Mise
à jour : août 2014
« Je
détiens un album photos (environ 600) et des carnets de souvenirs, ce sont des souvenirs de guerre de mon
grand-père Daniel Durand. Les
textes des carnets ont étés transcrits tels quels, sans corrections. Les mots
illisibles ont étés remplacés par des blancs. Les légendes des photos sont
celles de mon grand-père.
Malheureusement,
pour les textes, il manque certains carnets.
J’ai choisi de
présenter les photos, toutes les photos, même celles difficilement lisibles,
dans l’ordre voulu par mon grand-père et avec les mêmes titres et sous-titres.
Je n’ai pas
voulu mélanger photos et textes des carnets pour retrouver l’ordre de ce qui
m’a été transmis et sans vouloir changer quoi que ce soit.
Ces pages sont
dédiées à la mémoire de mes grands-pères et à celle de tous les combattants de
tous les pays qui ont eu à souffrir pendant plus de quatre ans. »
Christian
Durand, 2014
Le sommaire ne fait pas
partie du carnet, il a été rajouté volontairement pour une meilleure navigation
Ø L’année 1914 : Au 301e RI, Verdun, Les Éparges, Mouilly, Rupt-en-Woëvre
Ø L’année 1915 : Mouilly, Rupt-en-Woëvre
ü juin 1915 : Passage au 315e RI
Ø L’année 1917 : Aisne, Ostel, Soupir
ü décembre : Passage au 369e RI
Ø L’année 1918 : Berry-au-bac, fort de la Pompelle
ü avril 1918 : Somme, Pas de Calais
Départ
de la gare de Villiers – Neauphle
Photo prise par Daniel
du départ. Cliquez sur la photo pour agrandir.
Voir l’album de photos quand il était au 301e RI
Nous
arrivons de Bar-le-Duc après 48 h de voyage ininterrompu. Après 6 semaines
passées tranquillement à Saint-Cloud et à Dreux, on nous a enfin
annoncé jeudi dernier notre prochain
Départ.
Cette
nouvelle m’a fait plutôt plaisir puisqu’elle était inévitable et puis je dois
aller retrouver Marcel (*) et c’est le principal.
Donc
départ jeudi à 12 h, on passe par Orléans,
Bourges, Nevers, Commercy et nous arrivons à Bar-le-Duc
à 11 h, nous y restons 3 h et de là nous entendons le canon, cela devient
intéressant.
Je
vois aussi le 1er prussien, c’est un blessé que l’on amène en auto. Un civil
nous lit les nouvelles, l’ennemi recule sur toute la ligne, c’est plus
encourageant de partir comme ça.
Nous
allons cantonner à Rumont, village à 15 km, le
sac est rudement lourd, enfin j’espère m’y habituer.
Le lendemain matin, nous nous remettons en marche à 1 h, nous retrouvons le 301ème à 10 h.
Hélas
mon cher Marcel
n’est pas là, il a été grièvement blessé
le lundi précédent à la fin d’une rude journée. (**)
Avec
une vingtaine d’hommes, ils avaient tenu après tous les autres, adieu mon bel
enthousiasme ! Pourtant Lebris
l’a vu emporté par les brancardiers et il lui a causé, je ne veux donc pas
désespérer.
À
la suite du 301ème, nous nous mettons en marche, (la dite marche) est affreuse,
nous traversons des villages dont il ne reste absolument que les murs,
certaines maisons fument encore, mais rien ne subsiste.
Les
cadavres jonchent le sol, le 1er que nous voyons est un uhlan près de son
cheval, puis partout nous en voyons à la sortie d’un bois, il y a eu sans doute
charge à la baïonnette car Français et Allemands sont couchés côte à côte, plus
loin c’est encore plus atroce car les Allemands qui avançaient ont enterré
leurs morts et l’on ne voit plus que les nôtres qui sont tombés là depuis une
dizaine de jours et sont devenus tout noirs. (***)
C’est
sous une pluie ininterrompue que nous assistons à ce spectacle terrible. Pour
moi je n’en vois que peu de choses, car mon tourment personnel de mon frère
absent occupe mon esprit.
Dans
les derniers villages, les Allemands n’ont fait que passer et l’on retrouve
partout des tas de fusils et de cartouches abandonnés. Près d’un bois nous
trouvons encore de cadavres de Marsouins, dont un capitaine.
Nous
arrivons à 6 h à Souilly ou nous cantonnons.
(*) : Il s’agit de son frère.
(***) : Le journal du régiment (JMO) signale l’arrivée de renforts :
environ 500 hommes. Daniel DURAND en faisait donc partie.
(***) : Son frère a été blessé au combat de la
Vaux-Marie le lundi 7 septembre avec le 301e RI qui y a perdu, ce jour-là, 664
hommes tués, blessés et disparus.
(****) : Certainement dans le secteur de
Rembercourt-aux-Pots, le 301e RI y passe le 14 septembre.
En
route à 5 h, rien d’extraordinaire dans la journée, nous marchons et arrivons à
4 h au bord de la Meuse dans un faubourg de Verdun. Le site est
pittoresque et je me lessive dans la Meuse.
Au
loin nous entendons tonner les forts.
Notre
compagnie qui était cantonnée à part est relevée en retard. Je suis absolument
fourbu et m’en vais en arrière avec Laignault
et Lalbe. Heureusement des
voitures nous aident à faire un bout de chemin et nous rejoignons les autres
qui sont arrêtés sur un petit plateau.
À 11 h, les canons des forts se mettent à tonner autour de nous, de grosses
pièces bombardent un convoi paraît-il. Comme elles sont à une centaine de
mètres, cela fait un potin terrible. Quant à nous nous attendons, peut être
tout à l’heure nous allons marcher au feu.
Quelle
déveine d’être aussi mal fichu, depuis ce matin, je n’ai pas pu avaler une
bouchée de pain et je ne tiens plus sur mes jambes.
La
journée se passe sans incident.
À 6 h, on sert la soupe et nous redescendons rejoindre nos cantonnements à Belville ou nous arrivons à 11 h.
Réveil à 3 h et nous remontons à notre poste d’hier.
Malheureusement
à 11 h la pluie se met à tomber, on confectionne des abris de paille, mais malgré
tout on est trempé. Le canon gronde toujours autour de nous, des avions partent
en reconnaissance et l’on voit éclater au loin des obus qui leur sont destinés.
Vers le soir, le canon fait tout à fait rage et d’une ferme
voisine ou j’ai été m’abriter, on voit la flamme des coups qui partent, on
entend un roulement ininterrompu.
Les
Allemands sont paraît-il cernés sur la Meuse et tous les soldats croient à une
fin prochaine de la guerre, espérons qu’ils ne seront pas déçus.
À 7 h, nous allons coucher au village voisin de Fleury.
La
pluie tombe toujours et nous sommes trempés, aussi personne n’a le courage de
faire la soupe et l’on se fourre bien vite dans les granges qui nous sont
destinées.
Réveil
à 5 h
Nous
retournons occuper notre même emplacement, mais à peine arrivé on nous fait
revenir à Fleury. Nous allons pouvoir nous reprendre quelques heures.
Un
camarade a déniché un grenier, nous en avons pris possession à 4 et nous avons
pu déjeuner sur une table qui se trouvait là. On a même mis un drap en guise de
nappe, quel luxe ! On a même trouvé un bocal de cassis et je crois qu’il sera
vide avant ce soir.
Malgré
des bruits de départ en avant-poste, la journée se passe tranquillement.
Toujours
le canon tonne.
Réveil à 3 h mais c’est une fausse alerte, on
prend en vitesse bouillon et café et l’on se recouche jusqu'à 6 h. rien de
nouveau dans la matinée et à 11 h,
on redescend à Belville, mais on est cantonné
à l’entrée, aussi j’en profite pour aller faire un tour à Verdun.
Départ
à 6 h et toujours pataugeant dans la
boue, nous nous acheminons sur la route. On s’arrête à Haudiomont. Que
tous ces petits pays sont tristes, nous sommes maintenant dans la Wöevre,
centre d’opération de notre armée, pourtant le canon tonne, mais est-ce parce
que c’est dimanche.
Je
fais un tour dans le pays et vais faire une visite à la petite église.
Repos
ce matin, j’en profite pour faire une petite lessive. Après une nouvelle visite
à l’église qui me plait beaucoup, je monte sur une colline qui domine le
village. On y jouit d’un superbe point de vue avec le village couché en bas
puis derrière une assez vaste plaine d’autres collines fermant l’horizon.
Pourquoi
faut-il qu’il y ait ce canon qui gronde sans relâche, il m’a même semblé tout à
l’heure une vive fusillade.
Devant
moi entre deux collines sort une épaisse fumée, sans doute un village qui
brûle. Quelle atroce chose !
Partis
à 12 h, pour reprendre les
avant-postes, un contrordre arrive, on revient sur nos pas et partant dans une
autre direction, nous allons, paraît-il attaquer le village des Éparges.
Nous retraversons Haudiomont, après une ou deux heures de marche, on
nous fait approvisionner.
Bientôt
le soir arrive, nous gravissons une
colline après deux poses dans les champs, nous rentrons dans le bois qui garnie
la crête, il fait maintenant tout à fait nuit, une nuit superbe avec un ciel
plein d’étoiles.
Nous
nous arrêtons à une centaine de mètres de la lisière et bientôt nous commençons
à nous assoupir. Nous dominons sans doute le village, car un chien hurle sans
arrêt.
Bientôt
une vive fusillade éclate aux avant-postes, dans le calme de la nuit, les coups
résonnent entre les collines et je ne peux me défendre d’une certaine émotion.
Nos
chefs donnent quelques ordres, allons-nous partir ?
Non,
le moment n’est pas venu, la fusillade éclate encore, mais nous restons à nos
places et couchés dans l’herbe mouillée, serrés les uns contre les autres pour
résister au froid, on s’endort d’un sommeil souvent interrompu.
Vers 5 h, la fusillade recommence. Le capitaine commandant le
bataillon vient donner des ordres pour l’attaque, l’ennemi occupe des crêtes en
face des nôtres. Pour échapper à sa vue, nous faisons un détour dans le bois de
notre colline pour aller occuper nos positions.
Quelle
belle matinée le soleil se jouant à travers les pins donne un aspect charmant
au sous-bois.
Au
sommet de la colline, le spectacle est féerique. Nous redescendons couper le
pied de la colline voisine et nous attendons. La canonnade fait rage partout.
Surtout de nos batteries qui doivent préparer l’attaque.
Vers 11 h, pourtant l’infanterie s’engage, et l’on entend
crépiter sans arrêt les mitrailleuses allemandes. Les gros obus allemands
passent au-dessus de nos têtes, on entend leur ronflement.
Vient
alors notre tour de partir, nous nous défilons derrière des buissons, quelques
balles passent. Après avoir passé une petite rivière, comme toute l’escouade
défile tranquillement, une rafale de balles nous arrive, c’est le baptême du
feu, on entend siffler nos oreilles les fameuses guêpes dont nous ont parlé les
anciens (*).
Mais
par bonheur personne n’est atteint. Nous nous couchons bien vite derrière un
buisson.
Ma
fois cela n’a rien de bien émotionnant.
Mais
on ne peut continuer l’attaque, l’ennemi fortement retranché sur ces crêtes est
inexpugnable, et l’on vient nous prévenir de nous replier, il est en effet
impossible de chasser un ennemi invisible qui mitraille sans cesse. Le pauvre
caporal (**) qui est venu nous prévenir tombe cinquante mètres plus
loin pour ne plus se relever.
Toutes
les compagnies engagées reviennent sous le feu des mitrailleuses et l’on se
réunit sur une route adossée à un remblai. Nos 75 font toujours rage sur les
positions allemandes, mais je ne sais si elles peuvent les atteindre.
5 h, le calme revient.
Partout
des tirs allemands viennent encore éclater pas loin de nous, par précaution je
remets mon sac.
Part
une corvée d’eau, qu’allons-nous faire ? Depuis hier soir nous n’avons plus de
pain et l'on ronge nos biscuits avec nos boîtes de singe.
Nous
remontons sur le talus, nous allons prendre quelques bottes de paille mouillée
et nous nous installons là pour la nuit. Ce n’est guère rassurant car l’ennemi
est tout près.
La nuit est tout à fait venue et l’on vient chercher des hommes pour toucher
l’ordinaire.
Qu’il
fait froid, avec LALBE et LAIGNEAULT on se sert les uns contre les autres.
(*) : Les balles font un bruit caractéristique de
vol d’abeille
(**) : Il s’agit de FORESTIER Carolus, le seul
caporal tué ce jours-là
Vers 4 h, je me mets debout, j’ai trop froid aux pieds. La
nuit a été à peu près calme, à part quelques obus dans le lointain. Les hommes
d’ordinaire reviennent à vide, le convoi n’est pas venu. La popote a sans doute
eu peur de la canonnade, encore une journée sans pain, je commence à avoir
sérieusement faim. J’ai encore deux biscuits, je les partage avec les camarades
pour manger un pot de confiture et une boîte de singe.
Nous
restons sans rien faire sur notre emplacement, et ceux qui s’éloignent sur la
pente en face de nous sont salués par les mitrailleuses, des avions allemands
passent sur nos têtes, sur qui nos avions tirent sans résultat.
Du
petit-bois en face, nous débouche vers 3
h une section d’infanterie.
Les
Allemands les ont vus, car une giclée de balles accueille leur descente et
comme ils sont juste en face de nous, on entend siffler les balles au-dessus de
nos têtes, vite on se colle au talus. Est-ce que cela aurait indiqué notre
emplacement aux batteries ennemies.
Quelques
instants après une rafale de gros obus allemands vient
tomber autour de nous, soulevant des nuages de terre, nous recevons même des
éclaboussures, cela devient pas rassurant du tout, et nous allons nous coller
derrière le petit bois ou nous avons l’impression d’être mieux abrité.
De
temps en temps des rafales nous arrivent et l’on se blottit derrière son sac,
l’idée du petit bois ne valait rien car un obus vient tomber à quatre mètres de
nous. Collé derrière mon sac, je le vois tomber à terre au milieu d’une gerbe
de feu.
Quelle
émotion, on a le temps de penser aux éclats qui vont nous arriver, mais non on
ne reçoit que de la terre. Je ne me rappelle pas avoir entendu le coup ou
ressenti la commotion, c’est égal, il était temps vite on se sauve dans un
autre coin. Les renforts arrivent.
On
doit paraît-il attaquer cette nuit ; la soirée se termine par des rafales
allemandes ou françaises.
Il
faut vraiment que les Allemands soient bien retranchés car quand nos 75 se
mettent à cracher, ils doivent recevoir quelque chose. La corvée d’ordinaire
part au ravitaillement toujours saluée aux passages dangereux par les
mitrailleuses.
La nuit vient, on s’endort à 9 h, on nous réveille, nous allons
marcher en avant, perspective peu engageante. Comme les Allemands sont sur la
crête derrière la nôtre, par section on escalade la colline où nous sommes
adossés.
Arrivés
en haut, on se déploie en tirailleur et l’on commence à redescendre.
Il fait une nuit noire et comme il y a des talus garnis d’épine à descendre,
on culbute là-dedans les uns sur les autres.
Bientôt
la fusillade éclate, quelle averse !
