1915

BOIS DE LA GRUERIE

Secteur de  BAGATELLE (Argonne)

 

Cet extrait est tiré de l’historique du 150e régiment d’infanterie. Suite à ces combats, ce régiment fût appelé «  Régiment Bagatelle Argonne »

Le 161e régiment d’infanterie combattit à ses côtés.

 

 

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

 

Court répit que ces trois semaines d'hiver passées dans de tristes cantonnements pour reformer les unités disloquées et amalgamer des renforts. La bataille reprend très proche dans la forêt d’Argonne en 1915.

Les troupes d'élite du 16e corps allemand tentent un nouvel effort en se glissant sous le couvert des bois.

Le 14 janvier, le 150e est en ligne dans les bois de La Gruerie et tient le secteur de Bagatelle.

 

 

Période à jamais mémorable dans l'histoire du régiment.

Pendant sept mois, sous les pluies et dans les boues d'Argonne, sur un terrain que la poussée de l'ennemi empêche d'orga­niser convenablement, le 150e soutient victorieusement une lutte incessante contre des troupes puissamment outillées et entraînées à la guerre de siège.

 

A ses nombreuses mitrailleuses et à ses obusiers du début de la campagne, l'ennemi ajoute des engins nouveaux : lance-bombes, lance-mines, pétards, grenades à fusil.

Les Français n'ont ni matériel, ni canons de tranchées ; pour tenir tête à l'ennemi, le régiment ne doit compter que sur la bravoure de ses soldats, la valeur et l'abnégation de ses cadres.

 

Une lutte effroyable se poursuit, chaque jour renaissante assauts impétueux, corps à corps furieux, progression pied à pied, mètre par mètre, défense obstinée d'infimes lambeaux du sol de la Patrie.

Attaques et contre-attaques se succèdent sans trêve ni repos et le régiment dispute avec acharnement, à l'envahisseur, un sol bouleversé que les sacrifices de chaque jour rendent chaque jour plus cher. Dans les combats de Bagatelle, nos braves, nos simples soldats de France, sans forfanterie et sans gloire apparente supportent les pire, épreuves et réalisent les plus merveilleux faits d'armes.

 

Les attaques se renouvellent constamment, toujours de la même manière : c'est chaque fois le même tableau sanglant, la même lutte affreuse et sournoise ; une préparation puis­sante d'obus de gros calibres et de mines anéantit nos tran­chées, les boyaux sont vite obstrués, tout renforcement est vain, les fourneaux de mine savamment préparés anéantissent nos frêles barrages et les Allemands s'avancent vigoureuse­ment avec l'appui de leur artillerie de tranchée.

 

Et il se trouva toujours quelques hommes échappés à la mort pour arrêter la marche de l'ennemi, pour contre-attaquer et reprendre en entier ou en partie le terrain perdu.

 

 

 

1915

 

Le 29 janvier, pendant une relève, l'ennemi force la tranchée du Bec de Poule que le 3e bataillon devait occuper.

Le chef de bataillon VIDAL DE LA BLACHE donne rapidement ses ordres et dirige la contre-attaque en tête de la 9e compagnie.

La presque totalité de la position est reprise dans un furieux corps à corps, mais les pertes sont cruelles : le commandant DE LA BLACHE est tué glorieusement en avant de nos tirailleurs les plus avancés ; tués aussi le sous-lieutenant MAGISSORN, commandant la 9° compagnie ; le sous-lieutenant COPINE ; le capitaine SIMONNET, commandant la 11° compagnie ; le sous-­lieutenant BERNARD, de la 10° compagnie et la majeure partie des gradés.

A la nuit, les unités luttent encore pour récupérer la totalité du terrain perdu.

 

Les 5 et 6 mars, le 2° et le 3° bataillons font neuf contre-attaques afin de reprendre le boyau Sarrola enlevé par l'ennemi.

 

Le 19 mars, l'ouvrage de Bagatelle est perdu deux fois, repris deux fois et enfin conquis par l'adversaire. Le sergent DARSON, de la 12°compagnie, qui a sauté le premier dans une tranchée allemande, reçoit la Médaille militaire.

