Mise à
jour : Octobre 2014
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Gérard m’écrit en août 2014 :
« Je
vous adresse le carnet recopié intégralement de mon grand-père Elie BOUCHER,
sergent au 1er Zouaves de Marche, bataillon de départ H, 24ieme compagnie.
Né en 1880 à
Naours dans la Somme. Il sera tué en tranchées dans la 1ere bataille de
l'Artois à Écurie prés d'Arras le 20 novembre 1914.
Je suis très
heureux que vous acceptiez de le faire paraître sur votre site, car je
considère que ces hommes que je nommerai des Héros méritent d'être honorés, et
que le maximum de personnes doivent connaitre leur
vécu.
Je vous adresserai en deuxième courrier
quelques photos »
Merci à Monique et Patrick, pour la recopie
Préambule
Elie, est né le dimanche 19 septembre 1880, à Naours, en Picardie. Ce
village, du département de la Somme, situé à 18 kilomètres au nord d’Amiens, est
assis dans une large vallée, dont les trois sinuosités aboutissent à la
montagne du ‘Guet’. Sous ce relief, s’étendent les célèbres souterrains ou
refuges.
Fils unique de Célestin, il réalise son service
militaire dans les Zouaves en Algérie.
De retour en France, il rencontre une jurassienne,
Marie Eugénie PONARD, qu’il épouse à Saint-Claude, le samedi 29.juillet 1905.
Cette ville était spécialisée dans la taille des diamants. Ils s’y installent,
embrassent la profession de diamantaire. Après quelques temps, ils partent
s’installer à Paris, dans le 19ème arrondissement, rue Manin.
Le 10 septembre 1910, leur fils Albert, nait à
Hermance en Suisse.
Le négoce de diamants, nécessite des déplacements,
aussi bien en Belgique, en Suisse qu’en France.
Elie voyage donc fréquemment. Il
devient proche de Jean JAURES, parlementaire socialiste, président du groupe
S.F.I.O. Orateur lui-même, Elie profite de ses voyages, pour participer aux
conférences du Parti.
Après quelques années, le 31. juillet 1914, Jean
JAURES est assassiné. Un conflit s’annonce.
Le 3 aout 1914, la première guerre mondiale éclate.
C’est la mobilisation générale.
Elie, a fait son service militaire dans les
Zouaves, il est donc rappelé dans ce corps d’élites, et est, affecté au 1er
Régiment de Marche de Zouaves, la 62ème compagnie, 89ème brigade.
Il part de Saint Denis, près de Paris, le 10
septembre 1914, jour des 4 ans de son fils Albert.
Il part au combat, il ne le verra plus, puisqu’il
sera tué 72 jours plus tard le 20 novembre 1914 au cours d’une attaque de
tranchées allemandes, dans la première bataille de l’Artois, à Écurie prés d’Arras.
Le 3 octobre, le régiment, partant de l’Aisne pour
remonter vers Arras, passe par Montdidier.
Le train stoppe à Canaples
à 5 kms de Naours, village se ses parents .Il ne pourra pas aller les embrasser
.Il ne les reverra plus non plus.
Mon titre pour ce carnet sera :
Recommandations du début du carnet.
Cliquer pour agrandir et lire.
Départ de St Denis le
10 septembre
Direction Meaux
1ère étape : St Denis à Claye
2ème étape : Claye à Chambry.
Combat de Chambry, zouaves et tabors marocains tués en
nombre, villages et contrée ruinées, pillées. Hommes et bêtes en décomposition
dans les plaines, empuantant l’air.
Nous forçons la marche, l’ennemi s’est retiré en désordre dans la
direction de Soissons.
1e page du carnet. Cliquer
pour agrandir et lire.
3ème étape : Chambry à Ferté-Milon,
toujours en vitesse, on retrouve la fuite éperdue des Allemands du fait de tant
de munitions abandonnées.
Vincy-Manœuvre, complètement saccagé.
4ème étape : Ferté-Milon à Soissons.
Nous rentrons dans la zone du feu, le canon tonne. Les Allemands
maintiennent leur retraite en bombardant la ville et les ponts.
Étape de 40 km, arrivés à Soissons vers 10h1/2, aucun cantonnement à l’arrivée, obligé de coucher sur
la chaussée, parole mémorable du lieutenant Nadal
; répondant aux demandes de vivres qui nous manquent :
« Vous mangerez des briques »
« Vous mangerez des
briques ! ». Cliquer pour agrandir et lire.
Beaucoup de nous autres après 4 marches forcées, sont épuisés,
fatigués, ce matin le combat d’artillerie recommence, afin de déloger des
montagnes, les Allemands qui s’y cramponnent. Que sera cette journée ??
Nous semblons nous recueillir et les ordres nous concernant
manquent.
5ème journée.
Le canon tonne à Soissons depuis le grand matin, c’est la
lutte artillerie contre artillerie, à 1h après-midi un obus tombe à 50 mètres
du lieu où nous sommes cantonnés. Il semblerait que l’ennemi veuille bombarder Soissons
avant la fin de la journée.
Le soir, nous partons rejoindre le gros
du 1er Zouaves qui lutte dans les collines près de Soissons.
Pluie vers 10h, nous traversons (*) une passerelle préparée par les
cantonniers, nuit noire, les obus sillonnent le ciel en sens divers.
(*) : Traversée de l’Aisne.
6ème journée.
De grand matin, nous revenons à St Médard, grande propriété
des environs de Soissons, cette propriété sert à hospitaliser les
sourds, muets et aveugles.
Il est 1h du
soir, nous
n’avons encore pas touché de pain. Voici 4 jours que je suis sans tabac. Un
éclat d’obus me tombe aux pieds. Je le garde comme 1er souvenir. C’est affreux,
le duel d’artillerie. Les Allemands fortement retranchés sur les crêtes au Nord
résistent à nos attaques d’artillerie.
J’apprends que cette nuit nous avons couché à 500 mètres des
lignes allemandes à Crouy, sans aucune préparation de résistance envers
l’ennemi. Je doute fort que le commandant de détachement ait été renseigné.
7ème journée.
Fusion de notre détachement avec le reste du 1er bataillon, tous
les officiers de ma nouvelle Cie sont tués ou blessés, nous nous reformons et
ma nouvelle Cie est la 4ème Cie. (capitaine Martin).
Le canon tonne toujours et les Allemands restent toujours maitres
des points principaux commandant la vallée de l’Aisne impossible d’établir des
ponts pour la traversée.
