Carnet de guerre de Pierre BOUTS

Sous-lieutenant au 21e régiment d’infanterie

Puis prisonnier aux camps de Rastatt et d’Osnabrück

 

Mise à jour : Mars 2016

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Philippe m’écrit en 2014

« Je viens de finir de numériser le carnet de mon grand-père, Pierre Bouts, il a participé à beaucoup des actions importantes de la 1ère guerre. Mon grand-père l'avait fait dactylographier et je l'ai entièrement retapé sur mon PC. Je pense que ce carnet pourrait intéresser d'autres personnes car il cite beaucoup de noms de ses camarades et de lieux.

Je serais heureux s’il pouvait servir à quelqu'un d'autre ! Il a fait presque toute la guerre dans le 21ème régiment d'infanterie, sauf le premier mois où il était dans la cavalerie. Il était sous-lieutenant. »

 

Les noms propres de la famille proche, et de certains lieux, ont été remplacés par l'initiale de ces noms.

 

 

 

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Préambule

 

Rothel

Je m’étais marié, avant de finir mon « service ».

A peine avais-je eu le temps (un an) de fonder une maison de commerce (grains, sel, légumes à exporter) que je repartais, sans m’en douter, pour 5 ans de guerre, laissant ma courageuse et charmante petite femme et une mignonne petite fille de 3 mois !

 

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2 août 1914

MOBILISATION GENERALE

 

Lundi 3 août 1914

Nous avons eu des pommes de terre en robe de chambre et un bout de viande cuite à l'eau.

 

15 août : Rothel

16 : Amagne

18 : Launois

 

Mobilisé le 2 août 1914, je devais gagner Fougères et, regardant pour la première fois mon « livret militaire » je m’aperçus à mon désespoir que j’étais versé dans les tringlots (*), ravitaillement CVAD, convoi administratif.

 

Je partis donc de St Pol de Léon, sans montrer d’adieux déchirants et nous avons toujours gardé cette attitude, - sur une petite mobylette « Alcion ». Je passai au « recrutement » de Guingamp pour tâcher de me faire muter dans la cavalerie et je me fis proprement envoyer promener par un capitaine ….. un « échelon » à former et rassembler.

Je repérai rapidement de sol des gaillards dont beaucoup m’avaient connu aux Cuirassiers, je trouvai une quantité de chevaux attachés à une longue corde en plein champ, je choisis les meilleurs et entrepris de les atteler à ce qui m’était attribué en « chariots de parc », « fourragères », voitures réquisitionnées.

Ce ne fut pas un mince travail surtout d’atteler en « bricoles » des chevaux habitués au « collier ».

On chargea en avoine, pain (qui moisit) et ravitaillement divers, le tout en pleine voie, c’est –à-dire sans quais d’embarquement, encore un tour de force ….

Nous fûmes les premiers prêts. On couchait sur les sacs d’avoine. Ce n’était qu’un agréable commencement avant … vous savez la suite.

 

Nous allons arriver à Rethel dans deux heures après 30 heures de voyage. Nous sommes partis de Fougères dans la joie et sur toute la route on nous a fêtés et gâtés.

Bientôt nous entendrons le canon, j’espère aller là où est mon cher 12è Cuir.

Comment ne suis-je pas avec mes camarades tout près de l’ennemi !?

 

Là où je suis-je ferai mon devoir en pensant à toi, M…. De loin, comme de près tu es ma force.

Soyons Français toujours !

 

(*) : Tringlots : Dans le Train (Escadron du train des équipages militaires).

Rappel : le train était, en 1914, un convoi de voitures hippomobiles, qui pouvait atteindre en marche plusieurs kilomètres de long.

 

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Nous voilà à Lancrois à 20 km de Sedan.

Notre compagnie marche mal parce que capitaine et officiers sont des incapables.

Je suis de plus en plus dégoûté d’être dans le train. Nous sommes assez mal reçus parce que trop de troupes sont passées devant nous. Il n’y a plus rien dans les débits et la boite de singe commence à manquer de charmes. Tout cela me serait indifférent si je voyais ou entendais quelquefois l’ennemi, mais rien ….

Les nouvelles sont très rares, mais bonnes. D’ailleurs le meilleur signe .. c’est que nous avançons.

Ah ! Ma M… chérie quand je pense que tu me crois en danger !

Rimogne – Jeudi 20 août

Arrivés hier. Temps superbe.

J’étais de jour, beaucoup à faire. Trouvé un lit. Je ne me suis jamais mieux porté.

Notre compagnie marche tant bien que mal, les officiers sont en désaccord. Il n’y a ni direction, ni ordre, et nous avons des hommes dont on ferait ce qu’on voudrait ! …Nous sommes toujours loin de l’action, mais nous avançons chaque jour ce qui est bon signe. Ah ! Comme je voudrais y être !

Les avions sont nombreux.

Aucune nouvelle de M… ni de personne. Comment allez-vous tous ceux que j’aime, quelles sont vos craintes à mon sujet, .. moi qui ne risque rien. Comme j’attends avec impatience de voir ta chère écriture ma M… chérie.

Le 23 août – Dimanche

Nous sommes arrivés à Louvain avant-hier à la nuit tombante.

Accueil charmant de ces « pons Pelges » et nous ne sommes …. que tringlots !

Que devait-ce être pour les troupes combattantes ! Enfin nous entendons le canon tout proche, on bombarde Philippeville à 30 Kms d’ici. Le canon gronde sans discontinuer depuis 36 heures et nous sommes aussi en sécurité dans notre cantonnement que si nous étions à Paris.

J’enrage.

 

Quant aux nouvelles elles sont diverses. Les uns disent : que les Allemands avancent, ce sont ceux auxquels on a fait quitter leurs villages par mesures de précaution.. Les pauvres gens n’ont pas cessé de défiler par ici aujourd’hui, emmenant avec eux leurs plus précieux objets et ne sachant où aller. D’autres prétendent, qu’au contraire, notre situation s’améliore.

Enfin, je pense comme ceux qui disent que personne ne peut rien affirmer de précis.

La victoire ne peut être acquise en quelques jours quand le front de bataille a 400 kms. Il a forcément des points où l’on recule (et quelquefois par tactique …)

Mercredi 26 août 1914

Depuis le 23 je n’ai rien eu le temps de noter – en 3 étapes ou une (nous) a fait rétrograder jusqu’à Château-Porcien.

On a beau dire, ce n’est guère bon signe et j’ai de fortes inquiétudes. A ce « train » là, dans 15 jours les Allemands seront à Paris ! C’est effrayant !

Nous finirons bien par avoir le dessus, grâce à nos alliés, mais à quel prix ! …..

La guerre est vraiment une chose atroce ….

Nous sommes sans nouvelles précises et les bruits les plus invraisemblables et différents ne cessent de circuler. Les femmes sont toutes en larmes. Le moral des hommes est bon mais ils voudraient presque tous combattre et le fait est que l’on aurait bien pu employer des auxiliaires ou des territoriaux pour faire ce que nous faisons.

Jeudi 27 août 1914

Hier soir, la dépêche officielle était beaucoup plus rassurante, mais cela ne prouve pas grand-chose. Ce qui est meilleur c’est que nous sommes encore ce matin à Château Porcien. Notre marche … en arrière serait-elle arrêtée ? !...

Nous sommes trop loin pour entendre le canon. Ah ! Mon Dieu comme je voudrais me battre et casser la figure à quelques-uns de ces Uhlans (*) sauvages ! …….

Toujours sans nouvelles de personnes … impossibles d’envoyer une dépêche.

Comment vas-tu ma M… ? Es-tu toujours courageuse ? Et mon commerce où en est-il ? (**)

Aurai-je de quoi vous donner à manger après la guerre ? Quelle angoisse …. Pour que la France soit victorieuse nous faisons volontiers le sacrifice de ce qui nous est cher.

 

(*) : Cavaliers allemands qui ont une renommée de cavaliers sanguinaires.

(**) : Il a fondé une maison de commerce (grains, sel, légumes à exporter).

Dimanche 30 août 1914

15 h ½ … J’écris à cheval. Nous venons de quitter la Malmaison (*) pour destination inconnue.

Toujours des nouvelles vagues et contradictoires, moi je les trouve peu rassurantes, mais j’ai foi dans le succès final.

Le bruit court qu’on va reprendre des cavaliers dans le train, Aurais-je la joie de retourner dans les cuirassiers et de me (il manque des mots pour terminer la phrase).

 

Comme cela doit être beau le champ de bataille par cette brumeuse matinée. Le soleil paraît à peine, il fait frais, mais la journée sera encore chaude ... Pauvre aimée, quand tu sauras que je serais heureux de risquer ma vie tu croiras que je ne pensais pas à toi et j’ai pourtant j’aurai le cœur brisé….. mais ce sera pour la France.

 

(*) : Certainement le fort de la Malmaison dans la Marne.

Dimanche 30 août – 20 h ½

Nous sommes arrivés à Pontavert ce matin, nous y sommes fort bien.

L’après-midi s’est passé à prendre un bain dans l’Aisne, pêcher à la ligne et dormir.

Nous sommes à quelques kilomètres du champ de bataille où gisent les blessés et les morts. Le canon ne cesse de donner.

 

Ce soir, j’ai un lit, il y a trois jours que je ne me suis pas déshabillé.

Il fait une chaleur atroce mais c’est préférable pour tous les malheureux émigrants que nous rencontrons qu’il ne fasse pas mauvais temps.

Nous avons dormi 4 heures en 62 heures.

Mardi 1er septembre

(…)

Une jeune femme du Mont Notre-Dame m’a dit avoir vu dans un train de blessés français un jeune soldat – il faut dire que c’était un Sénégalais – qui avait une tête d’Allemand dans sa musette et d’autres qui avaient autour du cou des oreilles de Prussiens passés dans une ficelle ….. atrocités de la guerre ….

Mercredi 2 septembre - Coulonge

J’ai dormi 4 en 62 heures …et nous repartons ce soir mercredi.

Il y a vraiment des grâces d’état, je ne suis nullement fatigué … j’écris à la lueur de la lune …..

Temps superbe ……

Jeudi 3 – Boissy-le-Repos !

Nous avons marché toute la nuit pour aboutir dans ce petit trou.

La marche de nuit surtout par un beau clair de lune serait délicieuse si ce n’était la retraite dans toute son horreur.

Vendredi 4 – Sézanne

À la gare, en attendant l’approvisionnement.

Nous avons quitté Boissy-le-Repos à minuit. Cela fait la 4 me nuit que nous ne dormons autant dire pas et je ne suis toujours pas du tout fatigué.

Les hommes, eux commencent à souffrir d’autant qu’ils mangent très mal par la faute de notre capitaine qui ne veille à rien. Notre retraite prend tout à fait l’allure d’une déroute.

Je pense que les Allemands seront à Paris dans une huitaine au plus s’ils continuent à avancer aussi rapidement … On dirait qu’ils ne trouvent de résistance nulle part. J’aurais jamais cru cela. Les routes sont encombrées de troupes d’émigrants.

Ah ! Mon Dieu, quel est le sort de la France ?

6 septembre, Rigny-la-Nonneuse

Nous sommes arrivés ici hier matin, après une nuit de marche et double étape. C’était notre 5ème nuit blanche, aussi je commençais, comme les autres, à être vanné. J’ai dormi en voiture de 3 h à 5 h. puis on m’a donné, sur la route, une bonne ration d’alcool, ce qui m’a réveillé net.

Les traînards, les hommes qui ont perdu leur régiment après un combat, les émigrants, encombrent la route de plus en plus.

Septembre

Aujourd’hui 6.

Nous respirons un peu. La nuit dernière j’ai reçu sur la figure de la poussière d’avoine, ce qui fait l’effet de piqûres d’insectes, mais le sommeil a fini par l’emporter. Les nouvelles sont bien meilleures, d’ailleurs nous n’avons pas bougé depuis hier matin et le bruit court que nous repartirons en avant demain. Je n’ose être trop heureux car j’ai encore quelques doutes.

Le Général Joffre a fait une proclamation que je trouve très bien, où il explique que nous allons nous efforcer d’encercler les Allemands. Des troupes fraîches et de l’activité nous sont venues de l’est (*).

D’autre part les Allemands ont été obligés de diriger plusieurs corps (**) vers la Russie et nous serons ainsi à nombre égal.

 

Je viens de voir passer cinq officiers allemands en auto sous la garde des gendarmes.

Je croyais que c’étaient des prisonniers, mais il paraît que ce sont des parlementaires et je trouve fantastique qu’on laisse pénétrer dans nos lignes où ils peuvent examiner tout ce qu’ils veulent. Ne pourrait-on pas leur bander les yeux ou au moins les mettre dans une auto hermétiquement fermée. Renseignement pris ces officiers étaient de faux parlementaires faits prisonniers.

 

(*) : Une armée française a été déplacée de la région de l’est vers la région parisienne. Ce mouvement a été appelé « mouvement de rocade » et plusieurs fois appliqué durant la guerre.

(**) : Corps d’armée

Mardi 8 septembre

Nous avons quitté Rigny-la-Nonneuse (Aube) ce matin à 3 heures et nous reprenons notre marche en avant. Il parait que les Allemands ont reculé de 4 kms. Je commence à reprendre bon espoir. Ces Chameaux ne verrons donc pas Paris cette fois. Verrons-nous Berlin ?

Le train me dégoûte de plus en plus. Je serais bien heureux si on me nommait d’office dans un régiment de cavalerie. J’hésite à faire une demande parce que M… m’en voudrait peut-être et pourtant peut-être …

Comprendrait-elle que toute ma vie je regretterai d’avoir fait la campagne 1914 dans une armée non combattante. Je ne sers à rien dans ce train, je n’aurais même pas besoin d’être remplacé et je pourrais me rendre utile ailleurs. J’ai entendu dire plusieurs fois par des hommes ayant combattu que les officiers sont loin de faire tous leur devoir ….

Certains reculent les premiers ou se font porter malades avant le combat … Les sous-officiers, au contraire, ont beaucoup de courage ainsi que les hommes …….

Quelle honte …. J’ose à peine y croire.

9 septembre – Boissy-le-Repos

Nous sommes à 4 k. d’un champ de bataille (*) où il y a eu un fort combat dimanche. J’ai pu y aller en voiture de bonne heure, avec 3 camarades.

Quelle atroce vision : des morts par centaines pour la plupart affreusement mutilés et déjà en décomposition, des chevaux morts aussi en masse.

Beaucoup plus d’Allemands que de Français. Nos canons font plus d’effet que les leurs. De ma vie je n’oublierai ce lugubre spectacle. Comment la guerre peut-elle encore exister au 20è siècle ?

Et pourtant tant que les hommes seront hommes…

J’ai vu un petit caporal qui tenait encore son carnet de notes à la main. Un autre avait près de lui la photo de sa femme et des lettres. J’ai vu un capitaine et un lieutenant morts au milieu de leurs hommes. Dans quel état ils étaient. Presque tous blessés à la tête. Un malheureux de la classe 13 avait le crâne traversé de part en part.

Le canon, grondait au loin, … non jamais je n’oublierai…

 

Au coin d’un bois de Fleurac, mon ami a trouvé un superbe chien de Berger blessé par une balle qui lui avait traversé la patte. Nous avons recueilli la pauvre bête qui nous léchait les mains.

 

(*) : Il doit s'agit de Corfélix, situé à 4 km de Boissy-le-Repos

10 septembre 1914

St Martin-du-Boché.

11 sept.1914

Condé-en-Brie

12 septembre

Tréloup, (*)

Nous avons beaucoup travaillé ces jours derniers, peu mangé et encore moins dormi, avec cela temps épouvantable et vraiment notre obscur métier devient pénible. Beaucoup d’hommes ont attrapé des coliques pour avoir bu de l’eau infectée par les Allemands, j’en ai eues moi-même…

Il me fallait çà pour réussir à me fatiguer.

 

Nous avons traversé beaucoup de villages saccagés et brûlés par l’ennemi. Ce sont de vrais sauvages. Ils maltraitaient les femmes, pillaient tout et brûlaient après. Leur retraite devient une déroute.

Nous avons passé la Marne ce matin à Dormans, ils n’ont même pas eu le temps de faire sauter le pont et de couper les fils télégraphiques. Ils sortaient d’un côté des villages au moment où les chasseurs à cheval entraient de l’autre. Je crois que cette poursuite fantastique … restera dans l’histoire.

Mon impression est que le Général Joffre a simulé la retraite pour prendre ensuite l’armée allemande entre les troupes alliées et les forts de Toul et Verdun. Si nous avons reculé par tactique et que cela réussisse c’est un coup de maître.

En ce moment nous entendons le canon, en particulier les pièces lourdes, c’est un roulement ininterrompu.

 

(*) : Devenu Trélou-sur-Marne.

13 septembre

Nous quittons Tréloup.

Le canon donne plus que jamais. Un motocycliste m’a dit : qu’il portait au Général Joffre la nouvelle d’une éclatante victoire ! Française. Ce qui est certain c’est que nous avançons toujours…………..

Il parait que l’artillerie lourde allemande est très gênée par le mauvais temps. Ah ! le canon, depuis que j’ai vu ces champs couverts de taches bleues et rouges, quand je l’entends je pense toujours à tous ces malheureux qui tombent chaque minute ……

15 septembre – Ville-en-Tardenois

Nous travaillons dur ces jours-ci, on sent que nos chemins de fer ont été rendus inutilisables et c’est nous qui sommes obligés de ravitailler les troupes.

17 septembre – Ville-en-Tardenois

Nous faisons chaque jour la navette entre ici et la gare de Jonchery.

A cette gare défilent à chaque instant un flot de blessés. On ne sait plus où les mettre. Ils sont partout, dans la paille, sous la pluie. Ils attendent comme cela jusqu’à 24 heures avant de prendre le train.

En ai-je vu des braves qui souffrent sans se plaindre ; Officiers et hommes, là tous sont frères d’armes. Tous, brûlés par la fièvre demandent à boire. Pendant que nous étions en train de charger j’ai eu le temps d’aider un peu les infirmiers.

Quelle joie pour moi, et mes hommes, de soigner ces malheureux.

Dimanche 27 septembre

Rien de saillant ces jours derniers, nous sommes constamment restés dans la même région, chargeant dans des petites gares sur le bord de la Marne : Dormans, Port-à-Binson, etc … et ravitaillant d’autres convois non loin de là. Après le dur travail que nous avions fourni on nous a fait reposer quelques jours.

Aujourd’hui, dimanche, nous n’avons même pas de marche, c’est la première fois que nous restons sans rien faire depuis le commencement de la guerre.

 

Mais il paraît que demain nous reprenons le collier. On parle même de nous faire passer en première ligne à la place d’autres convois qui se reposeraient à leur tour. Aurais-je cette veine de voir de près, de risquer d’être attaqué ? Je n’ose y croire.

 

Un fort combat dure depuis hier matin 22 heures (il en est 2) soit 36 heures de combat sans que le canon ait cessé un instant et cela continue toujours. Il me semble que cela s’éloigne plutôt.   

Reçu hier plusieurs lettres du mois d’août et une du 12 septembre de M…. Je suis bien désolé de la perte qu’elle m’annonce sur les patates …. Qu’allons-nous devenir après la guerre ?

Bah ! Avec du travail et de la persévérance on arrive toujours et puis, nous sommes « dans la main de Dieu » et la misère ne nous empêchera jamais de nous aimer et d’être heureux.

30 septembre – Épernay

Nous venons d’arriver pour ravitailler une division de cavalerie. Leur convoi n’est pas encore là et une fois de plus nous allons sans doute attendre toute la journée pour travailler la nuit.

Ces jours derniers nous avons chargé à des petites gares sur le bord de la Marne : Dormans, Port-à-Binsson, Damery, et ravitaillé des convois à 15, à 20 kilomètres de là.

Les bords de la Marne sont charmants mais que de côtes, nous avons déjà perdu une soixantaine de chevaux.

Les vendanges se poursuivent comme si de rien n’était et pourtant jour et nuit le canon gronde. Il paraît que nous voulons retenir les Allemands ici pour faire un mouvement tournant et les prendre à revers. Tout cela est long. On parle d’une campagne d’hiver.

Ma pauvre M…! Quel courage il va nous falloir pour rester séparés pendant si longtemps. Dieu nous aidera, d’autres sont plus malheureux que nous.

 

Il y a dans chaque groupement d’hommes une atmosphère particulière, celle de ma compagnie est empestée d’hypocrisie chez les officiers et sous-officiers surtout. C’est à qui léchera les bottes de son supérieur direct. Les officiers se mangent entre eux, ils sont pour la plupart grotesques, égoïstes et méchants. Quand ils ont fini de se manger, ils abrutissent les sous-officiers et les hommes.

 

Je n’avais qu’un bon camarade, on a réussi à nous séparer, je suis maintenant très seul car les autres sont de bon gros lourdauds avec lesquels il est impossible de se comprendre. Cela ne m’empêche pas d’être en très bons termes avec eux, mais moi je souffre d’être tellement isolé.

Je me renferme en moi-même, je pense beaucoup au présent, à l’avenir et surtout à toi M….

J’apprends chaque jour à mieux connaître les hommes. Ici, on les voit à nu, dépouillés de leur écorce habituelle et ce n’est pas souvent bien beau à voir ….

7 octobre 1914

St Gemme : Je suis de garde. Je m’ennuie, il fait beau.

Les Allemands finiront par succomber mais il y en a encore pour des mois ou des années …….

10 octobre

Mon Dieu, donnez-moi la force de faire complètement mon devoir là ou vous voulez... Faites que je comprenne bien quel est mon devoir … Chaque jour le son du canon m’attire davantage, je meurs d’envie de faire une demande de changement de corps pour aller dans un régiment de cavalerie où je me sentirai plus à ma place, mais je pense aussi à ma femme, à ma fille que j’aime et qui auront besoin de moi après la guerre pour les soutenir et gagner leur pain. Bien d’autres sont au feu quoique père de famille … mais ai-je le droit de prendre moi-même l’initiative ?

Est-ce mon devoir ? Ne suis-je pas un peu poussé par la vantardise ? Ou l’orgueil ? Suis-je uniquement guidé par l’idée du devoir ?

Voilà à quoi je pense chaque jour, chaque minute.

 

Et puis je suis ici dans un milieu qui me déplait avec un capitaine inintelligent et sans cœur, égoïste avant tout. Des officiers et sous-officiers qui lui lèchent les bottes (sauf un). Il n’y a que les hommes qui me plaisent dans leur rusticité et leur bon sens. Seulement la conversation est assez bornée !!

25 octobre 1914

C’est égal, quand j’y repense, je me dis qu’à Mont Notre-Dame nous avons été bien près d’être attaqués.

Je croyais cette nuit-là à un affolement inconsidéré, je me trompais et c’était bien de garder le village. Car si nous sommes partis le matin sans avoir eu la moindre alerte, vers midi une compagnie du train du 2ème corps a été attaqué par des mitrailleuses qui tiraient de 200 mètres et qui l’ont à peu près.

Les Allemands ont été assez malins pour ne pas s’attaquer à nous qui étions prêts à nous défendre et ont préféré une compagnie qui était en marche. Nous avons su tout cela par 6 rescapés de cette compagnie qui ont été versés à la nôtre. Ces pauvres types sont de vieux territoriaux originaires de la frontière belge. Ils sont sans la moindre nouvelles de leurs enfants, de leurs femmes et de leurs logis qui doivent être détruits ou pillés !

Quel malheur que cette aventure ne nous soit pas arrivée à nous, réservistes … plutôt qu’à eux ! Et puis j’aurais au moins tiré quelques coups de revolver ou de carabine.

 

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C’est bien à la rue St Pierre que M… est venue me voir, vers le 16 novembre 1914.

 

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Toujours à la rue St Pierre ….

Chaque jour passe lentement et ressemble affreusement au précédent.

Quel inlassable ennui. Je joue au football, au billard et même à l’assommante manille. Rien ne peut me distraire.

Sans cesse je pense à M…, (sa femme) à M… (sa fille), à tous ceux que j’aime, à mon cher « home ». Je m’ennuie, je m’ennuie, je m’ennuie, mais heureusement çà ne paraît pas au dehors et je ne suis pas coupable de déteindre sur les autres. Ils s’ennuient bien d’eux-mêmes. J’ai un lit, une chambre bien chauffée, de bons repas, toutes mes aises.

Cela me fait honte quand je pense à ceux qui gèlent dans la paille et mangent du « singe » matin et soir, mais que faire ?........

 

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6 août 1960

Le carnet faisant suite à celui-ci et qui allait de décembre 1914 à mai 1916 a été perdu lors d’un pèlerinage que j’ai fait avec ma femme, ma fille N…, ma petite fille R…, à l’étang de Vaux, Village de Vaux, fort et ossuaire de Douaumont le 4.8.1960 soit après environ 44 ans.

Ce carnet était donc un vieux et cher souvenir, mais qu’importe le passé, en face du présent et de l’avenir, et comme on a tort, peut-être, de trop s’attacher à un pauvre petit carnet personnel, mal rédigé, sans importance.

Que contait-il donc ?

Voici un court résumé :

 

Juillet 1915

En juillet 1915, avec le complet et courageux accord de ma femme et de ma mère, je demandai à passer dans l’infanterie. Je fus aussitôt nommé « sous-Lieutenant de cavalerie détaché dans l’infanterie sur sa demande pour la durée de la guerre. »

Et l’on me versa au 21e régiment d’infanterie, 13e division, 21e corps (corps d’élite équivalent au 20è) qui ne manqua pas un coup dur.

 

J’eus assez de mal à trouver ce 21e RI qui était au repos après de meurtriers combats à N.D. de Lorette. (*)

On me donna le commandement d’une section de la 5ème Cie dont le « Commandant », qui eut dû être un Capitaine, et qui n’était que Lieutenant, ne m’aimait guère parce que je venais de la Cavalerie, que j’avais un peu d’instruction et lui aucune.

C’était un vieux sous-officier de carrière qui avait couru ... toutes les colonies. On l’avait nommé officier parce que la mort n’avait pas voulu de lui et que l’on manquait de « cadres ». Il était brave, brute et grossier.

 

(*) : Le régiment avait perdu presque 1500 hommes en mai et juin 1915.

Août 1915

En août, nous montâmes en lignes où j’appris le métier de fantassin en écopant de toutes les corvées dangereuses que me commandait mon chef direct : (creusement de tranchées, parallèles-de départ en avant des lignes, pose de fils de fer barbelés !) le secteur était mauvais.

Beaucoup d’obus et de balles, mais je crois bien que la boue si lourde et froide dans laquelle nous pataugions des semaines de suite était aussi terrible. Nombre d’hommes moururent enlisés, beaucoup eurent les pieds gelés, mais j’anticipe, car nous ne sommes encore qu’en août.

 

Ce mois-là, le plus dur était l’écœurante odeur des cadavres dont le plateau de Lorette était couvert.

Je tombai malade, fièvre, impossible d’avaler mais je me cramponnais tant j’avais peur d’être évacué ce qui eût été un déshonneur pour un « cavalier volontaire » !

Pourtant mon « cher » Cdt de Cie s’aperçut de mon état et me donna l’ordre d’aller me reposer un peu en arrière, dans un petit patelin en grande partie détruit (Bouvigny je crois) et où n’habitaient plus que des artilleurs « lourds », et … une certaine Marinette et sa mère. Je lui demandais un lit.

Elle me proposa le sien que j’acceptai … à condition d’y être seul ! … et que moyennant un supplément elle changerait les draps.

 

Au bout de quelques jours j’étais à peu près retapé, d’autant plus qu’un autre jeune officier était venu me demander de partager «  mon » lit  avec l’espoir, non caché, que je céderais « ma «  place à …. Marinette ! ……

 

Je rejoignis ma section et je m’habituai plus ou moins à l’odeur des cadavres, aux mouches, aux poux, aux rats ….

L’une des tranchées ; nommée 02 était entièrement construite (parapet et parades), en cadavres français et allemands….quand il tombait un obus là-dedans ! ……

Heureusement je m’attachai très vite, à mes hommes et réciproquement, mais quelle responsabilité que de commander des hommes au feu et quand on n’a que 25 ans !

Septembre 1915

En septembre 1915, je pris part à toute les meurtrières attaques et contre-attaques sur Souchez, la fameuse sucrerie de Souchez, le bois en Hache, je fis mentir un capitaine qui m’avait dit :

 

« Tous les cavaliers qui viennent chez nous se font tuer ! » ….

 

Pas ma faute !

Mais combien ai-je perdu d’hommes ! Par moments le secteur se calmait plus ou moins, mais l’hiver vint, et c’est là que nous restâmes jusqu’à un mois de suite dans la boue : effroyable …..

 

Puis ce fut le camp de St Riquier, où, nous fîmes de grandes manœuvres comme en temps de paix et où le Général Pétain forgea une excellente armée, la 2ème je crois, qui devait faire une grande attaque décisive.

Mais ce n’est que le 18 décembre 1915, que le régiment quitte N.D. de Lorette pour rester au grand repos dans la zone de Bernicourt jusqu’en janvier 1916.

 

 

 

Extrait du journal de marche du régiment (JMO)

 

Février 1916 : camp de St-Riquier près d’Abbeville.

 

En fait de grandes attaques, nous partions pour Verdun le 26 février et dès le 4 mars nous relevions des éléments du 20è corps d’armée entre fort de Douaumont et le village de Vaux, où nous devions durant 9 jours à peu près sans dormir, arrêter les nombreuses attaques boches précédées de formidables bombardements où je perdis la plupart de mes hommes.

 

Ici, plutôt que de me fier uniquement à ma mémoire, je pense préférable de copier des extraits d’une lettre écrite à ma mère, le 13 mars 1916 :

 

« Maman chérie, Me voilà sorti de la fournaise. J’ai dormi 3h. ce matin, je me suis lavé (ce qui ne m’était pas arrivé depuis 10 jours !) J’ai bien mangé et je suis frais et dispos. Il me semble que je sors d’un long cauchemar et c’est une sensation agréable. »

 

(Je copie mes notes)

4 mars :

Voyagé une grande partie de la nuit interminables files d’autos qui ont l’aplomb de venir tourner dans Verdun toujours bombardé. (Autos toutes lumières éteintes).

Nous gagnons des casernes où nous passons le reste de la nuit entassés les uns sur les autres.

5 mars :

Avons gagné cette nuit la première ligne à proximité du fort et du village de Vaux, au-dessus de la voie ferrée.

