Publication :
Septembre 2006
Mise
à jour : Août 2024
Anatole BOUVE sergent au 110ème régiment d’infanterie
– Avant la guerre
Prologue
Gilles SUZE nous dit en janvier 2006 :
« Je possède
moi-même le carnet du frère de ma grand-mère paternelle, Anatole BOUVE qui
était du 110ème régiment d'infanterie. Il était instituteur et il donc
lieutenant de réserve. Il est inscrit sur le monument aux morts de
Coudekerque-Branche (59), ainsi que son fils Émile BOUVE, mort en 1940. Ils
sont morts tous les deux au même âge (27 ans). Pour ce qui concerne le carnet
d'Anatole Bouve, je vais voir ce
que je peux faire. Je vais voir si je possède des photos mais j'en doute. Je peux le recopier et vous le faire parvenir.
Je me souviens de ses derniers mots, à peu près ceci : "Ils tirent
bien." »
Hervé BOUVE nous quelques mois après :
« Ce carnet que je vous envoie est en
réalité une copie réalisée par des amis d'Anatole BOUVE pour le transmettre à
ses descendants, le hasard a voulu que je m'appelle Hervé BOUVE et que je suis
généalogiste amateur. Je ne suis pas parent direct d'Anatole BOUVE, mais Gilles
m'a confié ce carnet car j'avais toute sa généalogie.
Ce carnet a été
exposé en octobre 2006 lors de notre biennale avec la généalogie d'Anatole,
cependant pour perpétuer la mémoire d'Anatole, je voudrais vous en transmettre
une copie »
Contacts
avec des internautes depuis la mise en ligne (en 2008) :
Contact avec Vincent Suard
en mai 2018 :
« Monsieur,
enseignant en Histoire à l'université de Lille 3, je rédige des notices
(résumés critiques - site CRID 14 - 18) de témoignages sur la Grande Guerre, et
la richesse de votre site "chtimiste" est une providence dans une
perspective mémorielle et historique; je m'intéresse plus particulièrement aux
témoignages du 59 et du 62, et grâce à votre site, j'ai eu l'occasion de
rédiger une notice des soldats Courouble
et Muyls (témoignages publiés sur
votre site), avec autorisation des auteurs contactés.
Pour faire une
courte notice sur Anatole Bouve,
j'aimerais savoir si vous avez encore les coordonnées de Gilles ou d’Hervé,
possesseur d'une copie du carnet d'Anatole. Merci »
Remerciements
Merci à Gilles et Hervé BOUVE
pour le carnet.
Merci à Philippe S. pour
les corrections éventuelles et certaines recherches.
Nous avons ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes
et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit. Pour
une meilleure lecture, j’ai volontairement ajouté des chapitres, sinon le reste
est exactement conforme à l’original.
Introduction
Anatole Aristide Alfred BOUVE est né en 1887 à Wormhout (59). A ses 20 ans, il doit aller se faire recenser pour son service militaire. Malheureusement sa fiche matriculaire n’a pas été retrouvée (voir les recherches ici) et on ne connait pas la date son incorporation, ni le régiment qu’il rejoint. Très certainement le 110ème régiment d’infanterie de Dunkerque. Il est de la classe 1907 étant né en 1887. On peut raisonnablement penser qu’en août 1914, avec son âge, il devait logiquement incorporer le régiment de réserve du 110ème : le 310ème, lui aussi basé à Dunkerque.
Comme tous les réservistes, le jour de la mobilisation, il doit rejoindre la caserne de Dunkerque (il y reste un mois) et doit attendre son affectation définitive. D’après ses écrits, il reçoit, fin août, l’ordre d’aller chercher des renforts à La Rochelle. Mais à cause de l’absence de sa fiche matriculaire, nous ne savons pas officiellement sous quel uniforme il prend le bateau le 29 août : Le 310e RI ou le 110e RI ?
Mais il le dit tout au début du carnet : ‘’lieutenant de réserve au 110e régiment d’infanterie de Dunkerque’’. Ce détail important a-il été écrit début août ou début septembre ?
DEBUT DES ÉCRITS
Carnet à remettre à
la famille de Mr BOUVE Anatole, lieutenant de réserve au 110e régiment
d’infanterie de Dunkerque.
A adresser à Mme
BOUVE SWYNGHEDAUW, institutrice à Coudekerque-Branche (Nord) épouse du lieutenant
instituteur – Officier de réserve.
En cas de mort,
prière de me placer à part afin de pouvoir me rendre à ma famille.
Mémoire à ma petite femme chérie et à mon fils Roger.
Vu beaucoup de gens. Foule immense à la sortie du port, dont ma mère et sa compagnie. Impossible de voir ma petite femme.
