Souvenirs de guerre d’Eugène BAUDOIN

 

Sapeur-mineur au 9e puis 3e régiment de génie

 

Mise à jour : août 2013

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Avant-propos

« Eugène BAUDOIN (dit René), fut mobilisé en avril 1915 à l’âge de 19 ans

Il a écrit ses souvenirs de la guerre 14-18 en 1974. Ils ont été copiés sur mon ordinateur à Boulay, Moselle, le 7 mars 2004, d’après les cahiers de Papa. »

Son fils : Michel BAUDOIN

 

AVERTISSEMENT : Certains épisodes du récit de Papa sont durs et cruels, mais c’est la réalité.

Il faut imaginer les souffrances et les angoisses vécues par Papa et tous ceux qui ont été mobilisés pour la guerre 14-18. On peut comprendre aussi certains comportements excessifs,  à certains moments tragiques.

De plus, ils étaient pour la plupart des hommes âgés de vingt ans, parfois moins. Papa avait 19 ans.

 

Celles et ceux qui liront ce récit, devineront dès le début que « Major et Sergent-major », était le terme utilisé à l’époque pour désigner un Médecin.

Papa répète souvent le mot « boche », c’était très employé à l’époque (et encore en 1940) pour désigner un Allemand.

 

Voici le récit de papa, écrit dans un cahier d’écolier à partir du 16 avril 1974 :

 

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Sommaire (n’existe pas, il est rajouté pour une lecture plus aisée)

Ø  Retour sur 1914

Ø  Retour sur 1915

Ø  Retour sur 1916

ü  La blessure

ü  Départ au 3e génie

Ø  Retour sur 1917

ü  Offensive du chemin des Dames : Craonne 16 avril 1917

ü  Les mutineries

ü  Un incident de parcours durant la marche

ü  Les Flandres belges

ü  L’hôpital

ü  Jeanne

Ø  Retour sur 1918

ü  27 mai 1918 : LUDENDORF perce les lignes au Chemin des Dames.

ü  Armistice

Ø  Retour sur 1919

 

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Retour sur 1914

Du point de vue de la défense nationale, depuis NAPOLÉON, nous n’avons eu que des stratèges imprévoyants. Une politique intérieure néfaste.

À l’âge de 8 ans ma mère travaillait dans l’une des filatures Armel.

Le Clergé tout puissant, participait à cette exploitation des enfants pauvres.

 

En 1870, il ne manquait pas un bouton de guêtres, la guerre s’est terminée par la capitulation de Sedan quelques mois après l’ouverture des hostilités.

Paris occupé.

5 milliards d’or à verser aux teutons.

En 1914, la fleur au fusil, train de plaisir pour Berlin.

Le 75 imbattable.

Où tout cela nous a-t-il menés : la retraite pagaille de Belgique se poursuivant sur les routes françaises, les traînards épuisés, tués par les gendarmes, des chevaux blessés errants dans la nature, la fuite des civils, les Ardennes occupées à 100 p 100 pendant 4 ans.

 

Le miracle de la Marne ?

La bataille de Fère-Champenoise.. sur 4 coups de 75, 3 étaient à blanc.

La retraite de Von Kluch.

 

La guerre des tranchées que les casques à pointes ont inaugurée, tranchées sinueuses à souhait. Les français devaient faire les tranchées droites, un obus explosant balayait à droite à gauche.

L’État-major n’avait pas prévu le danger encouru par les défenseurs.

 

Il fallait couper les barbelés à la cisaille avant de partir à la baïonnette.

Quelle folie !

Quelle incurie !

Retour sur 1915

Apparition des crocodiles : boucliers roulants, avec créneaux à l’avant. L’opérateur à genoux avait une vue restreinte, il risquait de tomber dans un trou d’obus les jambes en l’air.

De toute façon, pour couper les barbelés, il fallait sortir de son bouclier.

 

A la même époque, la torpille Matéi qui consistait à lancer un grappin à l’aide d’un fusil. Ce grappin, accroché dans le réseau, servait à tracter une charge allongée, mise à feu électrique. Les deux systèmes ont été de courte durée.

J’aurais dû expliquer d’abord : avant de couper les barbelés, il fallait en installer la nuit.

Pas besoin d’expliquer qu’il ne fallait pas faire de bruit pour enfoncer les piquets.

Le remède : mettre des sacs à terre sur les ’’mailloches’’.

Les boches ont inauguré les piquets de fer en tire-bouchon.

 

Qui a inventé les gaz ?

Les fusiliers-marins de l’amiral BONARÉS, en ont fait la triste expérience à Dixmude, 1914-1915.

Le contre-espionnage français n’était pas au courant.. Pas de masque à gaz.

(Les pièces d’artillerie de 75 sans recul, 155 longs et courts tractés par Caterpilard à la vitesse de 3 à 4 Km à l’heure, existaient encore en 1940. Il en passait dans les Ardennes le 13 mai 1940, ils montaient en Belgique et ils étaient survolés par les avions boches)

 

En 1915-1916, qui a inventé la guerre des mines aux Éparges et ailleurs ?

 

Retour sur 1916

La blessure

En 1916, année où j’ai été blessé, un avion boche survolait journellement, à basse altitude, tranchées et boyaux, nous l’avions surnommé : « Fantomas ».

 

Avec le soldat FÉRAMUS, originaire du Nord, PONÉTA de Ludes (Marne), nous dirigions une équipe de fantassins de notre classe (1916) dans la construction de « nids de mitrailleuses » qui contenaient 3 hommes maximum, ligne de soutien en cas d’attaque de la 1ère ligne.

