Publication :
Janvier 2012
Mise
à jour : Octobre 2024
Prologue
Samuel G. nous dit en janvier 2012 :
« Cher
Monsieur, je vous envoie une très longue lettre que René DAVID a ennoyé à sa
femme en plusieurs envois à l’époque. Cette lettre raconte sa vision du combat
des Éparges en avril 1915. Il était au 25ème bataillon de Chasseurs »
Remerciements
Merci à Samuel pour la lettre.
Merci à pour la recopie à Catherine, Marie-Thérèse, Christophe et Patrick.
Merci à Philippe S. pour les corrections éventuelles et certaines recherches.
Nous avons ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit. Pour une meilleure lecture, j’ai volontairement ajouté des chapitres, sinon le reste est exactement conforme à l’original.
Introduction
René Albert DAVID est né en décembre 1892 à Guyancourt (78). À son incorporation, il déclare être comptable et rejoint le 25ème bataillon de Chasseurs de Saint-Mihiel (55) en octobre 1913. À la déclaration de la guerre, il reste dans cette unité, part au front. Blessé en octobre 1914, retour au 25ème et il passe caporal en février 1915.
Le 25e bataillon de Chasseurs faisait partie de la 40ème division d'infanterie. Il arrive en secteur des Éparges le 22 mars 1915.
Le 26, quelques officiers font une reconnaissance du secteur qu'ils vont occuper :
"Spectacle horrible entre tous ; le sol
est couvert de nombreux cadavres tombés pendant les combats précédents ;
beaucoup sont déchiquetés et déshabillés par le souffle de nombreuses torpilles
qui ne cessent de tomber dans ce coin d’enfer, et les corvées du régiment en
ligne ont des difficultés terribles pour accomplir leur funèbre travail."
"Et cependant, il faut que ce nettoyage soit encore activé pour nos chasseurs, n’aient pas à piétiner ces pauvres corps en morceaux." (Source historique du bataillon).
C'est dans ce contexte que le bataillon va attaquer la butte des Éparges le 27 du même mois. Plus de 100 tués et 144 blessés. René en fait partie et il raconte depuis son lit d’hôpital où il est soigné après sa blessure :
Vals-le-Puys le 21-4-15.
Chère Germaine
« Je commence le récit que je t'ai promis et que je t'enverrais en plusieurs fois, car dans une lettre ce serait un peu trop gros.
Mais voilà, l'infirmière qui vient de m'apporter de l'encre et je vais quitter mon crayon. Je viens de me lever pour la première fois et les jambes sont bien faibles mais ça reviendra vite.
Pendant que j'écrirais cela, le temps me semblera moins long car je m'ennuie beaucoup ici, c'est comme une prison.
Déjà le 26 mars nous arrivions au massif des Éparges dans la nuit.
Trois compagnies étaient désignées pour l'attaque, la mienne restait en renfort avec deux autres compagnies.
Nous nous installons dans un bois, sur une pente, où nous commençons à faire des abris individuels, en prévision de passer la nuit prochaine sur nos emplacements.
Vers deux heures de l'après-midi commence un bombardement terrible c'était notre artillerie qui préparait l'attaque. Les coups étaient si durs qu'on aurait cru une fusillade gigantesque, nous étions complètement sourds par le bruit des canons qui partaient au-dessus de nous.
L'attaque commençait vers trois heures et peu de temps après, nous avions réussi, et le soir vers dix heures on nous dit de nous préparer à partir. On n'avait plus besoin de nous.
On partait en arrière se reposer un peu et se reformer car nous avions perdu pas mal de monde. 8 officiers tués ou blessés et pas mal de chasseurs, mais beaucoup de blessés. (*)
Nous étions contents d'aller en arrière un peu, on verrait sûrement des pays habités où l'on pourrait acheter quelque chose et se payer quelques douceurs. Et puis on verrait des civils, c'était si rare pour nous, des femmes, des enfants.
Dans la nuit nous arrivons dans un charmant petit pays.
Nous étions fatigués, la marche avait été longue mais la fatigue disparut devant la perspective de pouvoir se payer une omelette le lendemain et un bon litre de vin.
On nous loge à grand peine, le pays est déjà occupé (**). Toute la compagnie dans une grange, on couche les uns sur les autres, mais ce n'est pas pour longtemps.
