L'Affaire de LAGARDE

et ses suites ignorées du grand public.

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Selon des témoignages d’habitants ayant vécu la bataille, de l’Eglise à la sortie ouest du village, et particulièrement autour de l’église et au carrefour des routes Xures-Ommeray, la rue était jonchée de cadavres de chevaux, de corps de soldats français et allemands. Les caniveaux ruisselaient de sang. L’imagerie populaire allemande, tout en exagérant certainement, nous donne une idée de la violence de l’assaut final

 

 

 

 

 

 

Par une coïncidence troublante, le monument au 11 août de Lagarde a été construit à la place du bouquet d'arbre que l'on distingue, sur ce dessin allemand, prés de l'église.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


L’épisode qui vient d’être évoqué est connu sous le nom de “l’affaire de Lagarde”.

Moins connus sont certaines de ses conséquences :

 

 

[ANNEXE N° 188]  Histoire de la guerre 14-18 (SHAT)

 

11 août

Compte-rendu au GQG. de l'engagement du 11 août à Parroy, Xures, (2ème Armée 59ème Brigade)

 

Les deux bataillons envoyés hier soir 10 août par le commandant de la 2ème D.C. à Lagarde ont été attaqués très violemment ce matin par une force évaluée à environ une brigade d'infanterie et trois groupes d'artillerie. Ces bataillons ont été soutenus par deux autres bataillons de la 59ème brigade et un groupe du 19ème d'artillerie. Les troupes d'infanterie ont du céder. Dans cette retraite deux batteries sont tombées aux mains de l'ennemi.

Le Général commandant le 15ème CA a pris d'après mes ordres le commandement des troupes du secteur, y compris la 2ème D.C. Il porte deux brigades et quatre groupes dans la région  Serres, Bauzemont  pour recueillir s'il y a lieu la 59ème brigade, qui ne paraît pressée.

 

 

Dès que les faits avaient été portés à la connaissance du GQG, on avait retiré, “pour de bon”, son commandement au Général Lescot[1] Le 13 août, avant l’offensive dans l’Est, il était remplacé par le Général Varin

Cette mise à pied provoqua de graves mouvements d’humeur dans son entourage, si l’on en juge par un courrier “vigoureux” adressé par le Colonel Jaguin au Colonel Marillier en réponse à des propos désobligeants.

 

 

15ème Corps d'Armée

30ème Division. 59ème Brigade

Au bivouac près XURES le 15 août 1914

Le Colonel JAGUIN du 58ème Régiment d'Infanterie à

Monsieur le Général Commandant la 59ème Brigade d'Infanterie

 

J'ai l'honneur de vous rendre compte que dans la journée du 11 août un Lieutenant de l'Etat-major de la 2ème Division de Cavalerie qu'on m'a dit être le Lieutenant Antoinat était venu me donner des ordres pour l'occupation de la position de la Fourrasse et de l'organisation du commandement en ce point.

"Je parle ici au nom du Général Commandant la Division de Cavalerie et déclare que le régiment n'a pas fait ce qu'il devait faire, qu'il a manqué au devoir militaire en ne tenant pas sur ses positions. Que le temps des discours d'Avignon (sic) était terminé et que la seule façon de laver la faute était de se sacrifier ici, que les Provençaux avaient prouvé ce qu'ils étaient.

Sur votre conseil je ne vous ai pas transmis de réclamation. Hier, 14 août, le Capitaine Callies du 19ème d'Artillerie m'a déclaré, en me disant de faire état de ce qu'il me rapportait, que ce même lieutenant lui avait dit, personnellement, que le régiment était déshonoré après l'affaire du 11 août.

Le Capitaine lui défendit de continuer son injure et lui déclara qu'il avait vu le 58ème à l'action et avait admiré son héroïsme. Devant la double accusation du Lieutenant Antoinat qui a répandu son jugement autour de lui (je le sais de bonne source) je demande pour l'honneur du Régiment qui a laissé sur le carreau 800 à 900 hommes, que l'affront soit réparé.

JAGUIN

 

 

Nous avançons, ici, l’hypothèse qu’une partie des problèmes que va, par la suite, rencontrer le 15ème CA, vient des “rancœurs” entre officiers engendrées ce jour là, bien avant l'article du Sénateur Gervais.

 

En 1915, le 16 février, (Lettre 92) Noël Olive un Soldat du 40ème s’en fera l’écho. Parlant des soldats du 165ème de Verdun, il écrit:

 

“Quand ils sont de garde, en sentinelle, […] ont déjà reçu des marrons sur le nez, au début ils faisaient les malins, mais maintenant ils sont souples car nous ne les ménageons pas, et entre officiers c'est pareil: ils se vomissent entre eux. Çà c'est un détail. Je n'ai eu aucune discussion avec aucun mais à la première c'est la bonne, c'est que nous ne sommes pas à la caserne ici”

 

 

Poursuite de la concentration, attaque de la 2ème Armée dans l’Est

 

Le 11 août au matin, le QG du 15ème CA s’installe à Rosières aux Salins, le positionnement des unités est approximativement le suivant:

29ème DI: QG à Saint Nicolas

la 58ème BI est dans la région de Saint Nicolas, le 141ème RI aux avants-postes à Haraucourt tenant la crête sud de Gallenoud et le Bois de Crévic,

à la 57ème BI, le 111ème RI débarque et vient cantonner à Cénitrey-Voinemont, le 112ème cantonne à Rosières.

30ème DI: QG à Dombasles

la 60ème BI est à Dombasles, Sommerville, Flainval, Antelupt, Hudiviller, avants- postes à Vitrimont et Crevic,

la 59ème BI est toujours en couverture.

Le 40éme signale que les détachements de couverture sont accrochés par des éclaireurs ennemis.

A 13h, on apprend, au QG, l’ampleur des pertes du matin à Lagarde. Les deux compagnies du 40ème envoyées en renfort ne peuvent que recueillir les restes du détachement en retraite et on commence à craindre une attaque sérieuse qui se prolongerait sur la Meurthe.

 

A 13h45, le Général Espinasse adresse au Général commandant la 29ème DI l’ordre de “ … porter immédiatement [ses] troupes qui sont à Maraucourt et Saint Nicolas du Port sur Serres-Drouville en repli des troupes de couverture. La 30ème BI se porte à Bauzemont" . Il se rend à Valhey, y prend le commandement des troupes et demande à la 60ème BI de se porter sur Bauzemont-Serres.

A 16 h, le Général Espinasse part, il rallie le 6ème Hussard au passage à Sommerviller et part avec lui sur Drouville. En chemin il rencontre un officier de l’EM de la 2ème Armée, revenant du front, qui lui fait connaître que les Allemands ne semblent pas devoir dépasser Xures. A Drouville, il donne aux généraux Colle et Carbillet des instructions verbales, leur ordonnant d’occuper la position de Serres avec la 60ème BI, la position de Drouville avec la 58ème BI.

A Valhey, le Général Lespinasse rencontre le Général Commandant la 2ème DC. On peut penser que leur entretien n'a pas été très chaleureux. Il en revient à 23h, confirme ses ordres de l’après midi. Les mouvements prévus auront lieu le lendemain matin.

Entre temps, la 2ème Armée a fait savoir, qu’en cas d’attaque, la ligne à tenir serait Maixe-Drouville-Buissoncourt (liaison avec le 20ème CA)


La journée du 12 août se passe en réorganisations et mises en place des unités: le 111ème arrive à Saffais, mais le 6ème Chasseurs, épuisé par les manœuvres d’été dans les Alpes, est autorisé à se reposer à Saint Nicolas qu’il a atteint la veille.

Vers 13 heures, l’ennemi vient tâter le dispositif au “Signal des Allemands”. Une compagnies d’infanterie et 200 uhlans combattant à pied obligent une compagnie du 40ème RI qui occupait Juvrecourt à se replier.

A 17 heures l’attaque allemande s’éteint. Les unités françaises marchent de nuit pour gagner leurs positions.

 

Le 13 août, le 15ème CA termine sa concentration en ne dépassant pas Drouville.

Le Train de combat est au complet. Les ordres pour la journée du lendemain étant de marcher dans la direction d’Hellocourt et d’arriver, au moins, le soir sur la zone Moncourt-Bois de la Croix.

Le Général Joffre, ayant donné l’ordre d’attaquer en direction de Château-Salin et Sarrebruck, le 14, le Général de Castelnau prescrivait, le 13 au soir, au 16ème, au 15ème Corps et au gros du 20ème d’attaquer, le lendemain, par divisions successives, l'artillerie de CA entre les divisions.

La préparation de l’attaque se fait dans la nuit.

 

A 6H30, le 14, tout le 15ème CA est rassemblé sur les hauteurs Serres-Valhey.

La marche en avant commence, le 16ème Corps à droite avec Réchicourt pour point de direction, puis le 15ème, enfin le 20ème appuyant le mouvement. En face d’elle, la 2ème Armée a quatre corps ennemis et deux divisions de cavalerie.

L'avance française se fait sans trop de difficultés. A 8 h 30, la 30ème DI arrive à Serres, la 29ème DI progresse plus lentement, arrive vers midi aux environs de Bures et poursuit son avance. L’artillerie est en position à la Fourrasse, à 14 h, le Général Espinasse y établit son PC.

En exécution d’un ordre d’attaque datée de 13h 15, la 29ème DI, arrêtée sur les hauteurs 300 et les environs de Coincourt, s’avance à 16 heures vers Moncourt-Bois de la Croix.

A gauche on entend une violente canonnade dans la zone du 20ème CA.

Vers 17 h 25, le 15ème Corps doit engager le 40ème RI sur le flanc gauche du dispositif ennemi, dans une contre-attaque destinée à couvrir son artillerie mise à mal dans un duel avec les batteries allemandes. Dans le même temps l'infanterie ennemie attaque Coincourt[2].

Les Niçois de la 29ème Division d'Infanterie enlèvent Moncourt, mais ont subi de lourdes pertes sous un feu de grosse artillerie. Au soir, ils s'inquiètent car ils sont à court de munitions et comprennent que personne ne les ravitaillera.

Le 20ème CA n’a pu déboucher de Bezange et piétine.

Le 15, l’attaque “ contrairement aux prévisions, ne peut reprendre, les troupes sont très fatiguées, les pertes ont été sensibles, les munitions et les vivres manquent. Toute la journée est employée aux ravitaillements et aux évacuations ”.

 

La 29ème DI est relevée par la 30ème DI et les 4 bataillons de Chasseurs qui reçoivent l’ordre de monter en ligne. Dans l’après midi, ils cantonnent à Hénamenil. Paroy est tenu.

Ordre est donné, pour le lendemain, de prononcer une attaque concentrique sur le Bois du Haut de la Croix. Le général Colle( 30ème DI ) disposera de toute l’artillerie du 15ème CA, d’un bataillon du 141ème prélevé sur la 29ème DI, d’un du 61ème, d’un du 55ème, du 3ème Hussards et des 4 bataillons de Chasseurs ( 6,23,24,27)

 

Le 16, en pleine attaque, le général de Castelnau est informé que Joffre lui retire le 18ème Corps, ce qui le prive de sa réserve d'Armée, ne lui laisse que 4 corps d'infanterie et le met dans une situation délicate.

Malgré tout, la marche en avant continue. L’attaque du 15ème CA débouche du front Parroy-Coincourt, dans le vide, puisque les Allemands ont évacué le Bois du Haut de la Croix.

Le Commandement décide alors d’assurer la possession du terrain avant de reprendre la marche en avant. Des éclaireurs ayant rapporté que l’avant était vide d’ennemis, ordre est donné de se porter sur Marimont.

