Carnet de guerre de Norbert AVIZOU

Aspirant au 159e régiment d’infanterie, 10e compagnie

 

Publication : Novembre 2024

Mise à jour : Novembre 2024

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Prologue

 

Rémy B. nous dit en 2024

« Je me permet de vous contacter car je suis impressionné du travail effectué et partagé sur votre site. Nous avons retrouvé dans la famille de ma femme, un "carnet de tranchée" de l'aspirant Norbert AVIZOU, instituteur en Algérie incorporé à Alger. Si cela peut vous être d'une quelconque utilité, faites le moi savoir. »

 

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Remerciements

 

Merci à Rémy pour le carnet.

Merci à Philippe S. pour la vérification du récit et le temps passé sur certaines recherches.

Nous avons ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit.

 

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Introduction

 

Norbert Eugène Louis AVIZOU est né à Roumégoux (Tarn). A son incorporation en septembre 1914, il déclare être ‘’élève-maître’’ et est incorporé au 3ème Zouaves, car il habite à cette date à Alger. Après ses classes effectuées en Algérie (caporal), il rentre en France, devient élève-aspirant et intègre le 159ème régiment d’infanterie comme aspirant le 1er janvier 1916.

 

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Début des écrits

 

 

 

Notes :

Parti de Briançon le 25 février 1916 pour rejoindre au front le 159ème d’infanterie. Arrivé à Montereau le 27, à Creil le 28, à Fortel (*) près Frévent le 29, à Mesnil-Saint-Georges près de Montdidier le 1er mars. (**)

 

(*) : Près de Frévent, il ne peut s’agir que de Fortel (-en-Artois) qui avait une gare. Il peut paraître curieux de monter jusqu’au Pas de Calais pour rejoindre Montdidier depuis Creil, distants de 50km. En fait, pendant que Norbert essayait de rejoindre le 159e RI qui était encore sur Frévillers le 20 puis Bajus et Héricourt (proche de Frévent) le 25, le 159e RI changeait de secteur et embarquait à Wavrans le 29 pour arriver le soir dans les environs de Montdidier ! (JMO 159e RI).

 

(**) : Comme il écrit les dates d’arrivée après la ville et vu la distance Frévent – Montdidier et les changements de train nécessaires, il devait être difficile d’y arriver avant le 1er mars. D’ailleurs, « le 1er mars » est écrit sans majuscule, contrairement à tous les autres jours du carnet.

Le 1er mars 1916

Présentation au colonel. Je suis affecté à la 10éme compagnie que je rejoins à Hargicourt. (*)

Départ de ce village le 3 pour Royaucourt. Repos quelques exercices.

Embarquement à Montdidier le 7 à six heures du matin.

Débarquons à Revigny (Meuse) le 8 à 3 heures du matin. Cette ville est à peu près complétement brûlée par les Boches. Nous allons cantonner à Vroïl (Marne). Je suis très bien reçu dans la maison où je cantonne.

Départ le 9.

Marche de 30 kilomètres pour nous rendre à Pretz-en-Argonne. Ce village est également brûlé par les Boches.

 

(*) : La 10ème compagnie fait partie du 3ème bataillon qui se trouve bien à Hargicourt (Somme).

Le 11

Nous allons à Rignaucourt 8 kilomètres à l’est du village précédent. Partiellement brûlé.

Nous cantonnons dans une grange. Départ en automobile le 13 pour Verdun.

Le 13 mars :

Nous embarquons à Rignaucourt vers 9 heures, nous sommes 16 dans chaque automobile. Nous arrivons à Verdun vers midi.

En débarquant des autos quelques marmites boches viennent nous saluer. Heureusement pas trop de dégâts : un tué et trois blessés ! (*)

Nous cantonnons dans Verdun. La ville bien que continuellement bombardée n’a pas trop souffert.

Naturellement la population civile a été évacuée.

 

(*) : ‘’ Mémoire des Hommes ‘’ ne recense pas de tué ce jour-là.

Le 14 :

Nous approchons encore de la ligne de feu nous allons au fort de Tavannes, à deux kilomètres des Boches. Ici le bombardement est continuel, surtout pour y arriver. Vision horrible des cadavres déchiquetés d’hommes et de chevaux.

