Livre d’Or du 215ème d’Infanterie. 1914-1918

Retranscrit par Etienne, merci beaucoup  à lui

Petit fils d’un soldat du 215e RI

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Lire l'historique de ce régiment

 

Vers le chapitre 1

Chapitre II

 

Epoque de repos

 

Secteur de Spitzemberg.

 

Relevé par le 229ème Régiment d’Infanterie le 14 décembre, le 6ème bataillon se regroupe à Fraize où le colonel Tref, commandant le régiment, le passe en revue avant d’aller occuper les avants-postes de la rive droite de la Fave, où le 5ème bataillon le rejoints le 30 décembre 1914.

Ce secteur est tenu avec :

1.      Un bataillon en première ligne comprenant :

1 compagnie à l’Ormont

1 compagnie au Spitzemberg

1 compagnie à Jonction

1 compagnie à la ferme Graingoutte.

2.      Un bataillon au repos comprenant :

1 compagnie à la Baraque du Col

1 compagnie à la Chapelle Saint-Claire

1 compagnie à Le Pair

1 compagnie à Neuvillers.

C’est un secteur tranquille par excellence, les tranchées toutes sous bois, très bien aménagées et défendues par un important réseau de barbelés, chicanes, etc… le mettent à l’abri de toute surprise. Des patrouilles fréquentes exercent une surveillance très active jusqu’à la lisière du bois où on découvre à 400 ou 500 mètres les lignes allemandes.

Au fond de la vallée on aperçoit, accrochés aux réseaux de barbelés, quelques soldats français vêtus du pantalon et du képi rouge, que les balles allemandes ont couchés pour ne plus se relever, tenue bien trop voyante que l’ennemi aperçoit de très loin et repère d’une façon impeccable. Ces malheureux ont été les premières victimes de l’attaque allemande. Après six mois de campagne le moindre choc suffit pour réduire ces corps en poussières (constatation faite par les patrouilleurs de la 22ème compagnie qui ont pu arriver jusque là, et n’ont rapporté d’eux que des effets tous troués de balles).

Au point de vue panoramique, ce secteur dominé par les cimes imposantes de l’Ormont et du Spitzemberg, est de tout beauté. Sentiers ombragé et larges, arbres géants abritant de nombreuses baraques Adrian qui servent de cantonnements de repos aux troupes de première ligne. C’est là que les équipes de travailleurs organisés dans le bataillon abattent les arbres destinés à la construction des tranchées, des blockhaus, des abris et des dépôts de munitions. D’autres équipes sous les ordres d’officiers spécialisés construisent les routes de ravitaillement. La 18ème compagnie occupe pendant quatre-vingt-treize jours sans être relevée, le secteur Spitzemberg. Ce long séjour oblige le commandant à s’organiser, et avec les initiatives de tous et la collaboration toujours active d’un groupe surnommé « la Compagnie Cadalen », il procède à la construction d’un grand bassin pour laver le linge,  et d’un four crématoire pour brûler les déchets de toute nature qui auraient infecté le secteur.

Le ravitaillement est très pénible en raison d’un ravin profond qu’il fallait franchir tous les jours. Il est décidé, toujours avec les mêmes hommes sous les ordres du sergent Huillet de construire une passerelle. Sans plus attendre, ils abattent deux sapins géants, enlèvent les branches, préparent les traverses ainsi que le plancher et lancent ce pont sur ce ravin qui ne mesurait pas moins d’une vingtaine de mètres de profondeur. Il ne fallut pas plus de 48 heures pour exécuter les travaux et permettre à toutes les unités de l’utiliser pour le ravitaillement en vivres, munitions et matériel.

Par de belles matinées ensoleillées, les oiseaux mêlent leurs chants joyeux au bruit lugubre du canon et des coups de feu tirés par les sentinelles.

 

Noël dans les tranchées.

 

Par une nuit claire et sereine, le firmament tout constellé d’étoiles, le réveillon de Noël s’annonce sous les plus beaux auspices. Un vent léger du nord balance les hautes cimes des sapins géants, qui font la beauté du Spitzemberg et de ses environs immédiats.

Sur la ligne, quelques rares coups de feu troublent de temps en temps le calme de cette nuit de joie. A l’extrême droite du secteur non loin de la chapelle Sainte-Claire, dans le sous-secteur de Graingoutte, la 23ème compagnie tient les tranchées qui ne sont qu’à une centaine de mètres des lignes allemandes. Là, plus que partout ailleurs, la nuit de Noël prend un caractère tout particulier de grandeur.

