( juin à oct. 1915 )
Les actions qui eurent
lieu au Lingekopf se rattachent à une opération de grande envergure qui fut
élaborée dans les premiers mois de 1915. Le Haut Commandement français
envisageait une série d'opérations offensives ayant pour but de nous donner la
possession de la haute vallée de la Fecht et de Munster. Entre sa conception et
son exécution, cette opération fut l'objet de nombreuses modifications tant au
point de vue de l'étendue du front d'attaque que de l'importance des effectifs
à y engager et des résultats qu'on en espérait.
Le projet d'opérations auquel on s'arrêta, le 30
juin, prévoyait, dans sa première phase, une offensive vigoureuse de la 129e
division avec sa brigade de droite sur la position LingekopfReichakerkopf, et dans
sa seconde phase la poursuite de cette action offensive se développant en
direction générale de Munster.
Une petite opération, exécutée pendant la nuit du 19
au 20 juin par quatre compagnies du 30e
bataillon de chasseurs et deux compagnies du 59e régiment
d'infanterie territoriale, avait déjà attiré l'attention
sur la région du Linge. Le but était de prendre pied, par surprise, dans le
saillant ouest du Linge.
L'attaque part en deux colonnes : à droite,deux
compagnies dont une de territoriale; à gauche, trois compagnies dont une de
territoriale et une compagnie de chasseurs en réserve.
Mais à peine les troupes sont-elles sorties de la
parallèle de départ que les Allemands lancent trois fusées du saillant ouest du
Linge. A ce signal, la ferme Combe s'enflamme et nos troupes sont immobilisées
par l'incendie qui éclaire le terrain comme en plein jour. Elles regagnent
leurs tranchées.
Craignant d'avoir éveillé prématurément l'attention
de l'ennemi et contrarié par le mauvais temps, le général de Maud'huy,
commandant de la 3e Armée, décide de remettre l'attaque au 20 juillet.
L'objectif à enlever était le massif connu sous le
nom du Lingekopf-Schratzmännele-Barrenkopf. Ce massif, vu des positions
françaises de l'Hornleskopf, barre complètement l'horizon.
La crête se profile du nord au sud, d'abord en pente
régulière jusqu'au sommet du Linge, descend faiblement jusqu'au Collet, qui
emprunte la route du Hohneck, et remonte ensuite par une pente rapide jusqu'au
sommet du Schratzmännele. Les pentes sont très boisées ; mais à travers
certaines éclaircies, on se rend compte que vers le sommet les pentes sont
abruptes, le terrain très rocheux et bouleversé.
Des blocs de rochers entassés les uns sur les autres
forment des éboulis, des chaos où la marche semble devoir être très pénible.
Vers l'ouest, ce massif est précédé par une vallée dénudée et marécageuse,
parfaitement vue du ravin des Chênes qu'occupe l'ennemi; le massif domine la
vallée d'environ 200 mètres. Cette disposition du terrain rendra
particulièrement difficile l'établissement de nos communications, qui doivent
passer par cette vallée.
Après
les premières opérations, quand le massif eut été en partie déboisé par les
obus, les difficultés du terrain se révélèrent encore plus considérables; le
Linge dévoila des rochers à pic qui
s'opposaient à toute progression. Les défenses accumulées par l'ennemi: réseaux
profonds de fils de fer, grillages tendus, réseaux plantés au ras du sol et
enchevêtrés aux lianes et aux ronces naturelles, tranchées à fleur de terre qui battaient
de leurs feux ces réseaux, blockhaus et abris bétonnés qui protégeaient les
mitrailleuses, disposition des pentes ouest que nous attaquions, exposées au
feu de l'artillerie ennemie qui prenait de flanc, et même de dos, les troupes
montant à l'assaut, faisaient de ce massif Lingekopf Schratzmannele
Barrenkopf une région qui paraissait défier les attaques des troupes les plus
braves.
L'attaque
de cette formidable position était confiée pour la partie
Lingekopf-Schratzmannele à la 3e brigade de chasseurs, commandée par le colonel Brissaud, appartenant à la
129e division, et pour la partie Schratzmannele-Reichakerkopf à la 4e brigade,
commandée par le colonel Lacapelle, appartenant à la 47e division.
Les
opérations de la 4e brigade (6e, 23e, 24e et 46e bataillons de chasseurs) n'eurent que peu
d'importance et furent exécutées dans les journées des 20, 21 et 22 juillet.