Les troupes s’installent, tardivement, sous une pluie battante. Le 16ème CA est à droite à la ferme St Clément, le 20ème a avancé jusqu’à Donnelay, il a occupé Arracourt dans la journée, puis, ayant  sauté les collines, Vic-sur-Seille et Château-Salins dans la plaine de la Seille.

Des renseignements de cavalerie indiquent qu’il n’y a rien d’autre entre le Château de Marimont et Bourdonnay que des tranchées abandonnées. Un observateur aérien affirme, pourtant, avoir repéré une dizaine de batteries.

 

Le 17, le 15ème CA exécute une “belle marche d’école par colonnes de division” et porte ses avant-gardes sur la Seille face à Marzal et à Dieuze. Il pleut toujours, les troupes sont épuisées. On entre à Marzal sans combattre mais on n’ose pas s’avancer sur Dieuze qui semble encore occupé. Le 24ème Chasseurs et une batterie de 75, sous les ordres du Colonel Papillon-Bonnot, qui devaient pousser sur Zommange, s’arrêtent à Assenoncourt, après une rencontre avec des cyclistes allemands et font savoir qu’ils poursuivront le lendemain. Le Colonel Guérou est à Lindres-Basse et tient les vannes des étangs de Lindres.

A L’EM. on pense que l’ennemi se retire dans le Nord, mais certains commencent à suspecter que l'on a affaire à des arrière-gardes faisant écran devant des troupes qui se dérobent et que des difficultés se préparent.

 

De fait, elles commencent le 18. Aucun mouvement n’était prévu ce jour là, sauf l’arrivée du 173ème RI, directement de Corse à la 30ème DI ( elle sera effective à 18 h), l’occupation et l’aménagement des débouchées de la Seille. Ce que l’on fait en réquisitionnant tout ce qui peut flotter, y “ compris les barriques et les échelles ”

Les renseignements recueillis tendent à montrer que les Allemands sont établis sur la ligne des hauteurs au nord est de Dieuze: qu'ils tiennent Domnon, Bassing, Bédestroff, Bourgaltroff et dominent donc toute la plaine de la Seille. On sait aujourd'hui, les "traces" de fortification et de tranchées le laissent supposer, que le terrain était préparé de longue date et que le commandement ne pouvait pas ne pas le savoir. Le Général Weygand écrit[3]: "la région de Morhange avait été signalée par les habitants comme fortement organisée et occupée. Les reconnaissance de cavalerie signalèrent que le terrain avait été soigneusement truqué, des pylônes de bois de toutes dimensions y servaient de repères pour ajuster les tirs d’artillerie“

Un nouvel ordre de Joffre, le 18 août, modifia la direction de marche de la 2ème armée: Faulquemont au lieu de Sarrebruck et sa mission:


Retenir en Lorraine le maximum de forces ennemies au profit de la manœuvre des armées de gauche[4]

 

Pour remplir sa nouvelle mission la 2ème Armée devait forcer sa marche en avant et accrocher l'ennemi au plus tôt. Dans le même temps, le G.Q.G retirait le 9ème CA remplacé par le 2ème GR  du général Léon Durand, à peine débarqué à Nancy.

Dans la journée du 18, les aviateurs avaient constaté devant la 2ème armée l'existence d'une position organisée sur les hauteurs de Morhange.

 

"J'apercevais, écrit le capitaine Armengaud [5] commandant l’aviation, une artillerie nombreuse en attente derrière des épaulements, des lignes de tranchées, des abattis dans les bois, des réserves dissimulées; le tout donnant l'impression d'un piège tendu à notre armée et à la gauche de l'armée voisine"

 

Berthelot, Major-Général et Gamelin au G.Q.G. affirmaient pourtant au Général Anthoine: Vous n'avez rien devant vous !

A l'État-major de la 2ème Armée le capitaine Héring venait d’avoir connaissance d’un plan des transmissions de l'ennemi saisi sur un officier prisonnier qui recoupait les observations d'Armengaud.

Dans des termes qui le couvraient, Castelnau rendit compte au G.Q.G. des dispositions qu'il prenait. Il allait, précisait-il, conformément aux ordres reçus, procéder à l'attaque d'une position fortement organisée

Le G.Q.G. fit la sourde oreille et donna l'ordre de poursuivre l'offensive. Castelnau invita donc ses commandants de corps d'armée à poursuivre l'ennemi avec toute la vigueur et toute la rapidité possible [6]

 

Le 19 août, le P.C. de la 2° armée se transféra  à Maizières-les-Vic.

L'aviation confirma la situation révélée la veille.

La 2ème Armée accéléra sa marche offensive. Les ordres de l’Armée étaient d’agir en direction de Rodalbe, plein nord de Dieuze, de placer l’artillerie des D. I.  à 4 h sur la ligne: côte 230, Vergaville, Guebestroff, Carrefour centre de la forêt de Kœking.

Le 20ème CA, qui n'avait rencontré que des éléments légers, avait progressé plus vite que les corps de droite, ainsi l'armée, qui devait marcher la droite en avant, se retrouvait-elle au contraire avec son corps de gauche en échelon avancé. Dans ces conditions, elle ne pouvait continuer son offensive vers Faulquemont qu'à la condition d'opérer un redressement face au nord.

Dans la manœuvre prévue, le 16° CA devait, en étroite coopération avec le 15ème, forcer le passage du canal des Salines et se porter sur la voie ferrée de Sarrebourg à Bénéstroff. Ces opérations seraient couvertes à la gauche de l'armée par le 20° CA qui servirait de pivot à la manœuvre. Il reçut donc l'ordre de s'installer sur le terrain occupé en position d'attente, sa division de gauche, la 39ème DI, dans un dispositif lui permettant, soit de poursuivre son offensive vers le nord-est, soit de faire face à une attaque venant de Metz


Mais, on apprit, dans la nuit du 18 au 19 que le 16ème CA poussant jusqu'à Mittersheim, au-dessus de Fénétrange, avait été contre-attaqué à Loudrefing et avait du se replier sur Angviller.

Il fallait d'abord dégager le 16° CA bloqué dans la région des Étangs et séparé du 15ème par l'étang de Lindres.

Dans ce but, le 15ème attaque à 4 heures du matin. La 29ème DI entre à Dieuze, la 30ème marche par Vergaville sous un feu d’artillerie très violent et très bien réglé. A 13 heures, la 29ème DI s’avance vers Bidestroff, la 30ème vers Bourgatroff en se couvrant sur sa gauche dans la forêt de Kœking. Ces mouvements n’aboutiront pas car les pertes dues à l’artillerie sont lourdes. L'attaque est bloquée à Bidestroff. On n'a progressé que de 2 km. Les troupes, finalement, restent sur place.

 

L’offensive doit reprendre le 20 à 5 heures sous la protection de l’artillerie lourde française. L’idée du commandement est que le 16ème Corps, en couvrant l'armée à l'est, sortira de la région des étangs au nord de Loudrefing, le 15ème opérera à l'est de la forêt de Brides, en direction de Bénestroff, le 20ème à l'ouest, en direction de Morange. La voie ferrée Metz-Sarrebourg est l’enjeu de la bataille, sa prise permettrait de couper les communications avec Metz de la Vlème armée allemande qui opère contre l'armée Dubail. De Castelnau prescrit au 16ème et au 15ème corps d'attaquer ensemble.

A la pointe du jour, l’artillerie lourde n’est pas en place, du brouillard empêche l'aviation de reconnaître les positions de l'artillerie ennemie. Castelnau fait surseoir à l'attaque jusqu'à ce que les officiers observateurs puissent prendre l'air. Vers 4 h 45, on apprend au PC de la 2ème Armée que le 20ème CA, au lieu d’attendre, comme on le lui avait demandé, se disposait à attaquer. Dans un ordre diffusé peu après minuit, Foch avait demandé à deux divisions de reprendre l'offensive à 6 heures pour s'emparer des hauteurs de Morhange.

Le général Anthoine dépêche aussitôt le Commandant Jacquand, au Q.G. de Foch, à Château-Salins, pour rappeler les ordres de l'armée et fait remettre, à 5 h 30, une instruction particulière, l'invitant à "ne pas prendre l'offensive, à s'installer fortement, à être à même de résister à une offensive venant du côté de Metz"

Curieusement, dans un ordre particulier daté de 6 heures, Foch demande à la 11ème DI d’attaquer sur Morhange pour aider le 15° CA.

“… se rendre maître des hauteurs de Baronville-Morhange et d'agir ensuite par sa droite”

Le général Anthoine, réagit par un message téléphoné à 6 h 20

“ Défense absolue au 20ème CA de poursuivre aujourd'hui son offensive. Conformez-vous strictement à l'ordre d'opérations n° 27

Trop tard. A 6 heures, la 39ème DI était partie à l'attaque, le général Dantant  puis le colonel de Grandmaison, en application de ses théories bien connues.

  Les exécutants forçant la note du corps d'armée, déjà folle, écrit le Commandant Jacquand dans ses Carnets[7].


La Vlème armée allemande déclenche alors sa contre-offensive, appuyée par les tirs de l’artillerie lourde. Le IIème CA bavarois, dévalant des hauteurs de Morhange, plonge sur le flanc de la 39ème DI au moment où elle se déploie dans la plaine. En moins d'une heure, il la rejette en désordre des villages de Marthille et de Bréhain. A 8 heures, toute la division est en retraite vers Château-Salins, laissant sur le terrain 23 de ses 36 canons de 75 et 28 caissons. Plus à l'ouest, le Illème CA bavarois refoule la brigade Wirbel à Oron et la 68° DR qui couvrait, à Delme, la 2ème armée.

Son attaque s'étendit jusqu'à la route entre Laneuveville et Château-Salins, menaçant aussi les communications du 20ème CA.

La 11ème DI, la "Division de fer" de Nancy, avait Morhange pour objectif. L'ordre d'attaque du général Balfourier n'était pas encore parvenu aux exécutants que le Ilème CA bavarois, vers 7 heures, attaqua ses positions.

Installée sur la ligne Pévange-Haut de Kœcking, la 11ème DI se trouva en meilleure posture pour résister.

Toute la matinée, le 4° B.C.P. à Pévange[8] et le 37ème RI [9] à Riche et à Conthil, repoussèrent les assauts. Sur tout son front, la 11ème DI réussit à contenir l'ennemi, mais tout entière engagée pour soulager la 39ème DI, elle ne put exécuter l'ordre que Castelnau lui donna à 7 h 15 d'attaquer, en direction de Lidrezing, le flanc du XXIème CA des Allemands qui refoulait le 15ème CA.

L'offensive allemande surprit aussi les deux autres corps de la 2ème Armée. A l'aile droite, le 16° CA résista jusqu'à 10 heures, sur le canal des Salines. Sa situation, critique lorsque ses flancs furent découverts à gauche par le recul du 15° CA et à droite par le repli du 8° CA de la 1 ère armée que l'offensive allemande avait rejetée de Sarrebourg, l’amena à battre en retraite.

 

Revenons au 15ème CA.

Il attendait l’heure en position : les 9ème, 10ème et 11ème compagnies du 40ème RI sur la ligne sud du Bois de Monacker, le 1 er bataillon à l’ouest de Guebersdroff et au sud de 251, la 12ème compagnie en réserve sur un mamelon à l’ouest de 229, le 55ème RI et le 173ème à gauche dans la Forêt de Bride, le 58ème RI juste derrière eux, le 61ème à droite au nord de Vergaville.