Ma tranchée est moins mal aménagée que je ne pensais, elle possède des défenses accessoires. Les chasseurs que nous relevons disent qu’ils ont perdu du monde ; pourtant, peu de trous de marmites, le village est peu abîmé, les bois aussi.

Mais comme c’est maigre comme système de défense ! Pas de boyaux, pas de tranchées de soutien, le peu qui existe a été fait par les chasseurs en 4 jours ....

6 mars :

Revenus hier soir en soutien à 100 m. de la 1ère ligne, près d’un pont de chemin de fer. Le bombardement commence, lent régulier ; le tir est trop long. Nos poilus ont creusé des trous dans le talus où il n’y avait aucun abri.

Je suis dans une cabane en planches, recouverte en tôle ondulée, appuyée au pont ….

Bien fragile coquille de noix au milieu de l’ouragan.

 

À 11h1/2 le bombardement prend des proportions effrayantes et le tir se précise.

Cela durera jusqu’à 18 h 30. On ne peut s’imaginer le spectacle qui s’offre à nos yeux. Il y a de quoi devenir fou. La terre tremble, tout craque, nous sommes sous une pluie dense de terre, d’éclats de débris de toute sortes. J’arrache d’une peau de mouton qui se trouve sous moi un peu de laine que je fourre dans mes oreilles, qui me font très mal. L’ordonnance de Deslandes a la cuisse traversée dans notre propre baraque.

Je le panse et il s’étend sur moi. Le choc a été si fort qu’il saigne abondamment du nez.

 

Le Cdt ContET (*) qui se trouve à 10 m. de nous dans une cabane semblable à la nôtre est écrasé par une partie du pont qui s’écroule. Quelques hommes essaient courageusement mais en vain de le dégager. Il meurt sans pouvoir prononcer une parole mais en me faisant signe qu’il a sa connaissance et entend ce qu’on dit ….

 

Les blessés affluent, épouvantés, c’est une vraie boucherie. On crie, un tel est tué, tel autre est enterré, il faut se précipiter.

Par 5, 6 à la fois les hommes sont broyés. Il ne va plus rester personne. Je fais un dernier acte de contrition et le vœu que si je sors sain et sauf de cette guerre je ferai un pèlerinage avec femme et enfants à Lourdes en action de grâce et acte de foi.

À partir de ce moment, je ne pense plus qu’à mes poilus. Je fais panser les blessés, bondir des volontaires pour déterrer ceux qui sont enfouis vivants.

Beaucoup viennent près de moi se figurant être en sûreté :

 

« Mon Lieutenant nous sommes perdus, sauvons-nous ailleurs. »

Ils sont fous de terreur et ouvrent de grands yeux.

 

Moi, j’ai envie de pleurer, moi je me cramponne, et, grâce à Dieu, je garde tout mon sang-froid, comme d’ailleurs mes deux camarades. Il faut encourager chacun, parfois menacé. :

 

« Alors tu as peur ! Tu n’es pas encore mort (ô triste ironie !) »

« Tiens, bois un coup de rhum ; allons toi, fais une cigarette, etc…»

« Toi, si tu fais mine de te sauver, je te f. une balle dans la peau, etc... »

 

Quel supplice d’attendre ainsi la mort … sans pouvoir bouger, sans voir un boche .. sans tirer un coup de fusil.

 

A 18 h ¾ ça se calme un peu, je fais un tour, tout est bouleversé, le village est détruit et brûle encore. Le sol est profondément retourné, partout des trous énormes, des cadavres dans toutes les positions avec des positions affreuses, les yeux démesurément grands.

L’adjudant forme avec mon pauvre ordonnance, que j’aimais beaucoup, et deux autres, un amas inextricable. Je ne peux même pas prendre leurs papiers. Deux de mes escouades sont anéanties. Géneau est tué. Mon cœur se serre. (**)

Ah, mes pauvres poilus, je sens combien je vous aimais. Pas moyen de s’attarder. Je constate seulement que deux cagnas sont encore debout, la mienne et celle des agents de liaison…

Il faut donner des ordres, rassembler les survivants, gagner une nouvelle position...

Le peloton Deslandes est 1ère ligne, le mien 1 section à flanc de coteau, l’autre dans des trous pour deux sur la voie ferrée d’où l’on domine tout un ravin.

 

(*) : Le journal du régiment précise que le commandant CONTET Jean René Émile a été tué le 7 mars.

(**) : GENEAU Léon, soldat, mort pour la France le 7 mars 1916 à Douaumont-Vaux, tué à l’ennemi. Il était né à Denain (59), le 4 avril 1882.

7 mars

Le matin le bombardement a repris avec rage. Nous savons que nous serons attaqués à midi.

En effet, le bombardement diminue et s’éloigne. Je saute à mon poste de combat. Je défends à mes poilus de tirer avant mon geste. Les mitrailleuses crépitent sec de tous côtés. Je vois d’abord, à 200 m. des poilus qui se rendent. Ils sont une dizaine (de chez nous). J’enrage.

Mes poilus veulent tirer dessus, je les en empêche avec peine.

Peu après je vois un boche, puis deux, puis dix, puis beaucoup d’autres se masser en face de moi à 400 m. J’attends un peu et quand ils sont bien serrés et arrêtés (c’est un renfort), je commande : A 400 m. feu à volonté … feu ! Çà craque pendant un moment. Les boches se sauvent en tous sens, beaucoup restent sur le carreau. Je suis très ému, mes poilus sautent de joie !

Sauvages.

 

A gauche des éléments ayant reçu du gaz lacrymogène et des obus enflammant ont été obligés de se replier légèrement. Les boches en ont profité pour contourner 2 sections de la 6è et les cueillir, dont mon ami Nérot. C’est plusieurs d’entre eux que j’ai vu se rendre.

Le peloton Deslandes, comme le mien arrête net tout ce qui lui arrive !

À ma droite un régiment qui a perdu beaucoup de monde se replie en désordre et l’ennemi progresse terriblement vite.

L. et G. prennent un simple peloton de renfort et arrivent au pas de gymnastique à la rescousse. Dans un élan magnifique ils ré-entraînent les fuyards et repoussent l’attaque. Je les vois d’où je suis.

Malheureusement, tout le temps de l’action ma « tranchée » (la voie ferrée) est balayée par une maudite mitrailleuse et les balles sifflent longuement ; Mes hommes n’y prennent même pas garde, et celui qui occupe le même trou que moi tombe à la renverse tué net (la tête traversée ainsi que le casque) au moment même où je lui parlais...

Je le fait tirer par les pieds un peu plus loin, un autre prend sa place ..... Pendant toute l’attaque nos mitrailleuses très nombreuses, ont tiré sans discontinuer, fauchant comme fait le moissonneur, pour le blé…

8 mars 1916

Nuit assez calme, sauf quelques bombardements habituels et réguliers. J’ai pu dormir un peu, mais fut vite réveillé par le froid.

Attaque en masse dans la soirée sur le village de Vaux et même le fort.

À ce moment le gros de l’infanterie pousse une contre-attaque formidable à la baïonnette, tandis que nos 75 font un tir de barrage derrière les boches. Ces derniers sont exterminés.

C’était horrible.

10 mars

Mon Dieu qu’il fait froid. Nos hommes claquent des dents. Toute la journée, affreux bombardement. C’est épuisant. J’ai mal aux nerfs. Comment suis-je encore en vie. Il ne reste plus que deux abris (deuxième fois) dont le mien !

Nos pertes sont très fortes. À la 2ème section, je n’ai plus que 12 hommes présents sur 40 au départ.

Attaque à la tombée de la nuit, repoussée…

Les 75 font rage et font des barrages, juste où il faut, infranchissables.

11 mars

Bombardement, et sur notre droite, attaque dont je ne sais le résultat… Les hommes sont assez déprimés, méconnaissables, les traits tirés, noirs de terre, de fumée, maigris et nous tombons tous de sommeil.

Depuis 8 jours nous n’avons à peu près pas dormi….

12 mars

Enfin journée calme, c’est le 8è où nous n’avons mangé que rarement et toujours froid. J’ai bien trouvé des confitures et du pain dans le sac d’un boche mort et j’ai partagé avec quelques poilus, mais quel mauvais pain !

13 mars

La relève s’est effectuée sans encombre cette nuit.

Mon peloton ne comportait plus que 13 hommes dont moi comme officier et 2 sous-officiers. Le trajet jusqu’à la Meuse fut pénible car les obus tombaient souvent et il fallait faire bien des plats ventres. Mais nous arrivâmes les premiers aux péniches (sur le canal de la Meuse) où nous devions cantonner les hommes sur d’énormes pierres, moi dans la chambre désertée du batelier !

 

Chemin faisant, et j’allongeais sérieusement, un de mes hommes tourna de l’œil, j’avais bien dit que je ne m’arrêterais pas, je le retapai avec un peu de rhum.

On ne reconnaissait plus la région parcourue en montant. Les bois sont rasés, des trous .. partout, des cadavres d’hommes et de chevaux en décomposition. J’ai croisé et reconnu mes pauvres « cuistots » tous tués en nous montant la soupe. Ils sont là, les bras en croix, leurs bouteilles au bout des mains.

Voilà pourquoi notre ravitaillement n’arrivait pas.

 

Au canal, paysage souriant, plus d’obus ni de bruit, quel repos.

Je fais le compte avec le fourrier pour la 55è compagnie = 71 hommes hors de combat sur 143 dont 45 tués, pas un prisonnier. Les officiers sont sains et saufs.

Deslandes légèrement touché à la tête a gardé son commandement, mais il est sourd. Il va être cité, moi pas.

Je n’ai sans doute pas eu l’occasion de me distinguer, c’est du reste sans la moindre importance … Breithaup m’a dit :

 

« Du moment que je ne suis pas cité, pourquoi le seriez-vous ! »

Je ne lui avais naturellement rien demandé.

 

Je me contentai de faire citer plusieurs de mes sous-officiers et hommes … Tout cela est sans importance, on ne fait pas son devoir pour les récompenses humaines !

En hâte je termine, voici le dîner. Je t’embrasse bien fort, tendrement, ainsi que Papa, frère et sœur.

Pierre

« Pas le temps de me relire ! »

 

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Mais qu’est devenu Breihaupt dans tout cela ?

Après quelques jours de « repos » sur le canal où je me souviens avoir dormi 36h. de suite ! Ma compagnie fut reconstituée par des « renforts » de sous-officiers et hommes, que je ne connaissais pas et je reçu l’ordre de remonter en ligne.

Cette fois, me dis-je, je vais y passer, on ne se tire pas deux fois de la fournaise …. Le moral était bas.

Mais ma Cie fut placée « en soutien » dans je ne sais quel bois où nous n’eûmes à souffrir que de patauger dans l’eau, et à avoir la tête cassée par des 100 de marine qui se trouvaient juste derrière nous, et tiraient tout le temps.

Pas un de mes hommes ne fut touché, nous n’étions pas repérés ! Veine extraordinaire ! Enfin vint la relève définitive. Le régiment avait perdu :

5 officiers tués

45 sous-officiers tués ou blessés

453 hommes.

 

Grand et vrai repos à Aulnois-en-Perthois(*)

 

(*) : Le régiment arrive dans ce village le 21 mars.

6 avril 1916

La Champagne, la Somme, l’Aisne.

30 avril

En secteur à la Savate, ouest de Tahure jusqu’au 20 Juillet.

Pertes relativement élevées, quoique secteur dit calme.

 

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1970, 15 septembre …55 ans après !

 

  J’aurais dû noter qu’aussitôt après Verdun, « cantonné » je ne sais plus où, avec les quelques hommes qui me restaient, en un vieux château endommagé, j’étais étendu sur le plancher, le moral assez bas et pourtant heureux de m’en être tiré, regardant sauter des centaines de puces qui nous dévoraient … à cœur joie.

Je vis, dis-je, se présenter à moi, qui commandait cette défunte Cie (mais où était donc passé Breihaupt ? Passons…), un jeune sous-lieutenant de chasseurs paraissant 17 ou 18 ans !

Je me dis :

« Je vais être bien secondé, avec ce gamin ! »

Et, de mauvais poil :

"Monsieur, vous devrez changer votre vareuse de chasseur contre une de vulgaire fantassin. »

« Je ne pense pas. »

« C’est ce qu’on verra, je suis bien cavalier, ce qui est mieux que chasseur, et j’ai bien mis, moi, des galons de biffin volontaire…… »

 

  Cela parut l’épater, surtout quand je lui dis que mes quelques hommes et moi descendions, rescapés, de Verdun ! ……

 

  Plus calmement, nous nous sommes mis à bavarder jusque tard dans la nuit, il devint aussitôt mon meilleur ami avec Lespinasse. Il avait « fait » Salonique et … les cent coups …. C’était un garçon fort intelligent, courageux, très bon avec « du » caractère.

 

Nous ne nous sommes plus quittés. Lorsque LespiNASSE fut grièvement blessé, il se cacha pour pleurer.

Le colonel lui confia le commandement du « groupe franc » composé de volontaires et de mauvais garçons. (À la suite de Lespi.)

Il fit un coup de main, audacieux et réussi. Il m’avait demandé de l’accompagner.

Pris de scrupules (père de famille), je ne me reconnaissais pas le droit de risquer ma peau comme volontaire et je lui répondis :

 

« Fait moi nommer. »

Réponse :

« Idiot que, je suis, je n’avais pas pensé à cela ! Je te défends de venir. »

Je dus me contenter d’assister à l’opération de la 1ère ligne – prêt à intervenir …

 

Je n’en finirais pas de conter tous les exploits de mon ami. A la fin de la guerre il m’écrivit : (je cite de mémoire)

 

« Tu es heureux de rentrer chez toi (oh combien !) et je te comprends, mais moi, je vais rester dans l’armée, je ne sais rien faire, si ce n’est la guerre, et je vais moisir dans une caserne en France.»

 

  Je le compris, et par mon camarade d’enfance, Lyautey neveu du Maréchal, je pus, le faire nommer au Maroc, où il distingua encore, apprit l'arabe et fut nommé capitaine commandant d'un "Cercle".

Hélas, il tomba un jour dans une embuscade et fut tué. Il avait 8 ou 10 citations, la Légion d'honneur, la Military Cross et ...... 25 ans.

Il était, à mon avis, un futur Mangin.

 

Je réussis aussi à faire partir Barrieux qui se distingua aussi. Mais, lui, fut fait de nouveau prisonnier à la 2ème guerre. Réussit à rentrer.

Prit le commandement d'un maquis (il était effectivement commandant), mais un jour, ayant pris un village sur les boches, et ne se sentant pas en force pour le renfort tenir demanda du renfort.

Ce dernier arriva drapeau tricolore en tête.... C'était des boches (ruse déloyale de guerre).

Mon pauvre ami, blessé, fut achevé à coups de grenades. ...

 

Comment aimerais-je beaucoup cette race qui nous a envahis 3 fois en 70 ans, contre laquelle je me suis battu 5 ans en 14-19, puis 2 ans 1/2 dans la résistance en 42-44 !

Et qui s'est déshonorée par les déportations et tortures....

 

Si nous avions eu une armée solide, les boches ne nous auraient pas attaqués.

 

Soit ! Il y a 25 et 55 ans de tout cela…. D’accord pour une coexistence pacifique.. Mais prudente. A la rigueur essai (sans doute utopique) d’une confédération, non une fédération.

Je ne crois pas à la fabrication d’une Europe avant très longtemps. Cette salade de mœurs, de coutumes, d’intérêts, de langue, de monnaies, je l’ai dit, me semble utopique.

Et que penser d’un gouvernement, de ministres, d’un président, Européens.

N’avons-nous pas assez de nos chers députés, hommes politiques, etc….. ?

Utopies, vous dis-je, et bornons-nous donc à la recherche de la paix et à des coexistences pacifiques. Ce serait déjà bien beau.

Mais ayons la force, tant que « les autres l’auront » pour … ne pas nous en servir.

Sans quoi nous recommencerons une guerre sans être prêts, comme les 3 dernières dont deux finalement gagnées …. Mais à quel prix ??

 

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NOTES DE SERVICE

 

Schleswig – août 1916

5ème compagnie

16 août 1916 – 23 h.

Sous-lieutenant BOUTS au capitaine BREITHAUPT.

"J’ai l’honneur de vous rendre compte que la relève de la 1ère section est terminée sans incident"

P. BOUTS

 

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Ss-Lt BOUTS au capitaine BREITHAUPT

Compte-rendu du 17 août 1916 à 4 h.

"Quelques obus sont tombés vers 3h1/2 sur l’emplacement de la 1ère section et à sa gauche paraissant être du 105.

Aucun dommage."

P. BOUTS

 

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17 juillet 1916

Note pour la 1ère section :

1°) – Les Caporaux feront minutieusement nettoyer le secteur et mettre en ordre tous les objets qui traînent, grenades, outils, etc …Les débris d’effets ou autres seront enfouis.

2°) – Nettoyage des fusils, une revue d’armes sera passée dans la soirée par le caporal ROUSSE.

3°) – La nuit prochaine les feuillées comblées devront être refaites suffisamment profondes en particulier celles qui se trouvent près du PC du chef de section.

4°) – Le caporal ROUSSE enverra un homme pour 9 h. au PC du Ct de Cies chargé de 10 bidons. Cet homme ira au « jus » pour toute la section.

P. BOUTS

 

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Ss-Lt. BOUTS au sous-lieutenant Chaplet

17 août 1916

"Mon cher Chaplet

J’attrape la corvée d’être popotier pour la 5è et j’ai à nourrir l’E.M. du bataillon. Pourriez-vous me dire combien je dois réclamer par jour au commandant et aux capitaines proportionnellement aux sous-lieutenants ? Avez-vous un solde à me remettre ?

Qui va prendre à sa popote le cher Kleinpeter ? J’ai une note du commandant…. Qui ne me parle pas de lui.

Merci et bien à vous."

P. BOUTS

 

Chaplet fut tué non loin de moi, peu après cette note …. (*)

Kleinpeter était un jeune « médecin auxiliaire » fort sympathique et dévoué.

 

(*) : CHAPLET Jules, sous-lieutenant, mort pour la France à Foucaucourt-en-Santerre (80) le 22 août 1916, tué à l’ennemi. Il était né à Coupru (02), le 4 juin 1880.

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Sous-Lt BOUTS au capitaine BREITHAUPT

18 août 1916

"J’ai l’honneur de vous rendre compte que, après ce très violent bombardement d’hier soir, la nuit a été relativement calme.

Tous les éboulements produits dans le secteur de la 1ère section sont réparés de même dans le boyau montant vers la 1ère ligne mais ce dernier n’a pu être approfondi.

Tous les « sacs à terre » ont été utilisés"

P. BOUTS

 

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Compte-rendu de 11h30

Ss-lieutenant BOUTS au Ctne BREITHAUPT

R.A.S. Pertes = Néant.

"Savez-vous quelles sont les fusées employées pour l’artillerie ? Je n’ai pas à en employer ici mais c’est tout de même bon à savoir."

P. BOUTS

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Sous-Lt BOUTS au commandant SERMAGE

18 août 1916

"Je vous serais très reconnaissant de vouloir bien remettre au porteur de ce mot la somme de 35 F 60 montant de vos indemnités pour dix jours à titre d’avance.

J’ai été vous voir vers 14 h 30 mais je ne vous ai pas trouvé. Excusez-moi donc de vous envoyer un homme, je vous prie."

P. BOUTS

 

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Ss-Lt BOUTS au capitaine BREITHAUPT

Compte-rendu du 19 août 1916

"Le boyau desservant la 1 ère ligne a été approfondi de 0 m 30 sur une longueur de 60 m.

Événements : Jusqu’à 3 h. R.AS.

A 3 h. Le village d’Estrées est bombardé et quelques obus tombent autour de la tranchée. Un 210 tombe sur le parapet à hauteur de la 2è escouade et produit un éboulement d’une dizaine de mètres qu’on est en train de réparer."

P.BOUTS

 

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1 ère section – Ss-Lt BOUTS au Ctne BREITHAUPT

20 août – 4 h. Compte-rendu :

"Événement de la nuit : R.A.S.

Travaux exécutés : réfaction de la tranchée où elle était abîmée."

P.BOUTS

 

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Le Ss-Lt BOUTS au Ctne BREITHAUPT

"A l’honneur de rendre compte que le nom des 3 équipes sont :

Tireurs : Dubois, Dorizon, Rabec (Stage)

FourvoyeursPihen, Gernot, Gohier, Chenal, Thévenot, Cathelain (sans stage)"

Le Ss-lieutenant P. BOUTS

 

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Sous-Lt BOUTS au caporal ROUSSE

21 août – 16 h 45

"Interdiction de se mettre dans les abris car on peut avancer d’un moment à l’autre.

Ne laisser personne repartir en arrière.

Renvoyez-moi ce papier pour me prouver que tout le monde est là."

P. BOUTS

 

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Sous-lieutenant BOUTS au caporal ROUSSE

"Il faut que quelques hommes veillent mais que personne ne tire sans ordre, la 7è. est devant nous dans la tranchée boche."

P.BOUTS

 

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Sous-lieutenant BOUTS au Ctne BREITHAUPT

"Faite tout votre possible pour faire allonger le tire. La 1ère vague a dépassé son objectif et demande que l’on allonge par fusées et en agitant un fanion."

P. BOUTS – 18 h 45

 

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Ss-lieutenant BOUTS au caporal Alexandre

"Dès que vous pourrez mettez quelques hommes à organiser le boyau Schleswig, mais continuez avec le reste à occuper votre tranchée."

P. BOUTS – 19 h.

 

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Ss-Lt BOUTS au sergent Alexandre

"Faites creuser à toute vitesse car nous pourrions être gênés tout à l’heure par les mitrailleuses.

Travaillez, travaillez."

P. BOUTS

 

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Ss-lieutenant BOUTS au commandant SERMAGE

"Nous manquons totalement de grenades, en 1ère ligne. Il m’en faudrait d’urgence. Je voudrais aussi un fusil ou un pistolet lance fusée."

P. BOUTS

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Capitaine BREITHAUPT au Cdt SERMAGE

"J’ai l’honneur de vous rendre compte : que nous avons repoussé plusieurs contre-attaques énergiquement mais non sans peine car nous manquons de tout.

Nous occupons l’emplacement ci-dessous ..."

 

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... marqué d’un gros trait. C'est-à-dire que nous sommes en liaison à gauche avec les chasseurs et à droite avec personne. Nous risquons donc d’être encerclés par la droite.

  Nous sommes sans nouvelles du Cap. Malleterre et de Gerraan et Chapelet est tué. Il faudrait un officier pour venir prendre le commandement de sa section.

  Les sections sont très en désordre et fatiguées. Je ne connais pas encore exactement les pertes.

  Dans quelles conditions se fera le ravitaillement aujourd’hui ? Surtout en eau ?

  Je manque encore de beaucoup de grenades, cartouches et je n’ai aucune fusée pour la nuit prochaine. Il me faudrait aussi un fusil ou revolver lance-fusée.

  Le boyau Schleswig est à approfondir, mais je ne peux le faire moi-même."

 

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21 R.I. Ss-Lt BOUTS au Ss-Lt Chasseurs.

"Je vous préviens que des boches progressent par le boyau dans votre direction.

J’espère que vous tiendrez facilement mais si vous êtes obligé de vous replier prévenez- moi."

P. BOUTS, 22 août 16

 

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Sous-Lt BOUTS au caporal ROUSSE

"Toute la section devra se tenir prête à partir dès 20 h 30 de façon à éviter toute perte de temps quand la relève arrivera. Continuez à travailler mais veillez cependant sur votre droite où vous pourriez voir un mouvement boche s’il s’en produit un.

Il faudrait en ce cas me prévenir. Que chacun ramasse tout objet ou effet qui peut lui manquer."

P. BOUTS

 

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Ss-Lt BOUTS au caporal ROUSSE – 23 août 1916

"Vous établirez pour ce soir 17 heures des motifs de citations détaillées pour les hommes qui se sont particulièrement distingués à la 1ère section.

Vous prendrez l’avis des caporaux et fonctionnaires chefs d’escouades.

Je ne m’occupe que de la 1 ère section mais vous pouvez dire aux autres chefs de sections actuels qu’ils n’oublient pas de prendre leurs dispositions en ce sens."

P. BOUTS

 

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5ème compagnie – Compte-rendu

Le Ss-lieutenant BOUTS au capitaine BREITHAUPT

"J’ai l’honneur de vous signaler ci-dessous les gradés et hommes que j’ai vus, près de moi se distinguer d’une façon toute particulière aux combats du 21 et 22 août 16."

 

Sergent Petit

"A fait preuve dans les combats du 21 et 22 août de sang-froid et d’énergie. Merveilleux tireur, a tué successivement d’une balle à la tête, plusieurs tireurs ennemis qui cherchaient à l’atteindre."

 

Caporal Louis

"Brave parmi les plus braves, sait communiquer son ardeur à ses hommes.

Le 21 août a été occupé et organiser la ligne conquise en faisant passer sa section à découvert sous un violent tir de barrage. A largement contribué à repousser quatre contre-attaques dans la nuit du 21 au 22 par ses remarquables qualités de sang-froid, d’endurance et de lanceur de grenades."

 

Soldat Boisselle – Classe 1916

"Prisonnier civil des Allemands, a réussi au prix de nombreuses difficultés à s’évader et à rentrer en France pour partir avec sa classe.

S’est distingué aux combats du 21 et 22 août comme agent de liaison, insouciant des obus ; enterré et assez sérieusement contusionné a combattu à la grenade avec une rare énergie et une ténacité admirable."

 

Caporal ROUSSE

"Son chef de section étant blessé, l’a remplacé et a fait preuve de sang-froid, d’intelligence et de ponctualité. A fait creuser à sa section en une nuit et malgré un bombardement continuel, un boyau de première nécessité reliant la ligne conquise le 21 août et la tranchée de départ."

 

Soldat Fuet

"Jeune grenadier d’un mordant- et d’une ténacité exceptionnelles.

A établi un barrage qu’il a défendu jusqu’à la dernière limite dans le combat du 22 août. Un moment entouré par des grenadiers ennemis, s’est dégagé en se battant à coups de poings et est rentré dans nos lignes."

 

Soldats Châtelain et Magnier

"Fusilier mitrailleur et son pourvoyeur. Ont rendu les plus signalés services dans l’attaque du 21 août en accompagnant et soutenant de leur feu l’équipe de grenadiers d’attaque. Ont ensuite puissamment contribué à repousser les contre-attaques."

 

Soldat Gesmier

"A été d’un bon exemple pour ses camarades aux combats du 21 août en travaillant avec ardeur à aménager un boyau à proximité de la tranchée conquise sans se soucier d’un bombardement violent."

 

Soldats Bourrier et Tissot

"Au combat du 22 août ont établi un barrage, et l’ont défendu avec la dernière vigueur… lançant leurs grenades à bout portant."

 

Soldat Delacroix

"Brave jusqu’à la témérité. Aux combats du 21 et 22 août, faisant fonction de chef d’escouade a littéralement électrisé les hommes qui l’entouraient. A combattu jusqu’au corps à corps dans la contre-attaque du 22 août. (Disparu)"

 

Caporal Boudon

Possède toutes les qualités du parfait gradé et grenadier.

"Sang-froid mordant, ténacité, vigueur physique. Dans le combat du 22 août s’est battu corps à corps, avec la dernière violence. (Disparu)"

P. BOUTS – 24/8/1916

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Sous-Lt BOUTS au capitaine BREITHAUPT

"J’ai l’honneur de vous rendre compte que je travaille au Casino dans le boyau : Rempten.

J’ai vu le Colonel qui m’a dit de faire monter la soupe de mes hommes par une corvée d’hommes qui sont auprès de vous. Je reprendrai les mêmes abris ce soir et je continue mon travail demain matin."

P. BOUTS

 

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21 RI - 5è Cie, 26 août 1916, compte-rendu

Le sous-lieutenant BOUTS au lieutenant-colonel de Rieucourt.

"J’ai l’honneur de vous rendre compte que le travail entrepris au boyau d’évacuation (sud de la route Estrées-Foucaucourt) n’a été arrêté que le 25 août de 20 heures à 22 heures en raison du bombardement."

"En dehors de cela, il a été poursuivi sans interruption.

Le travail est poussé aussi activement que possible mais les hommes sont fatigués et ne peuvent pas donner le rendement d’hommes reposés."

P. BOUTS

 

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26 août 1916

Sous-Lieut. BOUTS au S.Lt. Alexandre

"Lisez la note ci-jointe que je viens de recevoir du colonel et allez vous-même rapidement la faire lire au St Predon en lui disant de ma part d’activer encore le travail le plus possible.

Retournez-moi la note du colonel et dites-moi bien si toute l’équipe Predon est au travail.

Donnez-moi l’effectif total des travailleurs de la 1ère et de la 2ème."

P. BOUTS

Demandez aussi à Predon si quelqu’un a été voir le travail ??

 

Le compte rendu qui va suivre, aurait dû être fait par BREITHAUPT, capitaine, Mais …

 

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5ème compagnie, 26 août 1916

COMPTE-RENDU

Le capitaine BREITHAUPT au lieutenant-colonel de Rieucourt.

"J’ai l’honneur de vous rendre compte que, à la suite de notre attaque du 21 août et conformément aux ordres reçus, ma Cie occupant les emplacements suivants : deux sections en première ligne dans la tranchée du bois de Schleswig en liaison à droite avec la 7è Cie et à gauche avec le 20è bataillon de chasseurs.

  Une section et demie dans le boyau d’Estrées et contre le boyau du Schleswig avec l’ordre d’aider au ravitaillement en munitions.

  Aussitôt à leur emplacement, mes deux sections de première ligne organisèrent la tranchée et le sous-lieutenant BOUTS qui les commandait me fit demander des munitions mais il avait épuisé lui-même le faible dépôt qui se trouvait à l’intersection du boyau d’Estrées et du boyau du Schleswig en ravitaillant la 7è Cie sur la demande du Capitaine Malterre aussitôt qu’il avait occupé la 1ère ligne ennemie.

  Quelques caisses de grenades, une caisse de cartouches et une caisse de fusées parvinrent cependant en 1ère ligne, mais c’était insuffisant ! En effet, l’ennemi parvint rapidement à réoccuper la partie ouest de la tranchée.. mais ce fut ignoré de mes 2 sections et le Sous-Lt. BOUTS se croyant aussi bien soutenu à droite qu’à gauche était parfaitement décidé à repousser toutes les contre-attaques.