Graingoutte de par sa situation géographique, propice aux coups de surprise, est l’objet d’une surveillance très active. C’est pour cette circonstance que le capitaine a recommandé tout simplement de renforcer la surveillance pendant cette nuit de Noël, et de ne pas provoquer par des chants l’énervement de l’ennemi. Depuis deux ou trois jours les colis n’ont cessé d’arriver, ce sont des pâtés de Graulhet, des gâteaux de Castres, des gimblettes d’Albi, du vin blanc et même du champagne envoyé par nos femmes, nos bébés, nos mamans, pour fêter le réveillon devant les Allemands.

A 20 heures, les boites s’ouvrent, les bouchons sautent, et les gâteaux et autres friandises garnissent une table installée au fond d’un gourbi, éclairé seulement par une maigre bougie.

Alors que le réveillon bat son plein, on entend soudain une sentinelle appeler : « Sergent, les boches chantent » ; en effet, au loin, leur voix sourde se mêle au sifflement des balles. La « revanche immédiatement » crient les sous-officiers.

« C’est minuit, l’heure solennelle ».

L’adjudant Brau, qui, avant la Guerre, à la même heure et à la même occasion faisait retentir de sa voix ferme et mélodieuse les voûtes de notre splendide et chère cathédrale d’Albi, se lève et sort de l’abri.

Il se hausse sur le parapet de la tranchée, encadrée de deux bougies allumées, d’une voix douce d’abord, plus graves ensuite et fortement puissante lance le défi aux boches et chante : « Le Noël des Chrétiens » celui des français et celui des braves de 1914 ; sa voix monte dans les airs, se répercute à travers la vallée et va retentir jusque dans les tranchées de ceux qui croient nous intimider. Ils ont entendu. Ont-ils compris ? Ils feignent d’applaudir. Une voix énergique et fière répond à leur ironie par un mot de défi…

C’est fini. Quelques balles nous accompagnent dans notre retraite, vers notre terrier, mais on avait joyeusement réveillonné.

 

Le 1er mars 1915, la 22ème compagnie au repos à Le Paire reçoit l’ordre de se tenir prête à partir pour une direction inconnue. Le convoi automobile arrive à 20 heures, et à 21 h.45 se dirige dans la vallée de Celles à 2 kilomètres environ de Pierre-Percée. Par une nuit noire, les camions se dirigent à toute vitesse sur le secteur assigné par l’ordre de mouvement de la division. Sur tout le parcours, l’éclatement des obus et les fusées éclairantes sillonnent le ciel, toute la ligne est en feu.

Poursuivant la route, la compagnie arrive sur le point à proximité des positions, le 2 mars à 2 heures du matin ; là un spectacle terrifiant les attend. Au fond de la vallée, une multitude de havresacs évalués à plusieurs milliers, entassés dans les broussailles et la boue, donnent l’impression que de durs combats se sont déroulés depuis peu dans ce secteur boisé. En escaladant le piton qui donne accès aux positions de premières lignes, gisent, çà et là, des soldats coloniaux portant de larges blessures produites très probablement par des balles explosives ou retournées.

Pendant quatre jours et quatre nuits consécutives, la compagnie occupe le piton dénudé, soutenue par des détachements d’Infanterie Coloniale et creuse des trous pour se garantir des fusillades nourries qui se renouvellent toutes les cinq minutes, tant de jour que de nuit, et rendent impossible tout repos. Craignant une attaque par surprise, les lignes étant très rapprochées, tout le monde met baïonnette au canon en prévision d’un combat à l’arme blanche.

Les hommes exténués de fatigue et sans vivres ne peuvent résister plus longtemps à un effort aussi soutenu ; aussi les malades ne cessent d’affluer au poste de secours. En présence de cette situation et l’effectif se trouvant réduit à 50%, le commandant de compagnie demande à maintes reprises la relève de son unité qui n’a lieu que le 5 mars au matin. Pendant ce temps, la compagnie est restée deux jours sans ravitaillement, et à l’aube du troisième elle a pour se nourrir des morues salées, quelques boites de viande de conserve et boules de pain que les coloniaux nous lancent de tranchée en tranchée.

Après la relève, la compagnie s’embarque à nouveau sur des camions et regagne les cantonnements de Le Paire, où elle prend un repos bien mérité.