À 6 h du matin, I'ennemi attaque, dans la brume, avant que le 15ème ne se soit mis lui-même en mouvement. La pression est terrible, le 55ème et le 173ème refluent dans la forêt. Un mouvement, aggravé par une panique née dans les rangs du 55ème, découvre le flanc du bataillon Breyton du 40ème. Pris sous des feux de front et d'enfilade, l’unité est décimée en douze minutes. Un capitaine, un lieutenant, un adjudant et quelques hommes seulement réussissent à se replier. Le 58ème renforcé par le bataillon Santini du 40ème tente alors, à son tour, mais en vain, d'enrayer la poussée.

 

À 10 h, le 61ème abandonne Vergaville, le 58ème et le premier bataillon du 40ème, débordés, battent en retraite.

À Maizières, au P.C de la 2ème Armée, Castelnau convoqua le capitaine Armengaud "A ma gauche, le 20ème CA m'échappe, au centre le 15ème fléchit, à droite, je ne sais guère ce qui se passe, mais ce que je sais me rend très inquiet. Envoyez-y tout de suite des reconnaissances, et allez-y vous-même, de toute urgence."


Au retour d'Armengaud vers 10 heures, Castelnau mesure la gravité de la situation. A 10 h 10, il décide de battre en retraite et ordonne à ses corps d'armée de se retirer de 8 à 12 kilomètres en arrière, jusqu'à la frontière où il espérait pouvoir se rétablir. Il reporte son P.C. à Arracourt.

À midi, poursuivi sur ses diverses positions de repli par les obus de l'artillerie lourde allemande et ne pouvant tenir nulle part, le 15ème Corps tout entier se replie dans les prairies bordant la Seille et recule de quinze kilomètres, pendant que le bataillon du 173ème RI[10] défend l'entrée de Dieuze et tient longuement tête aux Allemands.

À 18 h, en plein repli général, le 40ème se reforme à 6 km à l'est de Marsal.

À la ferme la Bourrache, 900 hommes se regroupent et essaient de tenir. L’artillerie allemande les trouve. Le repli reprend à 20 heures.

Le 40ème, par Lezey-Rechicourt file sur Arracourt où il arrive à 3 h du matin. Après une heure de repos le repli reprend, se poursuit toute la journée du 21.

Le 22, les troupes du 15ème CA sont tellement désorganisées qu’on ne peut envisager la moindre résistance sur la rive droite de la Meurthe. On partage l’artillerie du corps en deux fractions, l’une passe au 16ème, l’autre est mise à disposition du 20ème CA qui a perdu une grande partie de la sienne et doit organiser une ligne de force sur les hauteurs de Flainval.

Tandis que la Brigade Ferry du 20ème CA couvre la retraite, le 15ème CA, par les ponts de Rosières, Blainville et Damelevières passe la Meurthe. Les ponts sont ensuite détruits. En fin de journée, le 15ème CA et toute la 2ème Armée sont à l'abri des premières défenses d’artillerie du Grand Couronné de Nancy.

L’hécatombe est terrible.

On réorganise les troupes et on fait la douloureuse comptabilité de ce qui est encore en état de combattre :

 

29ème DI

57ème BI

111ème RI

1 bataillon

112ème RI

2 bataillons

58ème BI

    3ème RI

2 bataillons

141ème RI

2 bataillons

Chasseurs

  6ème B C

1200 h

23ème B C

  350 h

24ème B C

1300 h

27ème B C

  550 h

30ème DI

59ème BI

  40ème RI

1 bataillon

  58ème RI

1 bataillon

173ème RI

4 bataillons

60ème BI

  55ème RI

2 bataillons

  61ème RI

2 bataillons

 

12.000 hommes manquent à l'appel, 188 officiers sont hors de combat.

On doit donc faire monter la 64ème DR au 15ème CA.

On peut penser que les Allemands avaient fixé une limite à leur repli stratégique. Ils avaient réussi à entraîner les troupes françaises dans une poursuite destinée à les amener sous le feu d’une défense dotée largement d'artillerie lourde.

Lorsqu’elle fut atteinte, les quatre corps de l’armée du Kronprintz de Bavière contre-attaquèrent des troupes très diminuées et en terrain défavorable.


 La polémique à propos du 15ème CA

 

La retraite générale de la 2ème Armée, ordonnée par de Castelnau, après l’échec de l’attaque du 20 août, avait donné lieu, pour certaines unités à des scènes de panique, mais la façon partiale dont la retraite du seul 15ème CA fut rapportée par le sénateur Gervais, le 24 août, dans un article du “Matin”, La vérité sur l'affaire du 15ème Corps sous-titré: "Le recul en Lorraine" , fit naître la légende d'une “défaillance” et accrédita l'idée que le comportement des troupes du midi était la seule cause de l'échec de l'offensive,

 

" L’inébranlable confiance que j'ai dans les corps de nos troupes et la résolution de leurs chefs me donne la liberté nécessaire pour m'expliquer sur l’insuccès que nos armes viennent de subir en Lorraine. Un incident regrettable s'est produit. Une division du 15ème corps composée de contingents d'Antibes, de Toulon, de Marseille, et d'Aix, a lâché pied devant l’ennemi. Les conséquences en ont été celles que les communiqués officiels ont fait connaître. Toute l'avance que nous avions prise au-delà de la Seille sur la ligne Alaincourt‑Delme et Château‑Salins, a été perdue. Tout le fruit d'une bataille-combinaison stratégique longuement préparée été momentanément compromis, malgré les efforts des autres corps qui participaient à l’opération et dont la tenue a été irréprochable. La défaillance d’une partie du 15ème corps a entraînée la retraite sur toute la ligne.

Le ministre de la Guerre, Mr Messimy, avec sa décision coutumière, a prescrit les mesures de répression immédiates et impitoyables qui s'imposaient. L'heure n'est plus, en effet, aux considérations de sentiment. Tout le monde doit être aujourd’hui convaincu, du Général en chef au dernier soldat, qu'il n'y a, en face de l'ennemi qu'un devoir: vaincre ou mourir.

Nous sommes assez forts et assez sûrs de nous pour reconnaître les fautes dés qu’elles sont commises et avouer le mal aussitôt qu’il apparaît. Nous avons l’inébranlable résolution de réparer les unes et de remédier à l’autre.

Aussi bien l’incident, pour navrant qu’il soit, sera-t-il, nous en avons la ferme conviction, sans lendemain. D’ailleurs il faut dire qu’il doit être sans influence sur l’ensemble de la manœuvre. Surprises sans doute par les effets terrifiants de la bataille, les troupes de l’aimable Provence ont été prises d’un subit affolement. L'aveu public de leur l'impardonnable faiblesse, s'ajoutera à la rigueur des châtiments militaires.

Les soldats du Midi, qui ont tant de qualités guerrières, tiendront à honneur d’effacer, et cela dés demain, l’affront qui vient d’être fait par certains des leurs, à la valeur française. Elles prendront, nous en sommes convaincus, une glorieuse revanche et montreront qu’en France, sans distinction d’origine, tous les soldats de nos armées sont prêts, jusqu’au dernier à donner leur sang pour assurer contre l’envahisseur menaçant le salut de la patrie.       

 

A l’insulte, quelques Maires, comme ceux de Hyères, de Saint-Raphaël, répondirent en interdisant la vente du Matin, d’autres plus timorés, comme celui de Toulon, firent savoir, un peu hypocritement, à leurs administrés qu’ils ne pouvaient interdire la vente d’un journal mais qu'ils désapprouvaient les termes employés.

Que s’était-il passé pour qu’un journal publie, avec l’aval de la censure, une telle somme de mensonges.


La vérité, c’est qu’en téléguidant, le 24 août, l’article du Sénateur Gervais, le "Ministre-ex-capitaine Messimy, participait à une manœuvre du GQG destinée à dissimuler les véritables causes de l’échec de l’offensive dans l’Est.

On peut raisonnablement penser que le Ministre avait été induit en erreur par Joffre lui-même[11], puisque Gervais ne faisait, en somme, que reprendre les termes d'une conversation téléphonique tenue le 21 août à 19 heures.[12]

 

 "L'offensive en Lorraine a été superbement entamée. Elle a été enrayée brusquement par des défaillances individuelles ou collectives qui ont entraîné la retraite générale et nous ont occasionné de très grosses pertes.

J'ai fait replier en arrière le 15ème Corps [13] qui n'a pas tenu sous le feu et qui a été cause de l'échec de notre offensive.

J'y fais fonctionner ferme les Conseils de Guerre" .

 

Dans cet “échec sur la Seille" , selon la formule que Joffre utilisera un peu plus tard, le 20ème Corps avait subi les conséquences terribles d'une erreur de manœuvre de Foch. De cela, ni Gervais, ni Joffre ne dirent mot car il ne fallait pas ternir l’image des "Divisions de fer"

D’où provenaient les informations qui avaient permis à Gervais de se faire une opinion aussi défavorable du 15ème CA?

Certainement pas du Général de Castelnau commandant la 2ème Armée.

De Messimy ? Ce n’est pas impossible !

Plus probablement du capitaine Fétizon, officier de liaison du G.Q.G, par le biais du Colonel Duchêne.

L’histoire a aussi retenu que Duchêne[14] chef d’Etat-Major du Général Foch.était le beau-frère du Général Anthoine, chef d’Etat-Major du Général de Castelnau et que les deux hommes se détestaient.[15]

 

Quoi qu’il en soit, la polémique qui suivit la publication de l’article[16] devint un véritable problème politique qui occupa la France et couvrit la "purge du Commandement" . Nuage de fumée, habile diversion, l'opinion publique se laissa abuser, sans voir que Joffre, procédait, dans l’Est comme ailleurs: mutations et mises à la retraite immédiates. Il faisait ainsi glisser vers d’autres une partie des responsabilités qui lui incombaient en tant qu’organisateur de l'ordre de bataille des Armées françaises.

Ces défaillances du commandement, révélées déjà dans les tous premiers jours de la guerre, étaient connues du Ministre.


Le 15 août, Messimy informait Joffre qu'un décret supprimait “ la nécessité de consulter le Conseil Supérieur de la Guerre pour mettre d'office à la retraite un officier général" et que, “pour les généraux et les officiers qui auraient fait montre non seulement d'insuffisance ou de faiblesse mais encore d'incapacité ou de lâcheté devant l'ennemi, le conseil de guerre s'imposait ”.

Joffre répondit au Ministre:

“ …en ce qui concerne les généraux remis à votre disposition, j’ai indiqué […] les motifs sommaires qui ont déterminé ma décision de ne pas les laisser à la tête de leur troupe, il n’est pas possible de faire, sur le moment, d’enquête plus complète, ni d’établir un rapport motivant la mise à la retraite… ”.

Il n’y eut pas, par la suite, "d’enquêtes plus complètes" , mais on sait que les "Jeunes Turcs" du Grand Quartier Général profitèrent de l’occasion pour écarter[17] ceux qui n’avaient pas une "foi absolue" en la doctrine de l’offensive à outrance.

Dans ses mémoires, Joffre, par l'intermédiaire du futur général Desmazes, écrit:

"Nul doute, l'épuration du commandement qu'il était dans mes intentions de faire dans le courant de 1914 si la guerre n'avait pas éclaté, il convenait de la faire sans attendre une heure, si nous ne voulions pas que l'échec de notre première manœuvre se transformât en une irrémédiable défaite"

 

On se demande bien pourquoi, nommé à la tête de l'armée en juillet 1911 par Messimy, il avait tant attendu pour procéder à cette épuration en profondeur. Pourtant, après les manœuvres de septembre 1913[18], organisées par de Castelnau dans le Sud-Ouest, il avait obtenu que plusieurs généraux fussent sanctionnés.[19]

Pour l’ensemble des Armées impliquées sur tous les fronts, deux cent deux limogeages suivirent: Des généraux furent écartés, souvent pour incompétence, parfois par manque de docilité, Brochin, Sauret, Sordet, Lanrezac, Percin, Ruffet, Pourradier-Duteil, un peu plus tard Espinasse du 15ème CA.

