Les opérations des 3ème et 4ème armées françaises
6 au 25 août 1914
Opérations du corps de cavalerie Sordet
Les opérations des 3ème et 4ème armées françaises
Le repli du 23 au 25 août des deux armées
Notre aile droite, 1e et 2e Armées, devait prendre l'offensive en Alsace et en Lorraine.
L'action de
l'aile gauche était subordonnée à la violation de la neutralité belge par les
Allemands. Si ce cas se produisait, l'armée de gauche (la 5e) remontait vers le
nord sur le front Mézières Mouzon ,et, tandis que la
3e serrerait un peu à droite, la 4e viendrait s'intercaler entre les deux. Ces
trois aimées prendraient alors l'offensive dans la direction des deux
Luxembourg ; et comme de leur manœuvre était attendue la décision, elles
étaient les plus puissamment constituées.
Or, le premier
acte des Allemands avant été de pénétrer en Belgique, la variante prévue fut
prescrite, et les 3e et 4e Armées se trouvèrent ainsi accolées et formant le
centre de notre ligne.
La 3e Armée
avait été confiée au général Ruffey.
Quoique assez
peu connu en dehors des milieux militaires, le général Ruffey
était un artilleur habile dont on attendait beaucoup. Plein d'idées et
d'imagination, il avait professé à l'École Supérieure de Guerre. Apôtre de
l'artillerie lourde, dont il avait prédit, depuis 1887, le rôle important, il
avait cru un des premiers à l'utilité de l'aviation.
Son Armée
débarqua et s'organisa autour de la forteresse de Verdun. Elle comprenait trois
Corps d'Armée (4, 5 et 6e), trois divisions de réserve et une division de
cavalerie.
Les éléments qui
la constituaient venaient de la Région parisienne, du Centre et de l'Est.
Ses trois
divisions de réserve, groupées sous le commandement du général Pol Durand,
étaient formées avec les régiments de réserve des 4, 5, et 6e Corps, et
portaient les numéros 54, 55 et 56.
Elles arrivèrent
quelques jours après les Corps actifs.
La 9e division
de cavalerie réunissait les cuirassiers de
Tours (5e et 8e), les dragons
de Fontainebleau (7e) et de Melun (13e) et les chasseurs de Sampigny
(10e) et de Saint‑Mihiel (12e).
La formation de
la 1e Armée fut plus complexe. En deuxième ligne, dans la région de
Sainte-Menehould Commercy, débarquèrent les trois Corps qui primitivement la constituaient : 12, 17e et Corps colonial.
Puis, en raison de l'importance de sa mission, elle reçut de nouvelles forces
dont certaines, d'ailleurs, ne lui arrivèrent qu'en pleine bataille : les 2e et
11e Corps, ainsi qu'une partie du 9e. En outre, elle eut deux divisions de
cavalerie : les 4e et 9e.
Cette importante
Armée était conduite par le général de Langle de
Cary, chef remarquable, jadis major de promotion de Saint‑Cyr, blessé à
Buzenval.
Cependant
la violation de la neutralité belge n'avait pas eu pour unique effet
l'application de la variante prévue au plan de concentration.
Les Belges qui,
dès le premier jour, avaient soutenu le choc avec un héroïsme que le seul
souvenir de Liége suffira à évoquer, ne pouvaient penser à continuer avec leurs
faibles forces une lutte tellement inégale. Ils nous appelèrent à leur secours
Dans une telle
occurrence, il fallait agir avec promptitude. Notre Etat-major résolut aussitôt
d'envoyer en Belgique toute la cavalerie disponible. Le 1e Corps de cavalerie
reçut l'ordre de se porter hardiment en avant.
C'était une
superbe masse pleine d'élan et d'enthousiasme, et à laquelle plaisait ce rôle
de soutien de nos nouveaux alliés.
Confiée au
général Sordet, elle comprenait trois divisions de cavalerie :
La 1e
division
formée de la 2e brigade lourde de Paris (1e et 2e cuirassiers), des 5e et 11 brigades de ligne (dragons de Vincennes et Versailles), d'un
groupe d'artillerie du 13e et du groupe
cycliste du 26e B. C. P.
La 3e
division
comprenait la 4e brigade de cuirassiers de Douai, la
13e brigade de dragons de Compiègne, la 3e brigade légère de Meaux, un groupe
du 42e d'artillerie et les cyclistes du 18e chasseurs à pied.
