HISTORIQUE DU 60ème REGIMENT D’INFANTERIE

PENDANT LA GUERRE 1914-1918

 

Historique du 60ème RI (Berger-Levrault,sd)

Transmis par Vincent JU....merci à lui

voir le désastre de Crouy avec cartes vérifier les dates

 

 

 

PREMIERS COMBATS

LES PRÉLIMINAIRES A LA RESCOUSSE SUR LA SOMME : fin août 1914

LA RETRAITE : début septembre 1914

LA BATAILLE DE LA MARNE : 5 au 9 sept. 1914

LA POURSUITE : sept. 14

Du 20 septembre 1914 au 23 juillet 1915 :

           30 octobre. La ferme de Saint-Victor

           L'affaire du 12 novembre : Le plateau de Nouvron

           SOISSONS (12, 13 et 14 janvier 1915) : Le plateau de Crouy

           Janvier à août 1915

OFFENSIVE DU 25 SEPTEMBRE 1915

 

 

 

 

 

 

….Au mois de juillet 1914, le 60ème R. I. occupait comme garnison, depuis 1875, la ville de Besançon. Par suite des dispositions du recrutement, il est composé de Comtois, Bourguignons, Bressans, pour une bonne part, puis de Gascons, Périgourdins, Lyonnais et Parisiens qui vont tous apporter leurs qualités particulières à l'ensemble. Foi tranquille et tenace, courage, gaieté, esprit, discipline et bonne camaraderie.

Au cours des combats, les recomplétements, dus, surtout au début, aux, Francs-Comtois patriotes, résistants, vigoureux et disciplinés, en feront un régiment particulièrement fort.

Cet esprit de corps, ces qualités primitives se maintiendront jusqu'à la fin dans les contingents nombreux et variés qui viendront combler les pertes du régiment.

Officiers composant l'état-major et les cadres du 60ème R. I. à la mobilisation.

ÉTAT-MAJOR ET C. H. R.

BOURQUIN……………………Colonel commandant le régiment.

PEYROTTE……………………Capitaine adjoint au chef de corps.

ROCHET (H.-M.)………………Lieutenant porte-drapeau.

MAGNIN (F.-A.)……………….Lieutenant officier de détail.

ROLLAND (Lécn-Marie-Jcs.)….Lieutenant officier d'approvisionnement.

MORVAN (J.-J.-Y.-R).................Médecin- major de 1ère classe méd. chef.

CRIBEILLET (Louis)…………..Chef de musique de 1ère classe.

BULLE (Simon-Elisée)…………Sous-lieutenant, chef du service téléphone.

1er BATAILLON

SPITZ……………………………..…Chef de bataillon.

BASSARD (E.-C.-A.)………………Médecin aide- major de 1ère classe.

MUNIER (A.-C.)……………………Lieutenant, 1ère section de mitrailleuse.

1ère compagnie.

FAUCOMPRE (L.-A.-H.)………..…Capitaine commandant la compagnie.

KAH (E.-C.-M.)…………….…….…Lieutenant.

COLIN (F.-M.)……………………...Sous-lieutenant.

MARJOULET (J.-A.-M.)…...............Sous-lieutenant.

2ème compagnie.

DOILLON (A.-H.-C.)…………….…Capitaine commandant la compagnie.

RIEU (L.-E.)……………….………..Sous-lieutenant.

DE MARESTE……………………...Sous-lieutenant.

3ème compagnie.

REVERCHON (I.-P.-H.)…….……...Capitaine commandant la compagnie.

TRENET (L.)……………………..…Lieutenant.

BENEZECH (E.-J.-V.)……….……...Sous-lieutenant.

PARANT (E.-E.)…………….………Sous-lieutenant.

4ème compagnie.

DROMARD (P.-M.-J.)…………..…Capitaine commandant la compagnie.

DUFFET (C.-L.)……………………Lieutenant.

FAIVRE (R.)………………………..Sous-lieutenant.

PIOT (L.)…………………………....Sous-lieutenant.

2ème BATAILLON

ARNOULX DE PIREY (G.)………Chef de bataillon.

AVINIER (G.-M.-F.)………….….…Médecin aide-major de 2ème classe.

DEMARQUE (A.-J.-L.)……….….…Lieutenant, 2ème section de mitrailleuse

5ème compagnie.

DURAND (J.-B.-M.)……………..….Capitaine commandant la compagnie.

FELTIN (F.-L.)…………………..…..Sous-lieutenant.

PININGRE (G.-A.)…………….…….Sous-lieutenant.

PROST-TOULLAND (C.-H.)…….…Sous-lieutenant.

6ème compagnie.

BONNOTTE (J.-L.-C.)……….……..Capitaine commandant la compagnie.

DUFFAUD DE SAINT-ÉTIENNE… Sous- lieutenant.

MAGRIN-VERNEREY (C.-R.)……..Sous-lieutenant.

BIDAUD (S.-V.)……………………..Sous-lieutenant.

7ème compagnie.

MATRINGE (A.-A.)………………...Capitaine commandant la compagnie.

BLANC (C.-M.)……………………...Lieutenant.

ENGLER (G.-N.)…………………….Sous-lieutenant.

BERNARD (H.)……………………...Sous-lieutenant.

8ème compagnie.

DENNY (G.-B.)……………………...Capitaine commandant la compagnie.

DUPUY (P.-H.).....…………………...Lieutenant.

LONGCHAMP (P.-L.-M.)…………...Lieutenant.

BONMARCHAND (J.-A.)…………...Sous-lieutenant.

3ème BATAILLON

THIBAULOT (A.)…………………..Chef de bataillon.

BIÉTRIX (L.-H.)……………………Médecin aide-major de 1ère classe.

COLOMB (M.-A.-H.)……………….Lieutenant, 3ème section de mitrailleuse

9ème compagnie.

DUBOS (P.-R.)………………………Capitaine.

VAGNE (J.-M.-A.)……………...…...Sous-lieutenant.

WEILL (A.)…………………………..Sous-lieutenant.

10ème compagnie.

GUILLAUME (M.-H.-C.)…………..Capitaine commandant la compagnie

CAMUSET (O.-P.-C.)……………….Sous-lieutenant.

FLORY (L.-C.)………………………Sous-lieutenant.

MOREL (R.)…………………………Sous-lieutenant.

11ème compagnie.

QUENOST…………………………..Capitaine commandant la compagnie.

CHAUMONT (L.-A.-J.)…………….Sous-lieutenant.

BERTRAND (L.-M.-P.)…………….Sous-lieutenant.

HAMAN (E.-P.)…………………….Sous-lieutenant.

12ème compagnie.

FRONT (F.-H.)………………………Capitaine commandant la compagnie.

DUFOURG (J.-M.-J.)………………..Sous-lieutenant.

ROUSSELET………………………...Sous-lieutenant.

DEVILLERS (E.-P.-M.)……………..Sous-lieutenant.

 

 

PREMIERS COMBATS : août 1914

C'est à ce régiment si remarquablement entraîné, si solidement encadré, qu'allait incomber d'abord le rôle de couverture d'une partie précieuse et, croyait-on, menacée de notre frontière vers Belfort.

Lorsque, le 1er août vers 17 heures, se firent entendre à la citadelle de Besançon les trois coups de canon attendus avec angoisse qui annonçaient la mobilisation, le régiment était déjà prêt, et s'embarquait les 1er et 2 août.

 

Le 3, le 2ème échelon quittait Besançon. Il n'y avait plus de 60ème dans la vieille cité comtoise : il n'y rentrera que la guerre terminée, avec les honneurs dus aux soldats victorieux.

Transportés à Belfort en chemin de fer, les éléments du régiment occupent des cantonnements situés à l'est de la place, à une distance d'au moins 10 kilomètres des pays annexés. Le 60ème était donc stationné à Chèvremont, Fontenelle, Petit-Croix, Novillard, Bessoncourt (É.-M.), Frais.

 

Le 6 août, la guerre étant officiellement déclarée, la division tout entière s'ébranle, sous le commandement de son chef le général Curé. Le 60ème, partant à 2 heures, va prendre position à Foussemagne, à la frontière même, et lance des reconnaissances dans plusieurs directions.

L'une d'elles, appartenant à la 4ème compagnie, bouscule des cavaliers ennemis à Chavannel'Étang, pendant que le 3ème bataillon reçoit des coups de fusil à la Maison forestière. La 10ème compagnie a un blessé, le premier de la campagne.

 

Le lendemain, 7 août, le régiment se met en route de grand matin par Elbach, Wolfersdorf, Dannemarie. Aux abords de ce dernier village, le 2ème bataillon engage un vif combat et s'empare de haute lutte de la barricade qui défend l'accès du pays. A 12h 30 commence la marche sur Altkirch, jolie petite ville bâtie en amphithéâtre sur la rive droite de l'Ill, devant laquelle les Allemandsoccupaient des positions fortifiées.

Le 2ème et 3ème bataillons sont presque aussitôt engagés : le 1er reste en soutien.

La 6ème compagnie, commandée par le capitaine Bonnotte assisté des lieutenants de Saint-Étienne et Magrin-Vernerey, était d'abord en soutien d'artillerie. Elle attaque bientôt avec le reste du bataillon. Pendant que les autres compagnies enlèvent le passage à niveau près de la gare et la rame de wagons où quantité d'Allemands sont abrités, la 6ème détermine le repli général de l'ennemi par un mouvement tournant exécuté par Aspach, en direction de la station, et suivi d'une charge à la baïonnette renouvelée des plus beaux temps du premier Empire.

Le capitaine et le lieutenant de Saint-Étienne sont tués. Les Allemands évacuent Altkirch et les hauteurs environnantes, laissant entre nos mains 18 cadavres qu'ils n'ont pu faire disparaître. Les régiments de la division font leur entrée dans la ville le lendemain 8 août, musique en tête et drapeau déployé.

Après eux défilent les cavaliers de la 8e division et l’artillerie de corps, aux acclamations des habitants. A quatre ans de distance, nous avons gardé un souvenir très vivant de ce défilé gai et pimpant s’il en fut.

Ce n’était pas encore la guerre ! On fête dans les cafés la résurrection de l’Alsace désormais française, cependant que la 9ème compagnie rend les honneurs funèbres aux morts de la veille et que le commandant Thibaulot prononce sur leur tombe un discours enthousiaste et émouvant.

On sait assez la suite des événements. Altkirch pris, là 28ème brigade (35ème et 42ème) fonce sur Mulhouse où elle fait sans coup férir une entrée triomphale. Le 60ème est placé en réserve de C. A.

 

La journée du 9 août se passe pour lui en déplacements légers et en travaux de fortification au Signal d’Altkirch.

Le 10 août, il s’engage sur la route d’Illfurth. Il faut bientôt revenir en arrière, serré de près par les Allemands qui débuchent en force de la forêt de la Hardt. Le 2ème bataillon du 60ème s’établit à Carspach, avec mission de défendre la position coûte que coûte. L’on creuse partout des tranchées sommaires et l’on retraite au fur et à mesure de l’écoulement vers la frontière française des unités du C. A.

Finalement le régiment s’établit vers Fontaine et Vauthiermont, à la frontière même. Pendant ce temps, les Allemands occupent « Mulhouse et perquisitionnent » chez, les habitants soupçonnés de cacher des soldats français, et se livrent à de multiples brutalités, en particulier au couvent de Riedisheim transformé en ambulance et rempli de nos blessés.

Cependant, revenus à la frontière, nos régiments se reforment à la hâte. Isolés et disparus reprennent leur place dans les compagnies et, sous le commandement supérieur du général Pau, le C.A., augmenté de nouveaux régiments venus du Centre, reprend sa marche sur Mulhouse.

 

Le 13 août, le 60ème prend part au petit combat de Reppe-Bréchaumont, aux côtés du 44ème. Les Allemands sont vivement bousculés. Deux compagnies du 3ème bataillon (9ème et 11ème) leur font subir de lourdes pertes. De notre côté, nous n’avons à déplorer que la mort d’un seul homme, atteint d’une balle à la tête. Le sous- lieutenant Magrin- Vernerey (6ème), tout récemment sorti de Saint-Cyr et portant encore la tenue de l'École, commence alors la série imposante de ses blessures. Atteint d'une balle à la main, il refuse de se faire évacuer. Comme il défaille, les brancardiers l'emportent.

Revenu à lui, revolver au poing il exige qu'on le fasse retourner à sa compagnie.

On forme un détachement spécial composé de deux bataillons du 60ème et d'un groupe d'artillerie, sous le commandement du colonel Bourquin, pour assurer la liaison avec la 57e D. I. placée à sa droite.

 

Ce détachement part pour Elbach, assure le 15 août la garde du viaduc de Dannemarie et marche le 16 vers le nord, gêné par la pluie qui tombe à torrent.

Mulhouse

 

Le 18, il est à Bernwiller d'où il part le lendemain pour Mulhouse où l'on doit faire « une rentrée » triomphale.

A 10 heures commence la bataille de Dornach. Le 60ème est en deuxième ligne, mais le 2ème bataillon est bientôt légèrement engagé à droite et la 4ème compagnie passe en première ligne à la gauche du 35ème et a de ce chef 15 hommes tués ou blessés.

Le caporal Renaudot est tué au moment où il se précipite, sous un feu très violent, à la tête de son escouade en criant de toutes ses forces :

« En avant ! en avant ! »

Le soldat Bouchy prend aussitôt le commandement de la troupe et continue à pousser de l’avant. L’attaque des positions boches, vivement menée par le 42ème surtout, a un plein succès. Nous faisons 800 prisonniers et nous nous emparons de 24 pièces de 77. Les Allemands sont en pleine retraite.

Le 60° traverse Mulhouse ainsi qu’il était ordonné.

A 3 heures ; pour la deuxième fois en dix jours, les troupes françaises entrent à Mulhouse, accueillies avec enthousiasme mais on ne voit plus les manifestations « florales » du 8 août, de crainte de se faire remarquer par les mouchards. On délivre les religieux et les Alsaciens francophiles qui étaient en prison. Le régiment va prendre les avant-postes au-delà de la ville, au couvent de Modenheim. Il organise défensivement les abords de Mulhouse et spécialement la voie ferrée.

Des reconnaissances sont poussées dans la forêt de la Hardt. L’une d’elles, sous les ordres du lieutenant Péquignot, de la 6ème, tombe sur un train bondé d’Allemands installés sur des trucs et munis de mitrailleuses. Elle tire dans le tas avec succès et se retire sans être inquiétée. Le commandant de Pirey peut apercevoir de la lisière est de la forêt le pont de Chalempe, sur le Rhin, garni déjà de réseaux de fil de fer. Par ailleurs le temps des combats paraît, presque passé.

La vie de garnison reprend. Les soldats sont invités dans les familles : à 6 heures du matin, le 20, le drapeau français est hissé sur l’Hôtel de Ville. Il y avait cent seize ans (1798) que du perron de ce vieux monument municipal avait été proclamé la réunion à la France de la petite République de Mulhouse.

Les cinq premiers jours de vie française furent autant de jours de félicité. Le bonheur régnait partout, et déjà on parlait de la reprise des affaires, et, dans la population ouvrière, de la réouverture des usines.

 

Dans la journée du 24 août, des ordres arrivent : il faut évacuer Mulhouse. La division tout entière s’ébranle à la nuit. Aux avant-postes les habitants se portent en foule vers les officiers : «Vous reviendrez, dites, vous reviendrez ! » Les commandants d’unités s’efforcent de multiplier les précautions pour que notre repli échappe à l’attention dés ennemis. Le régiment reprend le chemin de Belfort et s’en va par Lutterbach, pont d’Aspach, Remingen, Lachapelle, Offémont.

Le lendemain au petit jour, il n’y avait plus de Français à Mulhouse.

 

LES PRÉLIMINAIRES A LA RESCOUSSE SUR LA SOMME : fin août 1914

Le régiment s’était embarqué à Belfort le 26 août dans la matinée.

Officiers et soldats ignorent d’ailleurs les événements militaires qui se sont déroulés dans le Nord, les défaites de Charleroi et de Mons, la retraite sur la ligne de la Somme, la marche de von Klück ; Tous se perdent en conjectures sur la destination du régiment. Finalement, tout le monde débarque le 27 au soir dans la région de Villers-Bretonneux, un village dont le nom reviendra souvent par la suite dans l’histoire du 60ème !

Le régiment va cantonner dans la zone de Bayonvillers, Harbonnières, Guillaucourt.

La chaleur est accablante. Le spectacle de ces plaines immenses coupées de routes sur lesquelles s’allonge indéfiniment la file des gens qui fuient l’invasion, chassant devant eux leur bétail, traînant sur de petites charrettes ce qu’ils ont de plus précieux, campant la nuit par troupes nombreuses aux portes des villages et reprenant au petit jour leur marche échevelée sans savoir au juste où porter leurs pas, tout cela provoque chez nous tous l’étonnement et un certain malaise.

 

Le 28 est une journée de repos.

Le 29, le régiment est alerté au petit jour et se porte sur Rosière, Rainecourt, Proyart et Framerville. Les avant-gardes de l’armée de von Klück approchent. « Tout semble indiquer l’intention des Allemands de déborder l’armée française par la gauche. »

Le 28, ils ont occupé Péronne, le 29 ils attaquent vers 9h 30.

Le poids de l’attaque porte surtout sur le 44ème et le 60ème soutenus par les 45ème et 55ème chasseurs. Un combat acharné s’engage autour de Proyart, de Rainecourt et Framerville.

Le premier de ces villages est perdu, puis repris et successivement la plus grande partie des corps de la division viennent renforcer les éléments de première ligne qui résistent avec acharnement à la poussée ennemie, malgré l’effet moral puissant produit par les « gros noirs » que l’on entend pour la première fois et qui seraient capables de jeter le trouble dans des troupes moins bien trempées. Le capitaine Faucompré, de la 1ère compagnie, est tué en s’obstinant à rester debout.

Le général Berge, commandant la brigade, est blessé et il passe son commandement au colonel Bourquin, et le commandant de Pirey dirige désormais le régiment. La 8ème compagnie, chargée de délivrer une batterie du 47ème qui est en péril d’être prise, part à l’attaque. Le capitaine Dènny et le lieutenant Bonmarchand sont tués et reposeront par la suite dans la même tombe.

Le lieutenant Dupuy continue la charge qui dégage la batterie.

La 3ème compagnie, capitaine Reverchon, reçoit l’ordre vers 11 heures d’attaquer la cote 80 derrière laquelle se trouve une batterie de 77 allemande.

En cinq minutes la compagnie est balayée et son chef est atteint d’une balle qui lui fracasse la mâchoire. Le cycliste Gendre, tué depuis, se fit alors remarquer par son sang-froid et son courage extraordinaire, en portant les ordres à travers champs dans les conditions les plus difficiles.

Pendant ce temps, le 3ème bataillon est en réserve. Il reçoit l’ordre d’aller renforcer le 2ème, en même temps que le 35ème et le 42ème commencent à entrer en ligne. Mais le C. A. envoie bientôt l’avis de rompre le combat et de faire un mouvement de repli sous la protection du 35ème.

Le mouvement de rupture, très difficile à exécuter en plein jour et dans des conditions particulièrement délicates, est commencé à partir de 17h30.

Ce fut l’occasion de pertes très sensibles pour les troupes engagées. Il se fait néanmoins en deux colonnes, lentement et en bon ordre. Beaucoup de blessés restèrent sur le terrain faute de moyens de transport. Les Allemands tardèrent beaucoup à relever nos blessés. Quelque s-uns, se traînèrent ou furent transportés dans une grange, les autres laissés sur le terrain y succombèrent pour la plupart, une partie, cependant fut sauvée par des habitants d’Amiens, en particulier MM. François Lionel et Bugniez Pirimagny, prévenus au bout de cinq jours par un vieillard de Proyart. Les morts du régiment furent inhumés sur place ou au cimetière de Framerville où le curé en recueillit 60. L’ennemi subit lui aussi de très grosses pertes : 2.000 tués furent, assure-t-on, le prix de son succès.

On releva trois Allemands pour un Français sur le champ de bataille, et le capitaine allemand Kietzmann, du 49ème R. I., écrit sur son carnet de route à la date du 29 août :

«Pour la première fois nos troupes se sont trouvées aujourd’hui en face des troupes françaises de l’active, paraissant à peu près fortes d’une brigade sur un front étendu et qui aurait pour mission d’arrêter notre marche en utilisant merveilleusement le terrain. »

 

Cette brigade, c’était la 27ème. Le 60ème y était allé magnifiquement de toute son énergie.

La retraite. début septembre 1914

Le 29 au soir, la rupture du combat et le repli avaient pu heureusement s'effectuer, quoique au prix de pertes assez lourdes. Les colonnes s'écoulent par des routes encombrées de voitures et de caissons, encadrées par des obus fusants que l'ennemi envoie sans trêve. Heureusement la route est large, les obus éclatent trop haut, le mouvement peut se faire sans trop d'à-coups et sans affolement. Il continue, de mieux en mieux réglé, le lendemain et les jours suivants, par Gratibus, Clermont,Warville où l'on commence à organiser des centres de résistance constitués par des tranchées et des abatis à la lisière des bois.

 

Le 2 septembre, on est à Neuilly-en-Thelle, le 3 à Beaumont, où l'on traverse l'Oise. Les ponts sautent dès que le dernier homme de la division est passé. Les marches sont du reste terribles par le fait d'un soleil de plomb.

Les puits sont vides, les villages déserts, les ravitaillements fort irréguliers. Malgré tout, l'ordre règne et il y a peu de traînards. La présence vigilante du général de Villaret, commandant la division, se fait sentir partout.

« Sur la route nationale qui mène à Senlis, écrit un témoin, les régiments de la 14ème division active défilent en ordre magnifique, et ce spectacle après la retraite démoralisante réconforte tout le monde. »

Après avoir aperçu à l'horizon les tours du Sacré-cœur de Montmartre et la Tour Eiffel, l'on arrive à Louvres dans l'après- midi du 3 septembre. Le régiment s'établit de suite en réserve de division près du village, en liaison avec la 55ème D. R.

 

Le 4 septembre, la matinée se passe dans un calme complet. Le soir on change de cantonnement et le 60ème tient les avant-postes près de Villeron ; le 5 septembre, la division se porte en avant face à l'est. Le régiment va s'établir à Plailly. Dans le lointain on entend des bruits de bataille.

Cette fois la retraite est terminée.

« Je fis donner à mes troupes un seul ordre, dira plus tard le général Maunoury, commandant l'armée : Assez reculé comme cela. Demi- tour et en avant ! »

Cet ordre, d'une simplicité parfaite, eut un effet énorme sur les hommes qui, la veille encore, marchaient épuisés et sombres. L'ardeur renaît chez tous. La bataille de l'Ourcq allait commencer.

 

LA BATAILLE DE LA MARNE : 5 au 9 sept. 1914

Dans la nuit du 5 septembre paraît un message du général en chef adressé à toutes les troupes des armées françaises.

Encore qu'il soit dans toutes les mémoires, rapportons-en ici la fin, pour l'instruction des plus jeunes :

 

« Tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler l'ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée. »

 

A partir de 1h20, la division marche sur une seule colonne et se porte par Vers, Silly- le-Long et Chèvreville sur Bouillancy.

Le 3ème bataillon du 60ème, avant-garde de la division, bouscule l'ennemi vers 8 heures à Silly-le-Long, puis continuant à le refouler par Ognes et Chèvreville, débouche sur Bouillancy que le régiment occupe non sans pertes.

La marche continue sur Acy-en-Multicn, étayée à droite par un bataillon du 35ème, à gauche par le 42ème, et sous un feu « sévère" d'artillerie lourde, après de violents combats sous bois, la crête est de Bouillancy est enlevée.

Le lieutenant Camuset est tué dans cet assaut. Le caporal Oziol, blessé, essaie de transmettre les ordres dont il est porteur et meurt sur sa bicyclette.

Nous sommes arrêtés à l'entrée même du village d'Acy. Des maisons part un feu de mousqueterie terrible. Il faut retraverser en hâte le ruisseau déjà franchi.

Beaucoup d'hommes tombent alors, les uns sur le pont qui est bientôt encombré de cadavres, les autres dans le lit même du ruisseau.

Le capitaine Quesnot et le sous-lieutenant André sont tués, les commandants Thibaulot et Spitz sont blessés.

Le sous lieutenant Flory reçoit à l'entrée du village plusieurs balles dont l'une lui fracasse l'épaule, il restera étendu plus de trente-six heures sur le champ de bataille dans d'atroces souffrances.

Le sous-lieutenant Magrin est blesse à nouveau. Une balle lui fracasse la cuisse. Étendu sur le sol il continue à diriges sa section et refuse de se laisser emporter.

Il restera ainsi quatre jours dans les lignes boches sans recevoir de soins.

Le sergent Guilleminot, de la 10ème, tombe, au moment où, s'élançant pour franchir à la tête de ses hommes un terrain battu, il s'écriait : « A moi l'honneur ! »

Le sergent Allard, de la même compagnie, se distingue en arrêtant l'ennemi qui débouchait d'un petit bois.

 

On se retire par ordre sur Bas-Bouillancy, mais à 20 heures on repart à l'attaque. On peut ainsi dégager une batterie d'artillerie sur le point d'être prise, réoccuper le cimetière d'Acy et le petit bois triangulaire.

La lutte fut alors si acharnée qu'on retrouve deux jours plus tard dans ce bois 150 cadavres sur un espace de 200 mètres.

Le régiment bivouaque sur ses positions. Le 1er bataillon passe la nuit dans une vallée entourée par les Allemands de deux côtés.

 

La ferme Nogeon

 

Le 7 au matin, le régiment revient près de Bouillancy pour être regroupé.

Il passe en réserve de division et se trouve remplacé par le 35ème qui pénètre dans Acy d'où il est bientôt rejeté.

L'attaque reprend sur toute la ligne.

Le 60ème est porté sur la ferme Nogeon, où il arrive vers 9 heures. La résistance ennemie est acharnée sur la ligne Acy-Étavigny. Nos fantassins tentent en vain d'escalader les pointes de la Gergogne et ils subissent des pertes énormes.

Les cadres disparaissent peu à peu.

Le capitaine Guillaume, de la 10ème, est blessé et sa compagnie est commandée désormais par l'adjudant Grosjean.

Le commandant de Pirey est blessé lui aussi, transmet le commandement du régiment au capitaine Peyrotte.

Le colonel Nivelle, du 5ème d'artillerie, sauve la situation en se portant en avant avec quelques pièces qui ouvrent à 1.200 mètres un feu terrible sur les masses ennemies qui s'avancent.

Le Boche se retire en désordre et n'attaquera plus ce soir- là.

Dans la soirée, vers 22 heures, se produisit un épisode curieux. La ferme Nogeon, qui se trouve à l'intersection des routes de Puisicux et de Vincy, était occupée par des troupes appartenant à la 63ème D. I. et au 60ème.

La ferme et la distillerie attenante étaient en flammes dans un clair de lune splendide. Les troupes qui devaient attaquer le lendemain vers 3 heures prenaient leurs dispositions et commençaient à se ranger. Les Boches faisaient un bruit infernal à l'aide de fifres et de clairons, peut-être pour faire croire à une attaque imminente de leur part.

Le lieutenant Kah, commandant la 1ère compagnie, envoie une section en reconnaissance sous le commandement du sous- lieutenant Colin. Cette troupe s'engage dans une avant-ligne allemande.

Une voix s'élève dans la nuit, c'est celle d'un officier boche :

-         Y a-t-il un officier français? –

-         En voici un, répond le lieutenant Colin. - Rendez- vous!

Moi ! s'écrie le lieutenant, et saisissant son revolver il s'élance.

Un corps à corps général s'engage.

Au cours de la mêlée, le lieutenant, qui a abattu son adversaire, s'empare d'un drapeau qu'il passe à un homme placé derrière lui, croyant le donner à un soldat de son régiment.

Le drapeau était celui du régiment d'infanterie n° 38 des fusiliers de Magdebourg, décoré de la Croix de fer en 1870.

L'homme qui le reçut était le soldat Guillemard, du 298ème R. I. Celui-ci emporte le drapeau et le présente à son colonel comme sa conquête personnelle. Il fut décoré de la Médaille militaire par le général Gallieni et promu caporal, puis sergent.

Il mourut frappé d'une balle le 28 septembre, à Vingre (Aisne)

Quant au sous- lieutenant Colin dépossédé de son trophée, il fit son rapport à son chef, le commandant do Pirey alors blessé, qui lui signa un papier que la famille du lieutenant, tué à Autrèches quelques jours après, doit posséder encore.

Le caporal cycliste Boutrand, naguère passé dans l'aviation, reste encore comme témoin de ce fait d'armes.

 

Le 8 septembre, la bataille reprend avec violence dès le lever du jour. Le canon tonne furieusement sur toute la ligne. Les Boches reçoivent le renfort d'un corps d'armée actif qui tente de déborder nos troupes par le nord. La division est prise de flanc.

Le 60ème est reporté en avant dans la direction de Vincy-Manceuvre sans être appuyé suffisamment par l'artillerie qu'on n'a pas attendue, il est décimé par le feu terrible des organisations allemandes.

En cinq minutes, la plupart des compagnies sont désorganisées.

Les capitaines Dubost et Front sont tués, les sous-lieutenants Bidault, Engler, Vagne sont blessés.

Le capitaine Peyrotte, qui commandait le régiment, est blessé lui- même. Il dit aux hommes qui l'entouraient, au nombre de 12, de rentrer à la ferme Nogeon. Pour lui, il reste entre les lignes, recevant des balles des deux partis et réduit à la nécessité de se creuser un trou dans le sol à l'aide de son couteau de poche.

Le capitaine Doillon prend le commandement. Il faut tenir coûte que coûte.

Les débris du régiment se regroupent près de la ferme Nogeon où ils creusent des tranchées encore qu'exténués de fatigue et leurs vivres épuisés.

A la nuit ils passeront en deuxième ligne, et le régiment ne compte plus que 12 officiers et 926 hommes.

 

La journée du 9 septembre se passe dans ces conditions.