(*) : L'historique l'indique : " Les pertes sont lourdes :
55 tués, 144 blessés, 58 disparus, tous tués en avant de nos tranchées et
identifiés ultérieurement."
(**) : Il s'agit du village de Sommedieue.
L'historique l'indique : " Petit village
encombré par les attelages de l’artillerie en secteur, ce qui le rend
inhabitable pour les troupes à pied "
Le surlendemain, a lieu une cérémonie pour les officiers et chasseurs tombés là-haut.
Le lendemain, qui était le 30 mars, nous repartons dans un autre patelin (Dieue-sur-Meuse), trois kilomètres plus loin.
Nous y sommes bien aussi et nous y restons jusqu'au 4 avril, jour de Pâques. On y fait de l'exercice tous les jours, comme au quartier.
Nous partons d'ici dans la nuit du 4 au 5, par alerte. On va bivouaquer dans les bois et le 6 au matin nous sommes aux mêmes emplacements que le 26 mars. Nous avions l'impression qu'il allait se passer de graves évènements et on ne se trompait pas en effet.
Dans la matinée on se prépare à partir pour aller prendre position pour l'attaque. Nous étions depuis la veille sous une pluie torrentielle, trempés jusqu'aux os. Le sol n'était qu'un lac de boue gluante dont nous étions couverts car ils nous arrivaient souvent de tomber. Il fallait un solide bâton pour marcher et il fallait de grands efforts pour décoller les pieds.
(*) : L'historique l'indique : " Le premier, le commandant s’engage avec sa liaison ; à chaque pas, il
enfonce au-dessous du genou ; les chasseurs plus petits que lui en ont à
mi-cuisse ; tout arrêt est fatal, la boue colle et vous enlise. Il faut donc
marcher vite, très vite, se tirer mutuellement quand des camarades trop faibles
ou trop lourdement chargés manquent de souffle et commencent à enfoncer."
Pour arriver aux boyaux, on appelle ainsi les tranchées de communications, il fallait traverser un endroit découvert d'où on était vu de l'ennemi. Les boches sont comme nous, ils voient clair, peut-être mieux que nous.
Les premiers passèrent sans encombre, mais ça ne dura pas longtemps. Il fallut passer par groupe de cinq, au pas de course et donc ça n'allait pas vite, et les boches se mirent à canarder cet endroit découvert avec acharnement et précision, et en même temps ils envoyèrent des obus de tous calibres en arrière pensant avec juste raison qu'il y avait du monde plein ces bois.
Nous avions déjà pas mal de blessés, mais une compagnie avait passé déjà. Un ordre arrive, un officier fait dire qu'on ne peut pas passer.
Réponse : il fallait passer coûte que coûte. Alors on passe par groupe de cinq.
C'est mon tour de passer bientôt, je suis en tête de notre escouade, je rassemble quatre de mes hommes derrière moi, prêts à bondir.
Le dernier groupe est passé, il a disparu, je cris « en avant » et l'on part dans une course éperdue, nous sommes dans la boue jusqu'aux chevilles et elle nous gicle partout, nous en sommes couvert des pieds à la tête. Ça ne fait rien il faut courir et on fait des bonds incroyables par-dessus des arbres, des branches, des blessés, des morts sans doute, qui sont en travers du chemin encaissé.
Enfin j'arrive au boyau, mais il est encombré, les hommes se pressent à l'entrée.
Ce n'est pas le moment d'hésiter, les balles de shrapnels tombent drus à cet endroit. Un regard à gauche me fait voir des hommes de ma section qui s'enfilent dans un autre boyau plus bas. Je cris :
« 2ème escouade, derrière moi » et je m'élance.
J'arrive sans encombre et je regarde derrière moi. Sur les quatre hommes qui étaient avec moi, il en reste deux, les autres sont blessés. Des hommes de mon escouade arrivent encore, je fais l'appel.
Il en manque deux, ils sont blessés, mais légèrement. Ils sont partis en arrière, ils sont bien heureux et ils ne sauront pas ce que l’on va endurer.
Enfin, on respire à l’aise dans cette tranchée, malheureusement, elle est encombrée aussi.
