(raconté par André JOUBERT)
Il convient tout de suite de mettre les choses au point. Les communiqués officiels de mars et d'avril 1916, publiés par le Grand Quartier Général, n'ont pas dit souvent la vérité et l'on a un reflet plus exact des événements de cette période dans la région du Mort-Homme en lisant les communiqués allemands.
N'ergotons pas. Il était peut-être utile à cette époque de dissimuler au peuple la gravité des faits pour éviter une démoralisation qui, à s'étendre, eût pu entraîner une catastrophe. Aujourd'hui, on peut dire la vérité.
Ils
avaient connu toutes les misères, couru tous les dangers. Ils ne connaissaient
plus la peur. Ils allaient indifférents, stoïques, inconscients, comme dans un
rêve... Ils étaient accoutumés. Ils étaient les survivants des meurtriers
combats de l'Argonne et de l'offensive manquée de Champagne.
Droit
devant eux, c'était le Mort-Homme et la cote 304; à droite, les Hauts-de-Meuse;
à gauche, Avocourt et son réduit imprenable ; en arrière, les avancées de la
Woëvre.
Retenons
les noms des régiments qui la composaient.
Ils
se firent massacrer en illustrant la défense de la rive gauche de la Meuse.
C'étaient
le 150e
et le 161e régiment d'infanterie, constituant la 8e brigade; le 154e et le 155e constituant la 79e brigade.
Le 63e
régiment territorial leur était adjoint.
Arrivé
le 11 mars au bois Le Bouchet, la division, dès le lendemain, monta en ligne.
Dans
l'après-midi, les chefs de bataillons avaient été reconnaître le terrain et le
spectacle qu'ils avaient eu sous les yeux les avait fortement impressionnés.
La
plupart dissimulèrent au retour leur sentiment, mais l'un d'eux qui sortait
d'un état-major d'Armée et qui allait recevoir le baptême du feu, fit appeler,
à sa rentrée au bivouac, l'aumônier et lui dit (je cite textuellement) :
Donnez-nous l'absolution. Nous sommes tous foutus.
La
mort était proche, sournoise. Et les âmes se faisaient plus farouches. Le
silence régnait parmi les soldats, dans le déchirement sinistre des obus, dans
le long hurlement triste des canons déchaînés.
Pas
de boyaux. Trajet long, zig-zagué, compliqué, par des pistes boueuses et
collantes sous bois et dans la plaine, entre le rû « La Claire » et le village
de Chattancourt où quelques maisons flambaient, montrant, dans le rougeoiement
de l'incendie, la silhouette noire du clocher de l'église. Pas d'incidents.
Quelques rares schrapnells. Pas un coup de fusil, pas de tac-tac de
mitrailleuses. Beaucoup de fusées éclairantes. Un calme plus impressionnant que
le tumulte du combat.
Il
n'y avait pas de tranchées.
Par
ci, par là, se tenaient des îlots de poilus, dans des trous d'obus: c'étaient
les premières lignes.
Dans
la même nuit, presque tous ces trous furent réunis par des embryons de boyaux.
Et le 63e territorial, à quelques mètres en arrière, creusait une tranchée de soutien.
La
relève s'était faite tranquillement. La nuit tout entière fut calme. On en
était surpris, car les communiquésdes jours précédents, que nous avions lus à
l'arrière, ne le laissaient pas prévoir.
Le
150e
régiment d'infanterie occupait la crête 295. Les boches tenaient, depuis la veille, la crête
en face.
En
fait, ce qu'on est convenu d'appeler le Mort-Homme, c'était l'espace, presque plan,
situé entre les deux crêtes.
Il
n'appartenait pas encore aux Allemands. :Nous n'en possédions plus qu'une
infime partie, la lisière sud. Il constituait déjà ce que les Anglais ont
baptisé le No man’s land.
Au
pied de la cote 304 se tenait le 154e régiment, en liaison avec le 155e qui défendait le village de
Cumières.
