La prise du Mort-Homme

La prise du tunnel du KRONPRINZ

20 août 1917

 

 

L’attaque du Mort Homme fait partie de l’offensive générale du 20 août pour dégager Verdun

 

Les Français du 81ème régiment d’infanterie se couvrent de gloire

 

D’après le témoignage de René Lehmany

Le 20 août 1917, dans un irrésistible élan, le 81eme régiment d’infanterie, sous le commandement du lieutenant-colonel Rondenay, a conquis les sommets du Mort-Homme et s’est installé sur les dépressions qui lui succèdent, face aux collines boisées de Forges, après une progression de 1800 mètres en profondeur.

 

Le Mort-Homme ! Nom rauque et tragique, évocateur de combats formidables, de luttes sans merci, de duels furibonds d’artillerie, de corps à corps sans trêve de fantassins.

Dominant la ligne avancée de défense de Verdun, surplombant de ses 295 mètres la plaine de la Meuse, ses ravins et ses bois, c’était un point d’appui considérable, un observatoire impitoyable et gênant, une menace constante pour la sécurité de nos travaux et de nos veilles .

Longue et vaste colline, orientée sud-ouest nord-est, d’une structure compacte et bosselée, offrant deux sommets immenses reliés par une ondulation molle et descendant en pentes douces vers des ravins profonds et étroits, le Mort-Homme, boursouflé de mitraille, éventré, difforme, chaotique que, recelait, presque invisibles dans l’ensemble grisâtre du sol, des lignes de tranchées perfectionnées, des défenses accessoires solides, des nids de guetteurs dangereux.

 

Des tunnels sournois couraient sous ses flancs, abritaient des effectifs importants, cachant un matériel et des ressources innombrables. A l’ombre de sa butte, les mortiers de tranchées pouvaient se tapir en contre-pente; des batteries avancées, sûres de la protection, crachaient la mort à faible distance de nos lignes; les renforts et les relèves arrivaient sans encombre.

Nos lignes, rejetées, après des luttes ardentes dans l’opiniâtreté restera l’honneur de la campagne de 1916, sur les abords de la colline, épousaient péniblement les moindres accidents du terrain, dressées en pointe au Bonnet-l’Evèque, garnissant l’orée du ravin de Chattancourt, remontant sur les pentes sud du Mort-Homme et rejoignant sur les pentes sud du Mort-Homme et rejoignant le ravin de la Hayette.

Le 81eme régiment d’infanterie  avait occupé ce secteur ingrat de mars à juillet 1917.

Traqué par l’ennemi lorsqu’il essayait de faire mouvoir en plein jour le jeu des corvées et des relèves des liaisons et des travaux, il ne pouvait s’organiser que la nuit. Par son labeur infatigable et jamais découragé, il réussit à doubler ses lignes de défense et de communication.

Poussant des patrouilles osées et harcelantes, il inquiéta l’ennemi à plusieurs reprises et soutint avec un plein succès les chocs violents que le boche, énervé, lui asséna. Il attaqua même, réussit des coups de main d’une hardiesse incontestable.

La mission est la suivante : conquérir le sommet nord du Mort-Homme ( cote 256-Les Poutres), s’installer solidement sur le Plat-de-Cumont, de manière à commander la vallée Jacques, le ravin de Fargevaux et le ravin de Cumont.

La préparation d’artillerie française est considérable. Elle broie les lignes allemandes avec une méthode et une précision qui enthousiasment le poilu. Les bataillons gagnent les premières lignes à tour de rôle et se massent dans les tranchées en attendant le grand jour. Mais ces préparatifs ne vont pas sans encombre.

L’ennemi réagit furieusement. Il dirige contre l’artillerie française une contre-batterie désespérée et inonde nos boyaux de communications et nos tranchées d’un déluge de gaz asphyxiants. Nos Poilus, le masque sur la tête, triomphent des difficultés d’une pareille relève.

