Noël 1914
L’attaque de Noël d’après l’historique du 30e B.C.A. et les rapports de deux chefs d’unités : le commandant Bouquet et le lieutenant-colonel Bigeard
17/12/14 : A 9h le chef de bataillon
Bouquet donne l'ordre suivant aux commandants des unités du 30e groupe Alpin,
des compagnies du 51e Territorial de “la Capitaine” de la place Mandray et de la
compagnie du 343e
du col du Bonhomme.
Le
groupe alpin du 30e
doit, avant le 22 Décembre, occuper le secteur Tête des Faux et l'observatoire
du Rossberg ; suivent les détails de l’opération.
18/12 : L'ordre Bouquet est mis à
exécution ; le P.C. du commandant restant cependant à Plainfaing. Le nouveau front
est donc garni, au soir, de la manière suivante : Tête des Faux : 4 compagnies
du 30e ; rive droite de la Béhine : 1 compagnie du 229e ; rive gauche : 1
compagnie du 51e territorial ; col du Bonhomme : 1 compagnie du 51e
territorial. Deux compagnies du 30e sont en réserve. Le chasseur Robert est tué
par balle.
19/12 : Le sous-lieutenant
Pouguet est tué d'une balle en plein front en allant visiter les travaux de
sape de la 6e compagnie à la Tête des Faux. Au sommet il y a 15cm de neige
20/12 : Au Rudlin, l’adjudant
Boyer ( 2e Cie) reçoit la médaille militaire : « Blessé d'une balle à
la cuisse, a gardé le commandement de sa section jusqu’au soir, l 'a ramenée au
cantonnement et ne s'est fait soigner qu'ensuite ». Le même décret du
J.O. du 25.11 donne la médaille militaire au chasseur Montagne qui, blessé, n’a
accepté de soins que le combat terminé.
21/12 : Il neige.
22/12 : Il y a 30 à 40 cm de
neige à la Tête des Faux. L'état de l'atmosphère est “polaire”, d’après le
compte rendu du capitaine Touchon
23/12 : On note une fusillade
intermittente toute la nuit. Le caporal Isabelle de la 3e compagnie est blessé.
L'ennemi travaille à 10/20 mètres des tranchées de la 6e au sommet de la Tête
des Faux. Le chasseur Gurnet est légèrement blessé par balle.
24/12 : On signale de nouveau des
bombes sur la Tête des Faux. Le mortier allemand de 210 de la Côte de Grimaude
se réveille; Trois blessés à la 6e : Grenier, Tissier et Marut. C'est la veille
de Noël !
Le
24 au soir,
la Tête des Faux (sommet et pentes nord) est occupée de la façon suivante :
A
droite : par la 6e Cie du 30e B.C.A. (capitaine Touchon), presque en arc de
cercle devant la côte de Grimaude.
A
gauche : par la 3e Cie (Lieutenant Piot) dont le front s’incurve peu à peu vers
le Nord.
Troupes
voisines : à droite de la 6e, la Cie du 229e la plus à gauche du secteur du lac Blanc ; à gauche
de la 3e, la 1ère Cie du 30e B.C.A., qui tient le saillant nord des bois de la
Verse.
troupes
disponibles du commandant Bouquet : une demie-compagnie du 229e (24eCie) aux Fermes Maze ;
une Cie du 30e
(4e) et la section de mitrailleuses à Plainfaing ; dans le secteur du lac Blanc
(Comdt Martin): une Cie du 229e (18e) au lac Blanc : deux Cies du 229e (21e et 22e) au Rudlin et Habeaurupt ; une section
de mitrailleuses à Habeaurupt.
Entre
22h30 et 23h00
une attaque allemande, très violente, est
déclenchée sur la Tête-des-Faux. Son objectif se situe juste en avant du
sommet, au point situé à peu près au centre du front de la 6e
compagnie. Malgré plusieurs essais qui avaient coûté des tués et des blessés,
le capitaine Touchon n’était pas parvenu à y faire placer des “réseaux brun”
comme défense accessoire. C’est donc vers ce point faible que les Bavarois
dirigeaient leurs travaux d'approche amorcés le 23, en particulier une
parallèle tracée en avant de leurs réseaux de fil de fer.
Inquiet
de ces travaux, (ayant d'abord cru que les Allemands voulaient faire sauter sa
1ère ligne), le capitaine Touchon avait fait établir, à une cinquantaine de
mètres en arrière du point menacé, une seconde tranchée reliée à la première
ligne par deux boyaux et couverte d'un épais réseau de fils de fer.
Avant
l'attaque, la 6e compagnie avait en ligne, de la droite à la gauche les
sections suivantes : Lespect (sergent), Bourepana (adjudant), Colona
(adjudant), ainsi qu’une section de renfort.
Les
Allemands surgissent de la parallèle, à une vingtaine de mètres des positions
alpines.