Le 15 :

Journée dans le fort. Le bombardement est toujours très violent. Le fort n’est pas trop endommagé malgré la quantité d’obus reçus. Comme les casemates sont à l’épreuve des grosses marmites, nous laissons les Boches prodiguer leurs munitions.

Le 16 :

Nous sommes toujours dans le fort. Rien à faire. Mais comme nous sommes plus qu’entassés l’air est vicié. Un homme se trouve mal, presque asphyxié.

Le soir à minuit ½, nous partons pour la première ligne ; dans le secteur à gauche du fort de Vaux.

Le 17 :

Départ vers une heure du matin ; bombardement intense. Les deux kilomètres sont faits assez rapidement en vingt minutes à peines. Puis vers une heure et demie impossibilité d’avancer. Nous sommes en butte à un tir de barrage effrayant : les obus pleuvent à droite et à gauche de la route dans les fossés de laquelle nous sommes. Pourtant, pas trop de pertes pendant les deux heures que nous restons là.

 

Vers trois heures, le tir devient un peu moins dense et nous pouvons passer et nous allons de suite à la première ligne de tranchées, (unique d’ailleurs, ce qui m’étonne). La tranchée, ou plutôt ce qui en porte le nom est à peine un mauvais boyau de cinquante centimètre de profondeur, parfois même rien du tout à part des trous d’obus. À certains endroits ; il n’est même pas tracé.

Nous devons passer le reste de la nuit à creuser, creuser sans relâche, car le boyau étant pris d’enfilade, il parait que nous serons bombardés tout le jour. D’ailleurs les obus n’attendent pas l’aube pour tomber. Voilà cinq minutes que nous sommes là et cela commence à pleuvoir et quels obus !

Au moins du 150 et peut-être du 210, sans compter 105 et 77.

Le jour arrive et vers six heures le bombardement reprend de plus belle. Il en tombe dans le secteur de la section au moins cinq à six par minute. Heureusement cela ne tombe pas en plein dans la tranchée sans quoi pas un de nous n’en sortirait vivant, mal abrités, comme nous le sommes dans ce mauvais boyau. Le sergent (Louis) VINAY vient d’être tué. Le sergent CHABAL a été blessé entre Tavannes et Vaux, ainsi que l’adjudant BARNIER.

 

Quelle guerre et quelle attitude pour des soldats français ! Couchés à plat ventre dans le fond de la tranchée nous sommes là grelottant de froid, attendant d’un moment à l’autre l’obus qui va tomber en plein sur nous et nous délivrer définitivement de ce cauchemar. Car il en pleut tellement et puis c’est si facile à repérer qu’il nous faudra beaucoup de chance pour en sortir.

Contraste ! Pendant que les obus décrivent en sifflant leur trajectoire et éclatent avec un bruit de tonnerre perpétuel, les oiseaux chantent et plus rien. Une jolie mésange veut se poser sur le rebord même de la tranchée, me montrant sa tête noire et lançant ses chants joyeux, précurseurs du printemps qui va venir dans quatre jours.

Petit oiseau, ta visite m’a réconforté et je me reprends à espérer.

 

Pendant la nuit le bombardement diminue d’intensité et nous pouvons creuser un peu plus la tranchée. Les cuisiniers n’arrivent pas ; nous ne sommes pas ravitaillés : pas de pain, pas d’eau. Et pourtant il faut travailler sans relâche toute la nuit. Le jour impossible de dormir, les marmites se chargent de nous tenir éveillés.

Bien que chef de section, je travaille comme mes hommes pour les encourager. Des ampoules me viennent aux mains en maniant la pelle et la pioche, mais je n’y fais pas attention, je continue toujours.

Le 18 :

Dès trois heures du matin le bombardement reprend avec une violence inouïe et toujours de grosses marmites. Ils tirent avec l’artillerie lourde comme nous avec le 75. Jusqu’à deux heures de l’après-midi le déluge de fer ne fait que croitre tout à coup rafale encore plus violente et puis silence à peu près complet.

Que signifie cela ?

 

Je me dresse vite. Avec mes jumelles, j’inspecte les positions boches et j’aperçois une ligne de tirailleurs ennemis, une compagnie environ, qui avec fanions pour signaux, s’avance vers nos tranchées.

