Tirée de « Les Gars du 26e »
Souvenir du commandant du 26e
RI, de la division de fer
Général H. COLIN, 1932
Merci à
Marie France, pour son envoi...
Ce
combat localisé fait parti de la bataille d’Artois de mai 1915
Préparation de
l’artillerie pendant 6 jours.
Le haut commandement compte
beaucoup, pour aider le 26ème, sur l’effet de surprise que causera à
l’heure H l’éclatement d’une mine poussée jusque dans l’intérieur de la
position ennemie.
Mon P.C est dans une
sape creusée sous la tranchée de première ligne, à côté de mon observatoire.
Pour me reposer, en attendant l’heure H, j’ai une sorte de niche garnie de
paille, qui ressemble à un caveau mortuaire. Je tâche de dormir un peu. Tous
les mouvements préparatoires étant prévus dans les plus petits détails, je n’ai
plus en effet aucun ordre à donner.
Les troupes d’attaque
sont en place pour 3h30.
De 6 heures à 10
heures, la préparation d’artillerie s’intensifie de plus en plus et je monte à
mon observatoire pour en voir les effets.
A 9h35,
les deux mines sautent. Malheureusement, elles n’ont pas été poussées assez
loin et au lieu d’éclater à l’intérieur de la position ennemie, elles creusent
devant les tranchées allemandes un grand entonnoir que l’ennemi occupe aussitôt.
Mauvais signe !!!
Je constate d’autre
part que si le bombardement est intense, il ne tape pas assez sur les premières
lignes. La meilleure preuve, c’est que n’ayant que ma tête nue qui dépasse
au-dessus du sol, je suis cependant repéré par des guetteurs et des balles me
sifflent aux oreilles une demi-heure avant le déclenchement de l’attaque. Je
dois rentrer ma tête et observer au périscope.
Le capitaine Vannier
vient pendant quelques instants prendre ma place sur l’échelle et observer au
périscope. J’étais en bas de l’échelle en train de consulter ma carte, quand
j’entends un claquement caractéristique, suivi d’un bruit de verre brisé, dont
je reçois les éclats sur la tête, et Vannier dégringole rapidement les
échelons. C’est une balle ennemie qui vient de briser le périscope à quelques
centimètres au-dessus de yeux de mon capitaine-adjoint !!! Et nous sommes à dix minutes du déclenchement de
l’attaque d’infanterie !! Je songe à mes pauvres
poilus qui vont déboucher sur un ennemi aussi vigilant. Que faire ?
Rien ! Je n’en ai plus le temps.
A 10 heures
–l’heure H. pour l’infanterie
Je fais signe au
capitaine Vanier, qui a rassemblé la clique dans la
tranchée de 1ère ligne.
La sonnerie de la
charge, ardente, entraînante, éclate aussitôt du refrain des Gars du 26ème.
C’est un spectacle
inoubliable.
Le temps est superbe et
clair, le soleil luit, déjà chaud.
La première vague
formée de la gauche à la droite des 2ème compagnie (lieutenant Tuaillon) 1ère compagnie (lieutenant Parenteau), 7ème compagnie (lieutenant Desplats), 5ème compagnie (capitaine Brunel),
s’élance hors des tranchées dans un élan magnifique.
Mais aussitôt,
crépitent une quantité de mitrailleuses ennemies, restées intactes malgré le
bombardement.
La 2ème
compagnie est entièrement fauchée dans les fils de fer qui ne sont pas
détruits. Le lieutenant Tuaillon, le brave des
braves, qui est parti en tête de sa compagnie suivi de sa « liaison »
reste dans les fils de fer, sans même pouvoir atteindre la première ligne
ennemie.
La 1ère
compagnie, plus heureuse, a pu franchir ces maudits fils de fer, en partie
détruits devant elle, mais au prix de pertes sévères, et c’est sur les
tranchées de 2ème ligne que le lieutenant Parenteau,
qui entraîne ses hommes au cri de « Vive la France », « Vive la
République » est frappé à son tour.
La 7ème
compagnie, prise, dès son débouché, sous un feu intense est fauchée sans
pouvoir traverser les fils de fer intacts. Le lieutenant Desplats,
un des rares survivants, reste plaqué dans un trou d’obus, où les mitrailleuses
ennemies le harcèlent toute la journée. Il parviendra, après mille péripéties à
regagner les lignes françaises à la nuit.
