Publication :
Janvier 2025
Mise
à jour : Janvier 2025
Joannès Émile FEY porte la barbe pour cacher sa blessure de 1914. Une balle
avait transpercé sa mâchoire.
Prologue
Michel PONCET nous dit en juin 2018 :
« Je vous envoie le journal de guerre du
grand-père de ma femme, Émile Fey
que j’ai retranscrit en 2014. J’ai fait quelques recherche, mais je ne suis pas
allez bien loin ! Faites en profiter tout le monde. »
Remerciements
Merci à Michel pour le
carnet.
Merci à Philippe S. pour
les corrections éventuelles et certaines recherches.
Nous avons ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes
et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit. Pour
une meilleure lecture, j’ai volontairement ajouté des chapitres, et estimer des
dates (en bleu) sinon le reste peut comporter des erreurs, nous n’avons pas le
document original sous les yeux.
Introduction
Joannès Émile FEY est né en février 1884 à Saint-Didier-de-Rochefort (Loire). À son incorporation en octobre 1905, il déclare être ‘’entrepreneur pour matériaux de construction’’ et est affecté au 16ème régiment d’infanterie de Monbrisson (Loire). Il termine son service comme caporal fin septembre 1907. À la mobilisation, en août 1914, il rejoint logiquement le régiment de réserve du 16e : le 216ème régiment d’infanterie. À cette époque, il habite Lyon.
Je suis né en 1884 à La Sable, près de ST Didier sur Rochefort (42). J’appartenais à la classe de 1902. J’ai été mobilisé à St-Étienne (42) où je suis resté environ 3 mois. Puis j’ai rejoint la caserne de Montbrison comme secrétaire du capitaine Brelorier.
Au bout d’un an, j’ai été nommé caporal. Appelé pour 3 ans, cette classe fut la première à bénéficier de la loi de 2 ans.
Ensuite je suivis 2 périodes d’instructions : une de 28 jours à la Courtine et l’autre, la plus pénible, de 28 jours aussi en 1912, en manœuvres du camp de Selou (Cantal). (*)
(*) : Sa fiche matriculaire indique pour la 2e période plutôt 16
jours en 1913. Camp de Selou (Cantal) non trouvé.
Je suis resté à Lyon jusqu’au 3 août 1914.
Je prends le train à la gare de St Paul à Lyon jusqu’à la frontière du département de la Loire.
Là, les recrues arrivent, bruyantes. Je retrouve les anciens. Gare de Montbrison, une fanfare, des mobilisés de partout, un cortège rue Alsace-Lorraine.
Arrivé à la caserne, divers bureaux. On était affecté à la 14ème compagnie du 216ème.
Le capitaine, Luc Byfer, parlant peu, était de Lyon. (Je ne me souviens plus de son nom double). Je m’occupe des écritures. Le capitaine est satisfait de moi.
Un midi, un jour à la salle des rapports, il veut me faire nommer sergent. Le président refusa, alléguant que les cadres étaient complets. Le capitaine me garde comme agent de liaison entre les sections. Je pensais disposer d’une permission pour aller faire mes adieux à ma famille à la Sable. (*)
Impossible. État d’alerte.
(*) : À 37 kms de distance
Nous avons dû quitter Montbrisson le 8 août pour Paris après un défilé rue Alsace-Lorraine sous les fleurs et une grande foule. En train direction St Just et Roanne.
Là changement de direction – ligne secondaire aboutissant à Lure. C’est la nuit – wagons non couverts – nous avons froid. Les esprits se calment. Le moral tombe bas – teinte du rougeâtre ! Combien de jours et de nuits ce trajet … je l’ignore de même que le tracé de cette ligne.
Après le passage de la Saône, on entend le nom d’Alsace. Lure 2 ou 3 jours. Nous partons en direction de Belfort en une ou plusieurs étapes.
(*) : Le 216e avait les 5e et 6e bataillons, soit les compagnies
17 à 24 (erreur de retranscription ?)
La dernière le 19 août, pluie diluvienne toute la journée. Halte dans un faubourg.
Chacun cherche un gite. Je trouve une chambre. J’allais me coucher. Un adjudant de ma compagnie (Un corse tué à la Marne (*)) vient me déloger.
Une heure après, alerte, rassemblement, départ pour la frontière au son du canon qui fait rage au nord à Mulhouse, à l’est à Altkirch. Nous y restons un ou deux jours – tranchées, barbelés.
Départ pour Burnhaupt proche de Mulhouse. Nous y restons 1 jour. (22 août)
La bataille fait rage aux endroits susnommés.
Arrivons à Mulhouse, bataille terminée. Nous contournons la ville et allons passer la nuit sur une petite hauteur.
Là, je cause avec un auvergnat berger de profession qui m’explique les positions des constellations. Surprise pour moi de trouver tout le savoir de cet humble. Toute la nuit la bataille fait rage au sud.
Altkirch et vallée de l’Ill à nos pieds.
(*) : Il doit s’agir de l’adjudant-chef Paul François CAÏTUCOLI,
seul Corse du 216e tué à la Marne. Voir
sa fiche.
Le jour pointait à peine, nous descendons dans la vallée à l’est de Mulhouse l’Ill à Illfurth. Nous contournons le village pour le moment calme, suivons la route dans une espèce de détroit qui aboutit à une plaine droit devant nous et se termine par un piton boisé abrupt, occupé par les allemands.
Au sortir du couloir, à gauche, une montagne de sacs français ; je m’approche ; le 1er sac porte le nom d’un de mes adjoints de Lyon, mobilisé aux alpins. C’était surement lui, il n’est pas revenu.
A gauche une voie ferrée, des morts et des blessés des 2 nations, en plein soleil, sans secours. Nous avons su que les alpins avaient attaqué à la baïonnette en partant du couloir. Les mitrailleuses installées sur le piton ont pu faire un terrible massacre. Ma compagnie étant en tête, nous avons entrepris de traverser la plaine en tirailleurs.
Comme j’étais agent de liaison du capitaine il m’envoie en avant avec 5 ou 6 hommes. Avec prudence, nous partons en avant, alors des coups de feu, nous entrons dans les taillis ou régnait un grand désordre. Nous faisons signe qu’il n’y a rien. Alors la compagnie accélère son allure baïonnette au canon. Nous six continuons d’avancer.
Oh ! Surprise, dans un espace vide, nous voyons de tous côtés des instruments de musique et au milieu, assez pâle, comme un mort, un grand gaillard qui nous regarde ; Nous nous sommes vraiment écartés. La compagnie nous a rejoint. Elle a pris note et informé les infirmiers.
Avec la compagnie nous avons gagné en tirailleur le sommet du piton qui était couronné par un plateau. Nous y avons trouvé un corps d’un jeune soldat français percé d’un coup de baïonnette la veille ou la nuit. Il était du midi.