L’abri de notre section était à quelques 500 mètres de là.

Chaque jour, vers 10 heures, on s’y rendait pour manger.

Deux itinéraires, un boyau sinueux qui allongeait le parcours ou une route camouflée et plus courte, que nous prenions le plus souvent. Nous pensions être hors de vue des observateurs boches.

 

Le 20 mai 1916, nous marchions côte à côte sans souci, lorsque, une ordonnance avec 2 chevaux qui attendait un officier, nous a interpellés. J’étais à la droite de mes deux copains, le hasard a voulu que je passe à gauche, à ce moment précis, pour lui répondre, car, après quelques secondes nous avons entendu un sifflement.

PONÉTA a crié : « attention.. c’est pour nous ! ».

 

Nous nous couchons, l’obus éclate, j’ai senti un choc, une brûlure derrière la hanche gauche, mes deux copains étaient immobiles, l’un la tête traversée, l’autre des éclats dans la poitrine, j’ai appris, plus tard, ces détails au poste de secours.

Me traînant dans le boyau proche, j’y trouvais des territoriaux et je leur ai dit qu’il y avait deux copains restés sur la route..

Le bombardement continuant, personne n’est allé les chercher.

 

Ma jambe commençait à s’ankyloser, je me suis traîné jusqu’à l’abri où nous devions manger.

J’ai expliqué à des brancardiers que mes deux copains étaient restés, ils sont allés les chercher.

Je ne pouvais plus marcher, on m’a transporté au poste de secours, c’était un abri enterré. Mais on m’a laissé dehors pendant.. ??

Le bombardement continuait, le tir s’allongeant, qu’avaient donc vu les boches ?

 

Quelques artilleurs français sont venus me voir, ils ont regardé ma plaque d’identité : « Reims, 1163 classe 1916 ».

Je n’avais pas encore 20 ans, certains avaient les larmes aux yeux, d’autres me donnaient de la ’’gnole’’

« T’en fais pas gamin, on va leur en foutre plein la gueule à ces salauds ! »

 

Enfin !

On me transporte dans le centre de secours, couché sur le ventre, je ne pouvais plus bouger.

Le Major, aidé des brancardiers, examine ma blessure, il en extrait un éclat de 6 cm et dit :

« Veinard, c’est la bonne blessure, ce sera 20 jours de convalescence.

Ce n’est pas comme tes copains. »

 

On embarque les blessés, dont moi-même, dans une Ford sanitaire dans laquelle nous étions secoués comme des pruniers.

De temps en temps, j’ai demandé à FÉRAMUS :

« As-tu mal toi de ces secousses ? »

PONÉTA, sans connaissance depuis le début, ne bougeait pas..

 

Nous arrivons enfin à Cuperly, l’hôpital de campagne fait de toiles de tente.

Je suis séparé de mes compagnons, on me fait une piqûre antitétanique, je passe la nuit sur un lit de camp à côté d’un inconnu qui a eu une mort atroce, malgré les ballons d’oxygène, ses poumons étaient brûlés par les gaz.

 

 

Le lendemain matin, j’ai demandé des nouvelles de mes copains, réponse de l’infirmier :

« Ils sont morts »

 

FERAMUS Julien Théodore Marcel, 20 ans, sapeur-mineur, 101e compagnie du 9e régiment de génie, mort pour la France le 2O mai 1916 à Cuperly. Il était né à Sallaumines (62) le 1e juin 1896.

 

PONETA Lucien Eugène, 20 ans, sapeur-mineur, 101e compagnie du 9e régiment de génie, mort pour la France le 2O mai 1916 à Cuperly. Il était né à Verzy (Marne) le 22 avril 1896.

 

Le même jour, arrivent des grands blessés, jambes coupées etc..

Les moins gravement blessés, comme moi, étaient embarqués dans un train sanitaire hôpital ambulant, avec salle d’opération, pharmacie, cuisine. Des infirmières distribuaient du chocolat, des cigarettes, de la boisson, il faisait chaud malgré les portes ouvertes.

J’étais couché sur le ventre, je pouvais regarder le paysage. Combien de fois le train s’est-il arrêté pour charger d’autres blessés ?

Je n’ai pas pu compter..

 

Ce que je n’ai pas oublié : pendant un arrêt du train, un avion boche nous a survolés. Les infirmières affolées, passaient pour nous dire :

« N’ayez pas peur, il y a des grandes croix rouges sur le toit des wagons ».

 

Les pauvres !

Elles avaient une frousse, cela se voyait dans leurs yeux.

Enfin, le train démarre, mais pour ou ? Beaucoup, moi compris, rêvaient déjà du Midi.

Arrivée en gare de Troyes, nouvel arrêt, tri des blessés, nous avions tous une fiche rouge accrochée à une boutonnière (je l’ai encore après 63 années).

Petit blessé, je suis débarqué, toujours sur une civière et transporté dans une école transformée en hôpital auxiliaire, adieu le Midi.

 

Le lendemain, on nous enlève l’uniforme et on nous habille d’un bonnet de coton, une grande houppelande, culotte à l’avenant, snow-boot (chaussons montants au mois de mai..).

On se serait cru dans un asile de fous, justifié par une cour entourée de hauts murs. Une discipline de fer, dès que l’on pouvait se mouvoir, il fallait balayer la chambre, cirer le parquet, changer la sciure des crachoirs et y dessiner le numéro de l’hôpital, une discipline de fer..