« Le 9 au soir, écrit un officier, après cinq jours et cinq nuits de lutte, décimés, harassés, affamés, cernés de tous les côtés, nous nous étions couchés sur la terre nue, n'ayant plus au fond de nos âmes que la résolution de nous faire tuer le lendemain matin afin d'accomplir l'ordre reçu : « Là où l'on ne « pourra plus avancer, on se fera tuer sur place. »

 

Le 10, à l'aube, nous avons repris nos armes et, la bouche sèche, le cœur gros, nous sommes repartis vers l'ennemi. Il n'y avait plus d'ennemi : il était en retraite. »

 

Le 9 au soir, une partie de ce qui reste du régiment, sous le commandement du lieutenant Kali, s'installe à la lisière nord de Bouillancy, l'autre partie, sous les ordres du lieutenant Duffet, organise la lisière est; tous deux ont l'ordre de tenir jusqu'à réception d'un ordre formel de retraite.

La division a fait filer ses convois en arrière, les troupes combattantes se replient et creusent des tranchées aux Ormes d'Hurbuby.

Au petit jour, des patrouilles sont envoyées en avant, elles ne trouvent plus d'Allemands.

Ceux qui se croyaient vaincus se réveillent victorieux, tant il est vrai qu'à la guerre la victoire appartient à celui qui sait tenir le plus longtemps.

Vous l'avez vu par la suite, mes chers camarades de Ville-en-Tardenois et de la Croix-Greuzard, votre endurance et votre constance à vous aussi ont eu raison du Boche. Saluez bien bas vos anciens de Bouillancy, qui avec des moyens inférieurs, sans autre perspective de récompense que la satisfaction du devoir accompli, ont fait des prodiges et forcé l'Allemand à déguerpir.

LA POURSUITE : sept. 14

Le régiment, décimé, passa la journée du 10 à se réorganiser et le 11 au matin, par un temps très mauvais, reprit la marche en avant sur Vie-sur-Aisne.

 

Le 12 au soir, il franchit cette rivière derrière le 42e. Le 1er bataillon cantonne à Sacy, les deux autres bataillons sont aux avant-postes - le 3ème à Bonval et Autrèches - accrochés au rebord d'un plateau sur lequel les Allemands tiennent résolument dans des tranchées préparées depuis plu sieurs jours peut-être.

C'est là qu'ils reçoivent communication de l'ordre du jour fameux du général Maunoury, commandant la VIe armée, qui se termine ainsi

«Grâce à vous, la victoire est venue couronner nos drapeaux. Maintenant que vous en connaissez la glorieuse satisfaction, vous ne la laisserez plus s'échapper.

«Quant à moi, si j'ai fait quelque bien, j'en ai été récompensé par le plus grand honneur qui m'ait été décerné dans ma longue carrière, celui d'avoir commandé des hommes tels que vous !... »

 

 Le 60ème était de ces hommes- là et cet ordre du jour qui sera conservé dans ses archives consacrera son mérite à tout jamais...

 

A partir du 12 septembre, chaque jour est marqué par des combats très durs dans le voisinage des petits villages de Cagny, Haute-Braye, Saint-Christophe, Berry, Chevillecourt, Autrèches et de la ferme Moufflaye.

Nos pertes sont considérables en hommes et en officiers, comme il est facile d'en juger par la multitude des petites croix qui marquent l'emplacement de tombes, isolées ou groupées par cinq ou six, aux lisières des bois comme dans les jardins.

Il faut repousser sans cesse les attaques de l'ennemi dans une région fort difficile et sur un front où il n'est pas facile d'assurer les liaisons.

 

Le 20 septembre, les Allemands parviennent même à s'emparer d'Autrèches et Chevillecourt.

Dans ce dernier village, ils cernent par un temps de brouillard intense et grâce à l'existence d'un « trou » dans la ligne, une fraction importante du 35ème.

A Autrèches, ils s'emparent du poste de secours central du régiment et emmènent tout le personnel, y compris le médecin chef, M. Morvan. Dorénavant le front de bataille va se fixer sur ce point.

 

Du 20 septembre 1914 au 23 juillet 1915

L’ère des grands combats terminés, le régiment occupe la rive droite de l'Aisne entre Soissons et Vic-sur-Aisne.

La guerre de tranchées va commencer. C'est en ces lieux que le 7ème C. A., composé des 14ème et 63ème D. I., s'établit définitivement en fin septembre 1914, l'année presque entière se passe à aménager le secteur et à en faire une position défensive de premier ordre.

La chose était d'autant plus urgente que les régiments étaient accrochés au rebord, du plateau et dans une situation très défavorable. Il fallait garder à tout prix la tête de pont de Vic-sur-Aisne et nous la gardâmes.

 

Tout ce que l'on peut rapporter de cette longue période assez vide et monotone se cristallise en quelque sorte autour de trois dates : 30 octobre et 12 novembre 1914, 12 janvier 1915.

 

30 octobre. La ferme de Saint-Victor

Ce jour-là, l'ennemi réagit assez fortement sur tout le front de la Vle armée française et spécialement dans la région de Wailly.

Pour soulager le reste de l'armée, le 7ème C. A., commandé par le général Vauthier, reçoit l'ordre d'attaquer sur l'ensemble de son secteur. 

Le 60ème a pour mission d'enlever la fameuse ferme de Saint-Victor et le bois attenant. Le 3ème bataillon, le seul en ligne, doit attaquer, le 2ème prendra sa place dans les tranchées laissées libres et le 1er sera en réserve de brigade.

Mais le morceau à enlever est trop dur, là préparation d'artillerie n'est pas suffisante; pour mieux dire, elle n'a pas existé. Les 12ème et 10ème compagnies gagnent quelques centaines de mètres et doivent revenir au point de départ après avoir éprouvé des pertes considérables.

Le soldat L’HOMME, de la 12ème, se fit alors remarquer par son courage admirable. Trois de ses camarades étant tombés en assurant la liaison, avec la section voisine assez éloignée, il s'est offert spontanément pour remplir cette mission et l'a exécutée à diverses reprises en terrain découvert, sous un feu violent de l'ennemi posté à moins de 200 mètres. Le même jour il s'était déjà offert pour aller reconnaître en avant du front une lisière de bois qu'on supposait occupée par l'ennemi. Il avait fait cette reconnaissance seul et avait rapporté à son chef des renseignements très précis et tout à fait intéressants. Il fut pour ce double motif cité à l'ordre de l'armée.

 Quelques jours après, Thibaulot, remis de ses blessures, prenait le commandement du 3ème bataillon.

A cette date, d'ailleurs, le 1er était sous les ordres du commandant Thievant, et le 2ème, du commandant Poupinel.

L'affaire du 12 novembre : Le plateau de Nouvron.

La 63ème division occupait à notre droite le secteur de Fontenoy. Elle reçoit l'ordre d'attaquer le 12 novembre le plateau de Nouvron.

La 14ème doit favoriser le mouvement en redoublant d'activité sur son front.

L'attaque est fixée à 8 heures.

Le 60ème interviendra par ses 1er et 3ème bataillons, le 2ème restant en réserve.

Le 1er a pour mission de porter son effort à l'ouest de Barricade pour atteindre le petit bois rectangulaire et l'occuper. Le 3ème doit s'établir entre le chemin creux de Saint- Victor et la route d'Autrèches-Chevillecourt.

Dès le 11, à 23 heures, l'artillerie ouvre le feu ; malheureusement, la « lourde » n'existait guère alors : elle n'était représentée que par quelques canons de 90 ou quelques rarissimes 120. Le feu augmente d'intensité à partir de 7h 30 et l'attaque d'infanterie se déclenche à 8 heures.

Le 1er bataillon s'élance, la 1ère compagnie à gauche, la 4ème à droite, sous le commandement du capitaine Duffet. Une section de la 2ème, conduite par le lieutenant Feuvrier, prend la ferme comme objectif. Mais il faut bientôt stopper car le flanc droit du bataillon n'est pas étayé : si la gauche du 3ème bataillon a pu gagner quelque terrain, la droite n'a pu déboucher, et le bataillon entier doit rétrograder.

Les 1er et 4ème compagnies sont presque anéanties. En cette occasion difficile, les dévouements et les actes de courage abondent. C'est le sergent COTE, de la 1er, qui fait sortir ses hommes de la tranchée sous un feu très violent, les dispose en tirailleurs et les entraîne en avant.

Tous ses hommes ayant été atteints, il reste toute la journée sous le feu, maintenant en place par ses exhortations pressantes des soldats de la fraction voisine qu'il parvient à ramener le soir dans nos lignes. C'est encore le caporal Vauchez, les soldats Marie et Beurey, de la 1ère, qui, restés seuls de leur section à 20 mètres de la tranchée ennemie, se maintiennent toute la journée en cet endroit sous un feu extrêmement violent, après s'être creusé de leurs mains un masque individuel.

A l'ennemi qui leur offre la vie sauve s'ils veulent se rendre, ils opposent un refus formel et net.

La nuit venue, ils rentrent en rampant dans nos lignes, au prix de mille efforts. Les sergents Viennot et Foray, de la 4ème, parviennent avec une partie de leurs hommes à la tranchée ennemie après une course de 50 mètres sous un feu terriblement meurtrier. Ils sautent dans la tranchée et engagent le combat corps à corps.

Tous leurs hommes sont tués ; le sergent Viennot est atteint mortellement, le sergent Foray, blessé, est emmené par les Boches.

 L'attaque sera renouvelée le soir à 15h 45, après un quart d'heure de préparation d'artillerie.

Cette fois les 2ème et 3ème compagnie, sous les ordres du capitaine Doillon, appuyées à droite par la 12ème et la 5ème compagnie, entrent en scène. Le 3e bataillon doit reprendre son mouvement du matin.

Au moment de l'attaque, un prêtre, le sergent Humbert, de la 9ème compagnie, dressant sa haute taille dans la tranchée, avertit ses hommes qu'il va leur donner l'absolution de leurs péchés. Il récite sur eux la formule sacramentelle.

Quand il a terminé : « Et maintenant, dit-il, mes amis, allons-y gaîment. »

Ce disant il part et tombe presque aussitôt, atteint d'une balle.

Son corps, pieusement recueilli par ses camarades, fut inhumé par eux le lendemain près de la route Hautebraye-Autrèches.

 

Cette fois encore l'attaque fut brisée par les barrages de 105 et les feux de mitrailleuses des Allemands sortis en masse des carrières où ils avaient cherché un refuge pendant le bombardement. Il fallut renoncer définitivement à tout essai d'offensive. Nous laissions sur le terrain un officier, le lieutenant Mettetal de la 4ème, les adjudants Peyre et Bepoix de la 10ème, 26 sous-officiers ou soldats. Nous avions 103 blessés et 156 disparus.

 

Quelques jours auparavant, le 19 novembre, s'était du reste produit un événement curieux.

Après quelques conversations engagées de tranchée à tranchée, dans lesquelles nos hommes prétendaient narguer le Boche qu'on disait alors dépourvu de victuailles, un officier allemand appela un caporal français de la 5ème présent en cet endroit, le caporal Jacquin.

Comme celui- ci hésitait à répondre, le Boche fit sortir des lignes 10 hommes dépourvus d'armes. Le caporal sortit à son tour. Il y eut échange de courtoisies, offre de vivres, de cigares, etc...

Le Boche déclara qu'il n'en voulait pas aux Français et que si nous ne canonnions plus, dans trois jours il y aurait du nouveau. Le caporal, cousin du lieutenant Mettetal tué le 12 novembre, demanda à enterrer les morts qui gisaient entre les lignes et spécialement son parent.

L'officier allemand lui répondit que cela ne dépendait pas de lui, mais qu'il en parlerait aux autres officiers du secteur. Il y eut aussi échange de journaux. Par la suite, un ordre de la division interdit formellement, comme de juste, toutes conversations de ce genre.

Le lendemain, à 9 heures, heure convenue, l'officier vint rapporter les papiers du lieutenant Mettetal et ses clefs. Au petit paquet était jointe une carte postale adressée au lieutenant, qui représentait la place Bellecourt, à Lyon, ornée de canons pris aux Allemands au début de la guerre.

Une lettre l'accompagnait : «Monsieur mon Camarade, y était- il écrit, plusieurs de vos braves soldats sont encore avant vos lignes de tirailleurs et avant les nôtres. Je vous prie de fixer un temps pour les enterrer. J'ordonnerai à mes soldats de ne pas tirer. Je vous prie d'arranger de même. Répondez s'il vous plaît à ma lettre; votre camarade Peters, lieutenant. » Cette histoire eut un épilogue.

Le lendemain, dans la matinée, le groupe de brancardiers divisionnaires recevait l'ordre de se munir des instruments nécessaires et de franchir les lignes françaises au même endroit à midi, drapeau de Genève déployé, de façon à procéder à l'enlèvement et à l'inhumation des morts.

Les brancardiers partent de Vic-sur-Aisne en colonne, franchissent sans encombre le terrain placé sous les vues de Saint-Victor et se présentent au commandant Poupinel, chef du secteur. Celui-ci, qui n'était pas prévenu, demande des instructions à ses chefs hiérarchiques. D'échelon en échelon on en réfère à l'armée qui donne l'ordre de surseoir à l'opération.

 

Telle fut l'affaire du 12 novembre, elle coûta cher au régiment.

Le 13 décembre, le 60ème était relevé par le 170ème d'infanterie..

 

Il se rendit à Parcy-et-Tigny près de Soissons et le 23 décembre le colonel Bourquin était appelé au commandement de la 60ème brigade.

 

Le 29, le lieutenant-colonel Graux prenait le commandement du régiment. .

Le repos fut de courte durée. Après un changement de cantonnement qui amena le régiment dans la région Villebouil, Chacrise, Nampteuil le 2 janvier, deux bataillons sont mis le 8 janvier à la disposition du général commandant le 5ème groupe de division de réserve.

Les 2ème et 3ème bataillons, désignés à cet effet, se rendent à Courmelles et à Vigneulles, aux portes mêmes de Soissons. C'est l'affaire de Soissons qui va commencer.

 

SOISSONS (12, 13 et 14 janvier 1915) : Crouy 

voir le désastre de Crouy avec cartes

On sait assez les traits généraux de cette tragédie mémorable. La vallée de l'Aisne à Soissons décrit un arc de cercle. Sur la rive droite, un grand plateau domine le fleuve, et il est creusé de trois profonds entonnoirs : l'un à Cuffy, l'autre à Crouy, le troisième à Chivres.

La vallée de Crouy est dominée à l'ouest par un éperon appelé la cote 132, qu'une route à lacets, la route de Béthune, escalade de front. Au pied de la cote 132 passe la route de Maubeuge et le chemin de fer. Cette région remplie de grottes et de carrières était tenue solide ment par l'ennemi; là, en effet, se trouvait la charnière des positions allemandes. Or, dans les journées qui précédèrent le 12 janvier, nos troupes de la VIe armée, abordant la route de Béthune, en avaient conquis un à un tous les lacets et avaient atteint une ferme. Restait à prendre la cote 132, au sommet du plateau et à droite.

On s'efforçait de l'attaquer par Crouy en traversant la voie du chemin de fer et en grimpant la côte à l'abri des bois. Plus tard on voulut attaquer plus à l'est, par Le Moncel, mais les Boches contre-attaquent avec fureur. Nantis de forces imposantes, ils parviennent, la crue de l'Aisne aidant; à rejeter nos troupes jusqu'à la rivière et il s'en fallut de bien peu que Soissons ne fût repris par eux.

 

Lundi 11 janvier

Donc, le lundi 11 janvier, les 2ème et 3ème bataillons du 60ème, commandés par les chefs de bataillon Poupinel et Thibaulot, cantonnés dans les faubourgs de Soissons, reçoivent l'ordre de relever, sous la conduite du lieutenant-colonel Graux, le 231ème R. I. aux tranchées allemandes de la cote 132, conquise le jour précédent.

L'ordre ne donnait pas d'autres indications, mais le lieutenant-colonel Auroux, du 204ème, avait mission de donner sur place les renseignements nécessaires.

Le 2ème bataillon s'installe en première ligne.

Le 3ème bataillon doit rester en deuxième ligne.

La relève, faite par une nuit noire dans un terrain inconnu, bouleversé, transformé en marécage par la pluie des jours précédents, est tout à fait difficile. Elle ne se termine que le 12 à 4 heures du matin.

Le colonel installe son P. C. dans une grotte-abri, dite la grotte du Zouave.

A 7h 30, une contre-attaque boche se déclenche. Un violent bombardement, le plus violent peut-être de toute la campagne, y prélude et sévit sur tout le front du 2ème bataillon. L'abri du commandant Poupinel est écrasé par un obus.

 

Le commandant transporte son P. C. au poste même du colonel. Il n'y a plus de téléphone, ni d'agents de liaison. Cependant les compagnies tiennent bon et la 7ème repousse très facilement une petite attaque d'infanterie.

A 9 heures, le bombardement s'accroît et devient d'une violence inouïe.

Le commandant Thibaulot, les capitaines Blanc, de la 10ème et Munnier, de la 11ème compagnie, mandés par le colonel, arrivent au rendez-vous. Le médecin clef y vient aussi.

Vers 10 heures, un obus de 210 cm tombe sur la grotte, dont la voûte s'effondre ensevelissant sous les décombres le colonel, l'officier adjoint, capitaine Rochet, le médecin chef, les commandants des 2e et 3e bataillons, les capitaines Blanc et Munnier, toute la liaison du colonel et du commandant Poupinel.

On entend distinctement la voix du colonel qui crie : « Vive la France ! » cependant que les témoins de la catastrophe se précipitent pour dégager le commandant Poupinel et le sergent de Bordes, fonctionnaire adjudant de bataillon, pris dans les décombres jusqu'à la ceinture.

Dans le cas particulier, cet accident ne pouvait manquer d'avoir de graves conséquences, le régiment se trouvant privé de ses principaux chefs. Le commandant Poupinel prit le commandement dans ces circonstances singulièrement difficiles.

Les Allemands débouchent alors en deux colonnes. L'une d'elles, venant du nord-ouest, se dirige vers les positions du 276ème R. I., à gauche.

La 7ème et la 6ème compagnie du 60ème R. I. la prennent de flanc et l'obligent à détourner ses efforts contre elle-même dont les effectifs sont très réduits.

L'autre colonne attaque à droite, venant du nord-est. Elle fonce sur la 5ème qui fait face à l'est et la déborde. Ces trois compagnies ainsi que la 9ème doivent se dégager à coups de baïonnette, et bientôt il ne reste plus du bataillon qu'un mince cordon sur le rebord sud de l'éperon 132; les compagnies, sous le commandement énergique de leurs chefs, le capitaine Picard (7ème), le sous- lieutenant Luccantoni (5ème), le sous- lieutenant Rangod (9ème), engagent un combat très dur, l'ordre étant de tenir coûte que coûte.

A ce moment, le capitaine Picard, remplaçant momentanément le commandant Poupinel parti se faire panser au P. S., appelle à la rescousse le 3ème bataillon déjà fort éprouvé par les bombardements du matin. Au bout d'un instant, le commandant est de retour, il reprend son commandement.

La situation est, à ce moment, très critique. La Montagne Neuve est menacée. Le général de Maimbrey, de la 101ème brigade, appelle à son aide tout le 60ème disponible. Le 2ème bataillon tiendra sans renfort et le 3ème bataillon s'en va, sous le commandement du capitaine Kali, vers l'endroit menacé où lutte déjà la 10e compagnie avec des éléments des 276ème et 282ème R. I, Un combat très violent s'engage et l'on vient presque au corps à corps.

La 12ème compagnie brise la contre-attaque boche. Le sous-lieutenant Drogrey, passé depuis au 44ème, séparé de sa compagnie avec quelques hommes, occupe une corne de bois abandonné, et, repoussant l'ennemi à la baïonnette; se maintient toute la journée sur sa position.

Le lieutenant Marjoulet, à peine guéri d'une blessure antérieure, est tué.

L'adjudant-chef Courtot, le sergent Girerd, les caporaux Dutartre et Carrichon, les soldats Guinchard et Letondal se distinguent particulièrement.Jusqu'à la tombée de la nuit, la bataille se poursuivra avec acharnement.

Vers 17 heures, un bataillon du 204ème R. I. vient renforcer notre 3ème bataillon cette fois le moment critique est passé!

La journée du 1er bataillon.

Mardi 12 janvier

Le lendemain, 12 janvier, le 1er bataillon intervenait à son tour.

A 1 heure du matin, il monte en ligne et occupe les tranchées à l'est de la route de Terney, la 1ème et la 4ème compagnie en avant. La nuit est terriblement obscure : le terrain est une véritable fondrière où les hommes s'enfoncent jusqu'à mi- jambe, au point que certains y perdent leurs chaussures.

Du reste, les guides font défaut : « Devant vous, leur a-t-on dit simplement, c'est la cote 132 : les Boches y sont! »

Il faut cependant attaquer tout de suite.

De fait le bataillon attaque vers 4 heures du matin, il prend deux tranchées où il se maintient. Le commandant Thiévant, puis après lui le capitaine Doillon, sont blessés mortellement à la tête du bataillon.

La 10ème compagnie attaque la 2ème à la baïonnette.

La 4ème compagnie marche sur la route en liaison à gauche avec un bataillon du 44ème engagé dans les mêmes conditions. C'est là que se distingue le soldat Franchi, de la 4ème compagnie. Il s'avance en rampant sur le bord d'une tranchée ennemie, détourne avec la crosse de son fusil le canon d'une mitrailleuse en train de tirer, attaque les deux servants, qu'il tue, et il revient dans nos lignes après avoir réussi à se dégager.

Après la mort du capitaine Doillon, le commandement passe au capitaine Duffet, qui dispose alors d'un groupement comprenant les quatre compagnies du bataillon, et des éléments appartenant au 44ème qui arrivent à la rescousse transportés en camions. Nos forces sont ainsi reconstituées et un groupement organisé existe à nouveau vers 8 heures; le Boche attaque à son tour : il est repoussé par les éléments commandés par le lieutenant de Bordes (2ème) et le sous- lieutenant Ruty (3ème).

Une lutte très dure s'engage à la grenade dans les boyaux, nous faisons même 78 prisonniers qui sont envoyés à Soissons.

Le reste de la journée se passe sans incident.

Mercredi 13 janvier

Le lendemain, il est rendu compte au commandant que la liaison à gauche n'existe plus.

Pendant la nuit du 13 au 14, en effet, les Allemands ont opéré un groupement différent de leurs forces. Ils attaquent en masse par l'extrémité de notre aile droite et s'emparent des villages qui sont au pied de la côte de Vrigny, Missy et Bucy-le-Long.

La situation est tout à fait critique : nous sommes débordés et la crue de l'Aisne artificiellement provoquée par l'ennemi a emporté les passerelles, il faut évacuer les hauteurs de la rive droite. L'ordre en a été donné aux 2ème et 3ème bataillons et à tous  les autres éléments en ligne sur le plateau de Crouy.

Ce même ordre fut donné au 1er bataillon et au 44ème, mais il ne parvint pas à destination, les estafettes ayant trouvé la mort en cours de route. Le commandant du 1er bataillon s'en va vers la gauche pour se rendre compte de ce qui se passe et il voit nettement des troupes ennemies défiler sous bois derrière nos positions.

Il faut dès lors se replier.

Un groupe de la 2ème compagnie est cerné au château Saint Paul et s'y défend jusqu'à la dernière cartouche, sous les ordres du sous- lieutenant de Bordes qui, grièvement blessé, est fait prisonnier.

Les autres éléments, conduits par le capitaine Duffet et le sous - lieutenant Ruty, après s'être ouvert le passage à la baïonnette, rejoignent la Verrerie en rampant dans les fossés de la route de Soissons.

 

A la nuit du 14, le capitaine Duffet rentrait à Soissons, ramenant avec lui 1 officier, 2 ou 3 adjudants et 188 hommes du 60ème et du 44ème. Tel fut dans ses grandes lignes, autant qu'il est possible de le reconstituer à cause de son caractère « chaotique » et fragmentaire, le combat de Soissons.

Ce fut un échec pour les armes françaises, mais Montaigne n'a-t-il pas dit qu'il y a des défaites triomphantes à l'égal des victoires? Le 60ème a sauvé l'honneur de l'armée et a assuré la retraite par sa belle conduite.

Malheureusement il laissait sur le terrain 25 officiers dont le colonel et deux commandants, et 1.800 hommes de troupe. Beaucoup de ceux-ci furent faits prisonniers. Avec ce qui restait du régiment on put faire cinq petites compagnies. Elles furent dirigées sur Taillefontaine où les renforts arrivèrent.

Janvier à août 1915

Dès le 28 janvier, le régiment était reconstitué par le nouveau colonel, Auroux, assisté des commandants Naeser, Poupinel, Devant. Ce même jour se faisaient les reconnaissances en vue de l'occupation d'un nouveau secteur et 1er février le 60ème prenait position aux avancées de Fontenoy.

Dès cette époque, les jours vont se succéder singulièrement vides et monotones, tous semblables les uns aux autres. Les nouveaux venus au régiment arrivent de partout : on a vidé les « fonds de tiroirs » des dépôts et l'esprit n'est pas très bon.

Il faudra un long et patient travail des officiers de compagnie pour plier les plus rebelles à la discipline et à une conception du devoir militaire conforme aux traditions du régiment; la main forte, rude à l'occasion, du colonel Auroux ne contribue pas peu à obtenir ce résultat. Il est rappelé en mai 1915 à un autre commandement et remplacé le 20 du même mois par le colonel Laparrat. Celui-ci, au bout de quelques jours, tombe frappé mortellement par un éclat d'obus alors qu'il inspectait un secteur voisin, celui de Quennevières où le 42ème allait bientôt donner  un assaut brillant.

 

Le colonel Mittelhausser prend le 13 juin le commandement du régiment.

Le commandant Thivel remplace au 1er bataillon le commandant Naeser et le commandant Poupinel, appelé à l'état-major de la division, transmet le commandement du 2ème bataillon au commandant Peyrotte, revenu de convalescence et nouvellement promu. Le régiment a un bataillon en première ligne dans les quartiers de Sabran, de Perreyra, de la Demi- Lune.

Un autre bataillon occupe la vallée de l'Aisne.

C'est un secteur partie tranquille et calme, partie agité où les coups de main sont fréquents comme dans la région d'Asly et du moulin de Châtillon, et où du fait des grenades, des fléchettes, des obus de gros calibres, et aussi des grosses torpilles « seaux à charbon » qui font leur apparition, le régiment perdit beaucoup de monde, les quelque 200 sépultures groupées dans le cimetière de Fontenoy autour d'un petit monument de pierre tendre dû à un soldat, en sont le témoignage.

De ces morts, celui qui écrit ces lignes en a connu un très grand nombre et il salue respectueusement la mémoire du sous- lieutenant Retrouvey, tué par une torpille, du sergent Paul Bonnet, de la 2ème compagnie, un jeune homme de grande distinction et d'une élévation de sentiments incomparable, et celle du capitaine Lacroix, de la 10ème, blessé en surveillant lui-même la pose des fils de fer et transporté à l'ambulance au château Firino, où il s'éteignit après avoir reçu la  rosette d'officier de la Légion d'honneur, dans des sentiments de foi, de résignation et de confiance vraiment admirables.

C'est ainsi qu'à travers les journées ternes dont la monotonie était à peine rompue par les bombardements, on atteignit le milieu du mois de juillet.

 

A cette époque la division entière fut relevée. Elle alla cantonner dans la région de Neuilly-Saint-Front, d'où elle partait bientôt, après une grande revue passée le 6 août par le général en chef, à la ferme des Loges. Elle fut transportée en chemin de fer à Saint-Hilaire-du-Temple et se rendit près de Suippes pour commencer les préparatifs de l'attaque de Champagne.

Tenir les secteurs difficiles, préparer les offensives par un travail long et pénible, attaquer, organiser défensivement les positions conquises, toute l'histoire de la division et du 60ème pendant la guerre tient en ces quelques mots.

 

OFFENSIVE DU 25 SEPTEMBRE 1915

C'était un beau régiment que le 60ème quand, le 21 août, il arrivait au bivouac Goureau, tout près de Suippes.

Il venait alors de l'Aisne accompagné, ainsi que les régiments frères, par la réputation que lui avaient valu ses exploits. Sous la main ferme et habile du lieutenant-colonel Mittelhauser, qui avait complété l'oeuvre du lieutenant-colonel Auroux, le régiment avait retrouvé son vieil esprit de vaillance et de discipline; les jeunes des classes 1914 et 1915 avaient apporté au corps tout un afflux de jeunesse et d'activité.

Le régiment comprenait approximativement : 54 officiers, 160 sous-officiers, 215 caporaux, 2.500 hommes de troupe.

 

I. - Préparatifs de l'attaque.

Nous arrivâmes le 21 août.

Le secteur était assez calme. Il n'y avait de ruines que celles accumulées par les batailles de 1914 et du début de 1915. Quand, chaque jour, nous allions au travail nos yeux voyaient s'étaler au premier plan les villages de Jonchery-sur-Suippes et de Saint- Hilaire- le-Grand, ce dernier fortement endommagé; nous traversions sur les passerelles, très nombreuses et parfois très longues, les rivières et les marécages de l'Ain et de la Suippes.

Au-delà, c'était la ferme de Wacques, le village de Souain presque entièrement rasé; au fond, les crêtes occupées par l'ennemi et les hauteurs dominant Saint-Souplet et Sainte-Marie-à-Py.