 

Le vendredi 12 mars 1915, le colonel Tref, commandant le régiment fait paraître l’ordre du jour suivant :

 

Ordre du jour du 12 mars 1915.

 

La 22ème compagnie du 215ème étant au repos à Le Paire a été enlevé en camion le 1er mars 1915 à 21 h.45 et transportée dans la vallée de Celles, à 2 kilomètres au nord de Pierre-Percée.

Arrivée sur le terrain le 2 mars à 2 heures du matin, pendant quatre jours et quatre nuits consécutives, presque sans vivres, a été au contact avec les allemands sur des terrains difficiles, pris et repris par nous et l’ennemi. La compagnie sous la conduite de deux officiers vaillants et énergiques, les sous-lieutenants Décla et Gajol, a fait l’admiration de tout le monde aussi bien au feu qu’au travail des tranchées.

Le lieutenant-colonel en a reçu divers témoignages qui, bien que non officiels, n’en sont pas moins probants.

Il félicite bien hautement le sous-lieutenant Décla et toute la 22ème compagnie, et attend avec impatience le moment ou dans des circonstances semblables, il pourra juger par lui-même du courage et de l’endurance de tout le régiment.

La conduite de la 22ème compagnie lui donne tous les espoirs.

Le Paire, le 12 mars 1915,

Le Lieutenant-Colonel,

Commandant le 215ème Régiment d’Infanterie,

Signé : Tref

 

 

Le 22 mars 1915 par un soleil radieux qui perce à travers les clairières des bois de l’Ormont et du Spitzemberg, le régiment apprend que l’Italie a déclaré la guerre à l’Allemagne. Cet évènement ne peut rester indifférent aux troupes françaises. Aussi dans notre secteur pour fêter cette date historique, le régiment fait une attaque simulée. Sur le centre, à droite du Spitzemberg, tous les clairons sont rassemblés dans la tranchée de première ligne, et les sections avec mitrailleuses et fusils-mitrailleurs alignés dans tous les ouvrages.

A 9 heures précises, comme l’indiquait l’ordre du régiment, les clairons entonnent la sonnerie « En avant » suivie aussitôt de « La charge » et les unités ouvrent le feu nourri sur les lignes allemandes. Croyant à une attaque, l’ennemi riposte énergiquement par des barrages d’artillerie et de mitrailleuses. Au bout d’une heure le feu cesse et le secteur reprend son calme habituel.

Pour rappeler à tous le souvenir de ce secteur et de tout repos, un brancardier a composé un poème en vers dédié au « Spitzemberg ».

 

« Au Spitzemberg. »

 

Je vous salue, O Pic meurtri par la bataille,

Tout frémissant encore de nos rudes assauts,

Cimes altière découronnée par la mitraille,

Sapins géants tordus en vos divers sursauts.

 

Pic, tu ne connaissais que les brises légères,

La plainte de la source ou le chant de l’oiseau,

Le barbare a sur toi déchaîné ses tonnerres,

Dont les éclats stridents ont violé les échos.

 

Sur ton sol labouré de mortelles rafales,

Le canon a couché ses sanglantes moissons,

Mêlant l’odeur des morts aux senteurs végétales,

Et d’informes débris aux vertes frondaisons.

 

Mais le temps lavera vite cette souillure,

Tes oiseaux chanteront bientôt sans plus d’émoi,

Ta gloire rajeunie rayonnera plus pure,

Teinte du sang vermeil des braves, morts pour toi.

 

Blotti dans la tranchée, au sommet de la pente,

Je songe l’âme grave et sérieuse à la fois,

Entre l’obus qui siffle et la brise qui chante,

A ces héros obscurs qui gisent dans tes bois.

 

Garde-les, Spitzemberg, et que tes plus beaux arbres,

Protègent ces tombeaux de leur feuillage épais,

Fleuris ces croix de bois plus belles que des marbres,

Nos frères, saints martyrs, t’ont conservé français.


Chapitre III

 

Secteur de la cote 607.

 

Le séjour dans ce secteur enchanteur devait avoir une fin, et le 2 juin 1915, après une courte période de repos à Neuvilliers, le régiment relève le 345ème Régiment d’Infanterie sur la rive gauche de la Fave.

La défense de ce nouveau secteur comprend deux groupes, dont un celui, de Lesseux, côte 607, est confié à notre régiment, le repos est pris à Combrimont, la ferme Chapuis, Laveline et Lesseux.