Une
seconde ligne passait par la cote 265, située à quarante mètres en arrière de
la cote 295 et que, pour les besoins de la cause, le communiqué ne tarda point
de présenter comme faisant partie du système de crêtes du Mort Homme.
Ce
fut la 42e division d'infanterie qui subit l'assaut furieux de l'ennemi et
perdit la petite partie que nous tenions du Mort-Homme.
Après
une intensive préparation d'artillerie, de violents et méthodiques marmitages
sur tout le front allant de la cote 304 à Cumières, les Boches attaquèrent, le
9 avril, en vagues compactes, précédés de flaminenwerfer, et culbutèrent
nos troupes qui durent abandonner la crête de la cote 295.
La
bataille avait été acharnée et les pertes de la 42e division d'infanterie
furent très élevées.
Le
Mort-Homme n'était plus à nous. Et l'ennemi,dévalant la pente au pied de la
cote 265 que nous tenions encore, menaçait le ravin de Chattancourt.
La
situation était critique.
Derrière
la ligne de défense des ouvrages Molandin, Macaire, Chattancourt, il n'y avait
plus rien que la plaine de La Claire et la forêt des Bois-Bourrus
L'ennemi,
poursuivant son effort, prit pied sur la cote 265, mais une magnifique
contre-attaque du 8e bataillon de chasseurs à pied sauva la situation, en délogeant l'ennemi des
points qu'il avait réussi a occuper sur cette crête. Nos lignes étaient
rétablies à cela près que les boches conservaient les crêtes dominantes,
c'est-a-dire l'observatoire et, en fait, le Mort-Homme, qu'ils devaient garder
jusqu'en septembre 1917.
«
Activité des deux artilleries dans la région du Mort-Homme »
Le
secteur que la 40e division avait quitté n'était plus reconnaissable. Au calme
qui avait précédé la grande offensive allemande avait succédé l'agitation
permanente.
Il
ne se passa point de nuit sans qu'il y eut attaques ou contre-attaques, pertes
et reprises d'éléments.
La
40e division d'infanterie parvint à redresser ses lignes et à reconquérir un
peu de terrain, ce qui permit au communiqué de se montrer optimiste.
En
réalité, nous n'occupâmes que du terrain neutre, où l'ennemi n'était pas
installé. A part une affaire assez chaude, sur Cumières, que tenait le 155e régiment
d'infanterie,
et qui demeura sans résultat de part et d'autre, il n'y eut aucun grand fait
dans la période du 12 au 29 avril.
A
partir de cette date du 29 avril, la 165e division d'infanterie, donc, tint les
lignes dans ce secteur qui allait de la cote 304 à Cumières et au fleuve,
Dois-je écrire : « Tint les lignes? » Je devrai: plutôt dire : « Perdit les
lignes ».
La
cote 304 était pour ainsi dire prise. Toutes les premières lignes de mars
appartenaient aux Boches, ainsi qu'une partie de nos secondes lignes.
Chattancourt abritait désormais les postes de secours des bataillons d'active,
alors que, trois semaines plus tôt, c'étaient les territoriaux qui s'y
trouvaient en position de soutien.
A
coup sûr, les Allemands voulaient enlever la ligne de défense de Chattancourt.
Mais
ils le connurent bientôt, quand la sonnerie du « garde a vous » retentit pour
leur enjoindre d'entrer dans la danse. Ne croyez pas que j'exagère. Dans la
guerre de tranchées, c'est la seule fois où, au 32e Corps d'Armée, on a vu un
régiment s'élancer à la bataille au son des clairons.
Soudain,
les boches s'arrêtèrent et un répit se produisit. Pourquoi? On ne l'a jamais
su. Cependant, l'ennemi n'avait réussi a s'emparer que de très peu de terrain.
A coup sûr, les objectifs qui avaient été assignés n'étaient pas atteints.
Craignèrent-ils une contre-attaque?
André JOUBERT