Ils sont gais et dispos, fulminent contre le boche empoisonneur et écoutent avec confiance la musique assourdissante de nos canons lourds. Les mortiers de tranchée pilonnent le sommet du Mort-Homme, les 155 et les 220 broient l’arrière, les 380 et les 400 s’écrasent sur les tunnels boches. Le 75 harcèle sans répit le champ de bataille.

L’attaque est pour 4h40, le 20 août.

 Dans la nuit qui précède, les bataillons, de leurs tranchées du départ, attendent avec impatience le moment décisif. Plus que jamais des gaz délétères se répandent sur nos lignes.

Avec leurs masques sauveurs, mais combien gênants, les hommes résistent, narguent la tourmente asphyxiante. Mais l’heure vient, notre barrage s’accentue, tonne, foudroie, déconcerte, assourdit.

Nos Poilus soulèvent leurs masques; et, malgré la lourdeur suffocante de l’atmosphère, malgré le barrage par obus de gros calibres que l’ennemi déchaîne, ils escaladent la tranchée, s’avancent d’un pas de souple, l’arme à la bretelle, toussant, crachant, hoquetant.

Dans l’ombre grisâtre du crépuscule, leurs silhouettes se détachent, impressionnantes.

La deuxième vague suit, puis la troisième.

Ah ! Quelles angoisses et quel calme merveilleux, angoisses de l’inconnu, calme du présent.

Les braves du 81eme régiment d’infanterie  progressent, en dit du barrage, des détonations effroyables des marmites et des énormes fusants, en dépit de l’odeur ignoble des gaz qui prend à la gorge, écœure, pique atrocement les yeux.  

Les hommes enjambent les chevaux de frise éventrés, les fils de fer projetés en tous sens dans les trous d’obus. Ils tombent et se relèvent dans les entonnoirs formidables, se suivent sans hésitation, gravissent la rude pente du Mort-Homme.

Le spectateur, des tranchées de départ, ne peut pas remarquer un seul fuyard, un seul qui lâche ses camarades. Même ceux qui sont envahis par les gaz et se traînent courageusement, même ceux-là vont de l’avant !

Le sommet est atteint. Le bataillon Lavenir le dépasse, gagne hardiment, sous la rafale des mitrailleuses allemandes et des obus, son objectif; le bataillon Pusey suit avec la même constance courageuse, va à son tour vers le deuxième objectif; le bataillon Bonnefont occupe et organise les premières lignes allemandes .

Notre artillerie française allonge régulièrement son tir, contre-bat avec une extrême puissance les batteries allemandes qui répondent au hasard, avec vigueur, mais sans précision. Les mitrailleuses tictaquent, les aviateurs français luttent avec bravoure contre les aviateurs allemands, venus en nombre, et le jour peu à peu se lève.

Dans le fracas assourdissant de la bataille, les compagnies Françaises progressent, luttent et triomphent. Les Allemands se replient, ne peuvent résister au mordent de nos grenadiers français qui défoncent à coups de grenades les mitrailleuses allemandes; Les nettoyeurs français sèment la terreur dans les abris où, ensevelis sous les décombres, recroquevillés, pris d’épouvante, les Allemands se laissent massacrer.

 

Les Allemands qui tentent de résister sont tués sur-le-champ. Et par grappes, par pelotons, parisolés, courant, titubant, mais en l’air et visages ahuris, les Allemands affluent vers l’arrière. Des ordres brefs, on les groupe, on les dirige vers le centre des prisonniers.

Les fusiliers-mitrailleurs et les mitrailleuses dirigent un feu nourri sur les aviateurs allemands. Deux avions allemands sont abattus.

Tandis que l’avance s’opère avec une régularité imperturbable et que, partout, l’ennemi cède sur le sommet, sa rabat sur les pentes nord, une première reconnaissance, dirigée par le lieutenant Teisseire, explore le fameux tunnel Bismarck.

 

Une section du génie ( lieutenant Gaulette) aide le peloton d’infanterie. Toutes les entrées sont reconnues. Nos Poilus y descendent avec d’extrêmes difficultés, car le bouleversement est général, bondissent sur les boches qui s’y trouvent et en ramènent une cinquantaine dont un officier et un feldwebel.