Leur
assaut violent (14e bataillon actif de Chasseurs Jäger), atteint d'un bond la
première ligne et la défonce, malgré un feu d' enfer. L'adjudant Bourepana est
blessé, les cadavres ennemis tombés sur les créneaux, gênent le tir. Suit alors
un combat à la baïonnette très meurtrier : on retrouvera en ce point, les corps
de chasseurs et même des blessés, ensevelis sous plusieurs cadavres allemands
Les
derniers défenseurs du point d'attaque sont obligés de se replier.
Le
capitaine Touchon, cependant, avait fait occuper la tranchée de deuxième ligne,
sur la droite, par sa section de réserve tandis que sur la gauche une autre
section de réserve était envoyée par le lieutenant Piot. D'autre part une
demi-section, située à droite de la 3e compagnie allait garnir le boyau à
gauche et en avant de cette tranchée.
Le
capitaine Touchon avise par téléphone le Cdt Bouquet qu’il est violemment
attaqué. Ce dernier donne l’ordre de renforcer la demie compagnie de la Maze et
la section de l’adjudant Boyer disponible à la 2e Cie (qui est dans la Béhine,
peu exposée). Le lieutenant-colonel Bigeard du 229 R.I. met à la disposition du
Ctd Bouquet deux demie-compagnies (du lac Blanc et d’Habeaurupt), la Cie du
Rudlin et la section de mitrailleuses. Ces unités marchent vers la Louschbach
puis vers la Tête des Faux.
Prévenu
téléphoniquement par le capitaine Touchon, le lieutenant Marion (1ère Cie),
“dans un bel esprit de camaraderie de combat”, n’hésite pas à envoyer à la Tête
des Faux son unique section disponible (adjudant Anternaud) quoique sur son
propre front (saillant du bois de la Verse), on entendait les balles siffler en
grand nombre accompagnées de cris divers poussés par les Allemands : “En avant
!”...- “Cessez le feu !”...Tandis que la section Anternaud monte à vive allure
vers le sommet, un obus tombe sur son centre et une bombe à sa tête. L’unité
parvient cependant à poursuivre sa marche vers le capitaine Touchon.
“Son
arrivée se produit à point” : après avoir percé la première ligne française,
les Allemands s’étaient avancés en colonne serrée dans une étroite coulée battue
par les feux croisés français et obstruée par des fils de fer ; de plus leurs
propres réseaux de barbelés (en arrière de la parallèle) gênaient tout
mouvement de retrait. Les pertes allemandes étaient donc considérables.
Grâce
à un feu de fusils et de mitrailleuses particulièrement dense (mise en batterie
dans une sorte de tour construite à l'extrémité de la parallèle, puis amenée
jusque dans l'élément de tranchées conquis juste en face du point d'attaque),
sur un front très étroit, (une cinquantaine de mètres), les Allemands étaient
parvenu à aborder la deuxième ligne elle-même.
De
la section réservée de la 6e,seuls restaient en ligne, deux sergents (Largiron
et Pouchou), un caporal (Crampe) et 10 chasseurs.
“Aux
cris de Vive la France, au chant de la Marseillaise (comme ils avaient déjà
fait pendant le bombardement du Bonhomme), les hommes tiraient comme de vraies
machines. Les agents de liaison et l'ordonnance du capitaine Touchon ne
cessaient de leur apporter des cartouches. Parvenu à moins de 10m l'ennemi les
criblait de grenades, hurlait sans discontinuer. Les plus hardis des
assaillants furent tués à la baïonnette”.
C'est
à ce moment critique qu’arrive la section Anternaud qui se déploie sur la ligne
de la section réservée de la 6e. Son chef est presque aussitôt blessé, mais la
section parvient à se maintenir.
Vers
une heure,
les Allemands tentent de percer par leur gauche. De front, ils font face aux
sections précédemment réservées des 6e, 3e et 1re compagnies. A droite, le
boyau est tenu par des éléments de la droite de la 3e. “L'adjudant Colona,
resté en place à la gauche de la tranchée de première ligne de la 6e, répond
invariablement à toutes les demandes de son capitaine et du lieutenant Piot :
Nous tiendrons !”. Mais à l'autre extrémité de la ligne de la 6e, la section
Lespect est contournée par les Allemands qui passent entre elle et la 2e ligne.
Ses hommes se retournent pour fusiller les assaillants.
C’est
à ce moment qu’arrive, à disposition du capitaine Touchon, un peloton de la18e
Cie (229e) sous les ordres du
lieutenant Renard. Pour boucher le vide de la 2e Cie les sections de la 2e
ligne appuient vers leur droite.
Il
en résulte, à leur gauche (boyau) un vide relatif que, vers 2h30, la section
Boyer, montant de la ferme Mathieu, arrive juste à point pour combler.
