Souvenirs du caporal Ovide DARRAS du 272e RI

« Mes trois premiers mois de guerre »

 

 

 

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Ovide avec sa femme, Claire, et ses 2 filles, Marcelle et Renée

 

 

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Ovide DARRAS, 30 ans en 1914,  est employé d’usine. Marié à Claire, ils ont 2 filles. Habitant Flixecourt dans la Somme, il est mobilisé logiquement au 272e régiment d’infanterie d’Amiens.

Le 272e régiment d’infanterie, en août 1914, est constitué de 37 officiers, 2192 sous-officiers et hommes de troupe et de 254 chevaux. Il est le régiment de réserve d’infanterie du 2ème corps d’armée.

Merci à Christophe, son arrière-petit-fils.

 

Merci à François et Marie pour la recopie.

 

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Sommaire (n’existe pas dans le carnet)

 

ü  Août 1914 :

Ø  Le départStenayQuincyfrontière belgeLe carnage des coloniauxL’abominable erreurLa retraite

ü  Septembre 1914 :

Ø  Les pillagesLes fuyards seront fusillésSte MenehouldBataille de la Marne : Orconte - Le 272e RI perd 500 hommesLe peloton d’exécution dont je fais partifusillés à un pommierSecteur de Vienne-la-Ville

ü  Octobre 1914 :

Ø  Les tranchéesLa Harazée, Melzicourt

 

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Début des souvenirs

 

Août 1914

 

 

Appelé le 3ème jour de la mobilisation à Amiens.

Rendu à midi, caserne Friand

Parti de Flixecourt (*) le matin à 7h en voiture. Joyeux, le voyage n’est que délire.

Arrivée à Friand on me renvoie au dépôt de la 21ème Cie qui de trouve dans une école rue du Blamond.

 

(*) : Flixecourt est un village dans la Somme, à mi-distance d’Amiens et d’Abbeville.

6 août 1914

 

 

Dois-je penser où je suis, rue du Blamond notre cantonnement est une école. Notre pensée est toujours tournée vers la frontière malgré que des soucis moraux nous attristent et nous font penser à notre retour peut-être très éloigné.

Quels sont ces soucis moraux ce ne peut être que sa femme et ses enfants que l’on quitte pour……

Reportons sur eux toute notre amitié et pensons avant tout à la France.

 

Samedi  8 août

Bon ordre en mobilisation.

Claire (*) vient me voir ayant appris que je partais dimanche matin.

René Marcelle et maman l’accompagnent.

 

(*) : Claire, son épouse

Dimanche 9 août

Réveil à 2h.

Départ d’Amiens à 3h embarquement à 6H pour une destination inconnue.

Nous passons Laon (…), Niard, Sedan et nous débarquons à Stenay à 7h soir, une pose d’une heure et nous partons pour Montigny  par Dun-sur-Meuse à 12h.

Arrivé à 11h éreintés, cantonnement dans une grange par demi-section

En passant sur toute la voie ferrée ce n’est qu’acclamations et fleurs.

 

(*) : Selon le journal des Marches et Opérations du régiment (JMO), le régiment est parti avec 2 trains. L’un arrive à Stenay à 16h38, l’autre à 18h18. Nous pouvons donc penser qu’Ovide fait parti du second train, qui transportait, en autre, le 3e bataillon du 272e RI.

Lundi 10 août

Réveil à 4h ½, pour départ à 5h, après contre-ordre restons au cantonnement.

L’élan patriotique est partout le même tout le monde part pour la frontière d’un bon cœur avec l’idée d’anéantir l’envahisseur barbare. Les habitants de Montigny  à 50 km de la frontière belge sont dans le même état d’esprit. Qu’est ce qui les attend les Alboches, et ne t’en fais pas comme disent les parisiens.

 

À 11h, départ immédiat en pleine chaleur jusque Stenay, la moitié des hommes restent en route entre autres, le caporal Darras. Quelques canettes me remettent en route.

Cantonnement à Stenay. Voyons arrivé des chasseurs du 18ème, blessés.

C’est la lutte à outrance.

Mardi 11 août

Le 11 août le 272e RI est mis à la disposition du général REGNAULT commandant la 3e division d’infanterie.

 

Repos à Stenay.

Vers 5h du soir, un tuyau : départ demain.

Suis caporal de relève de 9h à 1h.

Dort dehors sur une caisse.

Mercredi 12 août

Réveil 2h ; départ de Stenay à 3h pour Lamouilly (*) qui se trouve à 8km avec mission de garder les ponts, les Alboches sont à 10km de nous, arrivé à 6h.

A 7h fausse alerte tout le monde aux armes, malgré mon mal de pied je trotte comme un canard.

Remis de cette émotion nous prenons la garde au pont de 10h au lendemain 10h.

Je roupille avec caboche dehors, deux boules de pain comme oreillers

Cette alerte nous transforme tous en vrais  patriotes et nous sommes près à partir au feu sans penser à nos femmes à nos enfants Les larmes me viennent aux yeux.

Une division de cavalerie est signalée venant de Fontainebleau, nous sommes priés de bien faire attention pour ne pas tirés sur eux.

Marie loge dans le même cantonnement.

 

(*) : Selon le JMO, deux compagnies du 6e bataillon (21e et 23e Cies) quittent Stenay à 3h30, pour Lamouilly.

 

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Jeudi 13 août

Lamouilly.

Sommes relevés de garde à 10h quelques escadrons de la division signalée hier passent.

Vu Émile Vast, 24ème Cie.

 

Après-midi, nous lavons à deux, caboche et moi, nos chemises sales couchons le soir toute l’escouade chez une femme veuve d’un ancien capitaine. Très bien dormi

Vendredi 14 août

Lamouilly.

Réveil 5h exercice à 6h jusque 8h école de Cie et différents mouvements des jeux apéritif avec……

Après midi revue d’armes et pose, que cela dure pendant la guerre, on ne peut être mieux nourri ; ce qu’il nous manque c’est notre femme et notre lit.

Un mois de ce régime et je rentre à Flixecourt gras comme un moine. Par suite des excès faits par un soldat de la Cie les cafés sont consignés excepté pour le vin.

A l’occasion de la fête de l’assomption nous aurons repos toute la journée de demain.

Samedi 15 août

Lamouilly, Quincy.

Ah notre jour de repos est loin, nous prenons la garde à 10h et nous partons à 1h30 pour Quincy à 10k heureusement qu’il ne fait pas de soleil autrement Darras restait en route.

Je n’ai plus mal aux pieds mais j’ai une douleur dans l’aine.

 

Arrivé à 11h, au cantonnement avec de la pluie. Nous voilà en 2ème ligne. Qu’est-ce que nous attendons pour massacrer les uhlans ?

Dimanche 16 août

Quincy.

Réveil à 5h, départ à 6h pour marche, on ne peut nous laisser une minute tranquille. Il faut de la discipline d’après nos chefs, mais nous voilà nous sommes venus pour faire la guerre et non pour une période militaire.

On lit au rapport que les Allemands mettent des mannequins en 1ère ligne pour dépister le feu et que les mitrailleuses se cachent dans les maisons pour tirés dans le dos de l’adversaire une fois celui passé

Les vols dans les jardins sont interdits, ceux pris écoperait de 2 à 3 ans de prison. Les militaires sont invités à saluer les officiers dans le cantonnement et à rester dans une tenue correcte. Quelle barbe !

Vraiment nous ne sommes pas venus pour faire la guerre.

 

À midi : Pommes sautées et bifteck.

 

Après-midi, revue de campagne.

Comme nourriture nous ne pouvons nous plaindre nous avons tous les jours viande et pain à discrétion, excepté aujourd’hui ou le pain est tout moisi nous le jetons  de suite et achetons à deux Caboche et moi, un pain blanc.

Toutes ces revues et ces marches nous tracassent et nous enlèvent notre bel élan patriotique que nous avions en partant d’Amiens.

Soir : frites et gigot.

Avons couché sur une étable en grimpant avec une vieille perche et quelques planches faisant office d’échelle.

On risque de se rompre le cou s’il y a une alerte. Nous sommes dévorés par les petits des poules qui couchent près de nous, l’envie ne nous manque pas de leur tordre le cou…

  Lyon ( ?)