 

Des camelots étaient autorisés à venir dans la cour pour vendre des cartes postales, peignes, brosses à dents etc..

Maman était venue me voir et elle était passée sans m’apercevoir, j’ai dû l’appeler.

Combien de jours suis-je resté dans cet hôpital ?

J’ai demandé à sortir, alors que je portais encore un pansement.

 

 

Dès que j’ai obtenue l’autorisation de sortir, j’ai pu récupérer mon uniforme avec une convalescence de 20 jours, à l’issue de laquelle je devais rejoindre mon ancienne compagnie.

Lorsque j’ai rejoint celle-ci, elle était stationnée dans une ferme isolée appelée Melette, à quelques Km de Lépine.

Le sergent-major originaire de Laneuville-lès-Wasigny m’a affecté aux cuisines. Je ne connaissais rien en cuisine. Le matériel consistait en une chaudière à faire la potée aux cochons.

L’effectif de la compagnie : 70 hommes répartis en 3 équipes de 8 heures, occupées à faire des galeries et abris, chambres d’écoutes pour les officiers d’infanterie qui leur permettaient d’apprécier les distances : longueur et profondeur en prévision de la guerre des mines qui s’amplifiait de jour en jour.

 

Pour résumé l’équipement de la cuisine : une seule chaudière pour le café, le rata, la soupe. J’étais debout jours et nuits, je ne mangeais plus, j’étais écœuré, je buvais 5 litres de café par jour.

Une fois, on m’a apporté des jambons pleins d’asticots, je les ai fait cuire. Ils répandaient une odeur écœurante.

Une équipe est rentrée, c’était les hommes de soupe qui venaient chercher les plats de campement.

 

« Mais qu’est-ce que tu nous as fait cuire ? »

Les jambons étaient découpés sur la table.

« Nous ne mangerons jamais ça »

Ils vont voir le chef au bureau. Ce dernier vient, m’engueule :

« C’est honteux, vous auriez dû me prévenir ! ».

 

Le salaud, il le savait, il était d’accord avec l’équipe qui allait au ravitaillement à Châlons.

Ils achetaient les fonds de marché invendables à bas prix, la différence passait dans la poche de cette crapule qui faisait bombance avec des putains : champagne et menus de choix.

Une autre fois, c’était des pommes de terre pourries, j’en ai jeté la moitié.

Les hommes ont encore réclamé, résultat : ce salaud m’a accusé d’en avoir vendu au fermier,

il m’a menacé du conseil de guerre..

Trop c’est trop, je me suis fait porter malade, le Major m’a interrogé :

« Alors mon vieux, qu’est-ce qui ne va pas ? »

Réponse :

« Je fais la cuisine depuis des semaines, je ne mange plus, je demande à être relevé pour aller travailler avec les copains c’est tout ».

Le Major :

« Je te fais une lettre à remettre au sergent-major ».

 

L’accueil du sergent-major : c’est des vociférations en tous genres, mais j’avais obtenu gain de cause, c’était l’essentiel.

 

Le jour suivant, je suis parti avec l’équipe du matin pour participer aux travaux en cours sous la direction du sergent RAUTIER, un territorial, un père de famille qui nous appelait mes enfants. Il m‘a désigné pour conduire un treuil électrique qui remontait les wagonnets chargés de craie, de descendre les wagonnets vides qu’une équipe avait déversé à quelques centaines de mètres.

Pour décrire l’ensemble : une galerie centrale, dans le bas une plaque tournante pour les galeries adjacentes. Une ampoule s’allumait pour demander la remontée d’un wagon. La seule difficulté était de ne pas descendre les wagons vides à grande allure, car c’était risquer un déraillement qui aurait eu pour conséquence la destruction d’un ou de plusieurs châssis et provoquer un éboulement qui aurait isolé les hommes du fond.

Par la suite, j’ai été affecté à un tapis roulant à forte déclinaison, il y a eu quelques incidents : des gros blocs mal calés, redescendaient à toute vitesse.

Un jour, j’en avais marre d’enrouler et dérouler du câble, j’ai demandé à notre bon vieux sergent de travailler au fond, il me l’accorda aussitôt.

Entre temps, nous avions changé de cantonnement, nous logions dans un genre d’Abbaye proche de Lépine.

Départ au 3e génie

Un matin au rapport, on appelle :

« MULLER, BAUDOIN etc.., vous partez en renfort à la compagnie 1/51 du 3ème génie, préparez vos sacs ».

 

Adieu le 9ème, les copains du dépôt d’Angers où nous avions fait nos classes.

Nous voici sur la route avec tout le barda, 120 cartouches, musettes, masque à gaz, outils de parc, rien à voir avec la pelle bêche.

C’était lourd, lourd !

 

Nous arrivons à la nuit tombante dans un camp de baraques où l’on nous réparti par escouade :

BAUDOIN, 4ème section, 2ème escouade.

GERVAIS, originaire de la Meuse.

MULLER, 1ère section.

 

Nous étions copains depuis notre incorporation, nous voilà séparés.

Crevé, je me couche sur la paille, non sans m’écarter des voisins, un du nord me dit :

« T’en fais peu fieu demain t’auras des totos ».

 

Le lendemain, aussitôt après le jus, sac au dos, à nous les kilomètres.

À 10 heures, grande halte, la soupe, malgré la fatigue l’estomac crie famine..

- « Au rab min tio çà te donnera des forces, où quet tin copain ».