Aux armes ! Les Boches ! Tous les fusils s’allument, les mitrailleuses crépitent. Je commande d’abord un feu par salves que nos hommes exécutent avec calme, puis feu à volonté. Entre temps l’artillerie prend la direction du concert : en quelques minutes les Boches sont balayés, dispersés, anéantis. Encore une attaque d’arrêtée.

Ils se vengent en recommençant de plus belle le bombardement qui porte bien, hélas cette fois-ci.

La 3ème section est terriblement éprouvée : sur 35 hommes, il en reste à peine 15. Le sergent (Pierre) GAGNÈRE est tué ainsi que le fourrier (Paul) BONNETON. Les quatre agents de liaison de la compagnie sont touchés : un tué et les trois autres blessés.

 

La nuit arrive enfin et le bombardement diminue. Alors au travail. Nous piochons sans relâche.

Tout à coup, on nous fait appuyer vers la gauche. Ma section s’arrête à l’emplacement de la première. Je vois le cadavre du pauvre sergent (Louis) VINAY (***). Il a eu la carotide tranchée par un éclat d’obus. Depuis deux jours qu’il est là, tué, il commence à entrer en décomposition. Je le fais porter dans un trou d’obus. Quelques pelletées de terre et le voilà en paix. Pauvre ami ! Je ne le connaissais que depuis un mois mais c’est le sergent que j’aimais le plus dans la compagnie.

 

Nous sommes en place à peine depuis deux heures que nous appuyons vers la droite cette fois-ci, tout prêt du fort de Vaux. Nous allons tenir la place de la 9ème compagnie qui doit attaquer à quatre heures. A peine arrivés à notre nouvel emplacement notre artillerie commence à taper dur.

 

(*) : Pierre GAGNÈRE, 21 ans, sergent au 159ème régiment d’infanterie, mort pour la France le 18 mars 1916 à Vaux. Voir sa fiche.

(**) : Paul Henri Hubert BONNETON, 26 ans, sergent-fourrier au 159ème régiment d’infanterie, mort pour la France le 18 mars 1916 à Vaux. Voir sa fiche.

(***) : Louis Pierre Édouard VINAY, 25 ans, sergent au 159ème régiment d’infanterie, mort pour la France le 17 mars 1916 à Vaux. Voir sa fiche.

Le 19 :

Vers deux heures, préparation de l’attaque. Naturellement les Boches ripostent.

À quatre heures, arrêt de l’artillerie. Nos soldats partent à l’assaut de la tranchée. Mais il y a loin et les mitrailleuses boches fourrages. Impossible d’avancer. C’est manqué pour cette fois-ci.

 

Après l’attaque, un peu de calme. Les Boches ont tellement dépensé de minutions hier qu’aujourd’hui ils doivent sans doute les économiser un peu. A peine un ou deux fusants par minute, ce qui n’est rien.

Je vais en profiter pour me restaurer un peu. Pendant la nuit les cuisiniers sont venus. Ils m’ont apporté du pain, du saucisson, du jambon et un demi-litre de vin. Quel festin je vais faire ! Surtout après deux jours de famine.

 

Il est dix heures, le soleil brille, pas trop d’obus ; c’est tenable pour le moment. Mais cela change si vite ! Pourvu que nous soyons relevés cette nuit et que nous n’ayons pas trop de perte en nous retirant tout ira bien. Jusqu’ici ma section est favorisée ; je n’ai qu’un tué et deux blessés. Pourvu que cette chance continue !

 

Vers midi : marmitage intense pendant deux heures. Je m’étais félicité trop tôt tout à l’heure. Pendant la nuit nous revenons vers la gauche occuper notre emplacement précédent. Nuit superbe ; clair de lune. Nous travaillons ; fusants par ci par là et quelques percutants.

Le 20 :

Journée plus calme ou plutôt bombardement trop long. Les Boches n’ont pas exactement repéré la tranchée. Ils la croient à une centaine de mètres à l’arrière, après un réseau de fils de fer. Toute la journée ils tapent là-dedans. Ce que nous rions de ce gaspillage inoffensif ! Combat d’avions deux Boches sont descendus.