Dans cette région, les Allemands avaient accumulé des défenses formidables. C' étaient d'abord trois lignes de tranchées continues, protégées d'épais réseaux. Ici ou là, étaient organisés des centres de résistance, véritables places fortes. Tel celui qui, sur un espace de 5 kilomètres, flanquait à l'est la route de Saint-Hilaire-le-Grand à Saint-Souplet, jusqu'à la route de Souain à Sommepy. C'est justement ce point que devait attaquer le 7ème C. A., constitué par les 14ème et 37ème D. I. Dans le secteur ainsi délimité, la première ligne était constitué, par un ensemble de trois à quatre lignes de tranchées et de fortins, ceux-ci représentés sur les plans directeurs par les lettres A, B, C, D. Derrière se trouvaient des bois organisés, tel le bois Raquette. A trois kilomètres en arrière était établie la deuxième ligne qui portait le nom de parallèle de l' Épine de Védegrange, longue d'un kilomètre et qui se trouvait sur la crête d'un long versant. Elle était redoublée .en arrière et à contre-pente par une tranchée dite parallèle du bois Chevron, qui se prolongeait à droite par les tranchées des Homosexuels, des Tantes et de Lubeck. Cette tranchée du bois Chevron était défilée et difficilement vulnérable; elle ne poussait sur la crête que de simples postes d'observation. D'après les ordres reçus, les saillants A et B étaient du ressort du 42ème et du 44ème ; le rôle du 60ème était de s'emparer du fortin C. Cela fait, il devait, comme l'avait dit le général en chef dans un ordre du jour qu'il avait lancé à cette époque, « pousser sans trêve, de jour et de nuit, au delà des positions, de deuxième ligne, jusqu'en terrain libre. A la cavalerie, réunie en grande masse, d'exploiter ensuite le succès à grande distance en avant ». Le travail de préparation fut énorme. Il fallait d'abord rapprocher les lignes pour mettre les combattants à distance d'assaut, constituer des places d'armes à l'abri, pour les réserves; assurer les communications avec l'arrière par des boyaux suffisamment larges qui permettraient les ravitaillements et les évacuations de blessés. Les Allemands se rendaient bien compte de nos préparatifs et ils s'efforçaient de les contrarier par leurs feux. Du 3 au 23 septembre, nous comptons 20 tués et 47 blessés, parmi lesquels le souslieutenant Laurent. Nos premières lignes reçoivent d'énormes torpilles du calibre 240, du poids de 108 kilos. C'est ainsi que 3 des nôtres furent ensevelis dans un abri. Le 22 septembre, à 6 heures du matin, commence la prépa ration d'artillerie. Les pièces de tous calibres réparties dans le secteur entrent en action; le tir est méthodique et nourri. Un nuage énorme de poussière blanche barre l'horizon. Le fantassin se réjouit à entendre pareil déclanchement de tir. Pour cette fois Fritz écope, et sérieusement. Aussi bien le Boche est- il presque muet; de temps à autre un obus arrive sur la route ou dans les environs de la ferme de Piémont. Parfois on entend aussi le ta-ka-ta d'une mitrailleuse ou le sifflement d'une balle tirée par Marius. Nos hommes accoudés sur les parapets suivent les effets du tir et s'intéressent surtout aux évolutions des torpilles qui doivent détruire les fils de fer tout près d'eux. Ils font leurs derniers préparatifs, confectionnent des bandes et des carrés de toile blanche qu'ils s'appliquent dans le dos pour faciliter à distance le jalonnement des lignes pendant l'action, ajustent les casques récemment distribués et qui paraissent grands et lourds; pendant ce temps les officiers lisent et commentent l'ordre du jour du généralissime et celui du colonel qui précise et complète les indications du premier : EXTRAIT DE L'ORDRE DU RÉGIMENT N° 159 Soldats du 60e, Vous allez voir des journées formidables. La France, après de longs mois de recueillement, a préparé un effort qui doit être décisif, et vous avez l'honneur d'être en première ligne pour l'attaque générale qui va se produire. L'heure est venue de nous venger de l'insulte allemande. Votre effort répondra à l'attente confiante de votre pays. Sous le couvert d'une artillerie puissante, nous avons le devoir de pousser jusqu'aux batteries ennemies et de clouer les servants sur leurs pièces. A vous d'écrire un nouveau nom glorieux sur les plis de votre drapeau qui vous accompagne dans votre élan. 24 septembre 1915. Le Colonel, MITTELHAUSER.

 

II. - L'offensive.

A partir de minuit, les troupes prennent leurs emplacements de départ. Le 3ème bataillon partira le premier, le 2ème suivra; le 1er restera en réserve. Les bataillons de tête sont échelonnés en profondeur, et doivent constituer quatre vagues d'assaut. Le colonel marchera au centre et derrière lui s'avancera le drapeau porté par le sous- lieutenant Billey. La mission de chacun est bien définie. Des ordres et des éclaircissements minutieux l'ont portée à la connaissance de tous. Les deux premières vagues franchissant la première tranchée boche, se précipiteront incontinent sur la deuxième, puis sur la troisième, à la lisière du bois 168. La troisième vague, puis la qua trième suivront immédiatement, prêtes à renforcer les précédentes et à protéger leur flanc. Quant au 1er bataillon, il a son rôle à part. Les 3ème et 4ème compagnies, aux ordres du commandant Thivel, assureront la liaison à droite avec le 44ème. La 1ère et la 2ème, sous le commandement du capitaine Duffet, resteront à la disposition de la brigade. Les mouvements préalables s'accomplissent au petit jour. Il y a un peu d'encombrement ici ou là. Tout finit par se tasser. A 9 heures, les hommes sont en place et le colonel à son P. C. de la Grande Mine. A 9h 10, on met baïonnette au canon. A 9h 15, l'artillerie allonge soudainement son tir : toutes les premières vagues bondissent sur le parapet d'un élan magnifique, cependant qu'à gauche les cavaliers du 11ème chasseurs à cheval s'élancent à toute allure et que les pièces du 47ème désignées pour accompagner l'infanterie viennent se mettre en batterie tout près de nos lignes. Minute inoubliable qu'il faut avoir vécue si l'on veut comprendre ! Hélas ! quelque intense qu'ait été le bombardement, le Boche n'était pas anéanti. Il attendait. Quand les casques paraissent au-dessus du parapet un tir effroyable de fusil et de mitrailleuses se déchaîne, accompagné par le fracas dés minen et des canons qui s'acharnent sur certains points. Les pièces d'accompagnement ont leurs chevaux tués et le plus grand nombre des hommes sont mis hors de combat. Nos vagues d'assaut sont prises de front par les mitrailleuses du point 202, de flanc par celles qui tirent de 230 et de 140. En cinq minutes, une bonne partie des assaillants sont couchés sur le terrain bouleversé. Le capitaine Delarue, de la 12ème, est coupé en trois par une torpille qui l'atteint en plein corps; 27 hommes de sa compagnie tombent sur deux lignes, au pied du réseau, derrière le sous- lieutenant de Buyer. Tués aussi les capitaines Marconnet et Collilieux, les lieutenants Olivier, Boucher, Pauthier, Donnet, l'adjudant Febvre. Le lieutenant Schneider, commandant la 10ème, est grièvement blessé et meurt dans un abri où on le retrouvera huit jours plus tard le visage et les mains dévorés par les rats. Le commandant Devant marche toujours en tête des débris du bataillon. Quand il est parvenu à proximité immédiate du fortin, il reçoit une balle en plein front et meurt sur- lechamp. Non loin de lui agonise le sous -lieutenant Renaud atteint d'une balle au ventre. De tous les commandants de compagnie, seul le capitaine Reverchon n'est que blessé; les autres sont morts. Le sol est jonché de corps étendus sans vie. Quand, les jours suivants, il sera procédé 'à l'inhumation des morts, on ne trouvera pas moins de 218 cadavres des 12ème, 11ème, 9ème et 8ème compagnies. Pendant que la tempête se décha îne sinistrement, les vagues d'assaut continuent leur marche. Le colonel peut arriver dans la ligne allemande, où le caporal Pacaud, de la 1ère, qui est de garde au drapeau, tue trois ennemis. Le colonel s'installe au point 154 avec une poignée d'hommes et c'est là qu'il donne aux compagnies de réserve l'ordre de venir le rejoindre. Celles-ci avaient, de leur côté, grandement souffert du fait des tirs de barrage. Déjà un peu avant 9 heures, au moment où il se dirigeait à la tête de ses compagnies vers la rue du commandant Fromont et la tranchée Bellune, le commandant Thimel avait trouvé la mort. Voyant les boyaux qui conduisaient aux parallèles remplis plis de soldats des 60ème et 44ème qui n'avaient pu encore découvrir leur place, le capitaine Boulle (4ème), prend le commandement, mais il est, blessé presque aussitôt; le sous-lieutenant Ruty (3ème) lui succède, mais il tombe lui aussi et il mourra quelques jours après à l'ambulance du mont Frenet. Les 3ème et 4ème sont ainsi privées de leurs chefs, avant d'être sorties de la tranchée. Désorganisées par les tirs de barrage, elles sont mises en réserve. Le capitaine Duffet envoie successivement au colonel la 1ème puis la 2ème compagnie; en passant à la hauteur du saillant B, l'une et l'autre sont-très fortement éprouvées par le tir des Allemands qui tiennent toujours dans ce réduit, au nombre d'environ 300 hommes. Pourtant, la progression continue : ce qui reste des trois premières vagues, conduit par le commandant Peyrotte, s'avance vers la deuxième tranchée, qui est traversée malgré les pertes nouvelles que nous subissons. Le capitaine Stéfa nacci, de la 7ème, et le lieutenant Cottez sont tués près de la tranchée, et, à côté d'eux, on pourra recueillir les restes de 44 hommes des 3ème et 2ème bataillons. Les prisonniers commencent à affluer. Le sous-lieutenant Boivin s'empare personnellement d'un officier et contribue à la reddition de très nombreux hommes. Le sous-lieutenant Petrement, avec son peloton, cueille 70 prisonniers. Le soldat Tissot, de la 12ème et le soldat François Henri se font remarquer par leur ardeur et leur sang- froid. Le dernier fait à lui seul 7 prisonniers. Le soldat Jacquet, de la 4ème, voyant ses camarades tombés autour de lui du fait d'une mitrailleuse embusquée dans la tranchée, saute résolument sur elle, tue les trois mitrailleurs boches et s'empare de la pièce. L'on dépasse bientôt le bois C. Malheureusement, il faut marquer le pas en cet endroit, notre artillerie tirant trop court. Il faut même revenir un peu en arrière, à la deuxième tranchée, occupée encore sur certains points par de nombreux défenseurs contre lesquels nous engageons une lutte à la grenade des plus violentes. Bientôt les Boches se réfugient de partout dans des centres de résistance situés à l'est du point C (8e). Ils y tiendront encore tout le reste de la journée et même une bonne partie de la nuit. On ne pourra les réduire que pied à pied, car ils sont braves et leurs chefs énergiques. La nuit arrive bien vite, par ce ciel sombre et pluvieux d'automne; le régiment se réorganise sur le terrain conquis en attendant le moment de bondir à nouveau. Il a fait dans la journée 400 prisonniers et capturé 4 mitrailleuses et 4 minen. Il compte malheureusement 13 officiers tués, parmi lesquels 2 chefs de bataillon et 7 commandants de compagnie. Il a de plus 13 officiers blessés, dont 3 capitaines. Le nombre des hommes tués ou blessés est très considérable; leur évacuation presque impossible de jour est très difficile encore la nuit venue. En attendant, les malheureux s'accumulent au poste de recueil, sur l'Ain.

III. - La progression du 26.

Pendant la nuit, très pluvieuse, le régiment n'est pas resté inactif. Les 1ère et 2ème compagnies, mises à la disposition du commandant Peyrotte, progressent, homme par homme, dans l'ouvrage 153. Le sous- lieutenant Drogrey se distingue entre tous par son allant et son énergie et il contribue pour une, grande part à l'enlèvement de la position. La 3ème et la 4ème arrivent elles aussi avec le capitaine Duffet. La 3ème encercle complètement le saillant C, devant lequel le 44ème est encore arrêté, et, son oeuvre terminée, rejoint le régiment. Celui-ci, averti par ses patrouilles que l'ennemi battait en retraite, était parti vers 7 heures. La 1ère compagnie, sous lieutenant Drogrey, marche en tête; elle traverse la troisième tranchée et les réseaux qui ont peu souffert du bombardement; elle s'en va par les bois 168, 167, 171 et la cote 139 jusqu'à la crête au sud du bois Chevron. Le régiment suit et, chemin, faisant, s'empare de batteries lourdes, défendues seulement par de faibles contingents d'arrière- garde. Arrivé devant la dernière ligne allemande, il envoie des reconnais sances qui constatent que la position est fortement occupée. Notre, artillerie se porte en avant pour rendre la ligne intenable avant que l'ennemi ait pu renforcer ses organisations déjà très fortes. A 14h 30, le colonel reçoit l'ordre d'attaquer la tranchée du bois Chevron, à partir du point 1200. Partout la tranchée est à contre-pente et protégée par un réseau de fil de fer gros comme le petit doigt et large d'au moins 15 mètres; elle est très fortement occupée d'ailleurs. L'artillerie commence sa préparation, mais ses obus à trajectoire trop tendue n'atteignent ni la tranchée ni les réseaux. A l'heure fixée, nos fantassins s'élancent à la suite du capitaine Duffet. Le reste du régiment suit le 1er bataillon avec le colonel et le drapeau. Dès que les hommes débouchent des bois 3 et 4, ils sont reçus par un tir de barrage extrêmement violent qui atteint surtout les derniers échelons. Le capitaine Magnin est tué. Le capitaine adjoint au colonel est blessé. La première ligne progresse au delà du bois Allongé jusqu'aux réseaux où elle est mitraillée à outrance et perd beaucoup de monde. Quelques hommes munis de cisailles tentent de couper les fils de fer. Tous sont tués ou blessés. Des patrouilles explorent en rampant le réseau afin de découvrir quelque part une brèche. C'est en vain. Il faut une fois de plus s'arrêter et se retrancher sur place. Le régiment ne compte plus que 800 fusils. La nuit trouve le régiment dans cette situation. Des patrouilles s'efforcent d'assurer la liaison à droite et à gauche. Malgré tous les efforts, elle ne peut s'effectuer. Il y a donc eu repli à droite et à gauche. Pour ne pas rester en flèche, le colonel décide que le régiment ira prendre position à quelques centaines de mètres en arrière. L'on rassemble les morts et l'on effectue le repli prescrit en bon ordre, sous la protection du 1er bataillon dont une patrouille, conduite par l' adjudant Chatelain de la 4ème, reconnaît les bois situés immédiatement en avant de la tranchée allemande. Elle y constate la présence partout de l'ennemi en force.

 

IV. - Nouveaux efforts.

Les journées suivantes seront marquées par des assauts sans cesse répétés et toujours infructueux. Chacun se rend compte que l'offensive est enrayée pour un temps et qu'il est nécessaire de refaire une préparation complète. Le 27, la 37ème division d'infanterie, à gauche, réalise cependant des progrès sérieux et s'empare de l'Épine-de-Védegrange. Le 2ème bataillon a reçu l'ordre d'appuyer cette attaque. Réduit à deux maigres compagnies, il parvient jusqu'au bois de la cote 170, mais il est arrêté et doit revenir en arrière pour se reformer. Le 44ème est réuni au 60ème et constitue avec lui un seul régiment de marche. Le colonel Mittelhauser fait creuser des tranchées au sud du chemin de fer de campagne et demande des munitions et des renforts. Le 28, l'ordre arrive d'attaquer la tranchée du bois Che vron et de l'enlever à tout prix. Il faut faire coûte que coûte une brèche et atteindre l'objectif : les hauteurs au nord de Sainte-Marie-à-Py. L'ordre est d'attaquer à fond. L'artillerie lourde prend à partie les positions ennemies, mais son tir est inefficace sur des organisations placées à contre-pentes des reconnaissances où se distinguent le soldat Deboulet et le sergent Claudet explorent le réseau sans trouver de brèches nulle part. A 15h 30 cependant, les compagnies vont à l'attaque; la 3ème enveloppe le bois des mitrailleuses et parvient à y pénétrer sous le commandement du sous - lieutenant Lambert. A un signal convenu d'avance, tous s'élancent dans l'ouvrage ennemi : l'adjudant Voinot et le soldat Philippe sautent des premiers dans le boyau. Ce dernier tue un officier allemand. Nous faisons trois prisonniers; le sol est couvert de cadavres boches. Nos hommes progressent d'environ 50 mètres et se trouvent arrêtés par une barricade formée par des havresacs. On se met de suite à la démolir, mais les assaillants sont accablés par une pluie de grenades lancées par les défenseurs postés derrière la barricade. Nous subissons de fortes pertes. Nous perdons encore deux officiers : le lieutenant Durand et le sous- lieutenant d'Oussières. On se replie à 30 mètres du bois et l'on se terre. Une fois de plus, l'échec est complet; malgré tout, le moral reste très élevé. La nuit est terriblement froide. Les sapeurs du génie viennent préparer des emplacements pour les canons de 58, dont l'action est indispensable si l'on veut tenter de nouveaux efforts. Les canons arrivent au petit jour commandé par le capitaine Féline. Le ravitaillement en grenades s'opère de même assez facilement. Les grenades envoyées sont de deux sortes : les unes ne partent pas parce que la pluie a détrempé la matière inflammable; les autres sont d'un modèle nouveau que les hommes ne connaissent pas. Le jour venu, le colonel est informé que la 28ème brigade (35ème et 42ème), renforcée par de nouveaux corps, a atteint à droite le point 1204 et que la brèche est faite de ce côté. Il faut « bourrer » et donner la main aux camarades. 8 heures arrivent, l'ordre est donné à l'artillerie de commencer la préparation. Canons lourds et légers, crapouillots ouvrent le feu. Le temps s'est remis au beau. Le vent sèche le sol et les vêtements : cette fois va-t-on réussir? A midi, l'attaque se déclanche. Dès la première minute, nos hommes sont accueillis par un tir très violent de 105 qui fauche les premières vagues. Toute la liaison du colonel et le sous- lieutenant Petrement, le chef des sapeurs, sont tués dans le trou d'obus où ils sont accroupis. Le colonel, qui s'est installé avec le drapeau au nord du bois Allongé, est soudain frappé lui aussi très grièvement. Il passe le commandement au chef de bataillon Peyrotte qui vient d'être blessé légèrement et qui a été soigné sur place par l'aide-major Aubertin. Le Dr Dumas, du 3ème bataillon, accourt auprès du colonel et lui donne sous le feu les premiers soins. Malgré ces débuts peu encourageants, nous progressons. La 3ème pénètre à nouveau dans l'ouvrage occupé la veille et s'avance dans le boyau à coups de grenades. Elle est malheureusement arrêtée par un obstacle muni d'une mitrailleuse qui prend le boyau d'enfilade. Elle subit des pertes tout à fait nombreuses et perd son chef, le sous- lieutenant Lambert, qui est blessé mortellement. Les autres compagnies par venues elles aussi au réseau fondent à vue d'oeil. Elles doivent revenir au point de départ, et les sous-lieutenants Vuillemin et Grosjean tombent grièvement blessés. Le colonel, dans l'intervalle, a été transporté rapidement à l'arrière par les soins des Dr Dumas et Héron de Villefosse. Quand on est parvenu dans un endroit quelque peu abrité, il trouve la force de dicter de son brancard, le sapeur Deroche lui soutenant la tête, un ordre du jour très bref, que les hommes du régiment écouteront le lendemain avec émotion : « Le lieutenant-colonel commandant le 60ème, blessé dans une dernière attaque, quitte à regret le commandement du régiment dont il aurait voulu assurer la reconstitution. Mais, avant de partir, il exprime aux survivants sa fierté d'avoir eu à conduire au feu un aussi beau régiment. Le 60ème, dans l'offensive du 26 septembre, a été à la hauteur des plus belles réputations militaires. Le lieutenant-colonel ne désespère pas d'ailleurs de revoir le 60ème, mais s'il ne doit plus entreprendre le commandement, il exprime ses souhaits à son régiment et compte que jusqu'à la victoire finale, il restera digne d'une réputation désormais établie. »

 

V. - L'arrêt définitif.

 Cette fois, c'est la fin. Les régiments de la division ont trop souffert pour être à même de tenter un nouvel effort. Les quatre colonels sont tués ou blessés, 9 commandants sur 12 ont été frappés à mort. Il n'y a presque plus de capitaines ni, même d'officiers. Le 60ème a perdu 42 officiers et 1.700 hommes. La relève s'effectue dans la soirée du 29. Le régiment est remplacé par le 120ème B. C. P. et il rentre au camp de Suippes d'où il s'en va au bivouac de la voie d'Aigny, près du village des Grandes-Loges, pour s'y réorganiser. Enfin, le 19 octobre, le régiment s'installe au secteur de l'Épine de Védegrange, conquis par la 37ème D. I. et occupé par la 8ème. La veille, il avait reçu son nouveau chef : le lieutenant-colonel de Pirey, récemment promu. Le 60ème connaissait déjà son colonel pour l'avoir possédé en qualité de commandant du 2ème bataillon au début de la campagne. Blessé grièvement à Bouillancy, il était revenu après sa guérison au 35ème, et il était un des rares survivants de l'attaque du 25, qui avait du reste coûté la vie à l'un de ses frères, capitaine dans son bataillon. Un ordre du général de Castelnau, commandant le groupe d'armées du centre, qui cite à l'ordre du groupement le 7ème corps tout entier, fut la première récompense des efforts fournis et de l'héroïsme déployé. Quelques jours plus tard, les régiments de la division étaient cités par le général Gouraud à l'ordre de la IVème armée, et les éloges accordés au 60ème dans cette citation n'étaient pas les moins flatteurs. Le 60e régiment d'infanterie. Sous les ordres du lieutenant-colonel MITTELHAUSER, s'est élancé le 23 septembre, drapeau déployé, à l'assaut des tranchées allemandes. A successivement enlevé les trois premières ligne de première position ennemie sous un feu des plus violents et des plus meurtriers. Poursuivant ensuite l'ennemi sur 4 kilomètres, a fait plus de 300 prisonniers, s'est emparé d'une batterie lourde et a atteint la deuxième position allemande. S'est maintenu sur le terrain conquis bien que privé de son chef, grièvement blessé, et d'une grande partie de ses cadres, et a repoussé victorieusement toutes les contre-attaques de l'ennemi. Q. G., le 23 janvier 1916. Le Général commandant la I Vème armée, Signé : Gouraud. C'était la première fois que la valeur du régiment était officiellement reconnue. Hélas! il avait payé bien cher cet honneur. 

 