- « Je ne sais pas, je le connais à peine »

 

On siffle, rassemblement aux faisceaux. GERVAIS rejoint la 13ème escouade, nous reprenons la route, la longue route, où allons-nous ?

Les percos courent :

« Paraît qu’on va dans l’Aisne à Craonne »

 

Combien de villages traversés, combien d’étapes ?.. Je me souviens d’avoir traversé Fismes et terminé notre randonnée près du château de Blanc-Sablon, près de Craonne. Ce château en plein bois, n’a jamais été bombardé, les obus tombaient à proximité, curieuse coïncidence !

 

Nous étions répartis dans des abris couverts de rondins à l’abri des éclats, un obus serait arrivé de plein fouet, nous aurions été ensevelis vivants.

Nous travaillons par équipe à creuser à une grande profondeur, dans un sable fin qui coulait comme de l’eau, c’était un danger permanent d’éboulement, seuls les initiés peuvent comprendre. Par moments, il fallait contourner des blocs de silex de plusieurs centaines de kgs.

 

 

La compagnie que nous avions relevée, avait eu plusieurs hommes emmurés vivants. Nous avancions lentement, cela a duré des jours  et des nuits.

En galerie majeure, c’était pour installer : chambre à coucher, bureaux, salle à manger, W C pour le Général qui devait commander l’attaque du 16 avril 1917.

 

Dans l’équipe de nuit, un homme était désigné pour apporter un repas froid, nous l’avons attendu en vain.

De retour au gourbi, nous l’avons trouvé replié sur lui-même les yeux hagards, il ne répondait à aucune question. Un soldat l’a emmené près du Major qui le questionna sans succès. Croyant avoir à faire à un simulateur, il nous l’a renvoyé.

Après huit jours, il n’y avait aucun changement dans son comportement, il était devenu fou.

Avait-il été commotionné par un obus ?

Sans blessure, c’est probable, il a donc été évacué, nous ne l’avons jamais revu.

 

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Retour sur 1917

Offensive du chemin des Dames : Craonne 16 avril 1917

Début 1917, nous creusons dans la roche un abri en galeries majeures au château de Blanc-Sablon pour le Général ; un autre pour les mitrailleurs au carrefour de la tuilerie, avec un puits débouchant dans un trou d’obus, observatoire donnant sur Craonnelle.

Plus tard, toujours la nuit, nous traversons une rue de Craonnelle, un par un en courant. Une mitrailleuse boche envoyant des rafales au hasard.

À partir du trou du sergent-major, on creusait des boyaux d’approche en prévision de l’offensive du 16 avril 1917.

 

Au petit jour, par une rafale de neige, la 1ère vague : 1er, 201, 33, 43 s’élance à l’assaut de la tranchée du Balcon, accueillis par un barrage nourri.

L’infanterie avait un grand carré blanc dans le dos ; 2ème vague, dont la Cie 1/51 faisait partie. Pas de sac, toile de tente en sautoir, nous devions établir des passerelles sur l’Ailette et coucher à Sissonne.

Deux par deux nous sautons de trous en trous et arrivons enfin à la tranchée du Balcon complètement bouleversée..

 

 

Carte sur laquelle on peut situer la tranchée du Balcon : Cliquer sur la carte

 

16 avril 1974 – 16 avril 1917 : Anniversaire de la boucherie de Craonne, inoubliable pour ceux qui l’ont vécue et pourtant aujourd’hui je me demande si ce n’est pas un cauchemar.

Comment imaginer une attaque constamment ajournée, comment les nerfs ne craquent-ils pas ? On est comme des condamnés à mort, dont on remet l’exécution de jour en jour.

 

 

Et puis une nuit, rassemblement pour l’assaut dans des abris faits à la hâte, consistant en des trous pratiqués à gauche et à droite des boyaux avec une tôle de 0,08 d’épaisseur, de la terre dessus pour les dissimuler à la vue des observateurs terrestres ou aériens.

Trous pouvant contenir une dizaine d’hommes.

 

L’attente du petit jour, puis en avant, il neige à gros flocons.

Ma compagnie devait partir en 3ème vague, par suite du reflux de la 1ère vague des survivants ayant réussi à pénétrer dans la 1ère ligne boche, en l’occurrence la tranchée du Balcon située en haut du plateau troué comme un gruyère, farci d’abris, de boyaux de communications creusés en sapes russes, tapissés de fils sur les côtés sous les pieds, tout cela camouflé ;  ordre nous est donné de partir avec la 2ème vague afin de vérifier si tout cela n’était pas destiné à l’allumage des mines ; c’était notre travail à nous, que l’on traite souvent d’embusqués, nous étions deux compagnies pour une division !

 

Le 1er, le 201ème, le 33ème et le 43ème d’infanterie nous voyaient bien de temps en temps, nous n’étions pourtant pas inactifs, mais souvent dans des tâches obscures, ingrates, trop longues à énumérer.

Nous sommes donc partis par groupe de deux, fonçant à perdre haleine de trous en trous, une petite pause et on repart en enjambant les morts de la 1ère vague, les blessés qui attendent les brancardiers, avec au-dessus de nos têtes ce mur de ferrailles obus boches et français, on ne les entend plus c’est un roulement continu : 77 – 88 – 130 – 150 – 210  boches nous arrosent copieusement.

Comment peut-on passer au travers de cet enfer, c’est incroyable !

 

On se regarde pendant les courtes pauses, sans parler, à quoi bon dans ce vacarme. J’étais avec FOURNIER, un cabot de la 4ème section, un brave type, un moral d’acier.