Les
balles sifflent, on se protège comme on peut avec son sac, placés à la gauche
avec Laigneault et Bailly nous nous trouvons isolés notre
section est disparue, on se jette derrière un fossé serrés l’un sur l’autre, on
attend la balle possible, mais non rien pour nous.
La
fusillade s’arrête, on entend causer notre lieutenant qui est avec la section
dans une tranchée en face. Puis arrive un ordre par derrière, il faut rentrer.
Cela est vite fait, notre lieutenant nous attend sur l’autre versant.
Le
Lt :
« Pas de bobo chez vous, restez à vos
emplacements ! »
C’est
un vrai soulagement de se retrouver derrière notre talus. Ce n’est pas très
brave, mais c’était de la folie de nous lancer sur une position pareille.
La
corvée d’ordinaire vient de rentrer, on se jette sur nos morceaux de pain,
c’est qu’il y avait longtemps qu’on en avait pas eu, on boit aussi avec plaisir
un peu d’eau-de-vie et l’on se rendort. Toujours pas de résultat
Nous
avons ordre de nous porter au point du jour en avant, mais le capitaine
commandant le bataillon s’y est refusé, déjà hier soir paraît-il il pleurait de
nous savoir partis croyant ne plus nous revoir. Les cuisiniers partent faire le
café dans le petit moulin en bas et nous l’apporte chaud, quel délice.
Ils
vont aussi nous y faire la cuisine, mais arrive un ordre, il faut partir, nous
allons rejoindre le 104 qui est sous-bois à la gauche de l’ennemi. Nous nous
faufilons sous-bois et nous nous arrêtons dans un chemin creux. Nous croyons
être là pour un moment et l’on pioche un peu le talus. Un capitaine du 104 arrive
:
« Il ne faut pas rester
là »
Nous
sommes dans leur secteur et du reste nous sommes dépistés par l’artillerie
allemande et notre position est tout à fait dangereuse.
En
effet bientôt les obus arrivent et l’on commence à se sauver, quelle
fuite !
Les
Allemands commandent le chemin que l’on doit suivre et nous criblent d’obus. A
chaque rafale que l’on entend venir, on s’affale et l’on repart en courant
essoufflés, éreintés enfin on gagne un talus puis après le nôtre, l’on commence
à respirer.
L’on
reprend nos emplacements, là on est à peu près en sûreté et nous voilà encore
sauvés un coup. Il n’y a que l’adjudant de blessé au bras. Les cuisiniers sont
là avec la viande, ils l’ont aussi échappé belle car on a bombardé le moulin.
Quand on est un peu remis on boulotte, j’avais sérieusement faim. Quand donc
sortirons-nous de cette situation ?
L’après-midi et la soirée se passent dans le calme, du moins pour nous qui
restons à notre place.
Nous
commençons à connaître le paysage, c’est vrai qu'il est joli par ce beau temps
au coucher du soleil.
Vers 10 h, comme tous les cuisiniers sont dans le moulin un
obus arrive au milieu d’eux, en tuant deux et en blessant six.
Les
nôtres en sont quitte pour la peur, il devient sérieusement dangereux le
moulin, on ne quitte pas nos places de la journée, on reçoit toujours des
salves, mais on y est habitué. Comme on n’a pas encore touché de pain, les
cuisiniers essayent d’en faire au moulin mais les obus les empêchent de le
finir, on peut néanmoins faire cuire des prunes, des correctes qui abondent
dans la région.
Je
vais le soir à la corvée
d’ordinaire, on part à la nuit et l’on retrouve dans un bois Laporte et
le courrier, il est question d’une attaque de nuit, perspective peu engageante
pour le retour.
La
distribution s’est terminée à 1 h 30
et l’on se repose deux heures dans un village voisin.
À 4 h, on rentre dans nos emplacements, il n’y a rien eu cette nuit mais on
prépare quelque chose pour la journée. Les deux lieutenants sont venus chercher
asile sous la feuillée que nous avons construite et l’attaque ne leur sourit
pas plus qu’a nous.
La
grêle d’obus est aujourd’hui plus intense, heureusement qu’il ne nous fait pas
grand mal. Un ordre arrive nous devons cette nuit aller occuper les tranchées
puis il y a contre-ordre.
Tant
mieux.
Dans la soirée, le village des Éparges est enflammé. On
entend mugir et bêler les animaux affolés. Pourtant on se couche tranquille,
dans l’après-midi, on a réaménagé notre abris et cela nous eût bien ennuyé de
ne pas y passer la nuit.
Pourtant
une alerte nous dormions tranquillement complètement déséquipé quand un soldat
passe en courant :
« vite debout baïonnette
au canon »
Réveil
désagréable on se lève, on s’équipe comme on peut dans l’ombre et l’on attend.
Un
lieutenant du 102 a paraît-il entendu dire « halt »
en allemand dans le bois voisin. Pourtant silence complet, dix minutes, un
quart d’heure rien, on envoie une patrouille dans les tranchées au-dessus de
nous, les soldats y dorment tranquillement.
C’est
une fausse alerte et l’on se recouche. Une attaque allemande nous paraissait à
tous bien inenvisageable, pourtant on a eu un moment d’émotion.
C’est
calme ce matin, 5 h leur heure
habituelle, les Allemands ne nous envoient pas leur arrosage habituel. Ils ont
dû déjà évacuer leur première tranchée.
À
l’armée ce matin, un ordre du jour
du général Joffre.
La
grande bataille s’est engagée dans des conditions favorables, je compte sur le courage
de tous pour déloger les Allemands de leurs lignes. Ces paroles nous laissant
espérer une fin prochaine de la guerre. Je descends aujourd’hui au moulin aider
à la cuisine et fais une compote maison de prunes pour faire d’excellentes
marmelades.
On
a fait enterrement ce matin notre caporal tué mardi et un soldat tué
aujourd’hui (*), j’ai garni leur tombe de fleurs, je fais une prière.
Chez
le meunier, je trouve une lettre de son fils sans doute, lettre touchante de
patriotisme.
Dire
que l’on voulait arrêter cet homme soupçonné d’espionnage. Du reste les soldats
ont tout saccagé chez lui.
On
apprend que le génie installe de grosses pièces pour démolir les retranchements
allemands, c’est heureux.
Cette
nuit nous devons être relevé pour cantonner dans un village, aussi peut être,
ne serons-nous plus en première ligne car depuis là nous sommes à 900 m des
Allemands.
La
canonnade a tout de même repris vers 2 h,
neuf chevaux ont été tués, actuellement les boulets perforent toujours le talus
en face nous. Je vais encore le soir faire cuire des prunes et nous faisons un
excellent dîner.
Comme
nous venons de terminer, une compagnie du 309 vient pour nous relever, nous
restons sur la route et nous apprenons qu’au lieu d’aller au village, nous
allons à Trésauvaux, patelin tout près à notre droite et que nous
coucherons dans des tranchées, nous y arrivons bientôt, la soi-disant tranchée
est un léger talus de 50 m au bord de la route derrière le bois où nous avons
été bombardés. L’ennemi est tout proche aussi ne faut-il pas faire de bruit.
On
poste des sentinelles, à 16 h mon tour vient. J’y étais depuis une demi-heure
quand des clameurs éclatent devant moi dans le camp allemand, puis bientôt la
fusillade ; notre sous-lieutenant commande « baïonnette au canon prêt à bondir
», j’attends.
On
vient me relever, je me recouche comme tout le monde. La fusillade et les
clameurs reviennent par intervalle, ont-ils eu une attaque ou veulent-ils nous
effrayer ?
Je
dors tout de même et bien que peu couvert je n’ai pas trop froid.
(*) :
Il s’agit de FRANCOIS Georges Eugène, le seul soldat tué le 27 septembre. Sa
fiche indique :
« Décédé par suite de blessures de
guerre le 27 septembre 1914 aux Éparges. Il était né à Sorel-Moussel (Eure et Loir) »
Couchés
près de notre talus nous ne pouvons plus faire de feux ouvertement car aussitôt
au-dessus du talus nous sommes en vue des lignes allemandes, leur artillerie
est peut-être à 1500 m derrière nous, aussi ne faut-il pas laisser soupçonner
notre présence si près.
Quand
on a besoin de se déplacer, il faut ramper pour atteindre un coin à l’abri sur
les côtés. Ne pouvant pas bouger, on sommeille jusqu'à près de midi.
On
mange nos viandes froides, arrêtés nos bons repas !
De
temps en temps la fusillade canarde moins intense et rien de notre côté. C’est
égal, ce n’est pas ce que nous espérions hier. Nous avons eu l’explication des
hurlements de la nuit dernière un parti allemand a attaqué le village de Fresne
et le 117ème l’a évacué pour le réoccuper du reste le matin.
Une
patrouille allemande a eu aussi l’audace de venir aux Éparges et de tuer
deux hommes de corvée d’ordinaire du 102ème. Vraiment on ne se garde pas
suffisamment, le lieutenant Fouquet
nous fait aller coucher dans la remise en face nous en laissant une escouade de
garde et en faisant des patrouilles.
Nous
touchons un litre de vin, de bouillon et de café, quel délice.
On
s’endort, mais à 2 h on est réveillé,
il faut retourner aux tranchées, on s’attend à une attaque. Baïonnettes au
canon, on se blottit derrière la haie mais bien qu’un patrouilleur de la 23ème
vienne nous dire qu’une troupe rampe à 100 m, rien, notre attente est vaine.
On
se rendort, le matin vers 10 h,
regardant derrière moi j’aperçois deux uhlans qui se dirigent vers nous, je
préviens, on les laisse venir mais un maladroit tire trop tôt et on les manque.
Ils
se sauvent.
L’après-midi se poursuit aussi insipide, quel supplice que de ne
pas pouvoir bouger.
Le
bœuf bouilli que seul on peut manger est horriblement sec.
À 8 h ½ du soir, une bonne surprise, le 104 vient nous relever, nous
nous en allons aux Mesnils. Notre grenier n’est pas fameux, mais on
s’est tout de même un peu éloigné et ce n’est pas un malheur.
Nous
restons aux Mesnils ou nous nous faisons des barricades et des travaux
de défense.
La
compagnie va occuper des tranchées tous les deux jours, mais je suis malade et
je reste au cantonnement.
La
compagnie est partie ce matin dans les tranchées mais encore malade, je suis
resté. J’ai été à la visite, mais pourtant je suis mieux je suis surtout sans
force à cause de mes quatre jours de jeûne et puis je suis presque désespéré.
J’ai
reçu ce matin une 2ème lettre de mon père datée du 24, il ne sait rien de
Marcel, il a été aux renseignements, on lui a dit qu’il n’était ni blessé ni
disparu, pourtant il n’est plus là, alors j’ai eu une peur atroce et j’ai
pleuré toute la matinée.
J’ai
été prier dans la petite église, mais cela ne m’a pas
apporté de consolation. S’il fallait que le malheur soit arrivé que deviendraient mes pauvres parents et sa femme. C’est atroce
et ne peut pas encore y croire.
Les
opérations n’avancent guère ici quelques coups de canon dans le village et
c’est tout. Auxquels répondent de temps en temps les 75 placés derrière.
Je
suis un peu mieux et recommence à manger de meilleur appétit.
Si
mon cher Marcel était là ! La compagnie est rentrée des tranchées.
Vers 12 h, le 5ème bataillon s’étant déplacé a provoqué un
véritable bombardement du Mesnils. Les obus pleuvent dans le village, on
s’équipe et l’on n’est qu’à moitié rassuré, il en arrive un derrière notre
maison qui fait tout trembler.
Des
maisons sont éventrées et brûlent, des femmes pleurent. Un camarade de notre
compagnie est tué dans un couloir, il y a sûrement d’autres blessés, il en
arrive deux du 5ème bataillon, un la figure en sang, l’autre avec un
éclat dans la cuisse.
Je
ne sais pas si nous pourrons rester longtemps dans ce village, dommage nous y
étions bien je suis là dans une chambre et sans toutefois me déshabiller, je
couchais depuis deux nuits dans un lit puisque malade, je restais au
cantonnement, les camarades ont du reste étés très gentils avec moi.
Ce soir, on prépare un bon repas avec des poules et des
boites de petits pois trouvés dans la cave.
Je
viens d’aller voir l’incendie qui dévore tout un paquet de maison. En revenant
je suis entré à l’église prier pour mes parents.
Je
suis ensuite allé à l'enterrement de notre camarade qui vient d'être tué. Un
petit cortège s’est formé dans la rue et comme fond à ce triste tableau, les
maisons qui brûlent. On a enseveli le malheureux dans le petit cimetière près
de l'église, un caporal-brancardier dit l’office des morts et l’on entend à
côté l’incendie qui crépite.
Que
c’est triste, beaucoup de soldats pleurent. Et quand on descend le corps un pan
de muraille brûlé tombe avec fracas.
C’est
égal après avoir vu tant de malheureux, rester des jours entiers à moisir sur
la terre, on pense que celui-là tout de même est plus heureux d’avoir des
prières et un coin de terre sainte.
Je
reste encore ce soir comme aide-cuisinier aussi je vais à la distribution sur
la route.
La
compagnie est dans les tranchées, resté ici, je n’ai pas grand mal, mais je ne
tiens guère non plus sur les jambes, j’ai bien du mal à me remonter. Il paraît
qu’il doit y avoir une attaque aujourd’hui, on a apporté hier soir des
barbelés, vers midi on a entendu une assez violente canonnade et une assez vive
fusillade, mais cela n’a pas duré.
3 h, l’artillerie allemande n’a pas répondu, vers 5 h comme nous arrivons
dans notre cuisine, quelques obus arrivent dans notre quartier, l’un d’eux
entre même dans notre grange mais sans faire de mal.
Nous
allons porter la soupe dans les tranchées, j’espérais dormir tranquille mais à 11 h le fourrier vient nous
réveiller, il faut s’équiper prêt à rejoindre la compagnie en cas d’alerte. Il
ne se passe du reste rien du tout.
Je
crois que l’attaque d’hier n’a pas encore donné grand résultat, journée assez
calme aux Mesnils. On se régale de poulets.
L’après-midi, on joue aux cartes, je vais entendre une messe dite
pour un officier de réserve d’artillerie.
Le soir, je vais aux distributions, une fusillade du côté de Fresne,
le capitaine Lemaire vient nous
voir le soir et prend un café avec nous, il déplace la compagnie, mais nous
apprend que demain nous relevons la 21ème.
Je
croyais rester encore aujourd’hui aux Mesnils, mais ce matin, le lieutenant Dalbe
a voulu reprendre sa place, je pars donc aux tranchées avec les autres, ils ne
sont du reste qu’a 300m des Mesnils mais il y fait bien froid puis je suis
encore indisposé aussi cela ne me fait guère plaisir.
Vers 2 h, j’essaye un peu de dormir et à 4 h je prends la
garde dans les tranchées en face.
La
fusillade du côté de Fresne n’a pas arrêté de la journée et en ce moment
quelques obus viennent de notre côté. On nous relève à 7 h nous allons nous
chauffer aux Mesnils.
Après
avoir mangé nous nous mettons en route pour les fameuses tranchées de la 21éme,
il fait un clair de lune superbe aussi nous faisons un grand détour à travers
bois nous arrivons là-haut à près de
minuit, on ne va guère vite car il faut prendre des précautions.