Je remplace à mon escouade un caporal blessé hier … que sera mon
sort !!!
Tous les soirs nous avons la pluie. Les nuits sont froides, la vie
n’est pas rose. L’explosion de tant d’obus ne m’effraye pas, le moral est bon.
8ème étape.
Journée très mauvaise, pluie battante, et avons pris position dans
un bois, le combat fut acharnée, nous n’avons touché aucun vivres et la pluie
fait de nous de pauvres malheureux.
Nous avons ordre de rester toute la nuit sur nos positions, cela
va être une nuit atroce, tous les éléments se mettent contre nous. J’entrevois
toutes les phases d’une guerre moderne, quelle horreur. Que de victimes !!
Les Allemands sont très bien outillés, il est difficile de les
déloger de leurs positions. Je ne peux laver, même un mouchoir, nous sommes
tous dégoutants. On ne peut écrire, aucune lettre ne part nous en recevons
encore bien moins.
La vie devient un enfer,
mais il faut la supporter.
Après avoir passé une nuit horrible sous la pluie et le service chargé,
nous avons été relevés de nos positions, nous sommes rentrés au cantonnement à Crouy,
bien fatigués et après avoir passé à travers balles et obus.
Repos complet, 1ère journée.
Nous couchons dans les caves de la mairie, ce pauvre pays de Crouy
est complètement démoli, il ne reste rien, les boches tirent même sur les
ambulances établies dans le pays.
Je suis allé conduire 3 malades à la visite, j’ai constaté la plus
déplorable désorganisation. Pas de majors en suffisance, pas de vivres, et ces
pauvres blessés, souffrant de cette désorganisation. Le motif est parait-il, le
manque de communication entre Crouy et Soissons.
Les Allemands bombardent toujours Soissons, Crouy,
ainsi que la rivière (*) qui sépare ces 2 pays ; nous en sommes
très gênés nous aussi, car nous ne touchons pas de tabac et le ravitaillement
arrive très en retard, ce sera long, je crois à surmonter les positions
allemandes.
Quelle vie ; nous ne connaissons rien de la vraie vie, plus
d’habitants dans les villages sinon quelques vieillards apeurés, ayant faim,
venant se blottir vers nos troupes.
Ce soir, nous partons reprendre les
tranchées avancées, il fait froid, je veille, afin de ne pas m’engourdir par le
froid, dans la nuit. Je fis des rondes avec l’adjudant et me paya un bon verre
de rhum, cela me fit plaisir et me réchauffa, dans la nuit, un nègre de notre
compagnie était saoul, il fallut le battre pour éviter de faire découvrir nos
positions il s’en est fallu de peu que le lieutenant lui brûle la cervelle.
(*) : L’Aisne
Journée calme, pas d’attaque, cela nous repose et toute la matinée
la pluie, qui semble s’acharner sur nous, nous fait revivre les misères de la
guerre, à part, quelques attaques et quelques coups de feu cette journée ne fut
pas pénible.
J’ai un bon petit copain, caporal aussi, qui se débrouille dans
tous les endroits, c’est un algérien, nommé Sauta.
Nous rentrons le soir à Crouy pour cantonner et nous
reposer le lendemain.
Le 20 septembre fut pour moi un anniversaire plutôt triste. Je
pensais souvent à ma petite famille.
Repos
Je suis nommé chef d’une
demi-section.
Je fus touché de ce petit grade qui aussi me donne plus de
responsabilités, il me faudra veiller à la vie de ces hommes si l’on m’envoyait
en reconnaissance ou autre …
Nous voici encore sans officier, le lieutenant Martin, commandant la Cie, est évacué
d’hier pour dysenterie. Partirons-nous ce soir ??
Je n’en sais rien, nous sommes à Villeneuve-Saint-Germain,
à l’extrême droite de l’aile combattante.
C’est ici qu’est le siège de la 89ème brigade – Général Franchet d’Espérey – il y a ici près
des lignes quelques villages non bombardés, peut-être les Allemands les
ménagent-ils pour leur retraite ?
Hier le 3ème zouave qui nous replaça au-dessus de Crouy
enleva une position à l’ennemi.
Ce soir, nous partons de Villeneuve
pour aller coucher à Crouy afin d’entrer en action aux avant-postes dès
les 1ères heures de demain, cette journée du 24 pourrait nous couter cher en
vies … attendons.
Repos au cantonnement.
Départ le soir pour les tranchées, dans les bois de Vaux.
Nuit assez bonne.
Reconnaissance de l’ennemi situé en face, nous occupons de bonnes tranchées
au-dessus d’un ravin. L’ennemi est fortement retranché en face, à l’autre
crête. Nous distinguons très bien ses mouvements, mais l’ordre n’est pas de
tirer.
Les officiers d’artillerie reconnaissent nos emplacements pour une
attaque le lendemain.
Nomination officielle au
grade de sergent.
De grand matin, je pars avec 6 hommes en patrouille, il faut
visiter le bois en contrebas. Je n’ai rien remarqué, c’est le calme.
Dans la matinée, nous attaquons partiellement afin de savoir si
l’ennemi occupe encore toutes les tranchées. C’est un ordre du général Drude. Nous comptons rester dans les
tranchées quelques jours encore avant d’aller nous reposer au cantonnement.
Toujours pas de tabac, les hommes en souffrent cruellement, moi
idem.
Je couche avec l’adjudant De Joussineau,
il m’offrit hier soir un cigare que j’acceptais avec grand plaisir.
3h1/2, nous recevons l’ordre de
soutenir un mouvement d’ensemble qui
commence, d’un côté village Cussy et de
l’autre la cote 132.
La brigade d’infanterie face au village de Cussy
commence son mouvement. Ce village se trouve en bas de nos positions.
2 sections de ma Cie soutiendront de leurs tranchées ce mouvement
en avant, face à la cote 132, les 2 autres sections soutiendront les 21ème et
23ème Cies de notre bataillon nous soutenons 2 faces forme angle.
Le canon commence …
Nous mangeons la soupe à 7h bien froide, la mitraille nous obligea
à nous terrer. 5 blessés des nôtres dans les tranchées par des éclats d’obus,
dont le jeune sergent Giton.
La nuit fut calme, l’attaque se termina vers 7h1/2.
Réveil plutôt calme.
CaRnut me fait le
récit de son rêve, c’est un chef d’œuvre, aussi, je lui demande de bien vouloir
le garder en mémoire pour se réjouir dans l’avenir.
