Mise à jour : juin 2019
Joëlle nous dit en 2003 :
« Je
ne sais pas grand-chose de mon GP, je ne l'ai pas beaucoup connu car mes
parents ne le voyaient qu'une fois par an et mon père, décédé la même année que
lui, ne nous parlait jamais de lui. J'ai trouvé sa photo et son carnet de route après sa mort au fin fond de la cave de
son pavillon et qui était destiné à la poubelle. J'ai cherché vainement
d'autres carnets et d'autres photos mais je n'ai rien trouvé. »
« Tout
ce que j'ai appris de sa carrière militaire, c'est en récupérant une partie de
son dossier militaire d’officier au SHAT en 1999 mais la personne qui m'a remis
son "carton" ne m'a autorisé à photocopier que ses états
signalétiques que je vais vous envoyer. Pourtant j'avais prouvé que j'étais
descendante directe. Or il y a dans son
dossier des lettres qui explique comment il est passé de l'armée de terre à
l'armée de l'air et des courriers que j'ai parcouru rapidement et qui m'ont
appris que sa carrière a été "cassée" par un supérieur qui ne
l'aimait pas. »
« D'histoire
familiale, il a obtenu la légion d'honneur car il a sauvé son chef de régiment
qui avait été laissé pour mort sur le champ de bataille. Mais je crois qu'il
doit y avoir des lettres à ce sujet dans son dossier.
Vous
pouvez publier son carnet sur votre site comme vous l'entendez. »
DUMOULINEUF Fernand Charles est né à Neuilly le 16 novembre 1890. Il effectue son service militaire de 1911 à 1913. Il en sort caporal. Rappelé en août 1914 au 76e régiment d’infanterie. Le 76e régiment d’infanterie est mobilisé à Paris et à Coulommiers. Il fait partie du 5e corps d’armée, 10e division d’infanterie, 20 brigade d’infanterie.
Les noms de villages ont été corrigés – J’ai ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit. Lire sa fiche matriculaire.
Arrivés à Longwy par Lexy par ? à la pointe du jour, nous sommes engagés immédiatement.
Cette 1ère rencontre est sérieuse, nous avons au 3ème bataillon les capitaines BERGAZET (12ème compagnie) et FRANÇOIS (11ème compagnie) blessés, l’adjudant-chef HALOUIN est blessé. A la 3ème section de mitrailleuse et dès le début un tireur SERRANT et un chargeur SALMON sont blessés.
Notre section de mitrailleuses fait dans les rangs allemands des ravages terribles, nous les voyons parfaitement tomber mais nous sommes forcés de battre en retraite, nous recevons une avalanche d’obus. Nous nous reformons dans une carrière, nous croyant à l’abri.
Mais aussitôt nous sommes repérés par leur artillerie.
Au même moment atterrit un aéro français qui apporte l’ordre de battre en retraite (nous avons devant nous 7 corps d’armées allemands, renseignement donné par cet avion).
Nous nous replions donc sur Tellancourt par Villers-la-Chèvre. Notre artillerie arrivée sur ces entrefaites soutient notre retraite, mais comme par hasard malheureux, sitôt en batterie, 2 obus boches arrivent juste sur 2 de nos caissons et les font sauter, quels dégâts et quelle vision !
Nous couchons le soir au-dessus de Longuyon vers Tellancourt. Nous nous abritons avec de la paille, couchés, les uns serrés aux autres.
Le matin, un petit incident risible. Nous sentions dans notre sommeil quelque chose nous chatouiller les pieds, puis nous réveillant nous vîmes que c’était une vache qui mangeait la paille dont nous étions couverts, aussi le matin, au réveil une tasse de lait nous fût grand bien.
Dans cette journée les Allemands ne nous ont que très peu poursuivi. Ils avaient dû subir eux aussi des pertes importantes ne leur permettant pas de profiter de leur avantage.
(*) : Le JMO du régiment déclare 428 hommes tués, blessés
et disparus ce 22 août 1914.
Le matin nous arrivons à Vivier(sur Chiers) au-dessus de Longuyon, et nous faisons la grand’halte puis au moment de manger la soupe deux régiments de cavalerie allemands sont juste à temps repérés par notre artillerie et 1 section de mitrailleuses la 2ème et les anéantissent.
A ce point que le lendemain des civils nous apprennent qu’ils ont été obligés de réquisitionner les brouettes pour transporter leurs morts.
Nous passons dans Longuyon après cette affaire-là et à une ambulance j’y vois le fils CRAVAT blessé à l’épaule et à la jambe.
vers le soir, ils bombardaient cette ville.
Notre artillerie les mit encore à mal, mais fût aussi obligée par deux fois de changer de positions nous étions repérés par leurs avions continuellement.
Le soir, nous prenons nos dispositions pour bivouaquer, à l’abri de deux petits bois qui eux se trouvaient en avant d’une ferme, nous couchons dans le jardin. Nous sommes ravitaillés là vers minuit.
Nous trouvons aux environs de Noërs.