 

Il y eut d’abord dans le début de la nuit quelques travailleurs qui essayèrent d’enlever un réseau brun et furent dispersés...

Puis successivement trois contre-attaques se produisirent, toutes repoussées par nos barrages à la grenade (beaucoup de grenades allemandes trouvées) dont la dernière un peu avant l’aube, très violente.

Les chasseurs, manquant, comme nous, de grenades se sauvèrent en débandade, abandonnant des fusils et fusils-mitrailleurs. Mes deux sections tinrent bon et étaient décidées au cas où l’ennemi les serrerait de trop près à charger à la baïonnette pour se dégager. Les grenadiers allemands furent une fois de plus repoussés et heureusement ne restèrent pas dans la tranchée aux chasseurs. (*)

Le sous-lieutenant BOUTS fit rétablir la liaison avec eux par l’adjudant Saint qui alla simplement les prier de vouloir bien venir réoccuper leur tranchée.

 

La journée du 22 fut occupée à travailler et à s’approvisionner largement en munitions et fusées.

Le soir nous nous attendions à être contre-attaqués très vigoureusement et nous aurions parfaitement tenus si nous nous étions sentis soutenu à droite, or les Allemands occupaient la même tranchée que nous, un simple barrage les séparait de la 7ème Cie et à gauche, or à peine la contre-attaque fut elle déclenchée (20h1/2) que les chasseurs s’enfuirent.

Attaqués de face, contournées à droite et à gauche, plutôt que d’être faites prisonnières les 7è et 5è Cies se replièrent en combattant à la grenade vigoureusement, sur le boyau du Schleswig qui fut aussitôt organisé défensivement jusqu’au boyau d’Estrées."

 

(*) : C’est exact, le JMO le confirme :

«  …Une contre-attaque allemande fait céder la 1ere compagnie du 20e chasseurs, dont le recul découvre les 4e et 7e compagnies (du 21e RI) qui reculent par la tranchée du Schleswig. Ce recul se fait en combattant pied à pied et avec acharnement en luttant même au couteau .. »

 

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Souvenirs du 22 août 1916

Les combats du Schleswig furent extrêmement pénibles et meurtriers. Nous perdîmes beaucoup de monde. Et cela dura 7 ou 8 j …. Et nuits …..

C’est là qu’un boche lança une grenade sur ma caisse de fusées, posées sur le parapet. Beau feu d’artifice ! Qui déclencha un violent barrage d’artillerie … et me fit perdre ma précieuse musette et mon petit appareil de photos.

Je reçus un petit éclat dans un doigt, que je retirai moi-même. Sans gravité. (*)

 

En somme après une très forte « préparation » d’artillerie nous avions pris quelques positions boches … qu’ils reprirent en partie le lendemain.

Certain de mes hommes se battirent à coup de poignard et à coups de poing !

Les attaques et contre-attaques se succédèrent, surtout la nuit, et par moments on ne savait plus où l’on en était. A un moment les boches étaient dans la même tranchée que ma section et nous n’étions séparés que par quelques sacs à terre.

On devient cruel.

 

Je vis le sergent Petit jouer à cache-cache. Il mettait un casque au bout d’un fusil. Le Boche tirait dessus, mais se découvrait et Petit en profitait pour le descendre d’une balle à la tête. Il fut tué lui-même par la suite.

Nos tranchées étaient si abîmées par les obus qu’elles étaient peu profondes et que nous devions rester couchés tout le jour (obligés d’uriner sous nous). Se lever était la mort.

Le lieutenant Chaplet fut tué ainsi. (**) 

Rien n’est plus épuisant que de rester couché sur le dos ou sur le ventre dans le fond d’un petit boyau humide toute une journée …..

Essayez, si le cœur vous en dit ! Et cela dura 8 jours.

Verdun, qui fut encore plus dur et meurtrier dura 9 jours et 9 nuits … à peu près sans dormir, et nous y sommes remontés après 3 jours de demi-repos.

 

(*) : Philippe BOUTS, son petit-fils, se souviens bien qu’il lui avait, un jour, montré l’emplacement de cette blessure, sur un de ses pouces.

(**) : C’est inexact le s/lt CHAPLET Jules fut tué par un éclat d’obus (JMO)

 

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C.R.  NOTES DE SERVICE

Septembre 1916

Capitaine Le Duc Ct la 5ème Cie aux chefs 1ère, 2ème, 4ème Sections.

I - Signaux en vigueur

a) Fusée de 3 feux ou 3 fusées simultanées : alerte, nous sommes attaqués, demande de tir de barrage.

b) Fusée de 6 feux : allongez le tir.

c) Fusée à un feu : nous sommes ici.

 

Ces signaux conservent cette signification quelle que soit leur couleur. Les signaux sont répétés jusqu’à ce que satisfaction soit obtenue. Rien n’est changé aux signaux de liaison avec environs.

Quand la Cie sera en ligne, s’assurer des approvisionnements nécessaires et m’adresser les demandes en temps voulu.

 

II – Compte-rendu à fournir :

2 heures : compte-rendu succinct des évènements de la nuit (ne pas le fournir s’il n’y a rien à signaler)

10h30 :

a /- Demande matériel (bien demander tout le matériel nécessaire pour les 24h. : bois, outils, munitions, artifices, sacs à terre)

b /- même compte-rendu qu’à 2 heures.

13h :

Ø  1°/ Compte rendu détaillé par écrit des évènements des 24 h. ; répondre aux  questions suivantes :                              

ü  activité ennemie :

·        Infanterie

·        Divers

ü  b) activité française :

·        Infanterie

·        Artillerie

·        Divers

ü  c) munitions consommées : 1°/ cartouches 86 ; 2°/ grenades VB ;3°/ grenades diverses.

ü  d) Pertes : bien indiquer les noms des tués, blessés, disparus, divers (malades).

Noter également la cause de la blessure (obus, balles, etc.…) et sa gravité.

ü  e) Mouvements de troupes (relèves ou déplacements)

ü  f) Divers

ü  g) Physionomie des 24h.

Ø  2°/ Compte-rendu des travaux exécutés en entrant dans le détail.

Ø  3°/ compte-rendu du tir de l’artillerie du modèle ci-après.

III – Approvisionnement d’eau :

Les sections pourront faire prendre au casino par des corvées régulières l’eau dont elles ont besoin pour leur consommation.

IV – Liaison

Les chefs de section doivent avoir constamment au moins deux hommes connaissant l’emplacement de mon P.C. et l’itinéraire pour s’y rendre.

V – Canons V.B. Fait remise de :

Ø  2 canons à la 1ère

Ø  - 2     ‘’       ‘’  ‘’  2ème

Ø  - 4     ‘’       ‘’  ‘’  3ème

Ø  - 2     ‘’       ‘’  ‘’  4ème

VI – Cartes :

Fait remise aux chefs de sections d’une carte d’Ablaincourt au 1/5000.

VII – Travaux :

Aucun travail ne sera exécuté cette nuit. Continuer dès le petit jour les travaux prescris ce matin.

VIII – Étudiants en médecine :

Fournir pour demain 9h30 l’État nominatif des hommes des classes 14, 15, et 16 qui étaient avant leur incorporation étudiants en médecine et titulaires de deux inscriptions. Ces hommes seront versés par voie de changement d’armes dans les sections d’infirmiers, à l’exception toutefois des sous-officiers, des hommes qui seraient employés comme spécialistes indispensables et de ceux qui demanderaient à être maintenus à leur corps.

IX – Obus spéciaux :

Notre artillerie tirera cette nuit des obus spéciaux. Chaque homme devra conserver son masque sur lui pour le mettre instantanément dans le cas des retours de gaz ou d’une riposte ennemie.

X – Situation de la Cie :

Le bataillon, étant en réserve de brigade, la Cie peut être alertée d’un moment à l’autre et doit être prête à entrer en action dans le plus court délai.

Prendre les précautions utiles et en conséquence avoir un veilleur dans chaque section.

 

8 septembre 1916- 21h30

Signé : Le Duc

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Sous-lieutenant BOUTS au sergent Alexandre

"Je vous transmets la note ci-jointe du capitaine.

Lisez-la aux Caporaux et fonctionnaires caporaux. Vous pouvez la garder. Et surtout appliquez-la."

P. BOUTS, 8 septembre 1916, 21h30

 

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Sous-lieutenant BOUTS au capitaine Le Duc

"J’ai l’honneur de vous proposer pour citation le sergent et le soldat ci-dessous " :

Sergent Predon :

« Sous-officier énergique et brave. Aux combats du 21 et 22 août 1916 a su conduire sa section dans la ligne nouvellement conquise en traversant un violent ! Tir de barrage a découvert. A communiqué à ses hommes son ardeur et sa ténacité dans les contre-attaques qui ont suivi.» 

Soldat Laborde :

« F.M. intelligent, adroit, et brave. A l’attaque du 21 août 1916 a constamment accompagné les grenadiers dans leur progression, les soutenant du feu rapide de son F.M. Blessé à la mâchoire. »

 

9 septembre 1916

P. BOUTS

 

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5ème Cie – Compte-rendu des travaux exécutés dans la nuit du 10 au 11 septembre par le 1er peloton.

Sous-lieutenant BOUTS au capitaine Le Duc

 

1°/ - Réparations très peu importante du boyau C6 depuis la tranchée du Stuttgard jusqu’au casino.

2°/ - Commencé la réparation très importante d’un gros éboulement à la sortie du tunnel. Travail non terminé (en raison d’un nouvel éboulement) en cours d’exécution et du manque de sacs à terre.

3°/ -En suivant le C6, à 80m du tunnel, réparé complètement un éboulement sérieux. Un peu plus loin réparé un léger éboulement.

Le travail a été interrompu de minuit à 1h15 en raison du bombardement.

Les outils sont tous en face des feuillées les plus proches du P.C. (de la 5ème Cie)

Le Sous-lieutenant Legangneux trouvera un sergent de génie à 7h. à la gare de Stuttgard qui lui indiquera son chantier. »

 

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Citation pour moi qui m’a été dictée ! -(…… que ma femme m’oblige à insérer !!!! ……… j’obéis …. !)

 

Ordre de la division.

« Officier courageux, ayant du sang-froid et une énergie tenace. Dans la nuit du 21 août et le 22 août 1916 a maintenu son peloton en liaison étroite avec le corps voisin, sous un bombardement très violent.

Le 22 août dans la nuit, menacé d’être tourné et obligé de battre en retraite a défendu pied à pied le terrain en se repliant sur la position principale où il s’est établi et maintenu malgré les assauts furieux de l’ennemi. »

Citation du sous-lieutenant BOUTS

 

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2I R.I. – 5ème Cie

Sous-lieutenant BOUTS au capitaine Le Duc

« J’ai l’honneur de vous rendre compte que BLONDEL, mon ordonnance, ayant couru avec moi une partie de la nuit pour trouver le train de combat, je lui ai dit de se reposer avant de monter. Il arrivera pour la soupe du soir. »

P. BOUTS

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5ème Cie – Ss-Lt BOUTS au capitaine Le Duc

« J’ai l’honneur de vous rendre compte que la corvée de 50 hommes n’est pas encore arrivée ce qui va me retarder considérablement. Je ne serai sûrement pas à 21 heures, au point 84 g car il me faudra encore le temps de faire la répartition. Je fais rechercher la corvée qui doit être perdue, je ne peux naturellement pas partir sans elle. »

« Les hommes ont mangé la soupe sauf ceux de la 3ème section dont la corvée n’est pas arrivée non plus. »

P. BOUTS – 20h45

 

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Sous-lieutenant BOUTS aux sergents de sections.

« Les sergents de sections possédant des fusils lance-fusées vérifieront s’ils sont propres et en état de servir, s’assureront que ce sont des caporaux ou hommes sûrs qui les ont en consigne et que ces derniers sont près d’eux et ont les instructions nécessaires.

Les fusées éclairantes à baguettes, doivent être à l’abri et deux ou trois prête à lancer.

Constituer dès maintenant des sortes de caisses à grenades le long des banquettes de tir et les emplir en ramassant toutes les grenades boches ou françaises qui traînent..

Faire demain matin des demandes de fusées et de grenades car il n’y en a pas assez... »

 

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5ème Cie – Ss-lieutenant BOUTS au capitaine Le Duc.

« J’ai l’honneur de vous rendre compte que la corvée de soupe partie ce matin avec le caporal Jules n’a pas beaucoup mieux marché que celle d’hier. Les 4 hommes de la section ne sont pas encore revenus.

Après avoir pris l’avis des sergents, je soumets à votre approbation le système suivant employé aux 6èmes et 7èmes Cies : Quatre hommes par section seraient uniquement occupés à aller chercher la soupe deux fois par jour. Ce serait toujours les mêmes hommes mais ils ne feraient aucun travail la nuit et connaissant parfaitement le chemin ils iraient plus vite. Ils pourraient peut-être être conduits de préférence par le sergent du jour.

Au sujet du jour, il y aurait lieu que vous fixiez vous-même de quelle heure à quelle heure il doit être pris par les gradés et par les sections.

Je vous serais reconnaissant de me donner en détail les travaux et les corvées à exécuter cette nuit par la Cie.

Sans attendre la demande de matériel de demain matin il serait préférable si c’est possible de se munir pour cette nuit de fusées éclairantes (le nombre en est actuellement très insuffisant) et aussi de grenades.

Tout au moins me faudrait-il des baguettes de fusées. »

 

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20 septembre 1916 – 16h. P. BOUTS

Sous-lieutenant BOUTS aux chefs de sections.

« Je ferai tout mon possible pour que les hommes se reposent toute la journée mais il faut qu’ils restent équipés et qu’ils nettoient leurs fusils.

Ne pas oublier de faire les comptes rendus prescrits pour onze heures.

Ils seront remis au PC du sous-lieutenant BOUTS qui les fera tous parvenir au capitaine. »

 

21 septembre 1916- 8h 15

Le Sous-lieutenant, P. BOUTS

 

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Sous-lieutenant BOUTS au capitaine Le Duc

« J’ai l’honneur de vous rendre compte que les Chasseurs qui étaient à ma droite sont partis mais ne sont pas relevés.

J’ai parcouru leur tranchée sur 200m sans trouver personne.

Les mitrailleurs, eux, ont bien été relevés (ceux de ma droite) par du 109è.

Le commandant me téléphone que le peloton Legangneux ne serait pas encore parvenu à destination ce qui me paraît impossible. »

Le 22 septembre, 3h ½

P. BOUTS

 

(C’était à la tranchée du Schleiswig où l’on s’est rudement battu)

 

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2I R.I - 5ème cie - ORDRE

« Le sergent Larrieu se rendra immédiatement au P.C. du Cdt de Cie le plus proche de la droite de la 5ème Cie.

Il se présentera au capitaine commandant cette Cie qui doit être du 109 RI et lui rendra compte que la liaison qui existait entre nous et les chasseurs n’existe plus entre nous et le 109è. Il lui demandera si sa Cie n’aurait pas du relever outre les chasseurs, un peloton de la 5 ème Cie du 21 R.I. c’est à dire venir occuper jusqu’au point 90d »

 

22 septembre 1916 - 3h45

Le Sous-lieutenant

P. BOUTS

 

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Sous-lieutenant BOUTS au sergent Larrieu

« Ne faites pas enterrer Ringot. (*) Vous le ferez transporter, par ordre du capitaine, au château dès la tombée de la nuit par les brancardiers.

Il sera sans doute enterré là ou peut être transporté au «Casino» par d’autres brancardiers, il faudra que le plus ancien brancardier demande des instructions au P.C du Colonel. »

22 septembre, 20h.

P. BOUTS

 

(*) : RINGOT Raymond Cyrille, 25 ans, soldat, mort pour la France à Deniécourt (Somme), le 22 septembre 1916, tué à l’ennemi. Il était né à Saint-Just-des-Marais (Oise), le 27 septembre 1891. Pas de sépulture militaire connue.

 

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Sous-lieutenant BOUTS au sergent PETIT

« Le sergent Petit s’occupera des travailleurs (2 escouades) fournis par les 1ères et 2èmes sections qui doivent creuser un boyau que lui montrera le caporal Fourrier.

22 septembre 1916 »

20 heures

P. BOUTS

 

(Le sergent Petit a été tué peu après)

 

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Sous-lieutenant BOUTS au sergent JANET

« Le sergent Janet s’occupera au reçu de cet ordre de placer les escouades de la 3ème et 4ème sections qui doivent creuser un boyau reliant en ligne droite le PC du capitaine et la tranchée de la cie.

L’agent de liaison Répart lui montrera l’emplacement.

Bien entendu le boyau doit comporter : un nombre suffisant de pare-éclats. »

 

22 septembre 1916 - 20 heures

P. BOUTS

 

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Sous-lieutenant BOUTS au sergent LARRIEU

« Je vous envoie un pistolet lance-fusée qui pourra vous être très utile. Donnez-le à un homme ou un caporal très sûr et réunissez les fusées signaux ou éclairantes dont vous disposez. »

23 septembre 1916 - 10h30

P. BOUTS

 

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Sous-lieutenant BOUTS à l’adjudant JANET

« Je suis chargé par le capitaine Le Duc de vous rappeler que la 5ème Cie ne peut pas fournir ce soir la corvée de 38 hommes prescrits. »

25 septembre 1916

P. BOUTS

 

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Sous-lieutenant BOUTS aux chefs de 1ère et 4ème sections.

« Se tenir prêts à partir dans la tranchée nouvelle aux emplacements occupés la nuit dernière par les 2è et 3è sections.

Le départ aura lieu probablement à 18h45.

Se munir tout de suite de 10 grenades par homme. Les sergents LARRIEU et Rougeot veilleront à avoir une quantité suffisante de cartouches éclairantes et signaux.

Elles devront être lancées par un fusil et non par un pistolet.

J’enverrai une confirmation de cet ordre. »

26 septembre - 17h30

Le sous-lieutenant P. BOUTS

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Sous-Lt BOUTS à Chefs 1ère-2ème et 3ème sections.

« Je trouve l’artillerie ennemie assez active. Prendre toutes dispositions pour le cas où la fantaisie prendrait aux boches d’attaquer à la tombée de la nuit.

C’est-à-dire :

1°/ - Vérifier pendant le jour l’emplacement et le champ de tir des FM.

2°/ - Placer toutes les grenades judicieusement à portée de la main des hommes.

3°/ - Vérifier le bon fonctionnement des fusils.

4°/ - Ne pas laisser les hommes disséminés, mais les grouper par 3 ou 4.

Enfin bien veiller, surtout à la tombée de la nuit et au moment où la 1ère section sera relevée. Cette dernière ne devra, d’ailleurs, quitter son emplacement, que quand la section de la 6ème sera bien installée.

En cas d’attaque, tenir à tous prix, c’est parfaitement possible grâce à nos mitrailleuses et à notre ‘’cran'’. »

 

5 octobre 1916 - 15h30.

P. BOUTS

 

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Sous-lieutenant BOUTS au Captne commandant la 5 ème.

« - 1ère section : R.A.S. »

« - Pas de pertes jusqu’à présent. »

« - Je ne bouge pas avant vos ordres. »

10 octobre 1916, 12h05, P. BOUTS

 

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MOTIF DE CITATION

Blondel René :

« A toujours fait preuve pendant ses 17 mois consécutifs de front, de sang-froid et d’énergie. Soldat ponctuel et consciencieux. Tué à son poste le 9 octobre - 1916. »

 

**** En réalité le cher Blondel était mon ordonnance, fort dévoué, il a été tué au moment où il sortait de mon P.C. situé dans une ancienne cave dont on sortait par une échelle. Un éclat d’obus l’avait transpercé, et il était retombé dans le fond de la cave. J’eu du mal à me procurer une corde pour le sortir de là. (*)

En haut de l’échelle je trouvai deux ou trois hommes tués dont l’un avait la moitié (en long) de la jambe coupée qui pendait de la tranchée dans l’entrée du P.C.

 

(*) : BLONDEL René Désiré, 21 ans, soldat, mort pour la France le 8 octobre 1916 à Deniécourt (Somme), tué à l’ennemi. Il était né à Crégy (Seine-et-Marne) le 19 novembre 1895.

Il est inhumé à Maucourt (Somme), tombe n° 769

 

« Bon courage à mon cher petit mari pour finir cette guerre et nous rendre victorieux.

J’ai été bien heureuse de te voir. »

Ta M….

 

À quelques centaines de mètres à gauche de Tahure et à 100m. des boches.

25 avril 1916

Eh oui, pour la 3è fois depuis le début de la guerre j’ai eu la joie de recevoir la visite de l’être qui m’est le plus cher au monde.

Il me semble que je sors de chacune de ces entrevues plus aimant, plus fort ; et meilleur. Si ce n’est le cafard qui ne me quitte pas pendant plusieurs jours ;

Notre ménage, contrairement à tant d’autres s’unit chaque jour davantage. Il faudra qu’il produise des fruits, nombreuse famille et beaucoup de bien.

Nous avons donc passé, M… et moi 3 jours exquis à Aulnois-en-Perthois.

J’arrivais peu de temps auparavant de Verdun ......

 

D’Aulnois, le régiment s’est transporté près de Chalons, à Juvigny, d’où après une quinzaine de jours de repos nous avons gagné ce secteur de Tahure.

Nous sommes montés en ligne dans la nuit du 21 au 22 et ma section s’est portée directement en 1ère ligne. dans un secteur non connu il faut particulièrement    bien veiller et j’ai passablement souffert du froid jusqu’au matin.

Notre secteur est fort calme, les troupes que nous avons relevées l’occupaient depuis longtemps et n’ont guère eu de pertes.

De temps en temps quelques obus, une balle siffle, un mitrailleur qui «passe une bande», c’est tout. Seulement dans cette craie, c’est la lutte de mines, peut-être la plus terrible qui soit.  Notre 6ème Cie est complètement minée et s’attend à sauter d’un moment à l’autre. Notre contre-mines sera-t-elle terminée la 1ère? C’est une angoisse perpétuelle que je ne connaissais pas encore.

Le secteur est merveilleusement organisé et défendu. Vrai labyrinthe de boyaux et de tranchées profonds. sapes-abris à 6 et 10 m. sous terre avec couchettes superposées. Téléphone à chaque PC de capitaine. Précautions nombreuses contre les gaz, appareils Vermorel, appareils signaleurs, dépôts de munitions nombreux, etc ... etc ... défenses accessoires de fils de fer formidables se touchant en certains points avec celles des boches !

 

Pourquoi tout cela n’existait-il pas à Verdun ???

 

Je suis chargé spécialement de creuser et d’achever des sapes, mais je n’ai pu encore obtenir le matériel dont j’ai besoin. Il faut ici savoir faire tous les métiers depuis celui de mineur jusqu’à celui d’ingénieur en passant par menuisier, charpentier, etc.....

Je crois que nous passerons au moins 12 jours ici.

Verrons-nous la mine sauter ??? ........... Un poste d’écoute de la 6è est à 20m. au plus du poste d’écoute boche. L’un de ces derniers essayait avant-hier soir d’engager la conversation et nous offrait des cigares et du chocolat. Mon camarade Lespinasse lui a envoyé un pruneau qu’il n’a certes pas digéré. Cruelle nécessité ......

Un obus malheureux est venu écraser notre adjudant tout nouvellement promu. C’était un brave garçon auquel je m’étais vite attaché.

Depuis que je suis à la 5 ème, c’est le 3ème adjudant que je vois tuer .......

Du 29 avril au 6 mai 1916

Repos à Sommes-Suippes.

 

19 heures ..... Me voilà aux prises avec un noir cafard .... Je suis resté seul ici, et dans notre «métier» la solitude ne vaut rien. Ma Cie vient de remonter aux lignes, j’en avais les larmes aux yeux de quitter encore une fois et malgré moi mes poilus ....

Comme on s’attache aux gens ! Et surtout au peuple.

Je me suis soudainement rappelé il y a quelques jours que Marcel Planquette (*) repose à quelques kilomètres d’ici sur la route de Souain à Tahure, à 600m de Souain et à gauche en allant vers Tahure.

J’entends encore monsieur Planquette me donner ces explications. J’irai là-bas demain de très bonne heure, je prierai, je verrai dans quel état est cette pauvre petite tombe et j’en ferai la photographie. (**)

Comme la Providence est bonne de m’avoir mené ici. Si je dois être tué dans cette guerre, je voudrais que ce soit près du meilleur de mes amis là où il a combattu. Mais le trajet n’est que peu marmité, et d’ailleurs j’ai bon espoir de survivre à la guerre.

 

Notre repos à Suippes a été particulièrement mélancolique. J’attends pour mon compte ma perme pour le 22 et comme j’ai peur qu’elle ne soit une fois de plus supprimée cela me rend nerveux ....

Nous avons été bombardés à peu près chaque matin par des aéros. Ils sont bien maladroits !

Un matin ils étaient jusqu’à 16. Un seul de nos avions de chasse les a dispersés.

 

(*) : Marcel PLANQUETTE, 26 ans, lieutenant au 208e régiment d’infanterie, est mort pour la France le 6 octobre 1915, au combats de la ferme Navarin, Souain (Marne), tué à l’ennemi.

Il était né le 14 octobre 1889 à Bapaume (Pas-de-Calais).

(**) : Sa tombe n’existe plus. Il ne semble pas inhumé dans un cimetière militaire. Le corps a-t-il disparu ? La zone a encore été une zone de combat jusqu’en 1918…Son corps a-t-il été rapatrié dans le caveau familial ?

2 juin 1916

En 2ème ligne, à gauche de Tahure.

J’ai été le 7 mai à Chalon où j’en ai suivi jusqu’au 22 un cours de fusil-mitrailleur.

Le 22

je suis parti en perme .. et j’en reviens.

Inutile d’insister, les jours heureux n’ont pas d’histoire....

Je note simplement que j’ai une femme exquise, une fille qui est amour et des parents dont je voudrais être digne. Dieu me comble de ses grâces comment arriverai’ je à être digne de tout cela

A l’arrière :

On dit ...... que les boches ont des échéances le mois prochain qu’ils ne pourront pas payer et que tout ce qu’ils pourront faire sera de retarder de trois mois   ; on dit ..... que cela amènerait la fin de la guerre en septembre.

....... Tant mieux si c’est pour avoir une paix victorieuse.

  On dit .... que les Anglais ont détruit tous les sous-marins boches ce qui empêche ces derniers de constituer leurs crimes maritimes.

A l’avant :

Le moral de mes hommes n’a pas changé d’un iota.... Ils grognent souvent, chantent le reste du temps, et font tout ce qui leur est commandé.

J’aurais bien d’autres choses à noter .... mais j’ai la flemme.

15 juin 1916 - Près de la butte de Tahure

Bon sang qu’on s’embête aux tranchées quand le secteur est trop calme.

Et pourtant je ne me plains pas de ce calme ; c’est toujours autant de chances de s’en tirer.

Mais, jusqu’ici, à 100m. des boches, ça redevient, comme aux repos, la vie de quartier. On nous inonde de papiers, d’ordres, de contre-ordres, d’inepties et nous sommes obligés de fournir des monceaux de comptes rendus, d’états, etc ....

Ah, on ne nous en demandait pas tant à Verdun, les «huiles» venaient encore moins souvent nous voir, et, c’est malheureux à dire, mais ça n’en marchait que mieux ....

Quand donc aurons-nous en France l’esprit un peu moins administratif, moins bureaucratique, plus expéditif, plus précis, plus simple ?

 

Nous sommes remontés en 1ère ligne la nuit du 11 au 12 après six petits jours de repos et pour 12 jours.

 

Le 11, le bombardement avait été violent toute la journée. Beaucoup d’obus lacrymogènes, ce qui est bien gênant car c’est persistant et nous pleurions tous comme des veaux. Un coup de soude boche sur les chasseurs a été repoussé mais les chasseurs se sont laissés barboter 3 sections ...........

Depuis, c’est fort calme à part de temps en temps quelques salves d’obus, une torpille par ci par là ou une grenade à fusil.

Pour moi, les boches ont voulu faire croire qu’ils ont beaucoup d’artillerie par ici pour justement se retirer. C’est ce qui a valu cette démonstration.

Nous n’avons ici que fort peu d’hommes en ligne, et je crois, les boches aussi. Nous aurions du mal à tenir malgré toutes nos mitrailleuses et assez bonnes défenses accessoires.

Si les boches attaquaient en faisant une préparation normale d’artillerie, nos réserves auraient sans doute le temps d’arriver à condition qu’on songe à les envoyer dès le début du marmitage, mais elles auraient du mal à franchir les tirs de barrage.

 

  Si les boches essayent de nous surprendre en s’amenant en rampant jusqu’aux fils de fer puis en nous lançant des grenades pendant qu’ils couperaient les fils, tout dépend des guetteurs et c’est pourquoi je les surveille de très près.

  Au cas où notre 1ère ligne serait prise, nous sommes pour ainsi dire sacrifiés, je me demande comment pourrait se faire la contre-attaque tant préconisée tant sont épais les réseaux entre la 1ère et la 2ème ligne. Par où passerait-on ?

Je ne conçois pas bien une contre-attaque se développant par les boyaux, si rares par ici.

Et puis, à mon avis, le meilleur est encore de ne pas perdre la 2ème ligne et pour ce faire d’y mettre un nombre d’homme suffisant .... mais après tout, je ne sors pas de l’école de guerre !! ....... Par conséquent, je n’y connais rien !!!

 

  J’ai eu un accident la nuit dernière qui m’a bien peiné.

 

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Extrait du JMO du 21e RI

 

Un jeune caporal de ma section, nommé Ridoux, auquel je m’intéressais particulièrement parce que c’était un très bon et gentil garçon, venait de poser bravement des fils de fer au nez des boches aidé de 2 hommes. En redescendant dans la tranchée l’un d’eux heurta une grenade qui éclata et les blessa tous les trois. L’un, peu grièvement, mais j’apprends ce soir, que Ridoux et l’autre en danger de mort, sont proposés d’urgence pour la médaille militaire.

Pauvre gosse Ridoux, encore un de mes chouchous de la classe 15, arrivé au régiment un mois avant moi qui va sans doute disparaître. Que Dieu ait son âme et lui épargne trop de souffrances. Quand je pense que nous ne le croyions pas très sérieusement touché et qu’il a eu l’énergie d’aller presque jusqu’au poste de secours en marchant. (*)

 

L’autre, le simple poilu fut merveilleux d’énergie ; il avait des éclats dans le ventre et ne pouvait marcher. Nous l’avions mis sur un brancard.

