Les Batailles  de  Lorraine : 2 victoires françaises

25 août - 13 septembre 1914

 

 

                                                              

Situation.  Préludes

 

Les batailles de Lorraine qui précèdent dans le temps la bataille de la Marne, qui en sont presque entièrement indépendantes dans l'espace, se rattachent, cependant, étroitement à elle.

Il s ‘agit des batailles du centre ( la « trouée de Charmes », « Rozelieures »)  et des ailes (« St Dié » et le « Grand Couronné »)

 

Notre offensive contre  Morhange, Dieuze, Sarrebourg a échoué (20 août)

 

L'ennemi va exploiter son succès. Il espère bousculer facilement, en se précipitant à leur suite, nos armées éprouvées. Son objectif, c'est la trouée de Charmes, et par-là, c'est une menace d'enveloppement dirigée contre la droite des Armées françaises. Il dispose, pour cette tâche, des même forces qui nous ont arrêté : six corps actifs et de deux corps de réserve

Dans une première série d'attaques (la « trouée de Charmes »), il s'efforcera de rompre le centre de notre dispositif au point de liaison entre la 1e et la 2e Armée (25 août  1 septembre)

 

Battu et refoulé au cours de cette première tentative, il essayera de déborder l'aile gauche de la 2e Armée (9e, 15e, 16e,18e,20e Corps d’Armée) et l'aile droite de la 1e Armée (7e, 8e, 13e, 14e, 14e, 21e Corps d’Armée) du 1 septembre au 10 septembre :

 il éprouvera un second échec. (« St Dié » et le « Grand Couronné »)

 

La situation dangereuse des Armées allemandes à la suite de la Marne amènera l'abandon des attaques sur Lorraine et la stabilisation de cette partie du front (13 septembre)

 

Ce sont ces deux victoires que nous allons retracer : elles sont l’œuvre du général de Cas­telnau, commandant de la 2e Armée, et du général Dubail, commandant de la 1e Armée. Elles ont sauvé la France de l'est de l'invasion et assuré la solidité de l'aile droite des Armées françaises.

 

Les préliminaires de la bataille. Le repli français

 

Le soir du 20 août, le général commandant la 2e Armée, esti­mant qu'il ne disposait plus de moyens suffisants pour continuer sans péril la résistance, donnait un ordre général de retraite.

Le repli devait être protégé par de fortes arrière-gardes qui s'établi­raient sur la ligne Maizières-Donnelay-Juvelize­ Marsal et tiendraient par Hampont, Amélécourt et Firmes-en-Saulnoy la tête de pont de Châ­teau-Salins.

Au cas où elles seraient pressées par l'ennemi, une deuxième position leur était indi­quée qui suivait la ligne de la frontière : Bois de la Garenne-Bois du Haut-de-la-Croix-Guvré­court-lisières nord de la forêt de Bezange et cours de la Seille.

Sous cette protection, les gros devaient se replier dans les zones de rassemblement qui leur étaient assignées : le 16e Corps d'Armée, en avant de Lunéville, dans la région de Manonvillers, Crion, Sionvillers ; le 15e Corps d'Armée, en avant de la forêt de Vitrimont, sur les hauteurs de Flainval-Anthelupt, se reliant par dessus le Sanon à la position du Rambet­tant.

Quant au 20e Corps d'Armée, il devait se constituer en réserve d'Armée, en arrière de Saint-Nicolas, sur le plateau de Lupcourt.

 

Mais l'état des troupes, harassées par les durs combats de la marche en avant, très éprouvées par l'échec qu'elles avaient subi, désorganisées par les pertes en cadres, rendait la situation plus inquiétante que les ordres ne le donnaient à penser

 

Le général de Castelnau dut, pendant la nuit du 20 au 21, dans l’ignorance où il était encore de l'allure adoptée par l'enne­mi, envisager l'éventualité d'un repli en arrière de Nancy et de Lunéville, qui lui laisserait le temps de défendre, en s'appuyant sur la forêt de Haye, le cours de la Moselle, de Pont-Saint-Vincent à Charmes. Le salut de l'Armée devait être payé, si cela était nécessaire, d'un pareil sacrifice.

 

Le général en chef fut mis au courant de cette situation son attention était alors concentrée sur la menace qui se développait contre notre aile gauche ; il avait, d'autre part, pleine confiance dans les chefs de nos Armées de Lorraine.