Pauvre Carnut. Il me faut revenir sur ce pauvre Carnut, après avoir passé de bons
moments ensemble, en fidèle ami, toujours inséparables, une balle impitoyable
le blesse au postérieur droit, j’étais à ses côtés et la balle semblait nous
viser tous les deux.
Ce fut plutôt une blessure
heureuse, elle ne contribuera pas à une infirmité, ce me fut douloureux de
perdre un ami comme Carnut, mais
je me réjouis quand même que cette blessure ne soit pas grave.
Épais brouillard, impossibilité
d’attaquer, ni d’un côté ni de l’autre.
Départ le soir à 11h1/2.
Nous comptons aller nous reposer
au cantonnement pour nous reposer de 5 jours passés dans les tranchées ou les
hommes font des gardes de plus en plus répétées, ainsi qu’une attention
soutenue de tous les instants.
Enfin il nous faut aller !
On nous dit d’abord que nous
allons faire une marche de 15 km, puis finalement nous sommes arrivés à un
petit village près de Vic-sur-Aisne à midi bien sonné, donc 12h1/2 de
marche avec un peu de café dans le coco.
Nous sommes passés à Vauxbuin
pays habités parait-il par tous aristos anoblis, il parait que pas beaucoup
d’ouvriers y habitent si ce n’est que la voletaille
au besoin de ces rastas.
C’est un léger détail, que je
souligne pour plus tard.
Donc nous mangeons à ce petit
village près de Vic-sur-Aisne, et à 4h
du soir, des autobus nous attendent pour nous emmener ou ? Je ne sais pour le moment, et comme la nuit
va nous prendre, il est probable que nous ne saurons pas ou nous bataillerons.
Quand même, les Zouaves sont bons
à toutes les sauces, on nous disait que nous allions être « division de réserve
» et cependant, ces autos, c’est pour quelque chose, et, pour un endroit où il
y aura certainement à faire un grand coup. Environ une 100aine d’autobus nous
attend.
Chose extraordinaire, et qui peut
me donner raison, c’est que nous venons de toucher du rhum, sans doute pour
réveiller nos nerfs fatigués. Ce soir ou demain je compléterai cette escapade
….. en tout cas de Vauxrot (près Soissons) ou nous sommes partis,
nous avons 30km dans les jambes……….à 11h (soir)
arrivée à Compiègne, nous couchons sur les chaussées, en attendant le
départ par le train.
Nos officiers sablent le
champagne au moment où le Capt. commandant
le bataillon, rassemble pour se diriger vers la gare.
Nous partons de Compiègne
dans un train non aménagé ; direction Montdidier. Je sens que je rentre
dans mon pays, les choses me paraissent plus naturelles, mon attention
s‘attache de plus en plus à la guerre, je voudrais revoir ces pays de jeunesse
savoir surtout si les boches les auraient saccagés.
À Montdidier- Arrêt- J’en
profite pour faire une lettre qu’un camarade territorial se charge de remettre
le soir même à ma bonne Eugénie (*) à Paris.
(**)
Je suis heureux de cette bonne occasion.
Je recommence d’en faire une
autre pour mes parents, le train marchant me fait faire une lettre horriblement
mal écrite, nous arrivons à Amiens que j’aime tant ; j’y retrouve le
patois familier un bon employé de la gare se charge lui aussi de remettre en
main propre la lettre écrite à mon père, doublement satisfait, ce fut pour moi
malgré les fatigues un vif plaisir.
De quel côté allons-nous ? ?
Est-ce le Nord par Corbie,
ou par Doullens ? ?
Finalement nous nous dirigeons
vers Longpré-les Corps-Saints nous
prenons la ligne de Flixécourt à Canaples, ici, Arrêt.
Je cherche quelques connaissances
possibles, enfin, un bon villageois allant à Naours l’après-midi se
charge lui aussi d’aller porter les bonnes nouvelles à Naours.
Rien à dire, si près, et ne
pouvoir aller embrasser ses bons vieux parents. (***)
(*) : Son
épouse.
(**) : Il
habitait : 105 rue Manin à Paris.
(***) : Le
train stoppe donc à Canaples à 5 kms de Naours,
village de ses parents. Il ne pourra malheureusement pas aller les embrasser. Il
ne les reverra plus non plus.
Nous sommes le 4 /8bre, nous
filons vers Doullens et Arras.
Nous descendons de train à Beaumetz-Rivière
et nous allons cantonner Agnez-les-Duisans–
Pas de Calais – Nous couchons dans une écurie, bien content de goûter a un peu
de repos de quelques heures.
Départ à 10h du matin, et nous
prenons immédiatement les dispositions de combat, nous sommes à quelques Km d’Arras,
l’ennemi n’est pas loin. Les aéros sillonnent les airs en reconnaissance. Nous
sommes en réserve, nous prendrons d’ici peu, contact avec les Allemands.
Nos officiers, font quelques
écarts de langage envers les hommes épuisés – tel – Mr Billeron lieutenant provisoire, disant à sa Cie.
"Vous êtes ici pour crever, et si vous ne crevez pas, je vous
ferai crever "
…Belles paroles en effet……
À Amiens aussi, hier, le Capt Pèges,
commandant le bataillon, insultât le sergent Bulkeus
de ma Cie.
Devant les wagons qui nous
transportaient, il lui vida aux pieds un bidon d’eau qu’il venait de chercher pour
ses hommes, et, celui-ci vidé, le jeta aux pieds de ce sergent comme l’on
jetterait un os à un chien – à se rappeler –.
Il est brutal, gueulard et
frappeur.
5h du soir, nous comptons arriver en réserve, total ;
on nous colle en 1ère ligne, il nous faut faire à l’arrivée des tranchées, afin
de nous assurer des coups. Nous n’avons non plus touché de pain depuis hier, si
ce n’est une miche par section – 53 hommes – ce matin.
Il nous faudra passer cette nuit
en éveil, nous subissons des attaques sur attaques ; enfin nos tranchées sont
achevées, que sera cette nuit ? Rien dans le ventre et épuisés par 7 jours
d’avant-garde.
De grand matin, nous avons un petit poste à gauche de notre
tranchée qui se trouve sous les balles ennemies nous tirons à 400m, et de ce
petit poste, 7 sont blessés.
Dans notre propre tranchée, mon
camarade Dercy, sergent à ma
section est grièvement blessé, une balle lui traverse l’œil, traversant la
tête.