Elles aboutirent à la prise du Petit-Reichaker.
A la 129e division devait
revenir l'honneur et la gloire de conquérir le Linge. La 3e brigade se
composait des 14e, 22e, 30e, 54e et 70e bataillons de chasseurs. Le 20 juillet, le 14e bataillon s'était approché de la côte
du Linge, mais n'avait pu atteindre le sommet défendu par de puissantes
tranchées garnies de forts grillages ; le 54e bataillon, qui avait bravement
débouché, était arrêté dans sa progression vers le mamelon du Schratzmännele
par d'épais réseaux et des grillages flanqués de mitrailleuses.
Il
ne lui restait que quatre officiers et il avait dû se replier. A droite, le 22e bataillon avait été refoulé dans sa
parallèle de départ. Il devenait nécessaire de procéder à une attaque
méthodique.
Le
21 juillet
fut employé à préparer cette action qui comprenait une attaque principale,
commandée par le lieutenant colonel Messimy, ayant comme objectif la crête du
Linge, et une attaque secondaire de deux compagnies du 7e bataillon de
chasseurs sur le
collet du Linge. Le détachement Messimy comprenait deux compagnies du 14e
bataillon et quatre compagnies du 3e.
Malgré
l'héroïsme déployé par les chasseurs qui se lancèrent sept fois à l'assaut, nos
progrès furent arrêtés sur un terrain d'un parcours extrêmement difficile,
défendu par une série de blockhaus et par un gros ouvrage construit aux
extrémités des boyaux descendant du Schratzmannele.
Les
journées des 23, 24 et 25 juillet furent consacrées à remettre de
l'ordre dans nos troupes, à assurer à pied d'oeuvre un matériel offensif
considérable et à étudier la prochaine attaque.
A
cette date du 23 juillet, le général de Maud'huy décidait de porter
tout son effort sur le front de la 120e division.
L'action
prévue pour le 26 juillet doit avoir lieu dans les conditions suivantes
: on attaquera successivement le Lingekopf, puis le collet du Linge et enfin l'arête
du Schratzmannele.
La
3e brigade est chargée de mener cette offensive avec cinq compagnies du 14e bataillon de
chasseurs et
trois compagnies du 3e, tandis que la 5e brigade exécutera, avec le 120e bataillon, une opération secondaire
sur les défenses de la lisière sud du bois du Linge, au point où la route du
Hohneck coupe cette lisière.
Le
lieutenant-colonel Messimy, adjoint au colonel commandant la 3e brigade, est
chargé de commander l'attaque principale. L'attaque doit déboucher entre deux
flancs défensifs, solidement installés et ainsi constitués :
Flanc
sud. -- Le 54e
bataillon et une
compagnie du 14e.
Flanc
nord. -- Trois
compagnies du 3e bataillon et une compagnie du 359e d'infanterie.
L'attaque
avait été fixée à 18 heures; mais, débouchant des tranchées huit minutes auparavant,
les chasseurs
des 14e
, 30e
bataillons
gravissent les pentes occidentales du Linge et atteignent le sommet à 18
heures, en même temps que les derniers obus de 75.
Le
sommet et toute la crête du Linge sont enlevés.
Bousculés
, les chasseurs furent relevés par une partie du 5e et une
fraction du 106e. Le 5e
bataillon profita de l'accalmie pour progresser quelque peu
vers les pentes ouest du Schratzmannele.
Le 29 juillet, le 5e
bataillon de chasseurs est lancé à l'attaque sur le
front collet du Linge mamelon du Schratzmannele, après une courte mais intense
préparation d'artillerie.
Il progresse jusqu'au changement de pente à l'ouest
de la crête; là il est arrêté par le feu des mitrailleuses. L'ennemi lance
plusieurs contre-attaques dont la plus furieuse est exécutée à 17 h30 par les
chasseurs de la Garde.
Ces réactions échouent toutes et le 5e
bataillon de chasseurs, cramponné au changement de
pente, conserve ses positions.
Les jours suivants, 30 et 31 juillet, le
calme règne dans la région du Linge, interrompu parfois par de violents
bombardements qui n'empêchent pas nos chasseurs de travailler activement à
renforcer leurs positions.
Le général Nollet décida, le 1e août, de
reprendre l'offensive sur un plus grand front.
La 3e brigade doit attaquer, avec le 5e bataillon de
chasseurs, sur la crête nord du Schratzmannele, tandis que la 5e brigade
attaquera, avec le 15e bataillon, depuis
le sommet du Schratzmannele jusqu'aux carrières, et avec le 115e sur le
Barrenkopf.