La 5e
division
groupait les 3e et 7e brigades de dragons (Reims et
Épernay), la 5e brigade légère (Châlons), un groupe du 61e d'artillerie et le groupe cycliste du 29e BCP
Le 6 août, le Corps de cavalerie pénétra en
Belgique. Il devait assurer la liaison avec l'Armée belge, prendre le contact
avec les forces allemandes encore confinées aux environs de Liège, et couvrir
le dispositif général des Armées françaises en vue de leur opération éventuelle
dans les Ardennes et le Luxembourg. Il se lança donc dans la région Paliseul-Neufchâteau-Luxembourg. Le pays difficile et boisé
était peu propre aux opérations de la cavalerie.
Dans sa marche
rapide, le Corps Sordet se heurta vite au rideau de cavalerie, extrêmement
serré, que les Allemands avaient jeté en avant pour couvrir la marche de leurs
Corps d'Armée, dont nous ne soupçonnions pas le dédoublement. Les premières
escarmouches eurent lieu à Havelange et à Sorée.
La région de
Paliseul fut pour un instant déblayée.
Dans ce premier
contact, la cavalerie française eut la joie de voir ses ennemis fuir devant
elle. Mais nous nous laissâmes souvent tenter par des poursuites hasardeuses
qui nous amenaient dans le champ d'action des mitrailleuses d'infanterie. Nos
pertes alors devenaient sérieuses, inutilement.
Du 6 au 20
août, le Corps Sordet
accomplit un magnifique raid, faisant des randonnées de 130 kilomètres en vingt
heures. Il couvrit un vaste circuit qui le mena jusqu'à Gembloux le 19, point
extrême d'où sa retraite commença.
Malheureusement;
un tel surmenage par une chaleur torride épuisa nos unités. Les chevaux étaient
fourbus, les hommes las, inquiets et découragés. Partout ils avaient vu
l'ennemi, l'avaient attaqué et fait fuir, mais nulle part ; ils n'avaient
pu le saisir, se mesurer avec lui et lui infliger une défaite. L'enthousiasme
tombait. La mission de reconnaissance n'avait pu, nulle part, être remplie.
Je
possède l’historique complet (160 pages) de ce régiment, si vous êtes
intéressé, contactez moi
Nos soldats commençaient à souffrir du manque de nouvelles. Les bruits les plus fantastiques se propageaient : victoire des Belges à Liège, révolution en Allemagne, offensive des Russes, assassinat de M. Poincaré ou du Kaiser.
Les plans d'opérations ouvraient, eux aussi, un vaste champ aux hypothèses. De toutes parts il était question d'offensive, mais quand et dans quelle direction
En attendant, on marchait ; et ces premières étapes de la veillée des armes donnèrent le critérium de ce que l'on pouvait attendre des troupes.
Malgré les fatigues du voyage, l'état de la température, la lourdeur des unités, malgré le peu d'entraînement des réservistes, il n'y avait point de traînards..
Le 8 août, tandis que la 4e Armée, pour réaliser le
nouveau dispositif prévu, avançait sa zone de concentration jusqu'à l'Aire, la
3e Armée s'établissait sur le front Flabas‑Ornes‑Vigneulles‑Saint
Baussant.
Elle devait être
prête soit à agir vers le nord, la gauche marchant sur Damvillers,
soit à contre-attaquer les forces allemandes qui déboucheraient de Metz.
Des
Hauts-de-Meuse l'Armée voyait s'étaler a ses pieds la plaine de la Woëvre, et
cette plaine mollement accidentée lui paraissait muette, vide et nue à faire
impression] Il n'en était rien; le drame s'y préparait.
Le 9 août, au milieu de la belle et calme journée
d'été, de grosses fumées noires s'élevèrent. Dans un
repli de terrain, un village déjà brûlait.
Quelle haine
s'éveillait dans le cœur de ces hommes dont les pensées allaient si
naturellement vers d'autres fermes, vers d'autres villages !!
Aussi avec
quelle ardeur se mirent-ils à creuser des tranchées, parce que l'ordre venait
d'en être donné et que c'était pour eux un moyen d'employer leur activité !!
Des tranchées qu'ils traçaient aux flancs
de la côte de Morimont, le 10 août, nos soldats purent assister en
spectateurs à la première rencontre.
Leur attention,
à plusieurs reprises, fut attirée au delà des épaisses forêts qui bordaient la
plaine, par de petits nuages blancs qu'on voyait se dissiper à faible hauteur
du sol, au moment où le bruit d'un coup de canon faisait lever les yeux.