 

À 7h soir, arrivé du 5ème bataillon.

Je vois pour la 1ère fois depuis notre départ d’Amiens Lucien Poret et beaucoup d’autres, mais pas de chance justement le 20ème loge 2km plus loin

On s’endort à deux, caboche et moi, en se racontant mutuellement nos anciennes parties et en pensant à notre chère femme et à nos enfants.

On nous dit que le Japon a déclaré la guerre à l’Allemagne que l’Autriche l’a déclaré à l’Italie, etc…

Tant mieux tout le monde sur le dos des Alboches

Lundi 17 août

Réveil 5h. Exercice à 6h.

Au moment du départ, la pluie nous empêche de partir repos et théorie en attendant une éclaircie.

Que la journée est longue à ne rien faire pas seulement moyen de se payer un verre de vin, les cafés n’ont plus rien.

Lucien est venu me voir au moment où je mangeais la soupe, il marche sans sac, l’ayant perdu le jour ou il faisait si chaud

Sou…..de garde aux ……de 6h du soir au lendemain, joie….

Nuit très froide. Amibal, audace ( ?)

Mardi 18 août

Quincy

Réveil 5h restons au cantonnement de garde, c’est la pose.

Une belle journée se prépare à 6h. Ordre est donné remonter nos sacs, devons partir dans une heure.

Heure après, contre –ordre, restons à Quincy

J’ai vu hier soir Poret et Lucien, tous en bonne santé Les événements n’ont pas l’air de se précipités, qu’est ce que nous attendons pour marcher de l’avant ?

Est-ce que par hasard nous aurions peur ?

 

À 7h….une décharge de coups de fusil nous fait sursauté, on entend une longue ligne de feu qui s’engage nous nous trouvons à peu près à 7 ou 8km de cette ligne.

Cet engagement dure à peu près 10 minutes ; tir contre aéroplane.

Nous recevons aujourd’hui pour la 1ère fois le journal des armées de la république qui va paraître quotidiennement, et par demi-section.

Après midi partie de barre dans le pré

Patrie………………..Poincaré

Mercredi 19 août

Quincy

Réveil 5h.

Exercice 6h marche sous le feu.

 

À 8h, apercevons un aéroplane allemand beaucoup de sections tirent dessus excepté le notre, c’est dommage que je n’ai pu essayer mon premier coup de fusil sur cet aéro.

Repos le soir, je lave ma flanelle et ma cravate.

 

À 11h, je fais à la 11ème et 12ème escouade la lecture du journal des armées de la république.

Tous écoutent attentivement : marseille, marceau

Jeudi 20 août

Quincy

Réveil 5h.

Exercice de déplacement en tirailleurs de 6H à 9h ; voyons encore 2 aéroplanes allemands, les mitrailleurs tirent dessus sans résultat, on nous lu au rapport qu’il était absolument défendu de tirer sur les aéroplanes notre tir était nul, vu la hauteur par rapport à la portée de notre Lebel.

Les officiers supérieur a seul qualité pour commander ce tir, 8 jours de prison à celui qui enfreindra cet ordre.

Chose bizarre, en temps de guerre on voit des soldats au cantonnement aller avec les cultivateurs au champ pour charger les voitures ou faucher, vider les étables, rebattre les faux.

C’est donc que l’on n’a pas encore besoin de nous ; pourtant nous croyons que nos succès sont réels, qu’est ce que ce sera lorsque nous serons en ligne. Trouver après bien des difficultés un litre de vin pour boire au moulin.

Vendredi 21 août

Quincy

Réveil inopiné à 2h

Départ à 3H, le montage de sac s’effectue à une allure assez mouvementée. Quand même chacun retrouve vivement son campement.

On passe à Vigneul en cantonnement d’alerte.

Je trouve un litre de lait et me tape les joues avec caboche : sac au dos à 7h. Passons à Montmédy pour Iré-les-Près.

Trouvons litre de vin et ½ livre de beurre.

 

Midi, changeons de cantonnement 1km de marche depuis ce matin ce n’est que troupe qui se dirige vers la Belgique distante seulement de 5km

Cette fois nous entendons continuellement le canon, nous partons tous d’un pas plus allègre, l’on dirait que cette canonnade nous animent tous du désir de voir le feu.

Quand le verrons-nous et combien reviendrons nous ?

Je ne peux décrire d’une façon réelle le couchage de 50 hommes dans une grange. Tout le monde crie, l’un son sac, l’autre sa gamelle, sa place, c’est un chahut indescriptible malgré tout l’on s’endort en riant

Samedi 22 août

Le 272e RI reçoit l’ordre de protéger et de servir d’escorte au train de combat du corps d’armée (environ 100 véhicules hippomobiles)

 

Quittons Iré-les-Près à 6h ½ pour garder un convoi qui se dirige en Belgique.

Nous faisons en 8h, 10km de marche. La soupe est faite à 8h mais impossible de la manger, le départ a lieu avant la cuisson de la viander. Je mange pain sec avec de l’eau.

 

À midi, voyons au loin de la fumée des obus, il se passe surement, à une dizaine de kilomètres de nous, une grande bataille

J’ai vu Poret Lucien et Suiquer à Montmédy, restons 3h à 2km de Montmédy sur la route

Sommes en ce moment à côté d’un parc d’artillerie et entendons toujours la canonnade n’avons pas encore de ravitaillement, partons à 7h pour Vigneul-le-Grand situé à 6 ou 7km arrivons à 10h du soir.

Quelle journée, je me couche tout mouillé, m’endors comme un plomb.

Dimanche 23 août

Réveil à 4h juste le temps de faire le jus, nous partons pour Ecouviers, frontière.

Le 4ème corps se trouve à Virton.

Trouve un litre de vin, la patronne m’offre un café avec une goutte. Nous voyons beaucoup de villageois quitter furtivement leur village. Les troupes françaises se trouvant aux prises avec les Alboches, ils se plaignent tous de la scélérateur des Allemands ; nous touchons à Ecouviers savon et haricots verts séchés. Voyons blessé du 91ème.

Quand je pense à toutes ces femmes qui arrivent en pleurs mon cœur se soulève et je maudis à jamais les Alboches.

Mes pieds vont bien, je ne croyais jamais capable de fournir un pareil effort avec le chargement que j’ai vraiment l’entrainement est bon. Ce que je crains c’est la maladie, mais non les balles. Vivement que nous allions au feu et qu’on les balance pour toujours.

 

  Sommes réconfortés depuis ce matin la population nous distribue vin et café, c’est la 1ère fois que nous sommes reçus de cette façon, notre viande est cuite en bifteck chez l’instituteur qui nous fournit………, poêle et feu nous devons nous tenir prêt à 10h.

  Quelle joie d’être réconfortés de cette manière, nous entendons toujours le canon sans arrêt. Il paraît que les Allemands reçoivent une de ces raclées longtemps promises, d’après les nouvelles, ils reculent toujours.

 

Partons à 10h ½ pour Avioth.

Reste en route, rattrape la Cie à l’entrée d’Avioth qui est un petit poste. Passons la nuit dehors et couchons sur du foin.

 

À 11h alerte tous se lèvent en coup de trombe et s’équipent.

Fausse alerte, il paraît que c’est un lieutenant a tiré 2 coups de révolver sur un cheval qui se sauvait.

Voyons passer à tout moment des convois des blessés ; 3 régiments d’infanterie coloniale se fait massacrer par les mitrailleuses allemandes à 200 m. Quel triste spectacle que la guerre, je ne peux dormir de la nuit.

Lundi 24 août

Réveil en sursaut à 1h du matin pour Thonnelle. à 4h sommes en cantonnement d’alerte.

Avons touché biscuits.

Il faudrait pour que mes jambes se remettent, rester au moins une journée à Thonnelle, mais j’ai bien peur que d’ici peu, il y avoir du nouveau.

Que de lignées de voitures sur toutes les routes c’est un spectacle que la guerre peut faire seul faire

Depuis midi ce n’est que défilé d’artillerie ; il paraît que nos troupes recoulent, est-ce vrai ?

Tous nous racontent le carnage de l’infanterie coloniale.