 

Le 24 mars, les 8° et 10° compagnies exécutent trois contre­ attaques en deux heures et gagnent trente mètres.

 

Le 25, les 9° et 12° compagnies se battent furieusement pour avancer des barrages de douze mètres.

 

Le 3 avril, nous enlevons en entier le boyau Sarrola que nous reperdons le soir.

 

Le 9, le 2e bataillon reprend la tranchée de Bagatelle, la reperd, la reprend, puis la reperd encore. Le commandant GROSSET est tué. Nous avons avancé un barrage de un mètre cinquante !

 

Le 25 et le 27, les Allemands attaquent mais échouent.

 

Le 1e mai, l'ennemi fait exploser une mine et attaque avec des lance-flammes pendant une relève. Malgré la résistance héroïque de la 9e compagnie, il atteint notre deuxième ligne et la situation est grave. Debout sur le parapet, le capitaine JUGE, revolver au poing, encourage sa troupe et dirige le combat ; blessé, il tombe, se redresse et s'écrie : « Tenez ! Tenez toujours, mes enfants ! Courage ! ».

Il est blessé à nouveau et ne veut pas qu'on l'emporte, il continue à exalter l'ardeur de ses hommes et reçoit une troisième blessure.

La 10° et la 11° compagnies contre-attaquent et ralentissent l'avance de l'ennemi. La lutte se poursuit jusqu'à 21 heures. Notre deuxième ligne, perdue et reprise plusieurs fois, reste finalement en notre possession.

 

Du 3 au 5 mai, le 1°' bataillon réussit à reprendre, morceau par morceau, quelques éléments de la ligne perdue le 1°' mai.

Mais le régiment est épuisé et ne peut plus fournir un nouvel effort. Il est relevé le 6 mai, non sans perdre son Chef de Corps, le colonel DE CHERON, tué par un éclat d'obus, à 19 heures, près de La Fontaine-aux-Charmes, au moment où, ce dernier, il allait quitter le secteur.

Le chef de bataillon FAURE-BEAULIEU, du 166° d'infanterie, nommé lieutenant-colonel, prend le commandement du régiment le 10 mai.

 

 

 

Du 10 mai au 10 août, le 150e tient les secteurs du Four de Paris et de St-Thomas, où la lutte est moins âpre qu'à Bagatelle et les unités peuvent réparer un peu leurs fatigues.

Cependant les Allemands s'acharnent sur Bagatelle et le 150e y revient à plusieurs reprises comme troupe de renfort et de contre-attaque.

 

Le 30 juin, une attaque violente enfonce les lignes de ce secteur infernal et menace la vallée de Biesme. Le régiment est alerté, les 1e et 3e bataillons sont répartis sur les positions de soutien

Le 2e est dirigé sur Beaumanoir et prend immédiatement une part très vive  à l'action. Soumis à des tirs précis d'artillerie et de mitrailleuses dès son arrivée, il subit des pertes sévères et flotte un peu, mais le commandant Maignan rallie sa troupe surprise et l'entraîne à la baïonnette ; il échoue ; l'effort est renouvela sans plus de succès ; les pertes augmentent. Reprise une troisième fois avec une force irrésistible, la contre-attaque réussit enfin : l'ennemi, bousculé, se replie en désordre, aban­donnant le terrain qu'il avait conquis.

 

Le 13 juillet, le 3° bataillon accourt, une fois encore, au secours des troupes de Bagatelle qui ont perdu leur première ligne.

La 10° compagnie (capitaine FARRET) contre-attaque à la baïonnette, à la grenade, avec l'aide de fractions d'autres unités et rejette l'assaillant, réoccupant toute la position perdue. Une fois de plus, grâce à l'impétuosité des fantassins du 150e, l'ennemi restait sur un échec et nous conservions Bagatelle.