Après un arrêt de quelques minutes nous gagnons le plateau, au coude à coude, et baïonnette levée en avant. Personne devant nous. De là notre vue s’étend devant nous au nord : un agréable vallon, prairie et vergers. Un village accroché au versant opposé dont le clocher est percé par un obus. En bas à travers les prés des morts et même des blessés de la veille qui appellent. Un char à bœuf parcourt lentement le terrain avec quelques infirmiers. Mauvaise impression pour nous tous.
Ayant descendu dans le vallon et remonté vers le village. Nous constatons qu’il n’y a pas d’ennemis. Nous en profitons pour chercher un peu de ravitaillement. La bataille semble se poursuivre plus au nord mais faible.
Le soir même nous regagnons la vallée de l’Ill, marchons une partie de la nuit. Nous nous retrouvons dans un village de montagne- y restons un jour.
Le lendemain, nous partons pour Pont d’Aspach. Des petits postes sont échelonnés au nord du village. Malgré l’état d’alerte, les hommes, non de service, se ravitaillent dans ce bourg important. Le schnaps est à volonté – les bidons se remplissent.
Dans la soirée rassemblement et en avant vers le nord, une plaine devant nous – au loin la fameuse forêt de la Hardt que les habitants du Pont d’Aspach nous représentaient comme pleine d’embuches. Fusils et canons se taisent. Nous nous attendons à un piège.
Marche en carapace de protection contre l’artillerie. L’artillerie n’a pas donné heureusement – quel massacre cela aurait été. Avant la nuit retour à Aspach. Quelques heures de repos.
De bonne heure au matin en route pour Saint-Amarin ou nous passons la nuit.
Le lendemain, un dimanche, nous remontons la vallée Bussang par une pluie battante. La colonne marche en désordre. Nous admirons le travail fait par les alpins 15 jours plus tôt. Nous redescendons le versant ouest et arrivons au Thillot trempé comme des rats. Nous logeons dans des corons. Nous nous séchons et reposons encore le lendemain. Je crois que c’est là que nous avons appris la bataille de Charleroi et la mort du Pape.
Le régiment
reçoit un ordre pour s’embarquer en deux trains à Thillot le 28 août (un à
5h43, l’autre à 8h43).
Voyage lent – longs arrêts hors des gares. Ravitaillement presque inexistant : boites de conserve peintes en bleu. Pour les ouvrir, nos couteaux. Si par malheur des éclats de peinture tombaient à l’intérieur la conserve devenait poison. Résultats : diarrhées pour tous. Le train s’arrêtait pour satisfaire les besoins urgents. Le long de la voie, nombreux trains renversés. Par qui ? Par quoi ?
Nous espérions filer sur l’Italie. A Dijon, direction
Paris. Toutes les gares et routes encombrées. Nous contournons Paris. Avons
aperçu des bastions de fortifications, tranchées, barbelés : ouvriers peu
nombreux et pas pressés. Alors nous faisons d’amères réflexions. Toujours vers
le nord jusqu'à St Just-en-Chaussée (Oise)
où nous descendons et entendons parfaitement le canon.
Des refugiés sur toutes les routes.
En route accéléré vers le sud (retraite). Nous devions flanquer l’armée allemande, mais n’avons jamais rencontré l’ennemi, ni les français en retraite.
Nous marchions jour et nuit et sans ravitaillement. Aux courtes haltes nous nous gardions par de petits postes. J’ai fait partie d’un des petits postes face à Chantilly, nous entendions le roulement des convois allemands. Toujours le canon, quelques mitrailleuses lointaines.
Ravitaillement : ce qui nous parvenait tout était gâté : pain moisi, viande pourrie. Nous avions traversé une infinité de village, pas d’habitants. Toutes les bêtes de basses-cours tuées, entassées au bord de la route. Nous nous en chargions. Il faisait très chaud, nous ne pouvions pas les faire cuire. Nous les jetions et mourrions de faim et soif.
Les compagnies et régiments se succédaient dans l’ordre de marche ou de flanquement. (*)
Arrivés à l’Isle-Adam ; nous étions en arrière-garde. Avons fait
barrage à l’immense foule qui voulait traverser l’Oise. Nous avons passé le
pont les derniers, il a sauté au désespoir des refugiés.
L’immense forêt de
l’Ile-Adam a été traversée de vive allure, et nous somme arrivé à Noisy-le-Sec.
Dans la nuit, nous nous sommes rencontrés une dizaine de St Didier (sur-Rochefort). Le moral était très bas. Plusieurs devaient tomber à la Marne 3 jours après.
Il était très difficile de reconnaître les localités. Tous les poteaux enlevés et n’avions pas de carte. Nous avons dut arriver à Noisy (**) le 3 septembre 1914.
(*) : Le régiment retraite vers le sud, vers Paris : Bresles – Bornel – Moisselles (3 sept.). Le JMO de la brigade dit le 3
septembre : ‘’ Chaleur intense (…) Les
routes sont encombrées de population qui fuient (…) Villages abandonnés,
magasins et caves pillés par les troupes (…) la fatigue des troupes est telle
que des compagnies entières s’arrêtent sans ordre et s’endorment… » JMO.
(**) : Venant de
l’Isle-Adam, il ne peut pas s’agir de Noisy-le-Sec. Le JMO indique Longperrier et Oissery. Il s’agit
donc très probablement de Largny-le-Sec (erreur de
transcription ?).
Rappel : les dates en bleu sont des dates
calculées par rapport aux JMO du régiment et de la brigade
Ce qui était frappant en ce premier jour de bataille c’est que nous combattions face au sud. J’en ai parlé au capitaine, il en était surpris aussi.
Probablement le 4 septembre, nous partons en direction est vers l’Ourcq.
Le premier jour, dans la soirée nous traversons des villages sans habitants- des traces de combats, vêtements, équipements anglais-chevaux tués, sans doute combats de patrouilles de cavalerie -toujours vers l’est- lueurs dans le lointain à droite. Marche colonne de route-compagnie observant. La bataille fait rage au nord et au sud, devant nous. Ma compagnie se trouve en tête.
En vue un coquet village avec son élégant clocher dans une petite vallée barrée à l’est par une colline d’accès abrupt. Le capitaine arrête la compagnie et comme j’étais son agent de liaison, il me dit avec 3 hommes d’aller reconnaître ce village, son nom et si il y avait des habitants. Avançons direction de l’église. Pas de poteau indicateur, pas âme qui vive. Brusquement des obus rasent le toit de l’église, font voler les tuiles et vont éclater plus loin sur des régiments qui suivent. La pagaille immédiatement.