Passe le 4ème colonial de Toulon.

Nous avons vu 6 prisonniers prussiens entre des gendarmes.

Quelques cris de « Vive la France » sont poussés à leur passage. Ils font pitié tellement ils sont forcé de marcher vite. Nous passons toute la journée et la nuit tranquille.

Mardi 25 août

Réveil à 3h, départ 4h par Hans-les-Juvisy à 8 ou 10h.

Restons à l’entrée du village de 7à 10h. Grande halte jusque 12h.

 

Allons-nous installer à 2km de Hans sur une crête et laissons une tranchée pour tireur debout pour passer la nuit ; il paraît que les Allemands sont à quelques kilomètres de nous.

Sommes toujours au régime de l’eau et mangeons notre viande à moitié cuite grillée sur le feu avec un bâton.

 

À 8h, un ordre nous fait changer de tranchée, mais là un spectacle inouï se passe…

La section de l’adjudant Fanié qui se trouve derrière, croit voir arriver des uhlans et commande sur nous « feu à répétition ».

Heureusement que nous entendons le commandement.

 

Nous avons juste le temps de nous coucher à plat ventre pour recevoir la décharge. Ils nous fusillent à 70m. Nos cris de « Fanié, France, Français, arrêtez tout, cessez le feu » et l’on nous reconnaît.

Quelle émotion, jamais même devant les prussiens, je jure de me trouver aussi mal.

Je m’étais couché en mettant mon sac devant ma tête ainsi que mes camarades de façon à éviter les balles que j’ai entendu siffler pendant quelques minutes à mes oreilles.

Une fois remis nous avons la douleur de ramasser deux camarades blessés, un au ventre, l’autre au poignet et chose abominable celui blessé au ventre meurt le lendemain. (*)

Si ce n’est pas une chose affreuse que la guerre voilà sans doute un père de famille victime des balles française. Ce n’est qu’un affolement de l’adjudant Fanié que deux vies humaines perdent leur sang.

 

Aussi fallait voir la façon dont on l’arrangea après, tous les mots les plus grossiers furent employés à son égard, assassin, bandit, lâche etc…

 

Ce qu’il y a de plus drôle c’est que tous les hommes de la section à Fanié, ainsi que celle du lieutenant Robardet prirent leurs jambes à leur coup pour se cavaler aussitôt que leurs balles furent tirées. Il fallut au moins une heure pour rassembler tous les hommes qui étaient éparpillés de tous les côtés.

Nous dormîmes dans les tranchées mais d’un œil : ce branle-bas nous tint sur le qui-vive toute la nuit, quelle sale nuit.

J’avais toujours l’illusion des balles sifflant à mes oreilles et pensais que je pouvais être bêtement tué.

Nous critiquons tous le capitaine qui n’eut pour nous aucun mot pour relever notre moral, et même laissa le lendemain au départ, les fusils, sacs, paquets de cartouches de types qui s’étaient sauvés.

Il ne rendit même pas visite aux blessés ; j’ai bien idée qu’il a peur des balles plus que nous.

 

Félicitons quand même l’adjudant Fanié et le sergent Garnier (deviendra plus tard lieutenant) qu’au risque de se faire tirer par d’autres compagnies, parcoururent le soir toute la plaine environnante pour calmer les esprits, et ramasser les képis, fusils et sacs perdus dans la mêlée.

 

(*) : Il s’agit des soldats PUIOT Jules Marie et de DUPONT Gustave.

Gustave DUPONT est bien mort de sa blessure. Sa fiche indique :

« Mort pour la France le 25 août 1914 à Hans-les-Juvigny, Meuse, tué à l’ennemi. Né à Bruay, Pas de Calais, le 29 avril 1887. »

 

 

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Extrait du journal du régiment.

On peut constater que l’épisode a bien été relaté, mais la responsabilité en revient aux Allemands…

 

La sépulture militaire de Gustave DUPONT n’existe pas. Son nom n’apparaît pas sur le monument aux morts de Bruay-en-Buissières (62). Le jugement de son décès a été inscrit sur le registre d’état civil de Bruay le 29 mai 1921. Date tardive qui semblerait indiquer que son corps ai disparu.

Tué par une balle française ! Et son nom n’est pas honoré !

Mercredi 26 août

Départ brusque à 3h pour Nouart à 20h

Notre départ ressemble à une fuite, que se passe-il, nous abandonnons toute la frontière de la Belgique, est-ce par hasard nous battons en retraite. Un tuyau nous dit que le général Gérard est relevé de son commandement et que nous attirons les Allemands dans un piège. Est-ce vrai ?

Espérons que oui.

Spectacle lamentable sur toutes les routes, ce n’est que femmes et enfants qui quittent soit en voiture soit à pied leurs villages qui vont être bombardés, c’est ce qui me fait le plus mal cœur.

A Nouart statue du général Chauzy sur le socle est écrit ces mots :

« Ceux qui veulent avoir le bâton le maréchal devront aller le chercher au-delà du Rhin »

Son bras indique la frontière de l’Est.

 

Avons passé par Baâlon, Stenay (ou les ponts sautent après notre passage), Beauclair et Nouart :

Jeudi 27 août

Partons de Nouart à 4h pour Beauclair.

5h nous sommes complètement trempés par la pluie. Le 272ème garde l’état major à Beauclair. Suis malade, ai une diarrhée terrible, si nous pourrions coucher ici je me reposerai un peu.

Le canon tonne sur Stenay, les Allemands  cherchent à passer la Meuse. Espérons qu’ils ne passeront pas, ils ont reçu à ce qu’on nous dit une mémorable raclée. Le 72ème le 51ème, le 120eme ont donné toute la journée. que de blessés passent le soir devant nous !

Je me chauffe toute la journée dans une maison particulière

Je passe la nuit comme chef d’un petit poste sur un arbre, avec ma diarrhée, je suis très mal. J’ai mangé, pour souper, une tasse de lait qui m’a réconforté.

Vu le fils du meunier.

Apprends que Dutoit et Cebé (?) sont tués

Vendredi 28 août

Réveil 2h ½, pour établir des tranchées devant Beauclair ; suis rétabli.

à 10h au moment où la soupe est faite départ pour Nouart. Cuisons le jus et le bouillon au trot. Sommes toujours de garde du quartier général.

Notre recul en arrière n’est pas une retraite, nous sommes remplacés sur la ligne de feu par le 4ème corps : nous apprenons avec joie qu’à Lunéville, un corps d’armée prussien est fait prisonnier, qu’à Sedan 20000 Boches sont jetés dans la Meuse ; tant mieux, si c’est vrai, notre moral n’est plus si affecta

  Cantonnons à Fossé au lieu de Nouart. Reçois une carte de Dadier une lettre de Claire et une d’Odile. Je suis content d’avoir des nouvelles

Samedi 29 août

Sommes réveillés en sursaut à 1h du matin pour un départ inconnu ; passons à Buzancy, où j’aperçois dans la pénombre de la nuit une statue, Thénorgues, Grandpré ; nous reculons toujours et nous n’aurons livré aucun combat : pourquoi ?

D’après les nouvelles officielles elles sont pourtant rassurantes : que penser

À Grandpré, je suis à bout, je reste pour trouver quelque chose, un paysan m’offre une tasse de lait.je monte sur un caisson pour regagner la grande halte ; quel secours inattendu

Nous ne considérons pas notre capitaine comme un frère de famille, jamais une parole de réconfort. Tout le temps des mauvais propos à notre égard

Grand halte à Ternes et cantonnement.

Lucien me montre le portrait d’Odile et de Robert. Vin à discrétion.

Sommes bien couchés, électricité dans la grange, on fait concert de 7h à 8h ; on ne se croirait pas à la guerre. Le vin délie les langues.

Dimanche 30 août

Réveil à 4h30.

Départ 5h30, contre-ordre restons aux faisceaux. Ai passé une bonne nuit, beaucoup on la diarrhée par suite de la marche d’hier et du vin.

Toute la journée se passe à Ternes où je me nettoie un peu les pieds dans la rivière.

 

À 6h, branle-bas, nous partons à 7h ½ pour Grandpré où nous nous couchons vers les 10h.