La 5ème
compagnie, enlevée par un chef magnifique, le capitaine Brunel, qui brandit à
la main son fanion, franchit tous les obstacles, mais tombe sous le feu des
mitrailleuses de 2ème ligne et disparaît presque en entier. Je vois
encore une section de cette compagnie courir le long des tranchées ennemies et
tirer à bout portant sur les défenseurs, puis disparaître à son tour, décimée
par le feu des mitrailleuses.
La 2ème
vague n’a pu déboucher qu’en partie. Elle était composée des 3ème
compagnie (lieutenant Balicour), 4ème
compagnie (capitaine Desboves), 8ème
compagnie (capitaine Gouraud). Ces compagnies dès le débouché des compagnies de
1ère vague, les avaient remplacées automatiquement dans les sapes de
départ prêtes à les suivre dès qu’elles auraient atteint les premières lignes
ennemies.
Or, les unités qui sont
restées dans les fils de fer empêchent par cela même le débouché de celles qui
devaient suivre. Seules, peuvent s’élancer les unités de la 2ème
vague, qui trouvent un passage libre devant elles. Ce sont une section de la 3ème
compagnie et 3 sections de la 4ème compagnie. Puis les sapes de
départ étant enfilées par les mitrailleuses ennemies, tout mouvement en avant devient bientôt impossible.
Le jeune
sous-lieutenant de Pouydraguin, qui s’était élancé en
tête de sa section, est fauché à quelques mètres seulement de la ligne de
départ par un tir si précis de mitrailleuses qu’il a le ventre ouvert et
labouré de balles. (Son frère sous-lieutenant au 37ème est tué le
11 mai à l’attaque du Cimetière de Neuville-Saint-Vaast.
En résumé, en dix
minutes, le 26ème a plus de 700 hommes tués (ceux qui tombèrent
blessés au moment de l’attaque furent achevés systématiquement par les
mitrailleuses ennemies, au cours de la journée. Tout blessé qui remuait était
un homme mort.) et je constate de mes yeux que tout
débouché est impossible de front, devant tant de mitrailleuses
intactes et de fils de fer non détruits.
Je décide de faire
stopper mon régiment. Je le ferais massacrer tout entier sans résultat en
continuant l’attaque de front.
A ce moment, j’apprends
qu’à notre gauche, le 79ème R.I. a
trouvé tout détruit devant lui et progresse sans difficulté au-delà de la route
de Béthune, en direction du cimetière de Neuville-Saint-Vaast.
Ma décision est
aussitôt prise : arrêté de front, je vais manœuvrer par ma gauche, en
profitant de l’avance du 79ème R.I.
Je donne l’ordre à mon
3ème échelon, composé du 3ème bataillon (commandant Lepage) de se porter d’abord sur la « Maison
Blanche » conquise par le 79ème,
de marcher dans les traces de ce régiment, puis de se rabattre à droite pour
prendre les défenseurs du Labyrinthe de flanc et à revers.
Le 2ème
bataillon du 69ème R.I. (commandant Azan) étant placé sous mes ordres, je lui donne la même
mission, de sorte qu’à partir de 13 heures, c’est avec deux bataillons que je
prononce cette attaque de flanc.
Je me suis porté vers
midi à la gauche de ma ligne, près du commandant Beaujean,
que je trouve dans la sape de départ où il a été bloqué. Puis je me place en A.
4, d’où j’ai un bon champ d’observation pour suivre à la vue le mouvement de
flanc que j’ai déclenché.
Les unités du 3ème
bataillon sont parties pleines d’entrain.
Je verrai toujours la
figure rose et imberbe du jeune sous-lieutenant Lhote, adoré de ses poilus,
partir en tête de la 11ème compagnie, dont il a pris le commandement
(le lieutenant Henry vient d’être blessé) et s’en aller tout joyeux au combat
avec la belle confiance de la jeunesse. Hélas ! il
tombait à son tour à la fin de la journée, en entraînant brillamment ses hommes
à l’attaque.
En observation, appuyé
au parapet de la tranchée, je suis d’abord salué par une salve de 77, puis plus
rien de la journée.