Après avoir parcouru une distance que je ne pourrais plus évaluer aujourd’hui, il me fait signe qu’on repart.

Je lui fais non, non.

Il insiste, me prend par les bras en me tirant hors du trou, et nous voilà repartis, nouvelle course à la mort.

Enfin nous arrivons épuisés, nous écroulant dans un restant de tranchée, cette fois c’est vraiment l’enfer, les 155 français tirent sur nous, l’infanterie envoie des fusées : « allongez le tir » mais sans succès, le massacre continue.

 

Je suis maintenant avec LEBLOND, un mineur du Pas-de-Calais, nous nous traînons pour changer de place, les mitrailleurs boches s’en donnent à cœur joie, si on montre le bout de son nez.

Nous passons à côté d’un blessé qui cherchait sûrement après les brancardiers, repéré par une mitrailleuse, il a reçu tellement de balles que le fond de son pantalon n’existe plus, c’est une bouillie sanglante, chair et étoffe mélangées.

Il n’y a plus de tranchées, nous allons de trous en trous d’obus, pourquoi ?

Qui pourrait le dire ?

À quoi pense-t-on ?

 

Oh ! On ne va pas loin, il faut d’ailleurs rester en liaison avec notre section, nous nous affalons dans un trou où il y a deux boches morts, l’un avec une petite moustache, les yeux grands ouverts qui nous regardent.

LEBLOND décide de fouiller leurs musettes, y trouve du chocolat que l’un d’eux avait pris dans la musette d’un français, car eux n’en avaient pas.

Il m’en offre la moitié que je crache aussitôt, il sentait le mort… nous finissons par les sortir du trou et nous en faire un parapet, pendant une accalmie.

 

Au plus fort des bombardements, nous nous sommes toujours demandé comment par quelle sorte de phénomène, cela pouvait se produire ? Un silence qui dure une fraction de seconde.

Enfin, retransmis de bouches à oreilles, arrive l’ordre de regroupement des escouades sur les chefs de section. Nous allons visiter ces fameux abris minés qui, par chance, ne le sont pas.

Sans doute par manque de temps ?

 

Installation électrique en cours d’exécution nous ne le saurons jamais.

Tout à coup, nous entendons parler boche. Il ne faut pas oublier que nous sommes sous terre et que le bombardement est maintenant assourdi. Avec précaution, dans l’obscurité, nous avançon le mousqueton en main. L’homme de tête fait passer le mot : « reculez, il y a un mur de sacs à terre qu’ils ont édifiés en vitesse pour nous couper de leur 2ème ligne.

Alors, nous attendons de nouveaux ordres, ce n’est pas qu’on soit mal, nous sommes à l’abri, mais nous avons peur d’une contre-attaque et d’être pris au piège comme des rats.

 

Enfin, un agent de liaison arrive, il s’est fait mitrailler à l’entrée du trou par une mitrailleuse qui n’était pas là à notre arrivée et, elle est maintenant en surveillance.

À plusieurs reprises, on fait passer un casque qui traînait, une boîte, un chiffon, la rafale arrive aussi sèche.

Le chef de section décide d’attendre la nuit, nous sortirons un par un et en vitesse comme des diables qui sortent d’une boîte.

Où devons-nous aller ?

Nous ne l’avons jamais su, nous nous sommes retrouvés (ma section) entre les villages de Craonne et de Craonnelle, dans un gourbi appelé le gourbi des mitrailleurs.

 

Nous attendons des heures, le jour est venu, le bombardement continu, mais nous sommes en sûreté.

Nous voyons défiler à la charge, des conducteurs qui ont dû abandonner les pièces de 75 sous le bombardement des boches, qui devient infernal.

On crève de soif, nous savons qu’il y a une source pas très loin mais… personne ne veut y aller. Enfin l’un d’eux se décide, je ne me souviens pas de son nom, il part avec une dizaine de bidons et, miracle !

Il revient sans être blessé.

 

À partir d’ici, se déroule un épisode dont je me souviens : BOUVIER que nous avions nommé Fiasco, n’arrêtait pas de dire :

« Merde, j’ai envie de chier ».

Je lui réponds :

« Moi aussi… ».

 

Et pas question de se soulager dans le gourbi, il me regarde et dit : « on y va ? »..  On se déséquipe, on tient la culotte à la main, prêts à sortir.

Et boum !

Çà bombarde plus que jamais, on rentre, on sort je ne sais combien de fois et enfin on se décide, tant pis. Mais nous avons fait vite, pas question de s’éterniser dehors.

 

Les heures passent lentement, un agent de liaison vient nous annoncer que le 1er corps a été relevé la nuit dernière à la faveur de l’obscurité et nous transmet les ordres nous concernant :

--Rendez-vous à Beaurieux par deux, par quatre au maximum, éviter les groupes, se dissimuler au maximum.

--Éviter de se faire repérer par les saucisses

--Passer par un dans les endroits découverts.

 

J’étais, je crois, avec LEBLOND.

Après plusieurs Km, nous avons la surprise de retrouver Craquette, une petite chienne qui nous suit depuis quelques mois. Nous l’appelons, elle vient aussitôt et se roule à nos pieds. Elle s’était enfuit avant l’attaque française, les Boches avaient émis des gaz, son instinct aidant, elle s’était repliée vers l’arrière, brave Craquette.

Nous avons fini par la perdre pendant un déplacement de secteur.

Par la suite, nous avons eu 2 écureuils et, en même temps, une chèvre.