Bien couchés.

Lundi 31 août

Réveil à 4h départ pour Briquenay.

Ça chauffe, nous marchons comme sous le feu de l’artillerie. Le colonel nous dit en passant de sa voix fluette :

« Du courage mes enfants, vous marchez au canon. »

 

Arrivons à nos emplacements à 4h de l’après-midi. Faisons des tranchées pour nous abriter. Quel joli coup d’œil nous avons, on voit un magnifique duel d’artillerie.

Je reste avec six poilus dans une tranchée. Quelle désolation ! Et dire que nous reculons toujours.

Qu’est ce qu’il y a ? C’est à n’y rien comprendre. Suis exténué.

Peut-être est-ce mon dernier jour, enfin je sens qu’il approche mais je n’y pense pas trop si ce n’est à ma chère Claire et à mes chers petits enfants.

Que de blessés l’on rencontre et que faire vivement que la nuit soit passée.

 

À 7h du soir, nous nous retirons de nos tranchées pour rejoindre la Cie qui est à l’abri dans un bois. On prépare le café à une ferme et l’on mange des boites de conserve.

Une pièce d’avoine fauchée nous offre ses bottes et nous dormons à l’abri des arbres collés l’un contre l’autre. Une batterie d’artillerie nous protège. Une ferme qui se trouve en contre-bas est complètement dévalisée, les horloges, les glaces, fleurs d’oranger, habits blancs, tout traine dans la maison.

Les vaches, les chevaux se promènent toute la nuit en beuglant et les pauvres femmes, les enfants qui s’en vont à l’abandon escortés par les gendarmes pour ne pas encombrer les routes et gêner le mouvement des troupes.

Vraiment c’est la misère ; pourquoi ne pas fusiller ce Guillaume, c’est le mot de tous.

 

À 10h du soir, distribution de pain.

 

 

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Septembre 1914

 

Mardi 1er septembre

Réveil 4h.

Il fait un peu froid en s’éveillant. Nous allons refaire des tranchées en avant de celles que nous avons faites hier.

 

À 7h, nous reculons sur Grandpré où je reste. Que d’eau, je bois.

Après avoir supplié pendant une heure, une bonne femme elle nous vend un litre de vin et je fais grand-halte avec un autre caporal, Renu ; ayant appris que notre Cie qui est partie à Ternes doit revenir à Grandpré. Des cyclistes nous indiquent une maison inhabitée que nous visitons immédiatement.

Un camarade remonte de la cave 6 litres de vin que nous emportons.

Quel filon !

 

Le soir, j’y retourne avec Brunel et Caboche mais sans lumière croyant prendre du vin nous emportons un grand bocal de vinaigre et 3 litres de cassis faits avec des mûres.

Ma foi la prise n’est pas très bonne.

 

Et dire que c’est en France que ce pillage a lieu.

Je me demande comment serai-ce si nous nous trouvions à l’étranger. Il faut remarquer quand même qu’il s’agit de ne pas se laisser prendre.

Et puis après tout, pourquoi laisser tout ceci aux boches ?

Les champs de prunes, de pommes, partout où l’on passe sont dévastés, mais ce n’est rien auprès de la misère des départements envahis. Les paysans abandonnent en fuyant leurs bétails qui rodent la nuit un peu partout.

Ils emportent juste le nécessaire et encore ces malheureux n’ont pas le droit d’encombrer les routes, on les parque bien souvent des journées entières dans des champs et il faut qu’ils attendent un ordre de la gendarmerie pour repartir. En outre de ça ils sont bien souvent malmenés.

Oh ces pandores !

 

Cantonnons à Grandpré.

Mercredi 2 septembre

Départ à 3h40 pour destination inconnue.

Nous reculons encore, que se passe-t-il c’est à s’en casser la tête. Nous traversons Ternes, Senué, Autry et faisons grand’halte près de Barigny.

 

À 1h, le 5e corps livrant bataille, nous nous installons dans les bois de l’Argonne, au cas où ce corps se trouverait culbuté. J’en ai plein les bottes et pas d’eau.

 

4h, nous sommes placés en petit poste et trouvons une source. Quelle chance !

Tous souhaitent que les Russes arrivent bientôt à Berlin pour nous délivrer car je vois à la tournure des évènements que nous reculons de tous les côtés.

Les hommes, pris se sauvant, seront fusillés immédiatement.

Restons toute la nuit en petit poste, les cuisiniers vont nous préparer la popote à la grand’garde et nous rapportent à 8h du soir des biftecks et du café froid c’est dégoutant.

Après avoir revêtu ma camisole et ma veste, je m’endors au pied d’un arbre.

Jeudi 3 septembre

Réveil par quelques coups de fusil à 1h ½ du matin.

L’escouade est bientôt debout nous restons une bonne demi-heure l’arme à la main dans l’attente de voir apparaitre quelques uhlans. Avons ordre de nous replier sur la grand’garde et de rejoindre le régiment pour faire le jus.

 

À 3h, départ pour Ste Menehould, nous reculons toujours puisque nous allons vers le sud et que le canon nous suit. Quelle marche à 12h ½ du matin nous avions fait 12km ; tous les 100m arrêt par suite de l’encombrement des routes.

Grand’halte à La Neuville-aux-Ponts ; on dit qu’une grande bataille se livre à Laon (*) ; mais alors les boches sont entrés partout.

Depuis un mois que nous sommes partis, nous n’en avons pas encore vu un seul, sauf quelques prisonniers. Si cela continue, ils vont passer à Amiens, peut être à Flixecourt ; comment va on terminer cette campagne et à quel profit. Cantonnons à Daucourt.

 

(*) : Il s’agit de la bataille de Guise, qui sera un beau succès français local, que nous ne pourrons exploiter, et la retraite continuera.

Vendredi 4 septembre

Départ à 4h pour Nettancourt ; marche fatigante, nous allons toujours vers le sud.

Trouve vin, rhum, suis bien couché.

Samedi 5 septembre

Départ 4h pour Perthes, on réquisitionne des voitures et l’on ramasse tous les sacs. Heureusement nous sommes très fatigués.

En arrivant à Perthes nous apprenons une bonne nouvelle ; 40000 allemands sont prisonniers à Chalon, et Berlin est occupé par les Russes après 7 jours de combats. (*)

 

Ayant acheté du pain à Germaige, le capitaine prit mon nom et pour me punir me mit de garde de police.

Je dors une paire d’heures seulement étant forcé de relever les sentinelles toutes les deux heures. L’escouade où je suis, fait un ragout de lapin et m’en offre.

Excellent repas.

Sur les routes on voit comme arbres des alisiers.

 

(*) : C’est évidemment complètement faux.

Dimanche 6 septembre

Réveil 3h restons de garde jusqu’à 6h.

Notre régiment est parti escorter de l’artillerie. Contrordre, sommes de garde jusqu’à la rentrée du bataillon qui passe à 7h et que nous devons suivre.

Ma foi pour une punition elle n’est pas trop dure. Je gagne les 7 ou 8k que la cie vient de s’appuyer.

 

Le matin, je vois Tarat, gendarme, qu’a perdu son porte-monnaie contenant 80 francs.

Nous nous installons à 5h du soir autour du village d’Orconte et nous campons la nuit avec la musette comme oreiller. Il ne fait pas très chaud. Nos sacs sont ramassés et mis dans des voitures réquisitionnées. (*)

Qu’est ce qui va se passer demain ?

 

(*) : Avant toute attaque planifiée, les sacs des soldats qui allaient s’élancer, étaient systématiquement ramassés.

Lundi 7 septembre

Réveil 4h restons à nos emplacements à la lisière d’un bois que nous devons défendre jusqu’à la mort (ordre du général Joffre).

La bataille est engagée sur toute la ligne.

En effet le canon tonne du réveil à midi sans discontinuer ; nous ne voyons aucun ennemi, est ce qu’il leur serait impossible d’avancer, souhaitons que oui et que la victoire vienne un peu nous réconforter.

En ce moment je ne crains pas la mort, si ce n’est l’image de ma chère Claire et de mes chers enfants qui ne cesse de me troubler un peu.