Ce fut la journée la plus meurtrière que j’ai connu.
Elle fut à l’honneur du 3ème bataillon qui donna tout sa mesure de courage, ce qui lui valut d’être à l’ordre de l’armée.
La 3ème section de mitrailleuses est en réserve, nous sommes dans un bas-fond derrière une ferme quand tout à coup nous recevons une grêle d’obus --- ?--- plus de 60.
Ils ne nous firent aucun mal, pas un de nous n’est touché, leurs débris tombaient à nos pieds, nous pouvons dire comme des feuilles mortes.
Puis quand nos régiments éprouvés furent partis nous reçûmes (les sections de mitrailleuses) l’ordre de protéger leur retraite. Alors dans un champ battu en tous sens par leurs gros obus nous dûmes prendre position.
Et je puis dire que grâce au sang-froid de notre lieutenant MOSSÉ, nous n’eûmes à enregistrer aucune perte. Notre retraite s’est effectuée par Saint-Laurent-sur-Othain où des ambulances étaient installées.
Nous traversâmes un bois que je crois être celui du Grand Failly. Nous avons fait notre grande halte à Dombras.
Puis le soir, nous passâmes dans les bois de ce pays où nos ambulances sont passées, nous remarquons dessus les traces de balles.
Le lendemain, nous retournons sur le bois du Grand Failly, pour, nous nous dit-on, soutenir une retraite, là nous prenons position en soutien d’artillerie, nous ne sommes pas engagés et nous retournons mettre le bois de Dombas en état de défense. Nous avons de tenir à tout prix.
Nous nous trouvions à ce moment près des Allemands, que nos corvées d’eau voyaient et les entendaient causer.
Enfin le soir, l’ordre nous arrive de nous replier sans coup férir. Nous ne faisons pas de bruit, n’empruntant pas les chemins, mais à traversant les bois, et en ayant soin de ne presque pas remuer les branches, nous allumons des feux aux endroits que nous quittons pour leur faire croire que nous sommes là a faire la soupe.
Direction – Damvillers – où nous arrivons le soir et nous cantonnons dans la gendarmerie.
Nous en repartons le matin à 6 heures.
Nous passons le canal de la Marne au Rhin et la Meuse à Sivry-sur-Meuse. Nous établissons des travaux de défense vers Darnnevoux.
Nous préparons notre cantonnement puis le soir après la soupe nous allons à Cierges où nous couchons, au moment du départ nous entendons une grande détonation ou explosion, se sont les 2 ponts, celui du canal et celui sur la Meuse qui sautent.
Nous nous dirigeons sur Charpentry et Baulny, où nous trouvons le 1er renfort du régiment.
Nous cantonnons dans la 1ère localité et nous repartons après réapprovisionnement de notre section sur Romagne(-s/s-Monfaucon)
Romagne puis nous passons à Fléville puis à Saint-Juvin.
Saint-Juvin où nous cantonnons
Après la grande halte et quelques heures de repos, nous avançons sur Nouart par Imécourt et Bayonville. Là, notre nouveau général, commandant par intérim la 10ème division général ROQUÉ qui fut tué par la suite aux environs de Bar-le-Duc, nous harangue, nous fait comprendre que maintenant reculer serait une lâcheté.
Nous sentons dans sa parole et son regard vif, l’énergie qui nous est nécessaire, nous recommençons à avoir confiance.
En arrivant à Nouart, nous avons une affaire de patrouilles qui tourne à notre avantage, pour ma part, je descends un ????.
Puis dans le pays nous trouvons du pain frais. Quelle aubaine !
Nous mettons un bois en état de défense, et de là, nous avons le plaisir de voir à une distance minima de 3 km, le travail de notre 75, qui fait déguerpir les boches de leurs tranchées établies en face de nous. Nous retournons dans Nouart cantonner ayant gardé quelques heures nos tranchées dans la nuit.
Nous arrivons dès l’aube dans cette ville, immédiatement nous sommes reçus par une grêle d’obus.
Nous nous replions dans la ville, où ça tombe encore plus dur.
A cet instant nous avons dans la 3ème section de mitrailleuses 2 blessés (2 conducteurs, TOURET et LEGUAY).
Le soir venu, nous mettons le cimetière en état de défense, nous commandons deux routes contre toute attaque surprise. Le matin le régiment part et nous oublie quant un chasseur arrive au galop et nous fait donner l’ordre de rejoindre au plus vite, nous risquions de d’être prisonniers.
Nous laissons dans le cimetière 18 caisses à munitions de 300 cartouches chacune. Trois chevaux étant indisponibles par suite de leurs blessures.
Retraite sur Fléville où nous cantonnons, nous sommes avec l’état-major de la brigade. Pas d’engagement.
Là, les boches sont mis à mal, notre mitrailleuse travaille dur, nous sommes pour ainsi dire sans discontinuer de tirer, à tel point que nous usons ce qui nous reste de munitions sur les chevaux.