Dénombrement de la section.

Nouveaux blessés, j’ai maintenant un tué et sept blessés.

Le 21 :

Journée relativement calme.

Deux marmites pourtant sont tombées tout près de la tranchée me recouvrant de terre : drôle de sensation. Le déplacement d’air occasionné par la détonation nous abasourdit tandis que la terre vous recouvre et que les éclats passent au-dessus des oreilles avec un sifflement sinistre.

 

Voilà cinq jours que nous sommes en première ligne. Ceux que nous avons remplacés n’y sont restés que deux jours. Quand donc serons-nous relevés ? Nous sommes bien fatigués.

Le 22 :

La nuit est passée et la relève n’a pas eu lieu. Il parait que ce sera pour demain soir. Cette nuit à cause du bombardement intense le ravitaillement n’a pas pu arriver. Alors aujourd’hui nous ne mangerons pas beaucoup. Heureusement il me reste un peu de pain d’hier.

 

A la 1ère section, ma voisine de gauche, on a recueilli hier au soir des brancardiers du 97 qui depuis quatre jours étaient entre les deux lignes. C’était quatre brancardiers et un aide-major qui voulaient rejoindre la première ligne où était leur régiment, à notre gauche. Malheureusement ils se trompèrent et allèrent à la tranchée boche d’où ils furent accueillis par une fusillade. L’aide-major (*) et un brancardier sont tués. Les trois autres se jettent dans des trous d’obus ne comprenant rien à ce qui leur arrive. Ils restent là quatre jours : Rien à manger, rien à boire.

Les malheureux en furent réduits à boire leur urine ! N’y pouvant plus tenir ! L’un court vers la tranchée (heureusement vers la nôtre) en criant “camarades”.

Il croyait que c’était les Boches et nous que lui était Boche, alors on lui tire dessus mais voyant qu’il veut se rendre, on cesse le feu. Il court jusqu’à la tranchée avec quelle joie, il reconnaît les Français ! Il raconte sa lamentable aventure, mais ne peut donner des nouvelles de ses camarades.

 

(*) : Il doit s’agir du médecin auxiliaire né en Russie Boris GORBATCHEFF (selon JMO mais écrit GOBATCHEFF sur sa fiche), seul « médical » identifié à ces dates (et aucun soldat annoncé brancardier trouvé). Voir sa fiche.

 

Le lendemain matin, le sergent CHASTEL avec un homme, aperçoivent une forme humaine dans un trou d’obus. Ils appellent :

« Qui est-ce ? Es-tu français ? »

« Oui Français »

« Arrive donc, nous sommes français aussi »

 

Le pauvre malheureux en doutait encore. Tout à coup, il sort du trou d’obus et vient en courant à notre tranchée où il tombe évanoui. On le ranime :

« Qui es-tu ?

« Brancardier du 97 »

« Que sont devenus tes camarades ? »

« Un autre est encore en vie dans un trou d’obus »

« Où ? »

« Je ne sais pas »

« Est-ce loin ? »

« Je ne sais pas »

« Combien de bonds as-tu fait pour venir jusqu’ici ? »

« Je ne sais pas : un, deux, trois... »

« Comment s’appelle l’autre brancardier ? »

« Je ne sais pas. »

 

Le malheureux est encore complètement abruti par les tortures physiques et morales qu’il a endurées. Il fait pourtant des efforts et finit par retrouver le nom de son camarade : Arnaud.

Le sergent CHASTEL avec un homme avancent de trou d’obus en trou d’obus en appelant :

« Brancardier Arnaud !! »

 

Ils perçoivent enfin une réponse. Le pauvre brancardier ne comprend plus mais entendant des soldats français et les reconnaissant il est tellement heureux qu’il leur saute au cou et les embrasse avec effusion. Les trois brancardiers sont conduits au 97 qui est à notre gauche et leur odyssée est terminée.

 

À midi, la pluie commence à tomber. Pas longtemps heureusement. La nuit elle reprend et très fort. Comme c’est pénible la pluie ! Nous la craignons plus que les obus ! Me voici recouvert de boue de la tête aux pieds et tout mouillé malgré mon caoutchouc.