Trente-trois divisionnaires de l’infanterie sur soixante-douze et la moitié des chefs des divisions de cavalerie furent discrètement changés ou renvoyés dans des postes subalternes à l'intérieur. Le Général Pourradier-Duteil par exemple se retrouva à Clermont Ferrand, commandant de la 13ème région territoriale

Les "politiques", plus que les militaires, ont tenté de minimiser cette "épuration" et des historiens - non des moindres - se sont laissés aller à cette tendance. Sous la plume de Duroselle, on trouve que "Joffre enfin, malgré toutes les amitiés et les fraternités d'arme, a le courage de révoquer les généraux qui lui paraissent incapables et insuffisants. Le 30 août, c'est Ruffey, remplacé à la 3ème armée par Sarrail. Il était très énervé et se répandait en propos amers contre la plupart de ses subordonnés ”. […] Au total, Joffre releva de leurs postes deux commandants de division d'infanterie sur soixante-douze, un commandant de corps de cavalerie, cinq commandants de divisions de cavalerie sur dix ”.

Nous voilà loin du compte !


Comme en témoigne un document figurant dans les télégrammes arrivés au Ministère de la guerre, il y eut au moins une exécution capitale de chef de Bataillon. Le 2 septembre, à Bar le Duc, celle du commandant Wolf du 36ème RIC convaincu de tentative de capitulation en rase campagne.

Sauver sa tête et dissimuler des fautes de commandement sont les vraies raisons de cette manœuvre de Joffre. La mettre au compte d’une machination uniquement politique serait une erreur.

Un document présent dans la série des télégrammes évoquée plus haut semble confirmer " la complicité des deux hommes", mais…….

 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


non daté et sans référence, il faut le prendre avec prudence.

 

 


 

Le dossier

 

Revenons au départ de l’affaire et à cet "étrange télégramme" [20] envoyé, par Joffre, au Ministre de la Guerre, le 23 août à 8 heures 45 du matin,

 

"  en Lorraine nous sommes établis sur le Grand Couronné de Nancy et sur la Meurthe où nous avons l'intention de la bataille.

Quatrième région de Longwy à Mézières. Nous avions, depuis avant hier, pris l'offensive avec des forces considérables entre la région de Longwy et Mézières.

Dans la partie droite ( Front Longwy Virton ) l'action se poursuit mais nous ne progressons que lentement malgré une supériorité numérique marquées et bien que notre artillerie ait fait taire l'artillerie adverse.

Dans la partie gauche, de Virton à la Meuse, se développe une action en terrain parfois difficile. Ici encore, nous devons avoir une supériorité numérique considérable.

Notre progression rencontre cependant de grosses difficultés.

Toutefois, l'ennemi dont nous attaquons les colonnes en marche vers l'ouest doit être de son côté dans une situation difficile.

Région de Meuse: au nord nous tenons toujours la Meuse dans la région de Dinant. Par de violentes attaques, l'ennemi peut déboucher de la Sambre entre Charleroi et Namur. Nous conservons de ce côté de fortes réserves qui ne sont pas engagées. Enfin armée anglaise va entrer en action à notre gauche.

Conclusion: Dans l'ensemble la manœuvre stratégique est par conséquent terminée. Elle a pour objet et résultat de mettre le gros de nos forces au point qui pouvait être pour l'ennemi le plus pénible et de nous assurer en ce point la supériorité numérique.

La parole est maintenant aux exécutants qui ont à tirer partie de cette supériorité. La question est donc une question de valeur, de commandement, de troupes et surtout une question de persévérance dans l'exécution.

 

A l’évidence, le Général en chef cherche à se couvrir, alors qu'il est déjà informé de la situation catastrophique de toutes les Armées. Si échec il y a - il le pressent - la faute ne pourra en incomber qu’aux exécutants tant il est persuadé que sa méthode est bonne[21]. Notons aussi qu'il croit être en supériorité numérique - erreur d'appréciation due aux lacunes des services de renseignement qui ont annoncé l'engagement de 25 Corps d'Armée mais n'ont pas su déceler la présence des 9 corps allemands de réserve.


Le soir même, à 19 h 10, il écrit au ministre, mettant en cause les hommes, et il ne s'agit pas cette fois, des seuls méridionaux:

"Notre offensive entre Longwy et la Meuse se trouve momentanément arrêtée. Cause première en est dans plusieurs défaillances individuelles qui ont nécessité sanctions. Trois divisions mal engagées ont particulièrement souffert. Je m'efforce de faire reprendre l'offensive. Sur la Sambre, le combat n'a pas repris ce matin"

et continue le lendemain matin, même méthode:

" Les craintes que les journées précédentes m'avaient inspirées sur l'aptitude de nos troupes en rase campagne ont été confirmées par la journée d'hier qui a définitivement enrayé en Belgique notre offensive générale.

Région des Vosges:

L'ennemi a essayé de poursuivre hier son mouvement à notre droite. Il nous a repris le col de Sainte Marie aux Mines. Il paraît progresser dans la région comprise entre Vezouse et les hauteurs d'Hablainville. Nos troupes ne sont pas encore en état de reprendre l'offensive de ce côté.

Région de Nancy:

Allemands ont tenté quelques attaques partielles contre Grand Couronné de Nancy, Saffais, Bellechamp; Ces attaques ont été repoussées.

Belgique:

Comme j'ai indiqué plus haut, dans région comprise entre Longwy et la Meuse, notre offensive générale est enrayée définitivement. Nous avons progressé sur certains points mais notre recul a entraîné le résultat d'ensemble.

Au Nord notre Armée opérant entre Sambre et Meuse et armée anglaise a du subir des échecs dont je ne connais pas encore la portée mais qui l'ont contrainte à reculer sur la ligne Givet-Maubeuge-Valenciennes. Enfin, plus au Nord le mouvement enveloppant des Allemands a paru s'accentuer encore dans la journée d'hier.

Conclusion: Force est donc de se rendre à l'évidence, nos corps d'Armée, malgré la supériorité numérique qui leur avait été assurée, n'ont pas montré en rase campagne les qualités offensives que nous avaient fait espérer les succès partiels du début, succès obtenus surtout dans des opérations de montagne.[22]

Nous sommes condamnés à la défensive, appuyé sur nos places fortes et sur grand obstacle de terrain en cédant le moins possible de territoire, notre but doit être de durer le plus longtemps possible en nous efforçant d'user notre adversaire et de reprendre le moment venu"

 

Comme on refuse aussi d’admettre, dans les EM, que face aux mitrailleuses et à l'artillerie, la doctrine de l’offensive à outrance ne produit pas les effets escomptés, on annonce que les troupes, sur tous les fronts, n’ont pas été à la hauteur de ce que l’on attendait d’elles. Et puisqu “les deux divisions d’élite du 20ème CA de Foch" , celle de Toul et celle de Nancy, qui depuis le Plan XIII devaient constituer le rempart infranchissable en cas d’attaque dans l’Est, n’ont pas rempli leur mission, on cherche un coupable.

Il faut impérativement en désigner un, et de façon précise à l’opinion pour décharger le 20ème CA et ses cadres desquels on ne peut pas dire qu’ils n’ont pas été formés à l’offensive, ni qu’ils n’ont pas appliqué les "nouvelles méthodes de combat"


Toutes les troupes étaient donc mises en cause aux yeux du Ministre de la Guerre, mais pour le 15ème CA, injustement désigné au public, comme seul fautif, le mal était fait [23].

Il “traînera”, durant toute la guerre, les séquelles de cette affaire[24], en dépit des affiches rectificatrices que le Commandement fit placarder dans les Mairies de France et des déclarations publiées dans les journaux par le nouveau ministre de la guerre.

Comment avait-on pu en venir à semblable situation ?

 

Un des premiers documents à voir est l’original du journal de marche du 15ème CA. Le rédacteur, dans un premier jet, donne la rédaction suivante:

"21 août: le mouvement de retraite continue dans la nuit, sur l'ordre de l'armée. Le 15ème corps a subit de fortes pertes et est désorganisé"

puis il biffe "et est désorganisé" et poursuit:

la retraite a lieu néanmoins en bon ordre. Le 15ème CA reflue sur la région de Serres mais on l'oriente en cours de route, sur nouveaux ordres, vers Dombasle, Rosières et Blainville."

Puis, nouveau repentir, il barre "reflue" et écrit "Le 15ème CA prend la direction de .."

Ces "difficultés d'expression" se poursuivent le lendemain 22 août où il remplace "L'état de désorganisation des troupes ne permettant pas“, par les mots

"L'état de fatigue des troupes…"

Cette rédaction embarrassée révèle, on le sent bien, une situation qu'un acteur, le lieutenant de Kerraoul du 38ème RA confirme dans sa correspondance:

 

[…] Nous n'avons battu en retraite que pendant 30 heures, mais cela a été une chose épouvantable.

L'infanterie décimée n'existait plus. Avec mes éclaireurs de groupe, j'ai poussé devant moi, de force, des troupeaux d'hommes dont la plupart avait jeté leurs armes et qui étaient à bout de force, et voulaient se coucher par terre et ne plus bouger. Il fallait aussi les empêcher de monter sur nos coffres, de se reposer un peu en s'asseyant sur nos canons en se cramponnant aux butées de renversement des caissons. De telles choses sont éreintantes pour les chevaux et il ne s'agissait pas de laisser désorganiser les rares éléments encore en état de combattre […].[25]

 

La retraite est indiscutable, mais on ne peut dire qu'elle est due à un échec particulier des troupes engagées dans l’Est. Sur tous les autres fronts, à ce moment de la guerre, les armées françaises reculent. Les documents et des dizaines de "Mémoires" en témoignent.

En Lorraine même, le repli n'est pas le seul fait du 15ème CA, le 16ème et le 20ème refluent aussi. La vérité est que moins sévèrement éprouvés, ils couvrent mieux la retraite de l'Armée, la vérité est qu’une Justice militaire expéditive les frappe quand même


Voici ce qu'on peut lire dans les Mémoires de Jules Dupéris un soldat du 20ème CA, originaire de Crévic[26].

 

"Notre recul a été bien précipité. Notre situation n'est guère brillante: l'ennemi est au Nord, à l'Est; au Sud.

Le commandement est parti, il n'y a plus d'ordres, plus de commandement, plus de discipline [.…] Nous repassons la Seille à Moyenvic, départ à 3 h du main, puis c'est l'arrivée à Arracourt où les rues sont pleines de voitures de la 11ème DI[27], des canons de 120 du 4ème de Nancy. Pas mal d'entre nous ont été fusillés, soit par leurs officiers, soit par des soldats d'autres régiments"

 

 

On ne fusillera pas tout de suite au 15ème CA[28] .

La mise en cause, injuste, du 15ème CA vient probablement du fait que, depuis la sanglante affaire de Lagarde -elle avait coûté presque deux mille hommes au 15ème CA[29]- des rapports rugueux s'étaient installés entre les officiers du 15ème CA et ceux qui commandaient les troupes du 20ème CA.