On se battait à
Mangiennes.
Mais d'où
venaient ces obus éclatant autour du village ? De si loin il était
impossible de le deviner, comme de reconnaître les uniformes de ces longues
lignes de tirailleurs qu'on apercevait parmi les gerbes, dans les champs
moissonnés.
Avançaient-elles
ou reculaient-elles en combattant ? Quel était le sens du combat ? Toutes
ces questions augmentaient l'angoisse...
Mais dans un
champ vert on distingua une masse noire.
Tout à coup
apparurent sur elle quelques petits nuages blancs et ce fut une débandade
éperdue de cavaliers.
Quel soupir de
soulagement !
Nos 75 venaient
d'entrer en action.
Hélas !!
Malgré cette
intervention heureuse, il n'y avait pas de doute à conserver. Des pantalons
rouges battaient en retraite, qui évacuaient
Mangiennes. Il en sortait des fermes, des bois, de tous les replis du terrain.
Sur la grande
route, des convois se formaient. Le soir tombait. Dans le silence émouvant, nos
soldats scrutaient la plaine où le sang des nôtres avait coulé, lorsque soudain
un chant s'éleva. L'impression était poignante...
Des strophes de
la Marseillaise montaient comme un cantique dans le calme du crépuscule. Un
escadron du 14e
hussards, ayant rencontré un
convoi de blessés, leur avait rendu les honneurs, et ceux-ci répondaient par un
serment d'amour et par un acte de foi en clamant les couplets vengeurs de
l'hymne immortel.
Or, durant
cette journée du 10 août, voici ce qui s'était passé autour de
Mangiennes :
Les jours
précédents, le village avait été occupé à différentes reprises par des
détachements de couverture des 2e et 6e Corps et parle 14e hussards du 4e C. A.
Le 9 août, au soir, tandis que la 7e division de
cavalerie recevait l'ordre de surveiller la direction Étain-Spincourt,
le 4e Corps était chargé de tenir les lisières est des bois de Mangiennes; et,
au milieu de la nuit, deux bataillons du 130e venaient s'y
installer en avant-postes.
Le 10 au
matin, la division de
cavalerie du Kronprinz prononçait un mouvement en avant sur la Chiers et l'Othain, vers Longuyon et Marville.
Un détachement ennemi
de toutes armes, composé de un régiment d'infanterie, un bataillon de chasseurs
deux régiments de cavalerie au moins, un groupe d'artillerie et deux sections
de mitrailleuses, engagea le combat devant Mangiennes, vers 10 heures du matin.
Mais l'infanterie
allemande ne fit preuve d'aucun mordant.
A midi, c'était l'accalmie.
A 13 heures, le combat reprit plus loin, vers Villers-les-Mangiennes où se trouvaient des éléments du 2e Corps. Ceux-ci subirent
des pertes assez sérieuses en essayant, à plusieurs reprises, de se porter en
avant, car, chaque fois, ils tombèrent sous le feu des mitrailleuses.
Mais, vers 17
heures, ce fut à Mangiennes que le combat recommença.
Les bataillons
du 130e se jetèrent à l'assaut avec un entrain
admirable ; Ils furent arrêtés par la Loison, rivière profonde et froide qui
engloutit plusieurs des nôtres frappés de congestion.
Néanmoins, la
charge à la baïonnette progressa; Mais nos pertes furent bientôt terribles.
Le 130e put cependant se dégager, car les
Allemands, très éprouvés par le feu de notre artillerie, battaient en retraite
précipitamment
Le 14e hussards n'eut donc pas à intervenir. Il s'était
massé sous les ordres du colonel de Hautecloque,
prés du lavoir de Mangiennes, et y resta plus d'une heure, sabre au clair,
attendant stoïquement. Le colonel avait
déclaré : « S'ils poursuivent les blessés, on chargera »
Pourtant le
terrain était marécageux, la charge eut été un désastre. Le sacrifice offert ne
fut pas accepté, et le 4e hussards fut
récompensé de son dévouement par l'émouvant salut des blessés.
Dans Mangiennes
que les Allemands venaient d’évacuer, le 2e Corps put rentrer sans difficultés
au soir du 10 août.
Mais cette
nouvelle ne fut pas connue de la 3e Armée, et le 4e Corps, de son côté,
reçut l'ordre de reprendre le village.
Les spectateurs
qui, de la côte de Morimont, avaient la veille assisté aux péripéties du drame,
furent au milieu de la nuit chargés de cette mission.