Nous faisons repérer à notre artillerie une section de mitrailleuses allemandes.
En trois obus, elle est dispersée. Elle était venue se poster à la corne d’un bois vis à vis de nous, mais prenant en enfilade nos lignes de tirailleurs.
Nous passons la nuit dans les bois
Dans cette journée, rien d’important à signaler alternatives d’avances et de reculs dans ces diverses localités, actions de détails et bon arrosage d’obus
Retraite par Varennes et Clermont-en-Argonne sur les Islettes.
Le régiment prend ses préparatifs de défenses, la 3ème section de mitrailleuses et la 12è compagnie vont dans un jardin se poster en embuscade sur la route de Sainte-Menehould, et prennent une patrouille d’hulans commandée par un officier, une vingtaine d’hommes.
Puis dans la nuit du 5 au 6 septembre, nous partons travers bois vers Triaucourt où nous nous battons, là une division de cavalerie soutient notre retraite que nous exécutons sur Vaubécourt. Nous allons commencer à contenir l’offensive de l’armée du Konprintz, puis avoir tenu 24 heures nous nous replions sur Louppy.
Notre grosse artillerie commence a donner dur, ils font du bon travail. Nous nous rabattons encore sur Chardogne, où nous rencontrons du 111ème venant d’Alsace et débarqué à Bar-le-Duc
L’offensive allemande nous semble définitivement enrayée, Bar-le-Duc est sauvé du bombardement. Les obus n’en ont pas tombés bien loin, ils tombaient un peu au-delà de la route de Révigny à Bar-le-Duc.
Nous couchons sur cette route avec le train de combat.
Nous regagnons Louppy-le-Petit où je suis blessé, ainsi que deux camarades de la section de mitrailleuses, un tireur LOISEL, un conducteur DÉCHELLE, le régiment a beaucoup de blessés.
Nous sommes placés dans un bois au-dessus de Chardogne, et un peu en avant de Louppy. Nous sommes près de la ferme dite de la grange aux bois où se tient notre service d’ambulance et le ravitaillement. Nous avons derrière nous, et près d’un ruisseau et presque en bordure de la route de Chardogne une batterie de -- ?-- qui réussit a réduire au silence deux batteries ennemies placées en avant de notre bois.
C’est grâce aux indications d’un maréchal-des-logis d’artillerie, qui monté sur un arbre put relever l’emplacement exact de ces batteries. Nos artilleurs purent le lendemain aller chercher nos caissons, les emmener à Chardogne, nous restons dans ces bois les 9 – 10 – 11 pendant cette dernière nuit.
Nous entendons le sifflement de nos gros obus qui nous passent dessus la tête dont nous avons pu juger les effets sur les villages de Laheycourt, Sommeille qui furent complètement détruits.
Enfin les Allemands reculent précipitamment.
Nous passons dans Laheycourt qui est en ruine où nous voyons encore de nos pauvres camarades carbonisés.
Beaucoup de tombes allemandes, bien distinctes des nôtres par le casque qui les surplombe. Les Allemands ont enterré leurs morts ou tout au moins presque tous, mais pas les nôtres, cette triste besogne est faite par notre génie, et des territoriaux venus de Bar-le-Duc.
C’est le 31-46-89 qui paraissent à cet endroit avoir le plus donné.
Puis nous passons dans la forêt de Belval, où nous trouvons des caissons d’artillerie abandonnés et des obus sur les routes, les chevaux gisent là à coté tués.
Continuant notre route nous passons dans la Marne ce qui nous frappe en parenthèses, puis nous logeons à Charmontois après avoir contourné presque un grand lac (*) que nous prenions dans notre ignorance pour la Marne.
(*) : Ce sont les étangs de Belval.
Je suis évacué à Senard.
Là nous faisons trois prisonniers, qui ma foi n’avaient pas l’ai mécontent d’en être quittés à si bon compte.
C’est là qu’une brave femme, vint nous apporter des œufs, elle me fit loger chez elle, et me racontât comment la nuit précédente, elle avait couché un général prussien et quelques autres officiers, et leur fuite précipitée au milieu de la nuit. Ces jobards lui avaient dit que maintenant elle pouvait se considérer allemande et que dans dix jours, ils seraient devant Paris.
Il lui fut facile de juger de leur défaite, quand ils furent obligés de décamper, la rage au cœur ils lui démolirent sa pendule.
Oh Ironie !
Pour moi, ce fut la fin du 1er acte.
Quelques
noms de soldats (?) écrit de sa main. Cliquer sur la photo pour agrandir
Fin des écrits
Fernand DUMOULINNEUF devient sergent en décembre 1914, puis passe au 19e régiment d’infanterie en avril 1915. Il est promu sous-lieutenant en avril 1917 et y reste jusqu’à la fin de la guerre. Grièvement blessé en mars 1918. Légion d’Honneur en août 1918.
Engagé dans l’armée de l’air, il finira lieutenant et affecté à l’entrepôt de l’armée de l’air à Romorantin jusqu’en 1937.
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