Pour
nous les tranchées sont encore un talus aménagé, on se couche où l’on se
trouve.
Ces
tranchées ne sont pas si terribles que l'on disait, on peut encore bouger sans
recevoir des coups de fusils.
Pourtant
les Allemands ne sont pas loin, car on entend causer les officiers et un
téléphoniste. Le plus ennuyeux c’est la nourriture, on ne peut guère nous
apporter que du bœuf, je ne peux plus l’avaler.
Dans l’après-midi, sous prétexte de bombardements, on nous fait
descendre un peu plus bas, il en est de même pour la nuit que nous passons en
lisière du bois.
Nous
remontons à nos emplacements, mais il se met à pleuvoir dans ce terrain
glaiseux, cela fait une boue glissante sur laquelle on ne peut se tenir. Quelle
journée morne et triste.
Je
ne peux rien manger de la journée et encore malade, je ne peux me traîner.
On
est trempé et plein de boue.
À minuit, le 22ème revient nous relever et nous repartons pour
les Mesnils.
Nous
arrivons aux Mesnils à 2 h et
demi, je suis éreinté et bois avidement notre café. Je retrouve dans notre
ancien cantonnement, le petit lit vide et m’y couche.
Le matin, nous avons des lettres, deux cartes de ma mère, mais
toujours pas de nouvelles de Marcel. (*)
Je
me mets au régime du riz pour la journée.
Le soir, un ami de la 29ème ayant trouvé quelques bouteilles
de bon vin, nous faisons un dîner superbe, poulet aux petits pois, salade,
prunes en conserve, un vin vieux, petit café et liqueurs.
Cela
semble bon, mais quand même cela n’est pas bien gai.
Nous
partons à 6 h pour les tranchées
au-dessus. Je crois que pour le moment notre emploi du temps est ainsi fixé,
deux jours dans les tranchées en première lignes, un jour de repos aux
Mesnils et un jour dans les tranchées prochaines.
Cela
durera peut-être longtemps car la guerre n’avance pas vite et ces maudits
Allemands sont durs à déloger de France. Par ici la position qu’ils occupent
est plus que jamais inexpugnable et tous les officiers n’ont qu’une crainte,
c’est qu’un ordre supérieur commande l’attaque avant que notre artillerie ait
complètement démoli les positions ennemies.
(*) :
Rappel : Il s’agit de son frère.
La nuit a été fraîche mais notre tranchée étant couverte,
j’ai tout de même pu un peu dormir, il y a eu paraît-il un ordre d’attaque
cette nuit mais je crois bien que personne n’a marché.
La
journée est calme pour nous du reste et il fait un temps superbe. De nombreux
avions français volent toute la journée, préparent-ils quelque chose ?
Notre
artillerie n’arrête guère non plus.
On
nous relève à 6 h, nous mangeons la
soupe aux Mesnils et en route pour les tranchées des Éparges.
En
arrivant à Trésauvaux on aperçoit tout à coup un jet de lumière partant
de la crête des Éparges. Les Allemands ont maintenant un phare puissant
pour se garder d'attaques de nuit, vite on se couche sur les côtés de la route,
surement à côté du phare, il y a des canons et si nous étions aperçus, il
pourrait nous en cuire.
On
se remet en marche et ma fois nous avons la chance de ne pas nous faire voir,
nous sommes à l’abri chaque fois que le phare est dirigé vers nous, il faut
passer par le bois et sur ce terrain glissant on a bien du mal à se tenir.
Enfin
nous arrivons à nos tranchées, la première section reste dans celle du bas, il
y a eu deux attaques la veille, une dans la nuit et une dans la journée aussi
les boches sont sur leurs gardes. La section du haut est saluée par une vive
fusillade qui heureusement n’atteint personne.
Cela
ne m’empêche pas de m’endormir, étendu dans ma tranchée.
Pendant
toute la journée, à chaque mouvement que font ceux du haut, des coups de fusils
partent.
De 9 h à 4 h, il y a bombardement mais les premiers coups sont un
peu court et nous recevons des shrapnells français sur la tête on nous fait
changer de place pour revenir enfin à nos tranchées. Des obus de 155 arrivent
dans les tranchées allemandes suivis d’une pièce de 75, après cela encore un
ordre d’attaque.
Mais
décidément les commandants de compagnie n’y tiennent pas plus que nous et
personne ne bouge et vraiment c’est sage car nous n’aurions pas eu d’autres
résultats que les autres.
Enfin
ce soir, nous allons être relevés
pour de bon, des officiers du 132 sont venus ce matin reconnaître les
emplacements et à 11 h du soir ils y
arrivent pour s’y installer. Nous reprenons encore une fois la route des Mesnils.
Repos
ce matin.
À 1h ½ nous quittons le pays.
C’est
sans regret car nous quittons aussi la crête des Éparges et c’est un
cauchemar de moins, pourtant nous ignorons où nous allons et ce n’est sûrement
pas pour nous reposer.
Pour
ne pas être en vue nous sommes obligés de faire un détour et de monter la
colline à travers bois, ça glisse toujours et l’on avance péniblement.
Nous
reprenons la route et à la tombée de la nuit nous arrivons à Rupt-en-Wöevre, petit bourg assez important, des
artilleurs sont en train de se faire des baraquements. Nous entrons dans nos
cantonnements et après une soupe et un jus on s'établit dans la paille.
Nous
avons repos aujourd’hui, on peut voir un peu le pays. Ce qui semble bon, c’est
une impression de sécurité quoique nous ne soyons pas encore bien loin des
Allemands.
Le
pays est sous la protection des forts aussi on s’y sent mieux, peu de maisons
démolies, du reste le pays n’est pas évacué, et tous les habitants sont là, ils
ne sont du reste guère complaisants. On fait aussi les feux dans la rue, ce à
quoi nous n’étions plus habitués.
Les
territoriaux sont arrivés là pour nous renforcer, des hommes de 35 à 45 ans, ce
n’est pas drôle pour eux et ne fait pas augurer une fin prochaine de la guerre.
Je
reçois ce matin deux paquets
d’effets de mes parents un tricot, une couverture, je serais tout au moins à
l’abri du froid mais ce sera lourd à porter, ce qui semble bon c’est que ces
effets ce sont mes chers parents qui les ont enveloppés et cela rappelle la
chère maison et la famille.
Il
y a un petit bonnet en tricot qui sûrement a été fait par ma petite sœur. Quand
donc les reverrai-je mes chers parents ?
Sans
doute en ont-ils envoyé autant à Marcel.
À 4h comme nous dormions tranquillement arrive l’ordre de s’équiper. Que se
passe-t-il ?
On
se met en route et nous allons simplement occuper des tranchées à une heure de
là. C’était sans doute pour les reconnaître car une heure après nous rentrons à
Rupt.
Ce
sont les emplacements que nous devons occuper en cas d’attaque du village, mais
j’espère bien que les Allemands ne reviendront jamais jusque-là.
Réveil
à volonté, il n’y a pas de changement nous devons rester ici jusqu’au 19 puis
aller 5 jours en 1ère ligne devant Mouilly et 3 jours en seconde ligne.
Ici
nous ne sommes qu’en 2ème. D’ici là il y aura peur être du changement, espérons
que ce sera en bien.
Je
vais à la 24ème voir s’il est arrivé des colis pour Marcel.
En
effet ils sont venus hier mais on les a redonnés aux postes.
Pauvre
Marcel, ses camarades me disent encore combien il était estimé et aimé. Je ne
peux retenir mes larmes et cours à l’église implorer Dieu pour que je revoie
mon cher frère un jour. Pourtant l’espoir est mince, j’ai reçu une lettre de
mes parents datée du 8 et ils ne savent toujours rien.
Je
me décide à leur écrire qu’il a été blessé, quelle pénible tâche, je réussis à
avoir ses deux paquets et en distribue le contenu à mes camarades, ils
portaient la marque « disparu » et je ne sais pas ce qu’ils seraient devenus,
j’aime mieux que toutes ses affaires qui viennent de mes chers parents soient
aux mains de personnes que je connais.
Peut-être
même aussi pourrai-je les rapporter car je ne peux guère espérer que Marcel
s’en serve tout au moins en campagne.
Journée
tranquille à Rupt cela semble vraiment bien de ne plus entendre le
sifflement des obus, on oublie qu’on est en guerre, on distribue aux troupes
d’importants lots de couvertures et de vêtements chauds, se prépare-t-on
vraiment pour une campagne d’hivers, perspective peu engageante.
Je
vais à la messe ce matin que dit un
aumônier militaire, l’église est pleine de soldats et c’est impressionnant de
voir tous ces hommes prier, je prie toujours pour mon frère et mes chers
parents, puissent mes prières être exaucées.
À midi notre section prend le service au poste de police, la quatrième
section loge dans la même grange, il y a dedans de nombreux chanteurs et de 6 à
9 h ils organisent un véritable concert, hélas comme eux je serais gai si
Marcel était là ?
C’est
aujourd’hui notre dernier jour de repos, à
2h en effet nous nous remettons en route, j’ai un sac terriblement lourd
avec ma couverture, tout mon linge, mes conserves, ma pioche et ma marmite.
Heureusement je suis bien reposé et je le porte sans trop de mal.
Nous
remontons dans les bois, on commence à réentendre plus distinctement les coups
de fusils et à 4 h quand nous arrivons presque au terme de notre marche, on
entend même sur notre gauche une vive fusillade, c’est justement dans cette
direction que l’on s’engage dans le bois.
La nuit est venue et l’on patauge dans un petit sentier où il y a 30 cm
de boue. Quelle marche pénible, on s’arrête enfin après plus d’une heure de
marche à la lisière du bois.
La
fusillade continue mais elle n’est pas dirigée sur les tranchées que nous
occupons. Le 255ème que nous relevons s’en va et nous nous installons à sa
place.
Notre
tranchée est du reste la plus mauvaise et l’on peut juste s’accroupir. Un
moment un projecteur nous illumine, mais les quelques balles qui sifflent de
notre côté sont sûrement égarées, J’essaye néanmoins et y parviens à dormir un
peu entre mes heures de garde.
Un
brouillard intense nous cache tout le paysage devant nous. Dans le bas de la
côte il y a paraît-il à droite Saint Rémy occupé par les Allemands, à
gauche les Éparges où sont les nôtres et domine la fameuse crête
imprenable.
Comme
tout est caché pas le brouillard la journée se passe sans coup de fusil, on se
distrait en jouant aux cartes, j’ai aussi un livre que je dévore.
L’appétit
m’étant revenu, j’éprouve aussi du plaisir à manger, c’est triste d’en être
réduit à attendre les repos comme distraction.
À la nuit, nous changeons de tranchée avec l’autre demi-section
qui est installée un peu plus haut, beaucoup plus confortablement, on peut s’y
étaler aussi je passe une nuit un peu meilleure.
Rien
de particulier, on est bien tranquille dans notre tranchée du haut.
Les
cuisiniers sont installés un peu en arrière dans le bois et nous apportent un peu
de cuisine chaude, pour avoir de l’eau par exemple, il faut faire tout un
voyage.
Il
faut descendre à une source près des Éparges, le chemin est à pic et
avec cette boue c’est une dure corvée.
Vers 3 h, une dangereuse canonnade part de chez nous, mais ne
dure pas bien longtemps, on entend même de temps en temps quelques coups de
fusil, nous redescendons dans la tranchée du bas avant une attaque, aussi
fait-on faire bonne garde aux sentinelles.
Pourtant
la nuit est calme.
Comme
les autres cette journée se passe à jouer aux cartes et à lire. Quelques obus
arrivant près de nous viennent nous donner une petite émotion, mais ce n’est
pas sérieux.
À 4 h ½, le 255 vient nous relever et nous recommençons la
marche dans la boue du 15.
Nous arrivons à 7 h à Mouilly. Les bonnes nouvelles circulent.
Les
Allemands auraient reculé de 20 km dans l’Oise et une conférence d’ambassadeurs
se réunirait pour envoyer les conditions de paix, espérons que c’est vrai.
On
se couche dans une bonne grange.
Nous
partons vers 6 h.
Nous
allons occuper une tranchée de 2ème ligne dans le haut du pays.
Le
petit pays de Mouilly caché dans le fond de la vallée a l’air très pittoresque
avec la forêt qui le caresse. En ce moment du reste la forêt est superbe avec
ses feuilles de toutes couleurs allant du vert tendre au rouge brique, mais on
n’a guère le cœur à jouir de ces spectacles. Il fait heureusement un temps
superbe et l’on peut se reposer au soleil.
Photo de la vue
générale de Mouilly, prise par Daniel DURAND.
Cliquez sur la photo
On
travaille un peu à améliorer les tranchées et l’on passe tranquillement la
journée à jouer et à lire. La section redescend dîner et coucher à Mouilly.
Journée
semblable à celle d’hier, un seul ennui, notre lieutenant Parmentier est malade et le lieutenant Fouquet qui le remplace est bien
assommant. (*)
À
part cela rien de nouveau, et nous n’avons même pas eu confirmation des
nouvelles de jeudi, pourtant le bulletin a publié une victoire dans l’Aisne.
(*) :
Le Lieutenant PARMENTIER est le commandant de la 22e compagnie, Le
sous-lieutenant FOUQUET en est son adjoint.
Nous
retournons dans nos tranchées jusqu'à 2 h et alors nous nous remettons en route
pour les tranchées de 1ère ligne dans les bois. Heureusement que nous avons ce
soir la meilleure tranchée car dans la soirée la pluie se met à tomber.
Cela
ne nous empêche pas d’être mouillé car l’eau traverse la toiture et il y une
heure de garde à monter dehors.
La
pluie s’est arrêtée ce matin mais sans doute pas pour longtemps car le soleil
est bien pâle. Toujours de temps en temps, canonnade de part et d’autre. Il
vient aussi une nouvelle peu rassurante, il va y avoir paraît-il une attaque
générale d’ici deux ou trois jours, espérons que nous aurons la chance d’être
relevés avant que l’ordre arrive.
Les
feuilles des arbres tombent rapidement et la forêt prend un aspect bien triste.
Nous
descendons le soir coucher dans la tranchée du bas. Les sections exécutent des
feux de salve dans la direction de l’ennemi.
Devant
notre tranchée, nous tendons des fils de fer, la pluie heureusement n’a pas
continué.
Ce matin, on nous apporte encore de bonnes nouvelles, Lille
aurait été reprise et un régiment allemand aurait été anéanti près de Saint-Mihiel.
Sancrille
aurait répondu par le mot de Cambronne au général allemand demandant un
armistice pour enterrer ses morts. Est-ce l’offensive annoncée hier ?
La
classe 14 est paraît-il partie.
Je
ne me serais tout de même jamais figuré qu’après un mois et demi de campagne,
je n’aurais pas tiré un coup de fusil et maintenant j’espère que la campagne se
terminera comme cela car tout en étant prêt à faire mon devoir, je ne me sens
aucun instinct sanguinaire.
Quelques
balles allemandes viennent ce matin passer dans notre direction, c’est une
sentinelle sans doute qui passe son temps.
L’après-midi se passe tranquillement, on arrange un peu les
tranchées, on était même trop tranquille car à 5h comme nous mangions la soupe
un obus arrive sans doute à quelques pas de nous, on se cache comme on peut.