Les Poilus de l’héroïque 81eme régiment d’infanterie  procèdent au nettoyage du tunnel, immense galerie perfectionnée, bétonnée, courant sous les deux sommets du Mort-Homme et recelant un matériel considérable.

Un de nos gros obus a défoncé le tunnel. Les gaz délétères l’ont envahi. Nos hommes sont bientôt gênés, mais poursuivirent avec une volonté de fer leurs travaux de déblaiement, les poumons cruellement atteints, la tête lourde.

 

Le lieutenant Loubet, de la C.M., reconnaît également une partie du tunnel Kronprinz. Il étend raide mort, tout d’abord, un mitrailleur allemand qui débouche ses bandes sur son groupe, pénètre dans le tunnel, fait à lui seul cinq officiers allemands prisonniers, dont un chef de corps et un commandant, et force quatre cent Allemands à se rendre.

 

Les bataillons ont atteint leurs objectifs, non sans lutte farouche, menée par nos poilus avec un tel entrain que partout le boche recule, la rage au cœur.

Le sous-lieutenant Acquier dirige alors une reconnaissance offensive au-delà des objectifs atteints par nos poilus. Un peloton d’infanterie et une section de génie y prennent part.

Avec une audace admirable, le groupe du lieutenant Acquier explore et nettoie plusieurs lignes de tranchées allemandes, pénètre jusqu’aux abris du bois dit en T, s’empare d’une batterie de 77 qu’il rend inutilisable et ramène de nombreux prisonniers.

Il n’est pas huit heures et la mission du régiment est accomplie avec un succès complet. Mais il s’agit d’organiser le terrain conquis, d’aménager les positions, de prévenir tout retour offensif de l’ennemi.

 

Le Mort-Homme ressemble alors à un gigantesque cratère. Impossible de reconnaître le sillon des tranchées, des boyaux.

On ne voit partout que trous et trous, amoncellements de fils de fer, de loques, d’armes abandonnées, des morceaux énormes de terre argileuse s’entassent par endroits et certaines alvéoles semblent une carrière creusée et abandonnée.

Nos hommes, malgré la fatigue, malgré les obus que l’artillerie allemande continue de faire pleuvoir, travaillent en silence. Des boyaux s’estompent, des pistes sont faites, des tranchées nouvelles surgissent.

 

Et, à tout moment, les prisonniers allemands passent, courent, contemplent avec stupeur la belle marée des uniformes bleus qui monte irrésistiblement. Des officiers courbent la tête, hâtent le pas, des recrues, si jeunes qu’on dirait les enfants de troupe, suivent les lourds boches classiques.

Un bon sourire dédaigneux et vainqueur court sur les lèvres de nos poilus. Stoïque, les brancardiers emmènent les blessés. Et l’on voit de ces choses admirables qui font comprendre et aimer le caractère de nos soldats.

En plein sommet du Mort-Homme, sous la trombe des marmites, des affamés s’asseyent et cassent la croûte en arrosant leur frugal repas d’un jet de gourde bien méridional.

 

On se fait des politesses : “ Veux-tu boire un coup ? Tiens ! - Après toi ! - Non, vas-y donc ! - Toi d’abord !”

Un fourrier, ayant pour toutes armes un appareil photographique, prend clichés sur clichés. Des poilus, ayant planté leur fusil mitrailleur, regardent les avions avec intérêt.

Des Allemands blessés sont pansés par nos mains, les brancardiers les portent comme ils portent comme s’ils portent les nôtres, sans distinction. On sent palpiter en tous les cœurs la joie sourde et profonde de la victoire.

Les mitrailleuses allemandes sifflent sans discontinuer. Les mitrailleurs français répondent, balayent au-delà du Plat-de-Cumont des fuyards allemands. Le lieutenant-colonel Rondenay parcourt le secteur, installe son poste de commandement dans la tranchée de Silésie.