Toute la nuit je me promène dans la tranchée pour lutter contre le froid. Je travaille et j’ai un peu moins froid malgré l’eau qui ruissèle.

Sous cette pluie mes hommes travaillent toujours, mais ils sont fatigués bien qu’ils ne le disent guère.

Le 23 :

La pluie tombe toujours, pas d’abris. Il parait que nous serons relevés ce soir. Voilà sept jours que nous supportons des souffrances et des fatigues très dures, sans parler du danger perpétuel. Nous avons jusqu’ici plus de cinquante hommes hors de combat à la compagnie. Je viens de recevoir une lettre de mon frère (*), m’annonçant qu’il est aussi aux environs de Verdun, à Cumières et à la côte de l’Oie. Si nous pouvions nous voir !

 

(*) : Marcel Paul AVIZOU, né en 1896, s’était engagé en janvier 1914 au 1er RMZ qui est envoyé précipitamment sur Verdun fin février 1916 lors de l’attaque allemande. À Cumières du 8 au 21 mars, il ira au repos à partir du 24 mars sur Pargny/Sermaize (JMO 25e DI). Il survivra à la guerre. Voir sa fiche matriculaire.

Le 24 :

Nous ne sommes pas encore relevés. Même vie, même pluie. Trois obus tombent en plein dans la tranchée mais ce ne sont que des 77. Pitrot est blessé à la figure.

La relève arrive enfin.

Le 25 :

Revenons enfin au fort de Tavannes y arrivons vers le jour sans trop de pertes dans le trajet. Repos bien mérité je fais ma toilette avec délices. Quel bonheur de se raser et se laver après dix jours passés dans la boue. Le soir nous redescendons à Verdun au quartier Anthouard.

 

 

Le 26 :

Départ de Tavannes vers une heure du matin. Nous regagnons Verdun qui nous est signalé par des lueurs d’incendie. Les Boches voyant qu’ils ne peuvent prendre cette ville qu’ils convoitent tant, la brûlent. Tout un quartier est en proie aux flammes.

Nous arrivons à 4 heures à la caserne. Vite on se débarrasse et on se couche. J’ai un lit formé par trois planches. Des vieux habits me font un matelas. Je dors tout le jour et toute la nuit suivante.

Le 27 :

Toujours à Verdun. Bombardement continu : obus à shrapnells percutants, et aussi obus incendiaires. Les incendies continuent.

Le 28 :

Repos encore.

Le bombardement augmente d’intensité. Les obus tombent un peu partout aux environs.

Dans la nuit, cela s’arrête. Les Boches ont encore essayé une attaque qui naturellement a raté - accalmie.

Le 29 :

Même vie.

Le soir, petite fête à la popote de sous-off et nous sablons le champagne.

Le 30 :

Le canon tonne de nouveau avec violence. Est-ce que les Boches veulent encore recommencer ? Nous partons dans la soirée pour Dugny, à 8 kilomètres au sud de Verdun.

Le 31 :

Dugny n’est pas du tout bombardé. Hier seulement un taube a lancé une bombe qui a blessé ou tué une quarantaine de soldats. J’arrive à trouver un vrai lit. Avec quel bonheur j’y couche dedans.

Ce matin un autre avion lance cinq autres bombes. Pas d’accident sur personne.

Le 1er avril :

Temps splendide.

Malheureusement revues de détail qui prennent tout notre temps.

Les avions lancent encore des bombes. Décidément ils le prennent pour habitude.

Le 2 :

Départ de Dugny à 9h.

Nous allons nous embarquer dans des autos à Regret près Verdun. Nous y mettons environs deux heures. Poussière abominable. Comme toute la brigade embarque en même temps, il y a là 400 camions automobiles pour nous emporter.

Nous arrivons à Erize-la-Brûlée vers 4 heures du soir. C’est un petit village sur le bord de l’Aire, petite rivière poissonneuse.

Le 3 :

Repos – exercice – pêche.

Les 4, 5, 6, 7 :

Quelques légers exercices.

Le matin école de section et de compagnie.

Le soir, corvée de lavage, gymnastique. Je taquine les vairons de l’Aire, sans en prendre beaucoup pourtant.