Que deviendraient ils seuls sur cette terre eux qui m’aiment tant et sans avoir la suprême consolation de m’embrasser une dernière fois ni même de revoir ma dépouille.

Quelle chose cruelle que la guerre et que les hommes sont encore sauvages. Ceux qui rentreront dans leurs foyers après cette dure épreuve pourront à jamais maudire la guerre.

 

Le canon reprend de plus belle l’après-midi.

à 6h, sommes relevés et devons aller coucher à Orconte mais la 3e section dont je fais partie est de garde à un pont (canal de la Marne au Rhin) encore une nuit dehors.

 

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Mardi 8 septembre

Avons bien dormi, ayant eu à notre disposition une meule de paille - attendons ordre de départ.

Restons toute la journée au pont presque 5h.

Nous découvrons du pont un beau duel d’artillerie ; quelle canonnade !

Un nouveau corps d’armée débarque à Vassy. Nous dénichons sous le pont un nid de chouettes. Ces oiseaux nous font bien rire ils ne peuvent voler pendant le jour.

Partons le soir pour coucher au bord d’un bois à 500m seulement la pluie commence à tomber. Quelle nuit allons-nous passer ?

Quelques coups de canon tirés près de nous nous réveillent en sursaut et provoquent de la part des sentinelles un sauve-qui-peut général.

Vraiment ce sont des froussards, nous étions bien gardés.

Mercredi 9 septembre

Toute la journée se passe à dormir, la pluie n’a pas duré ; le capitaine moleste quelque peu les  sentinelles qui se sont enfuies hier et les prévient qu’à la prochaine occasion les officiers ont ordre de leur brûler la cervelle.

C’est un peu la vérité.

Blâmont seulement ses paroles qui sont trop blessantes.

 

Après avoir fait des abris pour nous couchers ordre nous est donné à 10h du soir d’aller cantonner à Orconte. Je dors sous une voiture, réveillé à chaque instant par 2 chevaux attachés aux roues ; ils menacent à tout moment de me la faire tomber sur la tête.

Tant pis si je suis écrasé ; j’y reste autant tout de suite que plus tard.

Jeudi 10 septembre

Réveil au jour.

La diarrhée me prend. Suis désigné avec 6 hommes pour établir un petit poste à un pont. (*)

Pluie jusque midi.

A force d’entendre le canon j’y vais tout énervé et dire que cela va durer des mois. Est-ce que je pourrais jamais finir la campagne ?

Quelques obus tombés à 200m de nous font parmi la coloniale une dizaine de blessé.

Ces sacrés pruscos cherchent les ponts.

 

À 3h, sommes relevés partons pour Laudricourt, suis malade, ai bien du mal à faire ces 9km.

Trouve à l’arrivée un litre de lait, un litre de vin et fromage.

Depuis dimanche, ce n’est qu’une suite ininterrompue de coups de canon et l’état reste stationnaire ; pourtant nous partons  encore vers le sud ouest. Les obus qui passent avec des sifflements lugubres sur nous font deux blessés, l’un a les deux cuisses traversées et l’autre le pied dans toute sa largeur. Ce dernier était beaucoup plus souffrant.

Malgré ma diarrhée, le soir il y a concert chez Mr Gras qui nous paye un litre de marc. Dors sur des sacs de grains.

 

(*) : Cet ordre va certainement lui sauver la vie, il le comprendra plus tard

Le régiment passe entièrement à l’attaque des Petites-Perthes vers la ferme du Cul-de-Sac. Il perd dans ce combat près de 600 hommes (62 tués, 430 blessés, 100 disparus).

La 21e compagnie, celle d’Ovide, est donc restée à Orconte, avec l’état-major de la 48e brigade d’infanterie, c’est inscrit dans le journal du régiment. Sur la carte du combat du 10 septembre 1914, on ne distingue pas la 21e compagnie, ce qui est normal.

Voir ici la carte : >>>>>>> carte du combat <<<<<<<<<

Vendredi 11 septembre

Réveil au petit jour.

Prenons la garde de police. Impossible de manger par suite de la diarrhée, malgré une légère amélioration.

Samedi 12 septembre

L’état-major, avec la 21e compagnie est à l’arrière, et suit le régiment

 

 

Réveil à 3h, suivons l’état major qui s’établit à Vouillers.

 

À 11h, triste cérémonie notre compagnie doit exécuter deux déserteurs du 128e.

Je suis désigné pour le peloton d’exécution ; 4 sergents, 4 caporaux, 4 soldats 1e classe. On amène les déserteurs, le sergent Duhaime, curé, leur donne l’absolution. (*)

On les attache chacun à un pommier. Ils se disent au revoir en murmurant; c’est un malheur; à l’abaissement du sabre qui remplace le commandement feu, ils tombent percés de 12 balles; la mort est instantanée.

Vraiment ça me fait de l’effet, j’en reviens tout pâle.

Tant pis, chacun doit faire son devoir.

 

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A 12h, départ pour une autre destination.

Passons à Scrupt, Blesme, Étrepy où nous nous arrêtons.

 

Là, quelque chose d’affreux, le pays complètement brûlés, des cadavres éparpillés partout, c’est un vrai désastre, l’armée allemande a reçu dans ce coin une formidable raclée.

Elle doit être en déroute puisque nous avançons d’au moins 25km. Une dizaine de boches sont d’un tas calcinés j’en frémis en les regardant. Ils ont sans doute été surpris en train de manger car ils ont tous des biscuits dans la main ou à côté d’eux.

Qu’est-ce à dire après tout ceci, toujours la même chose ; la guerre est horrible ; ceux qui sont responsables de pareils crimes seront sans nul doute condamnés à la damnation éternelle ; si elle existe.

 

Couchons dans une grange toute traversée par les obus, la pluie tombe sur nous toute la nuit.

 

(*) : Le 128e RI subit une très violente attaque de 5 régiments allemands les 9 et 10 septembre à Maurupt-le-Montois et y perd près de 450 hommes. Le journal du 128e RI mentionne aussi « La ligne française est enfoncée... »

 

Les deux soldats du 128 RI fusillés le 12 sept. 1914 sont :

-BAYARD Alfred, né le 6 mars 1889. Sa fiche matriculaire est accessible en ligne N°282, archives départementales de la Somme, recrutement de Péronne.

-BOULEAU Eugène né le 26 juin 1890. Sa fiche matriculaire N° 647/ Beauvais.

Sur la fiche de Bayard on trouve tous des détails sur les raisons de leur arrestation et de leur condamnation  >>>  ici  <<<.

Dimanche 13 septembre

Départ d’Étrepy à 7h, passons à Heiltz-le-Maurupt en ruines, St Mars, Possesse et Épense, 33km c’est dur ; mais nous marchons de l’avant.

Lundi 14 septembre

Départ 5h

Arrivons à Ste Menehould à 9h ½ du soir (15k).

Quelle marche ! Que de soldats ! (*)

La pluie tombe toute la journée.

Nous retrouvons le 272e qui a eu au combat de Maurupt, 500 soldats hors de combat.

Quelle chance d’être resté avec l’état major.

Je revois avec hâte Lucien et Poret qui ont échappé par miracle à la rafale.

 

Depuis ce matin le canon tonne sans arrêt sur Ste Menehould.

Les Allemands reculent sur toute la ligne, mais que de morts et de dégâts !

Nous apprenons par le dépôt du 72e (**) qui arrive de Morlaix que les boches sont passés à Amiens en demandant 2 millions et que Mr Janit et Mr Cauris ont soldé immédiatement cette rançon.

Quel beau geste.

Vu Cochet, Poret, Buteux Henri. Couchons dans une grande ferme, mélangés avec le 328e. Ne touchons pas de pain, mangeons biscuits du sac.

 

(*) : Le 272e RI doit laisser passer toute la 4e division d’infanterie.

(**) : Le JMO mentionne l’arrivée d’un renfort de 300 hommes.

Mardi 15 septembre

Réveil 4h ½, ne partons qu’à 7h.

Avons le temps de faire cuire la viande de la veille en bifteck seulement manque de pain.

Joseph m’apporte une boule toute chaude qu’il vient d’acheter, quelle veine !

Visitons une cave et en rapportons croyant être du vin quelques litres de rhum et de marc que nous vidons, ça nous réconforte.