Mon camarade Ringart crut à un moment qu’il s’était évanoui et l’appela. Au bout d’un moment, il répondit :

 

«Ben quoi, je commençais à taper de l’œil !»

Un peu après, comme les brancardiers le hissaient sur leurs épaules et le secouaient pas mal il dit simplement :

« Ah !  Quel tango ! »

 

(*) : Apparemment RIDOUX ne fait pas partie de la liste des tués 21e RI.

16 juin

J’ai trouvé dans un boyau abandonné et à moitié comblé deux petites tombes qui par miracle ne sont pas abimées. Deux croix faites de deux planches sans inscriptions. J’ai eu la curiosité de regarder le papier que contient la traditionnelle bouteille.

Cette dernière étant cassée, le papier est à moitié rongé, et j’ai fait mettre une nouvelle bouteille.

Qui sait, peut-être résistera-t-elle ? Peut-être les familles auront-elles un jour la consolation de venir prier sur la tombe de leurs enfants.

Sur le papier, j’ai lu : (je copie textuellement)

        

 

Description : http://static.freepik.com/photos-libre/croix_17-401075510.jpg

 

 

 

« Ici est enterré le soldat Louis Salmon (*) du 228e infanterie.

Il a été apporté ici 5 ou 6 mois après sa mort par un officier et des soldats de la première compagnie du 93è d’infanterie qui ont été chercher son cadavre en état de décomposition au prix de beaucoup de difficultés à environ 40 mètres des tranchées ennemies.

Est aussi enterré ici le sergent Joyau (**) du 329 inf. 20è compagnie. Son corps a été apporté ici dans les mêmes conditions que le soldat Salmon.

Ils sont tombés au champ d’honneur l’un près de l’autre. Honneur à ces braves ! ..

Signé :   Illisible »

 

N’est-ce-pas à en pleurer ?

 

(*) : SALMON Louis, soldat au 228e RI 23e compagnie, mort pour la France le 29 septembre 1915 à Tahure (Marne), tué à l’ennemi. Il était né à Évreux, le 20 juin 1885.

(**) : JOYAU Félix Philippe, sergent au 329e RI 20e compagnie, mort pour la France le 29 septembre 1915 à Tahure (Marne), tué à l’ennemi. Il était né au Havre, le 18 février 1882.

 

Les 2 retranscriptions sur les registres de décès de ces villes (Le Havre et Évreux ont été réalisés fin 1918, ce qui tenterai à prouver que les corps ont été relevés à cette date.

Pierre BOUTS dit qu’il a remplacé la bouteille cassé qui contenait ce message.

C’est peut-être grâce à cette action que SALMON Louis est inhumé de nos jours dans le cimetière nécropole nationale de Suippes (Marne), tombe 1335.

Pour le sergent JOYAU, pour lui, il ne semble pas avoir de sépulture militaire, peut-être que son corps se trouve dans le caveau familial.

3 juillet 1916

  Encore un repos à S. Suippes qu’aucun fait saillant n’a marqué et nous revoilà aux tranchées, cette fois en 2è ligne à l’ouvrage dit «le Caméléon».

  Le secteur est un peu plus agité parce que nous faisons d’assez nombreuses patrouilles pour énerver le boche et le tenir ici.

  Avant hier soir, après une assez forte préparation d’artillerie et de crapouillots la 109è qui est à notre gauche a fait une reconnaissance forte des 2 sections et a ramené 14 prisonniers.

Nous avons eu peu de pertes, les boches en ont eu pas mal d’abord par le marmitage puis parce que beaucoup ont préféré se faire tuer que de se rendre.

..........  On nous a appris avant hier par message téléphonique, et pour le dire aux hommes, que l’attaque française s’était déclenchée entre Arras et Roye et que notre avance était pour le premier jour de 4 kilomètres, plus de 10 villages pris.

Hier on nous dit qu’il y a 5.000 prisonniers ce qui ne me paraît pas en rapport avec l’annonce annoncée.

Faites, mon Dieu, que ce soit enfin la victoire, et la paix ....   Je vis dans une anxiété fébrile ....

Matongue ; 10 kilomètres de Châlons, 28 juillet 1916

Nous sommes ici au repos depuis quelques jours  ...  repos si l’on veut car nous avons un emploi du temps fort rempli, trop, à mon sens, pour les hommes qui auraient besoin d’une réelle détente morale et physique.

  Nous allons, dit-on, former comme en février dans le nord une armée dite de poursuite.

  En réalité, je pense que nous irons tout bonnement attaquer dans la Somme ...... ou ailleurs (Champagne ou Alsace ?) sous peu. Je préfère cela que de retourner à Verdun ! La guerre finira-t-elle cette année ?

Ce n’est pas impossible ; tout marche bien en ce moment. Les attaques combinées et coordonnées de tous les alliés se poursuivent glorieusement et rationnellement.

  La Roumanie entrera probablement en guerre d’ici peu car nous lui donnons de l’argent.

  L’usure des hommes en Allemagne s’accentue à en juger par la nôtre propre qui est grande mais grâce à nos alliés nous ne craignons rien en ce sens.

  L’échéance Allemande de septembre pourra peut-être amener le dénouement ou tout au moins y contribuer pour une bonne part car les Allemands ne pourront pas payer leurs dettes.

 

(Ils s’en foutaient bien !)

Matougnes, 10 août 1916

Je crois que nous allons partir sous peu.

Où irons-nous ? En définitive nul ne le sait.

Encore un repos dans un camp ? Dans la Somme ? A Verdun ?

Ce qui me paraît clair c’est que nous irons au feu d’ici peu. Quel sort m’est réservé. Serais-je tué ? Blessé ou toujours indemne ? Je suis toujours calme et confiant en la Providence Divine en laquelle je m’abandonne entièrement.

J’attends l’arrivée du petit Marcel avec impatience. Pourrai-je seulement aller l’embrasser ainsi que sa maman si vaillante et dont je voudrais être digne.

Connaîtra-t-il seulement son papa ? On ne passe pas indéfiniment à travers les balles et les marmites. Tant d’autres sont tombés !

Mais, je le répète, je n’ai aucune appréhension. Je sais trop que rien n’arrive sans la Volonté de Dieu et je suis trop décidé à m’incliner devant cette Volonté quelle qu’elle soit.

août 1916

Voilà deux ans de cette vie fantastique, grandiose et tragique. Resterons-nous encore un an ainsi. Souffrirons-nous encore tout un hiver ?

Verrons-nous un coup de théâtre d’ici peu qui nous donnerait une victoire rapide et décisive. Quelle vie d’incertitude ! Quelle vie de nomades, au jour le jour !

Nous sommes une génération de sacrifiés. Qu’importe !

Si la France est sauvée, si nos fils restent libres et forts !

29 août 1916

Nous sommes montés en ligne (fameuse tranchée du Schlesswig) dans la nuit du 16 au 17 août.

Ma Cie était en soutien dans de mauvais abris le long de la route de Foucaucourt à Estries.

Pendant quatre jours nous ne fîmes que des travaux et nous essuyâmes de copieux bombardements en échange de ceux dont nous arrosions les boches.

Le 20

On parla d’attaquer ce ne devait être qu’une petite affaire dans le but de rectifier notre front un peu biscornu.

Le 21

L’ordre arriva. Il s’agissait de ne prendre que la première ligne ennemie sur une largeur de 1200m environ.

Nos grenadiers après une intense préparation d’artillerie devaient progresser par la droite et par la gauche en nettoyant la tranchée au fur et à mesure. Ils devaient être suivis de la 7è cie et de la 5è pour l’occupation du terrain conquis.

 

A 18 heures, le mouvement commença, et tout marcha si bien malgré de très violents tirs de barrage que nos grenadiers au lieu de ne prendre qu’une ligne en prirent trois, emportés par leur élan, sans trouver du reste grande résistance.

Malheureusement, nous n’avions pas assez de monde pour occuper le tout et force nous fut de nous replier et de n’occuper que la 1ère ligne conquise. On se mit au travail avec ardeur car la tranchée avait été à peu près nivelée par notre préparation.

J’occupais la gauche avec le 20è bataillon de Chasseurs à Pieds. J’avais à ma droite la 7ème Cie.

 

Vers 19 heures, la 7ème fut contre-attaquée et comme le ravitaillement en munitions avait été fort long et insuffisant, sa droite fléchit et les boches réoccupèrent cette partie de leur tranchée. Un barrage fut rapidement établi mais ainsi quelque sacs à terre séparaient seulement nos poilus des boches ...........

Je risquais, avec ce qui restait de la 7ème d’être tourné par ma droite.

 

La nuit commença, un homme sur deux veillant, l’autre travaillant, je m’attendais à voir surgir brusquement les boches.. Ils ne tardèrent pas, je les dispersai facilement par une fusillade. C’était seulement des hommes qui cherchaient à enlever le fil de fer qui nous séparait.

 

Une heure après, ce fut plus sérieux mais nous tînmes bon, les boches furent obligés de faire demi-tour laissant du monde sur le terrain.

Peu après, deuxième tentative, également repoussée, mais je commençais à manquer sérieusement de munitions et de fusées éclairantes.

 

Enfin une heure avant l’aube, troisième contre-attaque extrêmement violent. Je lance ma dernière fusée. Je vois les chasseurs lâcher pied. Tant pis nous tiendrons... nous lançons tout ce qui nous reste de grenades y compris les grenades boches trouvées. Les boches qui sont à 20m dans les trous d’obus nous en lançant aussi tant qu’ils peuvent, puis, un par un, ils s’éloignent ils font bien, nous allions les charger à la baïonnette, c’était notre dernière ressource....

Sans fusées, sans munitions, nous attendons anxieusement le jour, cherchant en vain à percer l’obscurité. Une pâle lueur paraît enfin, nous sommes tirés d’affaire.

Je songe bien vite à rétablir ma liaison avec les chasseurs qui ont si proprement déguerpis. Les boches n’ont pas pris pied dans leur tranchée. Mon adjudant va les informer et ils reviennent.

22 août 1916

La journée du 22 fut, sauf l’odieux marmitage, moins agitée. On aménagea la tranchée, on s’approvisionna largement en tout, mais je ne me faisais pas d’illusions notre situation était intenable.

 

En effet, le soir à la tombée de la nuit, les grenadiers boches foncent sur nous. Je leur fais un barrage à la grenade formidable, mais hélas les chasseurs lâchent pied encore, nous allons être encerclés par la droite et par la gauche. Plutôt que d’être tous prisonniers je hurle l’ordre de se replier en combattant pied à pied.

Les poilus sont admirables et se battent corps à corps. Plusieurs, trop téméraires sont pris mais que voient-ils !

A peine sont-ils déséquipés que les boches sautent dessus et les poignardent. La lutte devient sauvage, chacun se bat avec ce qu’il a. ceux qui n’ont plus ni cartouches ni grenades prennent leurs poignards ....

C’est effrayant à voir. Je pourrais citer de nombreux cas d’héroïsme. Tel ce petit grenadier qui voyant un de ses camarades poignardé par un boche saute sur ce dernier, l’assomme à coups de poignard sur la tête et ramène son camarade blessé.

Combien de mes hommes un instant prisonniers se sont dégagés à coups de poings et me sont revenus ensanglantés, les vêtements en lambeaux.

Combien, hélas !, ne sont pas revenus .......

 

Quatre officiers et environ deux cents hommes ont disparus, or le communiqué de nos sauvages ennemis n’annonce qu’un officier et 80 hommes prisonniers.

Rien qu’à ma Cie il manque 54 hommes mais y compris les tués et blessés qui sont assez nombreux. Ces chiffres sont forts mais le sont certainement moins que celui des pertes ennemies et c’est une consolation....

 

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Extrait du JMO du 21e RI

 

En résumé, nous nous sommes donné bien du mal, nous avons eu bien des fatigues, nous avons perdu bien du monde, tout çà pour revenir à notre point exact de départ. Le communiqué a dit le 22 :

 

«Au sud d’E. nous avons pris une tranchée et fait des prisonniers. »

Le lendemain il disait :

« L’ennemi a réussi à reprendre pied dans quelques éléments de tranchées conquis par nous la veille.....»

 

Enfin, n’insistons pas.

D’ailleurs, je m’égare et j’ai laissé ma Cie en train de se replier au milieu d’un tonnerre épouvantable, d’une fumée épaisse et âcre. Les poilus se battaient comme des diables, ne reculant que pas à pas de barrage en barrage.

Enfin notre ancienne première ligne fut atteinte, là nous pouvions tenir et de fait les boches n’insistèrent plus. Peu à peu tout se calma. On n’entendit plus dans la nuit que les plaintes des blessés et des mourants.....

 

Après avoir remis un peu d’ordre dans mon peloton, rompu de fatigue, ruisselant de sueur, ayant une extinction de voix, je m’assis un moment et je remerciai Dieu d’être sain et sauf, puis je songeai que ma musette était restée chez les boches avec mon appareil à photos et des objets qui m’étaient utiles, le tout d’ailleurs avait dû sauter un moment où une grenade boche était tombée dans ma caisse de fusées, j’en fus fort contrarié ; mais d’un autre coté je ne regrettai pas d’avoir quitté la tranchée quelques secondes plus tôt.

 

Enfin la relève arriva et tout le reste de la nuit nous avons marché pour gagner notre cantonnement distant de 17 kilomètres. (*)

Comment décrire la fatigue d’une marche pareille où l’on s’endort en marchant où l’on se figure avoir les jambes usées jusqu’aux genoux.... et nous pensions nous reposer quelques jours !!!

 

(*) : Le lieu de cantonnement est Harbonnières.

24 août 1916

Le 24 nous sommes remontés en seconde ligne et presque nuit et jour nous avons creusé des boyaux précisément à l’endroit le plus marmité de la région.... et là je n’ai pas eu de pertes !!

 

Enfin dans la nuit du 27 au 28 nous avons été relevés et amenés en auto dans une grande ferme où est empilé tout le bataillon. On dit que nous sommes au repos !

Or les hommes couchent par terre serrés les uns contre les autres. Il n’y a pas d’eau, c’est lamentable et pour comble, les permissions sont supprimées pour la 10ème armée.

Dans quelques jours on dira :

 

«Le 21e RI reposé moralement et physiquement est prêt à prendre part à de nouveaux combats....»

Harbonnières - 2 octobre 1916

Après 20 jours de tranchées particulièrement mouvementés et pénibles, et cinq jours de demi-repos nous remontons ce soir en ligne et le régiment attaquera sauf contre ordre demain. La pluie pourrait faire éclore ce dernier.

On demande trop aux hommes qui ont besoin de repos moral plus encore si c’est possible que de repos physique. Je crains d’avoir demain une fois de plus le rôle ingrat qui consiste à rester en «soutien» puis à relever le bataillon qui vient d’attaquer et subir tout le marmitage et toutes les contre-attaques.

Pour mes hommes c’est néfaste d’avoir si souvent ce rôle-là.

Mais il paraît que le colonel a dit :

 

« Je laisserai toujours le 2ème bataillon autant que possible en réserve, il n’a pas un chef capable de le faire attaquer ....»

 

C’est .. charmant ....

  Pour mon compte je repars au feu l’âme tranquille. J’ai eu la joie infinie d’aller embrasser M… et mes deux petites et j’ai confiance que la Ste Vierge me protégera jusqu’au bout....

20 octobre 1916

Maisoncelle près Beauvais

Nous voilà enfin au repos ! Nous sommes redescendus des tranchées le 14 octobre, soit après 36 jours en secteur dont seulement 5 malheureux jours d’un médiocre repos à Harbonnières.

  Il faut croire que nous manquons sérieusement d’hommes, mais .... heureusement les boches en manque autant sinon plus.

 

  Le régiment a attaqué le 11, c’est-à-dire que 4 Cie formaient la 1ère vague d’assaut, le reste suivant en soutien, assurant l’occupation immédiate et la réorganisation des tranchées conquises.

  L’attaque était d’assez grande envergure et a pleinement réussi. La préparation d’artillerie fut parfaite malgré les difficultés d’observation, les tranchées ennemies étant presque toutes en contre-pente.

Au moment de l’attaque, une terreur lamentable se produisit, les artilleurs et fantassins ayant une différence d’heure, ces derniers sortirent 4 minutes trop tôt.

Et comme l’artillerie ne devait « allonger » que de 100 mètres par minute beaucoup des nôtres furent touchés.

Le toubib m’a prétendu que sur les 120 blessés qu’il a soignés ce jour-là, près de 100 étaient touchés par le 75  ! .....

Malgré cela nos pertes furent assez faibles et l’avance fut de 1200 m. à 2 kilomètres.

 

Ablaincourt fut pris en grande partie et la sucrerie de Gomiécourt à peu près entourée.

Les fantassins boches ne réagirent pas, ils étaient abrutis (certains même devenus fous) par notre préparation. En bien des endroits ils sortirent de leurs tranchées au-devant de notre vague d’assaut en criant «camarade». Les artilleurs boches furent muselés ou presque à l’heure H (heure de l’attaque : 11h.), mais ils ne tardèrent pas à nous faire de très violents tirs de barrages qui auraient été très meurtriers s’ils avaient été réglés.

Je suis resté des heures dans une tranchée recevant des obus en grand nombre tout près de moi, pas u n’est tombé dans la tranchée. Je n’ai eu à ce moment que deux blessés par éclats non directs.

Avant et après l’attaque d’ailleurs certains endroits étaient continuellement marmités. J’ai bien rallumé 20 fois le même jour ma bougie au fond d’un commencement de sape, c’est-à-dire simplement l’escalier dans lequel je dormais .... quand j’avais le temps !

L’ensemble de l’attaque, je le répète, n’a pas mal marché, mais il y a encore bien des progrès à faire ....

Les papiers ne perdent pas leurs droits ! 10 minutes avant l’attaque on nous demandait de fournir l’état des hommes ayant telle ou telle profession !

Le moment était choisi !

Le matin même de l’attaque on nous faisait passer la note suivante :

 

«Les aviateurs ayant remarqué que la tenue française se voit beaucoup mieux dans la tranchée que la tenue boche il y a lieu de «camoufler» avec de la boue les casques et les épaules des hommes !».

Il leur en a fallu un temps aux aviateurs pour s’apercevoir de çà !!

 

Pour finir, nous sommes descendus au repos, littéralement éreintés et le moral des hommes s’en ressentit bien entendu.

Heureusement on a envoyé une très forte proportion de permissionnaires et les autres ne font pas grand-chose, on les occupe, c’est tout, ....... et c’est bien .

1917

3 janvier 1917

Je n’ouvre plus que bien rarement mon petit carnet, C’est que je ne voudrais y noter que des souvenirs à peu près intéressants, au moins pour moi, et on s’habitue à tout même à la guerre. Et puis, rien ne m’étonne plus, je deviens très sceptique.

La guerre sera finie dans deux mois ? Tant mieux. La guerre durera encore 2 ans ? Ça se peut. Les boches crèvent de faim ? Il y a deux ans que ça dure et ça durera peut-être bien encore autant !

Je ne crois plus personne et je ne pronostique plus rien... Je me suis trop souvent trompé.

Ce n’est pas que mon moral soit bas, j’ai souvent le cafard, mais pas plus qu’avant. Je me résigne, j’attends, j’observe...

 

Depuis octobre, qu’ai-je fait ?...

Pas grand-chose. Je le note en deux mots «Pour mémoire» au risque de devenir méticuleux ou maniaque.

Fin novembre, il me semble que c’était vers le 20, mon Colonel m’a désigné pour être Instructeur des Candidats Chefs de section, à l’école de l’armée à Beauvais.

Moi qui criais tant contre ceux qui .... s’embusquaient, c’était trouvé, mais je n’y étais pour rien.

Il me restait 3 jours avant de rejoindre, la logique militaire trouva trop simple de me laisser aller directement de Maisoncelle à Beauvais : 10 kilomètres.

Le régiment remontait aux tranchées, il me fallut traînant mon ordonnance et ma cantine et regagner Beauvais après 3 jours et 3 nuits de voyage inutile et indescriptible de complications et d’inepties...

 

Enfin, je suis donc instructeur.

Nous avons commencé par nous installer un champ de tir de Beauvais, péniblement. On n’installe pas une école de 400 élèves dans des baraquements non terminés en deux jours. A peine commencions-nous à nous organiser qu’on nous a envoyé ici, à 11 kilomètres d’Amiens.... et on parle déjà de nous expédier près de Compiègne ou bien dans les Vosges !...... et chaque déplacement coûte 1500f au minimum.

 

Le cours est dirigé par un Commandant Gerber...il me déplait. Il y a 4 Cies commandées par des capitaines  .... médiocres..

Dans les instructeurs-lieutenants ou sous-lieutenants la moitié seulement valent quelque chose... Il n’y a donc plus à mon armée ou dans l’armée française d’officiers de réelle valeur, capables d’instruire et d’éduquer de futurs officiers ?

S’il s’en trouve des officiers de valeurs, pourquoi ne les choisit-on pas, le jeu en vaudrait la chandelle !

Les cours n’ont donc aucun intérêt et sont peu pratiques. On ne fait que de la parole ! ....

Pour que le jour où un général nous passera une inspection, il y en ait plein la vue !.... C’est dommage, dans les élèves beaucoup étaient aptes à devenir d’excellents officiers. Mais, au lieu de les instruire (au point de vue militaire) de les éduquer, de stimuler leur moral, on les abrutit ! Le programme, non il n’y en a pas, je veux dire, le tableau de travail est stupidement chargé ....

 

Mais à quoi bon m’étendre sur tout cela ? Je n’y peux rien, je fais tout ce que je peux pour mon compte.

Vivement le 20 février, la bienheureuse permission !

Ah ! Quelles bonnes journées en perspectives ! Après, je retrouverai mon vieux 21è.

19 avril 1917

10 kms de Dormans.

Depuis le 3 janvier ?

Mort du petit F.  (*) ma première grande douleur... C’est affreux... Permission bien douce mais triste (du 24 février au 13 mars 1917)

Passage à l’école des E.O. (**) de la 3ème armée (à Moug) parfaitement dirigée par Cdt Gombeau et capitaine Gacon.

On me fiche à la porte, ce qui fait ma joie, parce qu’un cours est fini, et je rejoins le 21è en Alsace près de Retzviller.

Nous embarquons et revenons dans la région de Dormans que j’ai bien connue au début de la guerre.

Pendant tout ce temps-là .... les boches reculent plus ou moins vite ........ « on les aura », mais quand dira-t-on : « on les a eus » ??

 

(*) : Il s’agit de son petit frère.

(**) : Élèves-Officiers

24 juin 1917

Vrégny, N.E. de Soissons.

Depuis le 19 avril : Après un séjour à la ferme du Rock, près Château-Thierry, nous avons pris le secteur au fameux «chemin des Dames».

Au Nord de Jouy, puis un peu plus à gauche à l’ex ferme de .........., puis enfin au moulin de Laffaux.

Secteur très agité par moments, très calme à d’autres.

Je suis parti en perme le 8 de première ligne. J’ai eu ce jour-là une veine particulière, m’a-t-on dit : deux heures après mon départ, vers 9 heures, l’abri dans lequel je dormais toujours à cette heure-là a été écrasé d’une façon indescriptible par une torpille (française d’ailleurs).

Par bonheur, seules les affaires de mon ordonnance ont été enterrées pour toujours.

 

Délicieuse perme à S. P. où j’ai senti combien notre amour à M… et moi est solide, profond et exquis... Quand donc pourrons-nous vivre « en paix »

Aussi en ce moment j’ai le cafard .... Cela passera.

J’ai à la 5ème Cie d’assez bons camarades ; nous formons un quatuor original. Nous discutons du matin au soir et fort rarement deux se trouvent du même avis.

Tout y passe religion, philo, arts, politique, etc... :

 

Le capitaine LE DUC, réserviste, a fait toute la campagne au 21.

Dans le civil, il s’occupe de différentes affaires industrielles. Ancien élève des H.E.C.

Incroyant mais large d’esprit, représente étonnamment bien à peu près en tout les idées ordinaires du polytechnicien type. (Qu’il n’est pas !)

 

Bernaert, fils d’un colonel ou général belge, s’était engagé à 18 ans dans les chasseurs d’Afrique où après une histoire où il tint tête à tous ses chefs et obtint finalement gain de cause, il fut tellement «dressé» qu’il déserta... repris, condamné à mort il obtint de justesse que sa peine fut changée en travaux forcés. Il en fit 18 mois au bout desquels je ne sais comment sa peine fut définitivement levée.

Il était dégagé de toute obligation militaire.

Il fit, comme novice, à peu près tous les couvents possibles. Puis très jeune encore il se maria contre le gré de son père et fit du journalisme. Il défendait les idées religieuses, sans être pour cela d’accord avec beaucoup de gens du clergé.  Il écrivit à l’Univers, eut des polémiques violentes.

Un beau jour il divorça quoiqu’ayant deux fils qui ont maintenant 15 et 17 ans.

Il eut une «amitié» féminine qui dura 10 ans et vient de se marier à sa dernière permission civilement.

Au début de la guerre il s’engagea volontairement malgré ses 43 ans et fit le début de la campagne dans la cavalerie. Il passa sur sa demande dans l’infanterie et fut deux fois blessé. La seconde fois il revint sur sa demande encore au front à peine guéri. Deux citations, légion d’honneur, décoration belge....

Esprit remarquable d’intelligence et de facilités mais violent et aigri. Il «en veut» à tout et à tout le monde. Tout est perdu, la France court à sa ruine, rien n’existe, etc... etc....

  Il est certain que je vois une part de vrai dans certaines de ses convictions, mais il exagère tout et voit tout en noir.

  Qu’ajouterai-je encore ? En somme, il est «anarchiste» contre tout.

Il dit souvent un peu crûment, comme nous parlons entre nous : Amen pour tout ce qui vient de Dieu et m.... pour tout ce qui vient des hommes....... Seulement sa vie n’est guère conforme à ses convictions religieuses....

Il répond à cela : «Je m’en rapporte à la bonté de dieu....» Cela ne me paraît pas suffisant .! Au reste, bon camarade, très serviable, très intéressant dans la conversation quand on lui tient pas trop tête car il s’emporte.

 

Legangneux, dit Baby, 21 ou 22 ans, mérite bien son surnom.

Excellent camarade. Intelligent, revenu ou plutôt venu à la religion catholique tout seul pendant la guerre. Foi ardente. esprit entier, terriblement indépendant, un peu égoïste mais se travaille et changera en bien. Idées diamétralement opposées à celles de Bernaert.

Assez «action française», esprit un peu Jésuite, très militaire à certains points de vue.

 

- Moi ..... Je tiens un peu le milieu entre ces extrêmes.

Ils disent que je ne suis ni chair ni poisson.

En effet, j’ai peu, pas assez changé ces dernières années. Je suis facilement sceptique. Je n’ai que peu de convictions, je n’ai guère d’opinions. Je me demande souvent qui croire, que croire. Je vise surtout la pondération, au juste milieu, au bon sens.

Je vois du vrai et du faux dans chaque conviction de mes voisins…

Au point de vue religieux je n’ai pas assez travaillé, pas assez prié et pas assez fait de progrès ... Mais j’ai acquis au moins une conviction que je n’avais pas, c’est que la foi ne peut ni ne doit être basée uniquement sur la raison, mais à la foi sur la raison et sur le cœur, sur l’amour.

Tout n’a pas besoin d’être prouvé par A + B pour que l’on y croie.

«Le cœur a des raisons que la raison ne comprend pas»

Et quelle force a été pour moi ma foi si faible soit-elle pendant ces trois années d’horrible guerre et de longues souffrances.

Comment font ceux qui n’ont pas la foi pour supporter tout cela ! ......

 

Nous devons remonter en première ligne après demain soir.

Le général de division M. de B. nous a promis une surprise pour le 3 juillet ......

Il peut d’ailleurs prendre sa large part de responsabilités pour les derniers troubles qui ce sont produits.

Un beau jour des poilus du 17ème, du 109è et d’autres régiments se sont mutinés, et ont déclaré qu’ils voulaient la paix et qu’en tous cas ils ne voulaient plus attaquer.

Il y eut des coups de fusils et de mitrailleuses tirés dans les rues de Soissons et 7 à 800 hommes filèrent dans les bois d’où l’on eut du mal à les déloger.

Ces troubles semblent apaisés maintenant, je veux dire pour le moment.

Je suis loin de les approuver certes, et je suis même partisan de fusiller tous les meneurs. Mais enfin à quoi ont été dus ces troubles ?

Eh bien à de nombreuses causes dans lesquelles je ferais entrer en dernier lieu la longueur de la guerre.

 

Nos chefs ont fait de grosses fautes et songent bien plus à gagner des galons, des décorations, au fond de leur P.C., quand ça marmite, qu’au moral du poilu.

Le recrutement des officiers subalternes a été généralement mal fait. Les anciens sous-officiers rengagés qui sont maintenant lieutenants ou capitaines ne valent rien la plupart du temps. Dans la conduite des hommes ils sont plus nuisibles qu’utiles. Leurs procédés brutaux et vexatoires sont lamentables.

  Combien d’attaques de détail, de «redressements de lignes» ont été mal conduites, mal montées, et finalement la cause de pertes considérables et inutiles. Sans parler de la dernière grosse attaque qui a été un four complet.

 

Les permissions sont trop rares (cela va mieux depuis peu) et le voyage des permissionnaires n’est comparable qu’à celui des bestiaux destinés aux abattoirs. D’une longueur effrayante, et impossible de manger ni de boire en route.

Beaucoup d’hommes s’enivrent ?

Plus on voudra les rationner et empêcher la vente libre, mais qu’on fasse passer au conseil ceux qui s’enivrent.

Je voudrais à la fois plus de bonté et plus de sévérité. Pas de punitions pour rire, mais pas de punitions collectives (d’ailleurs interdites dans le règlement et pourtant si fréquentes).

Un homme a bu ? Pourquoi priver de vin toute la compagnie ???

 

Et que dirai-je de l’impression de pagaille que nous donnent les E.M. (*) avec tous leurs «ordres» souvent idiots pour qui voit de près et surtout leurs innombrables contre ordres ! Que cela arrive une fois de temps en temps, cela s’explique, mais pas 10 fois par jour, comme c’est fréquent.

Quant à la nourriture du poilu, elle est insuffisante. Les boches qui crèvent plus de faim que nous, nourrissent mieux leurs poilus en première ligne.

Enfin, au lieu de chercher à alléger le chargement du fantassin, on l’alourdit, chaque jour. Je me demande où cela s’arrêtera !