Une
douzaine d’obus sont envoyés, nous recevons quelques éclaboussures et même une
tête d’obus, mais personne n’est atteint. Il n’en est malheureusement pas de
même partout car à la 4ème section le premier obus a tué le sergent AdelYSE (*) un bon camarade, blessé grièvement un adjudant et
légèrement deux voisins. (**)
(*) :
ADELYSE Jean Marie, sergent, mort pour la France le 28 octobre 1914, aux
Éparges, tué à l’ennemi. Il était né à Grandchamp
(Morbihan), le 23 février 1889. Pas de sépulture militaire connue.
(**) :
Adjudant GRANSILY, blessé, et le caporal COFFIN. Le troisième n’est pas nommé
dans le JMO, sa blessure a dû être légère.
Dans
notre tranchée du haut nous ne sommes pas très rassurés aujourd’hui, la
canonnade d’hier va-t-elle recommencer ?
Il
n’en est rien.
Du
reste à 7 heures, le 255ème viens
nous relever, cette relève en plein jour bien qu’imprudente ne nous amène pas plus
d’obus, c’est une chance.
Bien
contents de partir nous prenons le chemin de Rupt ou nous arrivons à 5h.
Aujourd’hui
repos qui ne nous laisse guère de temps à nous.
Le matin on fait exercice de tente.
L’après-midi nous allons construire des claies. Je n’ai même pas
le temps d’écrire. On fait la chasse aux victuailles car depuis quelques jours
l’ordinaire est devenu tout à fait maigre et l’on a un appétit terrible, il
parait que l’attaque au plateau de Combres est toujours imminente.
Les
artilleurs disent que tout est repéré, qu’ils attendent encore quelques grosses
pièces et qu’ils vont partir bombarder, le jeudi on part même miner la côte
Est-ce
le 255 qui va faire l’attaque ?
Je
reçois deux lettres de la maison, mes parents ont tout de même appris
indirectement la blessure de Marcel. Mais ils ne sont pas plus avancés que moi.
Je trouve le temps d’écrire deux grandes lettres détaillées que je mets
timbrées à la poste.
Nous
allons à midi faire des claies.
Toute la journée, on entend tonner les grosses pièces, mais je ne
crois pas que la fameuse attaque ait eu lieu. Nous allons encore travailler à
des claies et le soir nous écoutons le vague concert donné par la musique du
54.
Rien
de nouveau pour les opérations de notre côté et à 11h nous repartons occuper nos tranchées dans les bois. Laigneault, nommé caporal-mitrailleur
nous quitte en passant à Mouilly.
Le
255 a été tranquille pendant ces trois jours. Dans la journée on ne laisse
maintenant que deux sentinelles dans la tranchée du bas et nous y allons coucher le soir.
On
entend toujours tonner de grosses pièces et dans la nuit on entend juste une
fusillade.
Pour
ce jour de Toussaint, il fait un temps de novembre, que c’est triste de ne pas
être en famille pour ce jour, je reçois heureusement une longue lettre de mon
père mais toujours rien de Marcel.
Toujours
des obus passant de part et d’autre mais heureusement ils s’arrêtent mais j’espère
nous allons encore passer ces trois jours tranquille.
J’ai
écrit trop tôt pour les obus car à trois
heures pendant que j’étais en train d’écrire une distribution arrive sur
nous. Vite on se blotti.
Après
c’est le tour des nôtres qui répondent par un tir rapide.
Jusqu’à la nuit d’ailleurs, le duel d’artillerie ne cesse pas. Plusieurs obus
arrivent près des cuisines, il en vient deux pendant que j’étais au thé et le
retour commençant à m’inquiéter quand heureusement la canonnade s’arrêta.
Pendant presque toute la nuit on entend des coups de fusils à droite ou à gauche,
mais notre centre est toujours calme.
Je
prends la garde à 5 heures et il
pleut et l’eau traversant notre abri je suis déjà tout trempé.
Je
reçois ce matin un colis de 1kg et qui me fait bien plaisir.
Le
beau temps est heureusement revenu et toute la matinée nous travaillons à faire
à côté de la nôtre une tranchée d’abri solide, nous abattons pour cela des
arbres de 10 à 15cm de diam. dont nous devons mettre 2
rangées afin de couvrir notre tranchée, 20 à 40 cm de terre avec cela, ça doit
pouvoir résister à de petits obus.
Une
indiscrétion ou un bruit nous apprend que le plan d’attaque est paru au
rapport.
Notre
brigade doit descendre sur Saint-Rémy pour enlever les hauteurs
au-dessus, est ce nous ou le 255 qui se trouveront en première lignes quand
l’ordre arrivera ?
Le
régiment de réserve occupera je crois les tranchées que nous construisons,
j’espère que ce sera nous, mais quoi si il faut aller à l’attaque, je prierais
bien le bon Dieu en partant et peut être voudra-t-il avoir pitié de moi en tout
cas je tâcherais de faire mon devoir.
Le
duel d’artillerie d’hier ne se reproduit pas nos canons tirent mais aucune
réponse.
Nous
allons coucher dans la tranchée du bas, ma place est pleine de boue je suis
obligé d’en enlever un énorme tas et de mettre un peu de feuilles pour pouvoir
m’allonger.
Les
sections voisines tirent des feux de salve.
Distribution
d’effets
Mon
tour de garde arrivant à 6 h je
reste dans la tranchée du bas avec deux camarades.
À
une heure nous sommes relevés par le 255 et nous allons à Rupt ou tout
le régiment est rassemblé, des rumeurs courent d’une grande victoire dans le
nord.
On
nous laisse tranquilles aujourd’hui.
Je
vois Lucien LAISNE et ayant
acheté deux boites de haricots, nous en profitons pour faire un repas ensemble
avec des conserves qu’il a dans son sac.
Je
reçois un colis Roch.
Je
réussis aujourd’hui à me faire couper les cheveux.
Le
lieutenant Jarbau nous fait une
vague théorie sur le lancement des bombes, toujours de bêtes bruits circulent
et le soir on nous dit de nous attendre à une alerte. L’attaque doit se faire
cette nuit.
Ce
serait une chance, mais on attend sereinement la canonnade et la nuit se passe
tout à fait calme.
Rien
de changé dans notre situation, en effet, il faut se remettre en route pour
aller réoccuper nos habituelles tranchées, on s’installe donc comme auparavant dans
la tranchée du haut et je fais bien tranquillement une manille.
6h, alarme du sergent avec Lalbe
et Thiviet quand Hermigant arrive en courant nous dire
que l’on attaque, vite on se précipite sur son fourbi, faut-il prendre son sac,
non, oui, enfin on l’emporte quand même et l’on descend à la tranchée du bas,
il n’y a pas de place pour tant de monde, aussi il faut rester à genoux abrité
derrière son sac et des arbres abattus.
On
entend une fusillade à gauche, pourtant c’est à notre droite que le 67 doit attaquer St Rémy.
Nous
nous livrons simplement à des feux de salves sur l’ennemi en face, sans doute
pour gêner les mouvements ennemis s’il s ‘en produit, notre artillerie donne
assez sérieusement mais les Allemands ne répondent pas.
Enfin je dérouille mon fusil en tirant sur 2
boches qui surement n’auront pas fait grand mal. On fait remonter en haut ceux
qui n’ont pas trouvé de place dans la tranchée.
De
là-haut avec Lable nous attendons
toujours mais rien ne se produit. Sur toute la ligne on tire des feux de salves
jusqu'à minuit et le matin se termine dans le calme.
La
journée est tranquille pour nous mais nous travaillons à notre tranchée-abri.
A la nuit puisque c’est notre tour, nous descendons dans la
tranchée du bas. Le 67 occupe St Rémy et l’ont fait à ce soir leur
cuisine.
À
peine sommes-nous arrivés en bas que des balles se mettent à siffler au-dessus
de notre tête, puis bientôt on entend une vraie fusillade et des mitrailleuses
crépiter dans St Rémy.
C’est
une attaque allemande, pour se protéger, nous tirons devant nous des feux de
salves. Une lueur que l’on distinguait dans St Rémy se met bientôt à
grandir démesurément, on s’aperçoit que c’est l’incendie et au bout d’une heure
le village n’est plus qu’un amas de braises.
Les
Allemands ont dû descendre en force dans le pays, qui n’étant occupé que par
une Cie du 67 ceux-ci, sans doute, se sont défendus vaillamment, mais ont
d’évacuer devant le nombre.
Les
Allemands ont incendiés le village. …. nous restons dans les tranchées. Mon
tour de sentinelle vient je découvre alors l’étendue dû brasiers qui éclaire
une partie de la vallée que le brouillard plonge dans les ténèbres.
Un
moment on entend les trompettes allemandes, puis des hurlements sans doute
font-ils quelque charge sur des maisons, un adjudant du 67 a raconté ce matin
qu’enfermé dans le presbytère avec quelques hommes il a à 2 reprises repoussé
des assauts à la baïonnette ne laissant pas arriver un seul assaillant.
On
entend aussi à plusieurs reprises des hurlements de douleur et l’on suppose que
ce sont les blessés que ces sauvages ont jeté dans les flammes puis une autre
sonnerie que l’on suppose être un rassemblement car l’ennemi n’est sûrement pas
resté dans le village en feu.
Nos
canons envoient quelques obus dans leurs lignes.
Des
fuyards du 67 s’étant sauvés par la route sont rentrés dans nos lignes. Comme
on craint que l’attaque allemande ne reprenne sur la droite les 29 et 21 vont
renforcer le 67 et notre section va occuper leurs tranchées, nous restons donc
seuls ou nous sommes, aussi faut-il ouvrir les yeux et les oreilles bien qu’une
attaque vers nous soit bien improbable.
Mais
nous donnons toujours des feux de salves mais rien de nouveau ne se passe sur St
Rémy et l’on entend toute la nuit que le crépitement de l’incendie et
l’écrasement des toitures.
Vers 1h, je me suis tout de même étendu un peu et me suis
endormi.
À 3h, je reprends la garde et au petit jour, nous remontons en haut.
Pas
encore de renseignements sur les événements de la nuit.
Au
rassemblement de la compagnie du 67, il manque parait-il 80 hommes, mais il y
en a de sauvés dedans.
Pas
d’incident dans la journée si ce n’est quelques obus arrivant le soir près de nous
pendant que nous prenons le jus et qui nous font rentrer précipitamment dans
nos trous.
Vers 8h on nous emmène occuper des tranchées de la 21 dont
une partie est partie en avant. On craint une nouvelle attaque, mais la nuit
est calme, St Rémy achève de se consumer. Les sections de la 21 rentrent
dans leurs tranchées et nous-mêmes rejoignons les nôtres.
Rien
à signaler.
Relève à 2 h, nous allons reprendre nos cantonnements à Rupt.
Séjour à Rupt
habituel, mais nous faisons aujourd’hui une heure d’exercice. Il parait que le
255 a laissé prendre des tranchées, ce serait embêtant, nous verrons cela
demain.
Nous
étions de garde hier soir et ce matin aussi partons nous un peu plus tard, nous
arrivons aux tranchées à 2h 1/2. Il y a eu des attaques mais pas sur notre
tranchée.
Nous
resterons ce soir en bas, comme la position devient de plus en plus périlleuse
les Allemands multiplient leurs attaques, nous redoublons de vigilance. Les 2
sentinelles sont placées un peu plus bas et il en reste une devant les armes.
Il
fait un sale temps, pourtant il ne pleut pas mais la tranchée est pleine de
boue. Que les nuits sont longues, pourtant celle-ci se passe sans alerte.
On
entend les Allemands travailler sur la côte en face.
Comme
on s’en doutait les Allemands ont dû faire cette nuit des tranchées dans la
lisière du bois en face.
Ce matin, des sentinelles restées en bas en voient défiler qui
essayent de tirer, mais avec la mitraille de tous côtés, ils doivent se taire
et se cacher, parfois on les entend parler.
L’après-midi nos canons les arrosent toujours, un coin de St
Rémy se remet à flamber sans doute atteint par un obus.
Je
vais le soir à l’ordinaire, je n’ai pas de chance, il pleut et reviens trempé
pour me coucher dans la tranchée mouillée, l’eau traverse le toit mais
enveloppé dans ma couverture je parviens tout de même à dormir un peu.
On
travaille le matin à notre tranchée abri mais l’après-midi la pluie nous en
empêche.
Dans
la tranchée du bas on passe une nuit plutôt humide agrémentée par de fausses
alertes causées par des chevaux en ballade sur la route.
Le soleil
brille ce matin, est-ce le beau temps, malheureusement non, la pluie nous
reprend quand nous nous acheminons par Rupt ou nous arrivons trempés et
bons pour nous sécher, heureusement c’est le cantonnement.
Nous
passons nos 2 journées à nous nettoyer tellement nous sommes crades, pourtant
ce soir le temps se remet au beau.
Il
gèle ferme ce matin, cela pique mais c’est tout de même plus agréable.
11h en route pour les tranchées, il n’y a plus de boue sur le chemin et en
arrivant là-bas nous avons la bonne surprise de voir une cheminée fumer sur
notre tranchée abri à peu près tenue par le 255.
L’eau
fume encore au travers, comme il y a 2 portes un courant d’air gèle les jambes,
les flammes de la cheminée ne donnent guère de chaleur mais c’est égal, en
rentrant de garde, cela semble bon de se chauffer les pieds.
Il
gèle toujours, on ne peut se réchauffer les pieds.
Il
y a dû avoir attaque cette nuit du côté des Éparges et ce matin encore
nous entendons les nôtres charger à la baïonnette.
La
nuit a été calme dans les tranchées du bas, entre les heures de garde nous
montons nous réchauffer au feu en haut.
Toujours
des fusillades du côté des Éparges et des balles perdues de notre côté.
Nous
aménageons un peu la tranchée abri et nous nous installons pour la nuit d’une
façon un peu plus confortable, aussi avec un bon feu cette nuit est beaucoup
moins pénible.
Nous
ne sommes relevés qu’à 3h et demain allons à Mouilly, Rupt étant
occupé parait-il par des jeunes de la classe 14, ils devront y rester 4 jours,
qui y font un peu d’exercice avant d’aller au feu.
Nous
avons un grenier où la paille ne manque pas mais il ne fait tout de même pas
chaud.
Je
vais faire une visite à l’église les vitraux y sont explosés, une revue
m’empêche d’aller à la messe militaire de 9h.
À 9h commence le bombardement du pays.
Une
dizaine de coups seulement mais ce sont des pièces énormes qui font hélas des
ravages. Je crois que ces brutes ont essayé d’atteindre l’église à l’heure de
la messe, qu’ils n’ont heureusement pas atteinte car elle était pleine de
soldats.
Il
y a eu en tout je crois une quinzaine de morts et une cinquantaine de blessés,
la 20ème compagnie a été très éprouvée, j’espère que LAISNE n’est pas du
nombre. (*)
Le
5ème bataillon quitte Mouilly, quant au nôtre nous allons faire des
tranchées abri sur une route encaissée qui est je crois hors d’atteinte. Nos
cantonnements n’ont pas non plus été épargnés.
Nous
rentrons à la nuit pour y manger la soupe et dormir. Un obus est tombé près de
l’église dans un groupe de voiture et en a complètement anéanti une dont on a
retrouvé qu’un morceau de roue sur le porche de l’église.