Des allemands qui vont à l’arrière s’arrêtent, saluent le colonel français, au garde à vous. Et quand leurs gardiens leur apprennent qu’ils viennent de saluer le colonel français, une stupeur se joue sur leurs visages, et l’un avoue : “ Un colonel dans les tranchées, jamais je n’en ai vu chez nous!”

Après quelques instants de détente, l’ennemi réagit avec fureur contre le bataillon Pusey. La 7eme compagnie, plus particulièrement attaquée, fait preuve, sous le commandement du lieutenant Luscan, d’une magnifique ardeur. Les grenades des grenadiers français crépitent, les Allemands, vingt fois repoussés, reviennent à la charge.

 

Le tir des grenades V.B. et des fusils mitrailleurs français annihile les efforts allemands. Ils renouvèlent des tentatives désespérées dans la nuit sans pouvoir émousser la résistance des Poilus.

Cette contre attaque se déroule avec une ampleur particulière. Deux bataillons des 221eme et 222eme régiments prussiens appartenant à une division fraîche, la 48eme division de réserve, attaquent en masses compactes.

Nos feux de mitrailleuses, nos grenades, nos fusils-mitrailleurs, l’excellence d’un tir de barrage de 75, extrêmement nourri, empêchent les soldats prussiens de progresser et leur causent des pertes considérables qu’il convient d’estimer à plus des deux tiers de l’effectif engagé.

 

Le lendemain 21 août, à 9 heures

 

Par une opération magnifique dirigée par le caporal Dardant, des Poilus de la 7eme compagnie, bien qu’écrasés de fatigue, trouvaient de nouvelles forces, sautaient sur un dernier point d’appui boche, tuaient ou faisaient prisonniers les occupants, se rendaient maîtres, en outre, de six pièces de 105, en batterie dans le ravin de Cumont, dont ils restèrent les culasses.

Les deux jours suivants, le régiment poussera encore de hardies reconnaissances, fouillant les boyaux et anciens abris ennemis, ramenant des prisonniers Allemands, dépassant le Plat-de-Cumont et surveillant étroitement le ravin de Fargevaux .

Nos admirables poilus, les nerfs tendus, le visage livide, ne voulurent pas céder à la dépression physique née d’un tel effort. Ils travaillèrent à l’organisation du secteur, interdisant par leur vigilance et leur courage les moindres velléités de l’ennemi. L’artillerie allemande bombardait sévèrement nos positions et surtout la tranchée de Silésie.

 

Le butin du 81eme régiment d’infanterie  fut considérable. Plus de 400 prisonniers allemands, dont 25 officiers, 8 pièces de 77, 6 pièces de 105, 4 obusiers légers de 74, 25 mitrailleuses, un nombre considérables de fusils allemands, de munitions en tout genre, un matériel complet et innombrable.

Comment citer les actes de bravoure de nos Poilus, comment faire un choix dans l’abondant bouquet de fleurs héroïques que nos grenadiers, mitrailleurs, fusiliers et voltigeurs ont rassemblé avec une aisance, une simplicité, une spontanéité de magnifiques vertus réellement indicibles ? Tous se sont surpassés.

 

La flamme des Méridionaux, la goguenardise tranquille des Centraux, le calme décidé des Septentrionaux, bref des Français originaire du sud et du centre de la France, se sont fondus dans le même creuset d’où l’élan d’acier s’est précipité, invulnérable.

Parlerai-je de vous, infirmier Gineste, qui, chargé d’installer un poste de secours dans les lignes allemandes, suiviez la vague d’assaut et rameniez les blessés les plus éloignés, sans souci du danger ?

Et vous, lieutenant Teissière, et vos nettoyeurs du tunnel, les Gonnet, les Bras, les Brosset, ect..., qui vous avanciez dans l’inconnu avec une ferme placidité et une blague délicieuse aux lèvres, lançant des mots crus et rares comme on plaisante, au repos, à la popote .