Au réveil,
vers 2 heures du matin,
leur commandant qui avait la hantise du ravitaillement en munitions leur fit
distribuer des cartouches, et ils partirent le ventre vide, mais les
cartouchières remplies.
Au débouché du
bois, ils prirent une formation d'attaque, avancèrent avec précaution... mais
sans difficulté et pour cause!
Le 91e occupait Mangiennes, et tout autour du
village, dans de confortables tranchées, s'attendait à recevoir l'attaque des
boches, qui ne songèrent même pas à relever leurs blessés ni à enterrer leurs
morts.
Les deux Armées
3e et 4e ce jour là, se soudaient à Mangiennes. Tandis que les combattants de
la veille donnaient aux nouveaux arrivants leurs impressions et leurs conseils
: se diluer sous le tir de l'artillerie, se tapir derrière les rocs qui offrent
une protection efficace, éviter les points de terrain facilement repérables, le
général Ruffey proclamait les heureuses initiatives
du 2e Corps et le remerciait de l'aide spontanément apportée à ses propres
troupes.
Le commandant de
la 3° Armée attira l'attention de tous sur la nécessité de se protéger contre
les tirs d'enfilade et sur la folie de s'en aller à l'assaut, sans préparation
et en formations denses.
Du 12 au 20
août, la leçon fut
méditée. On ne revit plus l'ennemi, mais on continuait à le sentir tout proche
; la nuit, on apercevait ses feux. La veillée des armes reprit, interminable.
Le 16 août, la 3e Armée reçut l'ordre de constituer
deux groupements.
Le 4e et le 5e
Corps, avec deux divisions du 6e, s'établirent sur le
front Jametz-Étain, prêts à déboucher en direction
générale de Longwy, tandis que la 3e division du 6e Corps restait face à Conflans-Briey.
Les trois
divisions de réserve, renforcées de la 67e, devaient tenter d'arrêter, sur des
positions organisées de Toul à Verdun, toute tentative de l'ennemi visant la
rupture du front.
Le 19 août, ce groupement, augmenté de deux nouvelles
divisions de réserve, fut enlevé à la 3e Armée et devint l'Armée de Lorraine,
avec mission de masquer Metz.
Quant à la 4e
Armée, établie le 17 sur le front Sedan-Marville, sur
les lignes de la Meuse et de la Chiers, elle avait envoyé sa découverte jusque
vers Virton, Neufchâteau et Maissin, puis, le 19, avait poussé ses avant-gardes
sur la Semoy.
Suivre le 124e régiment
d’infanterie qui a participé à ces combats pour Mangiennes
Le 20 août, la situation était la suivante : au nord, l'armée belge menacée par onze corps ennemis avait reçu du Roi l'ordre de se replier sur Anvers.
Le Corps de cavalerie Sordet, à bout de souffle, commençait sa retraite. Le généralissime, éclairé par le coup de main de Dinant, avait prescrit à la 5e Armée de remonter sur la Sambre.
Au sud, l'offensive des 1e, et 2e Armées subissait un
sérieux échec; Le général de Castelnau arrêtait son mouvement et prescrivait la
retraite.
Le général
Joffre ne renonçait pourtant pas à cette offensive en Luxembourg dont il
escomptait la décision par la rupture du front allemand.
Le soir du 20
août, il envoyait aux 3e
et 4e Armées l'ordre de prendre, dans la nuit même du 20 au 21, une offensive
soudaine et violente dans les Ardennes et le Luxembourg belges.
Ces deux Armées
constituant le centre de notre ligne étaient en parfaite liaison : la 3e à
droite, à cheval et au nord de Othain, et la 4e
s’étendant avec ses cinq Corps sur les deux rives de la Chiers, entre Sedan et
Montmédy. Mais elles restaient en l'air, puisque, à gauche, la marche de la 5e
Armée vers la Sambre laissait ouverte la trouée de l'Oise et que, à droite,
Longwy était investi et la région de Briey occupée par l'ennemi sous la
protection de Metz.
La 4e Armée,
chargée de l'attaque principale, devait se diriger droit au nord, ayant pour
objectif la trouée de Neufchâteau. La 3e Armée, marchant aussi vers le nord,
devait couvrir le flanc droit de la 4e et pour cela progresser en échelon, la
gauche en avant et sa tête à quelques kilomètres en arrière et à l'est de la
droite de la 4e Armée. Le but de ce mouvement était de parer à la marche de
flanc de l'ennemi à travers la Belgique, en cherchant à percer son centre.