Un
énorme trou est à son emplacement.
(*) : Le JMO du 301e RI signale la perte de 25
hommes (10 tués et 15 blessés) parmi le 301e RI.
On
retourne ce matin travailler sur la route.
L’après-midi je demande à aller à l’enterrement des victimes du
bombardement.
Quel
tableau dans l’église, 17 corps sont allongés sur des brancards, à la forme de
certains on devine que ce ne sont que des débris ramassés les dalles sont
pleines de sang et une odeur fétide commence à se dégager de ce charnier.
Le
caporal aumônier dit la messe des morts et par quelques vigoureuses paroles
nous exhorte à les venger.
Pour
l’enlèvement des corps, il manque des brancardiers, je me propose à aider et
prend les bras d’un brancard pour conduire l’un de ces malheureux au cimetière
du soldat qui est à la sortie du pays.
De
nombreuses tombes le garnissent déjà mais encore les parents de ces jeunes gens
pourront-ils venir prier ?
Groupe de brancardiers
de la 16e compagnie.
Mardi
nous nous trouvons encore sur la route de Calonne ce qui n’est gère du
repos.
Mercredi matin, toujours la même chose mais en nous levant nous
trouvons la campagne toute blanche, il a neigé dans la nuit.
Nous
partons à 12h pour les tranchées, il fait un peu moins froid mais heureusement
la neige ne fond pas encore. Le lieu est bien triste sous ce ciel gris.
Nous
faisons la nuit dans la tranchée du bas, nuit calme pendant laquelle nous ne
souffrons que du froid aux pieds.
De
garde au bois, toujours le même tableau, le soleil brille ce matin et ceux qui
ont de bons yeux voient circuler les boches dans le petit bois en face. Dans
notre cabane du haut nous réinstallons notre couchette qu’avait dérobée le 255.
Ce soir, des hommes descendent dans St Rémy pour
coller une affiche, mais surpris par les sentinelles allemandes, Parmentier rentre la gorge percée d’une
balle.
Fusillade
…. au côté du 255.
Extrait du JMO du 301e
RI
Le
soldat PARMENTIER Maurice (Eugène Guislain) mourra de suite de ses blessures le
28 novembre 1914, en Rupt-en-Woëvre. Il était né le 29 juillet 1887 à Paris. Il
est inhumé au carré militaire de Rupt-en-Woëvre, tombe N° 10.
Il
a été cité à l’ordre de l’armée :
« Toujours volontaire pour des patrouilles
chargées des missions périlleuses, a été mortellement blessé dans la nuit du 26
novembre 1914, au moment où il reconnaissait l’emplacement d’un poste ennemi »
Citation
indiqué sur le JMO du 301e RI à la date du 29 décembre 1914.
Bonne
nouvelle ce matin, officiellement déroute allemande dans l’Aisne. Officieusement,
l’Autriche demande la paix.
Attendons.
Pas de
confirmation de nouvelles dernières, ce soir, il descend une section de la 23e
dans St Rémy, on entend une vive fusillade il ne devait pas y avoir
beaucoup de boches dans le pays car ils se sont sauvés et nous avons eu juste
un sergent légèrement blessé.
Encore
la fumée qui heureusement s’arrête dans la matinée.
Nous
sommes relevés, je vais aller à Rupt mais ce pays a aussi été bombardé
hier, en y arrivant nous partons pour prendre un petit poste guère de plaisir
d’autant plus que nous avons bien du mal à en trouver l’emplacement.
Pourtant
comme il fait beau on y passe une très bonne nuit auprès d’un bon feu que nous
avons allumé en arrivant.
Nous
sommes très bien ce matin au bord de notre petit bois. Le bombardement de Rupt
recommence et nous voyons les habitants se sauver sur la colline en face.
MADANT
en apportant la soupe nous apprend qu’il est tombé une quinzaine d’obus mais 4
ou 5 n’ont pas explosés et il n’y pas eu grand mal.
Le soir vient et personne ne vient nous relever. Je crois
qu’on nous a oubliés, ce n’est pas étonnant, ce poste est abandonné et nous
sommes venus là à l’œil.
Enfin à 6h on vient nous dire de redescendre, au cantonnement il
n’y a guère de place mais on est bien au chaud et à l’abri.
Nous
sommes de service pour guetter les avions mais nous n’avons pas essayé notre
adresse. Nous passons donc la journée sur le coteau.
Nous
restons tout de même ce matin au cantonnement pour nous nettoyer mais à 11h comme d’habitude le pays est
occupé par la troupe. Sur le flanc d’un coteau à l’abri nous allons commencer
des tranchées abri qui pourront nous servir pour l’hiver.
Nous
avons un nouveau commandant (*) qui a l’air d’un brave homme, depuis 3 jours aussi
nous avons un nouveau lieutenant à la Cie.
(*) :
Il s’agit du commandant PROTEAU, nouvellement promu, il était capitaine au 303e
RI.
Encore
la pluie ce n’est pas de chance pour retourner aux tranchées et puis voilà que
nous allons occuper celles de la 24 à l’éperon de St Rémy qui il parait
sont tout à fait mal placées. Nous ne partons pour cela qu’à 3h pour n’arriver
qu’à la nuit.
Les
tranchées à l’éperon de St Rémy sont tout à fait à découvert et nous
avons les boches sur 3 cotés, certaines tranchées sont pleines d’eau mais
tombons dans une qui est à peu près sèche.
La nuit se passe calme mais on est assis et on ne peut pas
dormir.
Je
vais travailler à 4h avec Lalbe à
la tranchée du lieutenant et nous y restons le reste de la journée, car le jour
il ne faut pas sortir de nos trous car les balles sifflent aussitôt.
Il
ne vient dans la journée que 4 obus sur le fortin en avant occupé par les
autres sections.
A la nuit, nous restons avec la nôtre pour prendre la garde,
nous prenons 2h et 2 ou 3 fois par nuit, c’est terriblement long, on a
heureusement installé un petit réchaud dans notre tranchée.
MADANT
nous apporte avant le jour notre pain un bout de viande froide et du café que
l’on peut heureusement faire un peu chauffer. Pendant la nuit il a encore fallu
piocher entre nos heures de garde, quel travail pénible que de patauger dans
30cm de boue. Je tombe de sommeil.
Vers 9h, nous recevons un véritable bombardement, deux obus
sont tombés dans une tranchée du fortin mais n’ont fait heureusement que
quelques blessés. Tous ceux qui l’occupaient se sont sauvés et sont salués par
les balles qui partent du bois d’en face.
Je
panse un camarade légèrement blessé à la tête qui est venu se réfugier avec
nous. Les autres sont restés dans le boyau ? De temps en temps de nouveaux obus
rappliquent, pourvu qu’ils nous laissent tranquille la nuit. Gelés et éreintés
nous avons tous le cafard.
Le soir quand j’étais en sentinelle des coups de feu éclatent
près de moi, anxieux j’attends.
Le
lieutenant lance une fusée pour éclairer, avec le téléphone il demande des
renforts de l’artillerie qui se met à arroser les positions allemandes. Tout
rentre ensuite dans le silence ce n’était qu’une patrouille allemande qui
alertée a tiré sur les sentinelles.
Nous
n’étions pas au bout de nos peines, la pluie vers 11h se met à tomber, je prends ma couverture mais bientôt on est
traversé, l’eau traverse notre abri et nous nageons dans la boue.
____________________________
Mon pauvre carnet je t’avais abandonné mais je viens de traverser une triste période et je
n’avais pas le courage d’écrire.
Le
11 en effet jour de ma fête hélas, j’ai appris la mort de mon frère Marcel et
mes parents dans leurs lettres n’en parlent toujours pas et ils voudraient me
laisser ignorer cette affreuse chose.
Cette
triste nouvelle m’avait en effet bien découragé, il faut pourtant que je
réagisse car il faut que je rentre même quand ce ne serait que pour consoler un
peu mes malheureux parents.
Je
….. donc les jours passent.
Au
fortin toujours de l’eau, nous sommes de plus en plus trempés et couverts de boue
sans abri, la situation est pénible.
Le
bombardement ne recommence pas aussi intense.
Le lundi soir à la nuit, comme nous attendions le 255, des coups de feu
éclatent, c’est une reconnaissance qui tente une petite attaque, nous sautons
dans notre tranchée de tir qui est pleine d’eau, mais après quelques feux de
salves, le silence renait, le 255 arrive et nous
partons.
Nous
sommes éreintés, nous allons occuper des cabanes situées près de Mouilly
à flanc de coteau au milieu de la boue.
Nous
y passons nos 4 jours de repos.
C’est
là que j’apprends l’affreuse nouvelle à mon arrivée au détachement du dépôt
composé de blessés et d’évacués.
Barbier, le sergent-major
m’a désigné pour être homme de liaison auprès du commandant.
Je
rentre en fonction au départ aux tranchées et vais avec les fourriers à la côte
340 dans un petit bois de sapin. Mon rôle est de porter des ordres à la Cie qui
est retournée à ses anciens emplacements,
Malheureusement
il pleut presque tous les jours, et il faut patauger dans la boue.
Photo d’un boyau de la
cote 340, prise par Daniel DURAND.
Cliquez sur la photo
Le
jour de la relève nous apprenons que le 255 est parti dans une autre direction,
il faut encore rester 2 jours qui semblent vraiment long.
Nous
arrivons au repos qui, cette fois est pour nous à la ferme d’Amblonville entre Rupt et Mouilly.
Encore
un jour de repos passé.
Le soir nous est encore arrivé un nouveau détachement au
dépôt.
La
compagnie retourne au Bois Haut et moi côte 340 avec le
commandant bien qu’une ligne téléphonique ait été établie aussi je n’ai pas
grand-chose à faire.
La
Cie est au repos dans les …. de Mouilly mais je
vais coucher à Amblonville avec les fourriers.
Quel
triste Noël.
Le 24 on nous fait un vaccin anti-thyphique qui
rend un peu malade et qui m’empêche d’aller à la messe de minuit que dit dans
une grange le caporal brancardier.
Je
vais le 25 à la grand-messe à Rupt.
Les jours de fête qui devraient être des jours joyeux passés en famille sont
encore pour moi plus triste que les autres.
Le 25 au soir je copiais une pièce avec les amis quand arrive un
ordre pour le lendemain matin.
Le
54 et le 6ème bat. doivent attaquer du côté du bois
Chanot. (*)
(*) :
Le 54e régiment d’infanterie et le 6e bataillon du 301e RI
Départ
à 5h, rassemblement sur la route aux ..…
D’après
ma demande le capitaine l’Hosserie
me dit de marcher avec lui car nous nous dirigeons vers la tranchée de
Calonne et entrons dans les bois derrière l’éperon de St Rémy.
À 7h le bombardement commence, il y a parait-il 90 pièces qui donnent aussi
est-ce un fracas épouvantable.
Puis
le 54 commence l’attaque. Nous attendons à l’endroit
où nous sommes arrivés.
Hélas
les canons n’ont pas arrêté les tireurs allemands cachés dans leurs tranchées
car les pauvres soldats du 54 se font fusiller sans pouvoir avancer.
L’attaque
s’arrête puis reprend après une nouvelle canonnade mais toujours sans aboutir.
Aussi il est dit à notre compagnie d’aider l’attaque. Ils réessayent la nuit
avancée.
La
1ère section s’avance dépasse même dans les bois la ligne du 54 et commence à
établir une tranchée et conduit par le génie, la continuera toute la nuit.
Dans la nuit vers 2h, les Allemands tentent une contre-attaque, la
fusillade est intense mais heureusement les boches sont aussi obligés de se
retirer et tout rentre dans le silence.
(*)
Les pertes du 301e RI sont d’un tué (soldat BERNABÉ) et de 2 blessés.
Deux
compagnies s’en vont le 22 et le 23 restent provisoirement sur les
emplacements. De temps en temps des coups de canons ou des balles qui sifflent.
Je
rentre dans ma section. Nous devons être relevés ce soir ou dans la nuit après
avoir continué l’aménagement de notre tranchée. La 1ère section reste le soir
en réserve, j’étais installé avec elle dans une cabane quand on vient me
chercher pour aller au commandant.
Toute
la nuit on attend du général l’ordre de relève mais rien ne vient.
Il
faut encore rester là une journée enfin dans la soirée nous quittons tout de
même ces lieux inhospitaliers pour aller aux baraques de Mouilly. Je
reste à Mouilly avec Lalbe
et les téléphonistes.
Cela
me semble bon de manger à une table.
Notre
repas est de courte durée puisque à 1h nous retournons à nos anciennes
tranchées. Je retourne côte 340 et reprend mon petit service pas bien pénible.
Pas
d’incidents, coups de fusils et coups de canons mais nous y sommes tellement
habitués.
Nous
arrivons à Amblonville, le soir repas amélioré
jambon, vin, oranges, champagne.
Cela
donne un peu de gaité.
2ème
vaccin anti-tiphyque.
Avec
quelques camarades de l’escouade nous faisons un petit repas à Ruth.
La Cie
retourne au fortin de St Rémy, il fait un temps épouvantable. J’ai la
chance de rester à mon poste côte 340 ce que mes pauvres camarades doivent
souffrir là-bas.
Il
y a une quantité de malades à la compagnie, une trentaine du reste sont évacués
ne pouvant plus marcher, ayant les pieds gelés. On parle vaguement de repos
pour le régiment mais je crois que le moment n’est pas encore venu.
Je
vais faire une escapade à Sommedieue avec …. nous
déjeunons chez une bonne dame et passons une bonne journée en oubliant un peu
la guerre.
Cie
au Bois Haut et moi toujours 340.
Il
y a une alerte à St Rémy. Une patrouille allemande blesse grièvement une
sentinelle mais le petit poste tue 2 Allemands dont ils gardent les corps.
(*) : Le JMO précise : « Une embuscade tendue par la 24e compagnie dans la nuit du 11 au
12, a tué un sous-officier et un soldat allemands. Cette embuscade a eu un
blessé. »
Je
passe les 10 jours toujours tranquillement à mon poste à Amblonville,
je m’installe tout à fait avec les fourriers.
Avec
quelques achats nous améliorons l’ordinaire enfin j’ai assez de bien-être quand
le 21 au soir le commandant supprime l’emploi d’agent de liaison.
Daniel DURANT en janvier 1915
Bien
ennuyé devant rentrer dans la Cie, je m’occupe de rentrer aux brancardiers et bien appuyé par des
camarades, j’ai la chance d’y réussir. Ma Cie allant
justement à St Rémy il était temps.
On
remonte donc avec les brancardiers à mon ancienne cabane à la côte 340.
J’ai
de la chance pour mes débuts, il n’y a pas de blessés pendant 3 jours aussi je
n’ai pas grand mal. Le 24 on redescend mais dans une tranchée plus en arrière
puis remonte le 25 à la côte 340.
Nous
y construisons un nouveau fort, un prisonnier allemand ayant annoncé une
attaque générale pour le 24 qui heureusement n’a pas eu lieu.
Je passe infirmier et c’est avec ce nouveau titre que je remonte aux
tranchées.
Nous
allons cantonner à Mouilly car la ferme est occupée par le 302 qui vient pour aider à l’attaque des Éparges par le 106.
Je vais à Sommedieue dans l’espoir de voir mon père mais il ne peut
venir.