Nous n'avons rien pu toucher à
manger, nos cuisiniers sont descendus à minuit en arrière pour préparer nos
repas; étant en première ligne nous ne pouvons rien recevoir, donc 3eme jour
sans toucher de pain. On mange la viande de conserve sans pain.
L’artillerie est derrière nous
fouillant le terrain en avant de nous à 400m nous voyons un village incendié
par les boches c'est une journée à se rappeler " une journée de lutte
" à outrance qui finit à l'avantage de notre artillerie.
Je puis dire : "combat
de Mont-St-éloi ".
Nous sommes repartis au village vers 11h1/2 du soir, nous nous couchons
vers 2h.
Bien fatigués, je trouve un lit
dans une maison abandonnée, on commence à manger confitures, pommes et poires.
J'ai dormi 3 h, il fallait être prêt à partir de 5h.
Nous formons les faisceaux
dehors, et nous attendons jusqu'a 3h après midi ; dire que cette demie journée
fut désagréable serait mentir, nous occupons un village abandonné et ma foi ce
fut la razzia qui commença, et dans les caves et dans les poulaillers. Nous
mangeâmes copieusement réparant quelque peu nos forces.
Quelle tristesse de voir piller,
et cependant c'est presque une nécessité ; on avait faim de plusieurs jours à
étouffer, on compléta les cartouches que chaque homme doit emporter- 250 -
poids 7kg500 sans compter, effets, campement, outils etc
.....
Nous quittons donc Mont-St-éloi à 3h, nous dirigeant au nord-ouest de Mareuil, nous y
arrivons vers 6h là, nous prenons la formation de soutien d'artillerie.
À 100m derrière nous, nos canons
crachent leurs mitrailles, et à un moment l'artillerie lourde allemande, nous
envoie un seul obus à 15 mètres de nos sections - ce fut tout - aucun blessé.
Nous retournons vers Agniez-les-Duisant
pour cantonner.
Nous arrivons vers 9h et nous trouvons le moyen de
nous coucher qu'à minuit 1/2.
Nous comptions nous reposer jusqu'à 5h du matin mais, à 2h 1/2 alerte; l'ennemi ayant pris l'offensive,
le canon vers 1h se mit de la partie et nous voilà partis, prêts à répondre.
Vers 4h, l'attaque allemande ayant échouée,
tout rentra dans le calme, et, en commis voyageurs, nous repartons vers Arras
à 3km à Anzin St Aubin nous entendons le bombardement d’Arras
commencé depuis déjà 2 jours. La cathédrale et l’hôtel de ville sont en feu.
C'est l'évacuation rapide des habitants. Enfin nous retrouvons un
peu de repos étant en réserve.
Nous irons probablement coucher ce soir dans les tranchées, nous
attendons par section, derrière les meules des ordres. Il est 6h du soir, le
brouillard s'épaissit et il fait réellement froid.
Enfin vers 7h, ordre est d'aller
au cantonnement à Anzin St Aubin, nous sommes contents, car ce sera
encore une nuit de passée à l'abri, je me couche à l'arrivée vers 9h avec une
légère indisposition une sorte d'indigestion. Tout de même je m'endors rapidement,
bien recouvert de paille.
Réveil
à 4h1/2, nous nous préparons à réoccuper le même emplacement qu'hier soir,
il est 10h du matin, il semblerait que pour aujourd'hui encore nous ne
souffrirons pas trop.
Le soleil perce le brouillard épais,
il fait même beau.
Arras brûle
toujours.
L'artillerie est calme, à part
les avions que l'on entend.
Nous touchons du rhum, cela nous
réchauffe.
Le soir, nous reprenons les positions de soutien
derrière les 1eres lignes.
On attend une attaque du côté ennemi,
nous avons deux fronts de bataille et l'artillerie allemande fouille tout le
terrain gauche, côté qui semblerait propice pour eux à le franchir. Notre
artillerie veille heureusement et jusqu'à 1h du matin, notre 75 empêche tout
mouvement de ce côté, nous croyons à un recul de l'ennemi nous en profitons
pour aller coucher au cantonnement, la température s'est adoucie nous n'avons
pas eu froid.
Voici 1 mois que nous sommes partis de St
Denis que de chemin déjà parcouru ! Et nous ne sommes pas encore au bout, ce
matin nous reprenons la même disposition d'attente et en réserve derrière les
meules de blé, cette nuit encore plusieurs villages brulaient vers le Nord-Est
; Nous allons toucher des chandails.
Nous avançons vers la 2eme
Zouaves, pour soutenir son effort au Nord d’Arras. Nous restons à l'abri
à quelques centaines de mètres de leurs lignes, prêts à les aider.
6h du soir arrive sans autre ordre.
À 7h1/2 nous devons retourner plus en arrière manger
une soupe bien froide. Nous repartons ensuite prendre position dans les
tranchées à l'autre front de bataille, c'est à dire à l'est de Mont St Eloi,
nous y arrivons à 11h du soir bien fatigués. Nous trouvons là des tranchées
bien faites, avec de la paille, nous remplaçons les tirailleurs occupant ces
tranchées depuis 8 jours.
Ce matin, rien de
saillant. C'est la lutte, artillerie contre artillerie, à peine quelques obus
par ci - par là, ne faisant pas grand mal, on s'habitue à la vie, c'est
maintenant un jeu .....
Cependant les nuits nous font
rappeler notre bon lit, laissé là-bas .....
Nous apprenons qu'il y a 8 jours,
un bataillon de tirailleurs fut presque entièrement fait prisonnier par suite
d'un fléchissement d'un régiment de fantassins ; le fait est exact. Peut-être
un jour, saurons nous le N° de ce criminel Rt
....quantité de fusillés parmi ceux-ci ......
Il fait beau dans la journée,
nous aimons mieux la vie des tranchées, nous fatiguons moins, le service moins
dur.
Il y aura attaque générale ce soir
ou demain au plus tard, nous sommes prêts l'artillerie est nombreuse, la lutte
s'offre avantageusement pour nous; espérons que nous ne serons pas trop
éprouvés.
Toujours pas de nouvelles de ceux
que l'on aime tant.
En somme le recul s'accentue du
côté allemand, je crois que bientôt nous aurons de grandes victoires.
Quantité de troupes arrivent il y
aura un grand effort d'ici peu à produire, mais nous vainquerons.