On leur donnait le lait de la chèvre. Ils sautaient de sac en sac et, un jour, pendant la grande halte, alors que nous étions en train de manger, nous avons vu un groupe de fantassins qui couraient après les écureuils avec des bâtons et leur jetaient des pierres.

Et, hélas ! Nous sommes arrivés trop tard, ils étaient tués.

 

Après, nous avons eu un corbeau, un matin, nous étions en train de boire le jus, il faisait : « coua, coua », ouvrait le bec au maximum, un cinglé lui verse son quart de café bouillant, le malheureux s’est débattu. Oh ! Pas longtemps, sa carrière était terminée.

 

Il y avait aussi les rats, mais ceux-là pas moyen de les apprivoiser, pourtant la nuit ils nous passaient sur la figure. Nous étions obligés de pendre tout ce qui était mangeable.

Ah ! Les cochons !

On les prenait au collet en les laissant crever en longueur, les yeux sortaient de la tête qui était enflée au point d’être le double de la grosseur normale, on leur donnait des coups de mousqueton à bout portant.

Nous avions l’impression que plus on en tuait, plus il y en avait. C’était une lutte sans merci, comme celle livré aux poux.

 

Après deux jours passés à nous nettoyer, à passer les clous de nos souliers de rechange fixé au sac, fourbi les armes, etc.., nous partions à pieds pour une destination inconnue comme toujours.

Enfin, nous arrivons dans le camp de Mailly, ou plutôt dans les villages environnants ; ce qui restait de la première division. Il arrive des renforts pour boucher les trous des effectifs.

 

Un soir, à l’appel, les chefs de section nous apprennent que le lendemain la division sera passée en revue par le Général.

Par un beau soleil de mai, nous voici réunis dans le camp où nous étions arrivés dans la matinée, en plein soleil, la capote sur le dos, bien cravaté, crevant de soif, nous attendons l’heure du défilé qui commence par les 75 attelés de 6 chevaux.

Ils passent au galop, ce qui dégage une poussière irrespirable. Puis, c’est notre tour : Infanterie, Génie, Service de santé, etc.. au pas cadencé, baïonnette au canon, nous passons devant le ’’Seigneur’’ en faisant tête droite.

Les mutineries

Puis c’est le retour dans nos cantonnements respectifs.

Mais la révolte gronde, sourdement et, un matin, nous apprenons que le 1er corps est en rébellion, l’infanterie a fait des tas de sacs, de fusils et y mettent le feu ; ils avaient gardé les mitrailleuses, avec l’éloignement du temps, je ne peux l’affirmer.

Je crois que cette révolte a duré deux jours, les officiers, se présentant avec des drapeaux blancs, essayaient de parlementer. Mais ils étaient accueillis par des salves de mitrailleuses.

Il fallait bien une fin, les mutins ont fini par capituler.

La suite est facile à deviner… la division a été rassemblée en carré, des officiers supérieurs sont passés : « vous sortez des rangs, vous, vous etc.. ».

Résultat : les hommes désignés ont été fusillés, sans conseil de guerre pour faire l’exemple.

 

Le lendemain, nous partions par la route, toujours pour une destination inconnue, c’était l’habitude.

Après plusieurs jours de marche, nous arrivons à Provins où nous embarquons dans des wagons à bestiaux.

 

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Un incident de parcours durant la marche vers Provins

 Il faisait chaud, très chaud, il était environ 10 heures, nous marchions depuis le matin, avec naturellement la pause de 10 minutes toutes les heures.

La fatigue aidant, on criait : « la pause ! ».

On crevait de chaleur, harnachés comme des bourriquots. Le sac pesait 35 Kg minimum, plus le reste.

 

Nous entendons un coup de sifflet, nous formons les faisceaux, sacs et fusils réglementairement alignés. Nous nous étendons sur l’herbe.

De bouche à oreille se transmet une information : « à la fin de la pause, au lieu d’obéir au sifflet, on reste couché ».

Ce qui fut fait.

 

Après plusieurs essais, le capitaine rassemble les chefs de sections.

« Que se passe-t-il ? ».

Réponse :

« Les hommes veulent bien repartir, à condition que les officiers descendent de cheval et prennent un sac et un fusil ».

Ce qui fut fait.

 

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Nous sommes enfin arrivés en gare de Provins au moment où l’orage crevait, un vrai déluge !

Nous embarquons dans les wagons. Où allons-nous ? Des bruits courent :

« Il paraît que nous allons en Belgique »

Et c’était bien vrai.

Les Flandres belges

Après des heures interminables, nous débarquons en pleine nuit à Coudquertebranche près de Dunkerque sous la pluie battante, sans quai de débarquement, sans lumière, défense de fumer.

Nous aidons le train de combat : cuisine roulante, fourgons, sont poussés à même sur le ballast. Les chevaux ne veulent pas sauter, ils cornent, on leur passe une prolonge sur les fesses et, à 15 ou 20 hommes, on les précipite dans le vide.

Pour la nième fois, nous prenons la route et nous nous retrouvons des heures plus tard à Woesten (Flandre Belge) où l’enfer de la boue et des gaz nous attendent...

 

(Flandres le 13 ou le 14 juillet).

Le village est encore habité, on nous réparti par section dans des baraquements construits pour les troupes Belges que nous venons de relever.

Secteur calme en apparence, la nuit arrivée certains allument des bougies pour écrire ou pour jouer aux cartes, le résultat ne se fait pas attendre : rafales d’obus, bilan 20 morts.

Les boches avaient-ils été informés ?

Avec MULLER, nous allons nous cacher dans les fossés de la route où j’ai perdu un couteau à cran d’arrêt.