Le capitaine me dit d’indiquer aux sections de garder le chemin creux qui grimpe sur la montagne. Trois sections suivent le capitaine mais la compagnie est introuvable. J’apprends qu’elle suit la route pour contourner la colline avec d’autres régiments. Je rejoins le capitaine au sommet de la colline. La, compagnie déployée en tirailleur reçoit des obus à schrapnels - c’est là que nous avons notre premier tué, un lyonnais, garçon charcutier. Le bombardement cesse. Nous descendons la colline face est.
(*) : Parmi les 13 tués du 216e RI ce jour-là, 2 habitaient Lyon
avant-guerre mais aucun garçon charcutier : Jean Pierre HEURTIER : garçon de
café (sa
FM) et Jean Louis POIZAT : chapelier (sa
FM).
Erreur de retranscription garçon de café au lieu de garçon boucher ?
Rejoignons la route, et entrons dans le village de Neufmoutier (*) plein de troupes et quelques prisonniers allemands. Nous dépassons Neufmoutier, suivons la route vers l’est sans être trop arrosés. Arrivons à un village étiré en largeur nord-sud. Devant nous des champs de betteraves, terrain légèrement en pente face au sud. En tirailleur, nous avançons d’abord debout mais les chefs comprennent qu’il vaut mieux avancer plus bas et se coucher. Nos obus de shrapnels nous couvrent. Heureusement éclatent haut. Les éclats sont moins à craindre-mais très impressionnants. Le plan incliné s’arrête avec un fond où nous sommes moins à la vue. Le terrain remonte en pente douce, toujours dans les betteraves.
: Neufmoutier : pas possible. Le
216e attaquait sur la ferme de Nogeon / Reez (JMO et confirmé plus loin). Aucun village ou hameau
du nom de Neufmoutier mais, y arrivant avant
d’attaquer Nogéon, parmi les noms « pouvant ressembler », il pourrait s’agir de
Fosse-Martin mal orthographié ou/et retranscrit (à vérifier sur le manuscrit)
Cette fois c’est plus sérieux, avec les shrapnels des balles nous arrivent. Il n’est plus question de rester debout. Bonds rapides et vite aplatit. Pouvons-nous tirer ? Nous ne voyons pas l’ennemi. Là-bas au sud la route signalée par les arbres. Les boches sont sans doute dans les fossés bien à l’abri. A quelle distance de nous ?
Peut-être 2000 mètres. Nous ne pouvons guère les atteindre. Et puis ils ont sans doute des mitrailleuses qui portent plus loin et remplacent bien des hommes. Nous, pas de mitrailleuse.
Tous nous avançons bien lentement et ne nous rendons pas compte des pertes. Nous avons une soif terrible. Rien à manger évidemment et si fatigués que dès le bond en avant, faible, nous nous endormons. Nous nous passons la consigne quand le chef crie en avant, nous nous tendons les mains et nous levons ensemble, à moins que le copain ne soit mort.
Ce premier jour je n’ai pu voir le capitaine qu’une fois. Impossible de savoir où étaient réellement les sections. Il me dit :
« Tachez de trouver un moyen de les rejoindre, vous direz aux chefs de
tenir bon que les Rimailleurs (artillerie
lourde) arrivent à Neufmoutier »
Le 75 donnait fort. Les 77 allemands aussi et le lendemain les gros lourds allemands allaient nous faire de terribles dégâts.
Notre tenue trop voyante (avec des pantalons rouges) était mortelle pour nous. Pour nous protéger la tête nous avions notre couvercle de gamelle dans notre képi. Pour mon compte j’ai reçu un éclat d’obus de schrapnels sur la tête qui a percé mon képi mais a été arrêté par le couvercle. Ma capote était labourée par des éclats mais aucune blessure.
Une question importante pour nous : en prenant position sur ce terrain nous partions en tirailleurs, le plus souvent en posture couchée. Les renforts arrivaient, faisaient comme nous, ignorant souvent qu’il y avait des troupes devant qu’ils pouvaient ne pas voir, donc tuer des français.
C’est ce qui est arrivé à un sergent, instituteur (*) tué par une balle venant de l’arrière. En tombant il s’est écrié :
« Je suis tué par des français »
(*) : Connaissant sa profession, il devait le connaître un peu, donc
être du même régiment. Au 216e RI, 2 sergents ont été tués à cette période dont
Noel Henri GIRY qui était instituteur (sa
FM) - l’autre, Elie Joseph Louis SORREL, était
licencié-es-sciences (sa
FM). Tous les 2 ont été déclarés tués le 8 septembre (au lieu du 6) mais
c’est probablement la date de découverte de leur corps après l’avance des
troupes, l’ardeur des combats empêchant sûrement de les recenser avant.
Le capitaine était inquiet de ces arrivées de renforts et m’a envoyé surveiller et avertir les officiers mais c’était difficile d’éviter les dangers.
Extrait
du JMO de la 125e brigade d’infanterie – 6 septembre après-midi.
A la nuit, m’a compagnie a été relevée (ce qui en restait). On nous a rassemblés dans une grosse ferme Nogéon situées à quelque centaine de mètres pour nous reposer et manger si possible. Pas de ravitaillement. La Croix-Rouge qui y était installée avait fait tuer toute la basse-cour et cuire dans une grande chaudière. La cuisson n’était pas complète.
L’alerte sonne. Ceux qui peuvent prennent quand même un morceau de poulet et le mange aussi. Rassemblement rapide. Baïonnette au canon. (*)
Pas de charge en pleine nuit. Après cette alerte, établissement de nombreux postes. J’ai pris cette faction à mon tour avec un camarade. C’était angoissant.
Dans la nuit tout semblait bouger et il fallait se méfier des rampants. De tous côtés, vers le nord, vers le sud ce n’était que charge à la baïonnette avec clairon. Et des hurlements, des cris.
(*) : Le général Lombart
de la 63e division donne l’ordre de rassembler les troupes disponibles et de
prendre Vincy coûte que coûte. Ordre annulé ensuite.
Le 216e RI reste dans le secteur de la ferme Nogéon.
Vers 5 heures du matin, rassemblement à côté de la ferme dans la fosse à pulpe de betterave, baïonnette au canon. Il ne fallait pas sortir la tête, les balles passaient sur nos têtes. Un des voisins y a été tué d’une balle en plein front.
Les Allemands avaient dû avancer. Nous n’osions pas tirer car des Français pouvaient être devant.
Enfin le calme revient.
Le capitaine me fait remarquer que je ne l’avais pas assez rejoint dans la journée. Je lui ai exposé la difficulté de reconnaître les emplacements. Les combattants étant le plus souvent couchés, cachés par des feuilles. Il m’a compris et m’a donné un adjoint. La compagnie sortit de la fosse grâce à une accalmie.
Le capitaine est parti avec la moitié de la compagnie et mon adjoint. Je suis resté avec l’autre fraction de la compagnie. Les deux lieutenants étaient absents ou blessés.