 

 

Pour les survivants de la Grande Guerre, les combats du bois de la Gruerie restent le symbole de l'effort surhumain, par sa durée et sa ténacité de la souffrance et du sacrifice noblement consentis, de la pire misère, mais aussi de l'espérance qui, toujours, anima les cœurs.

 

 

Aussi, c'est avec fierté que le 150e a porté, pendant le reste de la campagne, brodé au fanion de ses compagnies, le nom de « Régiment de Bagatelle », soit plus beau titre de gloire.

Et le 150e qui, avec le 161e, défendit « le secteur le plus dur de la mer du Nord à Belfort », petit fièrement revendiquer une très large part dans la citation suivante du 32e corps d'armée à l'Ordre de la 3e armée :

« Depuis sept mois, le 32e corps d'armée défend ses positions contre les attaques incessantes de l'ennemi ; dans cette lutte  sans trêve ni repos, il a fait preuve des plus belles qualités  discipline, endurance, courage. Chefs et soldats sont animés  du plus haut sentiment du devoir. Ils honorent l'Armée. »

Signé : SARRAIL.

 

Le 10 août, le 32e corps d’armée quitte définitivement l'Argonne.

 

 

Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : image004

 

Extrait du carnet de guerre d’Auguste ROBIQUET, soldat au 150e RI

 

27 février 1915, bois de la Gruerie, Meuse :

 

« Enfin 3 jours c’est assez, et là sans dormir, car il faut prendre la garde tous les 4 h et il fait fort froid, il gèle fort.

J’espère que demain nous allons être relevés car c’est assez comme ça.

Nous sommes en ce moment à 8 mètres des boches, ça fait qui faut faire attention à lui pour ne pas recevoir des boîtes de singe sur sa gueule.

En ce moment nous touchons la soupe pour la journée. Je viens de boire ma goutte, elle est très bonne et elle nous fait du bien, car depuis hier soir nous n’avons pas encore eu rien du tout dans le coco. »

 

Lire le carnet de guerre d’Auguste ROBIQUET

 

Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : image004

 

Extrait du journal de marche de René LEHMANY, sergent au 161e RI

 

« Le but de la patrouille est de reconnaître, à mi-hauteur, le terrain du secteur. Sortis de l'extrémité est, nous reviendrons à la tranchée par l'extrémité ouest. J'attends quelques minutes, immobile, sur l'herbe humide. Le beau silence. Les deux tranchées, invisibles, malgré la nuit assez claire, renferment le néant, semble-t-il. Je remarque, en rampant doucement, la tache de nos uniformes bleus qui paraissent blancs, dans la nuit. J'avance toujours, je croise nos deux sentinelles, emmitouflées et pas trop rassurées. Je leur donne le mot d'ordre qu'elles réclament d'une voix point belliqueuse. »

 

« J'évite le ruisseau, mais près d'un bosquet une odeur de cadavre m'étreint à la gorge. Une forme étendue sur les feuilles se précise peu à peu. Un squelette de cheval recouvert encore d'un peu de chair si mince qu'on dirait une cendre prête à s'envoler. Et sur ta croupe du cheval une jambe de cavalier, aussi squelettique, sortant d'une botte à moitié enfoncée dans le sol. On ne voit rien d'autre. Sans doute le corps de l'homme s'est-il décomposé parmi les feuilles du bosquet. Machinalement, je touche la jambe; la chair plie, se creuse, flasque, molle comme un caoutchouc gluant; un frisson me court à fleur de peau.

Je poursuis ma patrouille. Notre marche rampante est bonne. Nous glissons insensiblement, la main gauche retenant le fourreau de la baïonnette, des coudes et des genoux. Je fouille l'emplacement des tranchées boches, d'un regard obstiné mais point continu, car, à regarder fixement en pleine obscurité, des ombres incertaines semblent naître, les choses immobiles se meuvent vaguement et l'illusion s'oppose à la perception exacte. Je rentre sans encombre après une heure et demie de traversée »

 

Lire le journal de marche de René LEHMANY, sergent au 161e RI

 

 

Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : image004

 

Les combats en Argonne, 1915

 

Retour accueil général du site