Aussi répondit-il au général de Castelnau moins par un ordre que par un encouragement solennel. Ne pouvant juger par lui-même de la situation parti­culière de la 2e Armée, il voit l'ensemble de la bataille.

 Il a entre ses mains le sort de la France il doit tout à la fois sauver l'Armée et ménager le moral du pays. Il sait quel retentissement aurait l'abandon de Nancy. Il faut donc sauver la ville, s'il est possible de le faire. Il met à la disposition du général de Castelnau des forces nouvelles il suspend l'enlèvement de la division d'infanterie de queue du 9e Corps d'Armée. Il place sous les ordres du commandant de la 2e Armée le camp retranché de Toul et ses forces mobiles ; d'autre part, la 64e et la 74e divisions de réserve, affectées, dès le 18 août, à la 2e Armée, commencent à débarquer.

 Avec ce renfort, la 2e Armée doit pouvoir défendre la Moselle, en s'appuyant sur la place de Toul. Mais il faut tâcher de tenir Nancy « au moins vingt-quatre heures. » A cet appel, nous verrons comment le général de Cas­telnau a fidèlement et généreusement répondu.

Le général en chef ajoutait : « Tant que l'Armée à votre droite tiendra par sa gauche la région de Rambervillers, à même de contre-attaquer les forces ennemies de poursuite, il semble que vous pourrez tenir... »

 

La 1e Armée pouvait, en effet, apporter à la 2e Armée une aide efficace.

 

L'offensive de la 1e Armée, arrêtée le 20 août à sa gauche par l'échec du 8e Corps d'Armée, marquée à sa droite par le succès du 21e Corps d'Armée, pouvait être reprise, quand le repli de la droite de la 2e Armée vint entraîner la retraite.

Dans la soirée du 20, le Général en chef aver­tissait le commandant de la 1e Armée de la s situation dan­gereuse de son flanc gauche ; l'invitait à ne pas s'accro­cher à un front déjà tourné et à faire repasser la Meurthe à ses convois. Le général Dubail prescrivait donc le repli sur Blâmont et la Vezouze, le 8e Corps s'efforçant de rester en con­tact avec la droite de la 2e Armée.

 

Le 22 août, la 1e Armée tenait une ligne à peu près ouest ­est, se reliant sur les lisières nord de la forêt de Mondon à la 2e Armée, passant en avant de Badonviller et de Raon-la-Plaine. Cette retraite volontaire avait été marquée par de durs combats par suite de la difficulté du terrain boisé et de la pression exercée par l'ennemi, certaines unités avaient éprouvé des pertes sensibles. Mais l'Armée avait maintenu sa liaison, à gauche; elle gardait sa liberté de manœuvre : C’était là l'es­sentiel.

Pour rendre efficace cette intervention, il fallait avant tout que la 2e Armée put arrêter de front l'ennemi. Quelle était la configuration du terrain où allait s'organiser sa défense ?

 

La « Trouée de Charmes »

 

Nancy est protégée, face à l'est, par une série de hauteurs d'une altitude moyenne de 400 mètres qui, de Loisy au nord, sur la Moselle, à Dombasle, au sud sur la Meurthe, forment une demi-circon­férence qu'on a appelé le Grand-Couronné. C'est, du nord au sud, le massif de Sainte-Gene­viève-Landremont, le Mont Toulou, le Mont­ Saint-Jean , les Moivrons, le Grand-Mont­ d'Amancée le Rambettant.

Entre ces deux derniers, la trouée de la Pissotte est couverte par les forêts de Champenoux et de Saint-Paul. L'organisation de cette ligne de défense avait été étudiée et ébauchée dès avant la guerre.

 

Au sud de Nancy, deux barrières parallèles, la Meurthe et la Moselle, sont orientées du nord­-ouest au sud-est. La ligne de la Meurthe est dou­blée au sud par la Mortagne, comme celle de la Moselle par le Madon, leurs affluents de gauche.

 

Région de bois et de collines basses. Les hauteurs entre Mortagne et Moselle sont orientées paral­lèlement au cours des rivières. Plus au sud, dans la région de Rambervillers-Baccarat, commencent les contreforts ouest des Vosges et la forêt Vos­gienne qui s'étend jusqu'à Épinal.