Les camarades arrivent toujours et ne pouvant avancer, ils se font hacher par les obus à l’entrée du boyau. A force de patience, un sergent arrive à faire avancer un peu, mais le mouvement s’arrête et impossible de savoir ce qu’il y a.
Enfin, on fait serrer par deux, nous avançons d’une cinquantaine de mètres, mais nous sommes serrés comme des sardines en boite.
Là, nous avons de la boue jusqu’aux genoux, mais on ne la sent pas. Nous avons toujours le sac sur le dos, depuis le matin et il est impossible de remuer un pied. Il y a bien trois heures que nous sommes là, les fusils sont comme nous, pleins de boue.
Soudain un mouvement se fait sentir, « on avance » dit quelqu’un ; ce sont des blessés qui essaient de revenir en arrière.
On fait son possible pour les laisser passer. A grande peine, on se déplace un par un, et ils passent. Mais cette manœuvre nous fait avancer de quelques mètres et cette fois, la boue nous vient presque au ventre.
Des ordres viennent de l’arrière. Il faut avancer, mais il n’y a rien à faire, il faut attendre la nuit pour aller en arrière.
La nuit est venue depuis longtemps, nous sommes toujours là ; la soif se fait sentir, la faim, on n’y pense pas. On serait si heureux d’avoir un quart d’eau ! La pluie tombe toujours mais impossible d’en recueillir seulement un demi-quart.
Enfin ! On fait demi-tour ! Voilà dix heures que nous sommes là, dans la boue !
Lentement, nous revenons en arrière ; on nous dit de reprendre nos emplacements du matin. Facile à dire, mais pas du tout à exécuter.
Il fait noir comme dans un four, on n’y voit pas à deux pas. Chacun suit les mouvements de l’autre et on tâche de ne pas se quitter. Mais bientôt commence un vrai supplice. Nous arrivons dans le bois, on se déchire les mains et la figure dans les épines dont le bois est plein. A chaque instant, les pieds glissent et nous voilà à la renverse. On glisse plutôt qu’on ne roule, sur le dos, d’un fossé dans un autre. Impossible de se diriger et de trouver nos gourbis.
Deux hommes de ma section tombent dans des tranchées pleines d’eau, ils allaient se noyer. Je ne pourrais jamais dire comment on est parvenus à les tirer de ces trous. Défense d’allumer une allumette, il ne faut pas de lumière ; d’ailleurs le vent et la pluie font rage et il serait bien impossible d’allumer quoique ce soit.
La suite, à demain
Les lignes
suivantes ont été écrites le lendemain. C’est la raison de ces 4 mots, avec sa
signature (d'une écriture curieusement différente au texte...)
Enfin après bien des avaries nous arrivons à trouver nos gourbis.
Nos recherches ont bien duré deux heures, si ce n’est plus et un gros soupir de satisfaction prouve notre soulagement ; au jour nous aurions mis dix minutes.
Mais nous ne sommes pas encore au bout de nos peines, une déception, vite surmontée nous attend. Une autre compagnie, arrivée avant nous, s’est emparée de nos logements, mais pas la peine de les déranger, car, ceux qui sont dedans sont à l’abri comme nous.
Vois un peu d’ici nos abris : un petit trou dans le talus, avec des branches dessus. Nous n’avons pas eu le temps de les recouvrir le matin et il y pleut comme dehors naturellement.
Moi, encore, j’avais travaillé ferme, j’avais fait une toiture de terre et de mousse et j’étais tout de même un peu à l’abri, mais le matin, un homme avait glissé du talus et était passé au travers du toit ; « Quel soleil ! »
Enfin on fait contre fortune bon cœur, on s’assoit sur son sac, au pied d’un arbre, enveloppé chacun dans sa couverture et on roupille. Certes, ça ne vaut pas mon lit d’aujourd’hui, mais quand on est soldat on dort partout.
A deux heures du matin, réveil, on se prépare à partir, il y avait à peu près deux heures que nous étions là.
Il s’agit d’aller prendre les positions que nous n’avons pas pu prendre la veille. Cette fois, on prend un autre chemin, nous passons près du village des Eparges, dont il ne reste que des ruines.
Après vingt minutes de marche sur la route nous passons à travers champs et nous gagnons bientôt un ruisseau de boue qui est le sentier conduisant au ravin des Éparges.