VERDUN

I. - Avant l'offensive.

Nous avons laissé le régiment en Champagne, au secteur de l'Épine de Védegrange dont il avait pris possession le 20 octobre 1915. Il y restera jusqu'au 23 novembre. Cette partie du front, tout à fait agitée au début, devient de plus en plus calme : le nombre des victimes du bombardement, assez considérable tout d'abord, devient à la longue presque nul. Nous avons co mpté au total 18 tués et 93 blessés. Relevé le 23 novembre, le régiment s'en va dans la région de Saint-Quentin-sur-Coole, qu'il quittait au bout de quelques jours pour gagner les environs de Saint-Dizier. Il passe là tout le mois de décembre et une partie de janvier 1916. Ce séjour ne fut pas pour lui des moins agréables. Vers le milieu du mois de janvier, nous allions par étapes au camp de Mailly. Le 2 février, quand l'instruction est terminée, le régiment est embarqué à Arcy-sur-Aube, et transporté près de Bar-le-Duc. Il s'installe le même jour à Robert-Espagne. Soudain, le 11 février, la division est alertée. Toutes les troupes prennent la direction de Verdun. Il fait un temps épouvantable : partout c'est un cahot, un grouillement de voitures, de chevaux et d'hommes. Les bruits les plus divers circulent et trouvent créance dans l'âme des soldats. L'impression générale est qu'on va attaquer. . Le 16, des camions arrivent qui transportent d'urgence le régiment à la caserne de Jardinfontaine, aux portes de Verdun, sur lequel commencent à pleuvoir de très grosses marmites, des « maous », comme disent les hommes. Le 19, nous montons à Chevert et au fort de Belrupt : la division reçoit l'ordre d'occuper le secteur nord de la R. F. V. (région fortifiée de Verdun). On parle vaguement d'une attaque boche imminente : partout on travaille avec une activité fébrile à la réfection des ouvrages de défense. Soudain, le 21, un lundi, à 7 heures du matin, un bombardement for midable se déclanche sur tout le front de la rive droite de la Meuse. L'attaque de Verdun est déclanchée : c'est le début du terrible assaut. II. - L'offensive allemande du 21 au 26 février. Quand on arrive d'Étain ou de Spincourt et qu'on approche de Verdun, on voit surgir brusquement, au delà de la plaine marécageuse de Woëvre, des collines d'une altitude moyenne de 200 à 350 mètres. Ce sont les Hauts de Meuse. Ces hauteurs sont profondément entaillées par des ravins profonds. Entre les ravins, s'étendent de grands plateaux. Les centres de Brabant, Consenvoye, Haumont, le bois des Caures, forment notre première position. La deuxième ligne s'appuie sur Samogneux, la cote 344, la ferme Mormont, Beaumont, pour ne parler que des lieux où le régiment inter viendra tout à l'heure. Toutes ces positions sont occupées par des troupes des 72ème et 51ème divisions appartenant au 32ème C. A. (général Chrétien). Donc, le 21 février, à 7h 15, l'ennemi ouvre le feu et arrose copieusement tout le terrain qui s'étend jusqu'à Verdun Gare, Eix, Abaucourt, au sud la ligne boisée Brabant, Jumelles-d'Ormes. Dix saucisses planent au-dessus des lignes boches et dirigent le tir qui atteint, vers 16 heures, sa plus haute intensité. A ce moment, l'infanterie entre en scène. Nos éléments de première ligne résistent de leur mieux, d'aucuns se cramponnent au sol jusqu'à la mort. Pendant ce temps, dans la nuit du 20 au 21, le 1er bataillon, commandé par le capitaine Duffet, part en auto pour la région de Samogneux-Consenvoye. Le 2ème bataillon, commandant Peyrotte, et le 3ème, commandant Falconnet, sont embarqués en chemin de fer, transportés à l'est de Bras, dans le voisinage de la côte du Poivre, pour prendre part aux travaux de défense. Le bombardement est si intense que toutes les sections sont obligées de cesser le trava il et de se réfugier dans les abris habitables. Les maisons sont en feu. A la nuit, les bataillons reçoivent l'ordre de revenir au point de départ du matin. Le lendemain, il faut reprendre le travail qui n'a pu être exécuté la veille. Les 2ème et 3ème bataillons partent de bonne heure, 1er à midi et va rejoindre le reste du régiment au pied de la côte du Poivre. Là, toutes les compagnies sont établies en position d'attente sous bombardement incessant qui cause pas mal de pertes. Dans la soirée, le colonel reçoit l'ordre de mettre des bataillons à la disposition de la 72ème D. I. De sa personne, avec le 2ème bataillon, il doit donc se porter dans le voisinage de l'embranchement de la route de Vacherauville-Louvemont. Le 3ème bataillon occupera le ravin de la Cage, à 2 kilomètres au nord de Vacherauville. Quant au 1er bataillon, le lendemain vers midi, il est dirigé sur Vacherauville et Samogneux. Le régiment se trouvera de la sorte engagé sur trois points différents sans liaison d'un bataillon à l'autre. Ce même jour, 22 février, l'ennemi a dû marquer un temps d'arrêt aux deux ailes de Brabant-sur- Meuse et à l'Herbebois; par contre, il a pu s'emparer au centre, au prix de fortes pertes, du bois d' Haumont et d'une partie du bois des Saures. Le lieutenant-colonel de Pirey et le 2ème bataillon reçoivent l'ordre de reprendre le bois le Fays, où les Allemands seraient parvenus, et à arrêter les fuyards qui désertent le combat. La nuit est horriblement noire, la pluie tombe et les rafales d'artillerie se succèdent sans interruption. On ne sait pas grand'chose de la position exacte des Allemands. Les sections s'avancent avec précaution, baïonnette au canon. Après une marche très longue et fort pénible, on arrive à la cote 240, puis au bois le Fays qui n'est pas occupé. On organise la position. La 6ème envoie des patrouilles dans toutes les directions pour savoir au juste où est l'ennemi. La journée du 23. - Pendant la matinée du 23 février, le colonel reçoit un nouvel ordre. Cette fois, il faut attaquer et reprendre le bois des Caures. Le mouvement du 2e bataillon du 60ème doit être soutenu par un fort parti du 365e qui occupe à gauche la ferme d'Anglemont. Le colonel donne aussitôt ses ordres. Au moment où notre attaque va partir, une violente canonnade ennemie se déclanche, accompagnée d'une fusillade effroyablement nourrie. L'Allemand attaque lui aussi, et nos vagues d'assaut doivent rester en place La 8ème à gauche engage cependant un violent combat sous bois, elle fait d'abord 18 prisonniers, mais par la suite subit des pertes très fortes. Malheureusement le 365e, à gauche, est rejeté sur la ferme d'Anglemont, l'ennemi s'infiltre par le trou qui vient de se faire, encercle la 8e qui se maintient, mais la nuit venue est contrainte de déposer les armes. Maître de la totalité du bois des Caures, l'ennemi tente d'en sortir pour déborder le bois le Fays. La 5ème, appelée en hâte à la rescousse, lui barre le passage. La 6ème et la 7ème se retranchent sur place et sur la route même. Une compagnie du 2ème zouaves, 37ème D. I., arrive en renfort et appuie la 5ème. L'après- midi est marqué par un bombardement incessant qui multiplie les pertes. Le caporal Roy, de la 6ème, a le bras arraché; malgré son horrible blessure, il garde tout son sangfroid et il trouve encore la force de crier, avant de mourir « Vive la France ! » La journée du 23 coûte au bataillon 21 tués et 102 blessés. La nuit venue, tout rentre dans le calme le plus complet. Le 2ème bataillon se retranche à l'aide de tranchées et de fils de fer que l'on trouve sur place. Pendant toute cette même journée du 23, le 3ème bataillon est resté sur ses emplacements de la veille, au ravin de la Cage, ignorant tout de la situation. Quant au bataillon Duffet, il est dirigé, vers midi, sur Samogneux et y arrive vers 16 heures au prix d'un certain nombre de pertes. Le chef de bataillon et le sergent Mulatier, de la 1ère compagnie, se mettent à la recherche du colonel du 351ème, au milieu des obus qui pleuvent littéralement et des moellons qui s'écroulent de partout. Quand ils l'ont retrouvé, ils reçoivent les instructions nécessaires pour attaquer Brabant le lendemain au matin. En attendant, le bataillon doit passer la nuit à Samogneux. Dans la soirée, les affaires prennent une tournure inattendue. Le 324ème R. I. cède, et les Allemands parviennent jusqu'à la lisière nord de Sainogneux. Bien plus, ils arrivent à l'écluse, située au sud-ouest du village. Une conséquence de cet état de choses est que l'attaque sur Brabant est remise à plus tard. Le bataillon doit se préoccuper de prendre ses sûretés, car il apparaît de plus en plus qu'on ne saurait faire grand fond sur les troupes de l'avant, qui sont démoralisées. La 1ère compagnie se poste donc entre Samogneux et le canal; la 3ème monte sur les hauteurs à l'est du village où elle est renforcée par une compagnie du 324ème qui erre dans la plaine, désemparée. La 2ème et la 4ème s'installent au sud de Samogneux et toute la nuit travaillent d'un labeur obstiné. Au point du jour, il y avait deux lignes de tranchées battant tout le terrain au sud du village. La journée du 24. - Pendant la nuit, les Boches n'étaient pas restés inactifs. A l'aide de liquides enflammés, ils avaient progressé dans le village de Samogneux dont ils s'étaient emparés. L'ennemi ne peut en déboucher parce que le 1er bataillon tient toutes les issues sous son feu. Vers 5 heures, le commandant Duffet reçoit l'ordre d'attaquer le village et de le reprendre. C'est une opération très difficile; on s'efforcera cependant de la réaliser en manoeuvrant par la droite. Le capitaine Leroux,  de la 3ème compagnie, soutenu par une sec tion de 4, adjudant Schlottaubert, entraîne ses hommes à l'assaut. Tout le monde part fort énergiquement et à très belle allure. On progresse de 400 mètres jusqu'au moment où le feu de l'ennemi devient extrêmement meurtrier. Il faut revenir en arrière, laissant sur le terrain beaucoup de monde, dont les sous-lieutenants Championnet et de Rivasson. Vers 7h 30, deux Boches traversent le canal et se présentent à nos hommes tout ruisselants d'eau et de vase, tenant d'une main une « boule » de pain et de l'autre une boîte de «singe ». Conduits au commandant du bataillon, ils lui apprennent qu'une attaque allemande se prépare et qu'elle doit se faire à 13 heures. De fait, un bombardement ennemi violent commence, prélude d'une attaque d'infanterie. Le capitaine Duffet la sentant venir, demande en vain le secours de l'artillerie. Les Boches débouchent soudain des carrières et marchent face au canal, laissant Samogneux à leur droite. Ils sont reçus par des feux extrêmement nourris et très meurtriers. Mais nos tranchées sont débordées parla droite et prises d'enfilade; il faut se replier vers la côte du Talou. Le lieutenant Gave, de la 4ème, est tué d'une balle au front et avec lui tombent le sergent- major Filex et 5 hommes de la section. Le sergent Lamy, atteint d'une balle qui lui a coupé l'artère fémorale, fait quelques pas et s'écroule, rendant le dernier soupir. Le capitaine Leroux, de la 3ème, est atteint lui aussi. La compagnie s'accroche au terrain désespérément pour protéger le repli des autres unités dont une partie s'écoule par la berge du canal, ce pendant que le clairon Berge, de la 1ère, se tient debout sur le chemin de halage pour assurer la liaison et surveiller les mouvements de l'ennemi. Obus et balles tombent autour de lui : il reste impassible de longues heures au poste dangereux qui lui a été confié. Encore à l'heure actuelle, les survivants de cette journée du 24 gardent un souvenir singulièrement vivant de cette retraite. Enfin à 19 heures, le bataillon se regroupe et passe aux ordres du 3ème régiment de tirailleurs et se porte vers le bois de la Cage pour assurer le repli éventuel des éléments de la 37ème division. Son rôle est d'occuper solidement le carrefour des routes de Samogneux et de Beaumont. Il se hâte de creuser des tranchées de défense où il se prépare à tenir jusqu'à la dernière extrémité. Pendant toute la matinée du 24, le 3ème bataillon avait joui d'un certain calme et il avait pu continuer ses travaux. Étant en deuxième ligne, il est laissé dans une ignorance complète de la situation. Vers midi, le bombardement commence sur 344 et sévit surtout sur la route de Vacherauville et le bois de la Cage. Les compagnies montent sur le plateau et prennent le dispositif d'alerte. Le P. C. du commandant Falconnet est établi dans le ravin de Vaudoine, sur la pente sud de 344, dans l'un des nombreux abris d'artillerie qui se trouvaient en cet endroit. Soudain, un obus de 210 éclate derrière l'abri, le renverse entièrement. Le sous -lieutenant Collet, adjoint au commandant, est grièvement blessé. Le commandant est tué sur le coup et avec lui le sous - lieutenant Courtot de la compagnie de mitrailleuses, et l'adjudant, de, bataillon Corne. Les Boches apparaissent soudain à gauche du côté où l'on ne les attendait pas du tout et venant de Samogneux. Ils marchent devant eux et tirent tout en marchant. Le médecin aide-major Dumas, blessé grièvement, ordonne à son personnel de se retirer un peu en arrière; pour lui, il parvient à se hisser sur un cheval d'artillerie qui erre à l'aventure. Il s'en va au galop vers Vache rauville, poursuivi par des nuées de balles, heureusement inoffensives. Le bataillon fait face au danger et essaie de contenir le Boche dans un violent combat qui va jusqu'au corps à corps. Le capitaine adjudant- major Françon a remplacé le commandant. Malgré tous les efforts, les défenseurs de la cote 344 vont être pris à revers, quand un bataillon du 35ème contre-attaque furieusement. Grâce à lui, la plupart des sections peuve nt se dégager et se reporter un peu en arrière. Seules manqueront le soir au rendez- vous trois sections de la 10ème, avec le souslieutenant Tesseur, et une partie de la 11ème avec le lieutenant Mauric. Pendant ce temps, à droite, le groupement commandé par le colonel de Pirey subissait aussi de dures épreuves. La nuit du 23 au 24 avait été relativement calme. Le colonel et le commandant sont installés au carrefour de la route d'Anglemont-Ville.  La 6ème et la 7ème compagnie, lieutenant Rancod, occupent le fond du ravin de Beaumont, la 5ème est en réserve, le colonel est à 30 mètres environ de la ligne. A 7 heures du matin, l'ennemi marmite, comme il sait le faire, le bois le Fays et le village de Beaumont, occupé par le 108ème de la 51ème D. 1. Les obus de 210 arrivent par série de quatre, explosant avec un fracas horrible. Vers midi, l'infanterie commence ses essais d'infiltration. Des groupes d'une cinquantaine d'hommes apparaissent sur la crête dominant Beaumont et s'efforcent de gagner le village suivi de près par d'autres groupes qui suivent la même tactique. Nos deux mitrailleuses placées au carrefour font rage et abattent par leur tir très précis un très grand nombre de Boches. Cependant, vers 14 heures, Beaumont est pris; notre première ligne n'exis te plus et la 7ème compagnie, prise d'enfilade, est obligée de quitter son emplacement et de s'établir sur la route face à Beaumont., Les balles ennemies arrivent maintenant sous les abris orientés vers Beaumont. Il faut évacuer le P. S. et les gourbis voisins où les blessés s'accumulent. Les brancardiers s'engagent sur le chemin qui conduit à la ferme, d'Anglemont. Une mitrailleuse ennemie le prend justement d'enfilade et tire sans arrêt. Le médecin- major Aubertin, un jeune homme d'une grande élévation mo rale et d'un courage magnifique, est atteint d'une balle à la cuisse. Il tombe sur le côté droit de la route et reçoit presque aussitôt une nouvelle blessure en plein coeur. Le caporal infirmier Guillard reçoit une balle dans le ventre et s'affaisse sur la route. L'abbé Roux, l'aumônier du bataillon, est atteint lui aussi à la cuisse. Transporté dans l'abri de la carrière des Anglais, il sera pris par l'ennemi et mourra en captivité. Les Allemands sont arrêtés à notre droite, mais, à gauche, ils progressent en s'infiltrant sous bois. A un moment donné, vers 18h 30, les zouaves se.replient : la 6ème et la 7ème vont être encerclées. Le capitaine Pertuis aperçoit le danger. Il fait mettre baïonnette au canon. La 7ème imite le mouvement et répond à l'appel de son chef qui s'écrie : « A moi la 7ème ! » Un clairon sonne la charge qui ne laisse pas d'impressionner l'ennemi en dépit des sons hésitants de l'instrument. Les Boches plient et les compagnies, se dégageant, reprennent leur position. Elles ouvrent un feu terrible, au point qu'à la longue les canons des fusils sont rougis par les tirs. On brûle toutes les cartouches des hommes, celles des morts et celles qu'on a trouvées sur place, encore les munitions d'un caisson qui a été envoyé d'urgence par l'officier adjoint, lieutenant Bour geois. On tire plus d'un demi-million de cartouches. La nuit même ne met pas un terme à la fusillade. L'ennemi cependant ne peut plus avancer. Aussi bien, nos pertes sont-elles lourdes nous comptons ce jour- là 64 tués et 190 blessés. La journée du 25. - A minuit, des" renseignements parviennent au colonel qui lui permettent de préciser la situation. Les Allemands sont maîtres de la cote 344 et du bois des Fosses. Nous sommes donc bel et bien cernés par les deux flancs. Aussi l'ordre arrive-t- il de reporter le bataillon en arrière, en passant entre les postes établis par les Allemands. Le repli commence vers 2 heures du matin, masqué par une fusillade très nourrie : l'adjudant Prost-Maréchal reste le dernier pour couvrir le repli. Vers 5 heures du matin, tout le bataillon était rassemblé sur les pentes au sud de la côte du Poivre et se dirigeait sur Belleville. C'est là qu'il est rejoint par le 3ème bataillon, puis le 1er ,très affaibli lui aussi. Les compagnies sont refaites à deux sections et, le 26 au soir, le régiment prenait la route de Vaux, en réserve de D. I. La journée dur 26. - La journée du 26 sera plus rude encore. L'ennemi, poussant son offensive, s'empare de la redoute de Hardaumont et du fort de Douaumont; le régiment est en réserve derrière la ligne signal d'Hardaumont-Eise, mais vers le soir la situation paraît meilleure. On a l'impression très nette qu'il y aura quelque chose de changé dans la situation. Les généraux de Castelnau et Pétain étaient passés là ! L'actio n tend d'ailleurs à s'élargir vers la Woëvre. Le 27 février, le 60ème rallie la division dont il constitue la réserve de même que la 35ème. Il reçoit quelques hommes de renfort, une centaine au maximum, auxquels sont lues, dès leur arrivée, les lignes suivantes du colonel : ORDRE Le 60ème a été à Verdun ce qu'il a été en Alsace, à Proyart, à 1a Marne et à Soissons. Pendant cinq jours, malgré le froid, le manque de nourriture et de boisson, malgré le feu très meurtrier de l'ennemi, sous un bombardement excessivement violent, il a arrêté successivement les élans de l'ennemi en lui infligeant des pertes très sérieuses et a excité l'admiration de tous les officiers des corps voisins. 26 février 1916. Le Lieutenant-Colonel DE PIREY. La division étend son front pour maintenir sa liaison avec la 132ème D. I. qui a reculé en Woëvre. Elle a du reste sous son commandement les éléments territoriaux du secteur. A 10 heures, le 60ème est rendu à sa brigade, la 27ème. Devant le 60ème, l'ennemi occupe la ligne qui passe par la crête du fort de Douaumont, la cote 340, la gare de Vaux. Le régiment s'installe au bois du Chapitre, non sans éprouver des pertes considérables, du fait du bombardement qui sévit sans arrêt. On marche en colonne par un. A la queue de la 1ère compagnie, se trouve l'adjudant Dugois, entre le souslieutenant Saccard et l'adjudant Jeannin. Un 105 fusant éclate dans le voisinage. L'adjudant Dugois se sent touché « Les rosses, s'exclame -t-il, ils m'ont coupé le bras ! » L'adjudant Jeannin lui prend le bras qui pendait inerte et lui dit « Mais non, mon vieux, le v'là ! » Il n'y avait heureusement qu'une fracture de l'os. « Ma foi, c'est vrai », dit le blessé, soudain consolé et qui, prenant son bras de l'autre main, s'en va philosophiquement se faire panser. Le 36ème territorial, lui aussi, est très fortement éprouvé. L'artillerie ennemie devient de plus en plus active. Le bois du Chapitre est spécialement visé et cela semble être le prélude de l'assaut prochain; le 2ème bataillon se porte en avant du ravin du Chapitre en vue d'une contre-attaque éventuelle. Le sous-lieutenant Girard est tué par un éclat d'obus qui lui tranche l'artère fémorale. Quant au 1er bataillon, il occupe les ouvrages semi-permanents sur la pente sud du fort de Vaux. Le 3ème bataillon, dont il ne reste que des débris, construit plus en arrière des abris de bombardement. Ces mouvements, opérés sous le feu, nous coûtent 18 tués et 118 blessés. A la nuit tombante, les brancardiers divisionnaires viendront avec leurs petites voitures chercher les blessés pour les transporter au point d'ar rivée des autos sanitaires. Il faut avoir vu une relève de ce genre pour se rendre compte des difficultés qu'elle présente. La nuit du 27 au 28 mars, écrit l'abbé Verchot, aumônier divisionnaire, en sera le spécimen le plus complet. Il ne trouve pas de mots capables de traduire les émotions qu'il éprouva alors que remontant les pentes du fort de Vaux, à la tête d'une longue file de brancardiers, il entendait à tout instant les jurons des porteurs qui s'abattaient dans les trous d'obus multipliés sous leurs pas, et les hurlements des blessés, pour la plupart atteints de fractures compliquées. Le bruit des explosions était impuissant à les couvrir; commencé à 8 heures du soir, le voyage était achevé à 5h 30 du matin, et il y avait à peine 1.500 mètres de distance à parcourir. A partir du 28 février, l'activité de combat semble se ralentir, seul le bombardement persiste toujours aussi violent. Le 1er mars, arrive l'ordre de relève. Le 409ème de la 120ème D. I. arrive à la nuit, et le régiment lui cède le terrain qu'il occupait. La relève lui coûte encore 3 tués et 9 blessés. Il se rend à Haudainville, où il réside deux jours durant, toujours poursuivi par les obus qui, heureusement, sont inoffensifs (cantonnements dans les péniches du canal). Le 4 mars, les autos se présentent à Regret et attendent le régiment pour le transporter dans la région de Bar- le-Duc. Le froid est très vif, la boue invraisemblable. La rue principale de Dugny est à la lettre un fleuve de boue où l'on ne distingue plus le ruisseau qui traverse le village dans toute sa longueur. Les routes sont sillonnées par les convois innombrables qui rendent la marche fort pénible. Nous mettons toute une nuit pour franchir les 9 kilo mètres qui nous séparent de Regret. Tous les 100 mètres, il faut stationner quatre ou cinq minutes ou parfois davantage. Or, rien n'est plus énervant pour le fantassin. Le 4 mars au soir, nous sommes débarqués à Rembercoùrt-aux-Pots : le régiment est cantonné à Louppy et dans les villages voisins. Le 5, il est à Villaine-sur-Meuse; le 6, à Haironville et Ruptaux- Nonains. On a exalté beaucoup par la suite le courage et l'héroïsme du 20ème C. A. qui a sauvé Verdun dans les jours difficiles. Il est juste d'attribuer une partie de ces éloges aux divisions du 7ème C. A. qui sont arrivées les premières, et les premières ont fixé l'ennemi aux deux ailes. Le Bulletin des Armées de la République le dit, dans son numéro du 22 mars 1916 : « Ce sont toujours les mêmes troupes qui, depuis le 21 février, tiennent tête aux Allemands en défendant chaque position. «Elles ont joué un rôle de couverture, rôle écrasant et glorieux qui a sans aucun doute, contribué à nous conserver Verdun. Leur héroïque activité a permis d'incessantes contre-attaques et à imposer à l'ennemi des arrêts qui l'ont frustré du bénéfice essentiel qu'il attendait de son, entreprise. » Un ordre du jour du général Balfourier, commandant le. 20ème C. A., et une note du général Chrétien, commandant le 32ème C. A., sont le commentaire de cette page du Bulletin et marquent la part glorieuse qu'ont prise la 14ème D. I. tout entière et le 60ème tout spécialement dans ces journées tragiques qui, en somme, ont fixé le destin. III. - L'entr'acte. Après un long voyage par Vaucouleurs, Pagny- la-Blanche Côte, Colombey- les-Belles, nous arrivons, le 14 mars, dans le pays de Toul. La vue de ces villages pittoresques et hospitaliers, le calme dont on jouit dans ces lieux est un réconfort pour tous. Malheureusement, la division balladeuse par excellence ne peut savourer longtemps les délices du repos. Dès son arrivée, elle est partagée en trois groupes. Le 1er, comprenant la 27ème brigade, le 3ème groupe du 47ème, le 7/1 restent sous les ordres du général commandant la division. Quant au 60ème, il est placé dans les villages coquets de Lucey et Bruley; un bataillon est caserné à Toul même. C'est là que les renforts arrivent : 15 officiers, 61 sous-officiers, 92 caporaux, 15 clairons, 6 tambours et 1.283 hommes de troupe, appartenant à dix-sept régiments différents. On pourra dire du 60ème désormais qu'il est une manière de synthèse de toutes les régions de la France. L'esprit malgré tout ne changera pas. Le dimanche 19 mars, le général Dubail, commandant le G. A. E., réunit le régiment à Bruley et attache solennellement au drapeau la Croix de guerre et la palme décernée à la suite des combats de Champagne 1915. Le 25 mars, la brigade entière se déplace à son tour et va exécuter des travaux de défense dans les environs de Flire y. Les journées sont consacrées au travail et à la manoeuvre jusqu'au jour où le 7ème C. A. tout entier est mis une deuxième fois à la disposition de l'armée de Verdun. Le 1l avril, le régiment part en autos et revient à Haudaiu ville et Belrupt. Le 12 avril, il relève le 140ème R. I. dans le seç teur d'Eix. C'est la « resucée » qui commence. IV. - Troisième acte, du 12 avril au 4 mai, Cette période d'occupation du secteur d'Eix ne fut pas très longue pour le régiment. A cette époque, le fort de Vaux n'est pas encore pris, et toute l'activité de l'ennemi est orientée de ce côté. Le secteur confié à la garde du régiment est au pied des côtes de Meuse. Le bataillon Duffet (1er) s'installe à droite de la route d'Eix, aux tranchées de la cote 250; le bataillo n Françon (3ème) occupe La Fiévetrie et les ouvrages de la route d'Étain; le bataillon Peyrottè (2ème) tient la ferme Bourvaux, le bois Carré, le ravin du Ruisseau de Tavannes. Le colonel est à la batterie du Mardi- Gras. L'hiver a transformé toute cette région en marécage. Il y a de l'eau partout. Les hommes passent leur journée dans les tranchées-abris où la paille est complètement noyée dans l'eau; la nuit, ils travaillent, dans la vase jusqu'à mi- jambe, à la consolidation des réseaux et à l'établissement des nouvelles tranchées. A ce régime nous perdons bien vite beaucoup de monde. Pieds gelés et entérite à forme grave se multiplient. Au bout de quinze jours, les effectifs fondent à vue d'oeil. Ailleurs, le bombardement est incessant et chaque jour amène quelques deuils nouveaux. Du 25 au 27 avril, la brigade est relevée par la 34ème et revient à Haudainville. Le 1er mai, le 60ème gagne Pargny-sur-Saulx et Maurupt et il reste là jusqu'au moment où le 35ème et le 42ème, relevés après vingt jours d'effroyables bombardements, viennent le rejoindre. Le 20 mai, la division s'embarque en chemin de fer aux gares de Revigny, Blême et Saint-Julien. Elle se dirige vers les Vosges et quitte sans regret, son devoir accompli vaillamment, la sinistre région de Verdun, où cependant 1917 doit la revoir paraître encore deux fois ! EN VILLÉGIATURE DANS LES VOSGES Du 22 mai au 21 juillet, le 60ème occupe un secteur des Vosges. La division a obtenu - une fois n'est pas coutume - cet avantage si apprécié de tous les poilus, d'aller revoir ce coin de France à la conquête duquel elle a si puissamment contribué. D'abord c'est l'Alsace, et ce mot sonne bien aux oreilles françaises. La population civile y est fort sympathique au troupier français. Les corps sont répartis sur un vaste front, dans un pays où les communications se font avec lenteur et difficulté; on y jouit, par conséquent, d'une certaine liberté fort appréciable. Les installations sont, du reste, plus confortables que sur le front de Champagne ou de Verdun. Surtout les secteurs sont incomparablement plus calmes. Sur un front de 60 kilomètres, on trouve juste quelques batteries de position de gros et de moyen calibres. Il n'y a pas d'action d'infanterie, ou si peu, au moins dans la partie du front qui nous est confiée. Habitués depuis le début de la guerre à ces secteurs dont ils connaissent tous les détails, ils exprimaient bien haut leurs craintes ou leurs désirs d'être bientôt rappelés pour reprendre ce secteur que les fantassins ne sauraient pas ou ne pourraient pas tenir ! Ces réflexions nous font rire maintenant : elles provoquaient déjà sur nos lèvres une douce hilarité à cette époque, quand au retour de Verdun, où nous avions déjà paru deux fois, non sans honneur, nous nous préparions à relever la 47ème D. I. de chasseurs alpins. Le 22 mai, le débarquement effectué à Laveline, nous allons à Bussang, où nous parvenons le 2 juin. Ce voyage de dix jours, effectué par un temps splendide, parmi les sites d'un pittoresque achevé, est un puissant réconfort pour tous.  Le régiment est mis à la disposition de la 66ème D. I. et s'en va tenir à Saint-Amarin. Après avoir détaché, le 17 juin, les 4ème, 8ème et 12ème compagnies, qui doivent entrer dans la constitution du D. D. affecté à chaque division, il revient à la 14ème, qui est en train de s'ins taller dans la région de la Schulcht, du Honeck et du Reichacker. Le 60ème est chargé de l'occupation de Hilsenfirst, où il relève le 115ème bataillon de chasseurs, après une ascension fort pénible par Kruth. Dès le 23 juin, l'organisation du régiment dans ce secteur est terminée. Le 60ème occupe trois grands centres de résistance. Le 3ème bataillon, en liaison avec le 42ème, garde Storckensohn; le 1er bataillon (Duffet) s'installe à l'Hilsenfirst même. Le bataillon Peyrotte occupe le Langeldeldkopf, avec 1e secours d'éléments du 49ème territorial. Le colonel et les téléphonistes sont au camp Cermet et la brigade villégiature au camp Peyrou. Le séjour en pareil secteur eût été un perpétuel enchantement en toute autre année moins pluvieuse. Quand, vers la fin du jour, le soleil parvenait à déchirer la brume épaisse qui entourait les sommets sur lesquels nous étions perchés, nous voyions à nos pieds la superbe plaine d'Alsace, avec ses vignes, ses beaux champs de blé à couleur d'or, ses villages coquets et, dans le fond, le ruban bleu du Rhin, la grande cité mulhousienne, etc. Malheureusement, il ne nous a pas été donné de contempler souvent ce spectacle enchanteur. Il n'a pas cessé de pleuvoir à torrents pendant le mois que nous avons passé là. La fraîcheur était intense, même au mois de juillet, en raison de ces pluies sans fin, et chaque jour il fallait tenir le feu allumé. Le travail dans le secteur était double. Il fallait veiller et sans cesse renforcer l'organisation de la défense. Au début, l'activité de combat était nulle dans les tranchées de la première ligne. Au bout de quelques jours, il n'en était plus de même. Troublé dans sa tranquillité par l'activité de nos patrouilles et les taquineries de nos grenadiers, l'ennemi réagit bien vite à coups de torpilles. Vingt-quatre jours s'écoulèrent dans ces conditions. Le 17 juillet, nous étions relevés par le 348ème et nous rentrions à Gérardmer par Kruth et La Bresse. Le 21 et le 22, le régiment était embarqué à Laveline, à destination de la Somme. C'était la deuxième fois que nous montions vers là Picardie, et le hasard voulait que nous allions retrouver les cantonne ments où nous avions séjourné deux années auparavant. En 1914, le départ d'Alsace avait été le prélude de grands combats. C'est encore ce qui va se réaliser cette fois.  