L’attaque
est pour aujourd’hui nous allons tenir le bataillon en réserve au côté du 67.
C’est
le 106 et le 152 qui attaquent après l’explosion des mines et un bombardement
terrible, le 106 monte aux Éparges presque sans
pertes.
Attaques
et contre-attaques aux Éparges.
Nous
sommes remontés hier aux tranchées, je monte ce matin à 340 et j’assiste à
l’attaque de Combres. La canonnade est terrible.
La
bataille continue toute la journée. Toujours des avances et des reculs, le 106 est accroché à la crête de Combres. Il y a des pertes
importantes et encore plus du côté allemand.
Le
spectacle ce matin était terrifiant.
Mon père
vient à Sommedieue et je vais passer 2 jours avec lui.
Je
suis au poste d’évacuation sur la route. Depuis plusieurs jours on ne parle que
de l’attaque de Combres.
Et
puis tout à l’heure à 9h la
canonnade qui commence
Les
Éparges
Poste de commandement
aux Éparges, avril 1915
Photo prise par Daniel.
Les soldats n’ont toujours pas reçu le casque…
Nous
attendons d’être réformés.
Bombardement
de Mouilly, 720 obus, les Allemands débordent le 67 et arrivent jusqu’au abords de l’infanterie partie en renfort.
3
brancardiers prisonniers, passons la nuit dans une cave à panser les blessés,
Commandant - Artillerie.
Nous
partons le matin occuper les tranchées de Calonne en passant par Amblonville et les 3 Pins.
Les
brancardiers Marchand, Dulin et Lanqueton à 340.
Brancardiers
viennent apporter blessés.
Bataillon
dans le bois 340 et Bois Haut cèdent.
Nous
revenons par les 3 Pins et rentrons à Amblonville.
Régnier, Duchesne, colonel Cdt 3ème Bat tué. Turolle, Julien, Langleton
retourner passer la nuit à Mouilly.
Nous
partons le matin aux 3 Pins, nos troupes reculent encore et nous
établissons nous mêmes en arrière et dans l’après-midi nous reprenons du
terrain.
Reste
du 301 environ 300 hommes qui sont en 2ème ligne. (*)
Amblonville bombardé est évacué. Nous passons la nuit dans notre cabane sur la
route.
(*) : Le JMO signale qu’il reste au 301e RI 815 hommes,
l’état-major ayant quasiment disparu.
Ils étaient 2172 le 6 mars 1915
La
cabane, après le choc du 24 avril, en réserve.
C’est
calme pour nous, le 301ème n’est pas engagé.
Les
renforts arrivent toujours et le 301 reste sur la
route.
Journée
semblable. Les Allemands sont bien arrêtés mais nos troupes reprennent
difficilement le terrain perdu.
Nous
établissons un poste en arrière de la route derrière ce qui reste du régiment
des troupes algériennes.
On vient
nous annoncer que le 301 est relevé mais il y a un contre-ordre nous attendons
avec quelque impatience la relève.
Relève
attendue toutes les nuits, toujours décommandée.
Le
temps se met à l’eau.
Bombardement
au poste annoncé.
Relève
encore attendue le soir.
Nous
avons reporté notre poste encore un peu en arrière depuis 3 jours.
Après
un violent bombardement les Allemands tentent une attaque qui échoue.
Le
10 mai, le régiment reçoit un renfort de 641 hommes, puis de 511 hommes, le 15
mai.
Repos
à Dieue
Nous
revenons à Amblonville.
Retour
aux tranchées. …. de Mouilly.
Daniel
DURAND, Brancardier
Nous
quittons Mouilly pour le ravin de Ranzières.
Nous
allons cantonner à Récourt-le-Creux.
Marche
sur Verdun.
Départ
à 2h matin, passons la journée et
embarquons à 8h du soir pour arriver à 1h du matin à Suippes dans la
Marne.
Nous
formons à Suippes un bataillon du 315.
Mi-juin,
le 301e régiment d’infanterie est disloqué. La plupart des soldats partent pour
le 315e et 317e RI.
Daniel
DURAND part au 315e régiment d’infanterie.
Fin du carnet
Reprise des carnets
Voir l’album de photos quand il était au 315e RI
Après
un stage de 14 mois en DD (*), je suis enfin rappelé au régiment pour y tenir les deux emplois de
flûtiste à la musique et d’infirmier à la CMP. Le régiment est au repos
à Grand-Rozoy.
(*) :
DD = Dépôt divisionnaire.
Dimanche
: Mon premier concert
Répétition
et concert
R.A.S
Nous
quittons Grand Rozoy pour venir à Lesge,
concert à l’I.D. (*)
(*)
ID : Infanterie divisionnaire.
Repos à Lesge, concert, je joue une polka
Départ
à 7 h du matin ; je rejoins le 6ème
bataillon à Dhuizel, nous montons en ligne ce soir près d’Ostel,
arrivée à minuit. Poste superbe d’un ancien commandant d’artillerie boche,
secteur assez calme ; avons tout de même un blessé en arrivant.
Les cuisines du
régiment à Ostel.
Encore deux
blessés ; je visite les environs. Nous sommes à un emplacement d’artillerie
boche sur une ligne de batteries de 105 abandonnées, il reste quantité d’obus
Nous
n’avons pas eu de nouveaux blessés, le secteur est calme et nous sommes aussi
bien que possible.
J’ai
fait aujourd’hui une grande balade pour prendre des photos des pièces boche
abandonnées et détruites.
Visite du
médecin chef, installation des couchettes pour blessés, ceci fut mon travail
toute la journée. On fait des préparatifs d’attaque dans le secteur, mais je
crois que nous serons partis pour la fête.
Mauvais
réveil ce matin, les boches ont fait sur les P.P. du bataillon un fort coup de
main avec un effectif d’environ 70 hommes.
Ils
ont enlevé six prisonniers, nous ont fait deux morts et quatre ou cinq blessés.
Réveillés à 5 h par la canonnade nous avons passé notre matinée en pansements.
Est-ce
les révélations des prisonniers qui en sont cause, mais, depuis deux jours, les
boches sont beaucoup plus actifs, l’artillerie surtout.
Aujourd’hui
même, ils ont pour la première fois sapé dans le ravin
que nous occupons, mais heureusement nous sommes bien à l’abri.
Entrée du poste de
secours dans le ravin d’Ostel
Aujourd’hui
vraiment c’est la guerre !
Toute
la journée bombardements ininterrompus nous nous y attendions d’ailleurs car
l’on s’attendait même à être attaqué ce matin, tout le monde était alerté, les
réserves avancées. Il n’en a rien été, mais quel déluge de marmites !
Le
matin déjà j’ai dû faire demi-tour en allant chercher mes lettres. .... en voulant passer par la plaine une rafale me fait
faire un sacré plat ventre et une deuxième m’a fait prendre le boyau.
Dans
le courrier….….dans un nuage immense de fumée ou de notre abri, nous ne sommes
que spectateurs de ce bombardement bien que tout le secteur soit plus ou moins
visé, cette activité inusitée de l’artillerie allemande ne nous dit rien et
l’on s’attend à ce qu’ils devancent notre attaque, la perspective de partir en
ligne ne me sourit nullement.
Nous
sommes relevés de notre poste ce soir pour aller à Ostel. Ce n’est pas
sans appréhension que nous en prenons le chemin avec Bourgoin et Mettin
mais voyant que la piste est toujours minée nous faisons un détour par lequel
nous passons sans accident.
Il
y a eu tantôt une vingtaine de blessés et un mort à Ostel.
Cela
va mieux que nous ne l’espérions, les boches se sont calmés depuis la bruyante
journée du 22 et les craintes d’attaque se sont dissipées.
Le
secteur malgré tout est moins calme qu’au début, mais à Ostel nous
sommes très tranquilles.
Coup de main
dans la nuit assez réussi, attaque sans perte, nous ramenons 6 prisonniers.
Nous
quittons Ostel pour venir à Soupir, d’où les compagnies vont
travailler la nuit.
Toujours
à Soupir où nous commençons à trouver le temps long, les premiers jours
allaient bien, le temps était beau et nous partions nous promener dans le parc
du château……. appartenait paraît-il à la famille
Calmette mais dont la guerre n’a fait qu’une ruine, d’ailleurs encore
imposante.
La
cave en est encore habitée par le Général aussi les abords immédiats du Château
nous sont-ils interdits. Le parc nous reste, mais il est lui aussi tout mutilé,
on s’est battu entre ces murs, tranchés et trous d’obus le sillonnent, de beaux
arbres sont abattus et des mains vandales ont renversé les statues de leur
socle.
À
côté d’une grande pièce d’eau, une colonnade est restée presque intacte,
l’endroit devait être superbe quand tous les rosiers qui l’environnent, groupés
en une savante disposition, étaient en fleurs, à présent par exemple tous ces
rosiers sont morts et leurs cadavres s’enchevêtrent piteusement autour de leur
monture métallique.
Dans
un autre coin du parc, une piscine s’étale au pied d’un coquet pavillon,
profitant des beaux jours, j’ai pu prendre deux bons bains forts appréciés
après 18 jours de tranchée.
Le château de Soupir et
sa piscine
Fini
cela maintenant depuis 5 jours nous avons de la pluie. Il fait froid et la cave
qui nous sert d’abri n’est guère confortable. J’ai eu la chance de n’aller
qu’une fois au travail de nuit, je pense que c’est fini maintenant mais quant à
la colline sur laquelle nous comptions chaque heure, je crois qu’il faut encore
l’atteindre.
Le
major nous apprend aujourd’hui que nous devons rester en réserve à Soupir
pendant l’attaque peut être n’y fera-t-il pas bon et cela prolonge notre
séjour.
Occupé
par la photo les 1ers jours, je m’ennuie sérieusement maintenant.
La nuit a
été bien mouvementée, bombardements, obus, gaz vésicants
Enfin
nous avons été relevés la nuit dernière, c’est heureux car le bombardement est
commencé depuis plusieurs jours et cela commence à chauffer dur, j’ai eu en
outre la chance de partir en perm ce soir avec toute la musique.
Je
rentre de perm, mais contre mon attente, le régiment est remonté en ligne dans
les tranchées nouvellement conquise à l’Épine de Chevigny.
Journée
bien pénible car j’ai dû de Bazoches monter aux tranchées qui sont dans une mer
de boue. J’y arrive fourbu et éreinté. Le terrain est complètement bouleversé
par le marmitage qui a dû être terrible, ce n’est qu’une succession de trous
d’obus.
Les
boches sont passés de l’autre côté de l’Ailette et du canal. Des
reconnaissances vont en avant reprendre contact.
Rien
d’important depuis le 3.
Nous
sommes toujours dans la même sape un abri en béton armé qui devait être une
redoute pour mitrailleuse. Nous avons par exemple remonté un pare-éclat devant
l’entrée qui était tournée du côté des boches.
Nous
sommes exactement sur l’emplacement du Chemin des Dames comme l’on peut en
juger par les troncs déchiquetés des gros arbres qui devaient le border. De
tout cela il ne reste qu’un chaos informe de trous d’obus et d’entonnoirs.
Les
compagnies ont repris contact avec l’ennemi qui est maintenant de l’autre côté
de l’Ailette. Les lignes paraissent de part et d’autre se stabiliser sur ces
nouvelles positions.
Nous
attendons maintenant impatiemment la relève.
Pas
encore de relève, nous avons continué l’installation de notre sape et construit
devant l’entrée un pare-éclat. Nous sommes un peu plus marmités que les
premiers jours, mais ce n’est pas terrible il n’y a d’ailleurs presque pas de
blessés.
Il
y aura par exemple sûrement des accidents dus aux grenades allemandes
débouchées qui traînent dans tout le secteur.
Le
bataillon est relevé et viens en 2ème, nous nous installons à Certaux-les-Cavernes.
Encore un
déménagement, il nous faut à présent descendre à Ostel où nous sommes
d’ailleurs merveilleusement bien et ou nous n’avons rien à faire. La proximité
de la coopérative rend Bourgouin beaucoup plus
familier.
Retour du
bataillon qui descend de Chavonne quant à moi je vais avec deux
brancardiers à l’infirmerie de Cys-la-Commune.
J’étais
trop bien à Cys. Nous avons encore déménagé aujourd’hui pour monter à la
grotte de l’Éléphant. Je me suis choisi à côté un petit abri ou je
m’installe en solitaire.
Pas
encore de repos, nous remontons en ligne aujourd’hui. Je suis parti le matin
pour reconnaître, mais le PS n’est pas changé et je retourne à la sape 5 avec
le Major Bourgouin et 4
brancardiers les autres infirmiers restant à Certaux avec le Major Julien.
Poste de secours (PS) du
médecin-chef
(Métais, Chassevent, Besancon, Bourgoin)
Je vais à
la soupe ce matin avec Guillemet
et nous sommes sur tous le parcours passablement marmités.
Séjour
aux tranchées terminé, je redescends à Ostel avec le Major Bourgouin, Metais et 4 brancardiers.
Enfin
c’est la relève du régiment.
Je
rejoins la musique et nous descendons ensemble à Vasseny
Notre
joie de nous retrouver a peu duré nous apprenons aujourd’hui que
le 315 va être disloquée.
Nous
allons avec le CHR à Arcy-sainte-Restitue ou
malgré tout nous donnons un concert.
Dernier
concert de la musique du 315. Nous sommes tous consternés de nous quitter.
La musique du 315 le
jour des adieux
D’après
la demande du chef de musique de ce régiment, je suis versé au 369.
C’est
ce matin la dislocation générale aussi je me rends avec un détachement du 315
dont font justement parti Legueffroy
et Mevart au CDI du 369 qui se
trouve à Brange à 3 km d’Arcy.
Je retrouve là Longepierre et
j’ai ainsi la chance d’être encore avec des camarades.
Voir l’album de photos quand il était au 369e RI
Demandé
par le chef de musique, je quitte le CDI avec le premier renfort pour rejoindre
le 369 ou je rentre à la musique. Aimable accueil de Mme Martin
Nous
quittons Nanpteuil. Marche dans la neige et
cantonnement à Mont-Saint-Martin.
Départ de
Mont-Saint-Martin à 7 h du matin
et par un froid terrible. Nous venons cantonner dans des baraquements à
proximité de Chambrecy petit bourg dans la région de Reims.
Le repos
terminé nous quittons Chambrecy, la première étape nous conduit au hameau
de Bourgogne entre Ventelay et Bouvancourt nous sommes dans
un camp, j’y vois Damien et Gaby qui sont à la musique du 82.
Nous
montons en ligne contrairement à notre espoir.
Nous
sommes répartis par bataillon, pour le moment je n’ai pas à me plaindre le 6ème dont je suis est
en ligne, mais le poste de secours est merveilleux.
Il
est installé à l’entrée d’un tunnel qui conduit jusqu’en première ligne, boisé
partout, des couchettes et éclairage électrique. Nous sommes à l’emplacement de
la sucrerie voisine de Berry-Au-Bac.
J’ai
pris une photo de cette ville, le secteur paraît-il est bon, il tout au moins
très bien organisé j’en ai la preuve par ces tunnels. Nous devons faire le
service des C.B.D., mais j’espère que nous n’aurons pas trop d’ouvrage.