Le 7 :

Nominations en quantité : le sergent CHASTEL est nommé adjudant les caporaux OEIL de SALEYS, ARMANT et LASAYGUES passent sergent, sept à huit hommes deviennent caporaux, PEGUE, fourrier et ROUX caporal-fourrier.

Fête à la popote. Le champagne coule à flots.

 

(*) : Marcel ŒIL de SALEYS. Voir sa fiche matriculaire.

(**) : Ferdinand Elie LASAYGUES. Voir sa fiche matriculaire.

Le 8 :

J’apprends que je suis proposé pour une citation à l’ordre de la brigade. Sera-t-elle acceptée ? Je n’ai fait que mon devoir.

Le 9 :

Départ d’Erize-la-Brûlée à deux heures nous nous rendons à Triconville, à 18 kilomètres de St Mihiel. Sur le parcours, nous traversons une jolie forêt.

Le 10 :

Triconville est un village quelconque. Les cantonnements sont pourtant assez bien. Je parviens à trouver un lit. Revues.

Le 11 :

Départ à 10 heures. Arrivé à Saulx-en-Barrois à 2 heures. Nous passons une seule nuit dans ce village.

Le 12 :

Départ à 8 heures. Route agréable. Pas de poussière. Nous passons à Commercy qui ne porte aucune trace de bombardement. Arrivée à Vignot à 2 kilomètres de Commercy vers midi.

Les 13, 14, 15, 16, 17 :

Repos à Vignot. Temps détestable, pluie, neiges, giboulées. Je rencontre mon ami (Gabriel) JALAT, aspirant au 29ème. (*)

Suis cité au régiment.

 

Texte de ma citation en date du 17 avril 1918, ordre du régiment n°146

« Le lieutenant-colonel commandant le 159ème régiment d’infanterie cite à l’ordre du régiment l’aspirant AVIZOU Norbert, 10ème compagnie. Nouvellement arrivé au régiment. Pendant la période du 17 au 25 mars 1916, a fait preuve d’un courage et d’une initiative remarquable en établissant une ligne de tranchées sous un violent bombardement. »

 

(*) : Gabriel Auguste Joseph JALAT. Sa fiche.

Le 18 :

Concert à Commercy dans le marché couvert. Quelques bons numéros.

Le 19 :

Encore repos.

Le 21 :

Départ à onze heures. Arrivée à trois heures à St Aubin près Commercy.

Le 22 :

Départ à 6h30 pour Lignières près Triconville où nous arrivons à 10 heures. Nous y trouvons un bataillon du 140. On m’apprend que le sous-lieutenant DOL est à Lavallée avec le premier bataillon Je vais à Lavallée mais le bataillon est parti pour Salmagne où je vais illico.

Je trouve la 3ème compagnie mais DOL est à Bar-le-Duc. Quelle guigne !

Le 23 :

Départ à 7 heures.

C’est le jour de Pâques. Nous passons à Gimécourt, à Rupt-devant-St-Mihiel et nous arrivons à 2 heures à la ferme de Louvent. (*)

Installation dans les cagnas.

 

(*) : À mi-chemin sur la route de Fresnes-au-Mont à Lahaymeix.

Le 24 :

Temps magnifique. Vie sous bois. Repos à peu près complet. Nous ne recevons aucun obus.

 

Le 25-26-27-28 :

Toujours un temps merveilleux. Je fais des promenades magnifiques dans la forêt qui est tapissée de mousse, de renoncules, de violettes surtout. Jamais je n’avais vu tant de violettes.

Le soir de 5 à 7, nous organisions des parties de football match amical avec la 9ème compagnie.

Le 26, nous les battons par 9 à 0.

Le 27, match nul, il est vrai que nous avions des équipiers en moins.

Le 29 :

Départ à cinq heures. Nous allons cantonner à Mesnil-aux-Bois. Etape de 15 kilomètres.

Le 30 avril :

Départ à 6 heures. Nous cantonnons de nouveau à St Aubin. Nous partons le lendemain pour Void à 15 kilomètres.

Le 1er mai :

Nous embarquons à Void vers onze heures. Départ à midi.

Nous arrivons à 3h30 à la station de Ludres, 15km S.O. de Nancy. Nous débarquons et allons cantonner à Coyviller.