LA SOMME A trois ans de distance, le nom de la « Somme » éveille le souvenir de glorieux triomphes. Il rappelle aussi, hélas ! pas mal de jours tragiques, des luttes très dures et des pertes sévères. Pour le soldat qui a joué un rôle actif dans cette bataille de trois mois, elle est l'équivalente de Verdun. Tel qui a connu les sinistres bombardements de Vaux, les retrouve sur la Somme; même il y a une différence, c'est qu'ils ont pris depuis Verdun de l'ampleur et de l'intensité. On se rappelle où en sont les événements militaires à la date du 1er août 1916. Pour contraindre les Allemands à croiser leurs forces et pour dégager Verdun, les Alliés ont décidé d'attaquer sur un vaste front les positions ennemies du Santerre. Le 17 juillet, après un bombardement prolongé, l'attaque se produit. Le 20ème C. A. repousse l'ennemi du terrain qu'il avait gagné au sud de la Somme, vers Frise. Poussant plus loin ses succès, en liaison avec les Anglais, il était parvenu le 20 juillet au delà de la deuxième position allemande et il occupait toute la ligne du chemin de fer de Combles à Cléry, au nord de la Somme. Le 7ème corps, qui arrive avec ses deux divisions du temps de paix, la 14ème et la 41ème, doit continuer l'oeuvre commencée, prendre la troisième ligne et pousser en terre ferme. Le 29 juillet, le général de Bazelaire, commandant le corps d'armée, a déterminé le programme : ORDRE No 139 L'oeuvre de l'artillerie est faite, le fruit est mûr. A l'infanterie de le cueillir. Dieu aidant, la vaillance du 7ème corps d'armée ouvrira une nouvelle phase de la victoire définitive. P. C., le 29 juillet. DE BAZELAIRE. A la 14ème, on connaît le pays où l'on est appelé à intervenir. Ne s'est-on pas battu, en 1914, dans cette région aux vastes horizons, brisés seulement par la ligne des peupliers qui bordent les grandes voies romaines et sillonnés de cours d'eau dont le principal, la Somme, a souvent l'apparence d'un grand marais dont les eaux disparaissent sous les forêts de roseaux géants et de saules. Ce ne sont partout que falaises crayeuses et chemins encaissés dont les Allemands ont fait autant de forteresses inexpugnables. Depuis leurs premiers échecs du mois de juillet, le premier moment de surprise passé, « convaincus que l'issue définitive de la guerre dépendait de l'issue de la bataille de la Somme », ils s'étaient renforcés en hommes et en matériel d'artillerie; ils avaient construit avec rapidité de nouvelles lignes à l'arrière et leurs hommes, des troupes cho isies la plupart du temps, devaient défendre leurs positions à tout prix. La 41ème D. I. (23ème, 133ème, 229ème, 363ème) est engagée tout d'abord. La 14ème suit. Le 60ème arrive le 2 août au camp de Vaux, où il devra supporter les incursions fréquentes des avions ennemis et le bombardement par obus de gros calibres. Le 7 août, le 3ème bataillon du 60ème arrive au Chapeau-de-Gendarme, près de Curlu, mis à la disposition de la 41ème D. I. Le 9 août, le même bataillon relève le 363ème à l'est de Curlu, dans un coin particulièrement difficile. Il a 7 tués et 6 bles sés. Le lendemain, les 2ème et 1er bataillons arrivent. Le vendredi 11, le régiment entre en ligne. Il y restera sans désemparer jusqu'au 20 août et il devra presque chaque jour fournir un nouvel effort. Cela lui vaudra sans doute de l'honneur, mais aussi des pertes nombreuses. Rien de plus glorieux à ce titre que la journée du 12, rien de plus meurtrier que celle du 18. Le 11, en vue de l'attaque projetée, le bataillon Peyrotte, avec une fraction du 44ème, reçoit l'ordre de s'emparer de la corne N du bois de Hem. A 18 heures, après quatre heures de préparation, les 5ème et 6ème compagnies bondissent et d'un seul élan atteignent leur objectif, faisant 95 prisonniers de trois régiments différents et prenant un parc de mitrailleuses. L'affaire a donc eu plein succès. Elle nous coûte cependant 9 tués et 47 blessés, dont le souslieutenant Lorrec de la 9ème compagnie. La nuit est assez agitée. L'ennemi, qui dispose d'une artillerie très puissante, réagit violemment. Il a le sentiment obscur qu'il se trame quelque chose d'important contre lui. De fait, la journée du 12 sera celle de l'offensive générale des 20ème et 7ème C. A. Journée du 12 août. Dès le grand matin, les coureurs de la brigade apporteront l'ordre préparatoire du corps d'armée. Le colonel de Pirey, portant cet ordre à la connaissance des unités du régiment, y ajoute quelques mots de commentaire : ORDRE N° 28  Le 60ème vient de se distinguer hier et ce matin. Le lieutenant-colonel adresse ses félicitations au commandant Peyrotte, au 2ème bataillon et particulièrement à la 6ème et aux éclaireurs du 3ème bataillon. Nous avons eu des succès partout. Gorizia a été prise par les Italiens, Stanislau par les Russes : la victoire est, assurée. En avant le 60ème ! La Fourragère doit être gagnée ce soir ! Signé : Lieutenant-colonel DE PIRE Y. L'attaque générale doit se faire dans l'après-midi. Il s'agit de prendre les grandes tranchées de Celles, du Hanovre et de Heilbrom, qui constituent la droite de la ligne de défense établie de Maurepas à Cléry. Sur le front du 7ème corps, les troupes d'attaque comprennent le 44ème et le 60ème. Au 60ème, les 2ème et 3ème bataillons sont en avant, le 1er reste en réserve. L'ob jectif atteint, les troupes doivent pousser vers l'est, de façon à prendre possession de tous les observatoires qui permettent des vues directes sur la nouvelle ligne que les Boches ont déjà organisée en arrière (tranchée de Feyratt, Terline, Mossoul). En somme, l'attaque a donné de bons résultats. La droite est en possession de tous les objectifs visés. Malheureusement la gauche est restée en panne. Le 44ème a été arrêté dans sa pro gression par un nid de mitrailleuses établi à sa gauche dans le bois des Riez. C'est ce même nid qui, nous prenant de flanc, a infligé de grosses pertes à notre 2ème bataillon. Le commandement décide de le réduire par force : ce sera l'objectif de la journée du 13 août. Le 44ème, aidé par un bataillon du 35ème, reçoit donc l'ordre de s'emparer du bois de Riez et de la route de Maurepas-Cléry jusqu'au point 435. Le 60ème de son côté doit s'avancer à l'est de la tranchée de Hanovre et s'installer sur les crêtes en vue d'une attaque ultérieure. A l'heure fixée, les éléments du 60ème, quatre sections appartenant aux 6ème, 7ème, 9ème et 10ème compagnies,.s'élancent et occupent les points prévus. Le sous-lieutenant Arnoux, de la 7ème compagnie, est blessé dans cet assaut. Sa section s'installe sur le boyau des Glands entre 435 et 436. Malheureusement notre gauche n'a pu progresser : le 44ème et la 47ème D. I. sont revenus au point de départ. Le chef de section qui commande le détachement de la 7ème compagnie craint de se trouver trop en flèche et d'être coupé par sa gauche. Il prend donc le parti de se replier au sud de 435. Un groupe d'Allemands munis de mitrailleuses s'aperçoit de la manoeuvre et vient s'installer rapidement au point 435, barrant ainsi le chemin vers l'est,. La soirée et la nuit sont très agitées. L'ennemi réagit très violemment par son artillerie, qui nous cause beaucoup de pertes. Le 14 et le 15, ce chiffre est augmenté de 28 tués et 72 bles sés. Le sergent mitrailleur Guillot, de la 3ème C. M., est touché - très grièvement dans la tranchée de Hanovre. Son caporal est tué. Puis stoïque, le sergent chante la Marseillaise à pleine voix, subit sans une plainte les soins très douloureux qu'on lui prodigue, fait avec un calme joyeux le sacrifice de sa vie pour son pays et s'endort pour l'éternité. Dans l'intervalle, le 35ème a relevé le 44ème. Le 16 août, il reprend l'attaque qui avait échoué deux jours auparavant. De notre côté, nous devons appuyer par notre gauche son mouvement. La 7ème reçoit l'ordre de reprendre le boyau des Glands qui a été lâché par une erreur du reste fort explicable. La section de tête arrive à portée de grenade du boyau. A 14 heures, l'artillerie commence son oeuvre. Elle gronde formidablement. Le 60ème à lui seul peut compter sur l'appui de 3 batteries lourdes et de 9 batteries de 75, en tout 48 pièces qui tirent à une cadence extrêmement rapide. A 17h 15, les vagues d'assaut sortent d'un élan magnifique à la suite des chefs de section. A 18 heures, tous les objectifs sont conquis. Les actes de dévouement et  de courage ont été si nombreux qu'on ne peut les signaler tous. Citons seulement le cas du sergent Dutartre, de la 7ème, qui, blessé grièvement par un éclat d'obus, s'écrie : «Allez-y, les, amis, ça ne fait pas mal » ! Le caporal Gruet, de la 5ème, devançant son escouade, arrête le long du boyau à lui seul 20 Allemands, les tient en respect jusqu’au moment où ils sont capturés. Le soldat Lacombe, de la 10ème, s'élance sur les traces des fuyards qui disparaissent dans les boyaux. Il en attaque 6, en tue 2 ou 3 et ramène 2 prisonniers. Une reconnaissance de la 10ème compagnie, commandée par le souslieutenant Lhote, s'avance à l'est de la tranchée de Hanovre, s'empare d'un boyau et d'un petit poste. Le soldat Mercier, qui marche en tête avec ses camarades Chaix et Tillier, attaque 10 ennemis, en tue 6 et fait les 4 autres prisonniers. Malheureusement ces succès ne sont pas sans nous causer des pertes cruelles. Le commandant Giroud, du 3ème bataillon, est atteint mortellement d'une balle alors que debout sur le parapet de la tranchée conquise, il donne ses ordres en vue des travaux à exécuter; tués aussi le lieutenant Benoît, de la 7ème, et Décimo, de la 10ème, le capitaine Guyard, de la 3ème compagnie, les lieutenants Feuvrier et de La Rochethulon, de la 2ème compagnie. Nous avons 34 tués; 159 blessés, dont les lieutenants Lhote et Flo ttes, de la 2ème C. M. L'adversaire qui est devant nous, est 1er régiment de la Garde prussienne; on le sait d'une façon précise par un prisonnier. Désormais, la lutte sera effroyablement dure. En attendant, le bombardement sévit sans interruption sur nos lignes. Le 17 août, nous comptons encore 12 tués et 34 blessés. Le 18 août. - Attaque du point 435. Il y a dans l'histoire du régiment des mots fatidiques qui évoquent le souvenir de sacrifices sans nombre, d'efforts énormes, d'insuccès cuisants ; le nom du point. 435 est de ceux- là. Cette position n'a rien de bien extraordinaire. Située sur la route de Maurepas à Cléry; elle est le point de départ d'un boyau, dit des Glands, qui se dirige vers l'est, surtout elle donne des vues sur la tranchée de Fryatt, nouvellement organisée. Entre les mains de l'ennemi, elle devient un point d'appui qui lui permet de s'opposer efficacement à toute avance de notre part vers l'est. Aussi bien, le Boche tient- il de plus en plus à la garder au fur et à mesure que nos efforts pour la conquérir lui en révèlent l'importance. Il a mis là de ses meilleures troupes, celles qu'il fait venir généralement pour rétablir une situation compromise, la Garde prussienne; de son côté, notre commandement tient à en finir avec cet obstacle et, le 18 août, il confie au 1er bataillon du 60ème, commandant Duffet, le soin de l'enlever. Il s'agit de prendre pied sur la route Cléry-Maurepas, dans un rayon de 200 mètres autour du point 435, de s'y installer et de pousser dans le boyau des Glands, de manière à conquérir les observatoires. Le bataillon Duffet a déjà perdu 5 officiers et 150 hommes. Il doit procéder à l'attaque avec deux compagnies, et sa « mitraille ». La 1ère, capitaine Bruneau, et la 2ème, lieutenant Beck, sont désignées pour l' opération. La 3ème reste en réserve. Les troupes prennent leur place avant le lever du jour et cette manoeuvre compliquée peut se faire assez facilement grâce au brouillard qui permet de dissimuler le mouvement. D'après le programme de ses chefs, l'artille rie doit exécuter un tir de destruction très violent par obus de 220. A l'heure H, les fantassins sortiront en trois vagues, d'une section chacune, une section restant en réserve. La 1ère opérera à droite et la 20 à gauche. Quand tout sera terminé, les deux compagnies feront face l'une à Cléry et l'autre su, bois des Riez. L'heure H, c'est 14h 45. A 9 heures, le tir d'artillerie commence. Il est d'abord trop long. Petit à petit, après bien des tâtonnements, il est réglé sur 435. Le commandant Duffet, accompagné du capitaine adjudant-major  Magrin-Vernerey, qui fait sa réapparition sur les champs de bataille d'où ses blessures multiples l'ont écarté trop longtemps à son gré, s'est établi à proximité de la ligne de départ pour être à même de bien voir. A 14h 43, deux minutes avant l'heure fixée, les sections partent conformément aux ordres reçus. Elles s'en vont d'un élan magnifique malgré les coups de 220 qui tombent très près et blessent plusieurs soldats de la 2ème. L'ennemi est malheureusement sur ses gardes. Dès le départ de nos vagues, il ouvre un feu nourri de mitrailleuses et de fusils. Le lieutenant Boudot, de la compagnie de mitrailleuses, est tué. Pourtant, sous l'énergique impulsion du brave capitaine Bruneau, brillamment secondé par le sous-lieutenant Deldique, les trois sections progressent à vive allure. Soudain, sur leur flanc droit, s'allumé le feu terrifiant de trois mitrailleuses qui sèment la mort parmi les assaillants. Une section tournoie et reflue vers l'arrière, Le capitaine Magrin- Vernerey se précipite aussitôt pour la ramener face à l'objectif, mais le capitaine Bruneau a vu le, recul de ses hommes. Il vient en courant à la section, se met à sa tête, l'entraîne et reçoit bientôt une balle qui lui fracasse la jambe. Il tombe, mais il a l'immense satisfaction de voir cette poignée de braves, désormais lancée, avancer quand même. Le soldat Ichey la commande et entraîne les défaillants jusqu'au premier objectif. La section Deldique, masquée par un grand champ de blé, arrive sur la route où elle entame une lutte à mort avec les soldats de la Garde, sortis de leurs abris et combattant en bras de chemise. Ses grenades épuisées, elle s'élance à la baïonnette, mais son héroïsme n'aboutit qu'à sa destruction complète. La section de réserve, la 4ème, est aussitôt engagée, mais elle peut à peine avancer de 50 mètres, au prix de pertes cruelles. Au total, de ce côté, l'avance est insignifiante et coûte trop cher. A gauche, la compagnie Beck lutte avec un courage égal, mais subit des pertes encore plu s fortes, du fait de mitrailleuses situées à 800 ou 900 mètres sur son flanc gauche. Les hommes tombent les uns après les autres : on en voit tomber jusqu'à trois à la fois. L'aspirant Laville est touché des premiers. Si quelques hommes ont pu s'approcher de l'objectif, les Allemands les accablent d'une collection de grenades et tout cela multiplie les victimes. Deux d'entre eux, pour mieux voir et pour lancer leurs engins plus loin et plus sûrement, se sont dressés de toute leur taille sur le parapet de la tranchée. Abattus à coups de fusil, ils s'écroulent en avant. A ce moment, un de nos obus fait exploser un dépôt d'artifices alle mands. Les fusées rouges jaillissent en l'air. Nos batteries prennent ces fusées pour une demande de barrage et nos hommes sont pris dans un barrage de 75 qui heureusement ne dure pas longtemps. Les Allemands sont en force au point 435; il en arrive de l'arrière par groupe de 8 qui marchent à travers champs. Un obus de 220 tombe au milieu d'un de ces groupes; on voit des membres, des fusils, un tronc voler en l'air avec d'autres débris. « Ceux- là, au moins, ne nous gêneront plus ! » s'écrie quelqu'un. Le commandant Duffet, qui se rend compte de plus en plus qu'une attaque de vive force sur 435 ne peut avoir d'autres résultats que des pertes inutiles, veut essayer de manoeuvrer par la droite où les champs de blé permettent d'avancer en se dissimulant quelque peu. En faisant sa reconnaissance, un coup de feu parti d'un champ de blé voisin le frappe en pleine poitrine. Il n'est retrouvé que longtemps après sur des appels faits avec son casque au bout de sa canne. Le capitaine Magrin-Vernerey qui le remplace est atteint d'une balle à la tête. Le capitaine Rolland, adjudant- major du 2ème bataillon, doit venir prendre le commandement du 1er bataillon dont les cadres et les effectifs sont fortement diminués. Les compagnies d'ailleurs ne pouvaient mettre en ligne que 90 à 100 fusils au début de l'attaque. La nuit tombe peu à peu; les groupes se reforment, les isolés rentrent dans leur section. Les brancardiers et des volontaires se hâtent pour rechercher les blessés et les trans porter en arrière. C'est le début pour ceux-ci d'un calvaire effroyablement douloureux. Ils s'en vont sous les balles et les obus qui continuent toute la nuit leur besogne meurtrière, à travers des trous d'obus énormes où les porteurs s'écroulent, dans les boyaux trop étroits où le brancard ne peut passer sans ces heurts qui retentissent douloureusement sous les chairs meurtries. Le soldat Lalande, de la 1ère compagnie, restera sept heures durant dans un trou d'obus, séparé de tous ses camarades et atteint de cinq blessures. A force de courage et de sang-froid, il pourra revenir en rampant et rapportera une foule de renseignements précieux. Le musicien Duval rapporte un blessé avec le concours de deux camarades. Un obus éclatant à proximité du convoi, tue les deux aides, Duval saisit le blessé, le charge sur son dos et le porte ainsi au P. S. L'attaque reprendra pendant la nuit à la grenade, sans préparation d'artillerie. On s'efforcera de réaliser par surprise ce qu'on n'a pu obtenir par la force. Le commandant Peyrotte est charge de cette opération. L'attaque est aussitôt éventée par l'ennemi et doit s'arrêter après une centaine de mètres. Cette journée nous avait coûté 2 officiers tués : les sous-lieutenants Boudot et Lamy, de la 1er C. M., 6 officiers blessés, dont le commandant Duffet et deux capitaines; nous avions 39 tués, 90 blessés et un certain nombre de disparus sur le sort desquels on ne pouvait guère se leurrer d'espoir. Cette fois l'épuisement est complet. La relève se fera le lendemain, par une nuit singulièrement agitée où nous aurons la douleur de perdre encore 8 tués et 6 blessés. Le régiment rentre à Suzanne et de là, il gagne par autos les villages du Hamel, puis de Villers- Bretonneux. C'est là qu'arrivent les premiers renforts : le commandement est réorganisé. Le général Philippot remplace à la tête de la division le général Crépey, le colonel Antoine prend le commandement de la 27ème brigade. Le commandant Chenost, du 420ème, remplace le commandant Duffet au 1er bataillon et le commandant Madamet, venu de la cavalerie, succède au commandant Giroud, du 3ème. Le 27 août, toute la division est regroupée dans la région de Cachy-Gentelles. Pendant que le canon gronde sans trêve et que l'horizon est illuminé sans cesse par les éclairs de la bataille lointaine, les régiments réparent leurs pertes et se préparent à rentrer dans la fournaise au premier signal. LA DEUXIÈME AFFAIRE DE LA SOMME (11 au 16 septembre 1916). Tous les coeurs français ont vibré en septembre 1916, à la nouvelle des succès de l'armée de la Somme. Toutes les mé moires ont gardé depuis le souvenir d'un nom qui est comme la synthèse de ces glorieux faits d'armes et qui les dépasse tous. Le petit village ignoré la veille de Bouchavesnes a été éclairé soudain d'un puissant rayon de gloire. Son nom domine toute la bataille du 12 septembre, l'une des plus brillantes et l'une des plus fécondes de l'armée Fayolle. Il nous reste à dire la part glorieuse qu'a prise le 60ème à cette bataille, l'une des plus dures de la campagne. S'il n'a pas eu l'honneur de contribuer à la prise du village, au moins a-t-il su en garder la conquête définitive et conserver tout le terrain dont il avait reçu la garde. Donc, le 8 septembre, l'ordre du jour du C. A. nous avertit qu'une grosse affaire se prépare : ORDRE 132  Mes camarades! Tous les yeux sont sur vous, toutes les espérances sont en vous. La victoire est en vos mains. Allez, vous le 7e C. A. ne connaisse l'obstacle que pour le supprimer voulez, et vous le voulez, à l'objectif sans arrêt. Pour la France, en avant ! Que Dieu vous guide ! DE BAZELAIRE. Le soir même, le régiment quitte ses cantonnements de Villers-Bretonneux et, après trois jours de marche, arrive dans les parages du bois de Hem. Le 44ème est en avant, le 60ème le suit; l'un et l'autre sont à la disposition de la 41ème D. I. Depuis notre départ, la ligne est déplacée à notre avantage. Une grande attaque d'ensemble nous a donné ce que de petites opérations locales étaient impuissantes à réaliser nos troupes ont conquis le point 435, le véritable charnier qu'était le bois des Riez, et la ligne des tranchées qui s'appuyait (tranchées de Fryatt, Terline et Mossoul) le long de la route Le Forest- Cléry. Le 11 septembre au soir, le 3ème bataillon est à la grande carrière, à 400 mètres au nord-est du bois de Hem. Le 2ème occupe les tranchées de Gringembre et de la Déconfiture, un peu en arrière. L'un et l'autre sont à la disposition de la 41ème D. I. Le 1er bataillon est en réserve de corps d'armée au Chapeau-de-Gendarme. Le lendemain est la glorieuse journée du 12, où le 44ème, appuyé par le 1er bataillon du 133ème et quelques fractions de chasseurs alpins, devait enlever Bouchavesnes. Progressant par bonds, dans le sillage de ce régiment, les bataillons du 60ème sont en fin de journée : le 3ème au bois Marrièré, et au sud de Bouchavesnes, le 2ème au P. C. Messimy, le 1er au bois des Riez. Le lendemain 13 septembre, la 27ème brigade entière doit relever les chasseurs de la 6ème brigade. Vers 9 heures, les Boches déclanchent un bombardement effroyable par obus de gros calibre, qui dure sans accalmie jusqu'à 16 heures. Les pro jectiles s'abattent en nombre énorme sur le village occupé alors par notre 1er bataillon, sur les carrières où sont les 2ème et 3ème bataillons, sur la ferme du Bois-Labbé, tenu par le 35ème. A 16h 25, la contre-attaque attendue se produit, dirigée surtout contre le 35ème. « La conduite de nos fantassins est magnifique; au plus fort du bombardement ils se portent à plusieurs reprises sur le parapet pour faire face aux assaillants signalés par erreur. Leur calme, leur obéissance en fait une phalange si solide qu'elle défie tous les assauts. » A 18 heures, l'ennemi essaie encore un effort, c'est le dernier de la journée. Le feu de l'artillerie s'apaise avec la nuit. Ceux qui ont pris Bouchavesnes l'ont gardé... Ils conserveront longtemps le souvenir des heures tragiques à la fois et magnifiques par eux vécues dans cette soirée du 13. Nous avions 34 tués au régiment et 116 blessés, dont le capitaine Bourgeois, de la 3ème C. M. Ce dernier reste à son poste; atteint d'une nouvelle blessure le lendemain, il ne consentira à être évacué qu'après la relève de sa compagnie. La journée du 14 septembre fut, elle aussi, des plus difficiles. La veille, on avait pu croire pendant quelques heures, peut-être pendant un jour entier, que la percée était faite et le front ennemi rompu. L'enthousiasme règne partout. Peut-être le moment est-il venu d'exploiter les succès. On voulut, le 14, réaliser ces merveilles : c'était trop tard !... Les Boches pendant la nuit avaient opéré leur rétablissement. Ils avaient amené une artillerie formidable dont les effets vont se faire sentir dès le début de la journée et influer lourdement sur le résultat final de nos efforts. Ce jour-là, le général Philippot prend son commandement. Le 7e C. A. doit attaquer à fond, entre le 1er et le 33ème corps. Pendant que la 20ème brigade enlèvera le bois de Saint-Pierre-Waast et la ferme du Gouvernement, le groupement de droite, composé des 35ème, 44ème et 60ème, aux ordres du colonel Antoine, doit marcher sur la lisière sud du bois Germain, les tranchées d'Angora et de Sinope.  Le 60ème marche entre la 20ème brigade et le 35ème. Les 2ème et 3ème bataillons sont placés au nord de la route qui va de Bouchavesnes à la cote 132, le 1er est au sud. L'artillerie a commencé depuis quelque temps déjà sa préparation. Quand arrive l'heure H, 13 heures, l'on peut se rendre compte à première vue que cette préparation est à peine ébauchée. Le tir manque de précision : à l'aile gauche, le long du village, on aperçoit nettement les mitrailleuses allemandes intactes. L'artillerie boche, de son côté, est très active : son feu, tout à fait violent, est dirigé contre le village et les abords de l'ouest. Une certaine effervescence se manifeste dans les tranchées ennemies, qui se garnissent peu à peu de tireurs venus de l'arrière par infiltration. A l'heure prescrite pour l'attaque, une première vague débouche des tranchées. Le commandant Madamet marche la canne à la main, en avant des sections de son bataillon. Le sous- lieutenant Dartigues, de la 9ème compagnie, est blessé; le caporal Laborde, resté seul gradé de la section, maintient ses hommes en place par son énergie. Les mitrailleuses et les tirs de barrage arrêtent la plupart des hommes constituant la vague d'assaut. Celle-ci doit s'arrêter bientôt. A quelque temps de là, une deuxième tentative est faite, tout aussi infructueuse. Le tir ennemi devient de plus en plus violent et précis. On voit à ce moment les tirailleurs boches sortir de leur tranchée et entamer la contre-attaque. Le ba taillon, placé à la gauche du régiment recule. Chez nous, grâce à l'énergie et au dévouement des gradés, nul ne perd la tête chacun reste à son poste et ouvre le feu. Notre tir, bien ajusté, brise à temps le mouvement offensif. Vers 16 heures, notre artilllerie intervient plus fortement et avec plus de précision. C'est une nouvelle préparation qui commence, mieux conduite que la précédente. A 17 heures, les hommes reprennent l'attaque et progressent; malheureusement les pertes s'accumulent. Il faudra bientôt s'arrêter et s'organiser sur place. On le fait dans la nuit qui tombe et dont les brancardiers profitent pour relever les blessés très nombreux. La journée, fort peu féconde en résultats heureux pour nos armes, nous coûtait 47 tués, dont le sous-lieutenant Gannard, de la 6ème, 257 blessés et 50 disparus. Or, on sait ce que ce mot signifie dans de pareilles conjonctures et la triste réalité qu'il évoque. Le lendemain, le régiment passait en deuxième ligne. Le 16, il est conduit en autos à Domart-surla- Luce, où il séjour nera jusqu'au 19 septembre. A cette époque paraissent les actes officiels qui sont un hommage à la bravoure des combattants d'août et de septembre. Il n'y a pas de citation à l'ordre de l'armée, comme on l'avait espéré à propos de l'affaire de Bouchavesnes. Les citations; s'il y en a, sont réservées aux chasseurs qui ont été les témo ins de l'attaque. Dans l'intervalle, le régiment avait été regroupé près de Vamps-au-Mont. Des bruits d'embarquement circulent : on les accueille avec enthousiasme, et naturellement les canards vont leur train. Le 23 septembre, nous sortons de l'incertitude. Les unités de la division sont embarquées à Prouzel. Le 25, nous débar quions à Coolus, près de Châlons-sur-Marne. Des officiers effectuaient sans désemparer les reconnaissances prescrites, et, dans la nuit du 3 au 4 octobre, le 2ème bataillon relevait le 41ème corps colonial au Cratère; le 3ème prenait la place du 124ème, à là Verrue. Notre repos, c'était l'occupation des tranchées de la Main-de-Massiges. MASSIGES _______ Du 4 octobre au 30 décembre 1916, le régiment occupe une partie du secteur de la Main-de- Massiges, en Champagne. L'on désigne de ce nom une manière de plateau aux parois assez escarpés vers l'ouest et vers le sud. La ligne de faîte suit un tracé sinueux qui dessine sur la carte de l'Étatmajor au sud-ouest les trois doigts d'une main, et au nord le creux d'une oreille. Vers l'est, le plateau s'élargit et descend en pente douce vers Ville-sur-Tourbe. Une carrière, dont l'excavation circulaire apparaît de loin comme un cratère, est creusée au sommet. De là les termes qui avaient cours dans le vocabulaire pour désigner ces détails de topographie. Qui n'a entendu parler des doigts de la Main (de l'Index, du Médius, de l'Annulaire), du Creux de l'oreille, du Cratère, de la Verrue. La 28ème brigade est à Ville-sur-Tourbe, Virginie, Massiges; la 27ème s'étend à gauche, à partir de Massiges. Des deux régiments de la brigade, un seul est en ligne; l'autre est cantonné à l'arrière : les régiments se relevant mutuellement tous les huit ou dix jours. Aucune affaire importante ne vient rompre la monotonie de cette longue période de stagnation qui commence vers les pluies diluviennes d'automne. L'activité des hommes se tourne du côté des tranchées à consolider et à entretenir, menacées qu'elles sont de perpétuels éboulements. Il faut sans cesse four nir les corvées pour racler la boue; surtout, il faut chasser les rats qui se sont multipliés dans les régions de Champagne dans des proportions énormes. Fritz ne cesse, du reste, de méditer de mauvais coups. Installé solidement sur la « Tête de Vipère » et sur le mont « Têtu », il dispose de vues excellentes sur nos lignes. Le secteur n'est pas très calme. C'est le coin d'élection des grosses torpilles. Aussi bien ce secteur nous coûtera-t- il 203 blessés et 13 tués. Ils reposent tous dans le cimetière de Maffrécqurt, où les inhumations se faisaient avec toute la solennité possible. A la fin du mois d'octobre, quand les familles sont accoutumées de songer d'une façon toute spéciale à leurs morts, le corps d'armée rappelle aux hommes le devoir sacré qui leur incombe d'entretenir les tombes des camarades. Dieu sait s'il y en a dans cette région de ces tombes groupées ou solitaires, le long d'une route, au coin d'une haie, à la lisière d'un bois, au.fond d'un ravin, sur le versant d’une colline, sur la place de ce qui fut autrefois un village, les unes marquées par des inscriptions précises, les autres annoymes ! De temps à autre, le Boche, qui voudrait bien savoir à quoi s'en tenir sur l'état de nos troupes et leurs dispositions, essaie quelques coups de main. Il a du reste l'avantage de la position. Le 28 novembre, vers 4h 30 du matin, il s'efforce de « cueillir » le petit poste du Bouchon, dans le ravin des Tombes. Le 22 décembre, par une nuit extrêmement noire, vers la fin de la relève, un tir d'encagement extrêmement vif se déclanche. Un détachement de Stosstruppen, à la faveur de la tempête, attaque deux de nos petits postes : Pl et le Bouchon, et peut faire 9 prisonniers de la 11ème et enlever 2 travailleurs du 2ème bataillon. Quand arrive la fête de Noël, le régiment est aux tranchées. Les messes de minuit sont multipliées aussi largement que possible dans les abris de première et de deuxième ligne, à la grande satisfaction des poilus qui ne sont pas de garde. A ce moment on parle de relève, et ces bruits prenant corps apportent un peu de soulagement aux pauvres gars des petits postes, qui ont fort à souffrir du froid, particulièrement vif dans ces régions humides et désolées. La relève est officiellement décidée pour le 30 décembre. Nous sommes remplacés par le 161ème R. I. de la 40ème D. I. Quand, le 1er janvier au matin, les régiments s'ébranlaient sur les routes qui mènent vers le sud, chacun se demandait anxieusement ce que 1917 nous apporterait. On sait vague ment que l'on fait de grands préparatifs d'attaque générale l'on a confiance dans le nouveau chef que l'armée a reçu le 17 décémbre. Qui sait? nous aurons peut-être cette année la victoire et la paix. Vive donc 1917 !  