La journée est meilleure, la pluie a cessé, les chemins sont encore boueux mais la marche étant très lente nous ne sommes pas trop fatigués.

 

Allons vers Moiremont, les Allemands reculent toujours mais la canonnade est terrible, ils se défendent avec acharnement.

Avançons lentement, il est 3h de l’après midi et sommes encore entre Moiremont et Vienne-le-Château. Trouvons une lettre de boche qui dit à sa femme que les caves françaises sont bien garnies et que le vin est excellent.

Oh les rossards !

 

À 6h, ordre d’aller cantonner à Chaudefontaine à 6km.

Arrivons en pluie et mangeons la soupe à 10h ½.

Mercredi 16 septembre

Réveil 3h ½, avons juste le temps de boire le jus.

Passons à La Neuville-aux-Ponts et faisons halte jusque 3h à quelques kilomètres de là.

Il pleut toujours, les champs sont tout détrempés, la boue nous monte aux genoux.

Le café et le bifteck saignant nous remettent en forme.

 

À 4h, nous nous portons sur la ligne de feu (au-dessus de Vienne-la-Ville), une batterie ennemie nous canarde dans le bois où nous sommes. Il faut voir l’approche des obus dont le sifflement nous prévient, la façon dont nous nous aplatissons. Le mouvement est répété à chaque psst, psst.

Ceci dure une bonne heure aucun des coups n’ai porté, sauf quelques éclats de branches que l’on reçoit de part et d’autre.

Suivons la lisière du bois et nous nous établissons dans des tranchées pour passer la nuit, en face d’un village occupé par les Alboches. (*) Ils doivent être cernés, il faut tenir coûte que coûte en cas d’attaque.

N’avons pas très chaud la nuit, mange le soir pain sec.

 

(*) : Certainement Melzicourt.

Jeudi 17 septembre

Sommes toujours dans les tranchées et la canonnade reprend au jour.

Les cuisiniers vont toucher les distributions, suis nommé caporal d’ordinaire. J’accompagne cette corvée. Nous faisons cuire notre viande par bifteck avec un bâton comme grille.

 

Le soir, la pluie recommence à tomber, sommes complètement mouillés.

La fusillade reprend près de nous vers 8h, on y est guère à son aise, les balles sifflent. Attendons les yeux fouillant l’obscurité, le fusil prêt à faire feu, le doigt sur le pontet.

Au bout d’une heure arrêt ; il parait qu’une compagnie a tiré sur un troupeau de vaches qui se promène dans la plaine.

Il fait très froid notre capote était mouillée. J’oubliais de dire qu’en accompagnant une corvée d’eau à une ferme distante d’un kilomètre un obus nous avait aspergés de ses éclats.

La corvée s’était enfuie comme une nuée de moineaux et j’étais resté seul au milieu du champ. Pourquoi ? Pour l’exemple.

Vendredi 18 septembre

Réveil au jour.

Sommes surpris d’être encore de ce monde, mais gelés complètement.

J’accompagne la corvée de distribution qui se trouve à Vienne la Ville (2k5) quelle trotte et quel barbotage.

Vois mane qui me glisse un morceau de jambon et un quart de café. Au moment de la soupe un déluge d’obus nous fait regagner nos tranchées au pas gym, encore un repas de raté.

Sommes dans l’attente mais pas en sureté. ½ heure après la rafale cesse.

 

Après midi à 5h, départ pour une mission spéciale, la 22e (*) ayant reçu l’ordre d’aller occuper un petit village (**) situé à 1500m en avant de nos tranchées et ayant été obligé de se retirer par suite du feu d’artillerie (7 morts et 7 blessés)

C’est à nous qu’incombe cette occupation. Je vous prie de croire que nous ne sommes pas très fier, un silence de mort plane sur nous. Personne ne dit mot.

Nos chainettes de gamelles et nos baïonnettes sont attachés pour éviter tout bruit, la marche a lieu par un à la nuit tombante, éclairée par les lueurs des maisons qui flambent.

Arrivons à notre emplacement au-dessus du village sans encombre et nous mettons à faire de suite une ligne de tranchées pour tenir debout. Il pleut continuellement, nous sommes pleins de boue et mouillés. Pourtant continuons ce travail jusque 2h du matin.

J’en pleure de fatigue.

Nous installons tant bien que mal dans ces trous jusqu’au jour. Il est probable qu’au réveil on va nous canarder.

 

(*) : Il semblerait qu’Ovide ai changé de compagnie (la 22e), peut-être parce qu’il a été nommé caporal ? Curieux, surtout que le 26 septembre, il est à la 21e compagnie.

(**) : Melzicourt.

 

Extrait du journal du régiment, on y retrouve la prise du village de Melzicourt

 

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Samedi 19 septembre

Rien de nouveau au petit jour, continuons pour nous réchauffer à élargir notre tranchée et faisons trois petits bancs malgré la pluie qui continue à tomber.

L’équipe se compose de Dubrulle, caboche et moi. On nous distribue une boite de singe par homme et 2 biscuits ; heureusement que j’ai encore une boule de pain.

Tous les 2h nous recevons une grêle d’obus qui tombe sur le village.

Passons encore la nuit dans ces terriers, la pluie a un peu cessé, mais nous restons mouillés. Quelle journée ! Tous se plaignent du froid et quoi faire on ne peut sortir sa tête sans risque d’être massacré.

 

Vers le soir, la canonnade cesse et nous couchons avec quelques bottes de paille prises au village.

Vivement le jour. Un petit abri est fait avec nos sacs et nos fusils comme traverses.

Puis on pense à sa femme, à son petit coin de feu.

Dimanche 20 septembre

La pluie a cessé, mais il fait très froid, le matin on nous distribue une goutte d’eau de vie et un biscuit.

Distribution d’obus pendant une bonne heure. Ils tombent tous un peu trop loin.

Beaucoup manque de tabac et de feu et défense absolue de sortir de façon à ne pas se faire repérer. Les briquets se passent de tranchée en tranchée en rampant dans la boue.

Pour aller au cabinet c’est toute une histoire, il faut atteindre toujours en rampant un petit monticule où l’on est un peu à l’abri. Pour uriner on se sert d’une boite de singe comme pot de nuit.

 

Nous n’avons plus de pain et plus de biscuit ; mais par contre j’ai encore dans mon sac 2 boites de conserve et un paquet de tabac, de quoi passer la journée.

Depuis 7 ou 8 jours on n’avance guère et la bataille dure toujours.

A quand la paix.

Je me console car l’appétit est bon. Je plains ceux qui sont malades.

Voilà déjà quelques jours que je n’ai vu Lucien, comment est-il j’en doute. Les lettres sont arrivées, est-ce que j’en ai une ?

 

À 7h ½ du soir, sommes relevés par le 328e quelle bonne aubaine de nous en tirer à si bon compte. Nous allons cantonner à La Neuville-aux-Ponts (10km) la marche est très dure par suite de la nuit noire et rien dans le coco.

Nous couchons après le café à 1h du matin ; mal dormi, fait froid.

Lundi 21 septembre

Réveil 7h

Départ 8h pour la ferme de Venise jusqu’à 3h de l’après-midi.

Rentrons au cantonnement ; nettoyage, nous en avons grand besoin ; bien dormi, ai eu le temps de me préparer un bon plume de paille.

Une lettre de Claire me met du baume au cœur.

Mardi 22 septembre

R. 6h

7h pour les hauteurs de La Neuville. Rentrée au cantonnement à 2h de l’après-midi.

Vu Lucien qu’a mal aux pieds.

Mercredi 23 septembre

R .4h

Contre ordre restons au cantonnement.

Bonnes nouvelles, les Allemands sont renversés du coté de Reims avec des pertes énormes : 6000 Français, 20000 Allemands. De nouveaux canons de marine sont arrivés pour les déloger de leurs retranchements.

 

À 6h, soir prenons la garde au cimetière. Toute la compagnie est de service. Nous sommes tous en ce moment sans tabac, c’est bien embêtant. Ceux qu’en possèdent encore, se servent de journaux comme papier à cigarette.

Jeudi 24 septembre

De garde.