L'attaque a lieu à 19h30; et là encore, nos
chasseurs suivant les obus de 75, atteignent facilement les tranchées
allemandes et les dépassent
même.
Mais notre droite est arrêtée par des feux
d'infanterie et de mitrailleuses, et nous ne pouvons atteindre le sommet du
Schratzmannele dont les ouvrages défensifs tiennent toujours.
Le colonel Brissaud décide de tenter, le 2 août, à 3
heures, une attaque brusquée sur ces ouvrages, constitués par trois blockhaus
entourés d'un puissant réseau de fils barbelés. Les 5e
et 15e bataillons atteignent les réseaux, mais ne
peuvent aller plus loin et doivent regagner leurs tranchées de départ:
Il était nécessaire, pour enlever ces ouvrages,de
les faire préalablement écraser par notre artillerie. Nos canonniers s'y
emploient pendant la journée du 3 août; mais les événements qui se déroulèrent
ensuite ne devaient pas permettre d'exécuter l'opération projetée.
Le 4 août, jusqu'à 9h30, l'ennemi avait
été relativement calme. A partir de 9h30, il commença sur nos premières lignes
une série de tirs de
réglage, en même temps qu'il bombardait nos
communications avec du 150 et du 210.
A 10h30,un ouragan de feu s'abat sur nos positions et
l'intensité de cet effroyable bombardement s'accentue au cours de la journée.
Nos pertes sont graves, surtout au sommet et au collet du Linge où les
tranchées sont bouleversées et les abris démolis.
A 16h30, les vides sont tels qu'il faut faire
renforcer par une compagnie du 14e bataillon
de chasseurs, réduite à 70 fusils, et une compagnie du 30e, réduite
à 80 fusils, les défenseurs de la position.
A ce moment, l'attaque d'infanterie allemande est
déclenchée avec une violence inouïe sur le front Collet du Linge - Lingekopf.
Ne trouvant plus devant eux que quelques chasseurs
encore valides,qui luttent désespérément sur les parapets bouleversés, au
milieu des morts et des blessés, les Allemands s'emparent de toute notre
première ligne,mais échouent devant la seconde.
Une contre-attaque tentée par une compagnie du 27e
bataillon de chasseurs parvient à reprendre notre
première ligne au collet du Linge; mais nos tentatives pour reprendre le sommet
du Lingekopf échouent par suite de l'affaiblissement de nos troupes.
Le 30e bataillon
de chasseurs est presque anéanti ; une compagnie est réduite à
15 hommes, une autre à 30. Les débris des unités sont totalement mélangés, les
pertes en officiers et en sous-officiers sont énormes.
On ne peut plus songer qu'à tenir, mais non à
contre-attaquer.
On comprend que, dans ces conditions, le colonel
Brissaud ait rendu compte au général Nollet du danger de cette situation.
« Les
hommes sont exténués par le bombardement et la fatigue des derniers jours. Les
troupes sont arrivées à leur extrême limite de résistance et il est
indispensable de les relever cette nuit même par des troupes fraîches;il faut
venir immédiatement au secours des braves gens qui luttent depuis le 20 juillet
».
Aussi, dans la nuit, le général commandant la 129e
division mettait-t-il à la disposition du colonel Brissaud un bataillon du 297e
régiment d'infanterie et un bataillon du
359e deux compagnies du 27e et le 11e
bataillon de chasseurs en entier
.
Le lendemain 4 août, les
Allemands recommencent leur furieux bombardement à partir de 12h30, et
déclenchent, à 17h30, une attaque d'infanterie sur le front du 5e
bataillon de chasseurs, depuis la crête du
Schratzmannele jusqu'au collet du Linge.
Surpris un instant, les survivants du 5e
bataillon cèdent quelques éléments de leurs tranchées de
première ligne et refluent en combattant vers la ligne de soutien.
A ce moment, deux compagnies du 54e
bataillon de chasseurs et les débris du 11e
s'élancent, officiers en tête et, dans un élan admirable, chassent l'ennemi des
positions qu'il n'a occupé qu'un moment. Cherchant à profiter de la panique de
l'adversaire, les vaillants chasseurs continuent leur attaque pour s'emparer
des blockhaus du sommet du Schratzmannele; mais, bien que parvenus à 50 mètres
des ouvrages, ils ne peuvent y pénétrer et rentrent dans notre première ligne
reconquise.