L’artillerie allemande,
menacée par notre avance sur Neuville-Saint-Vaast, a en effet amené les
avant-trains, et n’a eu que le temps de filer en vitesse. La progression se
fait bien, et pendant que j’observe à la jumelle l’avance des unités, dans le
mouvement de flanc, le capitaine Vannier a pris un fusil et tire comme un
enragé sur les tranchées ennemies en face de nous.
On voit, en effet nos
malheureux poilus couchés entre les deux lignes, dans les fils de fer, et quand
un blessé remue tant soit peu, aussitôt il est pris comme cible par
l’ennemi ; Vannier qui est bon tireur, ajuste alors ses coups surs les
tireurs ennemis, pour les faire taire.
A la nuit, notre
mouvement de flanc arrive à hauteur des 2ème et 3ème
lignes ennemies, qui sont prises à revers, à hauteur de ce que nous appelons
« les tas blancs » et le boyau « Von Kluck ».
Le 79ème, en liaison avec la gauche du 26ème, est arrêté entre le cimetière de
Neuville-Saint-Vaast et le Labyrinthe.
Ce dernier est donc
complètement pris à revers, mais les Allemands tiennent toujours, bien que
menacés sur leurs arrières.
A la nuit, vers 21
heures, je vais visiter les compagnies de droite du 26ème et je
peux alors me rendre compte de ce qui reste de mes deux malheureux premiers
bataillons.
Au
1er bataillon, les 1ère et 2ème compagnies
sont anéanties, ainsi que les trois quarts de la 4ème compagnie. La
3ème compagnie a été retenue dans les tranchées de départ par le
commandant Beaujean, au moment où elle allait
déboucher et se faire hacher comme la 1ère vague. C’est avec cette
compagnie qu’il assure la garde des tranchées de départ de son bataillon, et
maintient l’ennemi sous la menace de l’attaque de front.
Au 2ème
bataillon, les 5ème et 7ème compagnies sont anéanties. La
6ème compagnie (lieutenant Gauthiot) est
intacte, car dans l’ordre d’attaque, elle devait rester comme garnison des
tranchées de départ.
Elle joue maintenant,
au 2ème bataillon, le même rôle que la 3ème compagnie au
1er bataillon. Quant à la 8ème compagnie (capitaine
Gouraud) je l’ai engagée dans le mouvement de flanc avec le 3ème
bataillon.
En résumé, j’ai
maintenant 2 compagnies tenant l’ennemi sous le coup d’une menace d’attaque de
front, pendant que 5 compagnies et 4 compagnies du 69ème
agissent sur son flanc et cherchent à le prendre à revers.
J’ai l’espoir que les
Allemands devant cette menace vont évacuer le Labyrinthe pendant la nuit, et je
prescris aux deux compagnies de front d’être vigilantes, pour signaler tout
mouvement de repli et en profiter.
Pendant la nuit, on me
téléphone que toute la gauche de notre attaque a obtenu de brillants résultats,
faisant plus de 3 000 prisonniers et s’emparant de 10 canons.
Je me fais alors la
réflexion que le haut commandement, voulant prononcer un effort puissant à
gauche, a dû y mettre le maximum d’artillerie, ce qui m’explique la maigre
dotation affectée au 26ème qui était à l’extrême droite. Mon pauvre
régiment a fait ce qu’il la pu, avec les moyens mis à sa disposition. Il aura
du moins contribué au succès de l’ensemble par son sacrifice.
Les nouveaux ordres
d’attaque m’arrivent à 3 heures du matin.
Je m’installe
définitivement en A. 4, où je serai mieux en liaison avec les unités qui continuent
l’attaque de flanc. Le commandant Beaujean est auprès
de moi.
Il fait un temps
superbe, et je passe ma matinée dans la même tranchée qu’hier, d’où je découvre
bien le terrain d’attaque. Accoudé au parapet, la jumelle aux yeux, la moitié
du corps à découvert, je ne reçois ni une balle, ni un obus, c’est à croire que
l’ennemi est parti.
On m’amène une dizaine
de prisonniers du 16ème bavarois.
A
midi, le général Aimé met à ma disposition pour
renforcer l’attaque de flanc, en plus du bataillon Lepage
du 26ème R.I. et le groupe Gouvy, du 8ème R.A.C.