Sous le commandement d’un sergent, nous suivons la direction prise par le capitaine (les deux lieutenants étaient disparus, spécialement le nôtre avait été blessé. Je l’ai revu quelque mois plus tard à Montbrison). Nous profitons d’un repli de terrain non atteint par les balles pour attendre le moment favorable de reprendre la marche en avant.
Là nous avons assisté de loin à deux spectacles horribles :
Le 1er venant de Neufmoutier (Fosse-Martin ?) : À travers champs, en tirailleur, ligne parfaite des fantassins avancent rapidement. Tout un coup la grosse artillerie allemande les prend sous ses tirs. Tout est instantanément disloqué, plus de ligne, des morts, des blessés (des pantalons rouges). Les rescapés se portent en avant à toute vitesse.
Le 2eme au même endroit : Arrive un gros peloton de cavaliers. Pris sous le feu au même endroit. Tout se volatilise en un instant.
Une fraction de la compagnie, directive du capitaine, suit donc portée à notre droite face à la route supposée occupée par nos ennemis (à environ 2 km) une suite de hangars qui nous sépare de ce groupe. Brusquement la grosse artillerie ennemie pulvérise et embrase toutes ces constructions. Aucune liaison possible avec le capitaine. Je ne le reverrai plus ainsi que mon adjoint. Sous la conduite du sergent, nous étions mettons 30 hommes, en tirailleur. Nous avançons par bonds. Prenant bien soin de nous entendre avec nos voisins, pour constater qu’ils étaient vivants et qu’ils ne dormaient pas. Nous étions si fatigués et assoiffés que nous dormions malgré ces dangers.
Quelle distance avons-nous parcourus ? Guère plus de 500m. Les hommes ne répondaient plus et nous ne pouvions pas juger s’ils étaient morts ou vivants. Et puis, le sergent n’a pas fait entendre sa voix. Nous appelions sans nous lever. Personne ou presque nous répondait. Alors que faire ?
Inutile d’avancer. Les hangars de droite flambaient encore et étaient arrosés par la grosse artillerie. Des gerbiers flambaient.
A quelques mètres de nous, à gauche, un gerbier tenait encore. Nous nous y rendons en rampant.
Là des morts, des blessés ; j’ai soutenu un mourant du 321ème, donc de notre corps d’armée. Comment se trouvait-il là ?
Le nombre augmente rapidement. Les tireurs allemands ont dû quitter les fossés de la route. Notre gerbier ne va-t-il pas flamber ? Ce que nous craignons tous. On décide de se mettre sous la protection de la Croix Rouge. Nous arrachons une chemise à un mort, la trempons dans le sang d’un blessé et la hissons péniblement au sommet du gerbier. Mais alors les blessés ne veulent plus voir les valides qui attireraient la bataille vers le gerbier. Il faut donc partir. Mais de quel côté ? Les balles sifflent de partout. Peut-être même des Français.
Nous décidons, en souhaitant bonne chance aux restants, de nous replier individuellement en direction de la grosse ferme, d’abord vers les hangars plus près de nous. Nous calculons le trajet, environ 300m. Par bonds de 30 ou 40m, sac sur la tête, à plat-ventre et encore en avant. Nous suivons de l’œil les premiers qui réussissent. Avant moi, une connaissance de Montbrison (agent de liaison) arrive.
A moi le tour, je réussi aussi.
Avant le premier hangar, un haut tas de fagot de bois. En passant je reconnais 3 capitaines qui suivent aux lunettes les péripéties du combat. J’arrive au premier hangar. Il y avait 2 rangées séparées par un chemin. Brusquement 2 obus arrivent, l’un éclate sur le fagotier et tue les 3 capitaines. L’autre éclate en face des deux hangars et déversent ses éclat sur le hangar face à nous : des morts, des blessés. Les survivants valides devinant que le tir allait s’ accentuer et mettre le feu partout, nous nous replions vers la ferme. Une route passait devant nous.
Là, se tenait un grand diable et courageux officier qui arrête tous ces repliés et nous fait mettre dans un fossé de la route peu profond. Les balles arrivaient sur la route et ricochaient sur nous. Alors il faut nous replier plus loin dans une dépression.
Peu après, arrive en renfort des alpins (58e bataillon de chasseurs alpins). Tout le monde dans le rang en avant, direction de la ferme, derrière les murs à l’opposé du front. Nous y restons peu de temps car, chose curieuse, des balles nous y faisaient des blessés. Un ordre brutal :
« En tirailleurs,
baïonnette au canon ».
Pas de charge.
Nous faisons peut être 400m. Tous couchés. Les balles passaient sur nous. J’avais un voisin que je connaissais bien de Roche la Molière. Voilà qu’il se met à crier :
« Qu’est-ce que tu as ? Tu es blessé ? »
« Non une balle
m’a giflée ».
Nous étions derrière une herse. La balle avait frappé
le fer.
A la nuit, ceux qui n’étaient pas des alpins, repli en arrière dans un ravin. Le clairon du 216ème sonne le ralliement. Nous étions peu nombreux. Plus d’officier. On nous indique de nous replier à environ 1 ou 2 km. Il faisait nuit noire. Nous y arrivons cependant. On se couche, on dort.
Finalement, 2 ou 3 officiers arrivent, nous groupent par compagnie et font l’inventaire des présents. Pour ma compagnie nous étions 70, d’autres beaucoup moins. C’était en pleine nuit.
Finalement en colonne, nous nous mettons en marche vers le champ de bataille. Nous arrivons vers un groupe de maisons. Il y a une ambulance improvisée : des morts, des blessés. Nous cherchons s’il y a des connaissances. Un peu de ravitaillement et surtout enfin de l’eau. Chacun trouve une place pour enfin dormir dans la paille. Brusquement une vive fusillade éclate autour de nous, parmi-nous. Debout affolés, nous croyons à une percée des boches. Il n’y en a pas. Que s’est-il passé ? Nul ne le sait ! Et pas de blessés.
A la pointe du jour, nous repartons pour la ligne de feu. Il doit y avoir des débris de plusieurs régiments. Nous n’allons pas loin. Un avion nous survole. L’artillerie allemande nous barre l’avance. Arrêt.
Léger repli en ordre.
Enfin nous repartons en appuyant à droite. Nous marchons jusqu'à une dépression qui nous met à l’abri des balles. Un monticule assez haut nous dérobe à la vue de l’ennemi. Nous y restons une partie de la journée (ce devait être le 8). Des artilleurs viennent y enterrer les leurs et rendent les honneurs.
La nuit tombée, nous gravissons baïonnette au canon le monticule protecteur. Il faisait une nuit noire.
Nous nous attendions au pire. Après une avance peu prononcée, on nous fait coucher. Rien ne se passe.
Au jour, c’est le silence. Le canon tonne plus à l’est. Calme en face de nous. La bataille de la Marne est terminée.