La face de la guerre peut changer
d’axe ; toujours à notre avantage, c'est l'opinion de nos officiers ; J'aime le
terrain du Nord pour combattre, bien mieux qu'à Soissons.
J'ai perdu mon crayon à encre,
c'est la 1ere victime de tous mes biens actuels.
Rien de nouveau, pas de coup de
fusil, seule l'artillerie travaille, nous entendons la grosse artillerie de
notre côté, cela nous fait plaisir et peut-être réfléchir à l'ennemi.
Dans l'après-midi, un ballon captif est placé en
arrière de nous pour observer, cela a eu pour effet de repérer un coin ou, de
tous côtés nous envoyons de la mitraille, c'est assourdissant tant de canons,
ce n'est que feu, sifflements et éclatements.
Enfin le soir, on nous apprend que cette nuit à 3h nous
allons remplacer aux 1eres lignes les zouaves du 3eme.
Nous quittons notre emplacement
de gauche, pour nous porter vers la droite, nous y arrivons sans encombres, un peu tard, vers 6h du matin.
Enfin nous sommes abrités et nous
voyons les boches, retranchés à environ 400m. Les balles commencent à siffler,
je crois que nous sommes dans un sale coin en tout cas, ce n'est pas le moment de sortir trop la tête ; nous venons
de passer un village complètement saccagé par les obus allemands, combien de
jours allons nous y rester ? ? et que sera notre sort ? ?
....
La pluie commence à tomber et le
froid se fait sentir.
Ce petit village saccagé se nomme
Roclincourt, nos cuisines y seront installées, malgré la pluie d'obus ;
le pays est en partie abandonné, nos cuisiniers ont trouvé chez un marchand en
gros, des œufs et du beurre et nous ont confectionné une abondante omelette.
S'il est des jours ou on ne mange
pas ou guère, par contre, on trouve en certains endroits, trop. C'est le gâchis
même, on y saccage tout, on peut dire qu'après le passage de " l’ami
" ou de " l' ennemi ", c'est la ruine
pour tout le monde, c'est la grande misère après aussi, pour tous, ces bons
paysans obligés de quitter leur demeure c'est triste ; rien n'est respecté ni
linge, ni meubles, ni vin, rien en un mot.
Certains vieux, nous disent les
larmes aux yeux qu'ayant vu 1870, rien de pareil n'existait, qu'au contraire,
dans certains cas, les Allemands respectaient mieux les biens que nous autres,
ce n'est pas élogieux pour nous, mais il faut constater la vérité en ce qui
nous concerne... enfin ; c'est bien la vie dépeinte que nous avons entendu
clamer à toutes les occasions de manifestations contre la guerre.
J'ai dit plus haut, qu'a mon sens
ce devait être un " sale coin " ; je ne me suis pas trompé, à peine
avions nous mangé la soupe vers 6h1/2
qu'une rafale de balles, des deux cotés, formant angle, nous inondait, notre
Cie, la 4eme avait deux sections, faisant face à la ligne de feu de gauche,
dont les 2 autres sections dont la mienne faisait face à celle de droite.
Ma section en particulier
recevait d'une tranchée allemande vers la droite très prononcée, un feu nourri
; de plus, nous recevions toutes les balles perdues de la ligne de gauche, nous
étions dans l'impossibilité de tirer, et même mieux, de nous terrer comme des
lapins.
Quelques minutes plus tard, la grosse artillerie allemande
envoyait sur nos tranchées, peut être 100 obus à la mélinite ou autre poudres,
faisant un vacarme tellement assourdissant que la terre tremblait au dessus de
nos têtes.
Jamais encore je n'avais vu
pareille bataille, les obus éclatant soit, à 5 ou 6 mètres en avant de nos
tranchées, soit une 10aine de mètres en arrière, cette fusillade dura environ
2h ; ce fut long, et j'ai pensé souvent à la mort, car il était impossible de
croire que nous reverrions le jour.
Notre 75 se mit
de la partie, ce fut notre joie, car de ce fait il empêchait tout mouvement en
avant des Allemands, ne pouvant tirer et étant dans la zone des obus, l'ennemi
aurait pu venir nous enfourcher dans les tranchées.
Quel malheur aussi, que nos
officiers ne se trouvent pas au milieu de leur fraction ; J'étais seul gradé
ayant la responsabilité ; notre sous-lieutenant était terré, bien en sécurité à
l'extrémité de ma section ; sans se déranger, c'est dur, et cependant, leur
place ou est-elle ?
? ?..
Nous avions mis baïonnette au
canon, c'est dire que le moment fut critique.
A 100 m le petit village de Roclincourt
brûlait et subissait la rage teutonne, c'était pour eux, un point de repère
dans l'obscurité; notre division se trouvait au centre de la ligne de feu.
L'ennemi a essayé de forcer sur
l'aile droite, c'est a dire, du coté d'Arras
d'une force incalculable, l'artillerie faisait rage et cela jusqu'a 11h. Qu'en
est-il advenu ?
Peut-être bientôt nous le
saurons, en tous cas, le 13 8bre peut rester jour mémoire ....Que de feu, de
bruit, de mitrailles, que c'est triste la guerre ! !
Ce matin rien de nouveau. Je
dormis de nouveau assez bien, de minuit à 6h, nous avons assez à manger la
pluie, seule nous gène. Enfin, vers midi,
le soleil un peu pâle reparait;
Les boches recommencent le
bombardement, je ne sais, quelle tactique ils emploient; quelle dépenses d'obus
inutiles de leur coté. Notre 75 leur répond par de la mitraille envoyée dans
leurs 1eres lignes de tranchées.
Que sera la soirée ? Et quand
serons nous remplacés dans ce sale coin ?
Le soir, nous apprenons qu'a 3h demain, nous serons
remplacés. Ouf ! ... Pas dommage ....
La nuit s'est passée, contrairement à mes
appréhensions.
Départ pour St Aubin, en cantonnement,
nous logeons dans une immense ferme, ayant servi aussi à la fabrication de
l'alcool par les betteraves.
Vie pas très agréable, mais on
est à l'abri du mauvais temps et des balles.
Même journée, nous nous préparons
pour repartir le lendemain matin 2h 45 aux tranchées.
Ces quelques heures, d'un
semblant de repos nous ont permis de nous nettoyer corporellement et au lavage
des effets, nous savons que nous devons remplacer le 4ème Zouaves sur 2 faces;
face à l'ennemi, d'après les précautions prises et les conseils avant le
départ.