Ainsi deux régions d'une défense facile : au nord, le Grand-Couronné, appuyé sur la forêt de Haye et la place de Toul, au sud la région mon­tagneuse et boisée de Saint-Dié qui s'appuie à la place d'Épinal. Entre les deux, un pays ondulé, barré de lignes d'eaux successives, ouvrant, entre les places d'Épinal et de Toul et leurs avancées, le seuil qu'on a appelé la « Trouée de Charmes ».

 

La 1e Armée, sa droite accrochée à la région des Vosges, vers Rambervillers, devait garder sa gauche libre pour rester en liaison avec la droite de la 2e Armée. L'orientation de son front devait donc dépendre de la ligne que le com­mandant de la 2e Armée accroché par sa gauche au Grand-Couronné jugerait possible de défendre.

 

 Le front de la 1e Armée prolongerait celui de sa voisine si le général de Castelnau avait le temps, en gardant la tête de pont Lunéville-Forêt de Vitremont, de défendre le cours de la Meurthe. Il lui serait perpendiculaire si la 2e Armée se retirait sur la Moselle ou sur les collines qui la précèdent à l'est. En somme, c'était comme une porte dont les deux chambranles, Vosges et Grand-Couronné, devaient rester fixes, mais dont les battants, s'ils ne pouvaient être tenus clos, s'entre bailleraient, sans s'ouvrir tout à fait.

En attendant les événements, tandis que le général Dubail resserrait son dispositif sur Senones – Badonviller  -Baccarat - Rambervillers, le général de Castelnau organisait le Grand-Cou­ronné. Le 2e Groupe de divisions de réserve, qui avait couvert le flanc gauche de l'offensive, s'était replié au pied des pentes, le 21.

Chaque division restait à sa place, mais le secteur qu'elle avait à organiser était délimité avec précision.

La 59e s'étendait face au nord, de la Moselle à Jeaude­laincourt ; la 70e, face à l'est, de la Rochette au Mont-d'Amance. Le secteur Pulnoy-Seichamps était tenu provisoirement par la 34e brigade, en attendant que la 68e division de réserve, très éprouvée dans les combats de Fresnes, fut réorganisée. Le Rambettant était défendu par une brigade mixte du 9e Corps d'Armée et deux régiments coloniaux, le 41e et le 43e.

Le 20e Corps d'Armée restait en réserve d'Armée entre Meurthe et Moselle.

 

Pour le front sud de l'Armée, tout dépendait du temps que l'ennemi laisserait aux 15e Corps et 16e Corps pour se réorganiser.

 

Le 21, il avait mollement suivi nos arrière-gardes et ce répit avait donné au général de Castelnau un temps précieux pour la défense de Nancy.

 

Mais, dans la nuit du 21 au 22, ses colonnes franchis­saient la frontière et s'avançaient en direction de Nancy.

Dombasles, Lunéville, Mazerulles, Erbé­villers, Maixe, en feu, jalonnaient dans la nuit son approche. Devant l'imminence de l'attaque, à 5h30, le commandant du 15e Corps d'Armée prévenait le général de Castelnau qu'il croyait ses unités encore incapables d'une résistance effi­cace. Quant au 16e Corps d'Armée, il était violemment attaqué, dès 8 heures du matin, de Crion à Sionvillers.

Le général de Castelnau, jugeant dès lors impossible de tenir avec une partie seulement de ses forces la tête de pont de Lunéville, décidait de ramener en arrière de la Meurthe le 15e Corps et le 16e Corps.

Afin de protéger leur repli, il donnait l'ordre au 15e Corps d'Armée de porter une brigade sur les hauteurs de Flainval-Anthelupt, et au 16e Corps d'Armée d'engager la 31e division d'infanterie toute entière en avant de Lunéville. Les 64e et 74e divisions de réserve, débarquées dans la région de Bayon, organisaient rapidement les hauteurs de Saffais-Belchamps, de part et d'autre de la route Bayon-Lunéville, entre Mor­tagne et Moselle. A l'aile droite, le Corps de cavalerie du général Conneau couvrait le flanc droit de l'Armée aux environs de la forêt de Mondon.

L'attaque allemande continuait avec violence du Sanon à Lunéville. La brigade mixte du 20e Corps d'Armée résistait à tous ses efforts. Le 37e régiment d'infanterie et le 4e bataillon de chasseurs à pied repoussaient quatre attaques devant Anthelupt. La 31e division d'infanterie, après huit heures de combat, menacée d'être tournée par sa droite, se repliait sur Lunéville, protégée par le sacrifice d'un groupe de l'artillerie de Corps et par la belle défense du 81e régiment d'infanterie. A 18 heures, elle repassait la Meurthe. La brigade du 20e Corps d'Armée se retirait, en exécution des ordres, sur Rozières. Derrière elles, les ponts de la Meurthe sautaient. Le soir, les patrouilles allemandes entraient dans Lunéville abandonnée.