« La bataille qui en résulta -- bataille des Ardennes --ne fut pas une bataille de manœuvre, déclare M. Hanotaux, mais une bataille de rencontre où les troupes alignées de part et d'autre en cordon, se heurtèrent de front. L'immensité du champ de bataille (de Givet à Metz), la nature boisée et ravinée du terrain empêchaient les vues et rendaient difficiles les liaisons. Des chocs nombreux se produisirent, mais ces chocs furent séparés, disloqués. »
Cette bataille, qui dura cinq jours, peut se diviser en trois parties.
Le 21 août eurent lieu les marches d'approche, le 22
les chocs, les 23, 24 et 25 la retraite
La journée du
20 avait été une dernière
journée d'attente et de préparatifs.
En pleine nuit
du 20 au 21, on partit.
Des cavaliers, des motocyclistes longeaient
les colonnes.
Au lever du
jour, les généraux, en automobile, gagnaient la tête. Aux carrefours, des
patrouilles de dragons fournissaient les renseignements et guidaient les
bataillons envoyés en flanc-garde.
On marchait
lentement, mais sans arrêt. Il n'était pas question de grande halte.
La plupart des colonnes
pénétrèrent en Belgique; et le fait de fouler un sol étranger, même ami, exalta
les courages, amplifia les espoirs. Un grand débordement de joie accompagnait
la traversée des premiers villages où les habitants distribuaient à profusion
du tabac, des cigares, des tablettes de chocolat et des canettes de bière.
La marche durait
encore vers cinq heures de l'après-midi, lorsque des bruits sourds et lointains
firent passer la question : « Est-ce le canon ou l’orage ? »
En réalité, c'étaient l'un et l'autre.
L'objectif
immédiat de la 4e Armée était la prise de la ligne Namur-Luxembourg
en ses points essentiels de Gédinne-Paliseul-Offagne-Bertrix
et Florenville.
Tous les
éléments de cette Armée purent à peu prés atteindre les objectifs prévus. De la
droite à la gauche, le 2e Corps, toujours en liaison avec le 4e Corps de la 3e
Armée, arriva à Virton où il se serait installé si le bourgmestre ne l’avait
prévenu de la présence d'une division allemande autour de la ville; le Corps
colonial était à Gérouville lorsqu'il apprit que les
Allemands se trouvaient à deux kilomètres ; le 12e CA n'avait pu atteindre
Florenville, ayant été sérieusement attaqué de flanc vers Izel-Jamoigne;
le 17 était parvenu a quelques
kilomètres au sud de Neufchâteau, que l’ennemi occupait, et les 11e et 9e C. A.
arrivaient sur le front Bohan-Offagne-Bertrix.
Là aussi,
l'ennemi était proche ; Il avait débarqué 50.000 hommes à Libramont.
A la 3e Armée,
les objectifs étaient atteints et, le soir, des contacts étaient pris aux avant
postes.
Pour la
journée du 22, l'ordre
portait : « L'ennemi sera attaqué partout où il sera rencontré. » Or, de
cet ennemi, on savait seulement qu'il devait être très proche. La journée ne
pouvait pas se passer sans rencontres.
Le général de Langle de Cary donna à la 4e Armée la directive de «marcher
droit devant soi» : chaque Corps d'Armée reçut comme zone d'action une
étroite bande d'un terrain assez difficile.
Les colonnes se
mirent en mouvement d'assez bonne heure, mais un brouillard épais prolongea la
nuit, ou du moins l'obscurité, assez tard dans la matinée. Les premières pauses
en furent facilitées, mais ces matins-là, en été, promettent des journées
chaudes.
Chacun le
prévoyait; La veillée des armes avait pris fin, c'était l'action attendue et si
longtemps espérée.
A la gauche de
la 4e Armée, le 11e Corps et une partie du 9e livrèrent à Paliseul et à Maissin
de furieux combats, mais ne purent dominer l’adversaire et durent reculer au
sud de la voie ferrée.
Au centre, les
17 et 12e Corps, qui avaient pour objectif le front Jéhonville-Libramont,
partirent en liaison l'un avec l'autre, mais
d'importantes forêts les séparaient et la liaison se perdit. II en résulta que
la 66e brigade, avec trois groupes d'artillerie, se trouva presque cernée dans
les bois de Luchy.
Les obus
pleuvaient.
De tous côtés on
cherchait une introuvable issue. Les bataillons tournaient dans cette forêt de Luchy
comme des lions dans une cage en flammes.