 

Le calme revenu, nous regagnons notre baraque qui n’avait pas été touchée et, nous ne dormons que d’un œil.

La nuit suivante, nous sommes monté en ligne, les fantassins français étaient déjà à pied d’œuvre, nous étions chargés de transporter sur des wagonnets du matériel de toutes sortes.

Les Belges utilisaient des automotrices qui faisaient du bruit, les boches les laissaient faire. Pour nous, pas question d’utiliser les machines, on poussait les wagonnets. Cela n’a pas duré longtemps, les bombardements détruisaient les voies. Il a fallu abandonner ce genre de transport.

C’était le prélude de l’attaque du 31 juillet 1917, qui a été précédée d’un bombardement qui a duré six jours et six nuits, par des pièces allant du 75 au 380 même des pièces de marine.

 

Après deux jours, j’ai été désigné avec HÉRON et LETELLIER, 3 par section, pour accompagner un groupe franc de l’infanterie pour une reconnaissance dans les lignes boches.

La nuit, pendant un temps variable, l’artillerie française allongeait le tir, on partait dans un nuage de fumée en évitant de tomber dans des trous pleins d’eau.

Un court instant, à la lueur des fusées éclairante, on apercevait un paysage dantesque.

Nous marchions, reliés par une corde au ceinturon, pour nous tirer d’un mauvais pas où l’on risquait d’être enlisé.

La mission était de ramener des prisonniers, deux jours de permission supplémentaires par tête.

 

Après 7 nuits d’incursion, nous avons fait un prisonnier.

Il crevait de faim et de soif.

Comment avait-il échappé au pilonnage ? Des abris en ciment avaient été retournés, emmurant les occupants et cela, sur une profondeur de 3 Km à l’intérieur des terres.

Notre patrouille a perdu 2 fantassins volontaires qui montaient en ligne pour la première fois. Nous les avons ramenés en arrière sous un bombardement intense.

Les boches avaient reculés, mais commençaient à récupérer avec des renforts de l’arrière.

Avant l’attaque déclenchée huit jours plus tard, nous avions progressé de 3 Km environ, pour être bloqué en lisière de la forêt d’Houlust.

Il restait à organiser le terrain : pistes en rondins pour les caissons d’artillerie, caillebotis pour les hommes. Tous ces travaux se déroulaient la nuit, le matin on rentrait crevés dans des abris pleins d’eau, abris précaires où on était seulement à l’abri du vent. Ces abris étaient en tôle ondulée et recouverts d’un peu de terre pour les dissimuler à la vue des avions.

Nous rentrions le matin, couverts de boue, certains avaient coupé le bas de leur capote.

Nous étions bombardés d’obus à gaz jour et nuit, l’enfer sur terre !

Par la suite, nous avons établi des ponts sur pilotis en plein jour pour franchir le canal de l’Yser, sous le bombardement de longue portée, des 100 et 210 fusants et percutants.

Ensuite, près des premières lignes, nous fabriquions des passerelles pour les agents de liaison.

L’hôpital

Le secteur était transformé en une mer de boue, j’ai contracté une furonculose aux deux jambes nécessitant mon évacuation sur l’hôpital d’Amiens où j’en ai vu de toutes les couleurs : pointes de feu tous les jours pendant un mois, régime de salade cuite, pas de vin.

Toutes les nuits, les avions boches bombardaient la gare, une erreur çà nous tombait dessus, le seul abri était de se cacher sous le lit.

 

Après un mois à l’hôpital, convalescence de 20 jours à l’issue de laquelle, j’ai rejoint La Courneuve pour me faire rééquiper sac et fusil etc..

Deux jours avant mon départ, j’avais un nouveau furoncle entre les deux fesses.

Nous étions plusieurs au départ, on nous place sur deux rangs pour l’appel.

« Rien à réclamer ? »

Je lève la main, explique mon cas.

« Vous n’auriez pas pu le dire plus tôt ! »

Je rends tout mon équipement, on me dirige sur un centre d’éclopés, entouré de murs garnis de tessons de bouteille, et gardé par des territoriaux, baïonnette au canon. On m’introduit dans l’un des baraquements où j’attends la visite du Major.

À peine arrivé, il commence à m’engueuler :

« Encore un tir au flan, tu mériterais de passer au conseil de guerre ; déshabille-toi.. ».

Je m’allonge sur le billard.

« Es-tu courageux ? »

 

Après m’avoir traité de lâche, il prend son bistouri et taille sans insensibiliser.

Je mordais mon poing, une sœur assistait à ce charcutage, le Major se tournant vers elle :

« Donnez-lui un verre de rhum ».

Il m’enfonce une mèche.

 

Mèche que l’infirmière me changeait chaque jour ensuite.

Le Major m’a donné l’ordre d’aller au lit, défense de me lever pendant un mois, défense de fumer au lit.

Les jours suivants, la sœur m’a proposé de jouer aux dames. :

« Je veux bien si je gagne… une cigarette ».

« C’est défendu au lit »

Elle se laisse convaincre.

 

Après plusieurs jours :

« Ma sœur, une cigarette, ce n’est pas beaucoup ».

« Vous n’êtes jamais content »

Mais elle consent.

Jeanne

La nourriture : régime, boisson thé ou tisane. Les journées étaient longues.

J’ai écrit à Maman qui a donné mon adresse à Jeanne que je n’avais pas vue depuis 1914.

 

Un jour, je la vois entrer avec sa mère.

Quel changement !