Et vous, les Dardant, les Tersy, les Bouzerand, Roquebert, Abraham, Roigt, Maréchal, Desnoyers, Ployer, poilus admirables dont il faudrait énumérer toutes les citations pour vous porter une louange adéquate a votre bravoure.

Et vous, adjudant Cousteix-Rochon, et vous Roger, et tant d’autres, officiers rivalisant d’ardeur et de sang-froid, sous-officiers d’un entrain extraordinaire, soldats français merveilleux, brancardiers infatigables, observateurs, signaleurs et téléphonistes dressés droits sous la chute des marmites, et vous, nos morts sublimes, tombés face à l’ennemi, en courant vers lui, en le chassant !

 

Merveilleuse infanterie française de ligne de 14-18!

 

Celle qu’on s’ingénie à faire oublier les exploits et les faits d’armes au profit d’autres troupes.

Et vous mon général, bondissant aux premières lignes aussitôt l’attaque, pour décorer quelques-uns d’entre les plus braves ! Dans l’étroite tranchée de Silésie, offerte comme une cible aux observateurs boches, vous aviez réuni les « récipiendaires»

Près de vous, calme et fier, brisé de fatigue et dédaigneux du repos, le colonel Rondenay nommait, un par un, les héros. Un clairon sonnait le ban. Soudain, massif, précis, un bombardement par 105 chercha le groupe audacieux qui narguait l’ennemi. Pas un homme ne broncha. Les éclats voltigeaient, la fumée et l’âcre odeur des explosifs, en rafale, nous enveloppaient.

 

Ouvrez le ban !’” dit le général . Le clairon donna un coup de langue. Mais à peine le nouveau promu était-il décoré qu’un obus s’écrasa, à dix mètres. L’instinct voulu que chacun se baissât. Au même instant, le général s’écria d’une voix claire :

 Clairon, ne fermez pas le ban, ce sont les boches qui l’on sonné .”!

 

 

Citation à l’ordre de l’armée :

81ème régiment d’infanterie :

“ Magnifique régiment qui, sous le commandement du lieutenant-colonel Rondenay, a enlevé le 20 août 1917, d’un seul élan, une importante position ennemie, progressant de 2 kilomètres malgré la résistance acharnée opposée par l’adversaire, s’emparant d’un tunnel défendu par des mitrailleuses et lançant enfin, dès l’arrivée sur le dernier objectif, une hardie reconnaissance qui a mis hors de service une batterie ennemie et détruit tous ces abris . Au cours de cette opération, a fait plus de 400 prisonniers, dont 25 officiers, pris 14 canons, 4 minewerfer, 25 mitrailleuses et un matériel de guerre considérable.”

 

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AU MORT HOMME, après la bataille

MESSAGER DE MILLAU (08.09.1917)

 

   

Témoignage d'un de nos adhérents adressé au "Messager de Millau".

C'est la reproduction d'une lettre qu'il avait écrite à ses parents à la suite des attaques qui avaient permis au 16ème corps d'armée de s'emparer du Mort-Homme, à Verdun rive-gauche, août 1917.

Il était alors aspirant à la 3ème batterie du 9ème régiment d'artillerie.

Il avait participé aux combats en ayant accompagné le capitaine  de sa batterie aux avant-postes.

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 Nous sommes heureux de publier la lettre suivante qu'un de nos braves compatriotes envoie à un de ses amis et qui renferme d'intéressants détails sur ce mont historique où les régiments de notre région se sont couverts de gloire :  

 

   

  26 août 1917

  Je viens de visiter, cet après-midi, le Mort-Homme.

Il ne reste plus rien des lignes boches. La première ligne a été "crapouillotée" ;

Les autres, plus bouleversées encore par des obus de tous calibres, dont les entonnoirs, grands ou petits, se touchent ou se creusent les uns dans les autres. C'est formidable. C'est un chaos fantastique où surnagent, comme sur une mer démontée, des piquets, des réseaux de fils de fer, des rondins d'abris crevés, des grenades boches, des planches déchiquetées, des obus non éclatés et mille de ces épaves lamentables qu'on trouve sur tous les champs de bataille.