Je pourrais remplir mon carnet de mes récriminations justifiés et qui pour moi expliquent la mauvaise humeur du poilu.

 

(*) : État-major

25 juin

Nous remontons en 1ère ligne demain soir pour 6 jours au Moulin de Laffaux, puis 6 jours «en routin» (2ème ligne).

28 juin

Moulin de Laffaux.

Après 6 jours de demi-repos à Vrégny, le bataillon est remonté en 1ère ligne dans la nuit du 26 au 27.

Le secteur est relativement agité, (fréquentes patrouilles, marmitages continuels) mais nous occupons presque partout, les abris souterrains en ciment armé que nous ont légué les boches avec leur fameuse tranchée de Hindenburg.  Cela résiste aux obus jusqu’au coup isolé de 210. Aussi avons-nous peu de pertes.

Cependant ces abris étant, et pour cause, fort bien connus des boches, sont très repérés et certains finissent par être écrasés avec leur contenu ....

Le ciment armé qu’emploient tant, et si bien les boches est ce qui résiste le mieux aux obus. Dernièrement un abri, celui du Commandant Thiriet, a résisté à tout mais finalement, continuant à former bloc, il fut en partie déterré et retourné !

 

Mon peloton se trouve à 160m de la tranchée, je ne suis donc pas à proprement parler dans la 1ère ligne aussi ai-je peu à faire, peu à veiller et .... je m’ennuie .... En dehors de mon service qui consiste à faire exécuter quelques travaux ou corvées de munitions et de matériel ou à entretenir de mon mieux le moral de mes hommes en bavardant avec eux, je dors ou je rêve ....... ce qui n’est pas la même chose !

Il ne règne plus la bonne camaraderie d’il y a quelque temps entre les officiers de la 5ème..

Le capitaine (Le Duc), Bernaert et Legangneux, s’étant plus ou moins disputés ne se parlent guère en dehors du service....

Cela me met dans une charmante situation.

Notre PC où l’on reste forcément beaucoup à cause du marmitage est, comme tous les abris, fort peu aéré. On étouffe là-dedans. Pas de jour, bien entendu, on s’éclaire avec des bougies ; le plafond est trop bas pour moi, les planches qui nous servent de lits sont durs ; les «totos» pullulent.

Chaque soir un orage éclate et l’eau nous envahit, etc... etc...

Ce n’est pas la vie de château, et voilà trois ans que cela dure, mais je m’efforce de ne pas avoir trop le cafard pour ne pas le communiquer aux autres. J’offre mes souffrances à Dieu en expiation de mes fautes. Et tout a une fin ici bas, la guerre aura la sienne ....

28 juin

Moulin de Laffaux.

Journée étouffante et pas moyen de rester dans la tranchée à cause du marmitage qui est sérieux et à peu près continuel.

Lespinasse et «Baby» ont fait, seuls, en plein jour une patrouille jusque sous le nez des boches. Ils ont évidemment envie de se faire casser la figure .... enfin, aujourd’hui cette reconnaissance quoique pas faite par ordre pouvait avoir son utilité, aussi je n’ai rien dit.

  Il s’agissait de reconnaître un poste occupé de nuit par les boches.

  En général, au risque de passer pour froussard, je critique les imprudences inutiles qui peuvent nous priver bêtement de nos meilleurs officiers et poilus. L’économie de vies est un devoir chaque fois que c’est possible.

1 juillet 1917

Moulin de Laffaux.

Fait une patrouille la nuit dernière de minuit à 2 h 1/2 par la pluie.

Marche rampante dans l’eau, la boue et à travers de très nombreux fils de barbelés. J’ai été prendre d’abord la liaison avec les chasseurs qui sont à ma droite, assez loin ; il faut traverser tout un ravin dans lequel coule un ruisseau. Puis j’ai pu m’approcher tout près d’un petit poste boche à environ 25m mais j’ai manqué de temps pour observer et je n’ai rien pu entendre ni voir.

La nuit était trop noire pour faire du bon travail, car dans ce cas les fusées éclairent trop, risquent de vous faire éventer et vous aveuglent, ce qui rend l’orientation difficile.

Malgré le résultat négatif de mon expédition, j’ai retrouvé le petit frisson, oui, qu’éprouve tout patrouilleur. Cela a son charme : le risque, l’inconnu, je ne l’avais pas ressenti depuis longtemps.

Deux poilus dont un Breton, un bon, m’accompagnaient. Nous sommes rentrés dans un état indescriptible !

Les vêtements, les mains et même les godillots déchirés par les fils de fers ; couverts de boue et trempés jusqu’aux os. Et pas moyen de se changer...

Mais ... aujourd’hui c’est à peu près sec !

J’ai réfléchi avant de faire cette patrouille moi-même car c’était un sergent qui était commandé, mais ma section avait besoin d’une leçon car je ne trouvai que difficilement deux volontaires. Et comme sergent je n’en ai qu’un, et il n’est pas fameux. Je crois donc que c’était mon devoir de marcher ..... et j’en étais ravi. La patrouille est la seule forme intéressante de la guerre actuelle.

Lespinasse est en embuscade ce soir près du PP (*) qu’il a reconnu de jour, il voudrait ramener un prisonnier ou deux mais c’est difficile ....

 

(*) : Petit Poste

5 juillet

6 kms O. de Soissons, Pernant.

J’ai été désigné le 2, pour suivre un cours d’élève officier-pionnier.

J’en suis furieux. J’ai réclamé énergiquement auprès du commandant Quilliard et du colonel, rien n’y fit. Or c’est mon cinquième stage et je sais que je passe auprès de beaucoup de mes camarades pour le type qui se fait pistonner et cherche à s’embusquer...

C’est sûrement pour cela que le capitaine Quilliard me semblait un peu froid vis à vis de moi.

C’est tout de même agaçant, même en mettant de côté mon amour-propre, après avoir été volontaire pour l’infanterie, après avoir pris part pendant deux ans à tous les combats du 21è, après avoir tout fait pour aller le moins possible en stage, d’être considéré comme le type qui cherche à se défiler !

Enfin à ce sujet j’ai la conscience bien tranquille, et je veux m’asseoir sur l’opinion erronée de mes camarades.

9 juillet

1ère ligne - entre le moulin de Laffaux et ravin du Fruty, - 3 h.

Encore 3 jours à passer ici, puis 6 j. un peu en arrière en 2ème ligne dans des carrières empestées. Dire à quel point je m’embête est impossible. Les boches sont relativement calmes. Ils nous envoient surtout des torpilles.

Jusqu’à présent : un tué et 2 blessés à la section. C’est toujours trop mais en somme ce sont des pertes très faibles.

6 août, 23 heures

Ravin de Fruty.

Lespinasse a été blessé hier au cours d’un exercice du canon Baraudt qu’il dirigeait. Des mots ne peuvent exprimer ma douleur. Lespi. est pour moi un second Planquette, et sa vie est en danger.

Legangneux, qui a aussitôt été désigné pour le remplacer comme chef de groupe franc, m’a envoyé ce matin ce message :

 

«Lt Lespinasse non en danger.  Très grièvement blessé aux yeux, plaie profonde de la face, plusieurs blessures aux jambes et aux bras. Evacué direction inconnue. Essaiera de trouver demain.»

 

Depuis j’ai revu Baby qui m’a dit que Lespinasse perdra sûrement un œil ; peut-être les deux.

C’est atroce, mieux aurait valu pour lui être tué. Il serait trop malheureux de vivre aveugle.

Il faut un second officier (ou bien un adjudant ou un aspirant) volontaire pour le coup de main qui se prépare.

Quelle tentation pour moi, mais est-ce mon devoir ? Ma conscience me dit nettement non. Je ne suis pas libre de risquer volontairement ma peau comme si j’étais garçon, chaque fois que l’occasion se présente. Certes, il me faut plus de courage pour me refuser les seules choses qui soient encore un peu intéressante et émouvantes dans cette guerre que pour les demander.

Je pense cela, mais qui me croirait ? Et c’est justement parce que personne ne me croirait qu’il me faut du courage et de la volonté pour ne pas me laisser entraîner par mon amour propre ou mon orgueil.

C’est le courage de mon opinion qu’il me faut. Quoiqu’il en soit, j’agis selon ma conscience, peu importe le reste.

Je me sentirai le droit et même le devoir alors d’être volontaire et de faire des fantaisies imprudentes et téméraires le jour, et chaque fois, que je sentirai que mes poilus ont besoin d’être stimulés.

Actuellement le moral de mes hommes est relativement bon (je ne me fais pas d’illusions sur sa mobilité). Mes poilus ont, je crois, confiance en moi et les volontaires non mariés ne manquent pas. Quand ils manqueront, je le serai.

12 août

Vauveny (ruines)

Legangneux a fait ce matin le coup que Lespi. préparait. Cela a fort bien réussi.

Pauvre Lespi. qu’il eut été heureux d’être là !

 

Hier, la préparation d’artillerie avait augmenté d’intensité. Comme je suis en pleine région des pièces, j’avais la tête et les nerfs rompus.

Cette nuit ce fut assez calme, mais je dormis peu. J’avais bien fait mes recommandations à Baby mais je le sais si peu prudent !

Je lui avais dit :

 

«Tu sais, toi qui aime Lespi. n’oublie pas que, si brave qu’il soit, il est très prudent pour ses hommes et aussi pour lui ; il ne veut pas que l’on se fasse tomber inutilement. Les occasions de se faire tuer utilement sont assez nombreuses. »

« Pour tes poilus, n’oublie pas que c’est une grosse responsabilité que de les exposer inutilement par sa faute.»

 

Fatigué, énervé, triste de ne pas prendre part à la séance je finis par m’endormir vers 2h.

 

A 4h45, toutes les pièces partirent à la fois, il n’en fallait pas tant pour me faire bondir hors de mon trou, et ce pendant 1/2 heure le tonnerre épouvantable des grands jours.

En l’absence de capitaine parti en 1ère ligne, je ne pouvais bouger.

 

Enfin vers 6h., j’allai jusqu’au P.C. du commandant Quilliard et je trouvai : Baby, très entouré et très légèrement blessé  d’une balle de mitrailleuse au bras. Le groupe Franc (2 blessés légers) et 4 bons Fritz prisonniers.

J’eus, de la bouche de Baby, le récit exact du coup :

 

Dès 4h45 exactement, au moment où toutes les pièces ouvraient le feu, le groupe était sorti scindé en trois petites colonnes et avait bondi dans la 1ère ligne boche ..... : Rien ! Pas un boche, au moins vivant !

Baby court le 1er à la 2ème ligne et tombe sur des abris desquels aucun boche ne veut sortir. Combat au revolver, à la grenade, rien à faire ! Tous les abris sont «nettoyés», en particulier avec les terribles grenades incendiaires...

En fouillant les boyaux, Baby voit deux Fritz se sauver, il veut les arrêter, il tire, ratés ! L’adjudant Vittu les aperçoit de loin les prend de vitesse et tombe dessus à coup de poings, ils sont pris !

Baby n’en a pas assez, il pousse plus loin et à ce moment dépasse son rayon d’action et se trouve en plein dans le barrage de nos 75. Ce n’est pas précisément prudent !

Il arrive au lieu-dit : «Les imposteurs» à un P.C. juste au moment où un boche montre son nez pour lancer une fusée de demande d’artillerie. Baby lâche un peu vite son coup de révolver ; l’autre dégringole dans le fond du P.C. touché ou non ?

En tous cas il y a du boche là-dedans en bon nombre et qui hurlent comme des putois mais sans se décider à sortir.

Aussi, Baby leur crie en boche :

 

«Si au bout de trois vous ne sortez pas, je lance mes grenades !»

Et il compte lentement :

« Eius, gwei (sic) .......»

 

Un boche sort tremblant, puis deux, puis trois, puis quatre.

Les autres ne veulent rien savoir et «se distribuent» 3 ou 4 grenades lancées par la main vigoureuse de Baby. Ce dernier est seul d’abord pour déséquiper ses quatre prisonniers, mais fort heureusement son ordonnance, le célèbre «Colibri» puis quelques hommes le rejoignent.

 

Les 10 minutes prévues sont déjà dépassées de 5.

Il est grand temps de rentrer. En passant, un 7ème boche est ramassé. Mais ces 7 idiots sont pris de remords tout à coup et il faut tuer sur place trois d’entre eux pour décider les quatre autres à avancer. Au retour voilà deux mitrailleuses boches qui se mettent à tirer : personne n’est touché si ce n’est Baby, au bras, légèrement.

Et voilà un coup réussi.

On a tué des boches beaucoup, on en a pris quatre qui nous renseigneront comme toujours sur les heures de leurs relèves, de leurs corvées de soupe, etc... les passages de leurs troupes, l’emplacement de leurs pièces ....

Et chez nous, trois blessés légers.

15 août 1917

En Château de la Quincy.

Le capitaine Le Duc ayant appris la naissance d’un fils est parti en perme, je suis donc seul à la Cie.

Baby est venu me voir en revenant de Château-Thierry où il a vu Lespi., il m’a dit qu’il fallait absolument que j’y aille. Il a été trouver le colonel et a obtenu de me remplacer 24h. ce qui lui retarde d’autant plus sa permission.

Quel cœur d’or, quel vrai chic garçon.

Mais Dieu fasse qu’il ne lui arrive rien pendant qu’il me remplace. Je ne vais pas vivre.

Nous n’avons pas été relevés hier soir, au contraire nous nous rapprochons demain un peu des premières lignes.

 

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J’ai vu Lespi ...

Mon Dieu qu’a-t-il fait pour que vous lui imposiez une telle épreuve ....

Il est comme écrasé sur son fauteuil, méconnaissable parce qu’on ne voit plus ses beaux et bon yeux bleus, parce qu’on lui a rasé les cheveux, la moustache et même les sourcils.  Les blessures sont presque, déjà toutes fermées.

Mais hélas, un œil est enlevé, l’autre ne sera opéré que dans quatre ou cinq mois. Verra-t-il seulement après ?

Dieu, c’est affreux, et j’ai bien pleuré en voyant mon pauvre ami qui lui ne me voyait plus.

24 septembre 1917

Taillefontaine, près Villers-Cotterêts

J’ai été versé au DD (dépôt divisionnaire) fin août.

Inutile de dire ma fureur de quitter encore une fois ma Cie, mon bataillon.

Et pas moyen de rouspéter, car j’ai été mis au DD comme «réserve de Commandant de Cie» choisi parmi tous les lieutenants et sous-lieutenants du régiment. C’est pour moi la preuve que je suis bien noté et apprécié.... je n’ai donc pu que remercier.

 

J’ai goûté au début de septembre les joies d’une bien douce permission. Puis en rentrant au DD on m’a donné le commandement de la 8ème compagnie.

Pas un ami, pas un bon camarade ici. Je suis très pris par le service et par des cours que je suis pour me perfectionner dans diverses spécialités et pourtant je m’embête copieusement.  Il me tarde d’être rappelé par le Commandant Quillard ou le Colonel Lardaut, mais il faut attendre une place ....

Je ne peux tout de même pas souhaiter la mort d’un camarade.

Je souhaite simplement une blessure légère ou un avancement quelconque qui me fasse une place !!

 

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Je parle souvent « trop », jamais pas assez.

 

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Je loge chez une bonne vieille de 82 ans, étonnante de lucidité pour son âge. Nous bavardons souvent. Elle me disait hier que c’est bien ennuyeux d’être vieux, d’avoir des douleurs, et de voir approcher la mort. Je lui ai répondu que par le temps qui court bien des jeunes sont plus près de la mort que les vieux !

Et que chacun doit s’y préparer de la même façon.

 

Maman et Papa commencent à songer « à marier M. » ! (frère de Pierre)

je ne devrais pas employer cette expression qui me déplait : on ne devrait pas «marier les gens»,   ils devraient « se marier » tout seul !!! .......

M. , malheureusement, est encore assez jeune de caractère, n’a pas de situation, pas de métier dans les mains. Mais il est, je crois, remarquablement intelligent, s’assimile bien les choses, a beaucoup de jugement, de mémoire et plaît aux gens. Comme j’ai l’intention de le prendre avec moi, j’espère que nous réussirons..... Mais comment Papa pourra-t-il continuer à nous aider, comme il m’a aidé jusqu’à présent, jusqu’à ce que notre affaire nous fasse vivre ?

Ce n’est pas le moindre de mes soucis.

Cela, si la guerre n’avait pas eu lieu, actuellement je serais bien lancé, je volerais sans doute largement de mes propres ailes, c’est moi qui pourrais aider M. au lieu que ce soit encore Papa.

J’envisage tout cela froidement, sans s’affoler, mais non sans inquiétudes. Dieu aidant, la solution viendra, avec du travail, de la persévérance, un peu d’aplomb, je réussirai. Toutes ces qualités je les aurai, sans moindre mérite, tant je serai heureux, la guerre finie, de me donner corps et âme aux buts de ma vie.

Avant cela il faut chasser les boches, ce n’est pas le plus facile.

3 octobre 1917

Taillefontaine,

J’avais du temps libre ce matin.

Comme je l’ai déjà fait souvent, j’ai ouvert et relu les deux lettres destinées à M… , Papa et Maman si je suis tué.

Bien des faits nouveaux se sont produits depuis que je les ai écrites. Mort du pauvre petit F. , naissance de L., attente d’un troisième bébé, nombreux combats : nombreuses souffrances, quelques joies.

J’avais pensé les refaire mes lettres. Mais réflexion faite c’est inutile. Le fond de mes sentiments n’a pas changé. Je n’ai pas à recommander femme enfants à Papa et Maman ni même à S. ou M.. Je connais leur affection pour ma petite famille et je suis bien tranquille à ce sujet. Outre mon assurance et ma pension de sous-lieutenant (ou lieutenant), M… sera largement aidée.

A ce sujet mon aimée, n’aie pas de scrupules mal placés. Accepte l’aide qui te sera offerte car nous ne faisons qu’un et tu es la fille de mes parents comme je suis leur fils, tu es la sœur de mes frères et sœur. Si je disparais le premier il sera aussi naturel que les miens t’aident, que j’aurais trouvé naturel en ma qualité d’ainé, d’aider mes parents dans leur vieillesse si c’eut été nécessaire, et tous mes frères.

 

Autre chose : Mon journal est à toi, mais je crois que tu ferais un bien grand plaisir en le montrant à Papa et Maman, en le leur laissant même copier.

Toutefois, relis-le attentivement afin de faire toi-même quelques coupures si certains passages, trop intimes, l’exigent.

8 octobre

Taillefontaine

 

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Reçu réponse de M… à ma lettre du 2 .....

Pourquoi, mon Dieu, m’avez-vous donné une femme si parfaite et dont je suis si indigne ? ......

Comment pourrais-je jamais assez vous remercier ? Comment arriverai-je jamais à mériter vraiment son amour ?

Et quel ménage pourtant est plus uni que le nôtre ?

Evidemment, j’ai un rôle à remplir ici-bas et Dieu se sert souvent de ses plus mauvais instruments pour accomplir de belles choses ....

 

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Il fait un temps abominable qui ajouté à d’autres soucis plus graves et à la vie morne que je mène, me donnent une terrible nostalgie...

Mais je veux m’efforcer de n’en rien laisser paraître et je demande à Dieu que le découragement ne me prenne jamais d’ici la Paix victorieuse. Je n’ai de goût à rien, je prends sur moi cependant de lire un livre très intéressant de Lysis : «Vers la Démocratie Nouvelle».

 

Je n’ai pas un ami ici, pas un bon camarade, je suis seul, toujours loin de mon aimée, loin de mes enfants chéris que je connais à peine…

Quelle vie !  Et avec cela la perspective de retourner au feu un jour ou l’autre pour risquer, et combien, de m’y casser la figure ou estropier.

Eh bien, j’aime mieux, cent fois encore, malgré toutes les souffrances (qu’on ne connait que quand on les a endurées) être au feu que d’être ici. Mais, mon Dieu, quoi que vous exigiez de moi, je vous l’offre en expiation de mes péchés, je vous l’offre en vous demandant de diminuer d’autant les souffrances de ceux qui me sont chers ...

Mon Dieu, faites que j’endure tout, le sourire aux lèvres, « à la Française » ! .....

10 octobre 1917

Taillefontaine

Je vais peut-être être désigné comme officier de liaison à la division pour la durée des attaques. Cela doit être assez intéressant, aussi j’en serais ravi.

Les risques à courir... J’en ai déjà tant couru ! Et puis cela me ferait du bien de sortir de mon CID et de mon cafard.

 

P.C. de l’hirondelle près ...

(Pour attaque sur Vaudesson et fort de la Malmaison - 15 kms NE de Soissons)

Ça y est. Je suis officier de liaison à la 13è D.I.

 

Jusqu’à présent, j’ai fait chaque matin une assez longue reconnaissance de secteur pour me familiariser avec les principaux boyaux et tranchées.

Le Chef d’ E.M. (Folliet) me donne comme but de mes reconnaissances quelques renseignements à prendre. J’étudie en outre, les plans directeurs et les divers plans d’attaque. Le secteur est assez calme, sauf par moments et par endroits.

Si l’attaque projetée se fait comme je le pense dans quelques jours ça va changer. Mais nous allons littéralement écraser le boche d’obus de tous calibres.

Rien que pour la division qui a un tout petit front il y aura :

Ø  10 batteries de 75 (ou groupes ??)

Ø  5 batteries de 58

Ø  1 batterie de 240

Ø  6 groupes de 155

Ø  1 groupe de 220

Ø  1 groupe de 270

 

Avec tout cela on va pouvoir faire du bon travail. Mais il faudrait un peu de beau temps continu.

 

En approchant des premières lignes on enfonce dans la plupart des boyaux jusqu’au-dessus du genou dans une boue liquide et collante…

(Voir photos !) (*)

Je prends mes repas avec le général (de Bouillon) et se chefs de bureaux ou principaux services.

La conversation est aussi banale qu’à toute popote d’officiers.

Je remarque que les E.M. se mangent entre eux…

 

J’ai pu ce matin assister à la Messe et recevoir la communion d’un brave brancardier prêtre des artilleurs voisins.

Le jour se levait brumeux et froid. Nous étions seuls dans une petite cabane en planches. C’était impressionnant. J’ai bien prié. J’ai tant à demander et à remercier ! Et j’ai bien réfléchi sur les beautés de notre foi. Quand je suis ainsi purifié par la confession et la communion, peu m’importent les obus et le reste.

Si je crains la mort ce n’est plus à cause de la peur, ce n’est plus qu’à cause de ceux que j’aime et dont je suis le soutien, c’est aussi parce que malgré tout j’aime la vie présente, je devrais davantage aimer la vie future.

 

(*) : Les photos citées sont absente du carnet.

16 octobre

P.C. Hirondelle

J’ai fait ce matin la reconnaissance de presque tout le secteur du 2 CRE.  C’est pour ainsi dire prêt. Le sol est assez sec. Ça va marcher si le temps se maintient seulement quelques-jours. Nous sommes au jour A, c’est-à-dire J -5.... C’est-à-dire 5 jours avant le jour de l’attaque.

Des nuées d’avions règlent des centaines ou plutôt des milliers de pièces de tous calibres : depuis le 75 jusqu’au 380.

Les troupes qui doivent attaquer ne vont plus tarder à monter. Les bureaux de l’E.M. fonctionnent sans répit. Le téléphone, la T.S.F., n’arrêtent plus. Quelle activité de fourmilière ! Quelle formidable organisation...pour tuer !

Et nous sommes au XXe siècle, nous nous disons civilisés !

Mais qui a commencé ? Les boches. Nous ne faisions que nous défendre après tout.

17 octobre

Attaque Vaudesson, N-E Soissons

Le bombardement est commencé.

C’est poignant à entendre et à voir des observatoires.  Cette préparation est une des plus fortes (d’après les ordres mêmes) qui ait été faite depuis le début de la guerre. Les boches réagissent en somme fort peu. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est notre revanche de Verdun et je n’ai jamais été si heureux d’être dans ma peau et non dans celle d’un boche.

Le temps est idéal. J’ai eu du travail toute la journée mais j’ai pu cependant m’arrêter un quart d’heure au PC (poste d’observation) du général d’où l’on voit tout l’ensemble du secteur.

Je me demande comment les boches ne deviennent pas tous fous sous un tel déluge d’obus, dans un vacarme pareil, dans une fumée si épaisse ! Le fort de Malmaison qui est particulièrement visé reçoit d’énormes obus qui font une épaisse fumée qui monte très haut en «faisant une ronde».

Encore trois jours comme cela et l’infanterie s’élancera derrière un formidable feu roulant qui sera le «bouquet» de toute cette préparation...

18 octobre 1917

Hélas il a plu toute la nuit et cela continue. Voilà bien notre chance... C’est à en pleurer de rage.  Chaque fois que nous voulons attaquer, c’est la même chose...

Les boches au contraire ont souvent le beau temps. C’est à se demander si le ciel n’est pas avec eux.

Avec cette seule nuit de pluie il y a plus de boue que jamais. Quel civil se rendra jamais compte des souffrances morales et physiques que vous donne la boue, des fatigues énormes dont elle est la cause...

On sent bien quand on dit aux gens de l’arrière : «Il pleut, voilà la boue» ils ne se rendent pas du tout compte de ce que cela veut dire. Ils ne le peuvent pas. Il faut avoir vu cela et vécu dedans pour savoir.

 

La préparation continue cependant, mais comment pourrait-on faire attaquer l’Infanterie par un temps pareil ?

Le Médecin Principal Provendier, si détesté de tous ses subordonnés de la divisions n’est pas ici d’un commerce trop désagréable. Mais c’est auprès du général un parfait... courtisan ! Il n’est pas bête il a même une tournure d’esprit assez sarcastique et fine.

Je bavardais hier avec lui et il me disait :

 

« Je ne le dirais pas au général mais l’attaque que nous allons faire ne vaut pas le coup. »

« Elle nous coûtera tous comptes faits aussi cher en hommes qu’aux boches, en argent elle nous coûtera un prix fou et je ne vois pas bien son utilité pratique. »

« Pour moi elle est faite dans un but politique et aussi dans un but ambitieux par la plupart des chefs...»

 

Il y a peut-être du vrai, mais en ce cas c’est ignoble de faire tuer tant d’hommes inutilement.

Seulement à mon point de vue ces attaques, à objectif limité, ne me semble pas si inutiles que cela : Nous ne pouvons pas laisser le boche trop tranquille sans quoi il reprendrait des forces à tous points de vue. Il faut tuer du boche avec des attaques bien montées pour user ses réserves tout en ayant relativement peu de pertes chez nous.

Le jour où les réserves boches épuisées par les pertes et les déplacements continuels ne nous gêneront plus, nous pourrons tenter avec l’appui des Américains un grand coup. C’est atroce, mais c’est nécessaire.

19 octobre

Le jour J a été retardé d’un jour. Nous sommes donc à J -3 : le temps est très menaçant. (*)

Ah ! Si on pouvait ne pas avoir de pluie !

Un coup de main a été fait cet après-midi à titre de sondage. Résultat : tout le monde est rentré chez nous et un prisonnier a été fait. J’espère qu’il va donner quelques renseignements, on est en train de l’interroger. Je l’ai vu tout à l’heure, il a l’air plutôt abruti par le marmitage.

 

Je suis toujours très occupé et je dors assez peu. Mais il n’y a pas de doute cependant, faire la guerre. Même comme officier de liaison, où l’on a pas mal de risques et où l’on connaît les horreurs de la boue puisque l’on court toute la journée les boyaux, cela n’a pas de rapport avec la vie de l’officier de troupe.

En rentrant de chaque randonnée souvent bien fatigué il est vrai, je trouve un PC relativement très confortable, presque jamais marmité, éclairé à l’électricité ; j’ai une couchette et ma cantine, je peux me laver et me changer. Ce n’est plus comme de rester 15, 20, 30 jours à l’état de loque humaine et humide ! ...

Il parait que ma nomination de lieutenant a paru à l’officiel.

 

(*) : Il s’agit de la bataille nommée « bataille de la Malmaison »

21 octobre

En effet, je suis nommé comme cavalier, détaché dans l’infanterie. C’est précisément ce que je voulais.

Seulement, je crois bien qu’il y a une erreur de date ce qui me ferait perdre deux mois d’ancienneté, et surtout de rappel de solde. Je vais attendre de recevoir l’avis officiel et je réclamerai s’il y a lieu.

J’ai été chercher hier soir le premier bataillon à son point de débarquement et je l’ai piloté jusqu’à « l’Hirondelle » dans une nuit noire, au milieu d’innombrables véhicules. Quelle relève épouvantable !... Et quelle difficulté de se diriger dans de tels chemins et sentiers par une nuit obscure.

Le marmitage continue nuit et jour. Des boches en nombre variable se rendent chaque jour complètement abrutis.

22 octobre

18 h.

Enfin je crois qu’il n’y aura plus de contre-ordre et demain matin à l’heure H (que je ne connais pas encore) l’attaque se déclenchera.

Jusqu’à présent, les boches ont très peu réagi. D’après les renseignements de notre aviation et des prisonniers la préparation (c’est aujourd’hui le 6è jour) a été bien faite. Nous devons trouver tout démoli…

J’espère donc que cela réussira avec peu de pertes relativement. Mais mon expérience de vieux combattant me fait penser que si l’attaque doit bien marcher c’est la suite - les contre-attaques - qui seront sans doute plus pénibles.

 

Je dois gagner cette nuit un PC de chef de corps et au cours de l’attaque mon rôle sera (me plaçant où je voudrai, mais le général m’a défendu d’être avec la 1ère vague,   hélas !) sera, dis-je de renseignement le général de division le plus rapidement possible (en me servant des postes téléphoniques les plus proches) sur la façon dont s’effectuera la progression, sur tout ce qui me paraîtra utile et urgent. : Rôle ingrat mais intéressant.

Aujourd’hui le général a remis la médaille militaire à un aspirant et la croix de guerre à un poilu qui d’eux-mêmes étaient allés ce matin «cueillir» des boches dans leur tranchée ! Ils étaient trois pour faire le coup et ils ramenèrent 10 prisonniers et une mitrailleuse ! Cela ne se passa pas sans combat car les boches quand ils s’aperçurent que leurs assaillants n’étaient que trois essayèrent de réagir.

L’un deux, même, une fois pris et en revenant chez nous traversa d’une balle de révolver un de nos poilu, mais l’aspirant lui brûla aussitôt la cervelle et les autres ne bronchèrent plus.