Le 2 :

Repos

Le 3 :

Je vais avec un officier et un sous-off a un cours de manœuvre, au camp de Saffais près Ferrières.

Le 4 :

Même travail que la veille ; nous préparons une manœuvre de brigade.

Le 5 :

Manœuvre de brigade prise de tranchée. Mon rôle n’est pas trop pénible. Je fais le mort en arrivant à la tranchée de 1ère ligne.

Le 6 :

Exercice de bataillon. Nous préparons une revue de la brigade.

Le 7 :

Dimanche. Repos.

La compagnie étant de jour, il faut rester là quand même.

Le 8 :

La division est passée en revue par le général FRANCHET d’ESPERAY commandant un groupe d’armées.

Le 9 :

Anniversaire de l’offensive d’Arras (9 mai 1915).

Fête à Rosières. Course de miolles (*), concert etc... fête assez intéressante, mais comme la matin on nous a vacciné contre la fièvre typhoïde, je suis très fatigué. Je ne peux assister au bal qui a lieu à l’hôtel de ville de Rosières pour les officiers et sous-off.

 

(*) : Miolles, nom qui désignait certaines grandes barques sur la Garonne (région dont Norbert est originaire) et de plus Rosières est en bord de Meurthe.

Le 12 :

Fête organisée à Coyviller pour le 3ème et 4ème bataillon. C’est le concert le mieux réussi jusqu’ici.

Le 14 :

Préparatifs de départ.

Le 15 :

Départ à 6 heures. Marche de 20 kilomètres. Nous faisons étape à Villers-lès-Nancy.

Le 16 :

Départ à 6 heures. Étape de 25 kilomètres.

Arrivons à midi ½ à Toul, caserne Perrin-Brichambault.

Le 17 :

Départ à 14h pour Sanzey par Ménil-la-Tour.

Le 18 :

Départ à 15 heures pour Raulecourt. Mais nous nous arrêtons dans des cagnas dans le bois de la Reine près de l’étang de Gérard-Sas.

Le 19 :

Départ à 20 heures pour la tranchée de 1ère ligne dans le secteur de Richecourt-en-Woëvre.

Nous traversons Rambucourt à moitié détruit par le bombardement, arrivée à la tranchée vers minuit. Nous relevons le 286 du 31ème corps.

Le 20 :

J’organise le service de la section dans ce nouveau secteur. Tranchées mauvaises à cause de l’eau. Ma section défend un front de 200m.

J’ai une bonne cagna comme poste de commandement. Téléphone.

Le 21 :

Je franchis le Rupt de Mad pour me mettre en liaison avec la compagnie de gauche.

Les 22-23 :

Cabine. Vie monotone.

Les 24-25-26 :

Même vie, la pluie tombe ce qui n’arrange pas notre situation.

Le 27 :

Téléphonistes arrivent dans le poste du commandement.

Le 28 :

Nous sommes relevés.

Nous partons à minuit et demie, allons au repos à Raulecourt.

Du 28 mai au 4 juin :

Repos à Raulecourt.

Mais drôle de repos. La nuit il faut aller travailler à sept kilomètres entre Bouconville et Xivray.

Le jour, revues.

Le 4 juin :

Retour à la tranchée ma section est en réserve.

Du 4 au 12 :

En réserve de la zone III. Abri assez bon.

Du 12 au 19 :

Repos à Raulecourt, ou plutôt nous continuons à travailler dans le boyau Bouconville-Xivray.

Le 19 :

Départ à 21h pour Rambucourt où nous devons y passer dorénavant notre repos.

Le 20 :

Retour à la tranchée. Je suis encore en réserve.

Du 20 au 28 :

Séjour monotone.

Le jour mes hommes ne font rien.

La nuit je leur fais nettoyer une veille tranchée.

Le 28 :

Relève. Nous revenons à Rambucourt.

Mon abri est moins bien qu’a la tranchée. Myriade de puces dans la paille. Quel repos cela va être ; village bombardé presque tous les jours. Il faut rester dans les abris.

Du 29 juin au 2 juillet :

Toujours au repos à Rambucourt.

Le 3 juillet :

Nous sommes à l’ouvrage E06, à l’est de Richecourt.

Vers midi, le sergent (Ferdinand) LASAYGUES tue le soldat (Mirabel) GUICHAUX en maniant un pistolet chargé.