Arrivée à Honfleur le 31 à 4 heures du soir.
Après avoir sablé le champagne avec le commandant du bateau, réception indescriptible.
Bouquets (un morceau de cocarde dans ma cartouchière).
Vins - cidre – cigares – cigarettes – gâteaux et même argent – 100 francs pour une section.
Départ pour Pont-Audemer.
Même réception sur le trajet – étape un peu pénible à cause du soleil et des bois.
Départ de Mr BRYGOO pour le feu avec 400 hommes.
Nous devons nous rendre à La Rochelle en bateau par Le Havre.
Arrivée au Havre, je suis désigné pour conduire un détachement de 500 hommes pour renforcer le 110e et le 310e.
2 jours de chemins de fer (38 heures).
Arrivée à Romilly (*) le 7 au bon moment, l’ennemi est en pleine retraite.
(*) : Romilly-sur-Seine (Aube). Le 33ème régiment
d’infanterie se trouve le 7 septembre aux environs d’Esternay, situé à 20 km au
nord de Romilly-sur-Seine. Le 110ème régiment d’infanterie se trouve dans le
même secteur. Ce qui est sûr, c’est que le renfort qu’il a été cherché va
renforcer de suite le 33ème régiment d’infanterie et combattre avec lui
jusqu’au 24 septembre. Les lieux écrits par Anatole BOUVE ‘’ collent ‘’ au
journal du 33ème régiment d’infanterie.
Marche de poursuite.
On n’entend plus rien sauf très loin à l’approche de la nuit, quelques coups de canons. Qu’ils en ont peur de nos 75. On raconte que partout où ils passent, ils disent « nous foutu » - Ils se sauvent.
Belle matinée – à partir d’1 heure, pluie torrentielle – vent – triste temps
Arrivée au cantonnement à 6 heures – 1ere fois que cela nous arrive, bon dîner – Bonne nuit – les gens nous reçoivent très bien comme des sauveurs.
Le journal du régiment (JMO) du 33ème régiment d’infanterie
indique l’arrivée de mille hommes du dépôt du 110ème régiment d’infanterie.
Quel temps – pluie – vent – marche à travers champs de vigne, de betteraves, etc. …et pendant la nuit. Quelle belle manœuvre – Quels canons – Nous n’avons plus rien à faire. Les 75 déblaient le terrain, nous n’avons qu’à avancer.
A 9h ½, entrée triomphale dans Reims (*) – Que de prisonniers ! Que nous sommes contents !
Les soldats les regardent défiler avec calme. S’ils pouvaient nous traiter comme nous le faisons au moins ! 5000 prisonniers sans un coup de fusil et sans un blessé de notre côté ! C’est admirable !
(*) : Le JMO du 33e RI signale le 13 septembre : ’’Toute
la journée le régiment a rassemblé les éléments allemands épars dans Reims’’.
Le JMO du 110e RI signale le 13 septembre : « à 9h, le 110e se porte à l’entrée de Reims »
Vent sans pluie – Nos habits sèchent – Il est 9 heures du matin.
On ne voit que des prisonniers ! Encadrés de patrouilles.
Quel bonheur ! Depuis 4 jours, ils ont reculé de plus de 100 km. Ils sont coupés – 2 corps (*) ont été démolis par les Anglais, nous démolissons les autres.
(*) : Corps d’armée.
A Bétheny. 5 km de Reims.
L’ennemi oppose une belle résistance avec les forts qui défendent Reims et Neufchâtel. C’est terrible ! Pluie d’obus toute la journée. Quelle horreur ! Indescriptible – Heureusement, nous sommes un peu épargnés ; quelques blessés seulement et légèrement. Nous attendons du renfort – Impossible d’avancer.
Tout le village est détruit, pas une maison n’est intacte, hier soir, 5 maisons en feu. Eglise complètement détruite. Nous avons confiance, la victoire est à nous – c’est leur dernier coup.
Réveil en fanfare par le sifflement des obus qui passent par-dessus notre tête.
Voilà 2 jours que nous couchons à la belle étoile. Ça ne fait rien, il fait beau et c’est la guerre, il faut tout endurer.
Terrible depuis 4 jours – Bétheny que nous devons tenir.
Adieu – je pars à l’assaut –Soigne bien mon petit Roger. Adieu à vous aussi mes Parents, aux beaux parents et tous les parents et amis. Anatole
Fausse alerte – Mais ça ne tardera pas – Ils avancent, mais nous tenons toujours.
Il faut ou mourir – Bétheny sera mon tombeau.
Il faudra avec toute la famille, parents, et beaux-parents, venir visiter le champ de bataille qui sera mon tombeau.