Belle journée. On entend encore au loin le bruit du canon qui ne cesse de tonner. Comme caporal d’ordinaire suis exempt de tout service.

Rapporte café et sucre de la distribution et Brunel, le boucher, de la viande. Sommes bien.

On touche un paquet de tabac fin de 50g pour 4 hommes. Le fourrier m’en donne un entier pour moi ; seulement plus de feuille.

 

À 6h, le 5e bataillon n’étant pas rentré nous restons de garde. Je couche avec Collot dans une petite remise. Dort difficilement.

Vendredi 25 septembre

Réveil au jour, pain grillé dans le jus.

Une bonne femme en lui donnant pain sucre et café vous fait à deux Collot un grand bol de café au lait.

Sommes relevés de garde à 8h. Nettoyage.

Caboche fait une purée de poire que j’asperge de sucre. Quel régal surtout que j’ai bon appétit.

Les nouvelles qui nous sont données sont bonnes, les boches reculent vers le centre et l’aile gauche, sauf chez nous où ils se maintiennent fortement retranchés dans la forêt de l’Argonne.

Au rapport on me change d’escouade. Je passe à la 4e. Quel sale coup ! C’est sans doute le lieutenant Fassié qui veut que je fasse partie de sa section pour le rabiot.

Je quitte Caboche pour retrouver Vasseur.

Samedi 26 septembre

Réveil 5h départ pour Moiremont à 6h ¼ (2km) devons garder les issues du quartier général. (*)

Une journée de pose. Vu Lognos, Yssembourg.

Repart pour La Neuville avant la Cie pour recevoir les distributions ; Vasseur m’accompagne et vient coucher avec moi.

 

(*) : Il s’agit du quartier général du 2e corps d’armée, le JMO indique : « La 21e compagnie assure la garde du poste de commandement du corps d’armée. »

Dimanche 27 septembre

Réveil 5h.

Départ pour la ferme.

 

À 8h, allons faire des tranchées sur une petite côte. Venons marger la soupe à la ferme.

 

Après-midi reste avec les cuisiniers.

Hier une attaque générale de prussiens a eu lieu, ils ont été repoussés sur toute la ligne. Avons fait 1200 prisonniers. Le lien qui les enserre se rétrécit tous les jours. Quand seront-ils définitivement vaincus ? Ces nouvelles ne sont pas officielles, c’est des rapports de cuisines.

Il se trouve parfois une bride de vérité, mais souvent bien rare.

 

Touchons un paquet de 50 pour trois. Rentrée au cantonnement à 7h.

Un bon jus et je me couche avec 7h.

Drôle de dimanche, il ne vaut surement pas ceux que j’ai passé aux séances de courses, avec une bonne partie de manille à la suite.

Lundi 28 septembre

Réveil 4h.

Départ pour les emplacements de la veille.

Rentrée au cantonnement 7h du soir.

Mardi 29 septembre

Réveil 5h, à 6h départ pour Moiremont.

Journée de pose. Vois Buteux Léonide, Bellet qui vont rejoindrent le 72e, Boinet, Rançon, Larivière.

Un aéroplane allemand nous envoie une bombe, pas de blessé.

Rentrée au cantonnement 8h.

Le 272e a été sous la mitraille toute la journée. 1 tué, 7 blessés.

 

(*) : LEROUX Fernand Jean-Baptiste, 28 ans, né le 31 juillet à Sailly-Labourse (62), mort pour la France, tué à l’ennemi le 29 septembre 1914 à Vienne-la-Ville (51)

Mercredi 30 septembre

Réveil 4h.

Départ 5h pour Vienne-la-Ville. Nouvelles tranchées.

La journée parait devoir être assez tranquille. Je me chauffe à l’âtre d’une ferme en faisant un feu de bois toute la journée pendant que l’escouade fait la tranchée.

Pouvons-nous nous croire vraiment civilisés en pensant que tous les jours des hommes s’entretuent à coups de fusils et à coups de canons ?

Nos enfants verront-ils la fin de cette chose absurde qu’est la guerre ?

Peut-être bien puisque nous nous espérions déjà ne plus la voir.

Quels sont ceux qui se mettrons pas à rire, lorsque je leur dirai en rentrant que depuis 9 semaines de guerre, je n’ai pas encore tiré sur un seul boche et pourtant nous avons vu plus d’une fois la mort de près.

Ce n’est que les canons qui nous mitraillent et à cette distance nous ne pouvons ni voir ni tirer.

 

Après m’être reposé toute la journée, voilà que le capitaine me voit au moment du départ et me colle 4 jours de salle de police.

Vlan.

Nous avons eu en face de nous à 100m, 4 artilleurs de blessés et 2 tués, l’obus est tombé au milieu de la tranchée. Je couche le soir au poste de police vers minuit.

 

Octobre 1914

 

Jeudi 1er octobre

1e jour de tranchée.

Réveil 4h.

Allons à nos emplacements de la veille. Toujours sous les obus. Riber m’annonce qu’il est réformé, quel veinard !

 

Je suis morose toute la soirée. Pourquoi ?

Peut-être suis-je un peu égoïste en pensant qu’il va se les rouler pendant qu’Ovide va se faire casser la figure.

Avant d’arriver aux tranchées de Vienne-la-Ville, Melzicourt nous sommes salués par une volée de mitraille. Nous arrivons quand même sans encombre et nous installons à 10h ½ du soir.

Quel lugubre spectacle que de voir la nuit éclater ces obus qui arrivent de tous cotés, on se croirait en enfer. Jamais on ne pourrait croire qu’on va passer au travers de cet enfer.

Nous touchons en passant à Vienne-la-Ville chacun un madrier qui doit nous servir  à arranger nos tranchées. Au bout d’un kilomètre j’en ai mare et je balance mon madrier contre une planche.

La nuit est froide mais je trouve dans la tranchée deux capotes de boches qui nous couvrent.

Vendredi 2 octobre

2e jour de tranchée.

Réveil avec un pied à moitié gelé, la veille j’avais passé dans une mare d’eau.

Fais les cent pas pendant une heure pour me réchauffer. Installons dans notre petite maison un petit foyer avec des braises que je vais chercher dans le bois. Réchauffons avec de la patience notre café.

Le général promet 50f à celui qui ramènera un prisonnier. Quelques patrouilles partent sans résultat.

Vais chercher la soupe à Vienne. Quelle corvée !

 

À 11h soir, attaque. On ferraille pendant une bonne heure.

Samedi 3 octobre

3e jour de tranchée.

Réveil 3h ½.

Encore une heure de fusillade. Matinée travaux de protection avec piquets et fils de fer.

 

À 10h, le temps s’éclaircissant, les ouvriers employés au fil de fer sont canardés. Faut voir comme tout le monde se débine et rentre dans les terriers.

Entre autres Darras qui s’accroche dans un fils de fer et tombe à ne plus savoir s’il doit se relever. Vu Carrouaille qu’est passé adjudant me paie la goutte.

 

5h, corvée de soupe, je me ravitaille convenablement. Nuit tranquille.

Dimanche 4 octobre

4e jour de tranchée.

Réveil au jour. Dans la matinée un obus blesse quelques soldats.

 

Je pense en m’éveillant à la fête de Flixecourt que j’ai passée l’année dernière si bonne avec mon camarade Jacquet. Cette année c’est une toute autre affaire, quelle différence, c’est vrai que ceux qui restent ne penseront guère à fête.

Comme nous sommes relevés ce soir je vais faire une petite lettre à ma chère Claire et lui parler de ce veinard de Bébert. Fais une blague avec la peau d’un sac de boche.

 

À 2h, je pars avec le campement pour La Neuville aux Ponts de façon à toucher les distributions, arrivé à 6h.

Lundi 5 octobre

Comme la Cie ne rentre qu’à 7h du matin j’ai été forcé de passer toute ma nuit à garder les victuailles.

Je fais bonne garde autour du vin et de l’eau de vie, choses visées principalement par les soldats (pas de poire ce jour là).

Mardi 6 octobre

Réveil 5h.

 

À 9h ½ avant que la soupe ne soit mangée nous partons pour La Harazée (10 à 12km)

Notre arrivée est saluée pendant toute la soirée par des nuées d’obus. Quelques blessés parmi la Cie. (*)

Moi je passe à côté ayant été garanti par la porte de la grange.