LA GRANDE OFFENSIVE DE 1917 _________ I.- La grande offensive du 16 avril.Lorsque se lève l'aube du 1er janvier, le régiment s'en va au sud de Sainte-Menehould, et le 7, après des marches pénibles, on arrive au terme du voyage : Ramerupt et Chaudrey, dans le voisinage d'Arcis-sur-Aube et du camp de Mailly. Nous séjournons dans cette région jusqu'au 23 janvier, c'est la période des grands froids, et cette année-là elle fut particulièrement longue et dure, d'autant plus dure que le combustible était rare. Beaucoup de nos hommes souffrirent cruellement. Au 24 janvier, nous nous dirigions sur la région de Reims, Sézanne, Le Breuil; le 3 février nous arrivons à Courcelles-Saint-Brice, Champigny; jamais marche ne fut aussi pénible à cause de la température. Le régiment est envoyé presque aussitôt dans le secteur nord-est, aux Cava liers de Courcy et à La Neuvillette. Il relève le 410ème du 38ème C. A. Il s'agit vraiment, cette fois, d'un secteur de « père de famille ». Après un court séjour dans les villages de Pouilly et de Janvry, le régiment arrive au bivouac; le 29 mars, au camp Chenay, près de Châlons-sur-Vesle. La même nuit, il prend possession du secteur du « Godat », sur le canal de l'Aisne. C'est le point où la division doit attaquer dans la prochaine offensive. Le moment est venu de faire les derniers préparatifs, c'est en ce sens que, l'activité du régiment va se déployer jusqu'à la date mémorable du 16 avril. II. - La préparation de l'offensive. La partie du front confiée à la garde du régiment s'appelle alors le secteur du « Godat ». En cet endroit le canal de l'Aisne à la Marne s'infléchit vers l'est et se rapproche de la route nationale n° 44 qui va de Reims à Laon. A une date que j'ignore, des opérations heureuses avaient permis aux troupes françaises de la Vème armée de porter leurs lignes à 1 kilomètre environ de l'autre côté du canal. Nous occupions ainsi l'écluse du Goudard, le château et le moulin du « Godat », le moulin de la Neuville, en face et à l'est des villages de Cauroy et d' Hermonville. Ce coin de terre française n'est pas très hospitalier. Le ruisseau de la Leyre le traversait dans toute sa longueur et ses eaux, paresseusement étalées, transformaient le secteur en marais fort étendu. Tous les travaux, toutes les allées et venues opérées ouvertement et sans camouflage dans un secteur tout à fait tranquille en temps ordinaire, n'avaient pas échappé à l'attention de l'ennemi. Le Boche s'attendait, du reste, à la grande offensive alliée du printemps. Il se rend compte bien vite que Brimont est visé. Aussi va-t- il, le 4 avril, dans le but soit de nous prendre du monde, soit de nous rejeter au canal, tenter une attaque partielle à gros orchestre. Donc ce jour-là, vers 15 heures, un tir effrayant se déclanche soudain du côté boche. Torpilles et obus de gros calibres s'abattent avec précision sur les passerelles du canal et les ouvrages de première ligne. Le château du Godat est particulièrement visé, les 210 y pleuvent littéralement. Le bombardement s'étend à notre gauche sur la 37ème D. I., dont les zouaves ont pris notre place dans le secteur de Neuville et gagnent Sapigneul. Chez nous les lignes sont tenues par les 5ème et 6ème compagnies, la 7ème est sur le bord du canal. Après trois heures de bombardement violent, la densité du feu sur les premières lignes décroît. Un tir d'encagement s'établit sur le secteur de notre 2ème bataillon et les zouaves pla cés à gauche. Dès la première minute, le commandant a pris ses précautions. Les réserves sont alertées. La section de réserve de la 6ème est à son poste. Les 1ère et 2ème compagnies, quittant Cauroy, vont se mettre à la disposition du commandant Duffet, du 2ème bataillon. Le 3ème groupe du 47ème entre en scène et établit son barrage prévu. A 18h 25, on voit les Boches sortir de leurs tranchées, ils se présentent sur notre front en trois colonnes d'assaut fortes chacune de 200 hommes environ. D'autres troupes assaillent le secteur des zouaves et parviennent à y prendre pied. Devant nous, l'ennemi est arrêté sur bien des points par notre feu ou par l'obstacle qu'offraient encore nos réseaux insuffisamment démolis. De ce chef son attaque est ralentie. Des groupes venant par la gauche s'infiltrent pourtant dans les bastions Puebla, Solférino, Malakoff, après les avoir débordés et cer nés. Les deux ouvrages les plus importants, le château du Godat et le bastion Ma genta, résistent avec une énergie souveraine. L'âme de la défense est dans le premier : le sous-lieutenant Magrin-Vernerey, de la 6ème compagnie ; et dans le deuxième, le capitaine adjudant-major Magrin-Vernerey, du 2ème bataillon, l' « as » du 60ème, assisté du lieutenant-pionnier Cattier. Ils groupent autour d'eux tous les hommes disponibles, pionniers, grenadiers, voltigeurs. Leurs noms se présentent d'eux mêmes au bout de ma plume : les pionniers Bon et Druet, le sergent Faure, le caporal Humbert, les soldats Laffague, Dumesnil, Bros, Charrier, Ducourneau, Pratz, Fabre, Trigoris, Barbaux, tous de la 5ème compagnie. Le capitaine assigne à chacun sa tâche, et grenades aussitôt de pleuvoir. Chacun en lancera. L'ennemi lance trois assauts successifs contre la redoute. Chaque fois il est repoussé avec pertes. Sur la gauche, le Godat tient toujours, lui aussi. La 7ème, de son côté, n'est pas restée inactive. Elle a reçu par des feux nourris l'attaque dirigée par le canal lui-même. Elle passe bientôt à la contre-attaque et rallie les hommes de la 5ème qui sont parvenus, dans les bastions envahis, à se dé gager de l'étreinte boche et qui retraitent en tiraillant. La nuit commence à s'épaissir. La section Fallot de la 1ère et Lévy de la 2ème, suivies des deux autres éléments de la 2ème compagnie, entrent en scène. A la grenade on refoule les Boches qui s’efforcent toujours de déborder les îlots de résistance par les ailes et par le sud. Les assiégés tiennent bon et pas sent, eux aussi, à l'offensive. Le sous-lieutenant Magrin tue de sa main 3 ennemis et prend 1 mitrailleuse. Le capitaine Magrin- Vernerey organise une attaque de flanc fort habilement exécutée par le lieutenant Cattier; l'ennemi recule partout, mais en offrant partout une vive résistance. Enfin nos hommes peuvent occuper à nouveau les ouvrages momentanément perdus. A 4h 50 tout était terminé. Le Boche a disparu laissant entre nos mains 12 hommes et 1 mitrailleuse. Les prisonniers appartiennent au 81ème régiment de la 21ème D. I. On retrouvera par la suite plus de 50 morts, dont un officier abandonné par eux dans nos lignes. De notre côté, nous avons 18 tués et 37 blessés. Parmi ces derniers est le sous-lieutenant Jourdain, de la 9ème. L'alerte passée, on se remet au travail avec acharnement, cependa nt que les chefs règlent le dispositif de l'attaque prochaine. L'annonce officielle de l'entrée en ligne des ÉtatsUnis à nos côtés ranime et exalte tous les courages. Le 15 avril les préparatifs sont à peu près terminés à cette date. Le 9, ont lieu les tirs de réglage ; le 10, l'artillerie et les canons de 58, fort nombreux pour la D. I., commencent les tirs de destruction. Le 15 avril, l'artillerie devient plus active. Les pièces gigantesques de l'A. L. V. F. entrent en action sur le fort de Brimont. C'est un plaisir pour le poilu d'assister de loin aux effets énormes des explosions, et de contempler les colonnes de fumée qui s'élèvent de partout en arrière des lignes boches. Le 44ème relève le 60ème à gauche, entre les bastions de Puebla et la redoute des Japonais. Chaque nuit, des patrouilles vont explorer les lignes ennemies et les réseaux où les brèches se multiplient. Les ordres d'opérations sont portés à la connaissance des chefs de section. Le régiment est prêt. III. - L'offensive du 16 avril. La préparation d'artillerie a duré six jours; néanmoins ce ne sont pas les formidables canonnades de la Somme, on dirait qu'on est plus économe de munitions. L'ennemi, à qui des documents pris aux zouaves dans l'affaire du 4 avril avaient donné des renseigne ments précieux, se renforce et multiplie ses batteries. Cependant chez nous la confiance est entière : les âmes s'ouvrent à toutes les espérances quand on prend connaissance des projets du commandement qui découvrent à la pensée des horizons tout à fait vastes et insoupçonnés. Notre part à nous est d'importance. Il s'agit tout simplement de prendre le fort de Brimont pour dégager Reims. Le régiment opérera dans le secteur compris entre la redoute des Poilus et celle des Japonais. Il marchera par bataillons successifs, dans l'ordre normal. En tête le 1er, puis le 2ème, le 3ème, commandant Madamet, partira le dernier. Chacun a sa mission bien définie. Le bataillon Chenost (1er) doit donner l'assaut à la première position, l'enlever d'un seul bond et se diriger sans désemparer, en prenant juste le temps nécessaire pour remettre de l'ordre dans les compagnies, vers le bois du Champ-du-Seigneur. Il enlèvera cette position et s'y installera à H + 1h 20. Le bataillon Duflet, qui aura suivi de près les colonnes d'assaut pour éviter les barrages, passera en première ligne et se portera à l'attaque de la voie ferrée et de la tranchée de Transylvanie qui la couvre. Cela fait, il progressera vers l'objectif final par le bois Fayel où il doit être parvenu à H + 5h 50. Au 3ème bataillon est dévolu l'honneur de coopérer à la prise de Brimont. Après avoir procédé, d'accord avec le 2ème, au nettoyage des tranchées conquises, il se mettra à H + 5h 30; à la disposition de la 28ème brigade. Dans la soirée du 15, l'heure H est connue officiellement. Le jour choisi est le 16 avril, l'heure H est 6 heures du matin. Le télégraphe apporte aux troupes l'ordre du jour du général en chef. ORDRE DU JOUR GÉNÉRAL N° 75 Aux officiers, sous-officiers et soldats des armées françaises. L'heure est venue; courage, confiance et vive la France! Signé : NIVELLE. Le colonel, transmettant la dépêche officielle, y ajoute ce simple mot : « Le 60ème va demain enfin gagner sa fourragère. Le colonel y compte. » (Signé : DE PIREY.) Pendant la nuit, tous les bataillons de la division prennent leurs emplacements, dans une obscurité complète et au milieu des rafales de pluie, de neige et de vent. L'heure du départ va sonner : les officiers ont le regard fixé sur leur montre qu'ils tiennent en main. Les hommes se lèvent, assujettissent leurs cartouchières et quand le chef s'écrie : « Ça y est, allons, les enfants ! » tous enjambent le parapet de la tranchée, s'en vont d'un pas décidé, sans hésitation, vers le but qu'ils entrevoient à peine dans la brume du matin. Le 1er bataillon franchit rapidement les réseaux, suivi de près par le 2ème, et aborde la première ligne ennemie, au bois de Potence. Il y est accueilli à coups de grenades et de mitrailleuses. On a tôt fait de réduire un nid de mitrailleuses qui se découvre à la lisière du bois et un fortin qui fait obstacle à la marche en avant dans le boyau de Gibet. Le capitaine Orard, de la 2ème, et le lieutenant Duc, de la 1ère , font du bon travail avec leurs grenadiers. L'un de ceux-ci, le soldat Dorval, de la 3ème, nettoie un abri à la grenade et en fait sortir 30 Boches qui sont capturés. A l'heure fixée, 5h 30, la première ligne est enlevée. Nous avons enlevé des mitrailleuses, des minen, un canon revolver sous coupole blindée, 7 pièces de 77; beaucoup de morts et de blessés allemands, affreusement mutilés, sont étendus dans les abris ou dans les tranchées conquises. Malheureusement, nous avons quelques morts. Le, lieutenant Flottes, de la 1ère C. M., et le lieutenant Chareix sont, parmi les victimes. Le 2ème bataillon suit dans les conditions prévues. Il a quelques pertes au départ. A l'heure prescrite, éclairé par ses patrouilles, il se prépare à attaquer la voie ferrée. Un glacis de 600 mètres nous en sépare qui est balayé par les rafales de 150 et de 210. Nos 155 entrent en action et font de jolie besogne. L'assaut est donné à 8 heures. Les vagues progressent par la plaine et par le boyau de Pola. Dans le boyau, une mitrailleuse boche s'obstine à tirer. Un lieutenant s'élance : « Rebillard, crie-t-il à l'un de ses fusils mitrailleurs, un jeune de la classe 1916, viens avec moi!» Le poilu s'approche. Tous deux sautent dans la tranchée boche. Le lieutenant brûle la cervelle de trois mitrailleurs et s'empare de leur pièce : celle- là du moins ne nous gênera plus ! Le sergent Picquemal est parti, lui aussi, en patrouille. Il aperçoit une batterie de 105 à la lisière d'un bois. Sans hésiter, il fonce sur les artilleurs, assomme d'un coup de crosse le commandant de la batterie, tandis que ses hommes clouent les servants sur leurs pièces à coups de baïonnette, ne gardant qu'un d'entre eux pour l'interroger. Gourves, grenadier à la 1ère compagnie, tombe sur un détachement boche commandé par un officier. Il n'a plus de grenades. Que faire? Sans hésiter, il va droit à l'officier et le somme de se rendre. Celui-ci refuse Gourves lui saute à la gorge et l'étrangle. Les camarades accourent. Les Boches stupéfaits se rendent. A quelque temps de là, le soldat Gourves sera fait cheva lier de la Légion d'honneur et défilera à Paris, le 14 juillet, à côté du drapeau du régiment. Le 2ème bataillon escalade le talus de la voie ferrée. Les Boches sortent de leurs abris et de leurs niches et se sauvent à l’arrière de nos lignes en levant les bras. A notre droite, le 35ème progresse, lui aussi, et enlève le village de Berméricourt dont les murs blancs étincellent au soleil. Le bataillon Duffet, continue son avance et, la 5ème en tête, arrive devant le bois Fayel. Des canons boches, installés à la lisière du bois, à 200 ou 300 mètres, continuent à tirer, sans répit, servis par des artilleurs d'un sang- froid remarquable. Le Dr Dumas, qui était à la recherche d'un abri où l'on put installer le poste de secours, est atteint grièvement à la tête d'un éclat d'obus. Le sous- lieutenant Mercier, de la 5ème, est tué devant la voie ferrée. Tué aussi le capitaine Orard, de la 2ème. Le lieutenant Boine, de la 5ème, est blessé, mais il refuse de se laisser emporter, il mourra en pleine action. Le commandant Chenost, du 1er bataillon, est atteint d'un éclat d'obus, vers 11 heures. Le 3ème bataillon suit de son côté l'itinéraire prescrit, quelque peu talonné par un tir de 88. Jusqu'alors le succès est magnifique : en trois heures la division a progressé de 3 kilomètres en moyenne; le 60ème a marqué même une avance de 4 kilomètres. Les vieux régiments de la région comtoise ont marché superbement, la main dans la main, conformément aux prescriptions du plan d'engage ment. Les soldats sont enthousiasmés par le succès et les blessés eux- mêmes oublient leur douleur pour ne penser qu'à la victoire. Vers midi, la scène change : notre avance est enrayée. Des masses ennemies apparaissent à notre gauche. On voit des files énormes de camions qui arrivent auprès d'Orainville : des troupes en descendent qui se forment aussitôt pour la contre attaque. Les obus de 105 arrivent par rafales incessantes, tirées de derrière nous. Les balles sifflent partout et rarement on entendit pareille musique aussi nourrie. Que s'est- il donc passé? Pour que le mouvement audacieux de la division réussisse, il eût fallu que la division placée à notre gauche, la 37ème, exécutât elle aussi l'attaque dans les conditions prévues. Or, cela ne peut se produire. Les tirailleurs placés à la gauche du 44ème ne pouvant progresser devant eux, se rabattent sur le secteur du 44ème dont le colonel a été blessé et y- portent la confusion et le désordre. Toute cette cohue désorganisée revient sur le 60ème et gêne considérablement son action. D'autre part, les Allemands, tranquilles pour leurs positions du mont Spin, du bois Macaron et du bois Fin, nous tirent dans le dos. La droite avançant toujours, notre front s'étire de plus en plus et il existe bientôt un trou considérable entre la 14ème et sa voisine de gauche. Les Boches s'en aperçoivent et c'est de ce côté qu'ils lancent leurs contre-attaques incessantes. Leur artillerie ouvre un feu d'enfer. La nôtre, au contraire, se tait presque complè tement. Le 75 est d'ailleurs impuissant à pareille distance. Quant aux lourds, ils ne peuvent parvenir à déterminer exactement l'emplacement de nos troupes. Sur l'ordre du colonel, les bataillons suspendent leur progression et s'organisent rapidement sur place. Les Allemands arrivent le long de la voie ferré et se dirigent vers le bois du Champ-du-Seigneur. Ils manoeuvrent pour nous couper notre base de départ. Ils sont du reste admirablement dirigés et renseignés par leurs nombreux avions. De notre côté, nous ne disposons que de l'avion divisionnaire. Il fait de son mieux, mais poursuivi par une nuée d'ennemis, il doit se retirer. Le régiment sera bientôt menacé d'être pris à revers. Le colonel qui a sous la main le bataillon Madamet et sa liaison personnelle, s'établit sur une ligne perpendiculaire à la tranchée de Transylvanie pour conserver le bénéfice de notre avance et faciliter le repli des autres bataillons. L'attaque allemande devenant de plus en plus pressante, il faudra se replier en combattant jusqu'au boyau de Berméricourt. Les 1er et 2ème bataillons, menacés plus que personne, se replient sur Berméricourt et la voie ferrée au passage de laquelle ils éprouvent de grosse pertes. Plusieurs officiers blessés restent sur le terrain. Dans cette retraite, les dévouements sont nombreux. Le caporal Putin, de la 10ème, reçoit sa cinquième blessure de ce jo ur-là. Le soldat Souleigue, de la 10ème, blessé lui- même, emporte son capitaine grièvement blessé, qui peut ainsi échapper à la captivité. Le sous-lieutenant Suhey, de la 5ème, revolver au poing, reste impassible et superbe de sang-froid sous les rafales ennemies. Blessé grièvement à la bouche, il continue à commander du geste jusqu'au moment où il tombe pour ne plus se relever. Le lieutenant Nicolas, de la 6ème, blessé une première fois, reste à la tête de sa section jusqu'au moment où une nouvelle blessur e le couche à terre. Le soldat Sevestre, fusil- mitrailleur, épuise toutes ses munitions : quand il a terminé, il va chercher d'autres cartouches auprès des morts et sous un feu terrible, recommence son tir. A 16 heures, le régiment tient toujours le boyau de Berméricourt et la tranchée de Cologne. Les efforts de l'ennemi viendront se briser contre ce môle de résistance. Nous pour rons ainsi soutenir et assurer le repli de notre droite, car le 35ème et le 42ème sont contraints eux aussi de quitter Berméricourt où du reste nos 220 ne cessent de tirer. La nuit arrive sur ces entrefaites. Le régiment peut compter ses pertes. I1 a 82 tués, dont 6 officiers, et 415 blessés, dont 18 officiers. Un certain nombre de disparus sont signalés et parmi eux 5 officiers, dont 2 sont morts et 2 autres blessés, on le saura par la suite. Nous avons pris 2 officiers boches et 128 hommes, fantassins ou artilleurs. Notre butin, qui a été très considérable à un moment donné, ne comprend plus que 8 canons, 1 canon revolver, 4 minen et 8 mitrailleuses. L'avance de 4 kilomètres réalisée dans la matinée, se réduit à la possession des trois lignes de tranchées de la première position allemande. C'était peu sans doute, au regard des grandes ambitions du matin, mais il n'avait pas tenu au 60ème que ces espérances ne devinssent des réalités. Le lendemain et les jours suivants, le régiment reste sur place pour soutenir, les attaques menées par d'autres corps. Le 22 avril, le régiment était relevé et conduit en autos à Ay, pour y panser ses plaies et reformer ses cadres et ses effectifs. Certaines compagnies, comme la 2ème C. M., ne comptaient plus que 12 hommes. Les chefs ne manqueront pas de témoigner toute leur satis faction pour la belle conduite de la division tout entière. Elle n'ava it pas réussi, soit, mais l'insuccès qu'elle avait éprouvé était imputable à d'autres qu'à elle. Tous ces éloges et ces félicitations étaient bientôt concrétisés dans une récompense visible, ardemment souhaitée. Tous les régiments de la division étaient cités à l'ordre de l'armée pour la deuxième fois, et recevaient de ce chef la fourragère aux couleurs de la croix de guerre. La citation du 60ème n'était pas la moins élogieuse : Le 60e régiment d'infanterie. Remarquable régiment qui s'est toujours trouvé aux endroits où il y avait des risques à courir et de l'honneur à gagner. En Champagne, à Verdun, sur la Marne. Vient de se signaler à nou veau le 16 avril 1917, en enlevant d'un superbe élan, sous l'impulsion entraînante de son chef, le lieutenantcolonel de Pirey, trois positions ennemies successives, pénétrant ainsi sur une profondeur de 4 kilomètres dans le front ennemi qui n'avait pu être entamé depuis plus de deux ans. C'était la récompense due au courage et à la ténacité de ses soldats qui auront maintes fois encore, par la suite, l'occasion de s'affirmer. IV. - Après l'offensive. Du 22 avril au 4 mai, le régiment séjourne à Ay. C'est là qu'il reçoit ses renforts. Le 5 mai, il faut quitter ces lieux enchanteurs. Des camions transportent le régiment à Ville-en- Tardenois. Du 5 au 21 mai, nous occupons les baraquements situés à l'ouest de Ville-en-Tardenois. C'est le temps de la remise en main des compagnies. Pendant ce séjour, le général commandant le corps d'armée attachait solennellement la four ragère à la hampe des drapeaux de la division. C'était assurément un spectacle peu banal que celui de cette revue où tous les régiments participaient au même honneur gagné dans les mêmes combats. C'est à partir de ce moment que la division prit le surnom qu'elle a conservé depuis et qu'elle a maintes fois justifié de « Division des As ». Chaque régiment choisit alors son emblème : parce que les hommes du 60ème puisent leur courage dans leur grand coeur, ils prennent l'as de coeur, qui sera peint désormais sur toutes les voitures, comme il sera fixé sur toutes les coiffures et sur le ferret des, fourragères.. Le 22 mai, le régiment reprend sa marche vers les lignes et arrive à Courcelles. Il faut relever la 46ème D. 1. au secteur de Loivre et occuper le village de ce nom, la verrerie, la station et la voie ferrée, l'écluse de Noue -Gouzaine, au pied de la batterie de Loivre, aux mains ennemies. Dans la nuit du 31 mai au 1er juin, les Boches essaient de faire un coup de main sur les postes du 1er bataillon. Grâce à la vigilance des sergents Gardien et Énée et du caporal Massot, ils échouent. Nous leur tuons 3 hommes; un sous-officier et un blessé restent entre nos mains. Du 9 au 20 juin, le régiment, relevé par le 44ème, va au repos dans le charmant pays de Saint- Brice-Courcelles, où il est plantureusement logé et où il se soucie peu des innombrables moustiques qui s'acharnent sur les dormeurs et les baigneurs, ou des obus que lance libéralement sur le village - sans grand succès d'ailleurs:- un vague train blin dé. Le 21 juin, il remonte en ligne pour une nouvelle période de douze jours. Il fait alors une chaleur accablante et déprimante. Le moral reste très bon parmi nous. Tout le monde d'ailleurs y prend peine et les cuistots en premier lieu. . Le 5 juillet la relève commence, opérée par le 133ème auquel le commandant Madamet, du 3ème bataillon, sera affecté comme lieutenant-colonel. Nous laissons au cimetière de Saint-Thierry 19 tués. La relève effectuée, nous arrivons en deux étapes à Reuil, Binson-Orquigny, Baslieux. Alors commence une période de « vrai repos » qui doit durer un mois. Les hommes sont tenus en haleine par de petits exercices d'un caractère pratique et intéressant et des manoeuvres. Ils ont toute liberté de jouer au foot-ball et d'organiser des concours de tous genres. Le théâtre aux armées fait son apparition parmi eux. Les soldats issus des régions agricoles obtiennent de travailler avec les civils à la récolte des moissons ou aux vignes et cela leur procure jusqu'à un certain point l'illusio n du temps de paix. Entre temps, le commandant François avait remplacé le commandant Madamet.  Le 24 juillet, eut lieu, sur les hauteurs dominant Fleury-la-Rivière, une grande revue de toutes les troupes de la division, passée par le général Pétain. Le 16 août, une file interminable d'autos emportait les hommes vers une destination nouvelle. Nous quittions la Vème armée. Pour la troisième fois nous allions revoir Verdun. VERDUN (Deuxième manière : septembre à décembre 1917.) Le communiqué français du 20 août apportait une nouvelle qui fit sensation à cette époque. A l'aube de ce jour, l'armée de Verdun avait pris l'offensive sur les deux rives de la Meuse, depuis le bois d'Avocourt jusqu'au nord de Bezonvaux, Avant midi, nous avions atteint la plupart des objectifs. L'avance était continuée dans l'après-midi, et nous reprenions possession du Mort-Homme, de Champ et de Champ -neuville, du sommet de la croupe 344, de la ferme Mormont, jusqu'à la cote 240 au sud-ouest de Beaumont. Le lendemain, la bataille reprend : nos troupes s'emparent de la côte de l'Oie et de Regnéville. Sur la rive droite, nous enlevons de haute lutte Samogneux et le système fortifié qui relie le village aux organisations de la cote 344. Nous avons fait dans ces affaires 6.116 prisonniers. Les vaincus de février 1916 sont devenus les vainqueurs incontestés. Il faut maintenant assurer la conquête et relever les troupes qui ont fait l'attaque; tel est le rôle qui va être dévolu à la 147me D. I. C'est à ce titre qu'elle paraîtra deux fois à Verdun, à 344 d'abord, puis au Mort-Homme, où elle séjournera trois mois durant. Occupation de la cote 344. Du 16 au 22 août, le 60ème reste à Epense et Noirlieu et Épensival, près de Givry-en-Argonne. Le 22, la division part en camions et arrive, le 28, près de Glorieux. Le soir même, le, régiment fait son entrée dans la citadelle de Verdun. On met à profit les courts instants de répit dont on dispose, pour visiter à la hâte les endroits où nous avons séjourné en 1916, voici la ville aux trois quarts démolie, les casernes Chevert entièrement saccagées, le fort de Tavannes méconnaissable. Les bois qui l'entouraient jadis n'existent plus que sur la carte. Quelques piquets, des touffes de tout petits arbres, voilà ce qui reste. Partout, des trous d'obus au fond desquels de temps à autre on aperçoit une croix qui pourrit et qui est constituée par deux morceaux de bois assemblés par un fil de fer. Une plaque d'identité rongée par la rouille ou une étiquette y est suspendue. Je regarde : « un tel » ou un inconnu du 35ème, du 42ème, du 60ème. Ici comme ailleurs, les tombes permettent de retrouver les emplacements que la division a occupés. Le 25, le 60ème monte à la cote 344 qui lui est assignée comme secteur. Il y a deux bataillons en ligne : l'un occupe l'ouvrage de l'Oursin et la tranchée du Jutland, l'autre tient la tranchée de Worms et la partie conquise de la tranchée de Trèves. Le bataillon de réserve occupe la tranchée de l'Arc et l'ouvrage de Kiel, au sud de 344. Toute cette région représente l'ultime degré de la désolation. Le sol est bouleversé à fond. Des trous d'obus invraisemblables témoignent de la puissance destructive des obus que notre artillerie a lancés avec une prodigalité étonnante. De tranchées, il n'y en a plus nulle part. Il n'y a que des trous plus ou moins alignés que l'on s'efforce d'unir rapidement à coups de pioche et de pelle. Il n'y a de boyaux nulle part, à moins qu'on ne veuille donner ce nom à des manières de rigoles où la cheville du pied seule est garantie. De quelque côté qu'on se dirige, on est sûr de se faire voir. Il se fait en ces lieux une consommation d'obus effrayante. Dans un seul jour, qui ne fut marqué par aucune attaque, on lance sur le seul front de notre division 42.000 obus; 27 batteries de 75 ne cessent pas de glapir nuit et jour. Naturellement le Boche se pique au jeu et s'efforce de ne pas rester en retard de projectiles. Le service de garde aux tranchées de 344 commence le 25. Il est extrêmement pénible. Le temps du reste se met à la pluie et il n'y a pas d'abris. Il faut se résigner à laisser tomber l'eau et à s'allonger dans la boue le corps recouvert d'une simple toile de tente. Chaque jour nous perdons du monde. Le 4 septembre, le 2ème bataillon, qui occupe le secteur le plus pénible, est relevé par le bataillon Françon et passe en réserve. Une de ses compagnies, la 5ème, qui occupait la tranchée de l'Arc en deuxième ligne, a été tout a fait éprouvée. Le 7 septembre, une opération locale est décidée sur notre front et sur le front du 44e qui a remplacé le 35ème à droite. Chez nous, la 9ème, la 11ère, la 1ère et la 2ème sont chargées de l'affaire. Il s'agit de reconnaître et de nettoyer les petits bois et les abris qui sont devant nous et où sont installés de nombreux partis boches. Pendant ce temps, le 44ème attaquera la partie de la tranchée de Trèves qui reste au pouvoir de l'ennemi. L'artillerie coopérera à l'action et dans des proportions considérables. A 19 heures, l'assaut à lieu. En peu de temps, tous les objectifs sont atteints sur notre front. Les bois et les abris sont nettoyés : nous ramenons des mitrailleuses et 11 prisonniers du 235ème R. I. de la 51ème D. I. Il est à croire que l'ennemi n'acceptera pas cette « tape » sans réagir. De fait, le lendemain, vers 3 heures, il contre-attaque avec énergie. Il tombe sur des postes qui sont parés pour le recevoir. Le soldat de Gribaldi, de la 2ème, se fait alors remarquer par son audace : constituant à l'ennemi un barrage en avant de la position conquise, il en interdit l'accès à coups de grenades et met hors de combat plusieurs des assaillants. Au bout de quelques instants, l'ennemi est repoussé complètement. A quelque temps de là, le 44ème n'ayant pu réaliser l'avance prévue, nous revenons par ordre à nos positions primitives, laissant simp lement de petits postes en avant. L'affaire du 7 nous avait coûté : 1 officier et 3 hommes tués, et 39 blessés dont 1 officier. Le 9 septembre est par contre un jour singulièrement difficile pour le 44ème et le 60ème. C'est aussi un jour de gloire. Le secteur tenu par le régiment est organisé de la façon suivante la 9ème et la 11ème sont en ligne et se relient à gauche, par la tranchée de Tacul, au 47ème R. I. La 10ème est en réserve à la tranchée de Worms. A droite, la première ligne est occupée par les 1ère et, 2ème compagnies, la 3ème est en réserve. La liaison se fait avec le 44ème par la tranchée de Jutland. Le 2ème bataillon est en deuxième ligne. Au 3ème bataillon, commandé par le commandant François, les hommes sont aux tranchées depuis quinze jours sans désemparer, et cela les met dans un état de fatigue considérable. Aussi bien l'endroit est- il « très mauvais »; il faut travailler nuit et jour à organiser un secteur où il n'y a rien et il pleut sans trêve. On espère donc que la relève va se faire bientôt. Tout à coup, vers 5 heures du matin, deux coups de sirène retentissent dans le silence relatif qui règne d'ordinaire vers l'apparition du jour. Un tir de barrage et d'encagement énorme par obus toxiques et explosifs se déclanche sur nos lignes. Les projectiles de tous calibres pleuvent aussi sur l'arrière et spécialement vers le versant nord de la côte du Poivre, la route de Vacherauville, sur les batteries et sur le P. C. du colonel où un téléphoniste, le caporal Buat, est tué. Le brouillard à cette heure matinale est si dense qu'on peut à peine distinguer son voisin, et la fumée des explosions ne contribue naturellement pas peu à l'épaissir. Soudain, le tir s'allonge, et les parapets des premières lignes sont envahis par une foule de Boches grimaçants et casqués, qui se sont avancés, collés au barrage, sans qu'on ait pu les apercevoir. Certains postes sont submergés, leur perte crée des couloirs qui permettent à l'ennemi de s'infiltrer dans l'ouvrage de l'Oursin et de se répandre sur toute la croupe de 344. Mais rira bien qui rira le dernier : les commandants Françon et François veillent au grain. Dès 6 heures, le Boche vient se briser contre la deuxième ligne comme une vague contre le môle du port. C'est le moment pour nous d'attaquer. La 7ème compagnie se porte au secours du bataillon et fait du bon travail. Le capitaine Fournier, de la 10ème compagnie, un homme de sang-froid et de décision, dirige sa compagnie vers la tranchée de Worms. Le sous-lieutenant Icard, de la 9ème, rallie les isolés avec le concours du clairon Bissières, qui sonne le refrain du régiment pour regrouper les efforts et les lancer en avant. Le caporal Gelly, fait reculer pas à pas les Boches à coups de grenades, en tue plusieurs et poursuit les autres dans les abris où ils se réfugient. L'ennemi attaqué de front par la 10ème et la 7ème, de flanc par la tranchée de l'Arc et par les îlots de résistance qui tiennent toujours, recule peu à peu. Il évacue la, tranchée de Worms en y laissant une mitrailleuse et un certain nombre de cadavres, A droite, le, combat est encore plus vif, car l'ennemi a amené des mitrailleuses dans l'ouvrage de l'Oursin et il se retranche en cet endroit comme il le fait d'ailleurs à l'ouvrage du Buffles plus à droite. La 3ème compagnie part à la contre-attaque, sous le commandement du brave capitaine Pillieux, qui est tué. Le sous- lientenant Cahen, ramassant un clairon traînant à terre, sonne la charge à perdre haleine et lance son monde contre les retranchements ennemis. La 6ème compagnie arrive à la rescousse, sous les ordres du capitaine Robert, un officier de sang-froid et d'une décision remarquables. Il rallie les isolés de toutes les compagnies, puis s'adressant à son clairon Ferrut, il lui ordonne de sonner la charge. Le clairon s'acquitte gaillarde ment de sa consigne. Le capitaine s'élance à la tête de ses hommes, sur le flanc de l'Oursin et engage la lutte corps à corps. A 9h 30, l'ouvrage de l'Oursin est repris. Les 150 Boches qui l'occupaient s'enfuient vers Trèves. On les poursuit vigoureusement, la jonction se fait avec le 44ème, et nos hommes, excités par le désir de la revanche totale, continuent à foncer. On doit les retenir sur place à cause du danger où l'on se trouve de tomber sous les tirs des 75. La 2ème compagnie a repris elle aussi « du poil de la bête »; sous la conduite du sous- lieutenant Pilon, elle regagne 500 mètres de tranchées à la grenade. Le soldat de Gribaldi, comme toujours, marche en tête. Blessé, il ne consent à se retirer que sur l'ordre formel de son chef. La 1ère compagnie, ou ce qui en reste, avec le sous-lieutenant de Coste, qui sera blessé, reconquiert ses emplacements primitifs. A 11 heures, tout est terminé. Malheureusement, nos rangs sont éclaircis. Outre le capitaine Pillieux, les sous-lieutenants Girardet de la 2ème, Lamy-Quique de la 6ème, Merlin de la 11ème, Lebaig de la 7ème, sont tués. Nous avons environ 50 tués, 200 blessés et quelques disparus. 