Démoralisée,
après avoir perdu tous ses cadres, cette brigade dut se retirer sur Bouillon et
son repli entraîna le repli de tout le 17e Corps.
Un vide se
creusait donc entre celui-ci et le 12e Corps qui n'avait pu réussir à
progresser vers Neufchâteau.
A droite, le
Corps colonial livrait de violents combats où son énergie, son courage et son
sublime entrain ne trouvèrent pas leur récompense.
Devant atteindre
des objectifs divergents, il vit ses colonnes perdre leur liaison à la
traversée des bois, et il vint se heurter à des forces supérieures qui le
décimèrent à Rossignol , à Saint‑Vincent,
à Tintigny.
Ainsi un second
vide se creusait dans la ligne de la 4e Armée et celui-ci mettait en péril le
2e Corps qui, de Meix‑devant‑Virton,
s'était dirigé vers Virton où il était tombé dans un « guêpier » . Devant un ennemi retranché et supérieur, le vaillant 2e
Corps put quand même lier son action à celle du 4e Corps, avec lequel il
assurait la liaison de la 3e Armée.
Cependant,
malgré cette journée tragique, le front de la 4e Armée n'avait pas fléchi; il
s'étendait de Paliseul à Virton. Si nos pertes avaient été terribles, l'ennemi
les avait si chèrement payées qu'il ne songeait pas à nous poursuivre.
Notre repli ne
devait pas être la conséquence d'une défaite de la 4e Armée.
La 3e Armée, le
22 août, devait marcher en échelon vers le nord, pour appuyer l'offensive
de la 4e Armée et protéger son flanc. Le 4e Corps devait traverser Virton, le 5e
dégager Longwy et le 6e s'opposer à des attaques de troupes allemandes
débouchant des Camps retranchés de Thionville et de Metz. Plus au sud, la
division de cavalerie et la division de réserve avaient à défendre les Hauts de
Meuse et Verdun.
Le 4e Corps se
mit en route sur deux colonnes, la 8e division par Virton avec objectif
ultérieur
Etalle, la 7e à droite par Gomery, objectif :
Ethe. Nos renseignements sur l'ennemi signalaient des mouvements sans
importance dans cette région. Ce n'était pas l'avis du colonel de Hautecloque, commandant le 14e hussards,
malgré que le pays fut peu propice aux
reconnaissances, ni celui des habitants de Virton où le 115e régiment d'infanterie portait ses avant-postes.
La 8e division
devait quitter Virton de grand matin. Les habitants regardaient passer les
soldats français et leur donnaient des neufs, du lait, du café généreusement
additionné de rhum, des bols de bouillon et du tabac. Partout flottaient des
drapeaux de la Croix-Rouge et les couleurs belges.
Le général Boëlle installait, vers 6 heures, son poste de commandement
à l'Hôtel de Ville.
Mais déjà le 130e avant-garde de la division, était arrêté
avant d'avoir pu prendre pied solidement sur le plateau qui domine Virton, au
nord.
Dans les rues,
les régiments qui suivaient, ne pouvant plus avancer, formèrent les faisceaux.
Le brouillard
était épais et l'on entendait à peine quelques lointains coups de fusils. Tout
à coup, les premiers blessés arrivèrent. Les postes d'ambulances s'organisèrent
; les curieux faisaient cercle alentour.
Cependant, il
fallait sortir de ce défilé.
Le 124e reçut l'ordre de se déployer à la lisière.
Dans la campagne, le brouillard empêchait de voir à vingt pas, mais la
fusillade devenait plus nourrie et les premières bandes de mitrailleuses commençaient
à crépiter.
On voulait
tirer, mais sur quoi? On ne voyait rien.
Et puis le 130e était en avant de Soudain, sur la crête la
plus proche, apparurent les premiers casques à pointes. Derrière les lignes de
tirailleurs couchés, les chefs de section s'agitaient pour entraîner leurs
hommes. Ils n'avancèrent pas longtemps, car notre tir se déclencha. Puis,
baïonnette haute, nos fantassins s'élancèrent. Ils furent arrêtés par les
mitrailleuses et contraints de s'aplatir dans les avoines. Ce n'était pas un
abri; les chefs tombèrent !!
Les deux
infanteries restèrent accrochées. L'artillerie ne pouvait tirer à cause du
brouillard. Quand celui-ci se dissipa, le bombardement de Virton commença.