Nous sommes réellement mal placés. Surement nos tranchées de Melzicourt étaient de beaucoup préférables, malgré que nous étions à 1500m des boches et qu’ici nous nous trouvons à 4k.

Comment allons nous nous réveiller étant logés dans une ferme mitraillée à tout instant.

 

(*) : Lavoye Amédée, Materu Ernest et Debéthune François

Mercredi 7 octobre

La Harazée.

La nuit s’est bien passée ; le bombardement a cessé à la nuit tombante. Partons à 300m de La Harazée dans la forêt de l’Argonne faire des tranchées pour coucher 4 par 4.

Belle journée on peut dormir une paire d’heure. J’accompagne l’après-midi les cuisiniers et me paye un bon bifteck au jus. Les distributions ont lieu à 8h du soir.

Jeudi 8 octobre

La Harazée.

Je me lève à 3h avec les pieds complètement gelés.

Après une ½ heure de promenade je me recouche jusqu’au moment où l’on appelle les cuisiniers, avec quelques bons quarts de jus je suis rétabli ; la journée s’annonce toute de soleil.

Nous arrangeons notre tranchée avec des claies en sapin de façon à empêcher le froid d’entrer la nuit.

 

De bonnes nouvelles nous sont données ; les Allemands sont complètement battus.

Officiel.

A quand la libération ? Nous sommes dans la forêt de l’Argonne.

Quels beaux sites on y trouve. La Harazée est formé de beaucoup de petits chalets habités l’été par de gros bourgeois. Que les promenades doivent être bonnes parmi ces belles allées de sapins, un fusil à la main, car le gibier ne manque pas.

Dans la vallée une source fait entendre son doux murmure.

 

Mais en ce moment quel dévastation, tous ces chalets sont occupés pour la cuisine des soldats.

Tout sert pour faire cette cuisine, chambres, étables, écuries, etc. Les palissades, les barrières, servent à faire du feu. Comme la distribution est touchée assez tard, je couche avec les cuisiniers des officiers sur un matelas.

Quelle bonne nuit. 5 tablettes de chocolat sont données à chaque homme.

Vendredi 9 octobre

La Harazée.

Réveil 4h.

Bon jus. Reste toute la journée avec les cuisiniers.

Le matin j’achète un porc et le débite avec 2 hommes. Mange une première bonne côtelette de porc avec vin blanc, café, eau de vie.

 

Je reviens au jeudi 8, le soir de cette journée j’apprends avec douleur que mon escouade viens d’écoper d’un percutant.

Un tué, caporal Vincent, trois blessés parmi lesquels l’adjudant Rattier (que je reverrai au mois de mars), caporal Neveu (dont j’apprendrai la mort à Meillant au mois de mai 17)

Le brave Vincent qui venait de finir sa soupe en disant :

« Quel bon diner encore un que les prussiens n’auront pas »

 

Et au même moment la fatalité veut qu’un obus qui n’était pas destiné pour eux, se frappe dans un gros chêne et éclate au dessus de la section qui se rassemblait.

Il aura l’honneur ce bon Vincent d’être en terre dans un joli pays et d’être après la guerre visité par bon nombre de promeneurs.

Dors en paix mon cher Vincent, tu es mort au champ d’honneur. D’autres te suivront encore.

 

(*) : Vincent Émile, caporal, 29 ans, né à Paris, le 20 mai 1885, mort pour la France, tué à l’ennemi le 8 octobre 1914 à la Harazée (Marne). Émile VINCENT est inhumé à la nécropole nationale de La Harazée.

Les blessés sont l’adjudant RATTIER Etienne, le caporal NEVEU Gaston et les soldats Soulier Siméon, Hecquet Adrien, Lemaire Fernand, GEnte Carolus

Samedi 10 octobre

La Harazée.

Passe encore la nuit chez Madeleine.

Le matin vais arracher des pommes de terre. Vois le fils à Dauceau, cuisinier du colonel.

Buteux Henri qui vient chercher la soupe. Il m’apprend que Papache est tué, Janite blessé au cou.

 

Quelle joie de rencontrer un ancien ami de pays, je m’en sens le cœur tout joyeux ; par contre les morts jettent sur cette joie un moment de tristesse.

Demain je serai peut-être aussi cité par d’autres camarades, la liste n’est pas encore close. A chaque moment, n’importe où on se trouve nous sommes à la merci d’un obus puisqu’il en arrive à tout instant.

 

Après la distribution de viande, bon bifteck partie de Rhems avec les cuisiniers, interrompue par l’arrivée du capitaine.

Touche tous les jours de 15 à 20 litres d’eau de vie par Cie, ce qui fait un bon bidon par escouade de 15 hommes.

 

Le soir, la partie de Rhems recommence jusque 2h du matin. Il faut vraiment avoir du culot que de s’amuser toute une nuit pendant que la fusillade ne cesse de crépiter.

Eh bien oui, comme nos instants de bonne chère sont rares, profitons-en.

 

À minuit, pendant que l’on faisait les enjeux, un coup de feu éclate dans la rue et un groupe de cavaliers arrive au trot dans la cour.

Thuilliés crie voilà une patrouille d’uhlans. Jamais plus je ne reverrai un spectacle aussi saisissant qui après nous a bien fait rire.

Nous étions tous en bras de chemises, les cartes à la main et au cri poussé par Thuilliés, chacun saute qui sur sa veste, qui sur sa capote, son fusil, ses cartouches, c’est un méli-mélo indescriptible, personne ne retrouve ses affaire.

Heureusement qu’il y a fausse alerte.

C’était des chevaux conduits par le 147e qui au bruit du coup de feu venaient chercher un abri dans la grange. La partie n’en continua pas moins avec entrain.

Encore à signaler dans les tranchées 3 blessés de la 2e section.

Dimanche 11 oct 14

La Harazée.

Réveil à 4h ¾ suis fatigué, j’espère rattraper une heure de sommeil dans la journée.

 

Pars à 8h, en corvée de pommes de terre.

 

À midi, la Cie est mise au repos pour le départ aux tranchées le soir à 6h. Est-ce que je partirai avec eux ?

 

À 5h, soir ordre de partir le lendemain matin. Encore une nuit de bonne qui se passe à faire un rhems avec les cuisiniers des officiers jusqu’à 10h ½.

Lundi 12 oct.

La Harazée

Tranchée. Réveil 3h ½.

Cie rassemblée à 6h. Reste avec le fourrier et les cuisiniers. Quelle veine.

Vois Lucien et Poret avant le départ du régiment et trinquons avec une bonne goutte. Notre travail consiste à veiller sur les cuisiniers et les distributions.

 

À 4h du soir, une corvée composée d’un homme par escouade vient chercher la soupe.

Je dois accompagner cette corvée au retour ainsi que mes cuisiniers. Et bien c’est une sale corvée ; arrivé à ma compagnie qui se trouve à 100m des boches en plein bois la fusillade commence et pendant une demi-heure je dus rester coucher à plat ventre au rideau qui me protégeait attendant que mes cuisiniers aient remis la soupe aux hommes de leur escouade.

 

Las de les attendre (sauf trois qui m’avaient rejoints) je repris le chemin du cantonnement qui fut très pénible à faire par suite de l’obscurité. Une surprise m’attendait au cantonnement, mes cuisiniers étaient rentrés ; ces lascars s’étaient débinés aussi vite que possible sans s’occuper du lieu de rendez-vous.

Cette fois j’ai senti l’odeur de la poudre en plein nez ; on croit qu’après une pareille fusillade il ne doit plus exister de Cie et pourtant pas un blessé ; le tire a lieu d’un côté comme de l’autre sans but.

Un coup de fusil d’une sentinelle peureuse suffit à déclencher une pétarade d’une heure.

Rhems jusqu’à minuit.

 

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Mardi 18 oct.

La Harazée

Mardi 18 oct.

La Harazée

 

Fin

 

Ovide a fait ensuite Verdun. Il est revenu de la guerre.

Il est décédé en mai 1945. Il est titulaire de la croix de guerre.

 

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