Je monte une nouvelle attaque sur le boyau Von Kluck et, pour bien accorder
l’action de l’infanterie et de l’artillerie, je fixe à 17h30 l’heure de cette
attaque. Elle a lieu en coïncidence avec une très violente canonnade à notre
droite, du côté des 17ème C.A. et 10ème C.A.
A la nuit,
les bataillons Lepage et Azan
ont réussi à progresser par leur gauche, prenant à revers le boyau Von Kluck.
Le 26ème
s’est emparé d’une mitrailleuse. Malheureusement, le commandant Azan, le principal animateur de cette attaque, en liaison
avec le 79ème R.I., est grièvement blessé.
Pendant ce temps,
l’ancien front ne reste pas inactif et le lieutenant Thiriet
du Génie exécute des travaux de sape pour s’approcher le plus possible des
tranchées ennemies.
La position des
Allemands dans le Labyrinthe devient de plus en plus paradoxale.
Ils sont menacés de
front par deux compagnies seulement, c’est vrai : mais mon attaque de
flanc fait à peu près un angle droit avec l’ancien front et continue à
progresser, menaçant les arrières de la position.
J’ai l’impression que
si, aujourd’hui, on avait pu engager dès le matin des troupes fraîches, une
brigade par exemple, bien appuyée par une puissante artillerie, pour exploiter
notre succès entre Neuville-Saint-Vaast et le Labyrinthe il est probable que
toute la position serait tombée, et qu’à la fin de la journée, nous aurions été
à la crête de Vimy.
Le silence, toute la
journée, de l’artillerie allemande montre devant nous le désarroi de l’ennemi,
mais son infanterie continue à se cramponner dans ce dédale inextricable de
tranchées qu’est le Labyrinthe, où on ne peut progresser que pas à pas à la
grenade. Et quelles grenades ! Nous n’avons encore que les vieilles
grenades d’autrefois, qu’on arme en tirant une ficelle.
Je tombe de sommeil. Il
y a deux jours que je n’ai pas dormi. Je m’endors comme une brute et le téléphone a le bon
esprit de ne pas me déranger avant 3h 45 du matin.
Le temps est toujours
magnifique.
D’après les ordres, le 26ème R.I. et une compagnie du 69ème R.I. du bataillon Azan doivent s’établir en avant-postes de combat et ont
pour mission de maintenir l’inviolabilité du nouveau front.
Le
général Aimé me donne le commandement des avant-postes de la 21ème
brigade étalés sur les positions conquises et se raccordant à l’ancien front du
26ème R.I. Mes braves poilus sont
arrivés au bout de leur effort.
Une attaque est montée
à notre gauche avec une brigade fraîche.
Ce renfort arrive
malheureusement un peu tard, car l’ennemi a eu le temps de se renforcer et
l’effet de surprise est passé. Quel dommage que cette brigade ne soit pas
intervenue le 9 au soir ou le 10 mai au matin.
A 13 heures,
déclenchement de la préparation d’artillerie. Elle dure deux heures.
L’artillerie allemande riposte avec des fusants de 105 sur nos tranchées.
A 14 heures,
l’attaque de l’infanterie débouche à gauche du bataillon Lepage.
Le coup d’œil est
magnifique. On voit les lignes de tirailleurs du 224ème
R.I. s’avancer avec des compagnies du 69ème
R.I. par vagues successives, malgré un violent barrage de 105 fusants et
percutants. Les baïonnettes luisent au soleil. Les hommes bondissent au-dessus
des tranchées. C’est un spectacle inoubliable.
Je fais appuyer
l’attaque par les compagnies de gauche du 26ème
R.I. (bataillon Lepage) et à 14h 30,
j’interviens personnellement pour accentuer l’action énergique de trois
compagnies (9ème et 10ème compagnies du 26ème
et ne compagnie du 69ème) sur la partie nord-ouest du Labyrinthe,
avec mission de se rabattre sur la tranchée de Hambourg, pour prendre à revers
et par derrière les « Tas Blancs », nid de mitrailleuses ennemies qui
résistent toujours.
La progression se fait
bien, et je vois mes poilus prendre à revers les boyaux ennemis. Le bruit est
infernal. La grosse artillerie, les mitrailleuses, les canons de 37, les 58 et
jusqu’au 80 de montagne donnent en même temps.
C’est un fameux concert
au milieu duquel on perçoit à peine les éclatements des grenades.
