Publication :
Mars 2006
Mise
à jour : Août 2024
Prologue
Richard P. nous dit en mars 2006 :
« Bonjour, bravo pour votre site et bravo
pour les rubriques. Je possède une lettre de mon grand-père qui écrit depuis
l'hôpital de Toulon le 19 juin 1915, où il a été évacué après une blessure
survenue aux Dardanelles le 4 juin 1915. Dans cette lettre, en dehors des
nouvelles "familiales", il relate dans quelles circonstances il a été
blessé. Cela vous intéresse-t-il et dans l'affirmative, l'original de la lettre
vous est-il indispensable ou une copie de l'extrait de ce récit vous suffirait
elle ? Merci pour votre réponse. »
Contacts
avec des internautes depuis la mise en ligne (en 2006) :
Maurice CARADEC, contact en avril 2007 :
« À la demande
de chefs d'établissements scolaires, j'exposerai cette année ainsi que l'année
prochaine une expo sur la grande guerre. Je recherche à cette occasion des
documents et lettre d'anciens "poilus". Cette démarche est effectué a
titre de bénévole et je n'ai aucun intérêt dans cette affaire, bien au
contraire. Pouvez-vous me faire parvenir une copie de la lettre de Mr BONNEAU
André, ainsi que des documents ? Merci »
Didier ROUSTAN, contact en novembre 2008 :
« (…) Donc mon
grand oncle du 176ème s'appelait ROUSTAN Henri mort de maladie à MOUDROS sur
l'île de LEMNOS le 21 août 1915. Bien qu'apparemment ce régiment se composait
de plus de 3000 hommes, je me disais qu'avec beaucoup de chance, votre grand
père aurait pu le côtoyer voire le connaître. Moi mis à part sa fiche militaire
trouvée sur SGA mémoires des hommes, sur les journaux de marches, c'est tout ce
que j'ai. »
Mano MORICE, contact en août 2016 :
« Bonjour, je
découvre la lettre de votre grand-père sur le site du Chtimiste qui m’a
particulièrement intéressée puisque le grand-père de mon mari, François TELLIER
a été blessé aux Dardanelles le 4 juin 1915 … laissé pour mort sur le champ de
bataille avant d’être secouru et hospitalisé …Et je tente de retracer son
parcours à cette période. Je possède en particulier, 2 photos que je joins à
mon message, mais j’ignore où elles ont été prises ? Auriez-vous des éléments à
me fournir ? Merci par avance pour votre aide, cordialement»
Nathan DEVOS (14 ans), contact en novembre 2016 :
«Bonjour, je prépare
une présentation orale (EPI) pour ma fin de 3ème au collège de Vélines
(Dordogne) sur le sujet suivant : la bataille des Dardanelles durant la 1ère
guerre mondiale.
Pour étoffer ma
présentation, j’aurai besoin d’une photo de la lettre manuscrite d’André
BONNEAU. Si vous avez d’autres éléments pour agrémenter mon sujet, je suis
preneur.
Je vous remercie de
l’attention que vous porterez à ma demande. Je me tiens à votre disposition si
vous souhaitez plus de précisions sur l’objectif de ma demande.
Quelques semaines plus tard :
« Merci
beaucoup grâce à vous mon oral est enfin complet je passe en janvier pour ÉPI
blanc et en mars pour le définitif. Bonne journée. Nathan.»
Remerciements
Merci à Richard PIAUTON
pour la lettre de son grand-père.
Merci à Philippe S. pour
les corrections éventuelles et certaines recherches.
Nous avons ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes
et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit. Pour
une meilleure lecture, j’ai volontairement ajouté des chapitres, sinon le reste
est exactement conforme à l’original.
Introduction
André Pierre BONNEAU est né en juin 1895 à Saint-Médard-en-Jalles (33). À son incorporation en 1914, il déclare être ‘’ peintre en voiture ‘’ et est affecté au 18ème régiment d’infanterie le 16 décembre 1914. Après sa formation, il passe au 176ème régiment d’infanterie début mars 1915. Ce régiment part vers les Dardanelles.
Extrait
de la lettre
« C’était le 4 juin, ce jour-là, nous faisions une attaque générale :
A 11 heures, les pièces d’artillerie anglaises et françaises se mettent à cracher (environ 200 pièces). C’est un bruit épouvantable, le sol tremble, certains coins de tranchées s’éboulent, on se dirait dans le cratère d’un volcan en éruption.
A 11 heures ¼, nous partons à la baïonnette, nous sommes comme fous, figurez-vous qu’avant de charger, nous avons bu 3 quarts de vin et 1 de rhum. C’est une mêlée terrible ; nos obus éclatent à 100 m par devant nous, faisant de terribles ravages dans les rangs turcs.
4 heures : après de durs corps à corps, nous sommes maîtres de 2 tranchées ennemies.
5 heures : nous partons à l’assaut de la 3ème tranchée, les obus pleuvent, les mitrailleuses turques nous criblent, faisant parmi nous beaucoup de vide. Nous avançons toujours, sur 250 de la compagnie, nous ne sommes plus qu’une quarantaine, lorsque tout à coup nous entendons un obus venir sur nous (car nous connaissons bien la musique lorsqu’ils sont pour nous).
Nous nous jetons à terre, je reçois un violent choc dans le côté gauche du dos, et je reste là, à moitié assommé. Les quelques hommes qui restent de la compagnie se replient car l’attaque de la 3ème tranchée est pour le moment impossible.