(*) : Pour ces trois journées le 216ème régiment d’infanterie
ainsi que son régiment ‘’ frère’’ ont perdu plus de mille hommes chacun :
Direction de l’est – vers Betz – sans tirer un coup de feu. Même notre artillerie est silencieuse.
Marche en colonne sur la route avec patrouille sur les flancs. L’air est empoisonné par les cadavres des chevaux en bordure de la route. Nous approchons de Crépy-en-Valois. Quelques rares prisonniers allemands. Des carcasses de voitures. Près de Crépy une montagne de sacs allemands.
Nous approchons de Coeuvres. Une forte patrouille, dont je fais partie, sur la gauche, sur une montagne peu élevée. La montée en tirailleur est pénible. Nous arrivons à la route qui de la ferme descend sur Coeuvres. Une belle voiture allemande y est abandonnée. Nous nous en approchons avec précautions. Pas d’allemands. Nous fouillons la voiture d’état-major certainement. Pleine de cartes d’état-major. J’en ai pris plusieurs qui m’ont servie dans la suite.
Nous arrivons à la ferme. Pas d’ennemis. Mais toutes les bêtes de la ferme tuées, écorchées et pendues.
Nous descendons vers la ville.
La nuit est tombée.
La compagnie avec un nouveau capitaine doit aller visiter une ferme, en avant, direction de l’ennemi. Nous partons, très fatigués, espérant pouvoir y dormir. Le capitaine envoie en avant un sergent de l’Hôpital /Rochefort (nommé La Tuile) avec quelques hommes. Il revient avertir qu’il n’y a pas d’ennemis. Nous y arrivons et nous nous disposons à dormir. Mais surprise, il y a un cheval que le sergent n’avait pas vu. Nous cherchons le cavalier ; Nous trouvons un hulan dans le foin qui dormait. Nous le ramenons à Coeuvres.
De bon matin-départ pour Villers-Cotterêts. Des voitures calcinées tout le long de la route. Quelques paquets de prisonniers. Nous étions étonnés du silence de notre artillerie. Si elle avait donné, elle aurait pu faire un beau travail. Les habitants nous renseignaient, nous disaient qu’ils marchaient las, à peu de distance de nous. Nous traversons plusieurs villages dont Ambleny peu avant la route de Soissons à Compiègne. Nous traversons cette route. Allons passer la nuit dans une grosse ferme sur le canal.
C’était le 12 septembre. L’ennemi n’était pas loin. Il aurait très bien pu nous surprendre. Ravitaillement, enfin un peu de repos. Réorganisation.
Deux compagnies se trouvent sous le commandement d’un même capitaine. Le nôtre (nouveau) nous fit très bonne impression. J’étais désigné pour remplacer le sergent-major de la 21ème compagnie (il avait été tué à la Marne). La 21ème était jointe à la 17ème.
Le sergent de cette dernière se joignit à moi. Et ensemble nous commençâmes à établir les listes nominatives.
Dimanche, le 13 au matin, départ en colonne pour traverser le canal, sur un pont jeté la nuit. La marche était lente. Pas de tirs. Je marchais en queue de colonne avec mon collègue terminant tant bien que mal nos écritures sur des papiers quelconques. On traversait le pont au galop.
Juste à ce moment, l’artillerie allemande arrose le pont. Il y avait aussi des balles. Donc l’ennemi était proche : des morts, des blessés. Je saignais fortement du menton. Instinctivement nous nous jetons sur la gauche du pont. Quelques-uns, les malheureux, furent projetés dans le canal (je crois que c’est là qu’est mort mon ami le sergent Lafuma (*) inscrit sur le tableau mortuaire de Montbrison et quelques autres connaissances).
(*) : François LAFUMA, sergent, 26 ans, mort pour la France à Confrécourt le 20 septembre 1914. Voir
sa fiche.
Sur la pente du canal, de grosses racines pendaient vers l’eau. Nous étions de véritables grappes humaines. Les obus continuaient de pilonner le pont. La terre tremblait. Des racines cédaient et les hommes tombaient dans le canal très profond. Ma racine tenait bon. Mais j’avais envisagé le plongeon. La profondeur du canal et la rapide disparition de ceux qui avaient décroché m’incitait à tenir bon. Une accalmie vient enfin.
Je sautais sur le talus, abandonnant fusil et sac et me dirigeais sur la gauche. Le bombardement continuait sur la droite. Je longeais le canal le long d’une mare mais les balles sifflaient. Je m’aplatissais. Ma blessure ne me faisait pas trop mal, mais le sang coulait.
Voici qu’arrive, après avoir traversé le pont, le 286ème du Puy, un infirmier me voit et vient à moi. C’était un ami de Lyon, un abbé de Saint-Nizier, professeur à l’école cléricale. Surprise pour nous deux. Il examine ma blessure. Il estime que j’ai la mâchoire traversée.
« La guerre est finie pour
toi, tache de trouver un moyen de te replier ».
Nous nous embrassâmes. Adieu et bonne chance. Il a été tué 2 jours après à Vingré.
Profitant d’un calme, je revenais vers le pont qui avait résisté au tir, le traversais et me lançais dans la plaine pour rejoindre le route de Soissons, avec de nombreux blessés.
Retour à la ferme. Les médecins et infirmiers étaient affairés. Le médecin jugea que j’avais la mâchoire cassée, donc évacué.
Les évacués blessés pouvant marcher prenaient la route d’Ambleny direction Villers-Cotterêts. À Ambleny on nous groupa pour passer la nuit dans les appartements vides ou les granges. Pendant la nuit j’ai été pris de fièvre, j’ai déliré. Les camarades étaient obligés de me tenir et je n’étais pas seul.
Le matin réunion dans l’église de tous ceux qui pouvaient marcher. Distribution à chacun d’une boite de sardines et en route pour Villers-Cotterêts, une vingtaine de kilomètres. En cours de route des renforts arrivaient. Quelle vision pour eux !
Un groupe de Montbrison était conduit par le sergent-fourrier Paul MalleT de la Sable. Il devait être blessé quelques jours après au Vingré. (*)
Sur notre chemin un boulanger défourne son pain, lequel est de suite enlevé. Résultat : mangé gloutonnement et dysenterie.
A Villers-Cotterêts, nous avons attendu longtemps le train sanitaire. Enormément de blessés, j’en ai vu mourir faute de soins. Même des médecins ne s’en occupaient pas.
En train, nous avons mis 4 jours pour aller à Valognes (Manche). J’y suis resté 2 jours. Envoyé à Barfleur pour 15 jours de convalescence. Ma blessure c’est rapidement fermée mais elle a suppurée longtemps.
(*) : Il sera blessé le 17 septembre à Vic-sur-Aisne (proche de Vingré). Voir
sa fiche matriculaire. La Sable est un lieu-dit de St-Didier-sur-Rochefort
où habitait Paul au recensement
de 1906.