45 prisonniers et 4 mitrailleuses restent en nos mains. La satisfaction du colonel se traduit par les remerciements chaleureux qu'il adresse à son régiment : ORDRE DU RÉGIMENT Pour célébrer l'anniversaire de la bataille de la Marne le 60ème d'infanterie vient encore de s'illustrer. Le général de division m'a chargé personnellement d'adresser au 60ème R. I. ses félicitations pour sa belle conduite. Officiers, sous-officiers, caporaux et soldats du 60ème, vous avez fait reculer trois régiments ennemis : je suis fier d'être à votre tête, et je vous dis : Merci, pour la France ! Aux armées, le 9 septembre. Le Lieutenant-colonel, Signé : DE PIREY. Dans la nuit du 11 au 12 septembre, la division était relevée Les camions transportaient le régiment à Renibercourt-aux-Pots et les deux Maratz. Nous laissions à Verdun 92 morts, dont 6 officiers; 345 des nôtres, dont 4 officiers, étaient en traitement aux ambulances de Glorieux. Secteur du Mort-Homme (octobre à décembre 1917). Les pertes du régiment sont comblées de suite par les renforts qui nous viennent des 9es bataillons. Presque tous appartiennent à la classe 17. Le premier soin des survivants est de songer aux camarades morts. C'est une tradition du régiment et chacun y tient. Un grand office est donc célébré à Condé-en-Barrois. Nous restons donc dans ces lieux jusqu'au 5 octobre. Le repos est aussi complet que possible, à peine coupé par des théories et des exercices pratiques auxquels le commandant François, du 3ème bataillon, excelle. Le 22, deux bataillons et la musique se rendent à Souilly pour y être passés en revue par le Roi des Belges, qui est venu visiter Verdun, en compagnie du général Fayolle. Le chef de musique, M. Cribeiliet, aura la joie de recevoir à cette occasion, de la main même du Roi, la Croix de l'ordre de Léopold et la Croix de guerre belge. Le 3 octobre, il faut partir. Le 7ème corps, qui a remplacé le 15ème dans la région de Verdun, réclame notre présence. Les autos ramènent le régiment à proximité du fameux bois Bourrus. A partir du 5, nous faisons la relève dans le secteur du Mort-Homme. Ce nom de Mort-Homme, quelle qu'en soit l'origine, éveille à coup sûr dans l'esprit des souvenirs impérissables, les assaut furieux que les troupes aux ordres du 7ème corps avaient à soutenir en ces lieux. Notre émotion est devenue de l'angoisse quand nous avons appris que l'ennemi était enfin p arvenu à l'occuper après un mois de luttes épiques et de combats sanglants. Quand l'offensive du mois d'août 1917 nous eut rendu toutes ces positions si importantes qui protègent la rive gauche de la Meuse : le Mort-Homme, la cote 304, la cote 344, l'allégresse fut complète parmi les anciens combattants de Verdun. C'était en effet l'annonce à brève échéance de la libération complète et c'était la preuve de notre supériorité incontes table sur l'ennemi puisqu'il était impuissant à les garder. Cette région est plus triste encore et plus désolée que celle qui lui fait face de l'autre côté de la Meuse. Les villages, Esnes, Chattancourt, Cumières, sont ruinés au point qu'on a beaucoup de peine à retrouver même l'emplacement de l'église. Les ruisseaux coulent à même dans les rues, qui sont trans formées en marais: Les bois et les arbres ont disparu. Le terrain est retourné de fond en comble. De quelque côté que l'observateur se tourne, il n'aperçoit que boyaux, tranchées, réseaux, camouflage dissimulant les engins de guerre ou des dépôts de munitions, tout au fond le sommet chauve et calciné du Mort-Homme et sur sa gauche la fameuse colline de Montfaucon qui surveille l'horizon à 50 lieues à la ronde. Quand on approche du Mort-Homme, les trous d'obus deviennent de plus en plus nombreux. A la fin, ils chevauchent les uns sur les autres. Ils sont aussi de plus en plus profonds. Ils sont pleins d'une eau verte sur laquelle on voit surnage- des débris d'équipements ou bien, horreur! quelques crânes décharnés. A chaque pas du reste, le pied heurte des armes tordues et rouillées, des grenades oubliées, des ossements entourés ou non de débris de linge, des bottes ou des brodequins au fond desquels se trouvent encore les restes d'un pied humain. Quand il avait plu, toute cette étendue devenait un véritable cloaque, et il fallait de la bonne volonté pour circuler en dépit de la boue et de la marne gluante. Au pied du Mort-Homme, sur le versant nord, le ruisseau de Forges s'étalait parmi quelques pauvres taillis. Il passait à l'extrémité sud du village de Béthincourt et recevait les eaux d'un autre ruisseau dont le cours était presque perpendiculaire au sien et qui donnait son nom au ravin de la Hayette. La cote 304 se trouvait de l'autre côté du ravin qui formait la limite de la division de ce côté. Le front de la 14ème était tenu par deux régiments. Le 3ème était au repos quelque part à l'arrière, au bois Bourrus et à Sivry-la-Perche. A des intervalles très variables, une relève partielle avait lieu. Le régiment en réserve remplaçait l'un des régiments en ligne, tantôt à droite, tantôt à gauche. Chacun d'eux ne mettait en ligne qu'un minimum d'hommes : deux batail lons au plus. Tous les soirs, les corvées fort nombreuses d'hommes et de petits ânes empruntaient des chemins pour porter en ligne le ravitaillement nécessaire : les munitions, les piquets et les rouleaux de fil de fer pour réseaux. C'était une marche singulièrement pénible que celle- là. Il fallait franchir successivement quatre ou cinq ravins et remonter autant de fois les pentes avant d'arriver en ligne et tout cela, dans une boue ignoble. Jamais, je crois, les brancardiers n'ont supplié le ciel avec autant d'instance de protéger les nôtres. Ils s'effrayaient d'avance chaque soir, à la pensée qu'ils seraient peut-être appelés à transporter une fracture à la cuisse, à l'arrière, pendant la nuit. C'est dans ces conditions que le régiment tint le secteur du 5 octobre au 10 décembre, tantôt dans la région de Béthincourt, aux tranchées de Vovel et de la Hayette, tantôt dans les fonds de Fargevaut et au bois des Corbeaux. Le secteur, au demeurant, devint de plus en plus calme. Nos pertes journalières, assez nombreuses au début, deviennent presque nulles à la fin; même la dernière quinzaine de décembre peut se passer sans que nous ayons à enregistrer un seul blessé de la division. L'ennemi concentre toute son activité dans les tirs de contre-batterie, qui sont très fréquents et tout à fait violents. Mais une opération de détail bien conduite nettoie les abris et conquiert les casernes situées en avant de la tranchée de Trèves. Dans la suite, les relèves se succèdent sans incident. La vie devient singulièrement monotone. La boue, les travaux très durs à exécuter, les mauvaises nouvelles venues de l'Italie, ne sont pas de nature à ensoleiller les âmes. On tient cependant avec le même courage. Le 10 décembre, le général Guillaumat, chef de la IIème armée, est désigné pour l'armée d'Orient. Le généra, Hirschauer le remplace. Nous n'eûmes pas le temps de faire la connaissance de notre nouveau chef. Dans la nuit du 1er au 2 janvier, le régiment était relevé par le 59ème de la 34ème division, et transporté en camions aux environs de Bar- le-Duc. Cette fois, nous quittions Verdun pour n'y plus revenir. LA LORRAINE (du 1°, janvier au 30 avril 1918). Nos hommes eussent été bien surpris au début de l'année 1918, si quelqu'un était venu leur dire que cette année leur apporterait la fin de leurs misères et de leurs angoisses. Elle se présentait, en effet, sous de si fâcheux auspices! Les évé nements lamentables qui se sont produits sur le front italien et qui ont appelé dans la Vénétie une bonne partie de nos réserves, la déconfiture totale de la Russie semblent autoriser toutes les inquiétudes. Et pourtant, qui réfléchit alors avec sang-froid à la situation se rend compte que les motifs de confiance l'emportent malgré tout. Nous avons la maîtrise des mers, les victoires de l'Allemagne ne sont pas la victoire tout court. En tout cas, elles ne modifient pas dans l'ensemble la situation stratégique. Sur le front occidental, d'ailleurs, notre supériorité matérielle et morale s'est affirmée tout récemment encore dans l'offensive et la victoire de l'Ailette. Enfin, les Américains arrivent. Chaque mois, leur apport de force augmente dans des proportions considérables. Ce sont ces motifs qui inspirent les ordres du jour que le commandant adresse aux troupes de la division dans le temps où elles se dirigent vers la région de Charmes, pour prendre possession d'un secteur de Lorraine. Entendant au rapport la lecture de ces documents, le Poilu se fait à lui-même ce raisonnement simpliste : « Nos grands chefs nous disent tous d'avoir confiance : ils savent mieux que nous de quoi il retourne, eh bien ! on aura confiance ! » Et il tiendra parole. Le 8 janvier, par un temps glacial et des tempêtes de neige peu ordinaires, il faut procéder pour la n° fois à un embarquement en chemin de fer. Le lendemain, on arrive à Rambervillers, dans les Vosges, et l'on s'en va par une série d'étapes pénibles en raison de la température dans la région de Bayon. Enfin, le 14 janvier, le 3ème bataillon et l'État- major arrivent à Crévéchamps, le 2ème et le 1er à Beney. C'est le coin charmant de la vallée de la Moselle qui nous a été assigné comme lieu de repos. Le beau temps qui revient nous permet de l'apprécier. Les cantonnements sont bien organisés, le taux des per missions a été augmenté dans des proportions notables, ceux qui restent ne sont pas soumis outre mesure aux exercices et aux revues: leur activité trouve à s'exercer dans les matches variés qui mettent aux prises les professionnels de l'escrime, de la grenade, du foot-ball. Le 30 janvier, le régiment recevait l'ordre de départ, le lendemain il se dirigeait sur Blainville et Lunéville, pour arriver le 1er février dans le secteur de Saint-Clément. Le 2 février, il relèvera le 279ème, dans le secteur de Rognelle et de Zeppelin, en face et à l'est des villages réunis de Blémerey et de Reillon. Le colonel et les réserves sont à Domjevin. A l'arrivée, le so ldat éprouve une grosse satisfaction à se trouver pour la première fois dans un secteur de ce genre; C'est le calme idéal. Les civils sont encore dans leurs maisons et vaquent à leurs occupations assez près des lignes et sous la menace des canons ennemis. Nous eûmes cependant à regretter quelques coups durs dès le début. Le 21 février, coup d'État! Les Américains arrivent. Il s'agit de la 42ème D. I. de l'Ohio, qui vient faire ses débuts au front sous la direction du 7ème corps français. Le 166ème régiment est affecté à la 14ème D. I. et chaque régiment de la 14ème est doublé d'un bataillon américain. Le colonel du nouveau régiment s'installe à Domjevin et l'un de ses bataillons prend possession du secteur de Rognelle... Ce nous fut un puissant réconfort de voir paraître ces troupes parfaitement armées et disciplinées, animées d'un esprit excellent et munies d'un matériel perfectionné et tout à fait au point. De suite, des rapports amicaux se nouent en dépit de la différence des langages et la pénurie des « truchements ». Dès les premiers jours de mars, le secteur s'agite au point de devenir bientôt un secteur d'enfer. Il n'est plus, question, dès, lors, que de coups de main à effectuer ou à déjouer, de marmitages féroces à « encaisser »; le sol qui était presque vierge à notre arrivée devient en plus d'un endroit une sorte d'écumoire; le village de Domjevin et ses abords jouissent d'une sécurité de plus en plus précaire. Le 4 mars, un copieux bombardement ennemi sur Reillon écrase en arrière de nos lignes une partie du tunnel dit de l'Argonne. Le 9 mars, la 6ème compagnie, capitaine Robert, organise un coup de main sur Bischoff, avec le concours d'un peloton américain. Après une préparation d'artillerie d'une heure, magistralement exécutée, 80 des nôtres sortent, conduits par les lieutenants Versini et Assey. Ils s'en vont dans les tranchées ennemies qu'ils explorent en tous sens. Ils font sauter les abris et les blockhaus et reviennent à 19 heures sans avoir subi de pertes. L'ennemi avait pris le parti de retirer sa garnison dès le début de l'attaque. Comique était la déconvenue du lieutenant américain Lear et de ses 40 hommes qui, sortis en même temps que nos hommes, avaient espéré trouver pour la première fois l'occasion de voir le Boche de près et de co gner ferme. Comme nous, ils n'avaient trouvé devant eux que le vide! Ils ne rapportaient de leur expédition que pantalons déchirés lamentablement aux ronces des réseaux. De violents bombardements ennemis, avec emploi d'obus toxiques et dirigés principalement sur Domjevin, marquent la deuxième quinzaine de mars. Au cours d'un d'entre eux, le médecin chef M. Feyfant est atteint pour la cinquième fois en surveillant le départ d'une auto sanitaire avec une complète indifférence des obus qui tombaient. Le 29 mars, la relève commence et sera terminée le jour de Pâques. Nous sommes remplacés par le 168ème R. I. et le 41ème B. C. P. de la 128ème D. I. Une division du 7ème C. A., la 14ème, se dirige sur les points d'embarquement qui lui ont été assignés. Promus définitivement à la dignité de division volante, elle quitte son corps d'armée d'origine. Sous d'autres commandements et sur des théâtres de batailles aussi variés que difficiles, elle sera ce qu'elle a toujours été, un exemple remarquable de valeur calme et tenace, comme d'exacte discipline. Elle fera l'admiration de tous ceux qui, Anglais, Français, italiens auront à demander son concours ! DICKEBUSCH (9.au 28 mai 1918). Lorsque le régiment s'embarquait, le 4 avril, à la gare d'Einvaux, la situation était critique sur notre front. Qu'on se rappelle plutôt les faits : l'attaque allemande du 21 mars sur un front de 80 kilomètres, de la Scarpe au sud de Saint-Quentin, sur les IIIème et Vème armées anglaises; Noyon perdu le 25 mai, la poussée ennemie enrayée vers le sud et glissant vers l'ouest; Montdidier au pouvoir des Allemands le 27. Dès lors, l'axe de la bataille, se déplace vers le nord et menace Amiens et la voie ferrée Amiens-Clermont, en avant de laquelle de sanglants combats seront livrés du 15 au 20 avril, dans le village de Villers-Bretonneux. L'heure est grave, comme le dit l'ordre général 14 du général Pétain : Il s'agit du sort de la France ! Nous descendons le 5 avril à Clermont et Liancourt, dans l'Oise. Nous nous établissons en cantonnement d'alerte à Catenoy et Lucchy. Le 12, nous partons. Après trois jours de marches pénibles, après avoir laissé derrière nous la Somme et les faubourgs d'Amiens, sur lcsquels s'abattent les gros projectiles ennemis, nous arrivons à Thièvre et Vauchelles-les-Authies, à 8 kilo mètres de Doullens. Nous sommes alors en pays occupé par les Anglais et nous vivons au sein d'un monde pittoresque. A côté de nous est le corps fameux Anzac. Les habitants français des villages accueillent avec enthousiasme nos hommes. Ils n'ont pas vu de soldats français depuis deux ans, et le régime auquel ils sont soumis leur pèse. Nous restons dans l'expectative jusqu'au 1er mai. Ce jour là, les camions viennent nous enlever et nous emportent vers le nord. Nous nous installons à Renty et Thiembronne. Le 2 mai est un jour de repos. Le lendemain, de superbes camions anglais, des ci-devant omnibus de Londres, nous emmènent à Renescure, Hardifont et Cassel. La vue de ces pays de Flandre est un enchantement pour tous. Le 8 mai, les régiments sont alertés et s'approchent des lignes d'où nous arrive sans répit, et formidable, le bruit du canon. Nous sommes à Ecke, puis à Steinworde, le 9 à Poperinghe. De là, nous nous dirigeons vers l'étang de Dickebusch, au sud et à 3 kilomètres d'Ypres. Dans ce secteur d'une sinistre réputation, il faudra faire ce que nous avons fait si souvent ailleurs, tenir, tenir encore, tenir toujours. Or, certain jour, la question se pose particulièrement angoissante. Cette date du 27 résume en les dépassant toutes les journées que nous vivrons là, du 9 au 28 mai. La journée du 27 mai. Le régiment relève la 98ème brigade anglaise dans le sous-secteur de l'étang de Dickebusch, au nord du mont Kemmel et à peu de distance du village de ce nom. Il est encadré par les Anglais, à gauche, à droite par le 44ème, avec lequel la liaison se fait à la brasserie et à la ferme Gordon. Nous avons en ligne deux bataillons qui sont échelonnés en profondeur de l'autre côté de l'étang. Le bataillon de réserve occupe des éléments de tra nchées à 2 kilomètres à l'ouest du village détruit de Dickebusch. La brigade anglaise voisine est composée de bonnes troupes. Le général de division tient, dès la première heure, à nous le faire savoir, pour couper court à certaines craintes. Le champ de bataille où nous sommes ne ressemble à rien de ce que nous avons vu. Il est constitué par d'immenses plaines semées de fermes détruites et couvertes littéralement d'anciens camps anglais. Lors de l'offensive du 15 au 26 avril, qui a sévi sur la crête de Wytschaete entre Bailleul et Ypres, le canon s'est déchaîné parmi tous ces camps. Baraques et métros sont éventrés et ce ne sont partout que débris de tous genres. Des cadavres de chevaux et d'hommes en pleine putréfaction se trouvent partout, le long des routes comme au milieu des champs, et infectent l'air. Au fond et à droite, derrière les lignes des grands peupliers qui marquent les routes, la croupe allongée du Kemmel domine tout le pays et ne permet pas d'effectuer le moindre déplacement sans être aperçu. Derrière nous le lac Dickebusch, long de plus d'un kilomètre. Il affecte sur la carte la forme d'un triangle dont la base serait au nord. C'est un vaste étang boueux et peu profond où se jettent plusieurs ruisseaux vaseux, tels le Kemmelbeck et le Wyverbeck. Partout les terres sont retournées; les champs dont la récolte a pu être faite sont rongés par les obus et brûlés par les gaz. Au demeurant, les marais se rencontrent nombreux et dégagent des exhalaisons putrides qui nous incommodèrent tous. Cela n'était rien auprès des gaz dont l'ennemi faisait usage constamment. Il faut dire d'ailleurs que les batteries françaises et anglaises abondaient en cette région. La contre-batterie ennemie était remarquablement organisée. Les gros obus pleuvaient sur les positions alliées, faisant exploser avec un bruit formidable quelques-uns des énormes dépôts de munitions qui s'entassaient partout, ou répandant dans l'air des émanations d'ypérite qui étaient dangereuses pour beaucoup et pénibles pour tous. La terre est tout imprégnée de gaz; il en est de même des habits de tous les hommes; quand le soleil commence à échauffer le sol, la situation devient intolérable. Quelle que soit la valeur du masque, on ne peut le porter jour et nuit pendant quinze jours consécutifs. A force de vivre dans une atmosphère de ce genre, les plus vaillants sont « pipés ». De là ces défilés lamentables de gens dont les yeux refusaient tout service et qui, profitant d'un moment d'accalmie, vers le soir, s'en allaient péniblement en titubant et s'écroulant souvent dans les trous d'obus, en longues files sur le poste de secours d'Ouderdoom. Les obus percutants faisaient d'ailleurs pas mal de victimes, parmi nos hommes, surtout dans le bataillon de réserve qui ne disposait que d'abris extrêmement précaires et qui étaient sous, les vues du Kemmel. A notre_ droite, le 44ème d'abord, puis le 35ème donnent de temps à autre des coups de boutoir. Le 60ème doit se borner à multiplier les patrouilles et à encaisser stoïquement les obus et les gaz dans les abris primitifs que les Anglais lui ont laissés en consigne. Pour lui, d'ailleurs, il n'y a pas d'autres relèves que celles qui sont assurées par le tour de, ligne des bataillons. Le 27 mai est un jour terriblement difficile. Les bataillons Françon (1er) et Duffet (2ème) sont en ligne. Soudain, vers 1 heure du matin, une fusée verte s'élève des lignes boches. Immédiatement un bombardement inouï se déclanche. Les obus toxiques et percutants tombent comme grêle sur les premières lignes, sur les réserves, sur les batteries, détruisant les abris et les liaisons, tuant les coureurs qui sont surpris dans leur course. Ces derniers points sont d'autant plus graves que la brume; s'épaississant de plus en plus, ne permet pas de correspondre par signaux optiques. Vers 2h 30, une petite accalmie se produit. On en profite pour achever de prendre silencieusement le dispositif de combat, et nos batteries entrent énergiquement en action. A 3 heures, le tir de l'ennemi reprend de plus belle et sa violence s'exagère jusqu'à 4 heures, où il s'allonge pour laisser passer l'infanterie et les lance-flammes. L'ennemi, croyant avoir anéanti toute résistance, estime que l'emploi de ces engins lui ouvrira définitivement le passage. Refoulé sur la droite par le 35ème, il se porte en masse sur la 6èmecompagnie, à l'endroit où se fait la liaison, et submerge la première ligne à l'ouest du lac. Celle-ci est du reste tenue par un nombre d'hommes extrêmement restreint à cause de la diminution constante des effectifs. La section Vuillemin, de la 6ème, plus en arrière, forme un barrage sur le Wyverbeck, où accourent bientôt les renforts, deux compagnies du 44ème. L'ennemi glisse de plus en plus vers le nord en débordant notre ligne. Il s'empare de Ridgewood et de Shotisch-Wood, il s'efforce de tourner la 7ème compagnie qui recule pas à pas jusqu'au talus de l'Étang auquel elle se cramponne. Vers 6 heures, le brouillard se dissipant, la situation se pré cise. Nous tenons partout sur l'Étang; au nord, la 3ème et la 5ème sont établies solideme nt sur la digue et dans une tranchée creusée en grand mystère par le bataillon Duffet, dont les Boches ignoraient l'existence. La 2ème n'a pas cédé pour ainsi dire : elle a refusé sa droite sous la protection d'hommes déterminés, comme le fusil- mitrailleur Monterrat et le caporal grenadier de Gribaldi, et l'ennemi a creusé une poche entre elle et la digue du lac. La contre-attaque s'organise et se déclanche sur toute la ligne, à partir de 8 heures, menée à droite par la 6ème, la 7ème et la 9ème sur une ligne parallèle à l'Étang, à gauche, par la 11ème, la 3ème, la 2ème et la 5ème. La 6ème, où s'est déjà distingué tout à l'heure la section Vuillemin et où le caporal Gralusset a arrêté l'ennemi devant son poste, à l'aide d'une mitrailleuse boche trouvée sur place et conduite par le brave capitaine Robert. Il n'y a plus d'autres officiers à la compagnie, qui est réduite à une poignée d'hommes. Elle fonce sur l'ennemi à vive allure. Le sergent Buffet, saisissant une mitrailleuse boche, s'en sert avec habileté et fait 15 prisonniers. Le capitaine Robert aura la joie de voir bientôt ses objectifs atteints. Malheureusement, à ce moment il est tué par une balle au coeur. La 7ème, qui a perdu tous ses officiers elle aussi, témoigne aussi d'une résolution superbe. Le sergent Neuville, avec 5 hommes, attaque un groupe nombreux de Boches, en tue 3 ou 4 et disperse les autres en faisant 20 prisonniers. Tous les hommes de cette compagnie rivalisent d'ardeur pour reprendre les positions perdues. A quelques jours de là, la 7ème sera citée en bloc à l'ordre de l'infanterie de la division, avec ce motif superbe : Le 27 mai, dans le secteur de Dickebusch, malgré un violent bombardement par obus toxiques et explosifs, a su résister héroïquement à une puissante attaque allemande. Privée de ses officiers et avec des moyens extrêmement réduits, sous l'impulsion entraînante de l'adjudant Dury, la 7ème a exécuté une énergique, contre-attaque, reprenant une grande partie du terrain perdu, capturant une mitrailleuse et plus de 50 prisonniers et a ensuite repoussé quatre tentatives d'encerclement. A notre gauche, il va de même. A la 3ème le commandant de la compagnie, le sous- lieutenant Cahen, est blessé : le sergent Desblaches reprend le boqueteau dont nous avons été chassés momentanément. La 3ème perd son chef, le lieutenant Voisin, qui est tué, et deux officiers, le lieutenant Bonnet et le lieutenant Icarl, sont blessés. La 11ème, entraînée par le lieutenant Durand, son chef, et le lieutenant de Costes, reprend 500 mètres de terrain. A 11 heures, notre ligne est rétablie. L'ennemi fera par la suite quatre tentatives pour reprendre ses avantages du matin. Il n'aboutira à rien. Nous avons plus de 50 prisonniers appartenant au 168ème R. I. qui avait pour mission de nous jeter à l'Étang et de s'installer à notre place. Malheureusement, nous avions perdu 5 officiers et 42 hommes tués, une centaine de blessés dont 3 officiers. Le soir, nous pouvions passer intégralement au bataillon de chasseurs de la 46ème division alpine, venue pour nous relever, le terrain confié à notre garde. Une fois relevé, le régiment se regroupe à Perpinghe, d'où on l'emmène à Eblinghem et Le Nieppe. C'est là que parviennent les premiers renforts : la plupart sont de la classe 1918. Les cantonnements sont très bons, le calme complet, aussi chacun prend- il un repos aussi salutaire que nécessaire. Mais après les événements de l'Aisne, et l'avance ennemie sur la Marne, il est évident que la grosse partie ne se jouera pas en Flandre. C'est donc sans étonnement que l'on reçoit l'ordre d'embarquement. Le 8 juin, nous quittons définitive ment la région. Nous étions venus en Flandre avec plaisir. C'était le seul point du front français que nous ne connaissions pas. Nous la quittons sans trop de regret, car elle nous laissa it suffisamment de souvenirs amers. LA BATAILLE POUR LA MONTAGNE DE REIMS (16 juillet – 1 août 1918). On se rappelle les gros événements qui marquèrent le milieu du mois de juillet 1918. L'ennemi veut en finir et jouer sa dernière carte. Il a préparé dans le silence un immense effort qu'il fera porter sur notre front de Champagne. Son but est de tourner la montagne de Reims et de couper Verdun du reste de la France. Cela fait, il pourra reprendre sa marche sur Paris si souvent rêvée et toujours contrariée. Le 15 juillet, il envoie à l'assaut 55 divisions, de l'Aisne à l'Argonne, sur le front de 90 kilomètres tenu par nos IVème et Vème armées. On sait comment ce plan, si secrètement qu'il ait été élaboré, fut éventé, et comment les Allemands furent reçus sur le front do la IVème armée. L'arrêt qui leur fut imposé comme consé quence de cette journée; fut le point de départ de notre offensive du 18 juillet, qui se poursuivit jusqu'à l'armistice. Ce qu'on sait moins, c'est la part glorieuse qu'y ont prise la 14ème D. I. et plus spécialement le 60ème R. I. Le régiment embarque le 8, débarque le 11 aux environs de Beauvais et va cantonner à Pierrefitte et Savignies. Le 14, on le transporte dans la région de la Noye, à Oresmaux, Gratte-Pauche, Estréessùr- Noye. Il y fait des travaux de deuxième position et de l'instruc tion intensive pour amalgamer les renforts reçus, et mettre les unités en main. Entre temps, le général Philippot, appelé au