La journée s'achève sans autre attaque de l'ennemi.
Le 6 août, le colonel Brissaud reçoit
l'ordre du général Nollet de profiter de l'arrivée de troupes fraîches pour reprendre
les tranchées perdues au somme du Linge. Mais les bataillons de renfort ne
peuvent parvenir que très lentement sous un bombardement incessant et par des
boyaux continuellement détruits, encombrés de cadavres et de blessés qu'on
tente d'évacuer. Il faut renoncer à cette attaque.
Le lendemain 7 août, le colonel Brissaud passe le
commandement du secteur au colonel Goybet, commandant la 81e brigade
d'infanterie, qui vient relever la 3e brigade de chasseurs.
Les tentatives ennemies pour reprendre nos positions
continuèrent, mais elles échouèrent toutes.
Une accalmie s'établit peu à peu dans cette région,
et nous en profitâmes pour réorganiser nos forces et préparer une série
d'attaques, exécutées du 18 au 23 août par les 11e,
12e, 22e et 23e bataillons de chasseurs.
Le
18, un premier assaut nous
rendait le sommet du Linge, mais nous ne pûmes nous y maintenir; les 22 et 23
août, nous nous emparâmes des redoutables blockhaus installés au sommet du
Schratzmânnele et du Barrenkopf.
Le 24 août notre offensive cessa, et
l'ennemi ne réagit que faiblement pendant une semaine.
Mais le 31 août, après une préparation formidable
d'artillerie, où les Allemands employèrent en masse obus asphyxiants et
lacrymogènes, une puissante attaque fut lancée sur tout le front; elle
n'aboutit qu'à la prise de 200 mètres de tranchées de part et d'autre du collet
du Linge, où une compagnie du 51e bataillon, à peu
près anéantie, et quelques survivants d'une partie du 12e
bataillon de chasseurs, ne purent résister aux masses
d'infanterie allemande.
On ne peut plus signaler, dans les semaines qui
suivent, qu'une nouvelle attaque générale ennemie, le 9 septembre,
accompagnée de jets de liquides enflammés, qui permit aux Allemands d'occuper
pendant quelques instants le sommet du Schratzmannele, d'où notre
contre-attaque les rejeta rapidement. Une nouvelle tentative avec jets de
liquides enflammés réussit pourtant, le 12 octobre, à
prendre pied dans notre première ligne, entre le collet du Linge et le sommet
du Schratzmannele.
Malgré l'héroïsme des chasseurs des 14e
et 30e bataillons, l'ennemi maintint sa nouvelle
position.
Le 16 octobre, une dernière attaque échoua; et
avec l'hiver qui commençait à se faire sentir, le calme revint dans cette
région des Vosges.
La position Lingekopf - Schratzmannele - Barrenkopf
était considérée â juste titre par le Commandement allemand comme ayant une
importance considérable; aussi nos ennemis n'avaient-ils pas amené moins de
trois divisions fraîches, choisies parmi les meilleures et appuyées par une
nombreuse artillerie lourde, afin de reprendre le terrain conquis par nos
chasseurs.
Mais, bombardements sans précédent par canons de
tous calibres, y compris le 380 et le 420, obus asphyxiants et lacrymogènes,
liquides enflammés, infanterie d'élite dépensée sans compter, tout échoua
devant la ténacité de nos héroïques bataillons; et pourtant certains d'entre eux
étaient composés de jeunes recrues de la classe 1915, qui attaquaient pour la
première fois.
Nos pertes avaient été lourdes; la 129e division,
entre le 20 juillet et le 25 août, perdait
Officiers : 42 tués, 111 blessés, 5 disparus ;
Troupe : 1115 tués, 7500 blessés, 94 disparus.
Mais les vides furent énormes dans les
rangs ennemis. D'après les interrogatoires des prisonniers, des sections
étaient anéanties au 188e régiment d'infanterie, des compagnies étaient
réduites de plus de moitié aux 73e et 78e régiments. Le courage et l'héroïsme
déployés par les chasseurs et les fantassins qui vinrent les relever sur les
positions formidables du Linge compteront parmi les plus beaux titres de gloire
de notre infanterie au cours de cette dure et longue campagne. Si ces vaillants
n'ont pas obtenu le succès complet, c'est qu'il y a des limites aux forces
humaines et que la supériorité morale ne peut pas, à. elle seule, vaincre la
supériorité numérique et surtout la supériorité matérielle de l'ennemi.