Je reviens à Barfleur avec plusieurs camarades en passant par Paris. Nous nous séparons à Lyon. J’y vais voir ma tante. De Montbrison je vais en permission à St Didier (sur Rochefort, 42). Je suis affecté à une compagnie qui loge dans les locaux des étalons à la Madeleine. On y couche sur la paille.
Heureusement je fais la connaissance d’une dame très âgée qui habitait une agréable petite maison en face. Cette dame était veuve d’un employé des finances. Elle connaissait parfaitement St Didier.
Avec elle, j’apprenais bien des histoires anciennes du pays. J’y amenais un ami de St Didier très bavard qui s’accordait parfaitement avec cette dame. Dans cette maison nous y avions vécu des heures heureuses. Nous apportions notre manger et au besoin elle nous faisait un peu de cuisine. Nous lui faisons toutes les commissions et entretenons la maison. Elle est morte peu de temps après notre départ.
Inutile de dire que l’esprit n’était pas bon dans les militaires. Trop d’embusqués galonnés qui gardaient jalousement leur soi-disant emploi. Les ex-blessés regardaient et eux restaient.
J’étais toujours caporal. Je fus désigné pour l’instruction de la classe 14, mais je partis au front avant elle.
Formation du 16ème bataillon de marche. Commandant Chamousset de Montbrison.
Je crois qu’il y avait 3 compagnies. (*)
Nous quittâmes Montbrison au début de février pour Feurs (**) par la route.
Logement : dans les granges. Avec un camarade de Lyon j’eus la chance d’avoir une chambre.
Notre emploi du temps : des manœuvres sur les bois de la Loire. Comme officiers : un capitaine assez curieux disciple de Bacchus ; un lieutenant, légion d’honneur St Cyrien, plein de vie et se faisant aimer ; un sous-lieutenant sortant des sous-offs de la coloniale se tenant timidement distant du soldat.
(*) : Il était composé de 4 compagnies, trois venant du dépôt du
16ème régiment d’infanterie et une du dépôt du 98ème régiment d’infanterie
(**) : Feurs se trouve à 20km de Montbrisson.
Nous quittâmes Feurs vers le 11 février (*), destination Paris, l’Oise. Ressons-sur-Matz prés de Lassigny.
Nous pensions aller renforcer le 16ème qui depuis longtemps luttait dans un bois fameux, à proximité. Le village de Ressons était surchargé de troupes de toutes provenances. Nous avons dû y rester 3 ou 4 jours.
Je me souviendrais toujours de la cérémonie du soir à l’église pleine de soldats. On entendait parfaitement la canonnade. Le curé, grand et maigre y prêchant d’une voix très forte s’efforçant de nous donner courage et confiance.
(*) : C’est le 9 février à 16h02.
Brusquement nous quittons l’Oise pour la champagne. Nous débarquâmes au sud de Verlu (?). (*)
C’était la bataille de Champagne. Du point du débarquement nous entendions parfaitement le canon. Nous n’avons pas participé à la bataille.
A pied nous gagnons une localité assez intéressante à Villeseneux. Nous allons passer quelque temps relativement tranquille. Nous y avons perdu notre capitaine sans regrets. Remplacés par le capitaine De TURENNE qui fut tout de suite estimé. C’est lui qui me fit nommer sergent. Le lieutenant St Cyrien dirigeait en somme la compagnie. Il exigea que nous marchions au pas alpin.
Il nous faisait faire de manœuvres originales.
(*) : Le bataillon est débarqué à Sommesous (51). Le village au
nord doit-être Vatry.
Un jour que nous manœuvrions sur un terrain plat, voyant un groupe de cavaliers, il s’entendit avec le maréchal-des-logis, nous fit mettre sur plusieurs rangs en tirailleurs et les chevaux passèrent en trombe sur nous sans mal.
Une autrefois il voulut voir si nous savions attaquer un point élevé gardé par des mitrailleuses. Le sous-lieutenant attaquait par le nord, moi par le sud. La seule manœuvre possible était de diviser les attaquants en 2 groupes : un groupe protégeant par son tir le groupe avançant. Je ne pouvais voir ce que faisait le lieutenant. Tout à coup le lieutenant l’interpelle et l’incendiant des plus gros mots.
Se jetant par terre il criait comme un fou en se roulant dans tous les sens. Ceci fit très mauvaise impression sur l’ensemble des soldats qui n’acceptaient pas ce manque de respect entre officiers. Nous y vîmes plutôt une expression de mépris du St Cyrien contre le type sorti du rang.
Résultat : Nous ne souhaitâmes pas aller au front avec cet officier. Il nous quitta peu après.
Enfin brusquement, nous apprenons que dans toutes les compagnies, 3 sections sur 4 seront prélevées pour aller en renfort. Ma section reste, quelle chance ! Les copains allaient en renfort aux Éparges. 15 jours après les rescapés venaient au repos près de nous. Hélas ! Aux renseignements, bien de nos connaissances n’étaient pas revenues.
Le bataillon se trouve donc réduit.
On nous occupe aux tâches les plus diverses. Je suis désigné avec une dizaine d’homme pour parcourir plusieurs communes afin de rechercher les corps incomplètement enterrés pour les enfouir convenablement. C’était en pleine Champagne pouilleuse, immense étendues de petits pins.
Après la Marne, dans ces régions, on s’était contenté de jeter quelques pelletés de terres sur les corps. Les cranes roulaient dans les environs, les pieds sortaient. Nous avons surtout vu ces tristes spectacles aux approches de La Fère-en-Tardenois. Pas de croix, pas de noms, rien pour identifier.
Les Français avaient des tombes, croix et inscriptions. On avait, à l’époque, du manquer de personnel. Les cadavres des chevaux nombreux empestaient. Nous avons eu l’occasion de voir des positions de tir de l’artillerie allemande bien camouflées dans les bois. A côté une montagne de culots d’obus. Une montagne de bouteille de champagne. Les tournées nous intéressaient beaucoup dans ces petits bois pleins de gibier, lièvre et lapins. Si nous trouvions une auberge nous y prenions un repas qui nous changeait de l’ordinaire.
Villeseneux était un village déchu. Il avait dû être important. L’église était dans un état lamentable de malpropreté. Des corvées s’en occupèrent et nous pûmes y assister à la messe.
Voilà que des renforts nous arrivent et du midi. Les compagnies se complètent. Nous faisons très bon ménage avec ces méridionaux.
Les exercices reprennent surtout dans l’attente du général
LANGLE de Clary qui doit venir
nous inspecter.
Comme exercice nous faisons surtout l’escrime à la baïonnette (choses horrible !) et je suis désigné comme instructeur.
Etant fin prêt, en route pour Verdun.