La nuit arrive et nous
pouvons encore enregistrer une nouvelle progression.
L’ennemi continue
cependant à se cramponner dans le Labyrinthe.
Temps superbe
A 14h30, l’attaque
reprend à notre gauche, comme hier.
Cette fois c’est le 37ème R.I. qui attaque. Cela nous vaut
d’être sérieusement bombardés.
Je passe une grande
partie de la nuit au téléphone.
La ligne ne semble pas
avoir beaucoup progressé.
Il pleut, le temps et
gris. La bataille ralentit.
Je suis convoqué par le
général Aimé à son P.C. qui est dans une sape près de la cote 107.
Il me met au courant
des succès généraux remportés pendant ces journées de bataille : prise de
Carency et d’Ablain Saint-Nazaire, de 2 canons de 220, 1 de 105, 2 de 77 et 2
de 88.
Il parait que le début
a été superbe. La rapidité des premiers succès –en particulier à la Division
Marocaine- a dépassé toute attente, mais ils n’ont pu être exploités, en
bénéficiant de l’effet de surprise.
Maintenant les
Allemands se sont ressaisis et ils se renforcent chaque jour davantage. Nous
pensons, le général et moi, que le nouveau front va se stabiliser. La percée
est manquée.
De retour dans mon
gourbi en A. 4, j’y suis bombardé d’une façon intense, et c’est au milieu de
ces secousses, dans des conditions les plus inconfortables, dérangé par des
coups de téléphone incessants, que je fais mes états de propositions de
récompenses…
Il y a un court répit
vers 18 heures, puis le bombardement reprend de plus belle. Le souffle des
explosions fait voltiger les papiers et les éclats d’obus crépitent sur la tôle
ondulée qui est au-dessus de nos têtes.
Cela dure jusqu’à 23
heures. Depuis le début de la bataille, nous n’avons pas encore eu de réaction
aussi violente de l’artillerie ennemie. Les Allemands nous prouvent qu’ils se
sont considérablement renforcés.
Le temps est gris et
pluvieux.
Le matin, une note
officielle annonce les succès remportés : « Sur tout le front
d’attaque, de la droite à la gauche, on a pris la Targette,
Neuville-Saint-Vaast, Carency, Ablain Saint-Nazaire, Notre-Dame-de-Lorette, la
ferme Berthonval. La progression en avant a été de 3 kilomètres. 5000
prisonniers, 18 canons, nombre considérable de mitrailleuses et un nombreux
matériel ».
Ce bilan indique bien
que l’offensive est arrivée au point mort.
Le temps est redevenu
beau.
Je pars à 8 heures,
avec le général Aimé.
Nous sommes convoqués à
la cote 94 (est de Maroeuil) au P.C. du général de
division, où nous retrouvons le général Balfourier,
accompagné de son chef d’état-major, le lieutenant-colonel Mollandin ;
Je le mets au courant des pertes sévères du 26ème et des
dispositions que j’ai prises pour recompléter mes
unités et remplacer les cadres décimés par l’attaque.
Il faut maintenant que
je reconstitue mon régiment en amalgamant les renforts qu’on m’enverra dans les
tranchées. Toutes mes propositions sont approuvées.
Nous sommes mis au
courant de l’attaque qui est montée pour cet après-midi à la gauche du 26ème R.I. sur la cote 105 et le Moulin
Brûlé.
La préparation
d’artillerie commence à 15 heures et l’attaque d’infanterie a lieu à 17h 15.
Le 69ème
R.I. et la 10ème compagnie du 26ème R.I. réussissent à
progresser vers le chemin creux et le boyau Von Kluck.
A 19h 15, je reçois 400
hommes de renfort, sous les ordres du sous-lieutenant Burger, pour reconstituer
les 1ère, 2ème, 4ème, 5ème et 7ème
compagnies.
Temps magnifique.
Accalmie relative sur tout le front.
Nous allons maintenant
nous efforcer de réduire la résistance du Labyrinthe, par la conquête pied à
pied des boyaux, en renonçant aux grandes attaques trop coûteuses en hommes et
en munitions.
L’artillerie a consommé
beaucoup d’obus pendant les journées de combat, et la préparation ;
d’autre part beaucoup de canons de 75 ont éclaté par suite de la mauvaise
confection des obus et cela commence à devenir inquiétant.