Ce nouveau secteur assez étendu part des rives de la Fave aux pentes sud de la côte 607. Le régiment est en liaison avec le 353ème Régiment d’Infanterie qui tient la Tête de Violu.

Ces positions sont tenues par un bataillon en ligne :

Deux compagnies à la ferme Antoine et la croupe de Lesseux.

Une compagnie à la côte 607.

Une compagnie en réserve à la côte 607.

Et un bataillon au repos.

Ce secteur a été aussi calme que le précédent jusqu’au 14 janvier 1916. Pendant cette période le temps fut mis à profit pour organiser sérieusement la défense, malgré un harcèlement constant et parfois assez violent de l’ennemi, qui cherchait à interrompre les travaux, tant de la première ligne que des tranchées de soutien et de réserve.

En hiver ce secteur est rendu très pénible par un autre ennemi aussi terrible : la boue, en particulier sur les pentes désolée de 607.

Le secteur le mieux aménagé et organisé est celui occupé par la 18ème compagnie, à la croupe de Lesseux (gauche de la demi-lune de la côte 607). Le capitaine Argence avec les valeureux hommes de sa compagnie, a exécuté un travail de mine et de sape étonnant. Dans l’espace de quelques mois, il a complètement transformé le secteur qu’il a à charge de défendre, personne n’est plus aperçu de l’extérieur et toutes les relèves, corvées, patrouilles et équipes de travailleurs se font en traversant des galeries souterraines.

Cette organisation a son centre au P. C. du commandement de compagnie, le bureau, assez vaste, sert également de salle à manger aux officiers ; les murs sont boisés et le sol magnifiquement parqueté. De là partent dans toutes les directions des galeries conduisant aux P. C. des chefs de sections, à la tranchée de première ligne et aux postes de guetteurs.

Les chefs de sections sont reliés au capitaine au moyen d’un système d’appel constitué par un fil de fer dont chaque extrémité terminée par un ressort à boudin supporte une vieille boite de conserve vide dans laquelle on a mis quelques petits cailloux. Ce signal rend un son sourd et permet au capitaine de se transporter sur le point directement menacé.

Toute cette organisation a été complétée en avant de la première ligne, à environ 150 à 200 mètres face au village et au château de Lesseux, par un ouvrage fortifié qui sert de poste avancé, et où on y accède au moyen d’une galerie très profonde en forme de zigzag.

Le travail a été exécuté par 5 ou 6 camarades dévoués et courageux de la fameuse « Compagnie Caladen » sous la direction du camarade Reynaud auquel le capitaine a adjoint les mineurs de Carmaux, spécialistes de ce genre de travaux. Plusieurs fois démoli et recon,struit, et finalement conçu en partant d’un abri souterrain fortement camouflé aux yeux de l’ennemi, cet ouvrage est constitué par des rondins de sapins, consolidés en tout sens par des crampons en fer ; la toiture supporte deux rangées de rondins en croix recouverts d’une couche de grosses pierres, de mottes d’herbes et de branchages. Il peut contenir une escouade. Les obus de 77 ne pouvaient rien contre ce fortin si bien conçu contre le bombardement.

Le commandant de compagnie fut surpris de voir qu’une poignée d’hommes aient pu édifier, en avant des lignes, un poste de guetteur si bien aménagé et pouvant offrir une certaine résistance à l’ennemi. Il les a chaleureusement félicités.

Cette magnifique conception du capitaine Argence, a fait de son secteur une position de tout repos ; les pertes en tués qui étaient au début de un ou deux hommes par jour n’eut à enregistrer par la suite que quelques rares tués et peu de blessés. Son rêve était réalisé à la satisfaction de tous, grâce à l’initiative des officiers et à l ardeur des hommes de sa compagnie.

Le 14 janvier 1916, le régiment est relevé par le 106ème bataillon de Chasseurs à Pied, et, après avoir traversé Saint-Dié, cantonne dans la région de Denipaire, Saint-Blaise, Le Mesnil et le Vivier jusqu’au 13 février et est employé à effectuer des travaux de deuxième ligne.

Le 13 février 1916, le régiment quitte ses cantonnements des environs de Saint-Dié, et occupe ses anciens emplacements de la côte 607, puis en mars ceux de la côte 766 (Wissembach).

Depuis notre départ, le secteur de la côte 607 est devenu très agité par les bombardements fréquents, torpilles, mines. Les lignes sont très rapprochées ; par endroit quelques mètres seulement nous séparent des lignes allemandes ; c’est une lutte ininterrompue de grenades, de bombes sur le piton et de coups de main, de part et d’autre, sur les versants de la position principale de 607.