Ces quelques mots extraits d'un courrier “vigoureux” adressé par le Colonel Jaguin du 58ème au Colonel Marillier, le confirment:

 

[ Le lieutenant Antoinat ] a déclar[é] que le régiment n'a[vait] pas fait ce qu'il devait faire, qu'il a[vait] manqué au Devoir militaire en ne tenant pas sur ses positions. Que le temps des discours d'Avignon (sic) était terminé et que la seule façon de laver la faute était de se sacrifier ici, que les Provençaux avaient prouvé ce qu'ils étaient.

Devant la double accusation du Lieutenant Antoinat qui a répandu son jugement autour de lui (je le sais de bonne source) je demande pour l'honneur du Régiment qui a laissé sur le carreau 800 à 900 hommes, que l'affront soit réparé"

 

La 2ème Division de Cavalerie était, rappelons-le, en garnison à Lunéville. La mise à pied du Général Lescot qui, commandant la 2ème D.C du 20ème CA et le détachement de couverture, avait lancé les troupes à l'assaut, et son remplacement par le général Varin, dés que les circonstances de l'échec avaient été connues du QG de Castelnau, avaient déclenché une grande animosité à l’encontre de troupes du midi.

Pour conclure ce chapitre nous dirons que la défaite de Morhange a des causes multiples. Peu ont à voir avec le comportement des troupes du 15ème CA. Il ne fait, aujourd’hui, aucun doute qu’une lourde part de responsabilité est imputable au G.Q.G. où, en ce début de guerre, dominait l'esprit d'offensive à outrance, surtout chez Berthelot[30] et Gamelin[31] dont les “carrières “ révéleront la relative incompétence.

Le Général de Castelnau écrira dans une correspondance à son fils Louis: “l’offensive qu'on m’a imposée est un défi au bon sens “


En privé, il ne cachait pas que si son armée avait essuyé un revers d'une telle ampleur "la faute en était à Foch qui lui avait désobéi"

Selon lui, le grave échec subi par la 39° DI avait rompu l'équilibre de l'armée.

La 11ème DI, mobilisée pour couvrir son recul rapide, n'avait pu soutenir le 15ème CA en difficulté dans les marécages et dont le repli découvrait la gauche du 16° CA.

Après la guerre, Foch rejeta, avec hauteur, toute responsabilité, affirmant que la retraite du 20ème CA était "l'effet et non la cause de l'ordre de repli général" [32]

Cette formule passait sous silence, le fait que sa 39ème DI avait bel et bien été culbutée en pleine manœuvre par l'attaque ennemie, comme l'indique la relation allemande de la bataille[33]. Elle avait reflué, abandonnant des prisonniers en grand nombre et presque toute son artillerie.

Cet échec est la conséquence d’ordres contrevenant à ceux de l'armée. Pour se disculper, l’état-major du 20ème CA répondra plus tard qu'il n'avait, le 19 août au soir, rien reçu de la 2ème armée et avait donc poursuivi l'offensive prescrite le 18. Dans ses Mémoires, Foch affirmera aussi n'avoir reçu aucune instruction ni information de la 2ème Armée

Ces raisons ne résistent pas à l’analyse. L'ordre d'opérations n° 27, est bien enregistré au courrier départ le 19 à 17 heures. Il a bien été apporté au 20ème CA et si on n’en trouve aucune trace au 20ème CA c’est que les registres du 3° bureau, précisément pour la période d'août 1914 ont disparu.

Castelnau, qualifiant de "puérile" la version du 20° CA, se refusa toujours à l'attribuer à Foch[34]. Il était convaincu que le colonel Duchêne était à l'origine de cette incroyable désobéissance. Que celui-ci avait reçu "l'ordre" et l'avait escamoté, sans en parler, à Foch. Il pensait qu’il serait facile d'enlever les hauteurs de Morhange, peu tenues selon ses renseignements.

Foch fut promu le 28 août à la tête d’un détachement d’Armée ce qui coupa court à toute polémique entre officiers de haut rang.

Foch et Castelnau, jusque là bons amis -le second descendait chez le premier lorsqu’il venait à Paris avant la guerre- n’entretinrent plus, à la suite de cet incident que des rapports "militaires" , d’autant que le 5 octobre, le second passa sous les ordres du premier nommé à la tête des Armées du Nord.

 

Pour couvrir toute cette affaire il avait fallu trouver un "bouc émissaire".

Pour les raisons évoquées, les Provençaux firent l’affaire. Ils allaient le payer cher !

 

 


Les conséquences

 

A la suite de ces événements, et déjà après Lagarde, on l'a vu, un certain antagonisme entre civils lorrains et militaires du Sud s'était installé, d’autant plus violent que les soldats du midi, avaient été les premiers à comprendre, sur place, que la population n'avait pas "frénétiquement" envie de redevenir “française”.

La “main courante” du Prévôt de la 3ème Armée fait, assez souvent, mention de cas de “collaboration”, d'espionnage et même de détroussement de cadavres de soldats français pendant les ensevelissements collectifs, dans les villages réoccupés de l’ancienne Lorraine annexée.[35]

Le problème est tel que la plus grande sévérité est observée par les Cours Martiales du GQG des 2ème et 3ème Armées.

Le 24, on exécute un certain Bauersachs sous chef de gare de Chambry, le 31 août, un certain Seifarth, accusé d'espionnage. Le 19 octobre 14, on condamne des civils à des peines de 20 ans de déportation: un homme et une femme "coupables d'avoir apporté un secours en vivre à des soldats allemands"

Les cas d'exécutions ou de condamnations graves pour faits de trahison ou espionnage ne sont pas rares. Un prêtre sera mis en cause. Il faut d'ailleurs remarquer, à ce sujet, que les membres du clergé catholique n'étaient pas, loin s’en faut, favorables à un retour de la France sur ses terres d'avant 70. La séparation des Eglises et de l'Etat créait, en France, une situation défavorable aux congrégations et au clergé séculier. Encouragé par le Vatican, le clergé d'Alsace-Lorraine, formé par des bénédictins allemands depuis la suppression du Séminaire de Strasbourg et son remplacement par une faculté de Théologie protestante, s'opposait, avec le nouvel évêque de Metz, Otto Benzler, bénédictin aussi, à l'application de la loi française dans les territoires réoccupés. [36]

En décembre 14, on ira jusqu'à assurer aux ecclésiastiques le maintien du salaire qu'ils obtenaient de l'Allemagne.

On trouve, dans la correspondance du Lieutenant de Kerraoul dont la femme était originaire de Crevic en Lorraine, des phrases qui expliquent, peut-être en partie, le peu d’enthousiasme qui accompagnait le retour des Français.

 

[…] L'accueil des Lorrains annexés ? Il a été ce qu'il pouvait être. Les Allemands étaient partis en disant: "Nous reviendrons" .

Quelques manifestations d'enthousiasme très rares. La plupart des gens sont sur la défensive ; ils s'ouvrent davantage dans leurs maisons, les portes closes, quand on leur inspire confiance. Pouvaient-ils faire autre chose ? Et puis la plupart des Allemands immigrés sont partis, mais il en reste encore. […] A Dombasle, les femmes des salines nous ont jeté des pierres. Nous nous sommes arrêtés sur la Meurthe.

Pendant huit jours, nous avons contenu les Allemands avec une division de réserve pendant que l'infanterie se reformait. Ensuite, nous avons attaqué. Il paraît que l'ennemi faisait à ce moment une conversion à gauche pour attaquer la l ère armée et que notre mouvement a été heureux. Nous l'avons repoussé jusqu'à Blainville d'un seul coup. Ensuite, il a fallu avancer pied à pied.

 


On doit aussi à la vérité de dire que les Méridionaux ont tendance à considérer les Lorrains comme des “ Boches ”:

“ … repartons à pieds à 16 H pour Ville Devant Belirain, cantonnons dans ce patelin jusqu'au 18 pour le classement des compagnies, suis cuisinier pour la première fois. Mangeons bien et en pagaille, buvons bien de bière mais dormons mal. Gens sont abrutis, vrais boches ”[37]

 

 

trouve-t-on, en novembre 14, dans le carnet de route d’un jeune Marseillais. Il s'étonne de leur attitude car, dit-il, “ c'est le 40ème qui a "reculé" les Allemands de la région qu’ils avaient occupée en septembre. ”

Incidents entre officiers, incidents entre soldats mais aussi incidents entre civils et militaires. Toutes les correspondances de soldats témoignent de la montée d'un mercantilisme généralisé des populations présentes dans la zone des armées et à l'arrière du front, comme elles témoignent aussi de la présence de familles très accueillantes.

 

Béthincourt le 23/2/15        

[…] ici maintenant nous sommes heureux, pourvu que ça dure, nous avons le vin à 6 sous vous le croirez extraordinaire mais c'est réel, voilà comment ça c'est passé, il y avait des endroits où on nous fesaient payer le vin jusqu'à 1 F 25 ces tas de vaches, or l'autorité y a mis un frein en leur imposant un tarif de 0 F 75, alors ces oiseaux ne trouvant qu'ils ne gagnaient pas assez n'en voulaient plus vendre et on en trouvait rarement,[38]

 

Cet antagonisme se ressent fortement à l’intérieur de l’armée. Des échanges de propos violents auront lieu entre méridionaux et officiers du 20ème CA, mettant à mal la solidarité du corps des officiers.

Le Colonel Chatillon du 173ème de Bastia, se fâche.

Le 24 août, il le fait savoir, vigoureusement, au général Castelnau, et sur un ton très inhabituel dans l’Armée française. Sa longue lettre donne un éclairage juste sur “l’ambiance” du moment et constitue une réponse à "l'ordre" du général Colle[39]

 

 

 

Gouvernement militaire de la Corse.

 Crèvechamp, le 24 Août 1914

 

Le Lieutenant Colonel CHATILLON Commandant provisoirement le 173ème

à Monsieur le Général Commandant la 2ème Armée

 

J'ai l'honneur de vous rendre compte de certains incidents très fâcheux qui se sont produits hier 22 et aujourd'hui 23 août. Hier, le Commandant d'un groupe d'artillerie du 20ème Corps voyant passer un détachement du régiment interpella à très haute voix et en présence de la troupe un sergent du 173ème en lui disant "Ah, c'est vous le 173ème, vous êtes tous des lâches et on devrait vous fusiller" .

Le sergent se contenta de regarder fixement celui qui l'insultait si gravement et eut assez de présence d'esprit pour rester impassible et contenir le mouvement d'indignation suscité en lui par cette apostrophe aussi offensante qu'imméritée.


Ce matin, un officier général du 20ème corps voyant rentrer le détachement du régiment qui avait défendu le village de Crevic la veille jusqu'à 20 heures et s'était retiré en bon ordre après avoir accompli sa mission, interpella le Capitaine qui était en tête en lui disant: "Le 173ème, vous êtes la honte de l'armée, je ne veux pas que vous donniez le mauvais exemple aux troupes du 20ème corps, sortez de mes lignes, je vous donne l'ordre de vous rendre à Tonnoy où sont mes bagages" .

Dix minutes après, ce même officier général adressa les mêmes paroles à un Sous-Lieutenant conduisant un détachement revenant de Plainval où il avait passé la nuit aux avant-postes. D'autres incidents moins importants eu égard à la personnalité de ceux qui les ont provoqués se produisent à chaque instant risquant d'occasionner entre les officiers de mon régiment et ceux d'autres corps des altercations très regrettables.