Nous avons trois cent mètres de boyau à passer, on s’y engage, mais voilà encore la marche arrêtée. Les deux hommes de tête, sergent et caporal, sont enlisés et s’enfoncent d’une façon inquiétante. J’arrive à sortir du boyau, aidé par mes hommes et je m’empresse de passer des branches sur la tranchée, en travers, pour que les autres puissent s’y accrocher. Toujours avec des branches, je réussis à faire remonter quelques hommes qui font remonter les autres à leur tour, et, avec des pelles, on réussit enfin à dégager ceux qui sont enfoncés.
Sur la tranchée, ça va mieux et encore quelques efforts et nous arrivons sur l’autre versant du ravin où d’autres sont rassemblés déjà. On nous dit de se mettre dans les abris, mais ils sont déjà pleins et il faut rester dehors.
A sept heures on nous fait nettoyer les fusils car on va en avoir besoin. On nettoie les organes principaux, il ne faut pas chercher le nettoyage minutieux, et on attend.
Maintenant le canon tonne, ça devient assourdissant, l’éclatement des 75 est terrible au-dessus de nous, car les tranchées boches sont tout près d’ici.
A huit heures, nous entrons dans nos tranchées. Mais bientôt le capitaine nous arrête, les 75 tirent trop court, il faut attendre que les artilleurs allongent le tir.
Alors, on s’accroupit dans les boyaux, les obus ennemis tombent sur nous à profusion, les blessés se relèvent sans mot dire et descendent au plus vite. Les boches nous envoient des torpilles aériennes aussi, sorte d’obus longs d’un mètre trente et de vingt-cinq centimètre de diamètre.
Où ça tombe, tout est pulvérisé, rien ne résiste à l’explosion. Des mottes de terre énormes sont projetées en l’air et font plus de victimes que la torpille elle-même, car on la voit arriver et, dame, on lui laisse la place en vitesse et précipitation.
Mon agent de liaison vient nous dire d’avancer. Alors on avance dans le boyau effondré par les obus, encombré de blessés, de tués, d’outils de toutes sortes et objets nécessaires.
Des biffins s’évertuent à débarrasser tout cela pour notre passage. Ils refont les murs du boyau avec des sacs de terre ou plutôt de boue. On avance au plus vite en baissant la tête, on nous attend.
Enfin nous sommes prêts, il faut sortir de la tranchée. Ce n’est pas chose facile en certains endroits.
« En avant !.........à la baïonnette !........ »
Crie le capitaine, on avance au pas de charge en criant.
C’est un spectacle émouvant. Le capitaine tombe à côté de moi, une balle vient de lui érafler la cuisse, mais ce n’est rien, il repart on dirait un lion en furie.
La gauche avance rapidement tandis que les obus tombent sur nous, on ne voit pas l’ennemi mais on le sent.
Un lieutenant devant moi, avance rapidement, je le suis, mais il faut que je tourne à droite, avec mon escouade, pour suivre ma section. Nous sautons dans la première tranchée boche, sans résistance, car il n’y a que des morts partout. Nous sommes au-dessus du village de Combres et nous dominons toute la vallée, mais nous ne voyons plus notre gauche.
Soudain, une mitrailleuse crache la mort tout près de nous.
C’est la nôtre qui tire vers la gauche. Je veux voir, je remonte sur la tranchée, en arrière et j’aperçois des formes rondes qui s’avancent lentement.
Ce sont des boches qui s’avancent en rampant. Je me mets à genoux dans un trou d’obus, ils ne sont pas rares, ce n’est que cela partout, et je m’exerce au tir sur le dos des boches.
Soudain entendant du bruit, je donne un coup d’œil à gauche et je vois un grand diable avec un sabre, un officier boche sûrement. Je le vois se baisser, ramasser une pierre et la jeter sur les nôtres qui reculaient un peu avec un air de mépris extraordinaire.
J’avais là une belle cible, à 200 mètres et je m’apprêtais à lui faire payer cher son insolence. Je le mets en joue, mais au même instant un obus vient éclater pas bien loin de moi. Un grand coup dans le côté me fait rouler au fond du trou d’obus, en même temps que je vomissais un flot de sang. Je ne ressentais aucune douleur et pourtant le sang me montait à la bouche sans arrêt.