Nous devons penser à être de
nouveau aux 1ères lignes, c'est à dire à quelques centaines de mètres des
Allemands.
Départ à 2h 45, près écurie.
Nous arrivons aux tranchées, il fait un brouillard épais et froid.
Heureusement qu' hier nous avons
touché un 2ème tricot, avec promesse de toucher bientôt, caleçons, chaussettes,
gants. Nous voici installés et ..... bien près des boches;
Nous avons une section de mitrailleurs à notre droite, face au nord, la 2ème
Cie formant angle, face au Nord-Est.
J'arrête ce soir; je complèterai
les incidents s'il y a ; de la journée. Rien à ajouter, rien pas un coup de
feu.
Rien de saillant dans la matinée;
dans l'après-midi une section s'étant postée à environ 150m, nous coûta la vie
de 2 sergents Saint-Servin et Gadicelli, deux réservistes et
algériens.
Voici en 15 jours, 4 sergents de
tués chez nous, gare aux prochains coups .......
Le téléphone nous rend d'immenses
services; quelques tirailleurs ennemis nous inquiétaient depuis toute la
journée et restaient invisibles, finalement, leur retraite fut découverte, le
téléphone prévint le Cdt d'artillerie qui envoya à domicile et franco, quelques
bons obus 75 en plein dans les tranchées.
Les sous-officiers de la section
avancée nous racontent avoir vu voler des membres humains, c'est très croyable.
Je crois que nous nous porterons
en avant d'ici peu.
Vu des sergents blessés, la tête
trouée, et encore le soir dans la tranchée, allongé, il ne souffre guère le pauvre
malheureux, on appela les brancardiers toute la journée, rien ni infirmiers, ni
brancardiers; cependant, des tranchées très avancées, nous allons tout de même,
en profitant des accidents de terrain, chercher notre repas qui se fabrique
dans le village d'Écurie, à environ 2km. Il eut été aussi facile, pour
le service de santé de venir jusqu'ici pour soulager et tenter de sauver nos
pauvres blessés.
Le soir, attaque sur tout le front, nous résistâmes
de tous cotés, une seule section, sergent DUBOIS, résista seul avec sa section
dans la tranchée faite l'après-midi, enfin, vers 10h, la tranquillité revint et pûmes dormir le reste de la
nuit.
Défalcation faite, du service de
garde, qu'il faut faire toutes les nuits.
Rien à signaler, sauf que l'artillerie nous rendit encore de grands services, en
déblayant tout le terrain, ce qui nous valut un repos assez réel.
Nous devons partir demain matin
comme soutien d'artillerie.
Nous
quittons nos tranchées à 3h 45, nous
nous retirons à environ 3km face à notre artillerie, nous formons le soir des
petits postes par crainte de charges de cavalerie ennemies, c'est un poste de
tout repos attendu que pour ce faire, il faudrait à l'ennemi traverser
plusieurs lignes de tranchées.
La journée se passe autour de meules
aménagées contre la température, et la nuit dans les tranchées sur la paille.
Nous rentrons aux meules au grand
jour et nous passons la journée dans une quiétude parfaite. Nous avons plaisir,
à voir sortir du canon, la longue flamme qui explose au départ de l'obus.
Ce soir, voilà la pluie.
Au matin nous rentrons au cantonnement pour un
repos de 2 jours. Notre tâche se décompose ainsi :
2 jours aux avants postes, 2 jours en soutien
d'artillerie et 2 jours au repos.
Notre secteur de combat se trouve
entre Mont St Eloi et Roclincourt, la journée se passe au
nettoyage.
Je fais laver mon linge de corps
chez une femme d'Anzin St Aubin.
Au lieu du repos qui nous est dû,
nous recevons l'ordre, la 3iéme et la 4iéme d'aller soutenir un mouvement très
dur sur Arras. Nous arrivons dans une ancienne carrière et nous restons
là jusqu'à 3h1/2 du soir, nous avons
eu notre soupe à 1h1/2 froide bien
entendu...
à 3h1/2, nous descendons jusqu'à St Nicolas,
faubourg d'Arras, une lutte terrible est engagée. Le 141 ieme, a lâché
pied, en abandonnant une tranchée. 2 Cies de chasseurs alpins sont décimés, les
allemands semblent vouloir à toute fin s'emparer d'Arras. Nous
commençons les tranchées que doivent venir occuper le bataillon. La mitraille
nous couvre entièrement, nous voyons rentrer des convois de blessés, presque
tous chasseurs alpins.
Nous nous retirons vers 3h1/2 et rentrons bien vite à
Anzin.
Toute la nuit le canon; c'est affreux, nous avons nos canons à
quelques mètres derrière nous, qui nous cassent la tête et en face, une
avalanche d'obus allemands.
à 2h réveil, nous
repartons dans notre secteur, nous sommes reçus par quelques obus qui tombent
bien près de nous ! Enfin nous sommes rentrés dans nos tranchées, nous profitons
du petit jour, pour nous fortifier encore - L'ennemi semble vouloir précipiter
les attaques, nous savons qu'ils ont eu
du renfort, une action décisive aura lieu ces jours .. que sera cette journée
premièrement ? ! !
Pas très grosse journée quand même, le soir, quelques attaques d'avants
postes et de sentinelles. Je suis désigné avec ma demi-section pour aller en
petit poste en avant de ma Cie, régulièrement ce doit être un officier ou chef
de section qui doit commander; et accepter toutes les responsabilités.
Je suis à 3h à mon petit poste, j'ai 21 hommes
avec 1 caporal, la situation en face des boches n'est pas très bonne, j'ai a
faire face à 2 cotés, et le nombre de mes combattants est trop restreint; c'est une journée pénible pour moi.
Il faut faire travailler les
hommes au terrassement entre les deux factions, ils sont éreintés.
Que va être pour moi, la nuit en
cas d'une attaque ?
Le soir, je subis plusieurs fusillades dont une en
enfilade et j'ai l'ordre de résister jusqu'au dernier moment.
Les hommes dans ces fusillades ne
pensent pas à dormir, mais dès que celles-ci cessent, ils tombent de sommeil,
et, tombent d'épuisement et cependant, il me faut veiller à leur sécurité,
ainsi qu'à la mission que j'ai reçue, la nuit fut horrible, il me fallut
réveiller ces pauvres bougres à chaque instant, leur montrer le danger de
s'endormir; mais la fatigue les dominait.