Ils prouvent en tous cas qu'il existe dans l'armée une animosité très grande contre mon régiment et je tiens à vous donner à ce sujet des précisions de nature à détruire les légendes susceptibles de déshonorer à jamais le régiment et son drapeau

[…] Aussi pour remettre les choses au point et fait cesser les racontars tendant à déshonorer le régiment et son drapeau, j'ai l'honneur de vous demander de bien vouloir provoquer des mesures pour qu'une note mise au rapport de l'armée mette les choses au point en disant que c’est par ordre que le Régiment a battu en retraite et éviter des incidents fâcheux qui s'ils duraient pourraient provoquer un conflit grave entre les militaires de mon régiment et ceux qui continueraient à leur adresser des propos offensants et immérités

 

Lieutenant-Colonel CHATILLON

 

 

Ce courrier courageux porte ses fruits.

Le Colonel Marillier le transmet au CA avec ses conclusions mais il évite de mettre en cause les "agresseurs" du 20ème CA de Foch.

Les choses n’en restèrent pas là. Les attaques contre les corps d’armée du Midi se multiplièrent. La parution de l’article du Matin ayant déclenché un véritable mouvement de délation, les dénonciations affluèrent.

L’exemple suivant illustre le climat ambiant.

Le 8 septembre, un certain Leroy, émigré originaire de Longuyon, de passage à la ferme de Beauregard, déclare au Capitaine Diez adjoint au QG de l’Armée Sarrail:

“ Le capitaine Commandant la 6ème Compagnie du 55ème RI a prononcé devant moi et devant de nombreuses personnes […] les paroles suivantes: je n’ai rien à défendre dans l’Est, je n’ai des propriétés que dans le Midi de la France […] ”.

 

Cette déposition, on s’en doute, déclenche une tempête bureaucratique beaucoup plus importante que la lettre du Colonel Chatillon.

Au Général Espinasse qui tentait de lui expliquer qu’il avait autre chose à faire, en pleine bataille de la Marne, que d’instruire une plainte en Conseil de Guerre et d’organiser une confrontation entre officiers de troupes au combat et émigrés qui par définition se déplacent, le Général Sarrail répondit- il l'écrivit de sa propre main-, qu’il voulait absolument une sanction  [40].


L’affaire cessa d’elle-même lorsqu’on découvrit que les officiers incriminés ne répondaient pas au signalement, n’avaient aucune attache dans le Midi et étaient, au contraire, propriétaires dans l’Est.

Dans leurs correspondances, les méridionaux font assez souvent allusion à des "refus de soins" directement engendrés par cette campagne de discrimination qui se prolongera  dans le temps.

 

“ Vous me demandez si nos officiers ne nous embêtent pas avec le 15ème corps. Je puis vous assurer que non, au contraire nos officiers sont tous du midi et comme nous, marchent avec la tête bien haute et sont prêts à répondre à tout et à n'importe qui.  Maintenant, par les habitants, on n'est pas bien vu partout, mais ici oui, parce que les boches y sont déjà venus et ont été chassés par nous, c'est comme à Bar-le-Duc [41] vas un peu leur dire du mal du 15ème corps, tu seras reçu, c'est encore nous qui avons reculé les boches quand ils étaient à 4 km de la ville, aussi quand un blessé y est en traitement il est choyé, rien ne lui manque, en revanche quand un blessé va à Verdun on ne le soigne presque pas il est mal vu on le regarde comme un chien, aussi maintenant ils sont rares ceux qui y sont dirigés ”[42]

 

Cette affirmation pour le moins surprenante est appuyée sur des fait bien précis qui rejoignent ceux évoqués par le Commandant Lançon du 6ème BCA le 5 octobre

 

J'ai l'honneur de vous rendre compte de deux incidents qui se sont produits au 6ème Bataillon de Chasseurs.

1er: neufs malades dysentériques et éclopés ayant été évacués de Ramberecourt sur Erize la Brulée, le 14 septembre ont reçu l'accueil suivant d'un médecin divisionnaire du 4ème Corps: "Ah, ils sont du 15ème Corps, faites les passer devant moi, les uns après les autres pour que je les engueule  tout à mon aise" . Ces hommes furent ensuite immédiatement chassés de la formation sanitaire sans pièces de mise en route et ont rejoint le bataillon à Cumières, après avoir erré pendant trois jours, sans vivres; ils sont tous arrivés fébriles et ont du être évacués immédiatement sur le dépôt de Verdun. Deux d'entre eux étaient tellement malades que Monsieur Barthélémy, médecin principal divisionnaire les a évacués lui-même dans ses voitures de blessés.

J'ai l'honneur de demander une enquête à ce sujet.

2ème: hier, à Aubreville, vers 17 heures le campement du 6ème commandés par l'Adjudants Béri a rencontré un officier supérieur de la cavalerie légère, ne portant pas de numéro au collet qui a interpellé les hommes de la façon suivante:

 

"Eh bien les gars de Nice, j'espère que vous vous conduisez mieux ! Que ne foutez plus le camp"

Ce discours a paru singulièrement intempestif à des hommes qui viennent d'occuper (un seul bataillon) des positions précipitamment quittées par une division entière qui n'est pas du 15ème Corps.

Je ne demande pas d'enquête sur ce dernier fait, mais j'ai tenu à vous le signaler pour vous faire connaître le singulier état esprit qui anime certains de nos voisins

 

Le 18 juillet 1915, N. Olive, de Marseille écrit à ses parents:

 

[…] Il y a environ un mois, un poilu du 2ème bataillon du 40ème fut légèrement blessé et dirigé chez lui. Le major lui fit un pansement vite-vite en murmurant: pour le 15ème corps il y en a bien assez et le renvoie ici. Pardi le poilu en arrivant se plaint à son commandant et de là au Colon. Résultat le lendemain le major du 2ème bataillon va à Sainte Menehould remplacer ce poilu et celui-ci vient un peu goûter des tranchées à sa place, qu’est ce qu’il doit y avoir passé le colon en arrivant, ce qui parait qu’il est doux le Monsieur quand quelqu’un va à la visite il ne parle plus du 15ème. On aurait du le faire à tous depuis le début pour leur faire voir ce qu’ était le 15ème dans les tranchées[43].

 

En témoignent aussi les souvenirs d’un soldat du 163ème de Nice que nous avons personnellement recueillis. Blessé à Verdun en 1916 il est arrivé à Talence dans le service du Professeur Cavaillé.

Il raconte:

 

 […donc, le matin du 23 juin un infirmier vint me chercher dans la salle où j’étais et me conduisit au professeur. Je fus très étonné de ses paroles et du langage qu’il me tint car il n’y avait aucun rapport avec mon cas de blessure. Certes, parce que j’étais d’un régiment du midi il me traita d’antipatriote, anarchiste, socialiste et même révolutionnaire. Voici textuellement comment il me recevit (sic)

-Ah ! ah ! ce 163ème régiment, vous êtes de la Corse ?[44]

-De Nice, Monsieur le Major.

-Ah, de Nice, ce sont de bons régiments les régiments du midi, n’est ce pas !

Comprenant la chose, je ne répondis pas et le laissai causer car je compris que mon intérêt était de ne rien dire.

Il causait avec les dentistes qui l’entouraient et c’est à ce moment qu’il dit ces paroles graves contre les gens du midi et moi-même.

-Ah, ces gens là, ces hommes de la crosse en l’air[45] qui sous prétexte du soleil du midi qui mûrît leurs idées sont la plupart, des révolutionnaires anarchistes et antipatriotes et si nous avions eu à faire qu’à eux, il y a longtemps que nous serions sous la botte allemande. Il raconta ensuite un tas d’histoire et dit même que quand il était au front il avait fait punir des hommes toujours du midi qui avaient des blessures louches….]

 

Le Général Espinasse avait, par ailleurs, d’autres soucis.

Toutes les déprédations commises, au début de la guerre, par les troupes en cantonnements, et elles étaient nombreuses, étaient, évidemment, mises au

compte des soldats originaires du sud de la France, et comme il existait un "fond de réparation des dommages subis par les civils ” dans la zone des Armées, les plaintes s'accumulèrent.

À la date du 9 octobre 1914, on relève dans "le courrier départ” du Prévôt du 15ème Corps, le Chef d’Escadron Magnier, originaire de Pierrefitte, ces quelques lignes qui montrent l'état d'esprit des militaires du cru vis à vis des soldats du sud de la France.


“ J'ai l'honneur de vous exposer que le 26 septembre 1914, le garde forestier Jeannot, de Pierrefitte sur Aire, accompagné du Brigadier de Gendarmerie Couillard, a surpris le Caporal boucher Borret de la 15ème section des commis et ouvriers d'administration en flagrant délit de vol avec effraction, dans une maison que je possède dans cette localité […] ”

 

Suit une longue énumération visant à faire payer les dégâts par la 65ème Division de Réserve, où l'on relève cette phrase révélatrice:

 

“ …pour s'introduire dans l'habitation et y soustraire d'abord des légumes puis autre chose ensuite sans doute, imitant ainsi le pillage et le brigandage commis dans les communes environnantes par les troupes du 15ème Corps d'Armée ”

et qui se termine ainsi, comme si cela constituait à ses yeux, une circonstance aggravante:

"Je crois devoir faire remarquer que le Caporal Borret est originaire de Marseille bien que n'appartenant pas à une formation du 15ème Corps" .

On trouve dans le “ courrier sortant du 15ème CA ”, à la date du 15 septembre, une lettre du Général Espinasse au Général Sarrail Commandant la 3ème Armée dans laquelle on relève les phrases suivantes:

 

“  […] Je me permets toutefois de faire remarquer que dans la région que nous venons de traverser, des actes de pillage très graves, imputables, en grande partie, à des unités étrangères au 15ème CA, ont été constatés. Leur examen semblerait prouver qu’il existe à la suite des troupes une organisation de vol avec complicité des civils. C’est aussi l’avis du Commandant de Gendarmerie[46], dont je vous adresse ci-joint un rapport. […] ”

 

De fait, les nombreuses correspondances de soldats du midi évoquant cette période font souvent état de leur écœurement devant le pillage des maisons.

A la date du 25 octobre, un autre courrier du Général Espinasse s’interroge sur le bien fondé de ces plaintes:

 

“ ….j’ai cru devoir moi-même, après lecture de ces divers documents, prescrire un complément d’enquête que j’ai confié à M. le Capitaine de Gendarmerie, Prévôt de la 30ème Division, dans la zone de cantonnement de laquelle se trouve en ce moment Froméreville. Les renseignements recueillis par cet officiers ne concordant pas d’une façon absolue avec ceux dont ont fait état M. le Général de Division, Gouverneur de Verdun, et Mr le Général commandant le 3ème secteur, il ressort clairement qu’à l’époque où les faits se sont passés un certain nombre de corps appartenant à la défense de la Place [47] ont utilisé le cantonnement de Froméreville notamment les 124ème et 303ème régiments d’infanterie, les 3ème, 5ème, 25ème Régiment d’Artillerie. […]

 

Autre conséquence directement liée à l'échec de la tactique prévue par le plan XVII et à l’un des arguments imaginés pour cacher la réalité, fut de porter la plus grave des accusations contre les hommes. Elle n’était d'ailleurs pas limitée au troupes du 15ème CA.


Elle consistait à dire qu’ "un nombre anormal de blessures à la main met provisoirement hors de combat les hommes qui en sont atteints ” et “ […] qu’il apparaîtrait d’autre part que beaucoup de ces blessures seraient volontaires…" [48]

 

Une correspondance du Général de Lamothe[49], Directeur des Etapes et Services, affirme qu'à la suite de la comparution du soldat Boudet, du 101ème RI de Dreux, blessé à la main le 6 ou 7 octobre 14, il y aurait eu 70 soldats jugés pour la même blessure. Si cette affirmation est vraie, on peut en conclure que le problème était grave et ne touchait pas que le 15ème CA. Ce que confirme l'instruction 4872 du GQG datée du 12 septembre 14.