Je suis donc là, à environ 30 m des Turcs, je les vois tirer, mais je me garde de bouger car je sais que les blessés, ils ont tôt fait de les achever. Voilà que près de moi, un camarade blessé se soulève ; me voyant sans mouvement, il me dit :
« Bonneau, es-tu mort ? »
Les Turcs l’ont aperçu, j’entends 4 ou 5 coups secs (clac-clac), mon camarade n’est plus.
Je suis resté là jusqu’à la nuit (4 heures de temps), ces heures-là passées au milieu des cadavres, des blessés râlants, appelant leur mère, oh ! Je ne les oublierai jamais.
Moi aussi je pensais à vous tous, mais je n’avais pas peur, quelque chose me disait que je vous reverrez.
8 heures ½ : la nuit est venue, alors doucement, en rampant, m’accrochant aux herbes, me traînant comme je pouvais, malgré ma souffrance, je réussi à arriver jusqu’à la tranchée française. Là, j’ai été pansé, puis évacué sur Alger par bateau, et comme les hôpitaux étaient complets, l’on m’a dirigé sur Toulon où je suis en traitement.
Que cette
lettre ne soit lue que par la famille car je vous dis des choses qui me sont
défendues. »
André
BONNEAU, le 19 juin 1915 à l’hôpital de Toulon.
Questions - réflexions
Sans mettre en doute les écrits d’André, des choses paraissent curieuses :
Le journal du régiment (JMO) dit :
3 juin 1915 : « Le
régiment est en repos au bivouac. » (Bivouac dans la plaine de Morto-Baie, JMO 29/05).
4 juin : « Attaque générale des
positions turques – Le régiment (176e RI) est en réserve générale du CEO (corps
expéditionnaire d’Orient) et ne quitte pas ses emplacements de bivouac. »
5 juin : « à 5 heures, les 1e et 2e bataillons (…) se
portent en réserve (..).
Le régiment ne semble pas avoir participé à l’assaut général… Pourquoi
dit-il cela ? (Voir
le JMO). S’agit-il de ‘’ l’assaut général ’’ de tous les régiments ?
Autre chose :
Mémoire des Hommes comptabilise 1 tué le 4 juin et 5 tués le 5 juin au
176e RI. Que 5 tués pour une ‘’ attaque générale ‘’ ?
Pourtant André dit : « Nous
partons à l’assaut de la 3ème tranchée, les obus pleuvent, les mitrailleuses
turques nous criblent, faisant parmi nous beaucoup de vide. Nous avançons
toujours, sur 250 de la compagnie, nous ne sommes plus qu’une
quarantaine ».
En feuilletant les JMO de la 1e division et de la seconde, les pertes
s’établissent à environ 1100 hommes tués, blessés et disparus (mais pertes
insignifiantes au 176e RI !).
Le 176e RI appartenait avec le 2e RMA (régiment de marche algérien) à la
3e brigade qui était la brigade métropolitaine de la 2e division coloniale
(l’autre brigade dite coloniale - 4e brigade - était constituée des 7e et 8e régiments
mixtes coloniaux. (De même, la 1ère division avait 1 brigade métropolitaine :
175e RI et 1er RMA, et une brigade coloniale : 4e et 6e régiments mixtes)
Par ordre du CEO, chaque division devant mettre un régiment en réserve
générale, ce fut bien le 176e RI pour la 2e division…
Aucun des JMO division, brigade ou régiment ne mentionne de détachement
partiel de troupes du 176e RI. Cependant, le JMO du CEO indique qu’à 13h35, la
2e division avait déjà engagé 2 bataillons de réserve de secteur et demande
d’en prélever un de la réserve générale … était-ce un du 176e RI ?, ce n’est
mentionné nulle-part.
Si c’est le cas, ce qui est possible est que le début de la lettre
concerne l’attaque en général et que André n’ait été engagé que lors de la
reprise de l’attaque à 16h en utilisant des réserves.
Seul le 176e régiment
d’infanterie était en réserve de la 2e division, l’attaque concerne
tous les autres unités cette division : Voir
JMO de la division.
Le plan
au 31 mai montre bien le 176e en réserve assez loin des tranchées. Alors ?
Un internaute a-t-il une idée ?
Le JMO du CEO indique que
l’attaque des fantassins a démarrée à 11h15 alors qu’elle a eu lieu à 12h
précises (tous les JMO le confirment). Il y a bien eu une interruption du
bombardement allié à 11h15 pour reprendre ensuite de 11h30 à 12h00, et s’il
était alors en réserve à l’arrière et non dans les vagues d’assaut, il aurait
pu croire que cette arrêt du bombardement correspondait à l’assaut (et que la
reprise était la réaction turque).
La fiche matriculaire d’André
mentionne sa blessure au 5 juin et non le 4, mais comme il a fait le mort jusqu’à
la nuit avant de rejoindre ses lignes, il n’a dû être enregistré comme blessé
que le 5.
La suite :
André BONNEAU passe au 105ème régiment d’infanterie en avril 1916 – Passe au 7ème régiment de Tirailleurs algériens en août 1917 – Caporal en octobre 1917 – Passe au 11ème régiment de Tirailleurs algériens en janvier 1918 – Sergent en août 1918 – Blessé le 19 août 1918 par éclat d’obus au thorax gauche à Lassigny (Oise) – Réformé – Déclaré 100% mutilé de guerre.
Croix de guerre, 3 citations (une à la division, deux au régiment), médaille militaire (1933), Légion d'Honneur (décembre 1935).
Il est décédé le 20 octobre 1937 à 42 ans.
Contacter le propriétaire
de la lettre d’André BONNEAU
Voir sa fiche de Légion
d’Honneur
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