Cependant, dans les rues de la ville, d'ordinaire si calme, il n'y eut pas
d'affolement.
Les Belges,
aimablement, guidaient et soutenaient les blessés vers les hôpitaux hâtivement
constitués.
La 8e division
n'avait pu déboucher de Virton, mais du moins réussit-elle à maintenir la lutte
en avant. Lorsqu'elle dut l'abandonner, le général Boélle
fit entrer en action toute l'artillerie dont il disposait.
Ainsi nos
fantassins, à 17 heures, purent rentrer dans Virton, tandis qu'une belle charge
du 117e rejetait l'ennemi dans les bois.
Pendant que la
8e division tenait tête victorieusement, en liaison étroite, à sa gauche, avec
le 2e Corps de la 4e Armée, à sa droite la 7e division se trouvait compromise,
car le 5e Corps qui devait protéger son flanc droit se laissa absorber par
Longwy. Après que le 14e hussards eut
délogé l'ennemi d'Ethe, l'avant-garde de la 7e division traversa le village et
le dépassa.
Dans le
brouillard, elle tomba sur la lisière des bois où elle se fit hacher.
Une attaque du 101e sur Belmont lui
permit pourtant de conserver Ethe, mais le repli du 5e Corps entraîna son
propre repli; et le soir, après la retraite, les malheureux blessés abandonnés
à Gomery subirent les effets de la « furor teutonicus ». Ils furent brûlés et fusillés avec des
raffinements de cruauté.
Dans cette
journée du 22 août, le 4e Corps s'était bien comporté au baptême du feu.
Il avait failli
remporter un succès et l'échec ne lui était pas imputable. En tout cas, son
adversaire était particulièrement touché puisque le Ve Corps allemand, qui lui
avait été opposé, dut disparaître pendant plusieurs jours afin de se
reconstituer.
Ce fut le 5e
Corps qui causa l'insuccès.
Chargé de
marcher vers le nord en échelon et à droite du 4e C.A. et de masquer Longwy, il
se laissa attirer par cette malheureuse, mais héroïque place forte, isolée déjà
le 2 août, investie depuis le 20 et bombardée depuis la veille, et qui
résistait encore, sans autres ressources que l'énergie de son gouverneur, le
colonel Darche.
Le 5e Corps, pour la sauver, lança trois
attaques successives. Toutes échouèrent; et le 5e Corps dut se replier vers les
Hauts de Meuse sans avoir pu rétablir sa liaison avec la 7e division.
A l'aile droite
de la 3e Armée, comme l'avait prévu le général Ruffey,
eut lieu l'effort principal de l’ennemi. Celui-ci trouva devant lui le 6e
Corps, qui lui infligea des pertes terribles, en luttant avec héroïsme contre
des forces trois fois supérieures. Là, ce fut l'inaction de la 7e division de
cavalerie qui fit perdre au 6e Corps les résultats de ses efforts. La 40e
division, sous les ordres da général Hache, qui avait tenu tête aux trois
divisions ennemies du XV Ie Corps, et contre laquelle le Kronprinz lança sa
dernière réserve, menacée alors sur son flanc du côté de Briey, dut se replier.
Le 22, au soir, malgré le courage déployé, les
objectifs n'étaient atteints ni par la 4e Armée ni par la 3e Armée. Tant de
belles attaques avaient échoué parce qu'elles avaient été insuffisamment ou mal
prépa rées par l'artillerie, parce qu'elles s'étaient heurtées a des positions solidement organisées, parce qu'elles
avaient manqué de liaison et peut être surtout de direction d'ensemble.
Suivre le 124e régiment d’infanterie
qui a participé à ces combats pour Virton
Malgré cette série d'échecs qui n'avait nullement compromis le moral des troupes, les généraux de Langle de Cary et Ruffey songeaient à reprendre l'offensive.
Nul chez nous n'avait l'impression que la partie fût perdue. Nous avions dû surmonter des difficultés insoupçonnées, nous nous étions heurtés à des organisations défensives puissantes; Des mitrailleuses innombrables avaient surpris et fauché des sections entières, mais notre artillerie faisait merveille; en arrière, nous retrouverions les tranchées déjà préparées et surtout, maintenant qu'on était prévenu, nous nous tiendrions sur nos gardes.
Les replis s'étaient effectués sans désordre ; les unités s'étaient reconstituées et occupaient de nouvelles positions ; on manœuvrait.
