se réduisait à une avancée de trois kilomètres en deux jours, et encore pas sur tout le front d'attaque.

Dans l'Herbebois, les Allemands ne parvenaient pas à dépasser la corne nord est; à l'autre bout du champ de bataille, ils étaient arrêtés devant Haumont par les mitrailleuses du 362e régiment d'infanterie, et ne parvenaient à s'avancer à travers les ruines du village qu'à la chute du jour.

 

Nous profitions de la nuit du 22 au 23 pour évacuer Brabant.

Le 351e régiment d'infanterie, qui occupait ce point, reçut l'ordre de se replier par échelons sur Samogneux, en tenant tête à l'ennemi avec énergie.

Pendant toute la journée du mercredi 23, on se bat dans Samogneux en flammes, à la lisière du bois des Caures où nous contre-attaquons ; dans l'Herbebois, que la 51e division d'infanterie évacue lentement pour se replier sur le bois des Fosses.

 

De toute évidence, l'ennemi avançait bien péniblement.

Pourquoi ? C'est que, maintenant, nous combattions en rase campagne. Plus d'organisations défensives. Pour seule protection, les tranchées ébauchées en une nuit avec les outils portatifs. Et nous luttions un contre trois.

 

Cependant, un bombardement toujours aussi violent sur le secteur de la rive gauche, de l'ouvrage de Haucourt au bois des Caurettes et d'Esnes à Chattancourt, maintenait la crainte d'une attaque de ce côté ;attaque qui eût pris à revers nos défenseurs de la rive droite.

En Woëvre, d'autre part, de Fromezey aux Eparges, les obus continuaient à pleuvoir sur nos premières lignes et sur les villages immédiatement à l'arrière.

Néanmoins, le front assailli résistait.

Malgré leur infériorité numérique et l'infériorité plus grave encore de notre artillerie, nos soldats empêchaient tout le jour les vagues d'assaut sans cesse renouvelées de déboucher de la Wavrille, entre le bois-de-Ville et l'Herbebois, et de s'emparer de la cote 350, dont la possession eût permis à l'ennemi de prendre d'enfilade notre position de Beaumont.

Au soir du 23, notre ligne était lisière sud de Samogneux, ferme d'Angle, mont Beaumont lisière nord-est du bois des Fosses et du bois Le Chaume , ancienne ligne Ornes - Fromezey.

A l'endroit où l'avance était la plus forte, à la hauteur de la ferme d'Anglemont, la profondeur de terrain cédé n'excédait pas quatre kilomètres.

La situation, pourtant, ne laissait pas d'être grave.

 

Le Commandement allemand sentait le moment décisif. Il comprenait que, s'il ne parvenait pas à forcer l'accès de Verdun avant l'arrivée des troupes de secours, c'en était fait de ses espérances. Il fallait tenter un effort suprême.

 

Il renforçait donc, le jeudi 24, ses troupes d'assaut; et, prolongeant le front d'attaque vers l'est, lançait entre Maucourt et Wareq le XVe Corps d'Armée, qui n'avait pas encore donné.

Nos troupes, exténuées par trois jours de lutte inégale, mal ravitaillées, couchant dans la neige, dans la boue glacée, plièrent sous le choc.

Nos secondes lignes, Samogneux, la cote 344, le bois des Fosses, le bois Le Chaume, Ornes, tombèrent aux mains de l'ennemi, bien que déjà son avance fût gênée par notre artillerie de la rive gauche qui le prenait en flanc.

Mais nos renforts arrivaient.

C'étaient tout d'abord la 37e division d'infanterie (zouaves et tirailleurs) qui venait relever la 72e; puis les 308e et 31e brigades d'infanterie, qui relevaient la 56e division.

Ces troupes, débarquées en hâte, étaient aussitôt jetées dans la fournaise, sans attendre leur artillerie.

« Sous le déluge d'acier que nous déversaient les batteries boches, nous disait plus tard le commandant  d'un bataillon de chasseurs engagé dans ces conditions, nous avions l'impression d'être une armée du XVIIIe siècle en face d'une armée ultra-moderne. »

 

Au 2e tirailleurs de marche, on ne prenait pas le temps de renvoyer dans leurs compagnies les élèves-caporaux; et le lendemain 25, le «peloton », chargé de la défense de Louvemont, s'y faisait héroïquement massacrer. Sur cinquante-quatre hommes, il en rentrait neuf.

 

Le vendredi 25, en effet, débouchant de Samogneux et du bois des Fosses, les Boches assaillent la côte du Talou et Louvemont. Arrêtés devant le Talou, grâce à nos feux de la rive gauche, ils réussissent à Louvemont, et pénètrent dans le village dès 15 heures.

Cependant, trompant la vigilance du 3e bataillon du 95e régiment d'infanterie qui occupait le village de Douaumont, un groupe du 24e régiment d'infanterie prussienne s'emparait du fort de Douaumont .

Sans doute, nous résistions (95e régiment d'infanterie) dans le village à tous les assauts ; mais la prise par l'ennemi de Douaumont était pour nous une perte sensible.

C'était le meilleur observatoire de la rive droite (il culmine à 388 mètres) qui tombait aux mains de l'adversaire.

D'autre part, la 37e division d'infanterie ne pouvait se maintenir sur la côte du Talou. Elle devait se replier sur Vacherauville et la côte du Poivre. A l'est, enfin, nous abandonnions la Woëvre pour ramener nos lignes au pied des côtes de Meuse.

 

Le lendemain, 26, les Allemands lançaient de par le monde un radiogramme triomphant :

« A l'est de la Meuse, devant S. M. l'Empereur et Roi qui était sur le front, nous avons obtenu des succès importants. Nos vaillantes troupes ont enlevé les hauteurs au sud-ouest de Louvemont, le village de Louvemont et la position fortifiée qui est plus a l'est. Dans une vigoureuse poussée en avant, des régiments du Brandebourg sont arrivés jusqu'au village et au fort cuirassé de Douaumont qu'ils ont enlevé d'assaut. Dans la Woëvre, la résistance ennemie a cédé sur tout le front dans la région de Marchéville (au sud de la route nationale Paris-Metz). Nos troupes suivent de près l'ennemi en retraite. »

 

La ruée allemande était d'ores et déjà bloquée, et nul moins que le Commandement allemand ne pouvait s'y tromper.

 

 

Cependant, il allait s'obstiner pendant cinq mois dans une tentative sans issue et qui devait entasser sur ce coin de terre un demi-million de cadavres.

 

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