Dans quelques trous d'obus, on voit tout l'équipement d'un homme qui fut tué ou blessé et qu'on a enlevé ; cela se trouve tous les cent mètres. On voit, par-ci, par-là, un cadavre encore, un membre broyé, une chaussure avec un pied dedans, etc.

 

    La deuxième ligne boche surtout est défoncée. Je dis "deuxième ligne", mais je devrais dire plutôt "ce qui fut la deuxième ligne", car il serait vain de chercher la moindre trace de tranchée. Les quelques mines et crapouillots qui restent sont amochés, les sapes obstruées et comblées de terre. On se demande comment il pouvait encore se trouver quelques hommes dans ces terrains mouvants.  

 

  Il n'y a pas, en effet, un seul mètre carré de sol intact. Partout l'artillerie a creusé des entonnoirs dont certains ont 6 mètres de profondeur sur 8 mètres de large et plus. Partout les pierres et les blocs de terre, soulevés de l'intérieur du sol, sont retombés en avalanche, écrasant tout ce qui pouvait se trouver à leur point de chute. C'est une destruction complète de tout ce terrain, de ces champs de blé dont, dans nos lignes, on voit encore la glèbe.

    

  Nous sommes allés ainsi, montant ou descendant à chaque pas, au P.C. (poste de commandement) du Colonel d'Infanterie, voir l'officier du groupe qui faisait la liaison.

De là, nous sommes entrés au "Kronprinz-tunnel" et, pendant les 2 kilomètres de l'aller et du retour, on a été obligé de se remplir le nez d'odeurs répugnantes.

Si le champ de bataille sent mauvais par endroits seulement, dans cette galerie d'un kilomètre de long, l'odeur a pénétré partout avec intensité.

 

    Nous sommes entrés par une ouverture de sape ordinaire, pas plus grande.

Deux escaliers d'un mètre de large, l'un pour la descente, l'autre pour la montée. Le couloir est inondé, car la tuyauterie, qui menait l'eau jusqu'aux premières lignes, a été crevée par nos obus. On patauge, mais ce n'est qu'un commencement et puis, ce n'est que de la boue...

Au fond, à 20 mètres sous terre (l'épaisseur du plafond de terre varie de 15 à 25 mètres) on est surpris par l'humidité et la fraîcheur ; on passe par une porte blindée de 50 cm d'épaisseur. Nos soldats sont couchés sur des lits ou des brancards d'infirmiers le long des murs. La galerie rectiligne va jusqu'à l'ancienne 3ème ligne allemande. Elle est assez grossièrement faite et n'offre que la solidité de la terre

qui la recouvre ; elle est à peine étayée. Un rondin par mètre supportant un fer à double T sur lequel reposent les planches du plafond. Des fils électriques, des lampes tous les 20 mètres, le long du mur ; en bas, des conduites d'eau.

Au milieu, un caillebotis bien fait pour éviter qu'on marche dans la boue.

Sur l'un des côtés, une rangée de lits, de simples planches inclinées.

 Cinq cents mètres plus loin, les lits font place à une voie de soixante centimètres. Sur les côtés, creusées dans la terre, les chambres d'officiers, boisées, tapissées de papier marbré. Puis une infirmerie modèle. Salle centrale, salle d'opérations, cuisine et annexes.

Nous y avons vu un médecin de bataillon qui l'occupait et y conservait trois boches faits prisonniers la veille. Ces trois boches étaient restés cinq jours murés dans une sape avec des cadavres ; ils étaient entièrement abrutis. Aussi, avant de les envoyer à l'arrière, le médecin avait eu pitié d'eux, il les a gardés 48 heures à l'infirmerie. On les a fait parler ; il avait fallu les retirer de leur trou avec une corde. L'un d'eux était blessé ; un quatrième, retiré en même temps, est mort ensuite.

Le premier parlait le français et pas trop mal ; il était garçon de café à Paris, avant la guerre. C'était un de type de Dresde qui avait aussi habité Posen.