Vue
générale de Berry-au-Bac
Un obus arrive
près de notre poste et défonce un abri.
Changement
de poste après départ de la 1ère série de permissionnaires, nous allons du côté
de Sapigneul où nous sommes beaucoup moins bien
Relevé de
bataillon, je reviens à la sucrerie.
Avec le
6ème bataillon, l’équipe de musiciens qui y était affecté et dont je fais
partie descend au repos à Guignicourt. Nous devons partir en permission
dès que les camarades du 1er tour seront rentrés. Pourvu que d’ici la rien ne
vienne démolir nos espérances.
Enfin
nous partons en perm.
Retour
bien triste comme d’habitude, plus que d’habitude même, enfin !
Le
bataillon quitte la 1ère ligne, le 2ème bataillon restant à faire des travaux à
l’arrière et le 3ème avec nous descend au repos dans un petit camp installé
dans un joli parc à 2 km de Jonchery.
Notre
repos ne se passe pas comme nous l’espérions.
L’offensive
allemande est déclenchée dans la Somme depuis 4 jours, les anglais reculent.
Nous avons été alertés cette nuit et nous nous attendons à partir d’un moment à
l’autre.
Il
n’est pas venu d’auto, mais nous sommes partis à pied ce matin pour Chassemy.
Nous traversons le pays en musique en passant sur les crêtes de Rosnay
et Mery nous apercevons au fond de la vallée les tours de la cathédrale
de Reims.
Il
paraît que nous devons aller prendre un secteur au fort de la Pompelle.
Je
vois que c’est bien la bataille de la Somme qui nous attend. Elle fait rage et
les Allemands ont avancé de 40 km. Ce matin nous sommes repartis sur la route à
6 h et revenant à peu près sur nos pas nous allons cantonner à Fismes.
Petite
ville assez gentille ou il serait agréable de séjourner.
27 mars, le régiment en
marche près de Fismes. En route pour la Somme
Un
bruit de secteur au chemin des Dames était aussi faux que le précédent.
Nous sommes repartis ce matin sur la route de Soissons, c’est bien la
direction de Noyon.
Nous
traversons Braismes toujours en musique. Nous
devions cantonner à Sermoise mais sans doute n’y avait-il plus de place
car nous nous sommes vus échouer dans d’immenses grottes au-dessus de Ciry.
Départ à 6 h encore ce matin et toujours même direction. Plus de
doute maintenant nous allons dans la fournaise. Nous traversons Soissons
à peu près désert, tout en jouant malgré tout sous une pluie battante. Nous
allons cantonner à Amblémy.
J’apprends
que le 113ème qui descend de la mêlée est à Vic-sur-Aisne à 6 km d’ici,
j’y file bien vite en bécane.
Marius n’est pas rentré de
perm, mais j’y vois Sugy ce qui
me fait plaisir. En rentrant au cantonnement, on m’annonce que nous partons
dans la nuit en camion. Il faut que ça presse d’ailleurs les nouvelles ne sont
pas meilleures, l’avance boche continue.
Quel anniversaire !
8
h du matin.
Nous
avons embarqué dans les fameux camions à 2 h après une bien courte nuit, ils ne
se sont pourtant ébranlés qu’à 5 h et après 3 h de chaos nous venons d’arriver
à Ressons-sur-Matz.
Partout
sur les routes des troupes de l’artillerie, des convois ; la canonnade là-bas
fait rage une cinquantaine de pontonniers viennent de passer, il paraît que
cela va un peu mieux.
Sans
doute allons-nous monter dès aujourd’hui. Tout le monde est grave et
silencieux. Un ciel gris et bas ajoute encore une note triste à cette attente
quelque peu anxieuse.
Espérons
pourtant que tout ira bien !
11h, cela ne va pas du tout, les Allemands avancent toujours.
Nous
avons reçu brusquement l’ordre de nous porter en avant et après avoir traversé
le village de Cuvilly nous sommes venus nous installer à sa lisière dans
une sablière.
Les
boches sont paraît-il à 3 km d’ici les échelons d’artillerie se replient, je
crois que la journée va être dure. Quelques obus arrivant près de nous nous
partons à un autre endroit.
Les
bataillons en ligne de bataille partent en avant. On demande une équipe de
musicien par bataillon. Je demande à partir le premier et mon équipe se compose
de Delettre, Camille Tom, Bartholomé
et moi ; nous partons pour rejoindre le 4ème bataillon. La bataille semble
arrêtée.
Nous
errons 2 ou 3h sans pouvoir trouver le PS du 4ème. Quand nous le joignons enfin
le bataillon se reporte en réserve et nous retournons à l’entrée du parc où
nous étions ce matin.
La
situation s’est quelque peu améliorée ; les boches attaquant ce matin à 8 h
avaient avancé de 5 ou 6 km et même pris le village d’Orvilliers mais
une contre-attaque du 4ème zouaves les en
ont chassés immédiatement. Le régiment n’a donc pas à entrer en action
aujourd’hui.
Il
pleut, nous sommes transis, mouillés et éreintés.
À 8 h du soir, le 4ème bataillon se reporte de l’autre côté du
village et s’y installe à l’orée du bois. Comme l’infirmerie régimentaire est
installée dans la dernière maison du pays nous en profitons pour venir y
coucher un moment au sec.
Affamés
nous mangeons avec délices un reste de lapin froid que Perrillard a préparé tantôt et nous nous dépêchons de dormir
un peu.
À
4 h ce matin nous avons quitté notre maison avec le SM du 4ème bataillon, ce
bataillon est en réserve, mais les deux autres doivent attaquer à midi.
À 11 h 45, du bois où il était, le bataillon se porte en avant
du village de Mortemer.
31 mars 1918, midi 5,
début de l’attaque sur Mortemer
Midi moins 5, avec Delettre,
Barto et Lacrolle nous sommes avec le 4ème bataillon qui est en
réserve.
À
midi, le 5 et le 6 doivent attaquer.
Le
bombardement en ce moment est intense, minutes assez angoissantes. Nous sommes
à l’entrée du village de Mortemer une petite excavation dans le talus de
la route nous sert d’abris. Les boches ne répondent pas encore, pourvu qu’ils
ne déclenchent pas un barrage sur la route où nous sommes.
Midi : les balles passent en sifflant au-dessus de notre tête, l’attaque
doit être commencée, le canon toujours fait rage déjà de pauvres types doivent
être tombés.
Le
bataillon traverse Mortemer et le major nous fais signe de suivre.
À
la sortie du village nous nous arrêtons, de gros obus tombent dans le pays et
déjà des blessés arrivent.
Le
major installe son PS dans une cave et le premier blessé passé nous l’emmenons à Conchy avec notre poussette. Il y a 3 km
d’un pays à l’autre, mais par bonheur la route n’est pas bombardée aussi
l’évacuation peut se faire tranquillement.
Jusqu'à
9 h du soir avec Delettre nous faisons 6 voyages soit 30
km.
Le
dernier voyage sous une pluie battante et pendant que, les boches ayant sans
doute essayé une contre-attaque un formidable barrage de notre artillerie
illumine la plaine de lueurs tragiques.
Le
bruit de la canonnade est assourdissant.
Enfin
nous arrivons sans encombre mais bien fatigués. Nous sommes fort heureux de
pouvoir manger. Dans une maison de Conchy
abandonnée de ses habitants depuis trois jours, Pichon a fait cuire quelques poulets, il nous a fallu par
exemple mendier du pain aux artilleurs car depuis deux jours nous n’avons pas
de ravitaillement. Comme boisson nous trouvons du cidre en abondance dans
toutes les caves.
Il
y a encore du travail pour cette nuit des blessés et des morts à relever dans
les lignes et plusieurs brancardiers ayant été tués et blessés, on demande du
renfort à la musique.
Tous
se disent fatigués, il y en a peu de vraiment courageux.
Repos
à minuit avec mon équipe.
Mais
à Mortemer tous les blessés sont
enlevés, mais il y a encore des morts. Nous en trouvons 9 dans le bois et dans
la plaine, figés dans la pose ou la mort est venue les prendre et nous les
ramenons à un endroit où ils pourront être enlevés dans le jour.
Travail
tragique et émouvant qu’éclaire lugubrement une lune pâle. Par bonheur la nuit
est calme et nous n’entendons même pas siffler une balle.
Malgré
la proximité de l’ennemi, les combattants dorment tranquilles au pied des
arbres. Je me fais le plus courageux possible, mais suis heureux quand même de
rentrer à 4 ½ du matin dormir un peu à Cuvilly.
Le régiment a gagné quelques centaines
de mètres, mais nous avons 250 à 300 hommes de perte dont une cinquantaine de
morts.
À la fin de l’après-midi, nous avons assisté à un beau combat d’avion entre 5
français et 3 boches où ces trois derniers sont tombés en flammes.
Malgré
la fatigue ou plutôt à cause de cette fatigue, j’ai eu peine à dormir. Nous
continuons à prendre nos repas dans la maison où Pichon a installé sa cuisine.
Quel
pillage dans le pays !
On
revit absolument les journées de 1914. Il y a huit jours pourtant ce village
abritait encore tous ses habitants qui y vivaient paisibles.
Comme
en 1914 on se nourrit de poulets et de lapins, on boit du cidre. Pourtant le
ravitaillement et les cuisines roulantes sont installés dans le pays. Il y a
encore des morts à amener ici nous devons y aller, mais la route est bombardée
et nous attendons la nuit.
Nous
nous couchons ensuite dans la maison en haut du village. Le bombardement des
lignes à 3 reprises dans la nuit nous empêche encore de dormir.
Nous
montons au poste de relais du 5ème. Nous installons une tente à proximité du
bois sur le chemin de Mortemer.
Deux
morts dans la soirée et la nuit.
Nous
redescendons déjeuner à Cuvilly.
Je
me régale d’une bouteille toujours reçue de Neauphle,
mais le bombardement du pays nous oblige à l’aller finir à la cave. Il nous
faut déménager pour venir dans une maison proche du poste de secours.
Nous
nous y installons, je me fais avec Delettre
un superbe lit, mais le bombardement continuant nous allons, pour être
tranquille, coucher dans la cave du presbytère où je passe ma première bonne
nuit.
Cuvilly :
l’infirmerie après le bombardement
Toujours
avec Delettre et Bartholomé nous venons de prendre le
poste de réserve, il est revenu à l’orée du petit-bois ou nous étions le matin de
l’attaque. Un trou couvert en toile de tente sert maintenant d’abri tout au
moins contre la pluie.
L’endroit
n’est plus très tranquille, l’ennemi a ramené de l’artillerie et arrose
maintenant un peu partout. La grande route que nous prenons habituellement
vient d’être terriblement battue, il faudra, je crois évacuer d’un autre côté.
6h00 : un bataillon vient d’attaquer, il restait parait-il un coin de bon à
prendre.
Comme
d’habitude avant l’attaque un bombardement intense et le crépitement de la
mitrailleuse nous apprend que l’attaque est partie. Combien de malheureux
viennent encore de tomber !
Il
pleut quelle tristesse !
L’artillerie
boche riposte vigoureusement de grosses marmites semblent arriver dans le coin
où nous sommes, je crains bien que l’évacuation ne soit pas aussi facile que
l’autre jour. Enfin confiance, j’espère que la providence encore me protégera.
Nous
avons transporté des blessés jusqu'à
minuit.
Évacuation
excessivement pénible dans la boue jusqu'à mi-jambe et à travers bois. On se dit
des sottises à qui mieux mieux, mais on marche tout de même. Bien que nous
ayons progressé le coin du bois n’est pas pris entièrement et il y a eu dix
tués et une quinzaine de blessés.
Plein
de boue et grelottant on revient dormir un peu sous notre toile de tente, mais
les boches bombardent toute la nuit, heureusement pas juste dans notre coin.
Nous aspirons après la relève.
Restons
à notre poste de réserve.
Un
accident à la fin de l’après-midi, notre poste se remplit d’eau, il faut
l’abandonner et je repêche à grand peine mes guêtres et mes bidons.
Pendant
ce temps, nous sommes bombardés plus près que jamais et ma capote accrochée à
un arbre est traversée par un éclat.
Le
4ème bataillon allant relever le 5ème, le major du 4ème nous laisse une cabane
encore sèche, mais il faut s’y entasser dans la nuit avec le personnel du 5ème.
Les
boches ont repris leur offensive sur Amiens et on craint qu’ils
attaquent par ici.
Nous
descendons à Cuvilly trajet assez mouvementé car les boches bombardent
notre trajet. Le village est aussi continuellement bombardé et nous devons
aller déjeuner à la cave.
Violents
bombardements du pays toute la soirée. Couchés dans la cave du presbytère nous
sommes soulevés par les explosions.
Il
se produit un violent barrage de part et d’autre il y a des blessés et il nous
faut aller faire un voyage à Mortemer nous sommes en y arrivant
sérieusement bombardés, mais je ne reçois qu’une motte de terre sur mon casque.
Nous
allons au poste de Mortemer avec le 6ème bataillon, quelques blessés
dans le pays dont nous amenons un couché.
Le
bataillon est relevé le soir et nous revenons coucher à Cuvilly.
Nous
espérions la relève de la division, mais nous n’allons qu’à 4 h d’ici, la division
doit paraît-il rester un mois dans le secteur qui d’après les prisonniers ne
serait plus un secteur d’attaque.
Il
pourrait donc devenir calme si notre artillerie ne tirait sans arrêt.
Nous
voici à Lataule petit village à 1500 m de Cuvilly.
Les
derniers habitants en partent aujourd’hui. Nous sommes là, je crois, pour 4 ou
5 jours ce sera tout de même un peu de repos mais gâté par la perspective de
retourner là-haut.
Fini
le séjour à Lataule, nous sommes remontés la nuit dernière, relève par
la pluie. Malgré une petite attaque du 283ème la route se fait sans alerte.
Le
secteur semble d’ailleurs devenir tout à fait calme. Tous les services du
régiment médecins chefs, major sont à Mortemer, mais ce pays n’est plus
que rarement bombardé.
Je
suis de service au 5ème mais notre poste est aussi dans le village et nous
avons pour nous 4 une petite cave superbe et solide.
Espérons
que les 12 jours que nous devons faire seront tranquilles !
6
jours de passés, 2 au premier poste tout à fait tranquille, 2 avec la réserve
des musiciens dans une autre maison, après lesquels nous avons déménagé et
déménagé aussi l’infirmerie régimentaire qui vont s’installer dans la ferme ou
était le colonel Oher et
aujourd’hui nous sommes à l’autre poste du bataillon de l’autre côté de la
route.
Nous
y sommes assez tranquilles, mais ce soir, un obus arrive juste dans la cave du
médecin-chef. Il est blessé et le sergent Barbier
est tué quelques mètres à côté tombant sur le milieu de la cave ce même obus
pouvait tuer une dizaine de musiciens.
Nous
allons à ce poste demain j’espère que les boches ne taperont plus si juste.
Nous
sommes à la ferme pas toujours rassurés surtout après avoir subi un petit
bombardement à 9 h ou une marmite vient tomber dans la cour.
L’après-midi pourtant est assez calme.
Craignant
un bombardement à 11 h on nous fait évacuer la ferme mais bien inutilement. Le
poste régimentaire doit être transporté le soir à Cuvilly.