J’avais hâte de voir arriver 3h du matin pour
être relevé par une autre Cie, c'est la 4ième nuit que je veille, je suis
épuisé aussi, je me sens tout congestionné, le sang à la tête, j'ai peur que
demain il me faille me porter malade ...
Quel plaisir de voir arriver 3h1/2.
Je suis relevé, c'est aussi le
départ pour nos 2 jours de réserve d'artillerie.
C'est à peu près le repos, le jour. Je
descends, mais avec 1 blessé au bras, c'est un bon et trop brave Reynès qu'une balle lui traversa le
bras, ce fut presque rien, l'os n'est pas atteint, ce n'est que la chair. Je
l'envoyais dans la journée du 24 reconnaitre un chemin à ma gauche qu'une
jumelle m'avait fait découvrir. Un observateur allemand !
Nous rentrons à Anzin St Aubin, nous comptons nous y reposer,
nous y arrivons vers 5h du matin, nous
nous couchons 2h, et voilà que nous devons refaire nos sacs, prêt à partir.
Pas un murmure malgré la fatigue
de ces 3 journées; nous voilà encore prêts à l'action, enfin, nous nous lavons
un peu, pour la 1ere fois que je voulais enlever mes souliers et reposer mes
pauvres pieds !
Non ; rien à faire, enfin nous ne
partons qu'à 10h1/4 du soir;
mauvaise nouvelles encore; " les biffins" ont flanché; et, toujours
les zouaves pour les aider; nous quittons donc notre secteur pour aller à St
Nicolas-les-Arras : pauvre secteur !
Les troupes n'ont pas l'air
d'être bien braves, on les rencontre tout en débandade, sans chefs, de tous
cotés .... Allons, voilà encore les zouaves, cela les réconforte, mais tout de
même, notre colonel n'est pas content " toujours nous autres"
toujours nous autres pour être décimés.....
Mais aussi, quelle discipline chez nous ! Pas un de perdu! Des factions
constituées; nous y allons comme un bloc; le civil nous vante, pleure même
lorsqu'il nous voit arriver dans un endroit réputé dangereux.
Je ne voudrais cependant pas être
taxé de faire l'éloge de mon Régiment, ce ne sont certainement que des hommes
comme les autres, mais il faut convenir que nous ne nous battons pas comme les
autres, nos manières fanfaronnes sont en même temps courageuses, on est
débrouillard, c'est toujours nous autres qui finissons les tranchées, souvent
très mal faites, pas commodes, commencées par les autres; voilà 6 semaines que
les hommes terrassent, assurent leur service, mais malgré cela avec quelques
heures de sommeil.
Oh ! Pas beaucoup, 3h au maximum.
On retrouve des hommes, marchant
… par exemple, ils sont pillards, ils emportaient même des objets inutiles,
c’est là seulement, le revers de la médaille, mais que dire, il faut de temps
en temps quelques divertissements, je plains les Allemands si nous allons chez
eux …
Enfin pour en finir, nous partons
à 10 h ¼ avec des alternatives d’arrêts, de départs, nous arrivons à … (mot manquant)
Saint-Nicolas ; nous
prenons possession en réserve d’une tranchée, que nous complétons pour notre
sécurité.
Je crois que nous pourrons ne pas
compter cette fois encore sur nos 2 jours de repos au cantonnement, enfin ; je
vais mieux, je suis à nouveau en équilibre, c’est le principal, nous constatons
que les troupes de ce coté n’ont pas données (sic) de tout
leur effort, il faut convenir que les Allemands ont reçu de gros renforts et
veulent à tout prix prendre Arras.
Nous avons attaqué cette nuit (26
au 27 octobre), nous sommes partis en avant sous la pluie de balles, nous
sommes allés occuper une tranchée à environ 200 m en avant. Beaucoup de blessés
dans les lignes en avant, les Allemands ont beaucoup souffert du feu de notre
75.
Ce matin vers 10 h 45, je
reçus une balle au mollet gauche, pas assez grièvement pour interrompre
mon service ; on me fixa un pansement et quoique la jambe un peu raide, je
décidais de ne pas me faire porter malade, cette balle ne fit qu’effleurer la
chair faisant un petit trou, et ressortant tout de suite sans traverser les
chairs.
Le soir, même répétition, nous recommençons
l’attaque, l’ennemi occupe une partie du village de Saint-Laurent ; le 237ème d’infanterie avait bel et bien
abandonnés des tranchées, ce qui permis aux Allemands d’entrer dans ce village.
Le feu s’anime de tous cotés, ils
incendient tout, nous avons des pièces de 220 mm qui labourent toutes leurs
positions, ces obus renferment 31 kg de poudre de mélinite.
Quel ravage !! …
Ma jambe me fait un peu mal,
j’attends au lendemain pour aller voir le médecin, je passais la journée sans
me fatiguer ; ordre de mes officiers.
Je descends des tranchées à 3 h ½ du matin pour aller à la
visite, il faut partir de grand matin, car la route à suivre est rasée dans le
jour par le tir des boches.
J’arrive aux cuisines de ma Cie
vers 4 h ½. Je bois un bois café avec pain grillé ; je vais ensuite à la visite
vers 9 h et le major m’exempt pour 4 jours de tout service.
Je rentre aux cuisines, c’est à
dire en arrière de la Cie et j’y passe le temps avec eux. Il y a là de quoi
bien manger et boire, les cuisiniers font visite aux caves des habitants partis
et rapportent différentes choses à manger, et surtout toutes sortes de choses à
boire.
Je retrouve là, un peu de
sécurité et de repos, à la cave, il y a des matelas pour se coucher. Les
Allemands bombardent le village de Saint-Nicolas, où nous sommes
installés, à un moment en plein déjeuner un obus éclate à quelques mètres de
nous, c’est le sauve qui peut, les vitres dégringolent ; pas de blessé parmi
nous, un camarade nous racontait à ce moment une histoire de joueurs de cartes
avec une bougie …
J’y passe une bonne nuit.
Nous revenons à Anzin
Saint-Aubin, à 5 h du matin pour un repos, on charge tout le matériel de
cuisine et je suivis ceux-ci ; la journée se passat (sic) sans ennui.
Même journée, repos pour tout le
monde.
Je vais à la messe et ce fut un
spectacle triste, dans ce petit village ; le cimetière regorge de morts de
cette terrible guerre, beaucoup du 3ème zouave, j’y vois une fosse de 20
hommes, sans compter les morts enterrés isolément, beaucoup de fleurs apportées
par nous autres. Nous pensons à toutes les familles qui pleurent en ce jour.