 

(*) : Mirabel GUICHAUX, 21 ans, mort pour la France par blessures accidentelles en service commandé le 3 juillet 1916 à Mandres-aux-4 Tours (54). Voir sa fiche.

Le 6 juillet :

Nous remontons à la tranchée aux mêmes emplacements que précédemment. Le sous-lieutenant CHARON prend le commandement de la section. Je lui suis adjoint.

 

(*) : Sous-lieutenant Marc Gustave Alfred CHARON du 3e bataillon, il sera tué à l‘ennemi comme indiqué au JMO lors de l’attaque du 4 septembre 1916.

Sa fiche comporte des erreurs (nom corrigé, matricule erroné).

Voir aussi sa fiche matriculaire.

Le 10 juillet :

Une délégation de ma section vient m’offrir une gerbe tricolore magnifique (bleuets, marguerite, coquelicots) pour me souhaiter bonne fête.

Le 14 juillet :

Nous revenons à Rambucourt vers onze heures de la nuit.

Le 15 juillet :

Nous fêtons la prise de la Bastille.

Le 17 juillet :

Je vais à Commercy. Je fais des achats pour la compagnie et pour les camarades.

Journée plutôt pénible qu’agréable.

Le 22 :

Retour à la tranchée. Je prends le commandement de la 1ère section, en réserve à Marvoisin.

Le 26 :

Nous changeons de secteur.

Départ de Marvoisin à 22 heures arrivons à Rambucourt, Raulecourt, Boucq, Trondes, Laneuveville-derrière-Foug. (*)

Arrivée vers 8 heures du matin le 27.

Le 28 :

Départ à 6 heures pour Domgermain Par Foug et Choloy. Joli petit village.

Le 31 :

Le général de division De CUGNAC (*) passe le régiment en revue.

 

(*) : De la 77e division d’infanterie.

Le 4 août :

Concert à Dongermain par les 3ème et 4ème bataillons ne n’est pas fameux !

Le 7 :

Revue passée par le Général NUDANT, commandant le (33e) corps d’armée.

Le 8 août :

Concert organisé par le 3ème bataillon avec le concours d’artistes de Paris : Marie BOYER de l’opéra-comique. Lucie PEZET, le chansonnier DOMERUS etc.. Succès éclatant.

Très bonne soirée.

Le 14 :

Départ de Domgermain à 3 heures ; embarquement à la gare. Passons par Neufchâteau, Bar-sur-Aube, Troyes, Brie-Comte-Robert, Versailles, Beauvais et débarquons le 15 à Marseille-en-Beauvaisis.

Nous allons cantonner à Rothois (Oise).

Le 20 :

Départ de Rothois en automobile trajet : Crèvecœur-le-Grand – Breteuil – Moreuil – Marcelcave – Morcourt - Arrivée au camp de Morcourt.

La 2ème section couche sous la tente.

Le 25 :

Départ en auto pour aller à la tranchée en première ligne à la droite de Barleux. Bons boyaux, bonnes tranchées.

L’eau est rare, il faut six heures pour s’en procurer, ration un litre par jour.

Le 28 :

Retour au camp près de Morcourt.

 

 

FIN DES ÉCRITS

 

Le 4 septembre 1916 à 14 heures l’attaque des lignes allemandes est ordonnée. Le 3ème bataillon sort de sa tranchée, les 10ème et 11ème compagnies en tête (Norbert est à la 10ème compagnie). La 10ème progresse jusqu’au ‘’boyau Maurice’’, mais elle est obligée de ‘’refluer’’ suite au reflux des coloniaux situés à côté d’eux.

Pour l’ensemble du régiment, les pertes de ce jour s’élèvent 471 hommes environ tués blessés et disparus.

Norbert AVIZOU décède le 4 septembre 1916 par ‘’blessure de guerre’’ à l’ambulance 2/18, secteur postal 47. Sa fiche.

Il sera cité après-guerre à l’ordre de la brigade.

 

 

 

Le boyau Maurice au sud de Barleux, Somme (31/08/1916)

 

 

 

Cimetière de Marcelcave (Somme)

 

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Voir sa fiche matriculaire

 

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