 

Pendant la nuit, le général de Castelnau établissait le front sur lequel il pensait recevoir, le 23, le choc de l'Armée allemande. Le Grand-Couronné, qui n'avait reçu la veille que quelques obus, restait organisé comme précédemment. Au sud, le 15e Corps d'Armée, couvert par la 64e division de réserve, occupait le plateau de Saffais-Ferriéres, en arrière de Rosières et de Blainville. Le 16e Corps d'Armée, encadré par les deux brigades de la 74e division de réserve, étendait son front de la route de Bayon-Lunéville, par le plateau de Belchamps, jusqu'à Clayeures. La cavalerie continuerait à protéger, en liaison avec le 8e Corps, le flanc droit de l'Armée.

 

L’effort allemand contre le centre…….Rozelieures

 

La journée du 23 août, marquée par de faibles attaques de part et d'autre du Sanon, fut passée dans l'attente du choc. Attente angoissée, malgré la sagesse des dispositions prises. Aussi le Général en chef se préoccupait-il de soulager la tâche de la 2e Armée par une intervention de la 1e

La 2e Armée, disait-il le 23, peut être attaquée aujourd'hui sur le Grand-Couronné. La 1e Armée devra, en ce cas, contre attaquer dans le flanc gauche de l'ennemi marchant contre la 2e Armée». Le 8e Corps, découvert, en effet, sur sa gauche par le repli du 16e Corps d'Armée, s'était retiré précipitamment vers le sud jusqu'à la rive gauche de la Mortagne. Le 23, il occupait Damas-aux-Bois, en avant de la forêt de Charmes, Haillainville, Fauconcourt, Rovilleaux-Chênes. Il était en liaison, à sa droite, avec le 13e Corps d'Armée et le 21e Corps, dont le front perpendiculaire à la Meurthe couvrait, au nord et au sud, Baccarat.

Face à l'est, enfin, le 14e Corps d'Armée occupait la région du Ban-de-Sapt à la hauteur de Senones.

Le front des deux Armées dessinait donc un angle droit dont le sommet était aux lisières nord est de la forêt de Charmes. La 1e Armée « flanquait », si l'on peut ainsi s'exprimer, la 2e Armée.

La volonté des chefs et le hasard donnaient au dispositif la forme nécessaire pour la manœuvre indiquée par le Général en chef. Il serait, en effet, peu conforme à la réalité des choses de penser que les chefs exercent sur la destinée une constante domination. Le plus souvent, le hasard et l'adversaire leur imposent des données sans cesse changeantes et que nulle conception a priori ne leur permettait de prévoir.

Le dispositif qui va permettre la manœuvre, c'est, pour une part, le hasard et l'ennemi qui leur en imposent la forme ; c'est contre son attente que le général de Castelnau n'a pu tenir la tête de pont de Lunéville, par suite, la Meurthe. La retraite précipitée du 8e Corps d'Armée, entraînant celle du 13e et du 21e Corps, a surpris le général Dubail. Mais nos généraux ont su guider ces retraites qu'ils ne pouvaient arrêter; et de la fortune contraire, ils ont su tirer des éléments de victoire. Cette souplesse d'adaptation à l'événement est le propre du grand chef, non je ne sais quelle prévision inflexible qui n'est qu'un mythe forgé après coup.

 

Le 24 août, les colonnes allemandes allaient heurter le front de la 2e Armée: « La droite de la 2e Armée s'attend à être attaquée sur ses positions de Belchamps-Saffais », disait le général Dubail au commandant du 8e Corps. « Je vous donne l'ordre de faire tous vos efforts pour intervenir, le cas échéant, dans le flanc des attaques allemandes, afin de dégager l'Armée voisine. »

 

Or, le 24, vers 8 heures du matin, une reconnaissance d'aviation du 20e Corps d'Armée signale une colonne ennemie de toutes armes marchant vers le sud, par Vitrimont et la Faisanderie. Cette colonne semble se diriger sur Blainville-Dameleviéres. Des positions d'infanterie et d'artillerie sont signalées inoccupées prés du bois de Crévic. Vers 9 heures, les avant-postes de la 64e division de réserve, qui gardent, dans le secteur du 15e Corps d'Armée, le pont de Dameleviéres, sont attaqués. Les Allemands prennent le village ; mais, sans chercher à en déboucher, s'y retranchent.