Qu’y faire !!!
Malheureusement d’autres
suivront.
Je profite du repos pour me
nettoyer.
Hier un aéro allemand a été
descendu par 2 aéros de chez nous, nous avons repris les tranchées abandonnées
vers Roclincourt par les biffins, ainsi que tout le village de Saint-Laurent,
ce sont les nouvelles que l’on nous apporte au cantonnement. Il y a beaucoup de
résistances chez nous, malgré les attaques vives et répétées des Boches. Ils
sentent qu’il n’y a rien à faire pour faire une trouée.
Vont-ils rester indéfiniment dans
cette situation ??
Nous savons que du côté de Lille,
ils tentent de toutes leurs forces à forcer nos lignes, partout c’est la même
résistance, ils se heurtent à un bloc, semant chez eux la mort par milliers.
Je laisse la Cie pour me reposer
de ma petite blessure, le major m’a ordonné le repos jusqu’au 6 du mois. Je cantonne avec les
cuisiniers, et, ma foi, je ne suis pas le plus malheureux, je ne souffre pas,
je me promène au contraire au soleil qui se fait beau, peut-être en mon
honneur.
Je mange avec eux, rien ne
manque, les nuits sont entières au repos, je couche même dans une maison
abandonnée, dans un lit, je ne me reconnais plus, ce bonheur ne durera pas. Je
le sais … enfin, ce sera toujours 8 jours de pris.
Je ne profiterai même pas de la
certitude d’obtenir quelques jours encore ; je voie ma compagnie sans
chef, presque ; mon lieutenant vient d’être évacué, on compte sur moi pour
le remplacer, comme chef de section.
J’ai leur estime et la confiance
de mes camarades ; je reste donc le
6 à la tête de ma 3ième section. J’ai comme chef de ½ section Lachenal.
Le lieutenant Ct la compagnie est heureux que ma blessure me permette
mon service.
Nous partons vers 6h remplacer le 4e Zouaves aux tranchées vers Roclincourt,
nous arrivons par des chemins boueux et fatigants à nos emplacements sans
encombre, attendu que des boyaux creusés, permettent d’y arriver sans être vus.
Nous sommes là, à 100 mètres au
plus des boches ; ma section est mal placée ; j’ai en face de moi
bien retranchée une ligne de tranchées allemandes, à ma gauche, dans le sens
longueur de ma tranchée, une autre tranchée allemande, je suis donc pris
d’enfilade, et il faut beaucoup de précautions pour éviter les balles.
La nuit se passât bonne quand même ; l’ennemi
se retranche fortement aussi.
Le matin lorsque le brouillard se dissipât, nous reconnaissons la
situation exacte de l’ennemi. Nous ne pensions tout de même pas être si près
d’eux ; à notre gauche, la 1iere et 4ième section, sont tout au plus à 30
mètres, nous voyons en avant de nos tranchées, à quelques mètres, une
cinquantaine de boches tués ainsi qu’une 20aine de zouaves nous ayant précédés.
Il y eut, il y a quelques jours,
une attaque sérieuse dans les tranchées, et même il y eut combat de corps à
corps.
Ce n’est pas beau, on voit les
soldats Bavarois tout enflés, dans 1 jour ou 2 ça va
sentir mauvais ; on ne peut s’en approcher pour les enterrer.
Vers 10h du matin, j’ai un homme tué, un jeune de
l’active nommé Lauserque ;
une balle explosive, lui tranche la gorge, j’étais près de lui, ce ne fut que
l’affaire d’un instant, le sang l’inondât, il est tombé raide le malheureux.
C’est doublement criminel puisque c’est par une balle dum-dum ; voilà la
civilisation !
Le soir vers 9h, j’ai un autre homme de blessé,
un gars du Nord, nommé Lelong ;
une blessure peu grave dans le bras ; tous les jours la liste
s’allonge ; les effectifs se rétrécissent.
Je me demande si bientôt la
guerre aura vécue ou si nous devons tous y passer. La nuit s’annonce froide. Le
brouillard s’épaissit tous les jours.
Pas d’attaque dans la soirée.
En pleine nuit il y eut attaque à
ma gauche, je suivis le mouvement et n’eut qu’a rester en éveil, les hommes
prêts. Je n’ai pas eu à intervenir ; dans mon secteur les boches étaient
bien sages ; mais en bon gardien ; leur sagesse étant épiée je les
attendais …..
En somme, c’est toujours même
répétition, dans les mêmes parages, nous usant par les fatigues ; voir
constamment la mort, et des morts, la température qui nous inquiètent.
Voilà dans quel esprit, nous
discutons de la guerre, il y a de la lassitude chacun voudrait voir la fin.
Matinée froide, brouillard
intense, il nous arrive un détachement d’algériens.
J’ai causé avec un réserviste de
37 ans. Tous les vieux sont donc condamnés aux dures souffrances
aussi ??!.....
Je reçois une lettre qui me fait
plaisir, de ma petite femme. C’est la 4ème en 2 mois, c’est maigre !....
La nuit se passe tout à fait
calme.
Rien de bien saillant dans la
matinée.
L’après midi fut tragique pour moi, à 2h, je perdis un
homme nommé Mouton, tué raide par
une balle en plein cœur. C’est ridicule de voir tomber ainsi des hommes, en
pleine tranchée, sans aucun combat, tout cela parce que les tranchées boches
nous dominent. Toujours en hauteur, et pour des boyaux qui nous prennent en
enfilade.
Nous laissons faire ou bien on
fait des talus provisoires qui ne préservent que très faiblement l’homme au
repos.
Si nous ne changeons pas
l’orientation de nos tranchées au fur et à mesure des changements adverses,
nous serons tournés, impossible de se défendre même.
L’artillerie qui devait essayer
de démolir les travaux, qu’au nez et à notre barbe ils font, tergiverse, elle
attend ; vient repérer, téléphone ; de tout cela le temps passe, les
boches travaillent, et nous autres nous risquons la vie.
Son carnet s'arrête
là.
Une lettre du 17 novembre écrite
3 jours avant sa mort sur une carte de Notre Dame de Lorette parviendra à ses
parents. C'est à Notre Dame de Lorette, Grande Nécropole Nationale à Ablain St
Nazaire (Pas de Calais), que repose Elie.
Plaque
à Basilique N.D de Lorette
Basilique N.D de
Lorette
Monuments aux morts de
Naours
Je
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