 

Les sections de soutien et les troupes de réserve travaillant sans arrêt pour fortifier les points les plus vulnérables. L’arrivée dans le secteur d’un détachement du 2ème Génie marque le début de la guerre de mine, et lorsque tout le matériel de forage d’évacuation des terres et d’écoute est à pied d’oeuvre, les travaux commencent immédiatement. Tous ces travailleurs, sous la direction du distingué et valeureux Lieutenant Ségui Louis commencent à creuser les puits à la demi-lune de gauche (côte 607). C’est de là que partent les galeries se terminant à leur extrémité par une série de ramifications aboutissant sous les tranchées et les ouvrages allemands.

Dans cette partie du secteur une activité fiévreuse ne cesse de régner ; on se croirait dans un atelier d’usine ; les appareils de forage font un bruit infernal, les sacs de terre circulent de main en main jusqu’au dehors, les ordres se transmettent à haute voix et pour pourvoir causer il faut aller loin de ce centre d’activité. Pendant ce temps, les sentinelles de notre régiment veillent attentivement à la sécurité de ces vaillants soldats du génie qui risquent à tout instant leur vie pour la destruction des ouvrages ennemis.

Les pionniers allemands travaillent de même, et c’est à celui qui arrivera à devancer son adversaire pour faire sauter la position. Les officiers et hommes du génie sont prudents et le travail ne reprend que lorsque les écouteurs perçoivent distinctement les coups de pioches de l’ennemi.

A fin mai les travaux sont activement poussés et déjà les puits ont vingt mètres de profondeur et les galeries se terminent en cinq puissants rameaux, tous chargés d’explosifs à grande puissance.

Au début juin 1916 le détachement du génie est relevé, le lieutenant Ségui signale à celui qui lui succède dans ce secteur, l’état des travaux et la menace que les pionniers allemands font peser sur la demi-lune. L’adjudant ne prend pas suffisamment au sérieux les recommandations qui lui sont faites, faisant valoir qu’il venait de Verdun et qu’il était là comme dans un secteur de tout repos.

Les travaux du génie continuent sans trop d’à-coups jusqu’au 8 juin. Mais ce jour là à 9 heures du matin, une formidable explosion se fait entendre causant tant dans nos lignes que dans celles de l’ennemi un immense entonnoir de 90 mètres de diamètre environ et vingt mètres de profondeur. Les dégâts sont très importants, la violence de l’explosion a été d’autant plus forte de les Allemands ont allumé en même temps nos rameaux de mine.

L’alerte a été immédiatement donnée et grâce aux officiers et surtout au sang froid et au courage du lieutenant Albar, la 19ème compagnie occupe les bords de l’entonnoir ; on aperçoit du côté allemand l’extrémité d’un boyau par où l’ennemi pourrait prononcer une attaque. Mais, la présence d’esprit du capitaine d’artillerie de montagne Raynaud, de sa position de batterie creusée dans le rocher a eu vite fait d’obstruer cet orifice. Pendant ce temps des rouleaux de fil de fer barbelés sont jetés dans ce grand trou béant, et en moins de deux heures de temps tout danger d’attaque par l entonnoir n’était plus à craindre. Les allemands furieux de leur insuccès lancent sur nous une grêle de grenades à fléchettes faisant dans nos rangs 31 hommes et 2 officiers tués et beaucoup de blessés. Quant au détachement  du génie la presque totalité de l’effectif a été ensevelie, payant ainsi chèrement une négligence aveugle.

Par la violence de l’explosion le poste du sergent Labattut a été projeté en l’air avec tout le matériel constituant la tranchée. Le soir, parmi les débris amoncelés de croisillons, de terre et de pierres de toutes sortes, la sentinelle du poste avancé  remarque un bâton qui se remue de bas en haut. Il en prévient immédiatement son chef de poste, les officiers se transportent sur le lieu indiqué et avec les appareils d’écoute du génie cherchent à se mettre en liaison avec le soldat présumé enseveli. Ils ne tarderont pas à se rendre compte qu’il est vivant. Une patrouille avec une équipe de travailleurs est organisée sur le champ. Cette mission doit s’accomplir à la tombée de la nuit.

Le résultat est satisfaisant ; après plusieurs heures de labeur et de courage sans précédent, la patrouille ramène au poste du commandant du secteur, le sergent Labattut, exténué de fatigue, le corps tout meurtri, et présentant des signes de folie.