Nous débarquons à Dugny, à pied nous remontons la vallée de la Meuse. Nous nous arrêtons face aux Éparges tant redoutées. Nous cantonnons dans un petit village, Monthairons. Nous y restons 8 jours. Principale occupation : enlever les tas de fumiers. Ce n’était pas trop désagréable, les habitants étant gentils.
Finalement le commandant reçoit l’ordre de nous mener aux tirs au fort de Rozelier, je crois.
La marche est longue et pénible dans une région sinistre. Nous étions fourbus en y arrivant. Voilà-t-il que l’ordre est donné de faire demi-tour et d’aller immédiatement en renfort aux Éparges. Le commandant expose à l’officier envoyé que c’est impossible, que ses hommes ne peuvent pas faire cette marche. La discussion a été serrée d’après notre capitaine, mais le commandant a eu gain de cause. Sans faire les tirs nous revenons à Monthairons. Pendant ce temps les combats étaient terribles aux Éparges. Les Allemands avaient sérieusement avancé.
Le lendemain nous y allons, traversons la Meuse et gagnons le village de Rupt-en-Woëvre. Nous y restons quelques heures. Il y sentait terriblement mauvais à cause des feux allumés pour brûler les ordures. La saleté partout. Pas un endroit pour s’asseoir. Là, nous apprenons que notre capitaine de TURENNE nous est enlevé. Donc un seul officier, le sous-lieutenant que nous connaissons si peu, et le commandant.
Sur le soir, nous allons en ligne.
Là, Mr de TURENNE qui a comme fonction, nous supposons, d’aiguiller les renforts sur les positions. Il nous dit adieu de la main. Nous étions dans le grand bois. On a coupé tous les petits arbustes, les grands troncs sont restés. Comme terrain d’un côté un grand ravin, au fond une route : la fameuse tranchée de Calonne
Le sous-lieutenant installe sa section depuis la route jusqu’au rebord du plateau. Rebord du plateau sur une longueur de 100m environ j’y installe mes deux escouades. Nous devons creuser des tranchées, car il n’y a absolument rien. Je m’occupe de la première avec un charmant caporal du midi.
La seconde tranchée à 10m de nous sous la direction du caporal Chaise de St Didier (un professeur). Pour creuser ses tranchées quels outils avons-nous ? Nos couteaux et nos baïonnettes. Et dans ce terrain ce n’est pas facile, des petites et des grosses racines de partout. Devant nous qu’y a-t-il ?
D’abord à 10 m le cadavre d’un Français tombé la veille sans doute et qu’on a pu aller relever. 5m plus loin, des barbelés. Plus loin de gros arbres. On ne voit pas l’ennemi mais il révèle sa présence par ses tirs. Où est-il exactement ? Dans les arbres sans doute, invisible. Nous lui répondons au jugé.
Nous passons la nuit à creuser.
J’avais avec moi un ami de St Jean La Vêtre, dans le civil professeur de français à Vienne, pas habitué à ce travail, il pleurait de rage. Je lui disais :
« Dépêche-toi car au petit
jour nous allons être arrosés ».
Au jour, nos tranchées pouvaient garantir les hommes couchés ou courbés. C’est calme, le boche ne tire pas. Des hommes en profitent pour sortir pour voir un ami ou satisfaire un besoin. Ce jeu était très dangereux. J’y ai perdu un ami de Montbrison. Brusquement l’ennemi se met à tirer. Il nous voit, nous ne le voyons pas.
Notre artillerie se met de la partie, mais elle tire si bas que nous risquons d’être les cibles. On crie de partout. De temps en temps le commandant parcours rapidement la ligne. Nous savions que nous devions attaquer.
Mais quand ? Nous passons la journée et la nuit à tirailler.
Le lendemain en matinée, le sous-lieutenant vient me trouver (Je l’avais vu avant pour le ravitaillement en cartouches). Il me dit :
« Quel est le plus jeune
sergent ? »
Je n’en savais rien. Mon caporal lui dit
« C’est le sergent de Mardaillac »
Il le fait appeler et lui dit :
« Allez couper les barbelés
pour l’attaque ».
Ce jeune homme a été d’un sang-froid admirable .Il s’est avancé et s’est mis à faire le passage puis il revient sans se presser. Nous ne l’avions pas perdu de vue un instant le doigt sur la gâchette. Une heure après le commandant vint nous inspecter. Voyant les barbelés coupés, il dit :
« Quel est le boche qui a
fait couper les barbelés ? »
On le renseigne.
Nous avons pensé que le sous-lieutenant a dû recevoir ce qu’il méritait. Dans la journée le commandant était blessé. (*)
Avant la nuit, nous voyons le sous-lieutenant déboucher dans notre tranchée, furieux. Une motte de terre à la main, s’adressant à mes hommes surpris, il s’écrie :
« Vous m’avez tiré dessus ! »
Et il lance sa motte qui atteint mon caporal en pleine figure. Celui-ci furieux lui crie :
« Mais personne ne vous a tiré dessus ! »
Et à son tour prenant terre, ou pierre il a poursuivi l’officier qui s’est sauvé. Aucun d’entre nous n’aurait eu l’idée de tirer sur son officier. Nous en avons conclu qu’il fallait en parler au commandant. L’affaire des barbelés et cette idée d’avoir été attaqué, nous faisait craindre qu’il perdait la tête.
Mais nous avons alors su que notre commandant avait été blessé. Je n’ai plus entendu parler de lui. Nous l’aimions beaucoup. Il était des environs de Montbrison.
Cet accident a sauvé la vie de beaucoup d’entre nous. Pas de chefs, nous ne pouvions donc plus attaquer. Alors on nous a envoyé un commandant dont les soldats se sont intercalés parmi nous.
J’en avais un à côté de moi, un breton. A un coup de sifflet, ils ont sauté le parapet. (**)
Je n’en ai pas vu un seul faire plus de 10m. Celui qui avait été mon voisin est tombé à 2m. Nous l’avons tiré par les pieds. Nous n’avons pas eu le temps de voir sa blessure. Nous l’avons sorti péniblement de la tranchée.
(*) : Le 29 avril à 05h30, le commandant Simon Joseph ChamOusset
est blessé par balle ayant traversé la hanche gauche.
(**) : Le 16e bataillon n’était qu’en appui feu : ce sont
des troupes du 51e et du 132e qui attaquent.
Le lendemain, nous étions descendus au village immédiatement en dessous. (*)
Le cimetière était à l’entrée. J’ai vu son nom sur une tombe fraiche.
Donc le lendemain, nous sommes relevés. En descendant nous passons à côté d’une grande fosse commune. Déjà un nombre de mort. Je reconnais le plus visible, Il avait été ordonnance d’un capitaine pendant l’active à Montbrison.
En résumé, ma compagnie n’avait pas eu beaucoup de pertes, mais très probablement il n’en avait pas été de même pour les autres.