Entre
temps vers 2 heures les 19e et 20e Cies du 229e R.I. qui se trouvaient respectivement au
Creux-d’Argent et face à la côte de Grimaude ont reçu l’ordre d’effectuer une
diversion par le feu dans les directions de Remomont et d’Orbey. Elles lient
leur action à celle du 52e B.C.A.
Les
batteries de 65 (col de Louschpach), de 75 (Bonhomme et Rossberg) et de 155 L
(Barançon) sont mises en alerte afin de pouvoir agir dès le point du jour. Le
concours de l’artillerie de la Schlucht a été donné par la 81e Brigade.
La
4e Cie et la section de mitrailleuses du 30e B.C.A. sont dirigées de Plainfaing
sur Barançon prêtes à agir soit par le Bonhomme, soit vers la Tête des Faux,
suivant la tournure des évènements.
La
section de munition du Valtin reçoit l’ordre de pousser un ravitaillement en
munitions au
Louschpach
tandis que l’ambulance du Rudlin doit faire monter des voitures pour les
blessés et un
détachement
de brancardiers.
A
3h45, le
commandant Bouquet téléphone au lieutenant-colonel Bigeard pour lui exposer la
situation:
“La 6e Cie a été attaquée en un point où,
trop près de l’ennemi depuis le début, elle n’avait pu poser du fil de fer.
L’ennemi a pu enlever environ 20 à 30 mètres de front. Les premiers assaillants
tués sur les créneaux ont empêché le tir des défenseurs. Le combat a continué à
la baïonnette, très meurtrier des deux côtés.
Actuellement
on s’occupe de raccorder les deux tronçons de la ligne. Les conditions d’un
retour offensif sont difficiles à régler en pleine nuit”.
Au
sommet, à peine la section Boyer était-elle engagée, que l'ennemi engage avec
tambours et fifres un nouveau bond en avant, appuyé pour cela par sa compagnie
de mitrailleuses. Cette attaque est arrêtée net par nos feux croisés et
l'ennemi subit des pertes considérables.
Il
est 4 heures...
A
partir de ce moment, les Allemands tentent de se retrancher dans les positions
qu’ils ont prises en accumulant boucliers et sacs à terre. Le
lieutenant-colonel Brissaud téléphone au commandant Bouquet pour “voir s'il
serait possible au lever du jour, de reprendre le terrain perdu”.
A
4h45 une
nouvelle attaque allemande, beaucoup moins vive, semble se déclencher.
Le
feu français rend intenable la position conquise par les Jäger ; à la pointe du
jour, les patrouilles de la 3e Cie (caporal Martin) et de la 6e (caporal
Crampe) rentrent dans les anciennes tranchées et, à cette nouvelle, le
lieutenant-colonel Bigeard envoie ses “remerciements au commandant et à son
beau bataillon”. Puis arrivent les félicitations du lieutenant-colonel
Brissault.
Dans
la journée, enfin,arrivent les compliments du Général commandant le Détachement
d'Armée des Vosges.
Dans
les tranchées reconquises les Allemands ont abandonné un important matériel.
Pendant toute la nuit, leur retraite a été guidé par les réseaux de fil de fer.
Ils ont reflué le long de la parallèle par laquelle ils étaient venus, défilant
ainsi devant le front de la 3e Cie (centre). Exposés à un feu violent, de
nombreux Jäger sont tombés dans cette partie du front.
Les
chasseurs ont fait 6 prisonniers (dont un lieutenant) et découvert les corps de
trois lieutenants.
La
matinée est marquée par une véritable pluie de bombes et de grenades.
Dans
la journée, le commandant reforme les 1re et 3e Cies à leur emplacement du 24 ;
la 6e reste renforcée de 2 sections de la 2e en échange desquelles le capitaine
De Fabry reçoit, à la Béhine, l’appoint de 2 sections du 229e.
Pour
diminuer la pression ennemie sur la Tête des Faux, le lieutenant-colonel Brissault
prescrit des reconnaissances offensives sur tout le front des secteurs de la
Schlucht et de Plainfaing : l'une de ces reconnaissances doit être exécutée par
la Cie du 30e du col du Bonhomme, sur la Chapelle et le Calvaire. Une section
de cette compagnie se déploie, sort des bois et est arrêtée par des coups de
feu à partir des tranchées du Calvaire (Croix de Mission au-dessus du village
du Bonhomme).
Elle
décroche, grâce à la nuit, ne perdant personne.
Les pertes françaises lors
de l’opération de Noël s’élèvent pour le 30e B.C.A. à 52 tués et une centaine
de blessés. A la 6e Cie on dénombre 64 hommes hors de combats. Le 229e R.I. a
perdu 21 hommes dont 8 à la 24e Cie tués par un obus pendant le trajet Lac
Blanc-Tête des Faux.
(Ces chiffres diffèrent de ceux du J.M.O. du 30e B.C.A. correspondent à une “estimation haute” tirée du rapport Bouquet).