Ayant reçu l’ordre de
préparer des attaques partielles pour faire tomber le Labyrinthe, morceau par
morceau, je passe mon temps dans les observatoires à étudier le terrain et à
faire des plans d’attaque que je soumets au général Aimé.
J’ai quatre chefs
d’attaque : les commandants Beaujean, Penancier, Lepage et le capitaine
Jacquesson. Ils étudient chacun sur place les
attaques locales à exécuter. C’est le capitaine Jacquesson
qui obtient les meilleurs résultats, réussissant à gagner du terrain, en
progressant à la grenade par les boyaux.
Ces attaques sont
appuyées presque uniquement par les mitrailleuses, le 37 et le 58 ; car
nous sommes au contact, parfois à quelques mètres seulement de l’ennemi.
On m’envoie un officier
de pompiers qui vient faire une reconnaissance en vue de nous appuyer par des
jets de liquides enflammés, comme les Allemands en emploient déjà.
Il va avec le capitaine
du Génie Thiriet étudier la mise place de son
matériel, mais celui-ci me paraît bien encombrant et peu facile à manier.
En même temps que les
attaques à revers sur le Labyrinthe, je fais exécuter des attaques de front, en
particulier pour occuper les entonnoirs en face de A5 et de A6. Je vais avec Beaujean et Balicourt, dans les
sapes que nous avons creusées sous les réseaux, et qui nous amènent à quelques
mètres des entonnoirs ; de là nous pouvons, sans attirer l’attention de l’ennemi,
préparer notre affaire.
Le 21 mai,
je reçois la visite du général Balfourier et du
lieutenant-colonel d’artillerie Maurin, du G.Q.G. qui
viennent me parler de mes attaques locales.
Le jour même le
capitaine Jacquesson exécute une attaque heureuse
avec la 12ème compagnie et un peloton de la 10ème
compagnie, qui nous permet de gagner encore du terrain.
Le soir, la 3ème
compagnie exécute un coup de main sur le petit entonnoir, en face de A6, et
s’en empare.
Le 22 mai,
de 18 heures à 23 heures, la fusillade et la canonnade font rage. A notre
gauche, le 69ème R.I. est très
visiblement attaqué avec jets de liquides enflammés. Il recule de
100 mètres et perd le boyau Von Kluck.
Par
suite de ce recul, la gauche de la 10ème compagnie du 26ème R.I. est d’abord refoulée, mais,
entraînée par le capitaine Jacquesson, elle
contre-attaque, et toute la position occupée par le 3ème bataillon
du 26ème est maintenue intégralement.
Le 69ème,
de son côté, reprend le terrain qu’il avait perdu, de sorte que la situation se
trouve rétablie en fin de journée.
La 10ème
compagnie a été magnifique à ce moment critique et je la propose pour une
citation à l’ordre de l’armée.
Le lieutenant Adrien de
la 12ème compagnie est tué.
Le colonel Chapard, commandant de la 22ème brigade est
blessé mortellement à son P.C.
Le 24 mai,
je reçois la visite de mon ami le lieutenant-colonel Dufieux,
du G.Q.G., qui a tenu à venir me voir à mon P.C. et à se rendre compte de la
situation.
C’est une grande joie
pour moi et je le mets au courant de nos attaques, qui prouvent l’excellent
moral du 26ème malgré ses pertes.
Mais mes hommes sont bien fatigués.
Voilà vingt-six jours
que nous sommes dans les tranchées sans trêve ni repos.
Le soir, à 19 heures,
le général Aimé me convoque à son P.C. où je trouve le commandant Oherne, de ma promotion, actuellement chef d’état-major
d’une Division qui va nous relever.
Il m’apprend une chose
surprenante : le 26ème R.I. sera relevé cette nuit dans son
secteur actuel, et dans la nuit suivante, il relèvera le 79ème
R.I. !!!
Cette combinaison est
stupéfiante, et il faut que je prenne connaissance des ordres de la Division
pour y croire.
La nuit est agitée par
cette relève précipitée, qui a cependant lieu sans incident.
C’est de la veine, car
à partir de 21 heures éclatent une canonnade et une fusillade intenses et nous
recevons des obus foireux suspects qui nous font prendre les précautions contre
les gaz.