Encore une fois, adieu à tous, et à toi ma Jeanne et mon Roger, mes dernières pensées. Anatole.
Délivrés le 19
au soir à 8 h ½. (*)
Nous avons accompli notre mission, sommes remplacés par un bataillon de chasseurs. Que le 33eme a été courageux.
Nous avons eu des félicitations de tous et en particulier notre compagnie.
La nuit : marche de 20 km sous une pluie torrentielle – Coucher le 19 à 4h.
Lever à 6h tout trempés, nous partons d’un autre côté où ?
Encore dans la fournaise sans doute – Nous avions pourtant bien mérité de quelques heures de repos – Me voilà toujours échappé une fois – Plus de 50 obus sont tombés à 20 m au plus et combien très près. Que c’est terrible !
Un baiser à tous.
(*) : Le régiment est relevé dans la nuit du 18, fin de la
relève à 23h le 18 septembre (JMO). Relève par le 59ème bataillon de Chasseurs.
Le canon tonne nous sommes en réserve – repos quelques heures – ça va bien !
À Ventelay, réserve d’armée ; si tout va bien, ce sera une journée de repos. (*)
Que le régiment a été éprouvé, il nous reste encore la moitié de nos hommes, mais très peu de morts. 6 pour la compagnie, les autres sont blessés. (**)
Bonjour à tous, et à toi ma Jeanne et mon Roger mes meilleurs baisers.
(*) : Le régiment arrive à Ventelay le
20 septembre au soir.
(**) : Pour les journées du 13 au 18 septembre, le régiment a
perdu 64 tués, 502 blessés et 178 disparus. (JMO).
Repos – En réserve – Garde des ponts – J’ai bu du café dans une tasse avec inscription : Jeanne. Quel bonheur.
Nous quittons le 33eme pour rejoindre le 110eme qui est au
feu. (*)
Nous attendrons encore qu’on veuille bien nous verser dans une compagnie. Le commandant du 33eme nous a fait ses adieux et m’a embrassé pour tous nos soldats.
(*) : Le 33ème régiment d’infanterie a reçu un 3ème renfort.
1000 hommes arrivent donc au 33e RI, ce qui permet de ‘’ renvoyer ‘’ les hommes
du 110ème régiment d’infanterie vers leur régiment d’origine.
Versé à la 12e compagnie, comme commandant de compagnie.
J’ai dans ma compagnie les 2 frères COMYN que je suis très heureux de retrouver.
Nous sommes en 1ere ligne et nous recevons assez souvent la mitraille du canon, c’est un peu mieux qu’à Bétheny mais à peu près aussi terrible voilà 8 jours que le 110e est sur place dans les tranchées ; on parle de nous relever ce soir.
(*) : Les 2 frères sont tous les deux au 110ème régiment
d’infanterie : Marceau Maxime Victor COMYN et Marcel Victor Henri
COMYN.
Marceau COMYN, instituteur public, né en 1890 à Saint-Pol-sur-Mer (59)
survivra à la guerre. Voir
sa fiche.
Marcel COMYN, lui aussi instituteur public, né en 1889 à
Saint-Pol-sur-Mer (59) survivra aussi à la guerre. Voir
sa fiche.
Entre Pontavert et Berry-au-Bac, face à la ferme du Choléra.
Repos mais pluie d’obus.
En 1e ligne, mais peu intéressant journée calme, pas un coup de fusil, quelques boulets, une cinquantaine seulement.
Tout va bien on vient d’apprendre que Péronne est repris, que les ailes marchent et que leur centre à eux sera bientôt obligé de reculer. Encore quelques jours et le grand coup sera donné.
Que de morts ! C’est affreux !
Toujours en 1e ligne. Journée relativement calme gros obus – Pas de fusils.
Les ailes travaillent (*), nous sommes pivot et nous tenons sur la défensive.
Nous avons bien mangé : viande fraîche, de conserve, pain, biscuits, vin, bon potage, enfin tout va bien, je crois que si cela continue je ne maigrirai pas, un peu de colique. Nous serons relevés ce soir par une autre compagnie.
Un gros baiser à tous.
(*) : Les ailes droite et gauche des armées françaises.
Repos, réserve du bataillon. Journées très calmes jusqu’à présent mais nous avons ordre d’attaquer le Choléra et de nous porter en avant, qu’est ce qui nous attend ?
L’ennemi se retire, mais je crois que ce sera dur. Ça ne le sera jamais comme à Bétheny. Oh ! Ce Bétheny plus jamais je ne verrai chose pareille, indescriptible et dire que j’en suis sorti.
Nous vivons toujours très bien, nous mangeons bien, buvons bien et dormons sur la dure, c’est le plus pénible.