Il était cuisinier. Dans le tunnel, on faisait la cuisine pour tous les hommes en ligne. Tous ses camarades avaient été tués, sauf un qui était près de lui et se disait père de quatre enfants.

 

    En face de l'infirmerie, la pharmacie : un désordre inexprimable. Ils ont dû soigner beaucoup de blessés dans les derniers moments où ils occupaient le tunnel.

Sur la table, des produits de toutes sortes : une caisse pleine de boîtes, des cartons, des papiers ayant enveloppé les flacons et produits pharmaceutiques.

Cette pièce sentait tellement l'éther et le phénol que j'en suis vite sorti.

A côté, la chambre des machines formidable.

Une salle de machines d'usine modèle : 2 moteurs à essence d'une force de 180 chevaux ; 2 compresseurs pour envoyer de l'eau dans les différentes parties du tunnel, un réservoir à essence,

une pompe, un tableau d'électricité avec voltmètre et ampèremètre disposés sur une plaque de marbre de près d'un mètre carré. Une odeur réconfortante d'huile chaude et d'essence. Cette installation épatante n'était pas terminée :

Une seule des machines marchait.

 

    Enfin, au milieu de la pagaye d'armes, couvertures, vêtements, équipements, cartouches, casques surtout (il y en avait peut être 2 000) trainant dans la boue, nous sommes arrivés à l'endroit où notre 400 a percé les 13 mètres de terre ; Des boches écrasés y sont encore. Jusqu'à 50 mètres de là, l'explosion en avait tué 178. Des vivres partout : biscuits, singe, bouteilles vides, marmites, gamelles, sacs, etc. Le même désordre qu'ailleurs, poussé au maximum par l'éboulement qui obstrue complètement le tunnel.

Nous sommes revenus par le même chemin, heureux de sortir bientôt de cette atmosphère putride et de respirer un peu d'air moins empesté.

Le capitaine a laissé les officiers que nous avions rencontrés en allant et nous sommes allés voir les premières lignes. J'ai pris des photos intéressantes de poilus dans les trous d'obus, car il n'y a pas de tranchées encore. Cela a, d'ailleurs, un avantage, car les boches, entièrement désorganisés déjà depuis 5 jours, ne peuvent d'aucune façon faire de tir réglé sur nos lignes.

 

    Nous avons vu l'enthousiasme de tous ces braves types pour la préparation d'artillerie. Deux fois, j'en ai entendu qui disaient : "Si on faisait toujours comme cela, nous serions bientôt à Berlin". Les officiers disaient au capitaine qu'on ne pouvait pas les tenir quand ils ont vu que les boches faiblissaient. Ils ont même été trop vite en certains points et ont dû ralentir leur allure, pour se laisser précéder par le tir d'accompagnement. Le moral est en ce moment plus haut qu'il n'a jamais été depuis 3 ans. Il faudrait maintenant en profiter pour pousser de l'avant : le boche serait vite en déroute. Le fait est que, quand on entend les fantassins vous dire qu'à mesure qu'ils avançaient de 10 mètres, le mur de fer et de fumée qu'ils avaient devant eux avançait aussi de 10 mètres, sans rien laisser debout que des boches les bras en l'air, ça fait plaisir.

Nos contre-batteries ont dû être excessivement efficaces. Le barrage boche s'est déclenché 10 minutes après le départ de la première vague, quand il n'y avait déjà plus personne dans nos tranchées. Et ce barrage était très faible. Toutes nos communications téléphoniques marchaient. Nos anciennes tranchées sont encore complètement intactes.

 

    Espérons que ce succès n'est que le prélude de plus grands et qu'au lieu d'avancer de deux kilomètres, nous avancerons bientôt de 50, jusqu'au Rhin. Ce serait si facile, une fois le démarrage fait.

 

  Un poilu de Millau

 

Texte tiré de « La grande guerre vécue, racontée, illustrée par les Combattants, en 2 tomes  Aristide Quillet, 1922 »

 

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