 

 A 11 heures, un pont de bateaux est lancé sur la Meurthe, entre Dameleviéres et Mont. Tous les observatoires signalent des colonnes en marche sur les routes Maixe-Deuxville-Einville-Lunéville.

 Le 16e Corps d'Armée est averti, par ses reconnaissances, de mouvements importants dans la région Fraimbois-Gerbéviller.

En résumé, des forces importantes (on les évalue à deux Corps d'Armée) infléchissent leur marche dans la direction du sud, se couvrant sur leur droite par des flanc-gardes.

Le général de Castelnau tire instantanément, de ces renseignements fragmentaires, des conclusions : les Allemands, dédaignant la menace que constituent Nancy et les troupes de la 2e Armée, marchent droit vers le sud, en direction de la Trouée de Charmes. Il vont donc défiler presque parallèlement au front de la 2e Armée, pour venir heurter la gauche de la 1e Armée, ou, au plus, la droite de la 2e entre la forêt de Charmes et la Mortagne.

La situation, telle qu'elle était envisagée la veille, est donc renversée : la 1e Armée va être attaquée de front : l'attaque de flanc doit venir de la 2e Armée.

 

A 11h30, Castelnau donne pour le lendemain un ordre général d'attaque une division d'infanterie du 20e Corps et toutes les forces disponibles du 2e groupe de divisions de réserve prendront l'offensive en direction de Serres et du bois d' Einville.

Comme on ne peut encore être sûr que l'axe de marche des colonnes ennemies ne coupera pas obliquement le front de la 2e Armée, le 15e Corps et le 16e Corps resteront, pour le moment, sur la défensive.

Quant au Corps de cavalerie, il couvrira entre Meurthe et Mortagne, à la hauteur de Fraisoirs, la droite du dispositif et masquera la soudure encore mal assurée entre les deux Armées.

Le général Dubail, averti de la tournure nouvelle prise par la situation, et saisissant de suite l'urgence qu'il y avait à renforcer la liaison, puisque c'était surelle que l'effort ennemi allait s'appliquer, porte, vers 14 heures, la 15e division d'infanterie du 8e Corps sur le front Vennezey-Rozelieures et la 16e en arrière de Matthieu.

Le 8e Corps d'Armée est, dés lors, en contact étroit avec le 16e Corps, vers Bor ville. Une forte artillerie prend position en arrière de la côte d' Essey et sur les hauteurs de Borville qui dominent toute la région.

La rapidité de ces décisions était capitale l'ennemi approchait avec une vitesse d'autant plus grande qu'il croyait trouver la porte encore ouverte.

Vers 10 heures, le Corps de cavalerie est attaqué sur tout son front à Mont, à Gerbéviller, à Moyen. Il s'accroche au terrain

à 14 heures, il tient encore les hauteurs de Morivillers-Séranville.

 

Vers 15 heures, il se replie sur Borville, laissant le 2e bataillon de chasseurs à pieds qui, à lui seul, va retarder, jusqu'au soir, l'avance des têtes de colonnes allemandes : c'est à ce moment que se place l'épisode légendaire et pourtant historique de la défense de Gerbéviller par une trentaine de chasseurs. La nuit arrête l'avance des Allemands qui sont maintenant au contact de notre ligne.

Au nord, cependant, la manoeuvre a déjà commencé.

La 70e division de réserve du général Fayolle, qui a été relevée sur son front par la 68e, et le 20e Corps d'Armée bousculent les faibles éléments qui couvrent le flanc de l'ennemi et gagnent à la tombée de la nuit la ligne Champenoux - Réméréville - Courbesseaux- Haraucourt Flainval. Ils sont à pied d’œuvre pour l'attaque du lendemain.