Enfin, j’espère que demain ça va marcher et que pour mon compte une fois de plus je m’en tirerai sain et sauf.

25 octobre 1917

P.C. Hirondelle

Le 23 à 2h, je quittai le P.C. Hirondelle en Cie d’un Major Belge que j’étais chargé de piloter.

Je devais m’installer en 1ère ligne au P.O. Esparcel (P.O. : Poste d’observation) d’où par téléphone, je pourrais renseigner directement, minute par minute l’E.M. de la D.I. 13. (*)

Malheureusement en cours de route nous fûmes marmités d’assez près et en sautant dans un boyau je me foulai le pied...

J’en aurai pleuré de rage et j’aurais mille fois mieux aimé être blessé, c’eut été moins stupide ! ...

Clopin-clopant, je pus cependant, gagner mon P.O. à temps pour voir partir les vagues de nègres (Sénégalais) et de poilus français.

 

Au départ tout marcha bien.

Les premières tranchées boches furent enlevées facilement tant la préparation d’artillerie avait été formidable, tout était nivelé, c’est-à-dire que les tranchées, les fils de fer, les abris n’existaient plus et que les trous d’obus se touchaient tous.

Les boches se rendaient en levant les bras et en criant « Camarade ». Quel dommage qu’il ne fit pas assez jour, j’aurais fait des photos superbes. (**)

Le premier objectif atteint, nos poilus soufflèrent une heure puis repartirent à l’assaut du 2ème protégé par un double barrage roulant et effroyable. Cela se passa encore bien malgré les creutes (***) remplies de boches et longues à « nettoyer » au moyen des lance-flammes quand leurs habitants refusaient de se rendre.

Les tanks suivirent bien l’infanterie et rendirent des services quoique se trouvant à mon avis légèrement en retard sur notre 1ère vague.

Trois heures d’arrêt au 2ème objectif furent nécessaires (et étaient prévues) pour relever les premiers bataillons d’assaut par des bataillons frais toujours protégés par un feu d’enfer de notre artillerie.

 

Puis ce fut l’assaut de l’objectif final. Là ce fut plus dur.

Certains nids de mitrailleuses ralentirent notre marche et nous obligèrent à les « manœuvrer », c’est-à-dire à les tourner.

En fin de compte tous les objectifs furent atteints avec relativement peu de pertes pour nous (environ 700 hommes hors de combat pour la division).

De nombreux prisonniers faits, pas mal de canons et beaucoup de mitrailleuses prises.

 

J’ai assisté là à l’une des plus belles attaques de la guerre en ce sens que bien montée avec des moyens formidables elle a pleinement réussi.

Mais ....... hier et aujourd’hui je remarque du flottement, du manque de décision, du manque de rapidité dans notre commandement. On avait prévu une simple attaque à objectifs limités, je ne crois pas qu’on ait envisagé l’éventualité d’un plus grand recul boche !...  C’est inouï ! …

Comment un chef ne prévoit-il pas toutes les éventualités ! Ainsi avant-hier si on avait continué à poursuivre le boche il est plus que probable qu’on l’aurait rejeté jusqu’à l’Ailette et qu’on aurait fait de plus   grosses captures encore.

Si la position n’est pas bonne près du canal de l’Ailette on pouvait soit tenter de pousser plus loin au cas où les boches auraient peu résisté, soit se replier sur notre objectif primitif.

Au lieu de cela voilà deux jours qu’on hésite et qu’on tâtonne. On vient de demander de la cavalerie qui est au diable. À supposer .. qu’elle puisse faire quelque chose c’eut été avant-hier, aujourd’hui ce sera trop tard, à moins que les boches ne se soient décidés à un gros repli. Mais en ce dernier cas encore on avait intérêt à ne pas perdre une minute.

 

En résumé, les difficultés dans la guerre actuelle me semblent être : d’avoir des chefs et des EM capables de remplir parfaitement leur rôle qui est extrêmement minutieux et délicat ; d’avoir des communications assez (c’est-à-dire extrêmement) rapides des combattants aux généraux, et vice et versa ; - de faire avancer l’artillerie lourde dans un terrain inimaginable et indescriptible, d’assurer le ravitaillement en munitions, etc. ....

 

(*) : État-major de la 13e division d’infanterie.

(**) : Il possédait donc un appareil photo. Dommage que les photos ne sont parvenus jusque nous !

(***) : Dans le Laonnois et le Soissonnais, on appelle "creutes" ou "boves" les multiples cavités creusées depuis des siècles dans les épaisses couches de calcaire des collines de ces territoires. Ces carrières exploitées pour la construction de maisons et d'édifices publics ou culturels ont servis parfois dès le Moyen-âge et souvent jusqu'au début du XXème siècle.

Durant la Première Guerre mondiale, les creutes peuvent servir d'abris ou de cantonnement aux combattants. Tout un aménagement intérieur y fut implanté par les différentes armées : dortoirs, postes de commandement, infirmeries, chapelles, etc. et parfois des installations électriques et téléphoniques.

30 octobre 1917

Sancy

Me voilà ...... major de cantonnement de Sancy ou plutôt, car Sancy n’existe plus guère que de nom, des «creutes» et sapes des environs. J’aurai fait tous les métiers pendant cette guerre ! ..... Même les moins intéressants et les plus ingrats.

 

Oui, je persiste à croire que dans cette attaque de grosses fautes ont été faites par le commandement et si PETAIN peut voir la vérité il pourrait bien en limoger quelques-uns !!

L’attaque à objectif rigoureusement limité a été bien préparée et très bien exécutée.

Mais, si, comme cela s’est produit, elle réussissait, il fallait prévoir que les boches ne resteraient pas entre le canal de l’Oise à l’Aisne et nous, leur position fut intenable. Il fallait donc prévoir « l’exploitation du succès »  (ce qui est même réglementaire) jusqu’au canal. Il fallait en outre, prévoir un repli boche encore plus grand, qui aurait pu se produire en les harcelant. Cela me semble ne pas avoir été même supposé. Il fallait encore prévoir ce qu’on aurait fait si l’attaque n’avait réussi que partiellement.

Enfin, maintenant que la ligne nouvelle s’est établie le long du canal, il faudrait avoir le courage de n’y point rester et de se replier de quelques centaines de mètres nécessaire pour que nous ne soyons pas dans l’eau tout l’hiver.

 

Mais, fichtre, abandonner une petite bande de terrain !

Il n’y faut point songer ! Et la politique ! Et nos députés ! Et nos journalistes ! qui s’en mêleraient !!!! Ils pousseraient de beaux cris ! Aussi je parierais gros qu’on préféra laisser nos poilus crever de froid tout l’hiver ou avoir les pieds gelés .... Je ne parle pas au figuré .....

Je suis passé ce matin par nos anciennes premières lignes. J’ai revu l’endroit au-dessus de Mermejean où mon modeste PC avait été écroulé par deux torpilles françaises le jour où j’étais parti en perme....

 

J’ai revu aussi le PO ESPARCEL d’où j’ai vu l’attaque de l’autre jour et qui a été rudement bien retourné ! Je l’ai photographié.

Curieuse émotion que celle de se promener librement à découvert dans des endroits où il y a si peu de temps on n’osait pas montrer le bout du nez.

Du côté boche (anciennes lignes boches), c’est un chaos à perte de vue que je renonce à décrire, les trous d’obus se touchent tous. On ne voit même plus où étaient les tranchées et les abris dans lesquels sont enfouis leurs occupants. C’est autant de moins à enterrer ..... Mais quelle mort terrible !

Tout le monde dit, et je crois que c’est vrai, que la préparation d’artillerie que nous avons faite ici a été sensiblement plus forte que celles que nous prenions sur le dos à Verdun .......  Ça se passe de commentaires !

 

Il parait que la veille de l’attaque un de nos postes de TSF a surpris et pu traduire un message boche qui disait à ses troupes : « Vous serez attaqués à 5h45. »

c’est pourquoi on a aussitôt avancé l’heure d’une demi-heure, soit à 5h15 et c’est ainsi qu’on a attaqué en pleine nuit ... Comment admettre que l’espionnage boche soit si bien fait qu’ils puissent savoir, avant les troupes françaises qui doivent attaquer, avant même les EM de régiment, des ID et des DI, l’heure de notre attaque.

Il y a de quoi trembler en songeant qu’il y a presque sûrement des espions soit au CA soit à l’armée .....

Je ne peux pas comprendre qu’ils ne soient pris. Cela me dépasse.

31 décembre 1917

Mésiré, 15 kms de Belfort

Depuis la dernière attaque, pas grand-chose de neuf pour nous.

J’ai rejoint ma Cie non sans joie. J’en avais soupé du CID (Centre d’instruction divisionnaire) et l’EM où je ne puis supporter ni le général ni la plupart de sa clique ....

Un bon repos près de Paris à Dannemartin (? cela pourrait-être Dannemarie (78) où je logeais chez de vraiment braves gens.

Plusieures perme de 24 h. Bon cantonnement pour les poilus et enfin on a compris qu’il fallait leur f.... la paix     (pas la vraie hélas, ou heureusement)     quand ils viennent d’attaquer.

 

Puis nous avons embarqué pour Lure et nous avons cantonné à ....

Là, j’ai appris que mon camarade DE JOUVEN avait une citation à l’armée !....

C’est le comble ! Il n’y a plus pour être cité qu’à aller dans un EM, être pistonné et désobéir formellement aux ordres donnés en allant se promener sur le terrain conquis au lieu de rester à un poste où l’on peut rendre des services. Mais .... je crois bien que je suis jaloux !

Non vraiment je veux rester au-dessus de cela.

 

Ce qui vaut mieux que tout c’est que le 11 décembre, ayant appris la naissance de ma 3ème fille, N. , je suis parti en perme de 13 jours.

Comme toujours exquises journées auprès de toi mon aimée, où je me suis réchauffé le cœur et où j’ai puisé de nouvelles forces pour me battre jusqu’au bout sans faiblir.

 

Nos petites sont bien gentilles aussi. Que ne puis-je suivre et diriger pas à pas leurs progrès .... C’est triste.

Retour triste aussi avec gros cafard malgré la joie de voir Papa et Maman à Versailles, et aussi les petits, et M..

Ce dernier rêve mariage.

Ou du moins, il veut commencer à y songer pour ne pas perdre de temps après la guerre. Je lui ai parlé de ma nièce. Il se peut fort qu’ils se plaisent, j’en serais bien heureux.

 

Rentré au régiment je suis de nouveau écœuré par de nombreuses et nouvelles injustices (il ne s’agit nullement de moi) pour des citations qui paraissent à la décision.

Le commandant QUILLIARD que nous aimions nous a quittés pour prendre le commandement du 3è B.C.P. Il est remplacé par un Commandant AUBERT venant de l’E.M. du CA qui nous est fort sympathique.

 

Mais enfin il vient faire le fameux stage de trois mois dans la troupe.

Or il vient de commander le régiment pendant 15 jours. Nous sommes encore au repos pour une dizaine de jours, puis il doit partir en permission de 45 jours !!! Peu après il nous quittera sans doute pour retourner dans un EM en pouvant crier bien haut qu’il a fait son stage de 3 mois dans la troupe.

Quant au Colonel LARDAUT qui nous plaisait aussi il est également parti et est remplacé par un type qui nous fait la plus sale impression.

La situation générale ne s’améliore pas depuis quelque temps. On croit toujours les boches au bout de leur rouleau, mais les Russes ont à peu près fait la paix, notre parlement découvre dans son sein de plus en plus de traîtres et de bandits, la gêne économique augmente chaque jour, et les boches disent qu’ils vont nous attaquer formidablement. Je fais la part de leur bluff habituel mais je n’en suis pas moins inquiet de l’avenir.

Advienne que pourra, ma devise à moi sera : « Jusqu’au bout ». Je voudrais qu’elle fut celle de tous mais hélas ....

 

Mon oncle A. voulait me faire passer dans les chars d’assaut. Considérant que ce serait une demi-embuscade, j’ai refusé.

Si les boches nous attaquent, j’espère avec la grâce de Dieu m’en tirer une fois de plus, tout en faisant largement mon devoir. S’il en était autrement, je tomberais au moins en «faisant quelque chose» et ma femme et mes enfants pourraient être fiers de moi.

Nous devons partir le 5 ou 6 pour aller par étapes prendre secteur près de l’Hartmann (sommet des Vosges).

Nous aurions plusieurs jours d’étapes. Par ce froid terrible qu’il fait, cela ne serait pas amusant.

On dit que la nuit dernière deux hommes d’un régiment voisin sont mort de froid.

 

7 janvier 1918   : Petit Bilhencourt (sic)

8     -          -      : Couthenans

9     -          -      : Clairgoutte

10   -          -      : Ternay

11   -          -      : repos à Ternay

12   -          -      : Ramonchamp

13   -          -      : Cornimont

 

.................. Ces quelques journées d’étapes.. ont été tantôt de radieuses promenades dans ce joli pays, les montagnes couvertes d’une couche de neige atteignant par endroits près d’un mètre ; tantôt des marches pénibles par une pluie battante et un verglas terrible.

Rien d’intéressant à noter si ce n’est que notre Commandant (AUBERT) quoique assez « État-major » est vraiment bien jusqu’à présent et que le nouveau Colonel (Clément GRANCOURT) auquel nous avons été présentés hier est tout simplement sinistre ...

Franchement il a l’air d’une brute, mais je ne veux pas encore le juger.

 

LESPI. a enfin la Croix mais croyons-nous sans palme, alors que AGOSTINI qui n’a jamais commandé dans l’infanterie et n’a même jamais combattu (car je n’appelle pas combattre être dans un EM) vient d’avoir en même temps la croix (avec palme) et le galon de capitaine .... Je n’incrimine pas AGOSTINI qui me paraît être un gentil camarade, mais c’est tout de même violent ! ....

 

J’ai enterré ce matin un poilu de ma section, Poiret, s’est suicidé hier en rentrant de permission. (*)

Je n’ai pas pu savoir ce qui l’a pousser à cela. Bien entendu, le suicide étant considéré comme une lâcheté ni honneurs militaires, ni services religieux. J’ai cependant accompagné ce malheureux, qui n’était pas un mauvais soldat, à sa dernière «cagna» et 8 hommes de la Cie ont été commandé aussi .......

Pas un autre n’est venu ! - Chez nous, la mort c’est bien peu de chose.

Mais pour moi cela m’a plongé dans de longues méditations sur le suicide et j’ai abouti à ceci, c’est que vraiment le suicide est bien une lâcheté dans quelques circonstances que cela soit.

Je n’ai pas fait une bien grande découverte ! ......

 

CAILLAUX est arrêté, si vraiment il est coupable, ce dont je suis convaincu, car on ne l’aurait jamais arrêté sans cela, j’espère bien qu’il sera fusillé avec bon nombre de ses complices. Ainsi il ne trouvera pas moyen de faire réviser son procès au bout de quelques années.

Justice sera faite. (**)

Il serait inouï de penser qu’un simple poilu peut être fusillé sans grand tapage alors qu’un criminel bien plus coupable qu’un être plus ou moins conscient échapperait à la loi !

 

(*) : POIRET André Victor, soldat, non-mort pour la France le 14 janvier 1918 à Corminont (Vosges), par suicide. Il était né à Blénod-lès-Toul (54) le 30 novembre 1896.

(**) : Joseph CAILLAUX (1863-1944), homme politique a été condamné pour intelligence avec l’ennemi en 1918 puis amnistié en 1925

Metzeral, 23 janvier 1918 (non loin de Guebwiller)

Nous avons quitté Krüth le 19. Étape fort pénible dans la montagne, mais divinement belle. Après être montés à 1300m. Atterrissage dans un petit patelin Wisslach, proche des lignes et très bien vu des boches mais ces derniers ne tirent pas et des civils sont encore là.

 

Le 20, relève à peine la nuit tombée. Calme plat, silence rompu seulement par la Fecht qui traversa avec vacarme Metziral.

Jamais je n’ai vu un secteur où l’on se doute si peu que c’est la guerre.

Les coups de canon sont rares et lointains. Les coups de fusil, presque autant. La zone que nous occupons est à mon avis une position intenable en cas d’attaque sérieuse, et où les coups de mains boches sont faciles à réussir.

En effet, quoique la ligne de nos PP soit en crête d’une hauteur moyenne de 600 m.  les boches nous dominent de partout : nos positions, nos tranchées de soutien, de résistance, à peine ébauchées sont à contre pente dans un terrain difficile. Peu ou pas de champ de tir, des flanquements médiocres, la liaison entre les Cies impossible de jour.

 

Evidemment nos prédécesseurs ne travaillaient pas et vivaient sur cette espérance que le boche ne ferait rien ici.

Mais il faut reconnaître que sur les positions actuelles il est presque impossible de se retrancher sérieusement. Il faudrait préparer des positions à 1.000 mètres en arrière sur la montagne qui domine.

En tous cas il faudrait travailler, faire des tranchées sur un plan bien conçu, poser des fils de fer, construire des abris cavernes (il n’en existe pas). Or notre sympathique Colonel ne parle que de déclarer la guerre aux boches ! Il veut taquiner le boche par nos propres moyens !

Ici c’est folie !

Pour une malheureuse grenade que nous enverrons nous recevrons 10 torpilles de 240 et nous ne saurons où abriter nos hommes. D’où, pas mal de boches, pertes inutiles chez nous. Or moins que jamais nous n’avons le droit, nous ne pouvons perdre du monde inutilement.

Comment lutter contre un Clément GRANCOURT ?

Il a contre nous la force de 5 galons contre deux ! Nul dans son entourage n’ose dévoiler sa pensée.

Chacun grogne ..... mais dans son dos.

30 janvier 1918

Sommes relevés ce soir, allons au repos à Krüth. Je suis désigné pour suivre des cours de Commandant de Cie à Remiremont. La barbe.

On ne me f.... donc jamais la paix avec ces maudits stages.

Metzéral, Cote 664 - 25 mars 1918

Ainsi il va falloir fournir un nouvel et formidable effort ! Sera-ce le dernier ?

Je l’espère. Je dirais que je le crois si (peu ?) depuis si longtemps je ne me permettais plus aucun pronostic. Nous avons toujours été de surprises en surprise ....

Malgré l’angoisse de la situation présente, il faut garder un sang-froid presque cynique, un optimisme à toute épreuve. C’est une question d’exemple à donner. C’est une des principales conditions du succès.

Mais, pour moi, je cherche à voir clair, à regarder les choses en face.

Si les boches réussissent par malheur à venir à Paris, nous serons probablement perdus, à moins ... qu’on ne puisse encore se stabiliser et attendre un an les Américains.

Si nous tenons, je crois bien que nous ne serons plus loin de la paix à notre avantage.

Hier soir, pendant une heure, sérieux marmitage de part et d’autre dans notre secteur sans qu’on sache trop pourquoi. Pas de pertes au bataillon ! C’est une de ces veines !

3 avril 1918

Un nouveau lieutenant-colonel est arrivé : WEILER.

L’autre est parti commander des Polonais.... Dieu ait son âme. Mais avec sa «guerre aux boches» stupide en la circonstance il a en partie sur la conscience une quinzaine de tués et un vingtaine de blessés .....

Nous sommes depuis le 31 mars au repos au camp Boussa à 1280 m. d’alt.! On y est affreusement mal.

Temps épouvantable, neige, pluie, vent, etc..... Mais j’aurais mauvaise grâce à me plaindre en songeant aux combats terribles qui se livrent dans la Somme.

Il est vrai que nous y prendrons probablement part, peut-être d’ici peu, et je me doute parfaitement de ce qui nous y attend ...

Eh bien cette situation de condamné à mort probable n’est pas bien terrible quand la date est indéterminée. Et puis au moins on se fera casser la figure pour une belle cause et dans un beau geste. Ah, si seulement on ne devait laisser personne après moi...... Car au fond qui n’est pas condamné à mort en ce bas monde ? Et qu’est-ce-que mourir pour un chrétien ?

Et puis, malgré tout, on a toujours en soi l’espérance, la conviction, que le moment tragique du changement de monde n’est pas venu et on a beau avoir la foi on se raccroche toujours à la terre ! C’est pourquoi il y a un certain mérite à donner sa vie le moment venu ....

Voilà ma perme retardée, elles sont supprimées, c’est bien naturel, et je fais de tout cœur ce sacrifice qui est pour le moment le plus grand que je puisse faire....

6 avril 1918

Le général M de B. est venu nous voir il m’a, comme toujours, donné l’impression qu’il n’est qu’un pantin égoïste et orgueilleux. Qui plus est .... il devient gâteux..

P.C. Girard, 20 mars 1918

Rapport du capitaine Le Duc  commandant la 5ème Cie du 21 RI sur la belle conduite du lieutenant LEGANGNEUX, de l’adjudant-chef RINGART, des sergents  MOREL et DUBOUX le 19 mars 1918.

Un coup de main étant projeté sur Schiffmatt sous la direction du lieutenant LEGANGNEUX, cet officier exécute ces jours derniers des patrouilles de reconnaissance préparatoires.

 

Hier, 19 mars, il résolut de reconnaître les itinéraires avec trois sous-officiers éprouvés : l’adjudant-chef RINGART, les sergents MOREL et DUBOUX. Il s’agissait également de reconnaître si un PP ennemi présumé était occupé réellement.

Cette reconnaissance ne pouvait se faire que de jour. Un terrain parsemé de ronces, de taillis, et une rangée de pierres longeant un chemin creux permettaient de s’approcher sans grandes difficultés du PP en question.

On avait résolu, si les circonstances s’y prêtaient de sauter dans ce PP et d’en capturer les occupants. S’il n’était pas occupé, il constituerait une excellente base de départ pour le coup de main.

La patrouille partie à 13 H. atteignit sans encombre les abords du PP suivant l’itinéraire qui avait été reconnu la veille par le lieutenant LEGANGNEUX et l’adjudant-chef RINGART dans le milieu de la journée.

 

Au moment où les patrouilleurs allaient continuer leur progression, ils furent pris sous le feu d’une, puis de deux mitrailleuses ennemies tirant du Nord du village de Mülbach.

Le lieutenant, voyant la patrouille éventée, résolut regagner nos lignes. Les patrouilleurs commencèrent donc à se replier constamment sous le feu, rampant, bondissant entre les rafales. Grâce à leur sang-froid, tout se passa bien d’abord, malgré le défaut presque absolu d’abris.

Une rafale atteint pourtant l’adjudant-chef à la cheville droite. Le sergent MOREL abrité derrière une simple pierre se penche pour prendre un paquet de pansement. Ce mouvement suffit pour qu’il soit frappé par une balle à l’omoplate gauche. Grosse perte de sang immédiate, tout mouvement lui devient d’abord impossible. La même balle a frappé DUBOUX au bras gauche et l’immobilise un long moment.

 

Conciliabule sous les balles.

RINGART interrogé par le lieutenant répond qu’il espère pouvoir ramper encore. Le lieutenant restant près des deux sergents demande à l’adjudant-chef de rentrer seul dans nos lignes pour y porter des renseignements.

 

Pendant quatre heures, RINGART rampe,- salué à chaque mouvement par une rafale.. Son pied le fait beaucoup souffrir, mais malgré le péril, il poursuit sans hésitation l’accomplissement de sa mission.

Enfin il atteint notre tranchée à 17 h 45 et en franchit le parapet au milieu des dernières balles.

Le lieutenant LEGANGNEUX s’est pendant ce temps rapproché de MOREL et l’a pansé avec des difficultés inouïes.  DUBOUX qui, en réalité, n’a été que légèrement atteint se rapproche également.

Morel souffre beaucoup et ne peut bouger seul. Pourtant il faut s’éloigner à tout prix car les boches peuvent venir et prendre les blessés que le lieutenant LEGANGNEUX ne pourra suffire à défendre.

Les trois braves, peu à peu, avec une énergie farouche, continuent le repli dans les conditions les plus pénibles qui soient. Mais MOREL, malgré l’aide qu’on lui donne ne peux plus continuer. Il est trop affaibli et souffre trop. Il reste longtemps à plat ventre baignant dans son sang. Mais il ne perd pas sa belle humeur et prêt à s’évanouir blague encore.

Le lieutenant et DUBOUX restent là jusqu’à la tombée de la nuit.

 

Enfin les brancardiers et les patrouilleurs demandés par l’adjudant-chef sortent de nos lignes et ramènent tout le monde juste à temps pour échapper aux rafales des mitrailleuses qui, aussitôt la nuit venue battent le terrain.

Le lieutenant LEGANGNEUX, l’adjudant-chef RINGARD, les sergents MOREL et DUBOUX ont fait preuve des qualités militaires exceptionnelles. Leur conduite est un magnifique exemple de bravoure, de sang-froid et d’énergie. Le spectacle de leurs efforts avait enthousiasmé nos poilus, qui, de nos tranchées suivaient anxieusement tous les mouvements.

 

Ces quatre militaires sont d’ailleurs, depuis qu’ils comptent à ma Cie, c’est-à-dire depuis longtemps, un exemple permanent de bravoure et de calme. Leur moral magnifique, leur allant, qui ne se dément jamais, leur font une réputation digne de leur admirable conduite.

  En conséquence, je demande pour l’adjudant-chef RINGART, pour le lieutenant LEGANGNEUX, les sergents MOREL et DUBOUX une citation à l’ordre de l’Armée avec les motifs figurant sue les mémoires ci-joints de proposition. »

 

........Eh bien, MOREL, seul, a obtenu une citation .... au régiment !! ................. Sans commentaire !!!!!! ..........

Storchenrung, 11-4-18

Nous avons repris les tranchées avant-hier soir. Nuit noire. Sentiers abrupts..... Pourtant la relève n’a pas été trop pénible mais je crains que mes poilus dégringolent dans le fond de la vallée. Pas d’accident.. heureusement.

Mon P.C. est sur le flanc de l’Hilsenfirst (2 200 m.) presque à pic, au milieu d’énormes et gigantesques sapins, beaux, tristes, qui me cachent le peu de soleil que je pourrais avoir.

Le boche n’est pas loin, mais naturellement, dans ce bois sombre, on ne voit rien de ses organisations. Nos GC (Groupes de combat) étant fort loin les uns des autres (de 3 à 500m.) nous sommes un peu à la merci des coups de main. Mais nous sommes protégés de forts réseaux de barbelés. Toutefois nous ne quittons ni notre revolver, ni la nuit nos bottes, ce qui à la longue est fatigant.

Je pense que nous ne tarderons plus à partir vers la lutte gigantesque.

On parle de contre-attaque, je n’y crois guère pour le moment, nous aurons assez à faire à nous défendre et à briser les vagues teutonnes... qu’ils s’usent plus que nous et nous finirons bien par les avoir.

Par exemple combien d’hommes cela va-t-il encore nous coûter ?!....

Pour mon compte j’ai foi en mon étoile ou plutôt en Dieu.

Storchenrung, 14 avril 1918

Dès que LEGANGNEUX est en ligne, il reçoit un papier lui disant de préparer un coup de main.... Il semblerait rationnel cependant que l’emplacement d’un coup de main soit choisi d’après le terrain et non d’après l’endroit où se trouve LEGANGNEUX. Et puis, pourquoi toujours LEGANGNEUX ? Tant qu’on ne lui aura pas fait casser la figure on ne sera pas content.

Sont-ils tous indispensable aussi ces coups de main ? A-t-on réellement besoin en ce moment d’avoir des prisonniers ?

 

............. Ici où je note des impressions pour moi, je suis obligé de m’avouer ce que je pense :

Un coup de main utile, on le monte (tant mal que bien) et on l’exécute. Ce n’est donc pas le cas, puisque depuis que nous sommes en secteur on ne parle que coups de main et pas un n’a été fait. On s’est pour diverses raisons, toujours arrêté aux patrouilles préparatoires.

La vérité, c’est que cela fait bien d’avoir sous ses ordres un jeune « as ». Cela fait bien pour un Colonel, un général, de dire sur ce ton important et ridicule que je connais trop :

 

« Oui, j’ai ( !) fait un coup de main fort réussi ... etc.... »

Ah si par malheur le coup a mal réussi le ton change :

« Faut-il qu’il soit maladroit ce jeune X, son coup de main était mal monté, etc... etc... » Et comme la critique en chambre, loin, à l’arrière ... »

Et presque sur toute l’échelle c’est la même chose, le même ton.

 

C’est ainsi que le général de B. pour cette malheureuse histoire du 21-22 août 16 où nos hommes s’étaient battus comme jamais mais où nous avions perdu la tranchée que nous venions de prendre, nous accusa de toutes les fautes, alors qu’il était le principal coupable de l’échec.

C’est ainsi que le même de B. nous disait il y a à peine quelques jours sur un ton de comédien, du plus haut comique (ou tragique) :

 

« Oui, je tiens X kms de front. Le boche est là, je le sais ; eh bien, je l’em.. ! Je suis là, il ne passera pas ! »

Je vous en prie, mon général, dites :

« Ma division est là » ...

 

Hélas, sauf quelques PETAIN ou CASTELNAU, l’orgueil des chefs est incommensurable.

Le poilu le sent et le lui fait parfois sentir. Témoin celui qui dit un jour à son capitaine :

 

« Permettez-moi de vous féliciter de la palme que je vous ai gagnée ! »

16 avril

Nous sommes arrivés à Krüth le 18 janvier, voilà trois mois que nous occupons donc le secteur.

Notre dernier séjour à la cote 664 a été du 11 mars au 30 mars. Le repos à Boussa valait les tranchées. Nous sommes descendus à Storchenrung le 10 avril.

18 avril 1918

Storchenrung (dit : le torchon russe)

Baby a encore manqué de se faire tuer il y a deux nuits.

Il faisait une patrouille offensive dans le but de tâcher de faire un prisonnier quand il toucha un réseau électrifié et tomba raide. RINGAT quoique ayant reçu également une décharge et ayant même perdu connaissance quelques secondes lui sauva la vie en le tirant par la ceinture.

Bébé ne repris connaissance qu’en rentrant dans nos lignes rapporté par un de ses poilus. C’est là que je le rejoignis, ayant été prévenu par un des patrouilleurs. En me voyant il eut une crise nerveuse de larmes et m’embrassait et ne voulait plus me lâcher. Il est remis maintenant mais se repose quelques jours à Wittlach. Je le remplace en 1ère ligne.

Je suis fort tranquille, mais je m’embête. Pas de lettre, hélas, aujourd’hui ...... Cafard .....