Par ses actes de courage et de bravoure qui ne se comptent plus, la 19ème compagnie est citée à l’ordre de la 41ème Division.

 

Ordre n°70 de la 41ème Division.

 

« La 19ème compagnie du 215ème, sous le commandement de trois officiers énergiques : la capitaine Morot, les lieutenants Paquette et Meunier, a défendu presque sans interruption pendant un an, un secteur avancé de nos lignes. Soumis à des bombardements continuels et à de fréquentes explosions de mines, qui ont mis hors de combat la moitié de son effectif, n’a cessé de se prodiguer en actes individuels et collectifs de courage et de dévouement. Particulièrement le 8 juin 1916 a empêché, par sa belle attitude, l’ennemi d’occuper l’entonnoir produit par une forte explosion de mine, accompagnée d’un bombardement d’une extrême violence. »

A la suite de cet engagement qui a duré du 7 au 9 juin, le colonel, dans son ordre du Régiment n°25 adresse ses félicitations à tout le régiment, il s’exprime ainsi :

 

Félicitations

 

Dans son ordre du 11 avril 1916, le colonel avait déjà exprimé au régiment sa satisfaction pour les qualités d’endurance et d’énergie dont il avait fait preuve au couros de son séjour prolongé dans les secteurs sans cesse menacés de 607 et de 766.

Les journées des 7, 8 et 9juin ont confirmé son opinion sur la valeur des troupes qu’il commande, capables de supporter sans la moindre défaillance les pires épreuves de la Guerre de tranchée ; elles auront la joie de se mesurer avec l’Infanterie ennemie face à face en terrain découvert.

Nos pertes ont été sensibles. Mais, l’exemple donné par ceux qui sont morts à leur poste de combat ne sera pas perdu. Le capitaine Argence mortellement atteint continuait à diriger sa compagnie jusqu’à la limite de ses forces, oubliant sa blessure, il ne songeait qu’à l’attaque et ne consentait à être évacué qu’après avoir donné les ordres nécessaires ; une des dernières paroles qu’il prononça fut pour recommander au lieutenant qui lui succédait de veiller sur le secteur qu’il avait en charge de défendre. Ce secteur, le capitaine Argence avait affirmé que l’ennemi n’y rentrerait pas lui vivant ; il a tenu parole et cette mort héroïque est bien celle qu’il avait souhaitée. Le lieutenant Poujol est tombé en première ligne au milieu des grenadiers qu’il conduisait avec son entrain habituel, sous un bombardement des plus violents, au point le plus menacé. Le lieutenant Aussenac a été blessé au cours d’une reconnaissance en accomplissant sa tâche laborieuse d’officier pionnier ; le médecin auxiliaire Demézy qui s’était précipité pour lui porter secours en dépit du bombardement, blessé également, n’en a pas moins achevé le pansement et soigné son camarade avant de songer à lui-même. Les hommes de deux bataillons qui ont péris à leur poste de sentinelle, ceux qui les ont remplacés à ces postes ou qui ont couru défendre nos tranchées bouleversées, les officiers et gradés qui se sont mis à leur tête, tous ont accompli leur devoir. En attendant les récompenses qu’ils méritent, le colonel signale leur conduite au régiment tout entier. De tels exemples doivent accroître notre confiance et augmenter si possible la certitude que nous avons d’arriver bientôt à la victoire finale.

 

Le 11 juin 1916.

Le lieutenant-colonel Tref

Commandant le 215ème Régiment d’Infanterie

Signé : Tref

 

Repos à Coinches.

 

Le 20 juin 1916 le régiment est relevé par le 227ème Régiment d’Infanterie et se rend à Laveline où il reste jusqu’au 22. Pendant ce court séjour dans ce cantonnement il est définitivement constitué à trois bataillons par l’adjonction du 5ème bataillon du 343ème dissous. En même temps une compagnie de dépôt divisionnaire est constituée et les hommes qui y sont affectés le rejoignent à Gérardmer.

Le 22 juin le régiment gagne ses cantonnements de repos en passant par Saint-Dié, Robache où il sejourne jusqu’au 24, et le 25 arrive à Coinches (Vosges) et y reste jusqu’au 12 juillet. Il occupe les cantonnements de Coinches et les baraquements de la ferme Chapuis et de Wissmbach.


Vers le chapitre IV

 

 

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