 

La journée a donc révélé l'axe d'attaque de l'aile droite ennemie. Il est franchement nord-sud, suivant une ligne qui passerait par Lunéville-Gerbéviller, en direction de l'isthme qui sépare la forêt de Charmes de la forêt de Rambervillers. Le front de la 2e Armée ne sera donc qu'effleuré. La gauche de la I" Armée recevra le choc principal. Le général de Castelnau ne borne donc plus son ordre d'offensive à sa gauche. L'Armée se portera à l'attaque sur tout son front : la gauche en direction de la route Arracourt-Einville qui semble être une des lignes de communication essentielles de l'ennemi ; le centre en direction des hauteurs nord de Lunéville-Vitrimont-Léomont-Frescati, le 15e Corps et le 16e Corps d'Armée, appuyés par la 64e et la 74e divisions de réserve, face à l'est, en direction de la Mortagne.

On ira lentement en ménageant le sang et les forces des hommes.

La 1e Armée qui, déjà, à son aile gauche et au centre, ressent, dés le 24, la pression allemande, va subir tout le choc ennemi. Le général Dubail n'en maintient pas moins son ordre d'attaque.

Le 8e Corps d'Armée avancera en direction de Vennezey Moriviller.

Le 13e Corps le couvrira sur sa droite en tenant face à l'est et face au nord les hauteurs de Ménarmont.

 

Cette journée du 24, qui, sur tout le front, s'achève chez les troupes en une ardente veillée d'armes, est la journée de la « Décision » qui contient en germe la Victoire. Le matin, tout était doute et angoisse.

L'ennemi, profitant de son élan, allait-il foncer, toutes ses forces réunies, contre la ligne mince de la 2e Armée ?

Les troupes, mal remises encore de la retraite, soutiendraient elles le choc ?

A 8 heures arrive le premier renseignement sur le changement de direction des colonnes allemandes.

A 11 heures, le général commandant la 2e Armée a compris l'occasion inespérée que lui offre l'orgueil ennemi.

En trois heures, il passe de la défensive anxieuse à l'offensive, du doute à la certitude. Il abandonne instantanément une hypothèse qu'il devine controuvée et, d'un coup, fixe la manœuvre qu'il n'eût osé souhaiter.

A qui le général de Castelnau demande-t-il cet effort ?

Non seulement au 20e Corps d'Armée, grandi par sa mauvaise fortune, mais aux 15e Corps et 16e Corps d'Armée que l'ennemi croit encore ébranlés, à la 64e et à la 74e divisions de réserve qui, dans cette journée décisive, vont recevoir leur baptême du feu. Le général Dubail lance au devant du choc ennemi le 8e Corps dont certaines unités ont perdu 50 % de leur effectif..

 

Le 25 au matin, de Raon-l'Etape à la forêt de Charmes, les colonnes ennemies abordent le front de la 1e Armée. Au centre, le 21e Corps d'Armée est attaqué violemment de part et d'autre de Baccarat. La lutte est particulièrement dure entre Baccarat et Raon-l'Étape, où les Allemands réussissent à passer la Meurthe. Pendant toute la matinée, le 109e régiment d'infanterie défend les abords de Thiaville, le 21e les lisières-nord du bois de Repy. Malgré sa résistance héroïque, le 21e Corps d'Armée cède, vers 16 heures, entraînant le repli du 13e Corps.

L'intervention de la 44e division d'infanterie, réserve de l'Armée, permet de rétablir la situation compromise. Elle arrête au sud de Mesnil-sur-Belvitte la progression ennemie. Le front s'établit sur la ligne Ilardaucourt- Roville -aux- Chênes- Anglemont- Saint Benoît-La Chipotte.

La tâche du 8e Corps n'est pas moins rude. Les gros ne peuvent déboucher d’Essey ni de Saint-Boingt. Les éléments avancés sont rejetés de Rozelieures et de Vennezey. Vers midi, le Corps d'Armée se met en retraite vers Damasaux-Bois-Fauconcourt. La liaison entre les deux Armées est compromise.

Mais l'ennemi, qui n'est plus qu'à 10 kilomètres de la Moselle, vient d'être attaqué brusquement en flanc et en queue. Le 20e Corps d'Armée progresse rapidement de part et d'autre du Sanon. Il bouscule les éléments du 1e Corps bavarois qui protègent le flanc de l'Armée ennemie.

 

La 39e division d'infanterie s'empare de Drouville, du bois de Crévic, de la cote 316 (nord de Maixe). Sur la rive droite, Sommervilliers, Flainval, Anthelupt sont pris. Déjà les queues de colonnes allemandes, faisant demi-tour, remontent de Deuxville-sur-Maixe.