Krüth 1918 – 7 mai

Je suis ici pour soigner ma gale (attrapée aux tranchées ou à Boussat). Charmante maladie, traitement pénible, mais qui me fait profiter de 8 jours de repos complet (dans un lit) – il y a 50 jours que je n’en avais pas eu !

Je compte remonter en ligne le même jour que le bataillon, le 9 mai.

 

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...............  Note ajoutée le 14 mai 1970 :……………

 

 

Si mon souvenir est exact, c’est d’Alsace que nous sommes restés au repos à Remiremont où j’ai eu la grippe « espagnole ».

Tout le régiment avait été décimé par cette sale maladie. Je n’ai pas voulu me faire évacuer et je me suis soigné seul avec l’aide de mon ordonnance et de multiples comprimés d’aspirine pour faire tomber la fièvre de cheval qui me tenait.

 

Je craignais si je faisais un séjour à l’hôpital d’être nommé ailleurs qu’au 21ème RI et je tenais bien trop à ma chère Cie (la 5ème).

Il me semble que c’est de Remiremont que nous sommes partis pour nous faire prendre à la ferme de la Bonne Maison le 28 mai 1918 après un combat héroïque mais désespéré qui valut la Croix à Barrieux une citation à l’armée pour moi (Croix de Guerre).

BARRIEUX touché par la grippe, m’a dit :

 

« Le premier que je vois, je le descends et je me fais sauter après. »

Brusquement je m’emparai de son revolver que je jetai en lui disant :

« Nous sommes foutus, nous avons résisté jusqu’à épuisement de nos munitions à quoi bon nous faire massacrer. Laisse-moi faire je prends le commandement étant le plus valide de nous deux. »

 

Et je me dirigeais vers la grande porte de la ferme, par où rentraient déjà les Boches. L’un deux, un Feldwebel, tira sur moi presque à bout portant et me rata (je m’étais baissé).

Puis je rencontrai un officier Allemand fort correct et .... la suite au prochain n° !

J’ajoute seulement que mes nerfs ont tenu car pendant 50 kilomètres je tirai BARRIEUX accroché à mon bras, qui ne pouvait plus avancer, rongé par la fièvre.

C’est la plus longue et pénible étape que j’ai fait de ma vie !

NYONS, 20 décembre 1970 !

 

 

En relisant ces notes, ce que je n’avais peut-être jamais fait, je m’aperçois ... que le 30 octobre 1917 ( !) je n’ai dit qu’un mot de mon séjour de quelques jours au petit village de Sancy, à peu près détruit, alors que c’est un souvenir gravé dans ma mémoire :

J’avais surtout pour mission de garder un lit (sans matelas) en faveur du général pour le cas où il aurait décidé, l’attaque ayant réussi, de transporter son PC et sa personne.

Je fus absolument le seul vivant au milieu des morts français et allemands, quelques milliers peut-être alignés, tandis que des prisonniers creusaient une énorme fosse pour les accueillir...

J’avoue que ce fut impressionnant de vois ces malheureux français et allemands, jeunes, tout à fait irresponsables de cette guerre, alignés en longues files, avec une étiquette sur la poitrine, dans les restes du mur d’habitation.

J’ai remarqué que certains morts, plusieurs heures après avoir été tués (ou jours) ont des contractions nerveuses qui les font un peu bouger.

Assez horrifié, je ne pouvais m’empêcher de les regarder ...

Je dormais mal ...

 

Pierre BOUTS

Lieutenant au 21ème RI

 

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Rastatt (Bade) : 15/7/1918 puis Osnabrück (Hannover) : 4/8/1918

 

 

Accord entre le Gouvernement Impérial Allemand et la République Française concernant les prisonniers de guerre :

 

Art. VII – Il est formellement interdit de confisquer les papiers personnels des prisonniers de guerre, tels que différents actes de l’État civil, les certificats sanitaires, etc. ... L’État capteur a le droit d’en prendre copie.

 

(Le présent accord entre en vigueur le 15 mai 1918).

 

 

Description : fiche prisonnier 1 b.jpg

 

Fiche du prisonnier BOUTS Pierre

Cliquez sur la photo

 

Rastatt, 15 juillet 1918

Je n’ai guère pris de note jusqu’à présent. Je n’en avais pas le goût et puis je pensais qu’elles me seraient confisquées. Mais j’apprends que nos papiers personnels ne doivent pas nous être pris ; ayant, hélas, bien du temps libre, je veux donc écrire mes impressions de prisonnier quoiqu’elles soient à jamais fixées dans ma mémoire.

  Évidemment ce carnet ne contiendra rien dont les Allemands puissent tirer parti. Je ne dirai pourtant que des choses rigoureusement vraies. Si je parle des évènements militaires du 27 et 28 mai, c’est qu’ils sont passés, je passerai d’ailleurs sous silence certaines de mes impressions.

 

  Le 27 mai à 13 h., mon bataillon, et même tout le régiment, quittait Romigny (qq kil. N. de Dormans) par alerte, mais toutefois sans précipitation exagérée. Nous devions nous rendre, en camions, (ainsi que nos mitrailleuses) à Romain. En cours de route, nous vîmes des civils qui fuyaient......

J’eus une courte vision de la retraite de Belgique en 1914, quoique ce ne fut rien d’approchant. Tout fut mis sur le compte de bombardements à gaz qui avaient obligé à évacuer certains villages.

Mais, en cours de route, les camions stoppèrent dans un bois près de Jonchery et l’ordre fut donné de débarquer. Aucun doute ne subsista ; l’attaque allemande avait assez bien réussi, et nous ne tarderions sans doute pas à aller prendre le contact. Nous étions dans le fossé de la route pour ne pas nous faire repérer par les avions.

Le colonel fit appeler L. et R. avec chacun ½ section, et leur donna pour mission de couvrir la marche du bataillon et de renseigner sur ce que nous avions devant nous : soit des Anglais, soit des Allemands.

Ayant pris une formation d’approche nous nous mîmes en marche. Évidemment l’avance allemande avait été sérieuse et il était facile de prévoir de prochains et rudes combats... J’élevai mon âme vers Dieu, je me mis sous sa protection, je lui demandai la grâce d’être à hauteur de ma tâche, je lui offris mes actes. Je rêvais un moment de la douce permission qui viendrait vite après avoir donné un bon coup de collier.

Je revis une, des têtes aimées.

Puis je fus tout à mon rôle d’officier, à mes hommes...

 

Nous traversâmes Grand Hameau, (près Romain) et aussitôt après je rencontrai quelques Anglais qui fuyaient et me dirent que les Allemands étaient à 1 000 m. et que tous leurs camarades étaient tués.

Je fis la part des exagérations habituelles des fuyards. Je rendis cependant compte à mon capitaine et j’avançais en prenant toutes les précautions règlementaires et utiles afin de n’être point surpris.

Un peu plus loin, je rencontrai encore 4 ou 5 Anglais qui me précisèrent que les Allemands n’étaient pas à plus de 7 ou 800 m. et avançaient vers nous. Je n’y cru qu’à moitié, mais par excès de prudence, me trouvant dans un bas fond, je portai rapidement ma section à la crête militaire, peu distante, mais se trouvant sur un coteau assez élevé, en bordure d’un grand plateau sur lequel précisément devaient avancer les Allemands.

Je pris aussitôt toutes les dispositions utiles pour être renseigné et recevoir une attaque. Je ne pus pas trouver la liaison à gauche aussi loin qu’allât ma patrouille.

Soudain le Cdt La.. m’apparut, venant de la gauche, devant ma ligne de tirailleurs. Il me demanda ce que j’avais devant moi. J’eus beau lui répondre que de source anglaise je savais que les Allemands n’étaient pas loin ; que d’ailleurs Leg.... était fait prisonnier (je venais de l’apprendre) ainsi que deux hommes à une courte distance de moi ; qu’au surplus j’avais envoyé une patrouille dont les renseignements ne m’étaient pas encore parvenus.

Le Cdt L. entra dans une incohérente colère, me disant que j’aurais dû avancer davantage... Je cédai la place à mon capitaine qui arrivait et qui soutint l’orage.

Je continuai l’organisation de mes flanquements, de mes groupes de combattants, etc.... Je fus très gêné par les nombreux avions qui nous survolaient très bas.

 

A la nuit tombante, je reçus l’ordre de me déplacer légèrement en avant et à droite pour occuper une tranchée en assez bon état et bien placée qui avait été découverte. Les liaisons s’établirent rapidement et l’occupation fut vite organisée : 3 sections en première ligne, la mienne en deuxième ligne.

Le capitaine se trouva donc avec moi. Il me confirma que Leg. était pris avec deux hommes blessés. Sa demi-section avait pu rentrer conduite par le sergent Ormancey. Je fus bien profondément peiné de la capture de Baby.

Encore un de mes amis qui disparaissait, et puis je ne le voyais pas prisonnier...

 

La nuit venait lorsqu’un de mes agents de liaison aperçut à 5 ou 500 m. une batterie de minen arrêtée. La section G.... qui était à bonne portée ouvrit le feu, et dispersa rapidement cette batterie. L’officier qui était à cheval me parut descendre.. Je m’étonnai que cette batterie se trouvât devant son infanterie.

 

Avec la nuit, vint le froid, le sommeil, l’engourdissement de la fatigue. Je mis cependant tout mon monde au travail pour améliorer la tranchée.

Je causai avec le capitaine.... Nous parlâmes de Leg. Et de plus nous nous redîmes compte que nous allions probablement être tournés par notre gauche. Nous entendîmes les colonnes allemandes en marche sur une route qui passait devant nous à environ 1 200 m. et nous contournait à gauche.

  Un égaré fut fait prisonnier par notre section de droite. Nous sûmes par lui que nous serions sans doute attaqués au cours de la nuit ou le lendemain matin. Nous étions prêts.

Je sus par un agent de liaison que le Cdt Lar. avait reçu l’ordre de replis mais avait refusé de l’exécuter avant de s’être assuré par de nouvelles patrouilles que nous étions bien tournés.

Enfin cet ordre arriva au capitaine, mais verbal, ce qui le fit hésiter à l’exécuter sans confirmation. Je sus plus tard qu’il était pourtant grand temps....

 

Après cette nuit blanche, nous marchâmes des heures et des heures, sans avoir le temps de manger, par une terrible chaleur ... continuellement survolés par des avions. À ma stupéfaction nous ne prenions nulle garde à ces derniers.

Le Cdt L. d’ailleurs n’était pas là, il nous précédait de plusieurs kilomètres. Naturellement les avions finirent... par nous attaquer à un moment où tout le bataillon se trouvait en colonne par quatre sur une route droite.

Dès que je vis le premier piquer sur nous et mitrailler la tête du bataillon, je jetai ma section dans un bois qui bordait le côté gauche de la route. Il y eut quelques tués et blessés dont un tué net quelques pas devant moi. Si les plus élémentaires précautions avaient été prises cela ne serait pas arrivé, mais le commandant n’était pas là...

Dans le bois où tout le bataillon s’était instinctivement réfugié, les avions nous mitraillèrent encore, mais sans résultat, puis ils s’éloignèrent. Nous reprîmes notre marche plus prudemment en formations plus appropriées.

Je ne savais pas où nous allions. Nous n’étions d’ailleurs dirigés que par les agents de liaison que nous laissait le commandant aux embranchements....

 

Après des tours et détours nombreux d’autant plus fatigants qu’il faisait très chaud et que les hommes portaient le sac, nous arrivâmes sur un vaste plateau, terrain d’aviation de Courville d’où l’on voyait brûler des villages avec une épaisse fumée noire. Des obus de gros calibre tombaient près d’un camp à notre droite. De nombreux avions nous survolaient sans cesse et surveillaient nos moindres mouvements.

Nous avions enfin rejoint notre commandant. On fit une longue pose, couchés dans l’herbe. Un capitaine anglais vint se mettre à la disposition du Commandant avec 300 hommes.

Le mouvement repris, nous sentions que nous étions à proximité immédiate de l’ennemi.

Je reçus l’ordre de passer une très légère crête en « tirailleurs », de dépasser le champ d’aviation et de m’arrêter sur la 1ère route que je trouverais.

Là, je prendrais la liaison à gauche avec la 7ème Cie qui occuperait la ferme de Bonne Maison (au-dessus de Courville) et j’aurais à ma droite deux autres sections de la 5ème Cie (la mienne), la 4ème section se trouvant un peu en arrière avec le capitaine en soutien.

Ce mouvement étant en cours d’exécution, j’eus à dépasser quelques-unes de nos mitrailleuses et une auto canon qui tiraient. Je fus obligé de demander au capitaine R. qui se trouvait là, de cesser le feu. Je passai.

Ces pièces restèrent là, inutilisées, je ne sais ce qu’elles devinrent....

J’arrivai sans encombre à mon emplacement, quoique perpétuellement survolé par des avions allemands (nous n’en vîmes pas un français en deux jours).

 

Mes liaisons furent vite prises ainsi que toutes les dispositions urgentes pour recevoir une attaque.

Puis, malgré leur fatigue, j’obligeai mes hommes au travail car la route n’ayant pas de fossés nous étions sur un vrai billard et il était indispensable que chacun se creuse un masque pour tirer couché. Je me couvris par un PP, je plaçai soigneusement mes FM. Je fis monter un observateur dans un hangar à paille qui se trouvait à peu près au centre de ma section, en bordure de la route, et d’où l’on avait d’excellentes vues.

Enfin, j’interdis d’ouvrir le feu sans mon ordre et je rappelai à chacun qu’il faudrait bien ménager les munitions et qu’en particulier les FM ne tireraient qu’au coup par coup.

De tout cela, je rendis compte à mon capitaine par écrit. Je lui demandai aussi avec insistance des munitions et au moins une mitrailleuse qui flanquerait admirablement la 7ème Cie.

Mais je n’eus jamais de réponse.

 

À partir de ce moment, rien ne me parvint plus de l’arrière. J’envoyais encore dans le courant de la journée, une fois la bataille engagée deux CR montrant la situation aussi grave qu’elle l’était (je ne sais si ils sont parvenus) mais je disais qu’avec des munitions et une mitrailleuse je tiendrais encore longtemps.

 

Il était environ midi lorsque mon observateur me signala l’ennemi : au moins 3 Cies en formation d’approche dont deux se dirigeant sur la ferme de Bonne Maison et une sur moi.

J’eus donc la certitude que les avions nous avaient bien repérés, d’autant plus qu’une patrouille précédant ces Cies ennemies s’était arrêtée à environ 400 m.

Mais j’étais prêt.

Je dis à mes hommes que je comptais sur leur sang-froid et que je ne ferais ouvrir le fau qu’à moins de 100 m. mais qu’il faudrait que chacun vise son homme. Le moral de ma troupe était excellent et mes poilus, insouciants, passaient leur temps à blaguer mon observateur qui avait une drôle de voix, une voix très aigüe, et qui me renseignait sur chaque mouvement de l’ennemi.

 

« Mon lieutenant, les voilà à environ 500 m à 400 m., à hauteur de la patrouille qui s’était arrêtée. . . . . . . Les voilà qui se déploient en tirailleurs. Ils progressent par bonds d’une ou deux escouades... Les voilà à 300m. . . . . »

 

À partir de ce moment je les vis moi-même et d’ailleurs ils protégèrent leurs bonds par des rafales de mitrailleuses qui au commencement ne nous firent pas de mal, ... elles étaient trop « longues ».

Enfin, j’estimai que la portée était bonne, environ 100m.

Je commandai :

 

« Hausse 250m. visez bien et tranquillement à volonté, feu ! »

 

Tandis que les balles nous sifflaient aux oreilles, de plus en plus précises, notre crépitement à nous, qui me rappela bien des souvenirs, l’espace d’une seconde, commença peu nourri, peu nerveux ; mais j’observai son résultat et je l’estimai bon, très bon.

Devant moi, comme je le prévoyais, l’attaque fut arrêtée net, ce fut bien grâce au calme et au cran de mes hommes ; car je commençais à avoir des pertes, le tir des mitrailleuses s’étant tout à fait réglé. Je ne pus pas découvrir où elles étaient.

Je m’occupais de bien flanquer la 7ème Cie plus fortement attaquée que moi.

Là aussi après un long combat l’avance fut arrêtée. Les 2 sections qui étaient à ma droite avaient réussi comme moi.

Mais les 300 Anglais qui faisaient suite à ces deux sections se replièrent dès le début de l’attaque.

 

Je m’en étais aperçu bien avant mes hommes, et je craignais déjà d’être tourné, mais je n’avais rien dit pour ne pas les inquiéter car j’étais décider à ne pas me replier sans ordre.

Le règlement et les instructions du général étaient formels à ce sujet et d’autre part, ce sont souvent les petits groupes qui « tiennent » longtemps, qui ralentissent ou enrayent une avance, et en tous cas donnent à l’arrière le temps de prendre ses dispositions et d’amener les réserves.

À un moment d’accalmie, Si.... vint me voir et me dit que la 7ème allait être tournée par la gauche, qu’elle manquait de munitions et qu’il voulait aller lui-même renseigner le Commandant. Je l’en dissuadai en lui rappelant qu’un officier ne doit en aucun cas quitter ses hommes surtout pour aller vers l’arrière.

Je lui recommandai et instamment, au cas où la 7ème se replierait de me prévenir.

 

Les Anglais, à droite, sous un terrible feu de mitrailleuse se sauvaient en rampant. Ils eurent là de fortes pertes. À un moment je crus voir, à la jumelle, mon capitaine et quelques hommes rampant dans ma direction... puis sous la violence des rafales, y renoncer et se diriger vers l’arrière.

Je crus bien qu’ils seraient tués.

 

Au début de l’affaire, j’avais vu G... emporté blessé, par un de ses hommes. Je les vis même rouler à terre sans doute encore touchés) puis repartir en courant (l’un sur le dos de l’autre).

Devant moi les Allemands ne bougeaient guère. Chacun d’entre eux qui se levait recevait une balle.

Devant la 7ème plusieurs attaques successives furent repoussées. Deux de mes FM prenant d’enfilade les vagues d’assaut leur firent grand mal. Mais moi-même j’eus pas mal de perte, dont une partie causée par les avions qui, de la journée ne cessèrent de nous survoler et de nous mitrailler.

 Mon ordonnance fut blessé par des éclats d’ardoise du hangar dans lesquelles, sans cesse, tirait une mitrailleuse (qui d’ailleurs ne toucha pas mon observateur)

Je pansais moi-même ce pauvre La..... qui pleurait de me quitter. Moi-même j’étais désolé de m’en séparer. Je l’embrassai et l’envoyai vers l’arrière pensant que, lui au moins, avait des chances de s’en tirer....

 

Vers 15h30, je vis partir de la ferme bon nombre des hommes de la 7ème.

Plus de doute, cette Cie se repliait et oubliait d’ailleurs de me prévenir. C’était ma perte certaine, je serais rapidement entouré et pris.

Je décidai aussitôt de gagner la ferme, distante d’à peine 100 à 150 m. où je m’enfermerais et où je tiendrais jusqu’au bout à moins que je n’y reçoive l’ordre de repli.

Mon mouvement se fit homme par homme, sans perte, quoiqu’il fallut traverser une route balayée par les mitrailleuses, c’était de la veine. Les deux sections qui étaient à ma droite ne pouvaient plus faire un mouvement sans se faire massacrer car elles n’avaient pas le moindre défilement. Je les considérai donc comme perdues, d’autant plus que le mouvement tournant de l’ennemi se resserrait et qu’elles étaient déjà prises d’enfilade.

 

En arrivant à Bonne Maison, je trouvai BARRIEUX qui me dit que son capitaine et Li.... s’étaient repliés avec une section mais que lui avait refusé de les suivre et tiendrait la ferme jusqu’au bout avec deux sections.

En y ajoutant la mienne cela fit trois.

Nous fîmes face à toutes les directions, des créneaux étant percés dans tous les murs. De partout des mitrailleuses tapaient sur nous, mais nous repoussions chaque assaut. Hélas, nos pertes devenaient assez sérieuses et nos munitions s’épuisaient. J’étais certain d’être fait prisonnier ou tué.

B..... ne voulait pas y croire. Pourtant notre tir diminuait vite d’intensité.

 

Vers 17h30, il y avait deux heures que nous étions encerclés et que nous combattions en désespérés, nos dernières cartouches étant tirées, les Allemands entraient dans la ferme et se précipitaient sur nous. Nos hommes pleuraient mais ne voulaient pas se rendre. Il n’y avait cependant plus rien à faire et pour éviter un massacre inutile ........

Je retirai son revolver à BARRIEUX (Claudius) qui voulait encore s’en servir à bout portant.

Il se mit à pleurer.... C’était fini....

En sortant de la ferme, je tombai sur un capitaine Allemand qui fut très correct et voyant que je parlais un peu sa langue me dit :

 

« Monsieur, vous vous êtes bien battus. »

Je lui répondis, ce qui était vrai :

« Vous aussi, vos assauts étaient hardis et bien munis (sic), mais si je n’avais pas manqué de munitions, la ferme serait encore restée longtemps à moi. »

 

Alors commença le calvaire ...

Nous fûmes conduits, B... et moi en tête de ceux de nos hommes qui restaient, devant un général qui n’était pas à plus de 1 000 ou 1 200 m. de ses éléments les plus avancés et dont les avions d’observation atterrissaient à côté de lui. Il nous dit quelques paroles polies, un peu ironiques, mais ne nous interrogea pas.

  Nous fûmes confiés à des gardes à cheval et nous marchâmes, nous marchâmes des heures et des heures épuisés de faim, de soif et de fatigue, livrés à nos tristes réflexions, nos hommes portant plusieurs de nos blessés.

Moi je traînais B... qui n’en pouvait plus physiquement ni moralement et avait la fièvre.

Mes nerfs me soutenaient...

Nous traversâmes Fismes où beaucoup de soldats Allemands étaient ivres et déambulaient dans les rues tout débraillés. Je fus surpris de ce manque de discipline chez les Allemands. Des civils en nous voyant, pleuraient.

 

À la sortie de Fismes, je vis pas mal de cadavres allemands et de soldats du 109 RI qui avait dû combattre énergiquement.

Enfin après avoir marché, après nous être traînés la plus grande partie de la nuit, nous aboutîmes à je ne sais quelle heure (le 29) à Borieux où nous nous endormîmes, morts de fatigue, à peine tombés dans une grande salle où il y avait déjà des prisonniers Anglais.

 

Le 29 mai, au soir, nous gagnons Ramicourt et nous nous apercevons déjà que le régime des prisonniers (comme je crois celui des soldats et civils Allemands) est des plus maigre : le matin, café (en réalité, orge) à midi, soupe dont je ne saurais dire le nom mais il est certain qu’il faut être tout à fait affamé pour la manger.

Pour le reste de la journée un minuscule morceau de pain et un peu de confiture. (Et quel pain et quelle confiture !) ............

 

À Ramicourt, nous couchions sur d’anciens sommiers, dépourvus d’étoffe. Nous n’avons rien pour manger, ainsi nous nous servons comme gamelle de nos boites à masques et d’une cuillère en bois taillée par BARRIEUX. (*)

Nos hommes fournissent un travail considérable, à plusieurs kilomètres de distance, en ne mangeant pas plus que nous, et ils sont menés à la baguette. Leur attitude est parfaite, ils sont dignes et impassibles.

 

(*) : BARRIEUX Claudius, né ne 1892 à Champdieu (Loire), sergent en août 14, adjudant en septembre 14, sous-lieutenant le 16/08/1917. Disparu le 28 mai 1918. Interné au camp de Rastatt jusqu’en avril 1919.

Après la guerre, Claudius BARRIEUX est nommé chef des affaires indigènes au Maroc. Capitaine en 1928. Affecté au 27e tirailleurs algériens en 1933. Retour en France à Avignon, à l’état-major N° 155 en 1939

BARRIEUX Claudius a fait parti du maquis Aigoual dans les Cévennes en 1944. Il est mort pour la France le 27 août 1944 au combat de Quissac (Gard)

 

 

Le 2 juin, nous gagnons le camp de Sissonne où nous sommes logés dans les anciennes casernes françaises par chambres de 3 ou 4 ayant chacun notre lit (paillasse) ; hélas notre nourriture ne s’améliore pas et je souffre nuit et jour de la faim.

C’est une souffrance lourde, lente, qui vous empêche de penser à quoi que ce soit d’autre.

Quelques-uns réussissent à acheter un peu de pain à prix d’or (des cigarettes ou cigares non moins cher). Le partage du baquet de soupe que l’on nous apporte chaque jour ou de la confiture est rigoureusement fait ! Et pourtant les discussions sont fréquentes.

Chez certains officiers la bête reparaît, ce n’est pas édifiant.

Mais chacun a faim.....

 

Un simple caporal, toujours correct, ayant le grand souci d’être un homme bien éduqué (dans le civil il était professeur) nous commande. Mais chacune de nos questions ou de nos demandes reçoit l’invariable réponse :

 

« Je ne sais pas, je vais demander des ordres ».

Et jamais nous ne voyons un officier.

 

Les faux bruits courent.

Chaque jour on nous annonce notre départ qui ne vient jamais.... En France, les officiers Allemands faits prisonniers sont immédiatement envoyés à l’intérieur.

  Et les journées passent lentes, chaudes et tristes.... Je suis souvent obligé de remonter le moral de BARRIEUX ce qui me redonne du courage à moi-même...

 

Enfin, le 12 juin, nous prenons le chemin de fer ; nous avons une lueur d’espoir d’aller dans un camp définitif, mais nous n’allons qu’à Montloué (près Montcorné) où nous sommes plus mal que jamais.

 

Le 14 nous reprenons le chemin de fer et nous gagnons le fort d’Hirson.

En cours de route, à Liart où nous avons un arrêt de deux heures, une jeune Française nous regarde avec des yeux d’une infinie mélancolie.

Elle ne peut pas nous parler. Pourtant elle nous sourit de loin. Puis elle entre chez elle, reparaît ayant à son corsage un bouquet de fleurs bleues blanches et rouges ... et nous envoie un baiser ...

Peu après elle réussit à nous distribuer des fleurs. Court moment d’émotion, de douceur, où chacun de nous, les yeux mouillés pensa à CELLE que voulait représenter la dernière petite Française que nous devions voir ....

 

  Le fort d’Hirson, en réalité, obscure prison dont jamais le souvenir précis ne sera effacé de ma mémoire, se trouve tout près de la petite ville d’Hirson.

C’est une espèce de dépôt pour des soldats Allemands, c’est un centre de passage pour les officiers prisonniers français, c’est aussi une prison pour des civils français, hommes, femmes et enfants.

Parmi ces derniers, quelques-uns, l’infime partie, et seulement des hommes, mérite vraiment sa condamnation. J’ai vu un homme qui était là pour avoir tué une femme.

Mais les autres sont là pour autant dire rien. L’un n’avait pas ses papiers en règle, une jeune couturière avait refusé de travailler aux champs et quant aux enfants, il y en avait de 12 ans, il y en avait un de 2 ans, sur les bras de sa mère, comment admettre qu’on les mette dans un lieu pareil, gardés par un soldat armé d’une baguette dont je l’ai vu se servir.

Beaucoup de condamnés sont dans d’étroite cellules, ne sortent jamais, n’ont vu que sur une cour minuscule où ne parvient pas le soleil. Certains sont là pour des années, sept ans et plus, tels deux Alsaciens qui ont refusés de se battre contre la France.

Deux enfants dont l’un de douze ans sont là pour toute la guerre pour avoir mis le feu à un train de paille. Ce petit, celui de 12 ans est vif et enjoué. Malgré la faim il distrait ses camarades par mille farces.

Un jour, nous étions à notre promenade journalière qui consistait à sortir de notre cour et à aller prendre l’air une heure ou deux sur les fortifications du fort, lorsque l’escouade des enfants faisant la corvée des ordures travailla un moment près de nous. Le petit avait un ocarina dont il jouait fort bien.

Quand il nous vit, il joua, avec quelques regards à l’adresse de son gardien, La marseillaise......

Le gardien n’y compris rien...... Mais des officiers se levèrent, un peu pâles, et je vis des larmes....

 

Le 22 juin, nous quittons enfin Hirson dont je ne prononcerai plus jamais le nom sans que mon cœur se serre.

Nous avions toujours faim, mais notre propre souffrance s’était effacée devant ces souffrances plus grandes. C’est pourtant à Hirson que nous achetions en cachette aux soldats allemands un minuscule morceau de pain pour 5 à 10 marks, un cigare pour 1 mark, etc....

Nous n’arrivons à Rastatt, à la forteresse de Friedrichsfeste que le 24 au matin. Nous avons fait un voyage long et fatigant et nous apprenons que ce n’est encore qu’un camp de passage !

Au moins pouvons-nous écrire (le 25) notre première carte-lettre indiquant notre adresse. Il y a près d’un mois que nous sommes pris. Nous avions bien écrit deux cartes le 12 et le 14 mais sans pouvoir donner notre adresse. Dans quelle angoisse doivent être tous les chers nôtres.

Notre pensée ne les quitte pas.

 

Le 25, nous déménageons encore, certes ce ne sont pas nos bagages qui nous encombrent, et de Friedrichsferte nous nous rendons au Russenlager, camp des Russes, car il y en a encore bon nombre qui sont prisonniers et ne jouissent, malgré leur paix avec l’Allemagne que d’une liberté très relative.

Notre situation à ce camp (distant de Rastatt de 3 ou 4 kms seulement) s’améliore sensiblement.

D’abord nous avons deux soupes par jour. Nous touchons aussi 5 à 6 biscuits français par jour qui sont, de combien, le meilleur de notre nourriture. Il y a progrès certes mais, pour ma part, et je ne suis pas le seul, je souffre toujours de la faim.

 

Une autre amélioration est que nous sommes commandés par des officiers allemands très corrects, et qui ont nettement le désir permanent d’être des gens bien élevés et bienveillants....

Par contre, ils ne savent jamais, ou ne veulent pas savoir, quand nous partirons, si nous toucherons ceci, si nous avons droit à cela, etc... Ils ne nous font jamais que des réponses vagues ou disent qu’ils demanderont des ordres.

 

  Le camp, immense, où nous sommes en tout environ 1 200 ou 1 500 officiers français et un certain nombre d’Anglais, d’Américains, d’Italiens, est composé de baraques en bois contenant 80 à 100 officiers, le tout entouré d’un double réseau barbelé.

Nous sommes assez serrés, 4 par couchettes superposées. On est d’ailleurs fort mal sur ces couchettes composées de copeaux de bois reposant sur des lattes. Avec de la paille c’eut été bien.