Je suis parfois obligé de desserrer ma ceinture. Menu de ce matin 30.
Potage, maquereau au vin blanc - Bœuf, petits pois - Café ou thé, vin, liqueur.
Ca sent l’entrée des classes. Où sont mes élèves ?
Aujourd’hui, repos, je suis passé à la 11e compagnie, le capitaine de la 12e étant de retour. Je viens de passer chez le perruquier de la compagnie qui m’a taillé les cheveux d’un bon bout, c’est plus hygiénique, je laisse le bouc.
Tout va bien, un gros baiser.
Journées calmes.
Rien de changé, toujours aux mêmes emplacements, gros obus.
Sur notre gauche, attaque de nuit.
Dans la nuit du 3 au 4. J’étais occupé à faire creuser des tranchées à ma section, les balles nous sifflaient par-dessus la tête. On annonce des ordres pour la nuit.
Quoi ? …. Causette avec les frères COMYN.
Quelle nuit, réveillé 2 fois. 1ere fois attaque des A.
À 9h, ça sifflait mais nous étions dans nos tranchées.
A 4 heures du matin, riposte par tout le 110e, toute la matinée, ça chauffe, mais pas de mal, aucune perte pour nous.
Rien de nouveau, bataille d’aéros, très intéressant, il nous est arrivé 2 blindés qui donne la chasse aux Allemands. Ils en ont descendu un hier.
Depuis le 25, même emplacement, rien de neuf, quelques incidents, petites fusillades, enfin peu de chose, canons assez souvent, mais petits obus, pas grand mal.
Je vois assez souvent COMYN et BRIGOO. Tout va bien.
Mauvais tabac : nous devons nous porter à l’attaque du Choléra, ligne de tranchées occupée par l’ennemi, sommes en 1ere ligne. Qu’importe ! Nous avons bon espoir. Au revoir. Je prends mes dispositions.
2 h moins ¼ - Plein combat, ça chauffe. Que d’obus, surtout les nôtres. Comment cela va t’il se dérouler ?
5 h 15 – Nous attaquons. En avant. Encore un baiser à tous. A ma Jeanne et à mon Roger, les meilleurs.
Au revoir.
11 h ¼ de la nuit. Je t’écris au clair de lune, je suis occupé à creuser un trou pour m’abriter. Tout va bien, je passe la nuit à 1m50 de profondeur, un baiser.
Quelle nuit à la belle étoile, le jour pointe, après une bonne goutte de rhum, nous voilà frais et dispos.
Zi, zi, clac, zi, clac, clac, les balles sifflent bien. Nous nous en moquons à 1m50 de profondeur nous ne craignons que les obus qui arriveront certainement à profusion sans tarder.
A 12 h – Depuis 5 h épouvantable, indescriptible, Que d’obus sont tombés sur les positions allemandes.
Pauvres êtres.
Il y en aura des morts.
Au moins 500 obus sur un carré de 200m de long sur 100m de large, sans compter ceux qui partent au loin, ils ne répondent pas beaucoup. Que va-t-il se dérouler ce soir ?
Au revoir.
Toujours en vie, tout va bien, nuit au clair de lune dans un trou, un peu d’eau pendant la nuit, la journée est meilleure. BRIGOO est à 120 m de moi.
Nous n’avançons plus, le Bois de la Miette placé à l’ouest du Choléra doit être dégagé pour nous permettre d’avancer. Au revoir, bonjour à tous.
A partir de 10 h du matin, pluie d’obus de plus en plus fort. Ce qu’il en tombe ! C’est épouvantable !
Le canon n’a cessé de tonner toute la nuit, malgré la pluie, charges à la baïonnette à notre droite du côté de Berry-au-Bac. Jour un peu plus calme. A 12 h on reçoit l’ordre d’avancer.
A 2 h ½ - on n’a pas encore fait un pas.
Toujours dans la tranchée sans pouvoir pousser la tête ou bien clic, clac, zi, clac, zi. Les balles sifflent.
CAULIER (*), un camionneur de chez SAVERGNE que Mr CHAVATTE connaît, a reçu une balle à la tête.
Ils tirent bien…
(*) : Jérémy CAULIER mort pour la France le 13 septembre 1914 à Pontavert (02). Voir
sa fiche
Il a été tué 2 jours plus tard au bois de La Miette (Aisne).
Il y a une erreur sur sa fiche de décès : Sa classe de mobilisation ne peut pas être ‘’ 1917 ‘’, mais plutôt ‘’ 1907 ‘’.
Une correction a été demandée le 10 août 2024.
Voir son acte de décès retranscrit, ici
Contacter le propriétaire
du carnet d'Anatole BOUVE
Fiche matriculaire introuvable.
Voir
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