 

Il m'a été rendu compte que des faits de mutilations volontaires s'étaient produits dans les Armées.  Pour qu'il y ait refus d'obéissance, en effet, au sens de             l'article 218 du Code de justice militaire, il n'est pas nécessaire qu'il y ait un refus exprimé.

La mutilation volontaire dont se rend coupable un militaire constitue, suivant les espèces et d'après les circonstances particulières à chaque affaire, soit le crime de "refus d'obéissance" soit le crime de "abandon de poste" verbalement ou    manifesté par une démonstration extérieur; il suffit que l'ordre donné n'ait pas été exécuté par suite d'une intention arrêtée de ne pas se conformer à cet ordre. Le militaire qui se mutile lorsqu'il est commandé pour marcher contre l'ennemi ou tout autre service, agit avec l'intention arrêtée de ne pas se conformer à cet ordre, il tombe donc sous l'application de l'article 218 du Code de justice militaire.

D'autre par, il est des circonstance où la mutilation volontaire doit être considérée comme constituant le crime d'abandon de poste prévu et puni par l'article 213 du même Code. En ayant recours à cette fraude pour se mettre dans l'impossibilité d'être maintenu utilement dans le poste qui lui a été confié, le                       militaire coupable ne fait autre chose que de se soustraire à l'exécution de l'ordre qui l'obligeait à être présent à une place déterminée. Le "poste" doit, en effet être pris dans le sens le plus étendu et signifie "l'endroit où le militaire doit être présent pour l'accomplissement de son service"

 Je vous prie d'assurer la répression des actes de mutilation volontaire, conformément aux dispositions de la présente instruction que vous voudrez bien porter à la connaissance des troupes"

 

Lorsqu'on ajoute à cette interprétation qui aggrave les sanctions en les hissant au niveau de la peine de mort, la suspension, dés le 12 août, à la demande de Messimy, de la faculté de former un recours en révision et la mise en place des Conseils de Guerre spéciaux par le décret Poincaré du 6 septembre 14, on peut raisonnablement penser que pour avoir du se doter d'un arsenal aussi répressif, il fallait que les Généraux fussent affrontés à de graves problèmes[50].

Les correspondances des soldats et la lecture soigneuse des archives des CA révèlent en effet un malaise profond, si profond que les EM s’en émeuvent.

Fortement secoués par les premiers jours de guerre, traumatisés, les jeunes soldats dont l’encadrement est très insuffisant en quantité ou ne fait pas preuve d’une irréprochable compétence, tentent d’échapper au massacre.


Le 10 septembre, le Général Espinasse écrit qu’[51]: “ un  grand nombre d’hommes quittent leurs unités pendant le combat ou pendant les marches et se cachent en arrière dans les couverts. Le fait s’est encore produit hier pendant le combat. […] ”

Le novembre 1914, dans la correspondance d'un jeune Auvergnat du 305ème RI - donc pas du 15ème CA-, nous relevons [52]:

 

 […] Si je ne vous l'ai pas écrit plus vite c'est que je n'ai pas pu, nous avons tentés une attaque mais elle a mal réussi, ils sont pas nombreux contre nous mais ils ont des mitrailleuses bien postées et à mesure qu'on sortait des tranchées ils nous fauchaient et vous pouvez croire si on y est rentrés de nouveau dans les tranchées on sonnait la charge mais personne plus n'a voulu marcher...(NDA: rien n’a été changé au texte)

 

Il y revient le 19 novembre:

:

[…]  on en fera peut être plus des assauts parce que nous ne voulons plus marcher autrement on y resterait tous; c'était le troisième et les trois fois presque tous ceux qui sont sortis ont été touchés mais moi je n'ai rien attrapé parce que je ne suis pas sorti à la compagnie il n'en est sorti que trois, on est à 100 m des autres alors c'est facile à se tirer…

Ces refus, manifestés si tôt dans la guerre, ont été, il faut bien en convenir, complètement occultés, mais l'étude de la série SHAT 19 N 297, 298, 299 montre que du 1 er septembre au 8 décembre 14 , il y a eu, à la 2ème Armée, au moins 18 exécutions capitales connues[53]. Ce qui donne la mesure du problème.

En étudiant  les" Pièces annexes "de la 30ème DI, nous avons trouvé un document qui confirme cette tendance. Il s’agit d’un ordre rédigé après une attaque dans le secteur de Bethincourt

 

" […] Je vais m’occuper de faire transporter mon dépôt à Béthincourt où les bataillons pourront envoyer des corvées régulières pour se ravitailler. Je vous demanderai de bien vouloir faire établir un service de surveillance à Béthincourt   pour que le ravitaillement par les corvées se fasse régulièrement. Que personne ne reste dans le village ! Mon officier porte drapeau dirigera la distribution"

 

Si le Lieutenant -Colonel Tantot précise que personne ne doit rester dans le village c’est il vient d’apprendre que certains des hommes envoyés en corvée de ravitaillement se débrouillaient pour ne pas remonter en ligne, se faisaient porter malade ou même désertaient. Un état des disparus confirme cette habitude.

Le 19 décembre à Ippecourt, il manque 6 soldats à l’appel de la 6ème compagnie, 3 à lcelui de la 12ème, le 21 décembre au Moulin de Raffécourt, 1 soldat de la 8ème compagnie.

Le 30 décembre, tous sont portés présents par le colonel Tantot. Ce qui signifie probablement qu’ils sont revenus au Corps sauf un qui sera condamné pour désertion et fusillé le 30 mars 1915.


Avant de conclure, il convient aussi de dire que l’image idyllique, diffusée jusqu’à ces dernières années, de soldats partant à la guerre la fleur des champs au fusil, dans des trains décorés d’inscriptions viriles et “ montant ” au combat en chantant, ne “ colle ” pas avec la réalité. J.J Becker a tenté de rectifier quelques-uns de ces lieux communs d’un patriotisme de pacotille mais il est resté dans les généralités.

Les historiens de 14-18 le reconnaissent aujourd’hui, le 15ème CA, en août 14, se battit comme les autres CA et, en tout cas, aussi bien que les CA dit “ d’élite ”. Ses pertes en témoignent.

En août 39, la mémoire du 15ème Ca fut honorée mais pour ne pas remettre en cause les déclarations de Joffre, on mit en exergue le rôle majeur que les "troupes du sud" avait joué du 7 au 13 septembre 14, dans un des épisodes glorieux de la bataille de la Marne: la bataille de VASSINCOURT. L'étudier en détails sortirait du cadre de ce travail. Signalons cependant que des jugements hâtifs coûtèrent la vie à plusieurs malheureux du 112ème RI exécutés sans beaucoup de discernement, simplement parce qu'ils étaient du 15ème CA et qu’il fallait faire des exemples pour terroriser les autres. En témoigne le tragique destin du Chasseur Odde de Six fours, une des pages les plus douloureuse de l’histoire du 15ème Corps

Le général Sarrail, le Général Carbillet, président le Conseil de guerre de la 29ème Division, le médecin militaire Cathoire, ont, à divers degrés, la responsabilité d’avoir fait condamner des soldats accusés à tort de s’être mutilés devant l’ennemi.

Le médecin-major Cathoire qui avait été appelé, de nuit, en plein combat, à examiner huit blessés suspectés de mutilation, signa 6 certificats concernant un nombre égal de soldats atteints de diverses blessures lors des combats, et les transforma en autant de blessures volontaires.

Le Conseil de Guerre de la 29ème Division fut réuni le 18, et sans instruction préalable, ainsi que le permettait l’article 156 du Code de justice militaire, sans interrogatoire, et sans qu’aucun témoin n’ait été entendu, prononça, sans appel en recours, 6 condamnations à mort.

L’exécution eu lieu le 19 septembre 1914 [54]

La chambre criminelle de la Cour de Cassation, dans son audience du 12 septembre 1918, a cassé et annulé le jugement du Conseil de Guerre permanent de la 29ème Division et déchargé la mémoire de Odde de la condamnation prononcée contre lui.

Voici une partie des attendus:

"Attendu que ces certificats ont été dressés le même jour et dans des termes presque identiques à ceux que le même médecin major a fournis relativement aux soldats Arrio et Giovanangeli, condamnés à la peine de mort par le même jugement et dont les condamnations ont donné lieu à des révisions précédemment prononcées par la Cour.

[…]


En ce qui concerne Odde: attendu que le chef de bataillon Jullien, cdt le 24e BCP, le capitaine Dubois, les sous-lieutenants Bergez et Engler; l'adjudant Belar, le sergent-major Groc; les soldats Destorp, Cauquil et Monnier appartenant à ce même  bataillon, entendus comme témoins postérieurement à la condamnation du chasseur Odde, ont déclaré que ce militaire ne méritait que des félicitations sur sa manière générale de servir; que c'était un excellent soldat, très discipliné, ayant toujours eu une belle attitude au feu et s'était fait remarquer par sa bravoure et son sang-froid aux affaires de Lorraine et de la Mame (Dieuze, Xermaménil, etc.), que notamment le commandant Jullien a spécifié que Odde était un agent de liaison très brave et très courageux, dont l'attitude au feu avait été superbe jusqu'au jour où il avait été blessé et qui était parfaitement connu et estimé à sa compagnie, que le sous-lieutenant Engler et le soldat Metge ajoutent que tous, gradés et chasseurs, ont été surpris lorsqu'ils ont appris sa condamnation; qu'il avait comme agent de liaison la confiance de l'officier commandant la compagnie, le capitaine Pillard, tombé depuis au champ d'honneur, qui a été particulièrement surpris du jugement et a dit devant ses hommes: " Je ne crois pas à une mutilation volontaire.  […]

Attendu qu'il ressort de ce qui précède que les soldats Tomasini, Odde, Gauthier et Pellet n'ont pas commis le crime d'abandon de leur poste en présence de l'ennemi par suite de mutilation volontaire qui leur était imputé et qu'ainsi il ne subsiste rien à leur charge qui puisse être qualifié crime ou délit; que, d'autre part, l'action publique est éteinte à l 'égard de Tomasini, Odde et Gauthier, par la mort de ces condamnés; que, dès lors, il y a lieu, aux termes des paragraphes 5 et 6 de l' article 445 du Code d'instruction criminelle de prononcer la cassation sans renvoi.

Par ces motifs, casse et annule le jugement du conseil de guerre permanent de la 29ème DI en date du 18 septembre 1914 qui a condamné les soldats Tomasini, Odde, Gauthier et Pellet à la peine de mort; décharge la mémoire de Tomasini, Odde et Gauthier des condamnations prononcées contre ces militaires; dit n'y avoir lieu à renvoi; ordonne l'affichage du présent arrêt dans les lieux déterminés par l'article 446 du Code d'instruction criminelle et son insertion au JO; ordonne également que le présent arrêt sera imprimé […]

 

Odde ayant été fusillé, et sa famille ayant reçu l’avis que son fils était mort sans honneur, le chef d’escadron de gendarmerie de Toulon se rendit au mois de mars 1919, sur les ordres du gouvernement, à Six-Fours, et porta les excuses et regrets du Président de la République devant le Conseil municipal et les habitants de la commune. Le plus haut magistrat de la Nation avait à s’excuser de l’erreur de Messimy, du docteur Cathoire, et des membres du Conseil de guerre de la 29ème Division qui manquaient à la cérémonie

Le 31 octobre 1914 , pour des raisons qui tiennent probablement aux événements ayant suivi la bataille de Morange, le Général Espinasse avait été  remplacé, à la tête du 15ème CA, par le Général Heymann dont la première initiative fut de lancer un vaste mouvement tournant parmi les cadres.