Le 15e Corps d'Armée, descendant des hauteurs de Saffais-Belchamps, atteint le Charmois et pousse ses avant-gardes vers Lamath et Mont-sur-Meurthe. Le 16e Corps d'Armée et la 74e division de réserve prennent pied dans Einvaux et dans les bois de Charlieux, dont le 36e régiment d'infanterie coloniale et le 223e régiment d'infanterie enlèvent d'assaut la lisière. Mais c'est à l'extrême droite que le combat est le plus acharné.

Tandis que le 2e bataillon de chasseurs à pied et la 2e brigade de dragons défendent héroïquement les lisières nord du bois Lalau, tâchant de maintenir la liaison avec les dernières fractions du 8e Corps d'Armée qui s'accrochent désespérément, la 60e et la 148e brigades progressent de Borville sur Rozelieures. La 12e brigade de dragons parvient à reprendre pied dans Saint-Boingt. Le 139e régiment d'infanterie s’empare de Ménarmont et de Pierremont le soir.

Sous ces coups inattendus, l'ennemi hésite : il défend énergiquement son flanc menacé, mais sa marche en avant se ralentit. C'est à ce moment que le général de Castelnau sûr de la victoire, presse l'attaque, c'est la suprême sagesse : « Le 8e Corps, télégraphie-t-il à 15 heures de Pont-Saint-Vincent, tient encore les lisières nord du bois Lalau, renforcé par les chasseurs du Corps de cavalerie. De ce côté, la progression de l'ennemi est arrêtée. Notre cavalerie aperçoit un mouvement de retraite de l'infanterie ennemie de Rozelieures vers le bois de Rethimont. Ordre du général commandant la 2e Armée: En avant, partout, à fond ». « Il faut à tout prix, téléphone t-il à la même heure au 16e Corps d'Armée, continuer à pousser, sans tenir compte de la fatigue des hommes. Il faut les galvaniser en leur disant, ce qui est vrai, que nous sommes sur les derrières de l'ennemi et qu'un gros succès résultera d'un suprême effort ».

Vers 18 heures, le 15e, le 143e, le 230e, le 333e, le 134e régiments d'infanterie donnent l'assaut aux positions de Rozelieures. Le village est pris, l'ennemi recule en désordre sur Remenoville. Le 8e Corps reprend Essey-la-Côte et Saint- Pierremont. Au soir de ce premier jour de bataille, l'ennemi est non seulement arrêté, mais refoulé.

 

Le 26, à l'aube, les deux Armées reprennent l'offensive. La 70e division de réserve atteint Réméréville et Courbesseaux. Le 20e Corps d'Armée s'empare de Maixe, Deuxville, Frescati, dominant par le nord Lunéville. Le 15e Corps d'Armée prend Damelevières et Mont.

A sa droite, le 6e bataillon de chasseurs alpins s'empare de Lamath. Le 16e Corps d'Armée occupe Remenoville, Moriviller et progresse dans les bois qui le séparent de la Mortagne. Sur tout le front de la 2e Armée c'est la victoire. L'ennemi laisse entre nos mains des prisonniers et des canons.

Mais, sur la rive droite de la Mortagne, la 1e Armée ne peut dépasser Roville-aux Chênes, Doncières.Il faut marquer un temps d'arrêt. D'ailleurs, les troupes sont épuisées. Elles ont, pendant deux jours, lutté sans arrêt jusqu'aux dernières réserves, brisant l'élan d'un ennemi qui se croyait victorieux.

Les pertes en hommes et en cadres, les fatigues accumulées depuis six jours de bataille empêchent d'infliger à l'ennemi un complet désastre.

 

Le 25 au soir, le Corps de cavalerie, ses chevaux fourbus, n'a pu poursuivre. Mais les Allemands ont été plus éprouvés encore. Leurs pertes sont effrayantes : 4600 cadavres autour de Mont, 2600 autour de Rozelieures.

Désormais, l'ennemi va être réduit à une stricte défensive.

Défense savante et tenace contre laquelle nos efforts vont s'user. Les Allemands construisent, de Baccarat à Saint-Pierre ,face à la 1e Armée; sur les collines entre Mortagne et Meurthe et sur les hauteurs nord de Lunéville, face à la 2e, de puissantes organisations défensives qui déroutent notre inexpérience : Tranchées à contre-pente, réseaux de fil de fer, flanquement d'innombrables mitrailleuses, tous les obstacles, toutes les embûches de la guerre de siège à laquelle ne sont faites ni notre artillerie, ni notre infanterie.