Ainsi commença
et se poursuivit le mouvement en arrière des deux Armées, du 23 au 25 août :
Dans la nuit les deux généraux avaient donné leurs ordres pour la reprise de
l'offensive; Mais, avant que les ordres fussent reçus, la retraite méthodique
était déjà entamée sur la première ligne qui s'offrait naturellement pour nous
servir de point d'appui : la ligne de la Meuse.
A la 4e Armée,
dans la matinée du 23, le général de Langle espéra un
moment pouvoir repartir en avant, mais tous ses Corps n'étaient pas capables de
lui obéir; et si l'ennemi manquait d'ardeur pour engager une poursuite, du
moins il se montrait de plus en plus supérieur en nombre. Enfin, par malheur,
les populations s'enfuyaient devant la menace allemande et les routes étaient
encombrées.
A gauche, le 9e
Corps tint vigoureusement tête à Houdremont, et le
11e put se replier en combattant.
Mais, au centre,
le 17e très éprouvé et déjà en désordre 5 Bouillon, ne pouvait que chercher à
se réorganiser.
Le 12e, malgré
sa belle attitude, était entraîné en arrière, et avec lui le vaillant Corps
colonial, et le 2e Corps, qui maintenait solidement la liaison avec la 3e
Armée.
Le soir du 23, la 4e Armée tenait la ligne Viesse-Bouillon-Messincourt-Saint Walfroy-Villers
la Loue, et le général de Langle de Cary voulait l'y
maintenir pour le lendemain.
Mais le 24,
ayant connaissance de la situation, il dut se résigner à céder pied à pied le
terrain. Après deux journées de pénible retraite, son Armée s'établissait
derrière la Meuse, entre Mézières et Stenay.
La 3e Armée, le
soir du 22, avait pris ses positions sur la ligne de la Chiers, déterminée par Houdrigny-Virton-Vézin-Villers le Rond-Longuyon-Arrancy-Spincourt.
L'Armée du Kronprinz était très supérieure en nombre. Mais le général Ruffey combinait quand même contre elle une manœuvre de
tenaille avec ses deux ailes, manœuvre qui lui permettait d'agir vigoureusement
tout en ménageant son centre, le 5e Corps, si durement atteint.
Cette manoeuvre
il ne put l'accomplir.
En effet, dés
le 24, le GQG., Au courant
de l'échec sur la Sambre, et jugeant la situation d'ensemble, avait dû ordonner
le repli sur le front général de Montmédy Damvillers Azanne.
A droite,
l'Armée de Lorraine occuperait les Hauts-de-Meuse, au nord et au sud de Verdun.
Cependant, le
général Ruffey avait le sentiment très net des coups
qu'il pouvait encore porter à l'ennemi, et il voulait tout tenter.
Le résultat fut un
peu de flottement dans les ordres donnés, et une reprise de l'offensive où
s'illustrèrent le 4e Corps à Marville et l'Armée de Lorraine à
Etain, le 25 août.
Ces succès ne
furent pas assez décisifs pour modifier les intentions du Commandement, et la
3e Armée acheva sa retraite sur la Meuse, où elle arriva, le soir du 25 août,
dans un extrême état de fatigue.
Ainsi finissaient, malheureusement, les opérations des 3e et 4e Armées, autour de Virton. Elles constituent le panneau central du tragique triptyque, dont les volets s'appellent Charleroi et Morhange, et dont les couleurs de cendre et de sang demeurent enveloppées de mystère. Dans la violence du choc, les pertes avaient été extrêmement sérieuses; dans la nécessité du repli, des milliers de blessés durent être abandonnés ; à cause de la rapidité des événements, le nombre des prisonniers fut considérable.
Considérable aussi celui des disparus.
Cependant l'échec ne brisa pas la confiance
Le calme,
l'ordre, l'obéissance, le dévouement, l'union, rien chez nous ne fut atteint. Et la même force mystérieuse qui avait réuni les
hommes, conduit les trains, groupé les Armées, continua, dans le même mystère,
de réunir les forces, de diriger les marches, de reconstituer les unités. Puis,
un matin, sortant de sa tour d'ivoire, celui dont elle émanait et qui
représentait la France, prenant ses responsabilités, s'écria : « Ici, il
faut arrêter l'ennemi ou mourir » !
La Marne allait
être le fossé fatal à l'invasion.
Texte tiré de « La grande guerre vécue, racontée,
illustrée par les Combattants, en 2 tomes, Aristide Quillet,
1922 »
Et de Michelin, guide des champs de bataille
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Suite des opérations : La retraite
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