commandement du 2ème C. A., avait quitté la division, regretté de tous les officiers et soldats. Le général Baston devait le remplacer. Le départ a lieu le 14 juillet, à Loeuilly. Dans la matinée du 15, nous passons à Noisy- le-Sec, au moment où la grosse Bertha est en pleine activité et nous volis les obus éclater dans Paris. Le journal nous apprend que la grande offensive Hoché dont on parle depuis si longtemps, s'est déclanchée. Donc, pas d'équivoque possible, nous y allons directement et c'est la Champagne qui nous attend. Le 3ème bataillon débarque à Coolus, près de Châlons, le 1er à Vitry-le-Ville : tous deux rejoignent le 2ème, qui est à Oiry-Mareuil. Le 16, le régiment est mis à la disposition du 2ème corps italien, qui sera bientôt remplacé par le 5ème corps français, général Pelle. La veille, le corps italien, constitué par deux divisions, a été fort éprouvé. Le Boche a pénétré très avant dans la forêt de Courton et il est presque arrivé sur le bord du plateau en aval d'Épernay, à 8 kilomètres de cette dernière ville qui subit un bombardement sévère. Nous connaissons admirablement la région depuis l'année précédente. Le jour même de notre arrivée, il faut entrer dans la fournaise. Le 3ème bataillon, commandant Delagneau, poussé en avant le premier, relève de lui- même les éléments italiens de première ligné, qui refluent vers l'arrière; avec l'aide des bataillons du 35ème et du 44ème, qui, à sa droite, ont exécuté les mêmes mouvements, il enraie tout d'abord la progression ennemie et rétablit partout les liaisons. Cela fait, il passe à l'attaque le 18, et, par une série de manoeuvres fort habiles, il occupe une bonne partie de notre ancienne deuxième position dans la région de Courtin-Ruines. L'ordre est alors donné à tous les éléments de la division d'occuper intégralement la deuxième position. Le 1er bataillon du régiment entre en ligne à son tour et va se placer le 18, au soir à la gauche du 44e. Quant au 2e bataillon, il monte en réserve. De son côté, le 3e bataillon progresse encore à la suite des combats très violents où la lutte corps à corps en plein fourré revêt un caractère d'extrême âpreté. Il reprend possession dans l'après- midi d'une batterie de 155 long française, qui était tombée le 15 aux mains de l'ennemi. Il repousse dans la soirée une contre-attaque ennemie appuyée d'un grand nombre de mitrailleuses. Le 18 juillet, le 1er bataillon progresse lui aussi. Rencontrant l'ennemi au débouché d'une clairière, la première ligne engage un vif combat à la baïonnette, tue quelques Allemands et met le reste en fuite. Elle parvient ainsi à l'objectif. Désormais, nous tiendrons sur place pendant un temps, mais ce sera dur. Les Allemands déclanchent à tout instant sur nos lignes des tirs de barrage très nourris et très meurtriers. Quantité d'hommes sont atteints au fond des petites tranchées où ils ont un semblant d'abri. Le capitaine Montandon, de la 3ème compagnie, et le sous- lieutenant Thébault, de la 9ème, sont tués. Nous avons ce jour- là 11 morts et 69 blessés, le lendemain, nous perdons encore, par le fait des barrages continuels, 10 tués et 27 blessés. A partir du 21 juillet, le 2ème bataillon entre en scène. Les Écossais, une superbe brigade, ont occupé la première ligne sur tout notre front. Il faut aller étayer, les positions en se tenant à 400 mètres en arrière, au nord de Nanteuil- là-Fosse. On creuse partout de petites tranchées sous bois, au milieu de débris de tout genre qui forment un fouillis inextricable parmi les cadavres d'Italiens ou de Boches et de chevaux tués le 15 et non encore inhumés. Il en sera ainsi jusqu'au 24 juillet, où le régiment revient un peu en arrière, à Saint-Imoge, en réserve de division. Le 26 juillet, le 35ème, qui occupe seul le front de la division, doit prononcer une attaque sur la ferme de Paradis. Le 2e bataillon, mis à sa disposition, rejoint ses emplace ments par une marche horriblement pénible par une nuit noire, pluvieuse, dans un bois encombré d'hommes et de débris et au milieu des rafales d'obus. A minuit, il est en place. L'attaque a lieu le 27, à 6 heures du matin, après une vio lente préparation d'artillerie, sans d'autres pertes pour le bataillon que 3 blessés légèrement. A 9 heures, tous les objectifs étaient largement atteints. On prend successivement, sous une pluie torrentielle, qui mouille les hommes jusqu'aux os, les villages de La Neuville-aux-Larris, Champart, Boujacourt, où l'on parvient avant la nuit, par des chemins horriblement défoncés et obstrués par les débris de tous genres laissés par les Boches. Le lendemain, l'ennemi tenant solidement les croupes en arrière de Ville-en-Tardenois et les baraquements qui nous ont hébergés l'an dernier, le régiment se met en mesure d'attaquer le 2ème bataillon à gauche, le 3ème bataillon à droite, le 1er assurant les liaisons et les réserves. Trois jours de suite, les 28, 29 et 30 juillet, les compagnies s'élancent à l' assaut. Le 2ème bataillon s'efforce de tourner Ville-en-Tardenois par le nord-ouest, tandis que le 3ème bataillon marche sur Chabrecy et les hauteurs au nord. Il est impossible d'atteindre les objectifs assignés à cause du tir extrêmement dense et précis des mitrailleuses boches qui nous prennent de trois côtés à la fois. Les 5ème, 7ème et 11ème compagnies éprouvent de très fortes pertes la 1ère, elle aussi, laisse beaucoup de ses hommes aux abords de la route de Ville-en-Tardenois à Romigny. Il faut stopper. Or, cette station sous les tirs de barrage et sous l'averse des projectiles toxiques, exigera de tous une somme énorme de courage et d'endurance. Les actes individuels de dévouement abondent : il suffit pour s'en rendre compte de parcourir les listes considérables des citations obtenues par les hommes du régiment. Les trois compagnies de mitrailleuses subissent plus que toutes les autres unités les effets du gaz ypérite lancé à profusion. Le dernier jour, il faudra de ce chef évacuer 125 malades très gravement atteints, dont 5 officiers. Le 31 juillet au soir, et le lendemain, le régiment était relevé. Il avait conscience d'avoir rempli magnifiquement son rôle et d'avoir assuré par ses sacrifices les succès de ses frères d'armes. Officiellement la citation suivante, fort élogieuse dans sa teneur, est transformée ensuite en citation à l'ordre de l'armée : ORDRE DU 5ème CORPS D'ARMÉE 60ème régiment d'infanterie. Régiment d'élite, qui s'est toujours montré digne de son glorieux passé. Conduit une fois de plus par son chef, le lieutenant-colonel Arnoulx de Pirey, vient de se distinguer entre tous dans les combats de la Montagne de Reims, en juillet 1918. Attaquant avec audace et par surprise un ennemi qui se croyait déjà victorieux, a brisé net la poussée allemande dans la partie sud du bois de Courton. A reconquis de vive force une partie de notre ancienne position et pris part à toutes les attaques qui ont rejeté l'ennemi au delà de la Vesle. Au lendemain des durs combats de Ville-en-Tardenois, le régiment est mis en repos à Romery, Fleury-la-Rivière et Belval-sous-Châtillon, trois localités très voisines du champ de bataille. La proximité de cadavres d'hommes et de che vaux non encore ensevelis, la mauvaise qualité de l'eau, les mouches innombrables, les relents de gaz ypérite, tout cela, la fatigue aidant, détermine pas mal d'indispositions. Finalement, nous allons sous d'autres cieux, dans le voisinage de Sézanne et de Montmirail, chercher un air plus pur, un pays moins dévasté et des cantonnements moins primitifs. L'OFFENSIVE DE CHAMPAGNE (26 septembre-9 octobre 1918). Parmi les grandes victoires qui ont si brusquement renversé la fortune de la guerre, les combats livrés en Champagne par la IVème armée, en septembre 1918, ont une place de tout premier ordre. Le régiment est très fier d'y avoir conquis une gloire nouvelle, puisqu'il a obtenu là sa quatrième citation. Le 21 août, nous parvenons après trois étapes, près de Montmirail, dans les villages de Charleville, Gault-la-Forêt, Le Recoude, Sogny, où le régiment passe un mois dans le repos le plus complet et le plus agréable. Le 21 septembre, un très long voyage en camions nous amenait aux portes de Châlons. Le régiment tout entier cantonne dans le village de Somme -Vesle. Notre ancien général nous avait demandés dans son corps d'armée, le 2ème, comptant sur ses As d'autrefois pour enlever le gros morceau, c'est-à-dire la butte de Tahure. Le dimanche dans la soirée, le départ s'effectuait. De bois en bois on se dirigeait vers le lieu de l'attaque en grand secret. Enfin le nom du secteur à nous destiné est prononcé. Il s'agit de prendre la butte de Tahure, cette position dont le nom rappelle tant de combats glorieux et a fait pâlir tant de mères... La butte prise, il faudra pousser de l'avant. Or, le programme fut réalisé de point en point, et tous les combats de cette période, les derniers que nous ayons livrés, se groupent autour de ces trois noms : la butte de Tahure, la Croix Muzart, le signal d'Orfeuil. I. - La butte de Tahure. A la suite de l'attaque du 15 juillet, notre ligne avait été ramenée jusqu'aux abords nord du village de Perthes- lès-Hurlus, à 3 kilomètres en arrière. Dans cette zone intermédiaire, toute déchirée de signaux informes, couverte d'un immense réseau de fils de fer qui avait plus l'aspect d'un filet que d'une barrière, l'ennemi avait établi des nids de mitrailleuses dans les trous d'obus ou les immenses cratères, des barrages de mines, des canons et des fusils anti- tanks, tout ce qui fait d'une position une barrière infranchissable. Ici, la barrière a plus de 11 kilomètres d'épaisseur! Vraiment, après l'avoir emportée, nous nous sommes demandé souvent comment cela put se faire. Dans la soirée du 25, les derniers ordres sont donnés et le travail réparti définitivement entre les régiments et les ba taillons. Le 60ème doit attaquer la butte de front; le 35ème et le 44ème la déborderont par la droite et par la gauche. Au régiment, le 1er bataillon, commandé par le capitaine Magrin- Vernerey, sera en première ligne; le 2ème doit venir en arrière et le 3ème sera en réserve de division. Le colonel installe son P. C. au bois de Thiroux, à l'est de Perthes. Vers la nuit, les compagnies montent en ligne. A peine tout le monde est- il en place que l'artillerie ennemie commence à tir er. Se doute-t-elle de ce qui se prépare dans la nuit? En tout cas, elle en veut spécialement aux pistes et aux boyaux. Heureusement, tout se passe bien. On compte maintenant les minutes. 11 heures sonnent. Instantanément, les coups secs du 75 claquent dans la nuit et tout l'horizon s'éclaire soudain. Du côté boche, tout s'est tu comme par miracle. Les compagnies du 1er bataillon prennent leur place définitive. Quand arrive l'heure H, tous les chefs de section ont les yeux fixés sur la montre qu'une courroie fixe à leur bras. 5h 25. « Ça y est, les enfants... En avant!... » Les sections sortent sans une demi-seconde d'hésitation; à l'arrière, tous les bataillons se mettent en marche pour remplacer automatiquement celui qui les précède, suivant un itinéraire bien précis. Le premier objectif à atteindre est marqué approximativement par la route de Tahure à Souain. Le 1er bataillon doit l'avoir après deux ou trois heures de combat. Le 2ème bataillon passera à ce moment en première ligne et enlèvera la butte elle-même. Le jour se lève, mais un jour terne avec un brouillard épais, rendu plus dense encore par les obus fumigents ; le résultat est que l'on perd souvent la direction. Les 3ème et 12ème compagnies, après avoir franchi les premières lignes en bondissant parmi les cratères énormes, arrivent au contact de l'ennemi qui s'était retiré en arrière. Un groupe de combat boche occupe l'ouvrage de l'Observatoire : il est vite réduit et capturé. A ce moment, on s'aperçoit que le 35ème infléchit trop sa marche vers la droite à cause de l'obscurité : un vide dangereux va se créer sur la droite du bataillon. Immédiatement la 2ème compagnie s'engage à cet endroit et s'efforce de rétablir la liaison à droite. L'avance continue, mais elle ne peut se faire suivant l'ho raire prévu à cause du brouillard et par suite des manoeuvres qu'il faut multiplier. Devant nous, des groupes de combat de plus en plus nombreux se relaient pour nous arrêter. Il faut de toute nécessité les réduire et nettoyer le terrain. C'est ainsi que l'on put arriver à la tranchée Ney, qui est fortement occupée. Les prisonniers commencent à affluer. Il en sort de partout. Le 2ème bataillon, commandant Duffet, suit la progression du 1er; la 5ème et la 7ème compagnie en avant, la 6ème en réserve. Il recueille quelques prisonniers égarés. Quand il arrive à la hauteur du bois Gerboise, il est accueilli par un feu violent de mitrailleuses qui sont encore installées là. Il faut réduire cet îlot de résistance. La 5ème s'y emploie tout aussitôt. Cela nous vaudra la mort du souslieutenant André, récemment arrivé au régiment, et du soldat Philippe ; la question réglée, le bataillon reprend sa marche. Le régiment de droite s'écartant de plus en plus de sa direction, entraîné qu'il est par son voisin, le 2ème bataillon s'établit sur la place du 1er pour le couvrir, et dès lors les deux bataillons marchent presque côte à côte, la 7ème prolongeant la 2ème. Peu à peu, le brouillard monte, un peu de lumière permet de s'orienter, et nos hommes reprennent leur bel élan, submergent la tranchée Ney où l'ennemi comptait nous arrê ter. Nous voici à la tranchée de la Moskowa, nous sommes arrivés au sommet de la dernière crête d'où l'on découvre maintenant la Dormoise, dont le cours est marqué par un feu de verdure. Le village de Tahure est invisible. Il n'en reste que des ruines, que les ronces et les orties suffisent à dissimuler. La tranchée de la Moskowa est débordée par la 2ème compagnie : nous y prenons 100 hommes du 131ème R. I. avec leur chef de bataillon. Le premier objectif va être atteint, mais nous sommes encore loin de la butte. Il reste à franchir ses lignes redoutables. La Courtine, Turenne, Coblentz : partout des réseaux, dans tous les coins d'innombrables mitrailleuses décèlent leur présence. La résistance ennemie est très vive à la Courtine. Nos éléments de tête sont pris sous des feux violents de mines et de mitrailleuses. Le souslieutenant Bochet de la 2ème et quelques hommes de la 3ème sont tués. Les deux bataillons agiront de concert, manoeuvrant pour encercler les îlots de résistance qui tombent les uns après les autres. Le caporal Chaumonde, aidé du soldat Lalaison, fait 8 prisonniers et prend une mitrailleuse. A quelque temps de là, il contribue à la reddition d'un centre de résistance, où quelques hommes font 70 prisonniers et capturent 6 mitrailleuses. Le sergent Rolland, de la 3ème, ramène 24 Fritz. L'agent de liaison Bida en amène 15 à lui seul. Il n'est pas midi, un mouvement de repli très accentué de l'ennemi est très visible du côté du mont Muret. On décide de reprendre résolument la marche en avant, bien que l'on ne puisse plus compter sur le barrage roulant dont les horaires sont dérangés. Les stocks et les engins d'accompagnement dirigés par le lieutenant Fanton d'Andon font de bonne besogne, de même que nos mitrailleuses qui appuient de leurs feux violents notre progression. On s'empare de la tranchée de Turenne par une attaque rapide et en procédant par infiltration, le bataillon Magrin manoeuvrant par la gauche. Le bataillon buffet, de front. On se dirige vers la butte elle-même. Les 3ème et 5ème compagnies s'emparent de la tranchée de Coblentz et des éléments. La butte est conquise. Il est 4h 30; nous faisons prisonnier le lieutenant-colonel du 131ème régiment boche. Le 35ème, à notre droite, est arrêté par les mitrailleuses de la toile d'Araignée. Le 2ème bataillon vient à son aide. Aidée par les mitrailleuses et les canons de 37, la 5ème s'infiltre par le Dresdener Weg, et soulage le 35ème qui peut reprendre sa progression. Le 1er bataillon organise la tranchée de Turenne, et la 7ème, continuant sa marche, pousse sur la tranchée de Babouna et du Kronprinz, où nous trouvons beaucoup de matériel et où nous « pipons »,de nouveaux Fritz. Dans les environs, se trouvent des pièces d'artillerie de tous calibres, dont quelques- unes sont en marche pour se retirer. Les attelages sont tués et tout ce matériel tombe en notre pouvoir. La nuit tombe. On se repose dans les nombreux abris que l'on trouve partout. On y recueille de tout ! Le 27 au matin, le combat reprend. Il s'agit d'enlever ce jour- là la voie ferrée de Sommepy à Challerange, la tranchée des Uhlans qui la double en arrière, et la tranchée des Pachas qui la couvre, barrant le ravin des Chasseurs, le long duquel court le boyau Kaiserin. Il importe avant tout de faire vite pour ne pas laisser à l'ennemi le temps de se ressaisir derrière ses réseaux intacts et ses abris inabordables. Dès 5h 15, le 2ème bataillon part en avant, la 7ème à droite, la 5ème à gauche. Nous nous emparons de Steinholm-Lager. Après avoir réduit l'îlot de résistance du bois du Clos et occupé le boyau Kaiserin, nous progressons en subissant quelques pertes. Le 35ème en effet n'a pu marcher à notre hauteur et nous oblige à marquer un temps d'arrêt. Enfin, le 44ème prend à notre gauche le bois de Geai; soulagés de ce côté, nous reprenons notre marche vers la tranchée des Pachas qui est bien vite prise. Aux abords de la tranchée, nous capturons deux pièces de 77, dont les servants sont cloués sur leurs canons. A peu de distance, nous nous emparons encore d'une batterie superbe de 4 pièces neuves de 150 long. La voie ferrée, est franchie sous la protection de la C. M.. La 5ème compagnie, en liaison avec le 44ème, arrive à la tranchée des Uhlans. Le sergent Gerbal fait 12 prisonniers, qui appartiennent à la 1ère division bavaroise et à la 3ème division de la Garde. A droite, la 7ème s'empare de deux gros obusiers de 210 et d'un, énorme dépôt de matériel au parc des pionniers. La nuit arrive, il faut suspendre notre marche pour permettre au 35ème d'arriver à notre hauteur. A l'arrière, les deux autres bataillons suivent dans les conditions prévues. Pour ces deux journées d'offensive, le régiment a capturé 5 batteries lourdes, 15 pièces de 77, 12 minen légers ou moyens, plus de 100 mitrailleuses. Il a «pipé» 16 officiers, dont 2 officiers supérieurs, colonel et chef de bataillon, 500 hommes appartenant à six régiments différents ont été  envoyés sur l'arrière. Nos pertes sont aussi minimes que possible. Nous avons 12 tués ces deux jours- là. En vérité, nous pouvons être fiers du résultat de nos efforts. II. - La Croix Muzart. Quand on a franchi la voie ferrée de Sommepy, Challerange, le terrain se relève, une colline ferme l'horizon, une route y accède par une rampe assez dure. Elle est dominée par une croix de bois tout à fait ordinaire, qui commande toute la région et à laquelle on arrive par un glacis absolument nu. C'est la Croix Muzart. C'est un observatoire de premier ordre trop important pour n'être pas défendu obstinément. Les troupes d'une division fraîche qui a recueilli les épaves des régiments bousculés dans les jours précédents, sont en place pour résister avec un acharnement formidable dans les ouvrages intacts. Le sommet de la croupe est tenu par un fortin bétonné et armé d'un grand nombre de mitrailleuses qui interdisent tout mouvement à découvert dans n'importe quel sens. Fils de fer doubles et triples à double ligne de tranchées font de ce fortin, qui est précédé d'une tranchée en forme de demi- lune, une citadelle terrible. L'ordre est donné de commencer l'attaque le 28, à 5h 25. Le 2ème bataillon est chargé de l'opération. Les 5ème et 7ème compagnies sont toujours en première ligne. Les volontaires ouvrent des brèches à la cisaille en deux endroits du réseau et les compagnies se portent à l'attaque à l'heure fixée. Elles sont reçues par un feu de mitrailleuses extrêmement violent. Nous avons beaucoup de pertes, et ceux qui ne sont pas touchés se couchent et se mettent à creuser là où ils sont leur petit trou de tirailleurs pour être à même de bondir plus sûrement quand le moment sera venu. Presque aussitôt, une attaque allemande se déclanche, au début de laquelle le lieutenant Pidolle, qui commandait la 5ème compagnie, est tué. Un combat très dur s'engage sur la gauche auquel prennent part le 44ème et notre 5ème compagnie. Le sous-lieutenant Vienney, qui a pris le commandement, tient tête à l'ennemi. Sa compagnie épuise toutes les munitions : le soldat Guilleminet, qui assure la liaison à gauche, pris par l'ennemi, se dégage et revient à son poste, sa mission complètement remplie. Le soldat Billet se fraie de même un passage à la baïonnette pour reprendre sa place dans sa section. A trois reprises différentes, l'ennemi renouvelle ses tentatives. Le lieutenant Jausas de la 6ème intervenant avec sa compagnie, le capitaine Dartigue, de la 2ème C. M., viennent en aide à la 5ème qui peut garder sans faiblir ses positions, soutenues d'ailleurs par le feu très précis de notre artillerie. Mais si nous pouvons nous maintenir sur place, il est aussi vrai que nous ne pouvons progresser. Cependant à un certain moment, profitant de la fumée abondante qui est produite par les éclatements et d'un certain désarroi de l'ennemi, une section de la 5ème se glisse dans les réseaux et atteint la deuxième parallèle de la tranchée de la Croix Muzart et s'y installe. Cette position ne sera pas lâchée par la suite. Le reste du bataillon reste devant les réseaux : la 6ème forme notre extrême droite et se relie au 35ème. Pendant la nuit, le 2ème bataillon est relevé par les 10ème et 11ème compagnies du bataillon Delagneau qui entre alors en ligne. Le lendemain matin, le 1er zouaves de la 48ème D. I.; opé rant un passage de ligne, s'efforce de briser devant nous la résistance des éléments boches qui s'accrochent à ce sol comme la teigne. Toute la journée du 29, des attaques se succèdent sans résultat. Quand vient le soir, le 60ème est relevé et la 48ème reste en ligne. Nos hommes s'en vont à quelques centaines de mètres en arrière prendre un semblant de repos. Nous avions perdu devant la Croix Muzart : 1 officier et 34 hommes tués, 2 officiers et 129 hommes blessés, pour la plupart du 2ème bataillon. Le 30 au matin, l'ennemi décolle devant les zouaves et les chars d'assaut. III. - Le signal d'Orfeuil. Le 2 octobre au soir, le régiment remonte en ligne. Le Boche s'est ressaisi. Le recul bien qu'important n'a pas cependant l'ampleur désirée. Il s'est arrêté sur une ligne de hauteurs qui va de Liry à Orfeuil et dont les points culminants sont le signal d'Orfeuil et la Croix Gilles. Nos bataillons prennent position dans une série de petits bois aux noms plus nauséabonds que pittoresques; songez donc : le bois du Poux, le bois de la Puce, le bois de la Punaise, le bois de la Fourmi ! Le 2ème et le 3ème sont a u bois de la Puce à partir du 4 octobre, devant la ligne de résistance composée de deux tranchées qui couvre la route de Liry à Orfeuil. Le 2ème est en réserve au bois de la Fourmi. Le capitaine Magrin-Vernerey, malade de la grippe, est incapable de se tenir debout. Il a voulu néanmoins accompagner ses hommes en position et garder le commandement. Le lendemain, 5 octobre, une attaque générale doit se produire. Il faut enlever la double ligne de tranchées et s'établir sur la route. L'attaque doit se faire à 11 heures, après qua rante minutes de préparation d'artillerie. A 10 heures, l'ennemi ouvre le feu et ses obus tombent de plus en plus nombreux sur nos lignes. Des mitrailleuses décèlent partout leur présence et entrent en action. Cependant, à l'heure prescrite, les compagnies vont à l'attaque. La première tranchée est enlevée d'un bond. Les éléments avancés s'efforcent alors d'aborder la deuxième en s'infiltrant par les brèches du réseau, mais c'est en vain. Les pertes se multiplient. Le sous-lieutenant Guy, de la 1ère compagnie, tout récemment promu, est tué. D'autres assauts sont tentés et n'ont pas plus de succès. Il faut stopper sur place. Le capitaine Magrin- Vernerey, à bout de force, sera emporté sur un brancard après avoir passé son commandement au capitaine adjudant- major Pertuis. Dans la nuit qui suit, l'ennemi multiplie ses tirs de barrage. Le 6 octobre, on reste sur place. Le 7, une attaque géné rale est décidée sur tout le front de l'armée. La 14ème D. I. doit marcher en direction de Contreuve, après une prépara tion d'artillerie de soixante-cinq minutes; une section de chars Renault est mise à notre disposition. A 6h 15, le 8 octobre, les deux bataillons attaquent : les 9ème, 11ème, 2ème et 1ère compagnies sont en première ligne. Comme la première fois, on franchit la première tranchée et l'on se trouve arrêté devant la deuxième où des mitrailleuses sont placées à raison d'une par 10 mètres de ligne. Les chars d'assaut ne peuvent arriver jusqu'à nous : leurs équipages sont mis hors de combat. A 6h 55, une nouvelle tentative est faite par le 3ème bataillon à la suite d'un gain de terrain effectué à gauche par le 35ème.C'est en vain. Le capitaine Pertuis est tué. Le capitaine Barthe prend le commandement du bataillon. On essaie de réduire les mitrailleuses ennemies par stockes et grenades de fusil : on procède par effet d'infiltration. Le lieutenant Guretand, de la 3ème, peut gagner de la sorte une centaine de mètres, mais trois tentatives nouvelles établissent l'inutilité de pareilles entreprises. La nuit sera très agitée. Le 2ème bataillon relève le 1er. Une débauche invraisemblable de projectiles à gaz s'abat sur le 3ème bataillon pendant quatorze heures consécutives. Huit officiers, dont le commandant lui- même, et 488 hommes seront intoxiqués. Le Boche décolle alors, poursuivi par la 48ème division qui est venue relever nos compagnies au petit jour. Il s'en ira d'une traite au delà de Vouziers d'où nous avions espéré le rejeter. Nos hommes reviennent en arrière auprès de la voie ferrée et l'on voit se renouveler les défilés lamentables de Belgique, des files d'hommes complètement incapables de se diriger qui s'en vont péniblement sur l'arrière, guidés par un brancardier. Le 12 octobre nous partions; nous arrivions le 15 à Saint-Amand-sur-Fion, où nous devions séjourner jusqu'au 28. Là, nous recevons un renfort de 415 hommes qui arrivent du C. I. D. et dont la plupart sont de vieilles connaissances. Le régiment est à peu près remis en état, sauf toutefois le 3ème bataillon, quand il reçoit l'ordre de remonter vers le nord. Le jour même de la Toussaint, nous arrivions à la voie ferrée de Sommepy. Nous y séjournions le lendemain et les jours suivants. De là nous gagnions Mont-Saint-Martin, puis Coulommes et Cuilly. Enfin, le 10, un dimanche, nous traver sions l'Asine au pont d'Attigny et nous arrivions le même jour à Tourteron. Nous avons retrouvé avec joie dans cette région des villages intacts ou à peu près et un pays riche et bien cultivé. Le 10 novembre, nous nous préparions à monter en ligne quand nous parvient la dépêche célèbre : Maréchal Foch à commandants d'armée. Les hostilités seront arrêtées sur tout le front à partir du 11 novembre, onze heures (heure française). Foch. Cette communication fut accueillie avec plus de joie que je ne saurais le dire. ÉPILOGUE ________ Le 60ème avait été avec la 14ème division deux fois en Alsace en 1914, et espérait être des premiers à fournir les troupes d'occupation. Nous nous voyions déjà défilant sur la place Kléber, à Strasbourg, ou repre nant définitivement Mulhouse. Hélas ! il fallait bientôt déchanter. Deux jours après l'armistice, nous reprenions tristement le chemin de l'arrière. Nous passions quelques jours assez tristes au camp de, Mourmelon d'où nous étions plus tard envoyés dans la région d'Épernay. Mais au moins les derniers exploits de la division avaient leur consécration officielle. Au lendemain des journées des 26, 27 et 28 septembre, quand était recensé le matériel pris par nous aux Boches, le colonel pouvait faire paraître cet ordre du jour qui a une allure de chant triomphal : ORDRE DU RÉGIMENT N° 565 Officiers, sous-officiers et soldats du 60e Vous venez d'ajouter encore une page glorieuse à l'historique de notre beau régiment. Le 26 septembre 1918, ayant à venger nos morts de septembre 1915, vous vous êtes élancés à l'assaut, vous avez terrorisé l'ennemi par votre élan et enlevé d'un bond les défenses formidables de la fameuse butte de Tahure. Malgré la pluie, la boue, les difficultés du ravitaillement, vous avez continué pendant trois jours vos attaques chaque fois plus âpres, mais chaque fois plus ardentes. Après ces quatre jours de bataille, vous offrez comme trophées à la France : 500 prisonniers dont 15 officiers et 1 colonel qui commandait le 131ème prussien; trois batteries complètes de 105, 150 et 210; 15 pièces de 77, un grand nombre de fusils et de mitrailleuses et un immense matériel. Soldats du 60ème, vous pouvez être fiers de vous. Vous avez contribué dans une large part au succès de l'offensive générale de 1918 qui, nous l'espérons tous, libérera prochainement le sol de notre patrie. Votre colonel espère que la fourragère aux couleurs de la Mé daille militaire sera bientôt la récompense de vos efforts et de votre succès. Tous ces exploits devaient recevoir leur consécration dernière dans l'ordre général de la IVème aimée et dans une citation qui attribuait au régiment et à tous les régiments de la division le droit de porter désormais la fourragère « jaune ». Le 60ème régiment d'infanterie. Au cours de l'offensive générale, le 26 septembre 1918, sous les ordres du colonel Arnoulx de Pirey, s'est porté d'un irrésistible élan à l'assaut de la butte de Tahure. Par une manoeuvre habile et après un combat acharné, a enlevé rapidement cette position dont la conquête était capitale pour le succès de la journée. Poursuivant l'ennemi sans répit, dans les journées des 27 et 28 septembre, l'a chassé de ses positions successives jusqu'aux hauteurs au sud d'Aure, progressant ainsi de plus de 8 kilomètres, faisant 500 prisonniers dont un commandant de régiment et 16 officiers, capturant 5 batteries dont 3 lourdes, 15 pièces de 77, 12 minenwerfers et 100 mitrailleuses et un important matériel. Du reste, une entrée triomphale attendait le 60ème dans son ancienne garnison. Le 13 mars, c'est au milieu des acclamations de la population, sous les avalanches de bouquets et de fleurs, au milieu d'un enthousiasme indicible, que le régiment rentrait à Besançon. Cet accueil enthousiaste faisait oublier aux officiers et aux hommes la déconvenue de n'avoir pas été parmi les troupes privilégiées destinées à l'occupation. Et maintenant, jeunes et anciens du 60ème, arborez fièrement votre fourragère aux couleurs de la Médaille militaire. Elle représente pour vous tout un passé glorieux de sacrifices, de souffrances, de luttes engagées pour une noble et grande cause. Elle sera le symbole perpétuel de votre vaillance et de la solidarité qui unit entre elles toutes les classes du régiment, celles qui, dès la première heure, ont préparé la moisson et celles qui l'ont récoltée. C'est aussi une invitation à ces dernières de se montrer dignes des anciens et dignes de la vic toire.