Je me dis :
« Ce coup-là,
mon vieux, t’es foutu ! »
Et je me préparais à prendre une pose de circonstance.
Mais, je réfléchis une seconde, je ne sentais pas de mal, mais je sentais bien mon sang couler dans mon pantalon.
Alors je me mets en devoir de quitter tout ce qui me gêne, musettes, bidon, équipement. J’abandonne tout sans réfléchir et je me sauve à quatre pattes.
J’arrive au poste de secours, mais il est encombré de blessés, les infirmiers sont impuissants à faire tous les pansements.
Il y a là, de mes camarades. Un homme arrive avec un doigt coupé, il ne tient plus que par un peu de chair et de peau. Un camarade, qui avait une balle de shrapnel dans le pied, sur sa demande lui coupe son doigt, avec son couteau.
« Ce sera un souvenir
! » dit-il.
Il met son doigt dans sa poche et il ne parait pas souffrir.
Moi je ne souffrais pas non plus, mon bras gauche commençait à s’engourdir seulement, mais je crachais toujours mon sang. Cela m’inquiétait un peu.
Enfin, vient mon tour d’être pansé, mais il faut me déshabiller, on y arrive, il le faut bien.
L’infirmier coupe ma chemise et ma flanelle en morceaux et il me rassure sur la gravité de la blessure, le projectile n’a fait que passer en biais et ressortit un peu plus bas. Le major du train, où j’étais plus tard, l’a retrouvé dans mon maillot.
Mon pansement fait, ça va mieux et je m’en vais par le chemin où on est passé le matin, c’est dur à marcher mais je ne suis pas chargé et j’ai pris un bâton pour m’aider.
Au poste des Eparges, je trouve un camarade qui avait été retourné par une torpille et nous voilà partis en nous donnant le bras. Il ne faut passer qu’à deux sans quoi les boches nous salueraient encore de leurs obus.
Il y a près de cinq kilomètres à faire et il ne faut pas que je m’arrête sans quoi je ne pourrais plus repartir.
Au premier pays, on nous donne un quart de café qui me fait du bien, et je prends courage, il n’y a plus qu’un kilomètre à faire.
J’arrive à l’ambulance avec un gros soupir de soulagement. C’est l’ambulance du 67e d’infanterie. Je ne pouvais plus me tenir debout, on me colle sur un brancard.
Il faut décliner mon identité et peu de temps après, on me dit de repartir à pied jusqu’à l’ambulance divisionnaire. Je ne pouvais plus bouger, ce n’était pas pour faire quinze cents mètres à pied.
Je demande à voir le médecin-chef, mais on ne va pas le chercher et on m’emmène sur un brancard roulant dans lequel on n’est pas trop mal. On ne voulait pas me transporter parce que j’étais du 25e Chasseurs.
A l’ambulance divisionnaire, on me réglait mon pansement et là on est bien soigné, on y trouve à boire et ça m’a fait plaisir.
Au bout de quelques instants, la fièvre me prend et ma blessure me fait souffrir. Alors je me plains doucement, je crois bien même sans y penser.
L’aumônier qui est là, s’approche de moi et m’invites, sans en avoir l’air, à me préparer à passer dans l’autre monde. Ses réflexions me donnent à penser, je me tâte intérieurement et j’en conclus que je ne suis pas encore en train de passer l’arme à gauche. Là-dessus, je résolus de ne plus geindre et je commençais à m’endormir, heureux de mon sort. Je fus réveillé par les brancardiers qui me transportent dans une automobile où je m’endors encore.
Je suis réveillé une seconde fois mais c’est pour me descendre. Je suis au Rattentout, commune de Dieue. (*)
On m’emmène dans une grange où il y a déjà beaucoup de blessés et même des prisonniers blessés aussi.
(*) : Le Rantintout est Le-Grand-Rattentout à l’entrée de Dieue venant de Sommedieue (déjà ce nom à cette époque).
Blessés de l’hôpital de Vals-près-le-Puy
(43), dont René DAVID
Le lendemain une brave femme enlève mes bandes molletières et mes souliers, elle me change mes chaussures aussi, je me sens déjà beaucoup mieux, car tout cela est plein d’eau et de boue.