Ce n’était plus la gamine avec qui j’avais tant joué à la Grange au Bois, au Bouriquet, mais une grande jeune fille qui m’intimidait, que je n’osais pas embrasser.

La visite terminée, on promet de s’écrire.

 

C’est ce qu’elle a fait la première. Je ne savais que lui répondre ?

Parler de la guerre ?

De notre misère ?

Non. Mais quoi d’autre ?

Lorsque l’on côtoie la mort.. ??

 

Jeanne avait envoyé des boîtes vides hermétiques à Maman pour me faire des colis. Elle ne pouvait pas faire mieux, car c’était le rationnement en ville.

Après mon départ du centre d’éclopés, elle m’envoyait des livres.

 

J’ai quitté le centre la veille de l’explosion d’un dépôt de munition à La Courneuve. Après l’explosion, il ne restait rien du centre d’éclopés que j’avais donc quitté la veille.

Me voilà de nouveau dans le secteur de Craonne où je retrouve ma compagnie, il fait froid, le pinard gèle dans les bidons.

Retour sur 1918

En 1918, nous étions sous un bombardement d’obus à gaz, tassés dans un abri, un homme d’environ 40 ans a arraché son masque et s’est mis à hurler. Nous avons été obligés de le maîtriser et de lui remettre son masque par la force.

Il criait :

« On va tous mourir ! »

 

Pour ma part, j’en avais pris une bonne dose, mes yeux pleuraient, mon nez coulait, j’étais obligé de tout avaler, impossible de cracher avec le masque.

Serrés les uns contre les autres, nous pensions notre dernière heure arrivée, j’avoue que j’avais une trouille intense.

27 mai 1918 : LUDENDORF perce les lignes au Chemin des Dames.

Nous étions au repos et regardions un match de foot du 1er d’infanterie..

Sonnerie de clairon, rassemblement au pas de gymnastique. Nous montons dans des camions, destination inconnue comme toujours.

Arrêt en pleine nature.

« Tout le monde descend, chargez vos armes, en tirailleurs ».

 

Il n’y a plus personne devant nous que les Boches, qui vont apparaître d’un moment à l’autre..

Nous venons de prendre contact.

Hélas ! C’était vrai.

Pas un coup de canon de chez nous, tout avait été raflé.

 

Cela a duré 5 jours, sans ravitaillement (nourriture), on vivait de ce que l’on trouvait dans les villages. Dans quelques maisons, les assiettes étaient encore sur les tables.

Un soleil de plomb, on crevait sous la capote et tout le barda, personne ne l’a abandonné.

Seul, LANGEAR, de mon escouade se plaignait de ses pieds et me disait :

« Eugène, je ne peux plus marcher, les pieds me saignent » (expression du Midi).

Je lui réponds :

« Couche-toi dans l’herbe ».

 

Pour le soulager un peu, j’ai pris son mousqueton, c’était bien peu, mais cela l’a encouragé. Nous étions harcelés par les boches.

 

Nous sommes en 1918, je passe sur les retraites, ce serait trop long. Ainsi que sur l’offensive du 31 juillet 1918, à la suite de laquelle le 1er corps est envoyé au repos dans un secteur calme en Alsace : au mont Sudel près de l’Hartmannswillerkopf de triste mémoire, où tant de chasseurs à pied ont laissé leurs os.

Armistice

Enfin, c’est l’armistice, notre entrée en Alsace, en Allemagne, en passant par MetzSarrebruckMayenceKlein-Gérau, limite extrême de l’occupation et tout ce chemin à pieds   - Darmstadt à 10 Km étant zone neutre.

Retour sur 1919

 

Depuis des mois, je n’avais plus de nouvelles de ma compagne de jeux d’enfance. J’ai écrit une carte destinée à toute sa famille, c’est sa sœur qui m’a répondu.

Jeanne est en convalescence de la ’’grippe espagnole’’, elle ne peut pas me répondre.

Sa sœur écrit :

« Nous avons eu peur de la perdre, elle t’écrira dès qu’elle pourra ».

 

Quelques semaines après, j’ai reçu une courte lettre :

« Cher (cousin René) nous ne l’étions d’ailleurs pas. (*)

 

Jeanne écrit :

« Je vais mieux, comment trouve-tu les bochettes ? »

« Écris-nous plus souvent, la famille se joint à moi pour t’embrasser. »

« Bon courage à bientôt. »

 

(*) : Note de Michel : « à plus de 80 ans, papa m’a expliqué pourquoi maman n’était pas, en réalité, sa cousine. »

 

Un bientôt qui s’est fait attendre, je ne l’ai revu que le 15 août 1919 à Novion où elle était venue passer 8 jours.

C’est pendant ce court laps de temps, que nous avons décidé d’unir nos destinées.

 

J’ai été libéré début septembre 1919, trois jours après, j’allais à Colombes, notre joie! J’y suis resté quelques jours trop courts.

Ensuite, quelques courtes visites jusqu’en janvier 1920 où Jeanne décidait que je devais venir travailler en attendant notre union. Union qui, nous l’espérions, devait durer de longues années.

 

Hélas ! Un destin aveugle, cruel, devait nous séparer après 18 ans.

Cinq mois d’hôpital, ses souffrances, son courage, mes trop courtes visites. Nous cachions nos larmes. Et la fin de notre beau rêve.

 

Jeanne chérie, je n’oublierai jamais tout ce que tu m’as donné.

 

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Je désire contacter le propriétaire des souvenirs d'Eugène BAUDOIN

 

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