Nous
voici revenu depuis hier soir à Cuvilly, mais nous avons encore passé
une bien mauvaise nuit.
Les
boches ont envoyé une quantité d’obus à gaz sur les batteries qui sont derrière
nous et nous avons dû garder nos masques une grande partie de la nuit.
Infirmerie
et église à Cuvilly (Somme)
Deux jours passés au poste du bataillon de compagnie et nous voici
revenus au poste de secours du régiment. Le nouveau médecin chef ne veut pas
nous laisser à rien faire.
Toute
la journée, il faut travailler. On démolit ce que nous avions pour consolider
la cave. Grande activité d’artillerie et nombreux d’obus toxiques.
Nous
avons eu au régiment une cinquantaine d’évacués pour intoxication. Nous allons
répandre du chlorure de chaux sur les trous d’obus.
Relève
du régiment mais pas de la division.
Nous
redescendons à Lataule.
La
division n’est pas relevée et nous remontons ce soir. Nous prenons le secteur
d’Orvilliers à droite du précédent. Nous allons au poste de relais dans
les bois, la nuit est douce et le rossignol chante. Quelle ironie, il nous faut
toute la nuit transporter des blessés du 288 qui ont fait une petite avance
dans la soirée et que nous relevons.
Nous
redescendons à Mortemer nous avons encore transporté des morts ce matin
restés sur le terrain depuis les 1ères attaques.
Nous
ramenons sur la même poussette un soldat français et un aspirant boche. Quel
groupe macabre sur notre voiturette que ces deux cadavres enlacés.
Encore
une fois je l’ai échappé belle !
Nous
travaillons au PC, un avion boche passe à 30m et voit les cuisines.
Une
heure après nous étions un groupe de 6 sous un sapin, trois obus arrivent
autour de nous dont l’un sur un mur à 2m de nous. Ce mur nous a sauvé probablement tous les 6 d’une mort certaine.
Quelle
explosion, une violente secousse et dans un nuage de fumée j’entends Camille à
côté de moi qui crie :
« Je suis blessé »
Un deuxième obus arrive et
nous courrons à la cave. Camille est blessé à la tête.
Barthaud arrive
alors tout trempé, blessé aussi et affolé il a été se jeter dans la mare de la
cour, j’étais entre deux, Barthaud
a le bras cassé et une blessure légère à la tête.
Tutur
contusionné.
Petit-Louis
a reçu une pierre au genou.
Delettre et moi
n’avons absolument rien.
Maman,
nous avons de la chance et je rends grâce à la providence.
Mon
casque seul est complètement défoncé.
L’arbre
fatal du 5 mai
Relève au
chemin creux près d’Orvilliers.
Retour
à Lataule. Nous tombons tous malades atteints d’une sorte d’épidémie de
grippe infectieuse qui sévit sur la région.
Lataule est plus que jamais bombardé.
Le
régiment remonte, mais dix musiciens seulement le suivent.
Les
autres, dont je fais partie descendent au ravin de Wacquemoulin où nous
nous installons sous la tente.
Je vais
passer ces deux journées avec Marius, le 113ème se trouve à 10 km de nous à Antheuil.
Encore
une fois je suis hier soir remonté à Cuvilly où je reste avec Delettre.
J’espère
que c’est pour peu de temps car cette fois ci la relève semble définitivement
fixée à après-demain. C’est le 281 où est Georges Valin que j’ai vu à Wacquemoulin qui doit nous
remplacer.
Nous
sommes descendus hier soir à Wacquemoulin.
Quittons Wacquemoulin
et allons à Monchy-Humières.
Alerte.
Nous partons ce soir.
Nous
avons marché toute la nuit, traversé le fort de Compiègne et venons à Saint
Crespinaux-Bois. Nous sommes à proximité
d’un des endroits les plus terribles de la nouvelle grande bataille.
Enfin
nous sommes encore en réserve. Les habitants quittent aujourd’hui le village.
Nous
croyons venir ici pour nous battre, jamais nous n’avons été si tranquille que
pendant ces deux jours. L’avance envoyée devant nous, le régiment resté en
réserve à 1km des lignes et nous dans le pays.
Saint-Crespin est un village charmant encaissé dans une étroite vallée que dominent
deux collines sur lesquelles s’étendent les dernières ramifications de la
forêt. Nous étions d’ailleurs trop bien car à l’instant 9 h du matin nous
venons encore d’être alertés.
On
charge les voitures nous partons encore vers l’inconnu.
L’alerte
de l’autre jour était fausse. Une nouvelle ce matin causée par l’attaque
allemande entre Montdidier et Noyon n’a pas encore motivé notre
départ.
Notre
nouvelle équipe Paumier, Delettre, Gastepalede et moi, nous montons au 4ème bataillon
en réserve sur le plateau.
Cette
fois ci je crois que c’est sérieux.
Au
moment où nous y pensons le moins à midi, l’ordre arrive au bataillon de
rentrer à Saint-Crespin.
Le
régiment est prêt à partir, les Allemands hier ont avancé beaucoup plus que
nous le croyons, l’encerclement de Compiègne est à craindre, quelle
misère !
Nous
attendons le départ pour l’inconnu.
Nous
refaisons à peu près le trajet fait de nuit il y a 10 jours. Il est plus
mouvementé car des avions boches nous survolent, il faut à plusieurs reprises
se cacher d’ailleurs l’un deux laisse tomber sur nous sa mitrailleuse !
Heureusement
que des avions français nous suivent, aussi ils nous défendent contre les
boches, je crois que nous avons tout de même 4 blessés.
Nous
arrivons à Bienville que nous traversons et allons
passer la nuit dans les bois au-dessus.
Les
boches tirent toute la nuit dans les alentours et des avions ne cessent de nous
survoler sans doute pour repérer nos pièces.
La
nuit n’a pas été fameuse nous repartons ce matin à 4 h.
Nous
faisons halte à Longueuil-Annel.
Nous
repartons une heure après et arrivons à Thourotte où nous nous
installons. Nous sommes copieusement bombardé, le bataillon attaque à 3 h, il
avance mais entouré, il est obligé de revenir à son point de départ, laissant des
morts, des blessés et des prisonniers à l’ennemi.
Nous
craignons l’arrivée des boches jusqu’au village, mais ils s’arrêtent
heureusement au Matz.
Journée
relativement calme – je fais des croix pour les morts, peu nombreuses, puisque
nous n’avons pas pu aller les relever.
Le
4ème bataillon a attaqué ce matin à 4 h
aussi depuis ce moment sommes-nous fortement bombardés. La journée pourtant se
passe assez bien.
Nous
sommes relevés et venons à Choisy-au-Bac. Nous ne pouvons trouver notre
cantonnement et errons à travers le village en ruine pendant que les boches le
bombardent.
Enfin
nous nous abritons dans la 1ère maison venue.
J’oubliais
tantôt en gravant l’inscription d’une croix, un éclat est venu me frapper le
bras sans toutefois me faire de mal.
Nous
sommes dans les communs d’un petit château où nous nous installons sous les
marronniers.
Les
deux premières nuits ont été troublées par de sévères bombardements, mais les
jours suivants employés à faire de la musique dans la forêt sont assez
agréables.
Nous
quittons Choisy pour revenir à Venette, bourg à proximité de Compiègne
dont il est en somme un des faubourgs. Tous ces pays ainsi que Compiègne
sont évacués, mais les boches ont heureusement cessé de nous marmiter.
Nous
sommes cantonnés dans l’école et faisons un concert journalier dans les
bataillons.
Me
promenant le soir avec Rouvier,
la chute d’un avion français dans l’Oise nous entraîne jusqu'à Compiègne
déserte. J’aide au sauvetage de l’avion dans lequel nous ne trouvons plus qu’un
cadavre.
Compiègne
est bien démoli, et malgré le service d’ordre, est livré au pillage.
Le
régiment remonte en ligne, nous allons avec le 5ème bataillon en arrière de Mélicocq.
Pour un
secteur calme que nous avait annoncé le 288, nous avons été marmité ce matin
d’une façon peu commune. Avec Delorme,
nous avons juste eu le temps d’évacuer notre trou ou nous avons dû après
déterrer notre matériel.
Toujours
dans le même secteur, mais qui reste à peu près calme, le médecin chef est à Annel,
nous avons 4 équipes occupées : deux en ligne et deux relevant.
À
Annel, tranquille jusqu’alors, nous avons été bombardé ce soir au moment
de monter en ligne.
Les
infirmiers à Annel, dans la cour de leur maison
Concert sympathique
au colonel. L’offensive boche est déclenchée entre Château-Thierry et Massiges
je crois que nous avons de la chance d’être ici.
La
division à notre gauche a attaqué et avancé.
Ce soir nous partons nous-même en avant. Le régiment doit
aller occuper Machemont et même monter sur la crête. Nous allons à Mélicocq
d’où nous faisons l’évacuation.
La
crête est atteinte et l’avance paraît-il continue.
2
évacuations encore ce matin. Nous venons de déjeuner dans une confortable salle
à manger de Mélicocq et nous attendons l’ordre de nous porter en avant.
À 5 h du soir, on se met en route et nous traversons le Matz.
Plus
haut sur la pente de la côte voici un peu partout des cadavres allemands, vieux
déjà, en voilà 6 sur la route qui nous regardent de leurs yeux vide.
Plus
loin trois prisonniers escortés de leurs vainqueurs nous croisent, ils sont
tout joyeux.
Nous
arrivons au château de Saint Amand, presque au sommet. Château
complètement démoli, les abords en sont criblés d’énormes trous de marmite cela
tombe encore dans le parc derrière et la traversée de la grande pelouse n’est
pas amusante.
Pourtant
voici deux blessés nous devons les transporter à Machemont où est le
médecin-chef. Il faut les sortir à bras jusqu'à la grille.
Au
moment d’emmener le 2ème on s’aperçoit que le pauvre vient de mourir.
10 h nous dînons, de gros obus viennent nous secouer dans notre cave.
Je
voudrais bien que la nuit soit tranquille.
La
nuit a été calme, nous descendons à Machemont
puis Mélicocq et remontons à Machemont.
Le soir avec le médecin-chef nous retournons au château de
Saint-Amand.
13
août 1918
Attaque
et contre-attaque boche ce matin. Il y a néanmoins 20 ou 30 prisonniers, des
boches m’aident à emporter leurs camarades. Dans l’après-midi, nous montons aux
carrières de Montigny et marchons toute la journée, suis exténué.
Le soir, je vais rechercher une équipe au 4ème, trajet
mouvementé.
Les
bas-fonds sont complètement noyés dans les gaz et depuis hier il y a une
quantité d’intoxiqués, des morts même, c’est affreux.
L’après-midi pourtant est calme pour nous.
On
aspire après la relève, mais il y a encore attaque demain et les boches sont
fermement accrochés dans le massif.
Attaque
de toute la division.
Le
régiment atteint tous ses objectifs, fait plusieurs centaines des prisonniers,
canons, mitrailleuses mais la journée est dure.
Je suis
au poste de relève dans la côte du château.
Nous
montons au 6ème bataillon dans le ravin de Montigny. Journée dure et
dangereuse, les abords du poste et le ravin sont continuellement marmités. Les
boches ont contre attaqué ce matin sans résultat.
La
ferme d’Attiche reste à nous.
Nous
avons étés relevés hier soir mais simplement des premières lignes. Nous allons
avec le médecin-chef au Château de Saint-Amand
Les
tirailleurs qui nous ont relevés ont attaqué ce matin. Nous sommes remontés au
canon et je crois que cela ne va guère.
L’attaque
n’a pas réussi.
Je
vais ce soir au 4ème bataillon qui est en réserve dans un ravin assez
pittoresque.
Le
5 et 6 attaquent. Nous restons en réserve.
Les
boches résistent sur la dernière crête dans d’anciennes positions solidement
aménagées et défendues.
Le
2ème bataillon avec lequel nous sommes monte en ligne et nous installons le
poste de secours à la ferme Belle Assisse. Dans l’après-midi, nous apprenons
que les boches ont évacué leurs lignes.
La
division les suit.
Le
369 est en réserve, le 4ème bataillon en réserve du 283.
Nous
partons à leur suite, nous passons à côté de la ferme d’Attiche sur la
crête qui n’est qu’un monceau de ruine, des cadavres français et allemands
entre les lignes.
Nous
suivons le plateau et allons jusqu'à l’extrémité des carrières. Tout le terrain
au-dessus, des tranchées, une ancienne ligne d’artillerie a été terriblement
bombardée. Nous sommes dans des grottes immenses, les boches les ont quittés
tranquillement car il reste peu de vestiges de leur séjour.
Nous
changeons de grottes et en occupons une un peu mieux aménagée. De là-haut, nous
avons un panorama superbe sur la vallée de l’Oise où se distinguent plusieurs
villages, Noyon ou se détache la masse sombre de la cathédrale.
Toujours
dans nos grottes, on semble même s’installer sur ces positions.
Hier soir pourtant nous avons cru avancer, le 283 avait passé la
Divette sans rencontrer l’ennemi, sans doute n’étaient-ils pas loin car nous
n’avons pas bougé.
Nous
attendons toujours la relève bien impatiemment.
Je viens
au médecin chef, enfin ce soir, la relève !
Le
bataillon a fait la relève en bateau, mais avec les poussettes nous faisons le
chemin à pied et venons à Morvillers.
Nous
venons à 3 km de Saint Denis.
Fini trop
tôt le séjour à Estrées, je regrette surtout mon voyage projeté à Nanteuil.
On nous embarque en camion pour Carlepont, il n’y a que des ruines, pas
de cantonnement.
Nous
allons maintenant regretter Carlepont ou nous étions très bien installé
dans d’anciens abris d’artilleurs, nous repartons ce soir pour Manicamp,
c’est encore à 15 km des lignes, mais nous nous rapprochons.
J’attends
impatiemment le retour de la 1ère série des permissionnaires partis hier matin.
Nous
sommes partis à l’aube cette nuit à 1 h
et arrivons à Manicamp à 7 h,
il pleut et les ruines du pays ne nous offrent même pas d’abri.
Nous
allons nous installer dans des cabanes en dehors du village.
Fini le
soi-disant repos nous montons en ligne ce soir.
Nous
avons été bombardés toute la nuit, depuis le jour, c’est un peu plus calme,
mais il pleut et nous n’avons pas d’abris. Je me suis réfugié dans une tranchée
couverte.
Pas
de ravitaillement : combien j’aspire après la permission.
Après 4
bien mauvaises journées, nous avons quitté les lignes hier soir pour venir au poste
des Jumelles, la nuit n’a pas été meilleure : avions, gaz, obus et pas
d’abris, nous n’avons encore pu dormir.
Pour
pouvoir dormir enfin, nous nous sommes installés dans des sapes où doit venir
le colonel. Quel bonheur de pouvoir passer une nuit en sécurité !
Aussi
en ai-je bien profité.
Nous
quittons à regret notre sape pour aller le poste d’Aurigny (Suchet est blessé).
Notre
séjour à Aurigny s’est assez bien passé, mais ce matin en portant la
soupe à Chavy avec Delettre nous avons au retour passé un mauvais moment.
Enfin
à 2 h les permissionnaires viennent
nous remplacer et nous quittons ces lieux inhospitaliers.
Départ
en permission
Fin des carnets de route
Je
désire contacter le propriétaire
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