Des officiers viennent nous voir et nous donnent de bonnes nouvelles :
« Les Éparges sont à nous ! » disent-ils,
Nous sommes contents.
Je passe encore la nuit, il n’est pas venu de voiture pour blessés couchés, il faut attendre au lendemain.
Mais le lendemain de bonne heure on vient nous chercher, on arrive à la gare et on nous monte en chemin de fer, destination Nice et Orange. Le train part bientôt, mais à Verdun, il faut attendre la nuit pour partir.
Nous arrivons à Neufchâteau le matin au petit jour.
Là, on me descend encore pour refaire mon pansement qui en a besoin.
J’attends mon tour il est vrai, jusqu’au soir, mais aussi je suis bien soigné. De jolies infirmières sont aux petits soins pour nous et ça semble bien bon de se sentir soigner et caresser comme ça par de jolies mains qu’on a pas vu depuis longtemps.
Le lendemain matin à trois heures, un train nous attend, on nous embarque à destination de Montpellier. En cours de route on nous apprend que l’on s’arrête à Moulins, ça ne fait pas bien plaisir mais il faut se résigner.
A Châtillon-sur-Seine, les conscrits de la classe 16 prennent le train pour leur dépôts, ils chantent ils sont joyeux.
On passe la journée dans le train, puis la nuit, on passe par Nevers.
Nous arriverons à Moulins le matin, il fait à peine jour. Là, on ne veut pas de nous, on part pour Saint-Etienne, par Auxerre, Roanne où l’on voit des prisonniers boches casser des cailloux.
De mon brancard, je vois les hautes montagnes couvertes de neige.
Nous arrivons à St Etienne, c’est la vie ouvrière intense, partout des usines, des grandes cheminées qui fument. Mais on a bien faim, des dames de la Croix-Rouge nous apportent un délicieux chocolat au lait et un bon sandwich, du pain de fantaisie c’est épatant.
Nous arrivons au Puy, vers sept heures, de belles automobiles nous attendent et un bon bouillon.
Ceux qui peuvent marcher s’en vont les premiers, mais mon tour arrive, on me place dans une belle limousine avec un camarade ; la voiture part doucement pour éviter les secousses, mais on est là-dedans comme dans un bon lit.
Mais voilà le clou de la fête ; la foule nous attend, à la sortie de la gare, et c’est des acclamations à n’en plus finir et des battements de main à se démancher les poignets.
On dirait une réception du président de la république.
Malheureusement il fait nuit et on ne peut rien voir de la ville. 10 minutes d’auto et nous arrivons à l’hôpital.
Là, avec l’aide d’une infirmière je me glisse dans un bon plumard, dans lequel on ne couche pas avec ses godillots et je m’endors tranquille pour me réveiller le lendemain matin.
Depuis je suis heureux, c’est évident, mais la vie est tellement triste et monotone que je m’ennuie beaucoup.
C’est comme ça ma chère Germaine, que ça se passe à la guerre moderne, il y a des bons moments mais des drôles de quart d’heure. Je ne crois pas que ça dure bien longtemps à présent mais on ne peut pas savoir ce que l’avenir nous réserve, il est encore bien noir.
Je termine mon journal en t’embrassant bien fort. La santé est bonne et j’espère qu’il en est de même pour toi.
Ma blessure va bien aussi, ça suit son cours et je ne crois pas que ce sera long à se refermer. Je pense que tu te portes toujours bien aussi. Je t’envoie tous mes plus doux baisers.
Ton René, 25-4-15
René DAVID est ensuite retourné au combat en octobre 1915. Sergent, puis adjudant en septembre 1916, il est de nouveau grièvement blessé en avril 1917 (fracture maxillaire) à Soupir (Aisne), il sort des soins un an plus tard en avril 1918. Cité 2 fois, il reçoit la croix de guerre (étoile de bronze et étoile de vermeil) et la médaille militaire.
Contacter le propriétaire du carnet René DAVID
Voir sa fiche matriculaire : Page 1 – Page 2 – Page 3
Voir des photos du 25ème Chasseurs
Suivre sur X
(Twitter) la publication en instantané de photos de soldats 14/18
Vers
d’autres témoignages de guerre 14/18