Nous avons un drap et un sac qui doit renfermer les deux couvertures qu’on nous a distribuées. Il y a des réfectoires et une salle de jeux, ou de travail par block.

Car le camp est partagé en un certain nombre de blocks qui ne communiquent pas entre eux.

 

C’est dans ce camp que j’écris ces lignes, repassant dans ma mémoire ma triste vie depuis ma capture.

Pour lutter contre l’horrible nostalgie, contre la grande souffrance d’être loin de notre pays et de ceux que nous aimons, de les savoir dans l’angoisse à notre sujet tant qu’ils n’auront pas reçu notre première carte ; pour lutter contre la souffrance morale du simple fait de ne pas être libre, alors que nous nous battons depuis quatre ans pour cela ; pour lutter aussi contre la faim, la plupart d’entre nous se sont mis au travail.

Nous manquons de livres et de tout, et cependant des conférences sur les sujets les plus variés sont faites ainsi que des cours.

Pour ma part, je me remets à l’Anglais et à l’Allemand, j’apprends la sténo, je suis des cours de culture maraîchère et d’arboriculture, de littérature et même de mathématiques.

  Je voudrais être complètement absorbé par le travail, ne plus avoir une minute pour penser. Mais comment ma pensée ne se porterait-elle pas sans cesse vers les êtres aimés, vers toi ma femme chérie, vers vous mes trois petites orphelines, vers vous Papa et Maman, vers vous, frères et sœurs, amis, qui tous devez sentir à quel point je vous aime, combien c’est dur d’être loin de vous, condamné à l’inaction sans nouvelle de vous, inquiet pour ceux qui sont au front.

 

  Et vous comprendrez que 10 fois, 100 fois tandis que je veux repasser une règle compliquée de grammaire allemande ou traduire un thème anglais, insensiblement, ma rêverie commence, je suis transporté bien loin par-dessus les fils de fer, les fleuves, la ligne de feu, et je suis parmi vous, je vis au milieu de vous, je vous suis dans toute votre journée, dans tous vos actes, dans toutes vos pensées.....

Mais ne croyez pas que je me laisse abattre.

Je ne regrette pas le passé, dans lequel en souffrant nous nous sommes élevés, grâce auquel nous connaîtrons mieux l’humanité, les misères d’ici-bas, la vie. Je subis le présent comme étant une lourde épreuve que j’offre à Dieu, chaque matin au Divin Sacrifice, en expiation, et aussi pour vous tous afin d’attirer sur vous toutes les grâces qui vous sont nécessaires.

 

  Quant à l’avenir, j’ai constamment les yeux tournés vers lui.

La récompense de notre passé viendra dès ici-bas. Nous aurons encore bien des années de bonheur dans une paix que nous saurons savourer. Nous jouirons de la vie calme, laborieuse, honnête, familiale, que j’ai toujours rêvée.

Notre activité, heureuse de se donner à autre chose qu’à la guerre, se donnera avidement à gagner le pain quotidien, à régénérer notre cher pays, à le rendre grand et fort par son agriculture, son commerce et son industrie, à lui conserver avant tout sa liberté et son indépendance pour lesquelles il aura tant lutté.

13 juillet

Nous recevons un wagon de vivres de Berne, du comité Franco-Belge de secours aux prisonniers. Nous en sommes dans la joie. De fait, ce 13 juillet, est la première journée où je ne souffre pas de la faim depuis ma capture ....

Retrouvé AUBERT, mon ancien chef au 12ème Cuir....

21 juillet

Les Français ont repris l’offensive de Soissons à Château-Thierry et progressent bien. On annonce déjà plus de 17 000 prisonniers et 800 canons.

22 juillet

Ste M… que de souvenirs à cette occasion repassent dans ma mémoire ....

26 juillet

Le capitaine A. (*) fait prisonnier près de Souain le 15 juillet nous a déjà rejoints. Il n’a pas traîné comme nous pour gagner Rastatt.

Par lui, j’ai la joie d’apprendre que tous les chers miens savent que je suis prisonnier. Ils l’ont écrit à L.... Ainsi je les ai rassurés.

Nous apprenons aussi que depuis le 28 mai le bataillon a livré de rudes combats mais sans grosses pertes et le moral reste aussi bon. Les Américains arrivent toujours en masse et se comportent fort bien au feu. Les camarades du bataillon vont bien, la blessure de Li..... ne sera pas grave, il a eu la Croix.

Sur les évènements des 27 et 28 le capitaine A. me dit certaines choses dont je ne suis pas surpris, mais qui n’en sont pas moins fantastiques .....

Les vivres que nous avons reçus de Suisse sont épuisé et je recommence à durement souffrir de la faim.

Le matin, nous avons du thé (= eau chaude aux feuilles de tilleul).

À midi, soupe aux betteraves, ou à l’orge, fort claire et bien peu engageante. À 15h. nouveau thé.

Le soir, nouvelle et identique soupe.

Avec cela par jour un petit morceau de pain et cinq biscuits, et c’est encore le meilleur de notre nourriture.

 

(*) : Certainement le capitaine AGOSTINI

27 juillet

Je suis souffrant depuis hier soir ; un peu de fièvre, coliques, courbatures.

J’espère que cela ne sera qu’une indisposition. Je redouterais beaucoup d’être malade ici où, pas plus les Allemands que les Français ne sont sérieusement soignés...

Je suis surpris que le service médical ne soit pas mieux organisé en Allemagne.

29 juillet

Je vais mieux, mais je suis très affaibli et j’ai en somme beaucoup maigri. Je ne sais plus que manger, ne sachant ce qui m’a fait mal, mais il faut bien s’alimenter et je n’ai pas le choix.

La cantine nous vend entre autres 1,m.20 un infime morceau de pain et 5m,20 cigarettes. Aussi je n’y achète plus rien. (le « m » indique surement le Deutsch Mark).

Osnabrück

10 août

Fiançailles (1911), naissance F. le 11 août.

Enfin, le 3 août, nous, (314 Officiers) quittons Rastatt en chemin de fer et après un long mais joli voyage, où nous longeons les bords du Rhin jusqu’à Cologne et où je revois des paysages que j’avais connus en 1904, nous arrivons le 4 à la nuit à Osnabrück.

La population ne me semble pas nous regarder d’un trop mauvais œil.

Nous ne tardons pas à nous rendre à une caserne d’artillerie qui est affectée, et se trouve en dehors de la ville à une heure de marche de la gare.

La nuit entière et la matinée sont consacrées à une fouille minutieuse et désagréable mais que je comprends. Puis nous gagnons nos chambres.

J’ai la chance de ne pas être séparé de l’ami BARRIEUX (Claudius)..... et aussi de DESMOULINS et nous nous trouvons avec deux médecins, garçons tranquilles et agréables, avec lesquels nous faisons tout de suite bon ménage.

 

La caserne est grande et aérée, nos chambres sont très propres, nous avons chacun un lit très suffisant, une chaise, une armoire, une table par chambre. Des lavabos sont pratiques.

Enfin, c’est presque le confort.

La nourriture est plus abondante aussi, tout au moins est-elle mieux et proprement préparée. Nous avons des assiettes, etc....

Malgré cela, j’ai toujours faim, affreusement et d’autant plus que je n’ai plus de biscuits et que nous n’en toucherons pas avant quelques jours...... Nos repas sont composés en général de la façon suivante : le matin, café (ersatz) – À midi une soupe et des pommes de terre à profusion avec aussi soit des choux, soit du fromage. La quantité est suffisante, mais la qualité des mets ne l’est pas, et il me tarde bien de recevoir mes colis ....

Nos cours, nos conférences vont reprendre sous peu, nous aurons aussi des promenades et un grand espace pour jouer... Actuellement nous avons la cour du quartier pour nous promener.

En somme du point de vue matériel, quand nous aurons plus à manger, nous serons aussi bien que peuvent l’être des prisonniers et nous n’aurons plus à réclamer.

11 août

Après avoir combattu quatre ans.. après avoir fait Lorette, Verdun, la Somme, l’Aisne, etc... après avoir rempli les rôles ingrats, nous apprenons que les alliés ont repris Fismes, où j’ai été pris, avancent toujours, et nous n’y sommes pas .....

13 août

Quelques officiers ont reçu des lettres de France datées... du 15 juin !!...

Quand en aurais-je ? Des caisses de biscuits sont arrivées mais le général allemand.. a défendu, paraît-il, qu’on nous les donne tout de suite.

Je souffre cruellement de la faim. Je suis très amaigri et affaibli.

Quand donc aurais-je mes colis. On nous annonce que le prix de notre maigre pitance ! est porté à 1 m. 80 sans compter le pain, ce qui me paraît être exagéré.

En somme la moitié de notre solde y passera, car elle est de 120 m. par mois.

20 août

On frappe à la porte : « Entrez. »

Parait un Offizierstel... correct, casquette à la main :

 

« Oberlieutenant BOUTS »

« Présent »

« J’ai l’ordre du général de visiter votre armoire. »

J’ouvre mon armoire, mais à peine ai-je commencé à en sortir le contenu qu’il me dit :

« Avez-vous une montre »

« Oui »

Je la prends et écoute si elle marche.

« Ouvrez-là », me dit-il ?

 

Je m’exécute, il examine ma montre minutieusement, puis sans avoir regardé rien d’autre de mes effets ou de ceux de mes camarades, il s’en va... Je cherche encore à comprendre.

21 août

Je dois être vacciné ce soir ; cela ne me sourit pas car dans l’état de faiblesse où je suis j’ai peur de mal réagir et d’être malade ; avec une fièvre de cheval pendant plusieurs jours...

À la grâce de Dieu... J’ai acquis une grande philosophie, et je ne m’inquiète plus de rien.

Notre destinée est entre les mains de la providence. Tout ce qui arrive est voulu par elle et pour notre bien. Pourquoi donc nous tourmenter ? N’étant pas maîtres de nos actes nous n’avons pas à hésiter sur la ligne à suivre.

Aucun évènement ne doit nous surprendre et nous n’avons qu’à tout accepter, peines, souffrances, pour les offrir à Dieu humblement et Lui demander de combler de grâces, en échange, tous ceux que nous aimons.

23 août

Si notre âme mourrait avec notre corps, ce serait à se demander si la vie vaut la peine d’être vécue. Les souffrances pèsent plus fort dans la balance que les joies, elles sont plus nombreuses que ces dernières qui d’ailleurs sont toujours limitées ne serait-ce que par le temps.

Le but de notre vie terrestre, c’est la vie future, il faut y penser dans tous nos actes.

Dans les longues heures de captivité qui me semble être une sévère retraite où par la mortification, la prière et la méditation, je dois préparer la seconde partie de ma vie, je songe souvent à ces choses.

 

  Ma première pensée est pour regretter amèrement mes fautes passées et le gaspillage de mon temps et pour en demander humblement pardon à Dieu. Je supplie ensuite la Ste Vierge d’attirer sur moi toutes les grâces dont j’ai besoin.

Enfin je cherche à voir clairement comment doit être comprise notre vie ici-bas :

1°/ - Chercher à se faire de solides convictions et ne pas se contenter d’opinions ou de doutes.

2°/ - Avoir dans toutes nos pensées, nos paroles, nos actes un but principal et primordial : l’au-delà.

3°/ - Prendre la vie par le bon côté en offrant à Dieu les peines, généreusement, en expiation de nos fautes ; et en goûtant pleinement toutes les joies saines et permises et que l’on peut considérer comme des grâces ou des consolations du Créateur.

  Il est dit dans l’Imitation : « ... et tout ce qu’ils –les sages- trouvent de bon dans les créatures, ils le rapportent à la louange du créateur... »

4°/ - Aimer Dieu et le prochain par-dessus tout, ne pas vivre pour soi seul, ou rien que ses proches, en égoïstes, mais s’inquiéter de la société, faire œuvre d’apôtre en prêchant surtout l’exemple.

5°/ - Combattre en soi sans relâche, l’orgueil sous ses nombreuses formes.

6°/ - Parler peu, réfléchir beaucoup, être bon mais droit et juste, savoir ne pas manquer de fermeté.

7°/ - Désirer beaucoup d’enfants – Faire de leur éducation le second but de sa vie. En faire des chrétiens conscients et éclairés, cela résume tout.

 

Ainsi envisagée, la vie vaut la peine d’être vécue et, malgré les souffrances les plus grandes, est un bienfait de Dieu et est douce, car il est doux de souffrir par amour.

Il est permis de savourer les bons côtés de la vie, et il y en a : l’amour, l’amour paternel, l’amour filial, etc... l’amitié ; l’amour des arts, du travail, des sciences, de la terre, des bêtes, des sports, etc... etc...

 

Mais la vie doit être organisée et raisonnée. Les uns passent leur vie à gagner de l’argent, les autres ne savent que le dépenser mais ne savent pas le gagner. Rares sont ceux qui savent le gagner et le dépenser...

Cette pensée qui est de DESMOLINS m’a toujours frappé par sa grande vérité.

À mes yeux l’argent que l’on gagne sans que cela soit un but, sans que l’on soit uniquement absorbé par ses affaires, et que l’on sait dépenser est un excellent moyen de rendre sa vie utile et agréable.

 

Après la guerre, en rentrant dans la vie civile, je chercherai à orienter ma vie de la façon suivante :

Ø  Tendre à faire moins de commerce pour arriver assez rapidement à faire aussi de la culture. J’aime l’agriculture parce qu’elle procure une vie saine, morale, calme, et qu’elle vous laisse des loisirs. Il ne s’agit pas ici de paresse, mais d’avoir un gagne-pain qui ne vous absorbe pas complètement et vous laisse du temps pour travailler autre chose, pour jouir des arts, élever ses enfants, etc...

Ø  Mettre K. (La maison familiale, à L. , Côtes d’Armor) en culture intensive est mon rêve, d’autant qu’après la guerre ce sera surement d’un bon rapport. Cela ne m’empêchera pas de continuer mon commerce agricole.

 

  Mon projet de collaboration avec M. (Son frère) sera le suivant :

Lui s’occupera plus spécialement de la production et moi plus spécialement de la vente.

Si, comme je le crois, exploitation agricole et commerce marchent bien, nous aurons une certaine ambition ; en affaires comme dans tout il ne faut pas s’endormir ou rester sur place. Il faut grandir et progresser.

Il faut (ceci est de Mr Périer) pour réussir, avoir en même temps que de la méthode, de la persévérance, du coup d’œil, une bonne part d’imagination. Si donc tout va bien, K., devenu ferme type pour le pays, servira d’exemple et fera école. Les cultivateurs comprendront qu’ils ont tort de rester dans leur routine et peu à peu ils augmenteront leur production et ils l’amélioreront.

Et ainsi le commerce se développera. Il se créera des coopératives de vente qui lutteront avec raison contre les commerçants. Il se créera des usines de conserves et peu à peu toute une industrie agricole dont le débouché immense et naturel sera surtout et plus l’Angleterre que la France, et aussi l’Amérique...

 

Ce genre d’affaires aura tous les avantages de mes rêves.

Vie large, saine, indépendante, loin des villes, près de la mer, dans un beau pays ; occupante mais pas absorbante ; me donnant mille facilités pour m’intéresser aux questions sociales, me laissant d’autant plus surement des loisirs que nous serons deux et que l’un pourra s’absenter quand il le désirera, jusqu’à plusieurs mois ; tandis que l’autre sera là.

  Tout dépendra des débuts. Il faudra rapidement, de six mois, un an au plus, gagner de quoi vivre, après quoi la réussite est à peu près certaine. Il faudra risquer le tout pour le tout, en culture d’ailleurs les risques ne seront pas grands ; en commerce il faudra être plus prudent, avoir plusieurs cordes à son arc, faire peu de vente à la commission, trop dangereux, surveiller de très près les frais généraux, pratiquer une économie rigoureuse dans les débuts, etc.

Voilà pour les affaires.

 

Il me restera assez de temps pour l’éducation de mes enfants.

Je veux en faire des croyants convaincus, des caractères forts et déterminés, des esprits cultivés, larges, indépendants, des Français, ardents patriotes ; « des particularistes » dans le sens où l’entend la « Science Sociale » conscients de leur formation, sachant vivre la vie et la goûter, l’aimant même dans ses souffrances parce qu’elle est un bienfait de Dieu, mais l’aimant moins que la vie future pour laquelle ils vivront surtout.

  En dehors du temps consacré à gagner le pain quotidien et à élever ses enfants il y a celui, non moins important qui doit être donné à l’amour, à la femme aimée qui est l’âme du foyer, qui est tout le charme, toute la douceur, toute la sérénité.

Trop de maris, même aimant leur femme, leur donnent trop peu de leur temps. C’est à mon sens l’homme qui doit tout diriger, orienter, il ne doit pas oublier d’être le directeur moral de sa femme, de lui faire partager ses goûts, ses idées, de l’intéresser à ses travaux, à ses lectures, etc... Et quel plus grand bonheur que cette communion intime de deux être en tout et pour tout.

 

  En résumé, il faut connaître le but de sa vie, il faut étudier les moyens d’y arriver.

Il faut voir clair dans sa vie d’ici-bas, classer ses différents actes et les raisonner, ne rien laisser à l’improviste, et finalement tout cela ne fait qu’un tout heureux, gai, simple, beau et harmonieux.

27 août

400 colis sont arrivés de France... Il n’y en a pas pour moi... Cela devient un véritable supplice de Tantale .. de voir les autres manger de bonnes conserves, des légumes, fumer du bon tabac français, alors qu’ils ne me reste qu’un ou deux marks, 7 ou 8 cigarettes, à peine la moitié du pain que j’ai touché hier pour toute la semaine et six biscuits

30 août

Dans le fond de mélancolie normale de mon existence il y a des jours encore plus longs et plus tristes que d’autres.

Toujours pas de lettres, pas de colis. Depuis hier, plus de biscuits, plus de pain, ma nourriture consiste donc en café à 7 h.30 (ersatz de café c’est-à-dire orge), à midi une soupe qui n’est que de l’eau chaude, un plat de pommes de terre cuites à l’eau et soit des carottes ou des choux, et un jour sur deux, à peu près du fromage que je ne puis avaler ; le soir une soupe avec de vagues légumes dont deux à trois pommes de terre.

Il est évident que je suis continuellement tourmenté par la faim même la nuit où elle me réveille souvent.

Avec ça, j’ai été obligé d’emprunter de l’argent pour acheter quelques cigarettes (qui coûtent 0m.20 l’une). Je n’ai pas de livres bien entendu et je ne sais plus que faire... car je ne peux pas des heures durant méditer sur l’avenir, je finis par en être abruti...

Que toutes ces souffrances ne soient pas perdues, je les accepte de mon mieux en expiation et en faveur de ma femme bien-aimée.

31 août

Touché 30 biscuits... Ouf !... ça va mieux.

1er septembre

Dans une discussion sur un sujet quelconque on trouve très rarement 2 individus ayant exactement les mêmes opinions ou les mêmes convictions. On tire généralement plus de profit à écouter une discussion qu’à y prendre part.

- On convainc quelquefois, rarement, les gens par la parole, mais ils ne veulent pas en convenir.

- Un tel qui vient de vous soutenir pendant une heure qu’il n’y a pas d’au-delà alors que vous lui montriez le contraire, vient me trouver pour me parler de l’au-delà et m’en démontrer son existence probable !

- On a la mauvaise habitude dans la discussion de généraliser des faits isolés et de nier des cas isolés en leur opposant des généralités.

- Le paradoxe est un jeu amusant mais dangereux et dont il faut se défier ; il peut faire du mal à autrui et même à celui qui s’en sert.

- « L’habitude est une seconde nature. »

- « Tout est relatif. »

- « Aide-toi, le Ciel t’aidera. » L’effort personnel pour le bien n’est pas incompatible avec la confiance en Dieu et la résignation.

- Les joies comme les souffrances peu expansives n’en sont pas moins profondes... au contraire.

- L’étude, l’observation des hommes est passionnante sinon édifiante. Mais... ne jugeons jamais autrui avant de nous être jugés nous-mêmes.

- L’orgueil est un vice souvent sournois, difficile à repérer, très répandu, a de nombreuses formes, engendre de nombreux défauts, est le premier et le plus déconcertant à combattre.

- La mémoire et la volonté peuvent s’améliorer dans de grandes proportions si on y met de la patience et de la persévérance.

- La liberté est un bel idéal mais elle demande à être bien comprise. Elle doit s’arrêter pour chaque individu avant d’empiéter sur celle du voisin. La liberté absolue n’est qu’un mot. Le renoncement à sa liberté en faveur d’un idéal ou d’une cause est un des plus beau sacrifices que l’on puisse faire, mais... n’est-ce pas précisément user de sa liberté que d’y renoncer volontairement ?!

- Il y a une liberté dont nous serons toujours maîtres c’est celle de penser, d’aimer, de prier. Or c’est la liberté primordiale qui fait qu’un être ou un peuple peut ne jamais être dominé par une autre même par la force.

- Ces idées personnelles ou non, que j’ai méditées plus ou moins ces derniers temps sont-elles pour moi des opinions ou des convictions ?

- J’ai soif de solitude et de silence dont je n’ai pas eu un malheureux jour depuis quatre ans.

 

  La vie continuelle en commun surtout dans un milieu jeune et tapageur est une vraie souffrance. Je considère la vie en ménage comme une vie de solitude puisqu’il n’y a que deux êtres qui n’en font qu’un.

  Encore serait-il bon qu’ils se séparent quelques jours par an pour une solitude absolue, une retraite dont ils tireraient grand profit.

  La vie en commun (militaire) finit par donner une curieuse faculté de s’absorber, de s’isoler, mais qui, certes, ne vaut pas la vraie solitude.

  L’étude, le travail sont des bienfaits de Dieu dont on ne goûte les délices que quand on a vécu longtemps une vie semi-oisive, faite surtout de grandes secousses, où le cerveau s’engourdit et est fatigué en dehors des périodes de tensions nerveuses.

  L’amitié, la vraie, en ce bas monde est une source de grandes joies et de grandes douleurs.

Il en est de même de l’amour. Les joies sont cependant plus grandes que les douleurs si longues et si profondes que soient ces dernières. La preuve en est qu’on ne regrette pas d’avoir connu une femme aimée, quoiqu’on soit séparé d’elle, un ami fidèle et affectueux quoique l’un ait quitté cette vallée de larmes et que l’autre soit presque aveugle...

Les souffrances que l’on endure pour eux et pour soi n’égalent pas les joies. Si l’on ne croyait pas à l’au-delà il n’en serait pas toujours de même.

2 septembre 1918

Toujours ni lettres, ni colis.

Je crois que les premières qualités du chef sont : la pondération, le sang-froid, l’empire sur soi et sur ses subordonnés. Tout le monde ne peut avoir ces qualités alors que tout le monde peut, par le travail, acquérir les connaissances techniques ou tactiques voulues.

Ce qu’il faut surtout regarder dans la vie, c’est l’avenir et aussi le présent. On s’attache cependant aux souvenirs, même et peut-être surtout aux souvenirs tristes et douloureux, on aime à se les remémorer. Il faut que le passé, bien examiné, serve d’expérience, en cela seulement on doit le regarder.

La méditation, la réflexion, me sont actuellement des consolations, il me faudrait un ami ...

Malgré le monde et le bruit qui m’entourent je me sens bien seul !

 

Pierre BOUTS

Lieutenant au 21 R I.

Offizier gefangenenlager (officier camp de détention)

 

Carnet n° 7

 

Osnabrück – 6 septembre 1918

J’ai reçu hier quatre colis dont deux de Berne, un de Versailles contenant des sortes d’excellents petits pains longs, et un de Poitiers, contenant entre autres du miel, mais envoyé je ne sais par qui.

Joie délirante que la vue de toutes ces bonnes choses, chocolat, riettes (sic), corned beef, etc... après trois longs mois de sévères privations – Ah ! vous ne connaissez pas votre bonheur vous tous qui ne manquez de rien...

Vous vous en rendriez compte si vous aviez vu nos yeux hier avant d’entamer l’un de ces savoureux aliments ! Je dis nos yeux car étant le premier à avoir reçu des colis, je les ai mis en commun bien entendu avec mes quatre camarades de chambre. Nous continuerons d’ailleurs à tout mettre en commun.

Nous avons constitué nos menus assez modestement car nous voulons tenir huit jours pensant que d’ici là nous aurons de nouveaux colis.

 

Pour notre premier repas, nous avons mangé du thon et du miel ; je n’aurais jamais cru que ce fut aussi bon et j’ai été obligé d’employer toute ma volonté pour ne pas manger trop et trop vite et attraper une indigestion !

A quel point nous sommes dans la servitude de notre corps !... Faire dominer entièrement notre volonté sur lui est le plus bel acte d’indépendance que nous puissions faire.

8 septembre

Depuis trois mois que je n’ai pas de livres, un seul, tout petit, les a tous remplacés, dans lequel j’ai puisé force, réconfort, patience, espoir et joie, c’est l’Imitation (que j’ai toujours eue dans ma poche durant cette guerre).

16 septembre 1918

J’ai eu (le 13) l’indicible, l’émouvante, l’immense joie de revoir la chère écriture de ma bien-aimée.

Cette lettre était du 26 août.

 

Le 15, j’ai reçu celles du 23 et 27. Je les ai déjà relue ces petites lettres au moins cent fois. M… , mes petites vont bien, bonnes nouvelles aussi d’ H. (*) et de M. , mais que de lacunes, car je n’ai encore reçu aucune des lettres adressées à Rastatt...

Ce que je voudrais surtout maintenant, ce sont les premières lettres écrites aussitôt la nouvelle apprise de ma capture. Or j’ai bien peur que la plupart soient perdues.

Quant aux colis, M… m’en a envoyé 10 jusqu’au 23 août et je n’en ai reçu aucun !...

On m’en a annoncé ici trois, mais comme le personnel de distribution est insuffisant, je ne les toucherai pas avant demain mardi, or ils sont arrivés lundi dernier !

Et me voilà attendant chaque jour comme par le passé ma chère lettre qui hélas ne pourra plus être journalière car il y aura sans doute des inégalités dans les arrivées. Je pense malgré tout m’estimer heureux puisque je pourrai dorénavant recevoir nourriture spirituelle, morale et physique alors que je suis resté trois longs mois au moins sans ces deux dernières.

 

(*) : Probablement son oncle, né en 1885 –fondateur de l’usine Lioré et Olivier.

23 septembre

J’ai reçu ces jours derniers quelques lettres de M… et une de Papa : rayons de soleil dans ma sombre prison.

J’ai reçu aussi pas mal de colis, mais pas encore un seul de M…, ni un seul contenant du linge. Depuis trois jours je n’ai réellement pas souffert de la faim.

En aurais-je réellement fini avec cette cruelle maladie qui me tenait depuis plus de trois mois ?

J’en rends grâce à Dieu, je commençais à être réellement épuisé.

1er octobre

J’ai reçu à ce jour 15 lettres dont 9 de M…. Chaque arrivée fut une joie que je ne saurais décrire, car ici on ne peut avoir que des joies toutes relatives.

Matériellement je crois que nous sommes enfin tirés d’affaire. Nous avons une avance de vivres d’environ 15 jours. Je sens mes forces revenir. Je savoure le bonheur de n’avoir plus faim, c’est réellement un bonheur !

Par exemple je crois que plus ça va plus je souffre de ma solitude morale, de la vie ne communauté, de ma terrible inaction, de l’éloignement des chers miens.

Je vous offre, mon Dieu, ces souffrances, en expiation ...... de quoi ? .......

5 octobre

J’ai reçu encore quelques colis, mais toujours pas de tabac, pas de vêtement, pas de linge, pas de livres. Tout cela me manque bien je l’attends d’un jour à l’autre patiemment. Cela finira sans doute par arriver.

Je voudrais revoir maintenant l’officier d’état-major qui me dit lors de ma capture : « Eh bien Foch n’a pas de chance ! » et auquel j’avais répondu : « Oh ! Foch n’a pas dit son dernier mot ! » .........

Les évènements actuels prouvent que je ne me trompais pas !

1er novembre – Toussaint

Les évènements se succèdent, se précipitent, j’ai la confiance que ce cauchemar de 4 ans touche à sa fin .... Le jour de la récompense après tant de souffrances va bientôt sonner.

Il y a déjà quelques temps, un mois je crois, que nous sommes gardés non plus seulement par des sentinelles mais par des chiens également, qui, nous dit l’interprète mangent trois hommes en moins d’une minute ½ !

Ce matin à l’appel de 9 h. les capitaines : PECCADE, GIRAUD et les lieutenants Coti et LACOMBE étaient manquants, et nul ne sait ce qu’ils sont devenus ...

On suppose qu’ils ont été mangés par les chiens ...

13 novembre

Que de foudroyants évènements en l’espace de quelques jours !!

Armistice avec l’Autriche, fuite de l’Empereur d’Allemagne, révolution dans le calme (autant que nous pouvons en juger) – Armistice avec l’Allemagne et à quelles conditions ! On en est comme étourdi et sortant d’un long cauchemar. On a peine à croire que la grande guerre est finie, que le canon ne tonne plus, que l’on va rejoindre son « home » et goûter le bonheur que l’on ne connaissait plus depuis si longtemps !

Que nos âmes s’élèvent vers Dieu en action de grâces !

 

Ce matin, le comité révolutionnaire composé d’un capitaine de réserve, d’un lieutenant de 18 à 20 ans, d’un sous-officier, d’un simple soldat et d’un civil est venu nous dire qu’il désirait nous rapatrier le plus tôt possible et donner satisfaction à la plupart de nos demandes mais qu’il nous demandait de garder une stricte discipline et de leur laisser le temps de recevoir des ordres.

Le général GRÜNTOFFEL qui nous commandait est en fuite depuis quelques jours !...

J’espère être à Paris vers la fin du mois, ou au moins avant 1920 !..................

 

LE 15 DECEMBRE 1919

 

              DÉPART   POUR   LA   FRANCE   !! .............

 

                                                  Ouf   !! ....

 

(Dans ces deux dernières phrases, il y a sans doute une erreur d’un an, les derniers prisonniers français de ce camp sont revenus d’Allemagne en janvier 1919).

 

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Je désire contacter les propriétaires du carnet de Pierre BOUTS

 

Lire le carnet de captivité d’un autre officier prisonnier, lui aussi, au camp d’Osnabrück

 

Voir des photos de soldats du 21e RI

 

Voir des photos de prisonniers du camp de Rastatt

 

Vers d’autres témoignages de guerre 14/18

 

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