Le 25 mai,
à 4 heures du matin, le lieutenant-colonel du 236ème R.I. vient me
relever à mon P.C.
A 6 heures, je me mets
en route pour aller au P.C. du lieutenant-colonel Pétin,
du 79ème R.I.
Pour m’entendre avec
lui, en vue de la relève de son régiment, cette nuit, par 9 compagnies du 26ème.
C’est mon brave agent de liaison Crozat qui me sert de guide. Dès le départ,
nous sommes copieusement arrosés par des obus de gros calibres et du 77, qui
tombent tout autour du boyau que nous suivons et nous couvrent de terre et
d’éclats.
Nous n’écopons pas,
mais le 224ème R.I., qui nous a
relevés cette nuit, a déjà des tués.
Puis, en suivant le
fossé de la route de Béthune, nous arrivons à la Maison Blanche, où je trouve
le commandant Beaujean.
Ensuite, par l’Ouvrage-en-Cœur, nous gagnons le boyau de l’Elbe, où est le
P.C. du lieutenant-colonel de la 2ème brigade, en attendant que le
colonel Chapard soit remplacé.
Pétin
me met au courant du secteur qu’il a organisé dans l’ancienne position allemande,
entre Neuville-Saint-Vaast et le Labyrinthe, et me fait un topo très clair. A
la bonne heure, me voilà bien orienté. Je règle avec lui tous les détails de la
relève et je le quitte à 11 heures.
En revenant par le même
itinéraire, je rencontre, sur la route de Béthune, le commandant Hue, de ma
promotion, dont le bataillon vient d’entrer en secteur. Nous ne nous étions pas
revus depuis Saint-Cyr !...
Il fait un très chaud
soleil et ma reconnaissance terminée j’arrive à midi en sueur et affamé au P.C.
du général Aimé pour apprendre qu’il y a contrordre !... Le 26ème
ne relève plus le 79ème !!
Je renonce à comprendre
ces ordres contradictoires.
En tout cas, je suppose
que ma protestation en faveur de mon régiment a fini par arriver aux oreilles
des grands chefs, car à 16 heures l’ordre nous arrive enfin d’aller cantonner
au repos à Aubigny (E.M. et 2 bataillons) et Savy (1
bataillon).
Je quitte la sape à 18
heures et à 19 heures je retrouve mes chevaux à Anzin-Saint-Aubin.
Nous arrivons à 21
heures à Aubigny, où nous logeons comme nous pouvons, car le pays est bondé de troupes.
Pour la période du 9 mai au 16 juin,
nos pertes pour l’ensemble de la bataille d’Artois atteignaient les chiffres de
2260 officiers, dont 609 tués, et de 100240 soldats, dont 16194 tués, 63619
blessés, le reste disparu...
RELEVE
DES PERTES DU 26ème R.I. les 9 et 10 MAI
1ère
compagnie
Officiers :
Lieutenant
Parenteau, tué
Sous-Lieutenant
Rauscher, tué
Sous-Lieutenant
Connétable, tué
Sous-Lieutenant
Marino, tué
Troupe
122
tués ou disparus, 30 blessés
2ème
compagnie
Officiers:
Lieutenant
Tuaillon, tué
Sous-Lieutenant
Messe, tué
Sous-Lieutenant
Czakowski, tué
Troupe
133
tués ou disparus, 23 blessés
3ème
compagnie
Troupe
27
tués, 3 blessés
4ème
compagnie
Officiers
Sous-Lieutenant
de Pouydraguin, tué
Troupe
43
tués, 42 blessés
5ème
compagnie
Officiers
Capitaine
Brunel, tué
Sous-Lieutenant
Wohlgemuth, tué
Sous-Lieutenant
Bohel de Courbières, tué
Troupe
116
tués ou disparus, 1 blessé
6ème
compagnie
Troupe
5
blessés
7ème
compagnie
Officiers
Sous-Lieutenant
Hantz, tué
Sous-Lieutenant
Perrin, tué
Troupe
114
tués, 36 blessés
8ème
compagnie
Officiers
Aspirant
Delphy, blessé
Troupe
4
tués, 10 blessés
9ème
compagnie
Troupe
4
tués, 4 blessés
10ème
compagnie
Officiers :
Sous-Lieutenant Rousselet, blessé
Troupe
1
tué, 8 blessés
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