Aussi, en dépit du courage acharné de nos troupes, n'enregistrons-nous plus que de faibles progrès.

 

Le 28 août, les 3e,111e,112e,141e  régiments de ligne (16e Corps d'Armée) attaquent en vue d'atteindre la Mortagne, le 15e Corps d'Armée en vue de se rapprocher de Lunéville, de part et d'autre de la Meurthe. Le 15e Corps d'Armée dépasse Xermaménil et progresse dans les bois à l'est. Le 16e Corps borde la Mortagne, de Lamath à Gerbéviller. Le 333e régiment d'infanterie prend pied dans Gerbéviller, mais il est rejeté, après un sanglant combat sur la rive gauche.

 

Voir le passage de l’historique du 333e RI

 

Le 29, le 16e Corps et la 74e division de réserve (222e,223e,230e, et 299e régiments de ligne) passent la Mortagne, s'emparent de Gerbéviller et se relient au 15e Corps d'Armée, dans les bois, à l'ouest de Fraimbois.

 

Le 30, une attaque contre la clairière de Fraimbois, par l'ouest (16e Corps) et par le sud (74e D.R.), échoue avec de lourdes pertes.

Toute progression est d'ailleurs gênée par le fait que la 1e Armée ne peut nulle part déboucher. Combats sanglants et non sans gloire, mais dans les quels le seul résultat « accrocher l'ennemi » se paye cher. C'est la lutte d'usure par anticipation.

 

Le Général en chef, commentant, le 27, l'œuvre de la 1e et de la 2e Armée, écrivait dans un ordre du jour qui constitue leur plus sûre récompense

« La 1ère  et 2ème Armée donnent en ce moment un exemple de ténacité et de courage » que le Général en chef est heureux de porter à la connaissance des troupes sous ses ordres.

 

Indépendamment des Corps de couverture dont quelques-uns ont combattu depuis l'ouverture des hostilités, ces deux Armées ont pris, le 14 août, une offensive générale, obtenu de brillants succès jusqu'au moment où elles se sont heurtées à une barrière fortifiée et défendue par des forces très supérieures. Après une retraite parfaitement ordonnée, les deux Armées ont repris l'offensive en combinant leurs efforts et regagné une partie du terrain perdu. L'ennemi plie devant elles et son recul permet de constater les pertes considérables qu'il a subies.

 

Ces Armées combattent depuis quatorze jours, sans un instant de répit, avec une inébranlable confiance dans la victoire qui appartient toujours au plus tenace. Le Général en chef sait que « les autres Armées auront à cœur de suivre l'exemple fourni par la 1ère  et 2ème Armée».

Leur rôle, en effet, sinon leur espérance, est rempli. L'offensive allemande brisée, la Lorraine sauvée et, surtout, le flanc droit des Armées françaises protégé contre une seconde menace d'enveloppement que le Commandement allemand avait rêvée sans doute après sa victoire de Morhange.

 Désormais, le Général en chef, délivré à l'est de toute inquiétude, allait pouvoir puiser largement dans les Armées de Lorraine pour alimenter la bataille qui se développait devant son centre et sa gauche.

« La situation, très améliorée devant la 1e et la 2e Armée, écrivait-il le 1e septembre, permet de récupérer sur chacune d'elles un Corps d'Armée avec, en outre, les éléments restants du.7e et du 9e Corps ».

 

Le 1 septembre, la 10e division de cavalerie et la 2e brigade de chasseurs, le 13e et le 15e Corps d'Armée (rejoint la 3ème armée), quittent les Armées de Lorraine.

 

Tout semble terminé.

Après la bataille contre le centre, la bataille d'ailes.

C'est la série des combats autour de Nancy et de Saint-Dié, liés dans le temps, indépendants dans l'espace.

 

Ce sont les batailles de la Haute Meurthe et du Grand Couronné, que les prélèvements effectués au début de septembre sur les deux Armées rendent, de notre part, strictement défensives, et pendant lesquelles chaque Armée doit combattre pour elle-même sans pouvoir aider sa voisine.

 

Lorraine : 2ème acte (suite) :  Batailles de la Haute Meurthe et du Grand Couronné

 

Voir le passage de l’historique du 333e RI  qui a participé à cette bataille

 

 

Texte tiré de « La grande guerre vécue, racontée, illustrée par les Combattants, en 2 tomes Aristide Quillet, 1922 »

 

 

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