 [ Depuis ma prise de commandement je me suis efforcé de prendre un contact étroit avec tous les corps de troupe du CA pour en connaître l’état d’esprit et me rendre compte de la manière dont le commandement y était assuré.

De cet examen, comme des incidents et combat qui se sont produits sur le front du CA, il résulte que les réservistes et territoriaux qui constituent actuellement le fond des régiments sont très disciplinés mais qu’ils possèdent une instruction militaire médiocre et sont en général apathiques.


Quand à leurs officiers, provenant en grande partie des mêmes régions que le contingent, il m’a semblé qu’ils ne réagissaient pas toujours suffisamment contre la mollesse naturelle des troupes et ne faisaient peut-être pas les efforts suffisants pour leur donner de l’allant et l’esprit offensif qui leur manque…]  [55]

 

Le Général Colle céda donc sa place au Général Berge à la 30ème DI.

Pourtant, beaucoup plus tard, dans un journal du Sud Sarrail écrira,

 

"  Le 15ème CA m'a été envoyé au moment de la Bataille de la Marne. Sa venue m'était annoncée par une lettre où il était chargé de tous les péchés.

Il a répondu à tout ce que je lui demandais.

C'est même le seul corps de mon Armée qui, lors de la bataille de la Marne, a enlevé des canons et pris un drapeau"

 

Nous versons ce travail modeste au dossier du 15ème CA, au côté, de celui du Préfet Belleudy. Il fait avancer, nous semble-t-il, la question et ramène les tentatives de politisation de l'affaire à de justes proportions.

 

Dans cette "affaire du 15ème CA", Joffre et Clemenceau n'ont pas joué un très beau rôle. Le premier parce qu'il n'a pas été capable de prendre à son compte l'échec des premières offensives, le second parce qu'il n'a pas eu le courage politique de prendre position sur la question. Il est vrai que depuis 1907 et la crise viticole, il se méfiait des soldats du midi [56].

Ajoutons qu'il n'y a pas, dans l'histoire militaire de notre pays un autre exemple de général qui ait osé publiquement faire porter à ses troupes, officiers et soldats, la responsabilité d'un échec.

 

Claude CHANTELOUBE

 

Ecrire à Claude

 

Voir les travaux de Monsieur le secrétaire de Mairie de Lagarde.

 

 


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[1]     On ne peut pas, en évoquant cette période, passer sous silence ce que Foch disait du 20ème CA: “[…]. Le désir est si grand de marcher à l'ennemi et de se mesurer avec lui, il est accompagné d'un tel mépris du danger qu'on peut seulement redouter de le voir l'affronter parfois d'une façon inconsidérée. "Cité par le Général Weygand dans son Foch"

[2] Ce jour là, 45 hommes du 40ème RI dont le Capitaine Bellisème, viennent s'ajouter à la liste déjà longue des morts de Lagarde.

 

[3] Foch.  Editeur Flammarion

[4]  On doit entendre: parce que les armées de gauche sont en grand souci

[5] Le Capitaine Armengau qui commandait alors une des cinq escadrilles de reconnaissance de la 1 ère Armée raconte dans ses Mémoires qu’il si fut grossièrement rembarré par le Général Duchêne lorsqu’il vint prendre ses instructions au PC du 20ème CA, qu’il revint au Pc de la 2ème Armée..

[6] On reprochera, plus tard à Castelnau d’avoir employé des termes qui ne laissaient pas de place à la prudence

[7] Dans ses Mémoires, Foch, parlant du 20ème C.A. qu’il commandait en 1914, écrira:  […]. Le désir est si grand de marcher à l'ennemi et de se mesurer avec lui, il est accompagné d'un tel mépris du danger qu'on peut seulement redouter de le voir l'affronter parfois d'une façon inconsidérée. Dans mon commandement d'avant-guerre, mes efforts avaient uniquement tendu à éclairer encore et à raisonner dans le corps d'officiers cette magnifique ardeur, source de toutes les énergies et, par là, de tous les espoirs. Il était inutile de l'exciter. Mais il y avait lieu de la mettre en garde, devant la difficulté de la tâche, contre la précipitation ou le manque d'ensemble dans l'emploi des armes. Heureux les chefs qui n'ont qu'à guider des volontés si ardentes.

[8] Xavier, un des fils de Castelnau y servait comme Lieutenant.

[9] Le régiment de Turenne que Castelnau avait commandé.

[10] Il y laissera une dizaine d’officiers, tués ou blessés.

[11] Messimy démissionna à la suite de la publication de l'article et publia, plus tard, des jugements plus que sévères à l'encontre de Joffre dont il avait subit, un temps, l'emprise.

[12] Sa teneur nous est connue par une transcription qui se trouve dans la série des télégrammes adressés par Joffre au ministre de la Guerre.

[13] On notera que Joffre évite de signaler que le 20ème et le 16ème C.A. se sont aussi repliés, on notera avec une pointe d’ironie que faire replier en avant est plus difficile !

[14] Le général Tournés, qui était alors capitaine au 3ème bureau de la 2ème Armée, révélera, après la guerre, qu'en septembre 1914, Duchêne avait fait refaire entièrement le journal de marche de la 39ème DI. Un coup d’œil sur sa carrière montre qu’il se maintint grâce à l’appui de Foch lorsque de Castelnau le releva de son commandement en juillet 1915. Lorsqu’il ne se conforma pas aux ordres de Pétain le 27 mai 17, il fut “limogé “ par Clemenceau.

[15]  Sur ce point voir les Mémoires du Général de Castelnau

[16] Au cours de laquelle, Clemenceau, sénateur de Draguignan, ne prit qu’avec mollesse la défense de “ses” électeurs.

[17] Ou renvoyés dans des postes subalternes à l'intérieur. Le Général Pourradier-Duteil se retrouva à Clermont Ferrand, commandant de la 13ème région territoriale.

[18] Une curieuse erreur, que l’on retrouve aussi chez P. Miquel, laisse croire que l’on n’avait pas eu le temps de mettre en pratique le dernier règlement d’infanterie. Il n’en est rien. Il le fut, et sous la direction de Castelnau.

[19] En particulier le Général Faurie commandant le 16ème CA, rendu responsable de la mauvaise tenue de ses troupes. Le général Faurie était le successeur de Castelnau à la tête du 2ème bureau de L’EM.

 

[20] Ce télégramme porte le n°1788, il est parvenu, décodé, au Cabinet à 10 H 30.

[21] Le 28 août 14, le futur Maréchal Fayolle écrira: […] Le procédé de nos adversaires me paraît se résumer en ceci: offensive stratégique, défensive tactique. Ils se laissent attaquer, placés derrière de solides tranchées, et brisent nos tentatives par le feu, puis contre-attaquent des troupes épuisées par les pertes qu'elles viennent de subir. Leur artillerie est parfaitement invisible, contrairement à ce qu'on prétendait... (Maréchal Fayolle. Cahiers secrets )

[22] Rappelons, au passage, que ces opérations ont été menées par des Chasseurs Alpins,-en particulier ceux du 27ème BCA de Nice, recrutés dans le Midi

[23] Vu par les soldats, cela n’aura pas que des aspects négatifs car ce manque de confiance est probablement à l’origine de la mise en réserve de la 59ème Brigade dans la Bataille de Champagne en septembre 1915.

[24] Au début de 1915, l’affaire Villy, montée de toutes pièces déclencha une véritable campagne de presse nationale. Les partisans d’Action Française, Barrés en tête, accusèrent, en termes ignobles, les habitants du Midi de trop bien recevoir une dizaine d’officiers allemands libérés sur parole et assignés à résidence à Draguignan..

[25]  Voir Mémoire de la Grande Guerre au pays du Sânon. Ed  Les foyers ruraux, Lunéville.

[26] Mémoire de la Grande Guerre au pays du Sânon. Les foyers ruraux, Lunéville.

[27] 26èmeRI, 69ème RI, 79ème RI,

[28] On attendra septembre, si l’on fusille, il n’y en a pas de trace !

[29] Voir listes des officiers tués, blessés, disparus en annexe.

[30] Fin novembre 14 le général Berthelot fut remercié par Joffre qui lui donna le commandement d’un  groupe de Divisions de réserve. Fin janvier 15 à la suite d’un échec grave en Artois sur le plateau de Croüy, il fut “recasé "à la tête la 53ème DR. Il y remplaça Grandmaison qui prit sa place à Soisson et s’y fit tuer quelques semaines plus tard.

[31] En partie responsable de l’échec de l’offensive Nivelle de 1917.

[32] Revue des Deux Mondes du 1.9. 1921

[33] “La bataille de Lorraine“  Archives bavaroises 1929. Confirmation dans Fayolle.

[34] Il convient de noter ici que Xavier de Castelnau, fils du général, fut tué le 20 août à Pévange et que Germain Foch trouva la mort le 22 à Gorcy dans la région de Longwy au cours de l’offensive de la 3ème Armée.

[35] Cela n’a d’ailleurs rien de surprenant dans une région où tous les cadres administratifs, depuis cinquante ans, étaient formés en Allemagne.

[36] Ils eurent d'ailleurs gain de cause puisqu'un des premiers actes de Joffre fut de suspendre l'application de la séparation des Eglises et de l'Etat dans les territoires repris à l'ennemi.. Dossier 7 N 1976 Alsace Lorraine (SHAT)

[37]  idem

[38] Chacun sa guerre. 596 lettres d’un jeune Marseillais au front. C. Chanteloube

[39]  Voir page 44

[40] 3ème Armée I er Bureau  Personnel 104/P. Une preuve de plus que le Haut Commandement était déconnecté des unités aux combat.

[41] Allusion à la bataille de REVIGNY

[42] Chacun sa guerre. 596 lettres d’un jeune Marseillais au front. C. Chanteloube

 [43]idem

[44]  Confusion avec le 173ème RI

[45] Allusion aux évènements de 1907 lorsque le 17ème de ligne refusa de tirer sur les vignerons de l'Aude.

[46] On ne peut suspecter les gendarmes de complaisance quand on sait qu’ils sont souvent originaires de la région de stationnement des unités.

[47] Donc du 20ème CA

[48] 1er Bureau XVème C.A note 1601, 12 septembre 14

[49] Dossier 19 N 297, 298,299

[50] Rappelons aussi ici, que du 12 août au 1 er septembre 14 le Président de la République, à la demande du ministre de la Guerre, s'était dessaisi, en partie, de son droit de grâce.

 

[51] EM 5490 P

[52] Nous le citons parce que nous n'avons jamais lu ailleurs un refus exprimé avec autant de franchise- ces propos révélateurs:

[53] Nous disons bien exécutions et non condamnations.

[54]   Témoignage de Laurent Gassin: "19 septembre: Nous partons à 10 heures du matin. Le régiment se rassemble dans un champ avec le CHR et le drapeau au centre. Nous fusillons un chasseur du 24ème et un soldat du 173ème pour s'être mutilés volontairement, un autre est dégradé pour "abandon de poste "Le régiment défile devant leurs cadavres, baïonnette au canon ". Archives recueillies par l'association Var 14-18

 

[55] Lettre au Général Sarrail, brouillon non datée mais forcément postérieure à sa prise de Commandement du 31. (SHAT   Dossier 15ème CA)

 

[56] On se souviendra que le 21 juin 1907, les soldat du 17ème de ligne, envoyés par Clemenceau pour réprimer les manifestations des viticulteurs, mirent les crosses en l’air, à Beziers sur les allées P. Riquier.