Ce qui me surprit pour ce court séjour aux Éparges c’est qu’il était difficile de nous faire une idée de l’emplacement exact du bataillon. J’ai ignoré où et comment étaient implanté les autres sections, l’adjudant et 2 ou 3 autres sergents. Il fallait aménager la tranchée, avoir l’œil sur le fusil ! Il était imprudent de voyager hors des tranchées.
C’est là où j’ai vu les premières fusées éclairantes.
(*) : Le bataillon ira cantonner à Rupt-en-Woëvre.
Après 4 jours, nous descendons donc au village à 2 km. Pas de repos. Pas de ravitaillement. Les hommes fatigués.
On distribue le travail. Avec l’adjudant et une demi-section, nous devons remonter en pleine nuit un sommet des Éparges pour organiser des tranchées. (*)
Pas de carte évidemment. Nuit noire. Bombardement violent d’un côté et d’autre. Où allons-nous ? Nous n’en savons rien. Pas un renseignement en route.
Arrivons sur une espèce de plateau, toujours personne. Nous ne voulons pas tomber chez les boches. Le bombardement s’approche de nous, nous atteint. Nous crions aux hommes :
« Dispersez-vous,
abritez-vous ».
Avec l’adjudant nous nous trouvons un abri très profond. Hésitations avant de nous y enfoncer. Si un obus tombe dessus ou à côté nous somme bien enterrés. Là, l’adjudant me dit :
« On va casser la croute ».
Moi je n’avais rien. Il sort de sa musette une boite avec un demi-poulet. Il m’en donne gentiment un morceau. Nous mangeons sans pain.
Enfin le bombardement se calme. Nous rassemblons nos hommes et redescendons au village. Nous n’avions pas vu âme qui vive. Mais notre tâche n’était pas terminée. On nous commande de creuser un boyau menant direction d’où nous venons. Au travail. Nous indiquons aux hommes le travail à faire, leur traçons une certaine longueur.
L’adjudant va se reposer à proximité de ses hommes, j’en fais autant. Je m’endors sur le sol.
La neige s’est mise à tomber jusqu’au matin. La neige me couvre. J’ai fait un bon somme au chaud. Les hommes me cherchaient et me découvrent enfin.
(*) : Les 2e et 4e compagnies sont mises à disposition du Génie
pour réaliser des travaux à Mouilly.
Dans la journée, nous apprenons que le bataillon est dissout. Une partie portera encore son numéro 16 et l’autre partie versée dans un régiment sur place (*). Je me rends compte de suite que tous les anciens du 16ème restaient au bataillon et que les renforts d’autres régions rejoignaient le régiment voisin. Le fameux sous-lieutenant était versé au nouveau régiment. Je lui en parle. Il me répond que je ne peux rien changer. Je vois un capitaine d’une autre compagnie du 16ème qui me dit :
« Votre réclamation est
juste, trouvez simplement un volontaire et faite vite ».
Je rencontre le sergent de
Mardaillac (celui qui avait coupé les barbelés) qui me dit :
« Moi, je veux suivre mes
hommes qui sont tous versés au régiment voisin. Je ne connais personne au 16ème
et vous connaissez peu mes hommes ».
J’accepte ne disant rien au lieutenant. Je l’ai chaleureusement remercié et nous nous sommes quittés. Qu’est-il devenu le brave ? (**)
Son nouveau régiment a dû rester aux Éparges.
(*) : Selon le JMO, le bataillon verse au 54e RI : 766 hommes et
3 officiers dont celui de la 2e compagnie : Émile reste donc au 16e bataillon.
(**) : Germain QUINET après son passage au 54e RI sera
blessé en juin 1915. Voir
sa fiche matriculaire. Son dossier Légion d’Honneur indique qu’il servira
en 1916 au Niger et survivra à la guerre.
Quant à nous, nous avons de nouveau retraversé la Meuse et sommes venus cantonner à Récourt-le-Creux. Un vieil ami le lieutenant Binon qui avait été mon premier caporal à Montbrison, qui était chargé du ravitaillement du 16ème bataillon, me demanda de mettre en ordre les comptes du bataillon.
J’acceptais mais ne put faire grand-chose car rien n’avait été tenu en ordre.
Les hommes du bataillon montaient la nuit pour les travaux et je restais à mon bureau. Après un mois environ, les hommes allant travailler aux environs de St Mihiel, nous nous rapprochâmes d’eux dans une réalité peu agréable.
Enfin notre bataillon ayant reçu des renforts, il allait se réunir au 201 du Nord pour former son 3ème bataillon en Champagne.
Je fus présenté au lieutenant Bataille qui commandait le train régimentaire du 201ème à la Cheppe près du camp d’Attila, près du camp des chaloupes. Il demanda mon détachement au colonel qui accepta - comme sergent d’encadrement TR (train régimentaire) du 3ème bataillon.
Je devais y rester jusqu’en mai 1918. Je fus alors remplacé par un sergent qui avait eu 2 frères de tués.
(*) : Le 16ème bataillon de marche passe officiellement au
201ème régiment d’infanterie de Cambrai (Nord) le 30 juin 1915 et forme son
bataillon N°4 (compagnies N° 13 à 16).
Le 201e RI était jusque cette date composé de 2 bataillons
numérotés 5 et 6, Il a donc un effectif de 3 bataillons (environ 2600 hommes).
Nous y revenions souvent.
Nos P.C. de ravitaillement. En premier Cuperly, près du camp de Chalon sur wagonnets plate-forme. Nous partions de Cuperly pour Suippes. Longue distance en hiver. Nous gelions. Pain, vin. L’eau de vie seule nous réchauffait.
Arrivé à Suippes. Changement d’attelage. Wagonnets tirés par une machine silencieuse.
Arrivé à la Ferme des Vacques, arrêt prolongé. Les chevaux de l’artillerie conduisent le wagon à Souain et au-delà du village à 900m de la ferme Navarin. Distribution rapide des vivres à l’abri de la montagne. Les artilleurs s’en vont. Pour revenir à la ferme des Vacques, c’est le sergent qui dirige le wagon sur le terrain en pente.
Attention au virage sur le pont en bordure du terrain. A la ferme il faut attendre la machine qui revint de Suippes. De là pour arriver à Cuperly une autre machine nous reprend. On arrive à la pointe du jour.
Un jour, il nous est arrivé une curieuse histoire d’accident. Au départ de la ferme direction Souain (environ 4 km) c’est l’artilleur qui conduit les chevaux et freine si c’est nécessaire car il y a des descentes. Une distraction du conducteur, le wagon s’emballe et passe sur les chevaux (2). Que faire dans l’obscurité, pas de lumière car nous sommes à moins de 2 km des boches. On se débrouille. On tire les chevaux de dessous. Il semble qu’ils n’ont pas trop de mal. On reprend la marche.
Cette région est très pauvre. Suippes était une vallée en ruine. Pas d’habitants. Nœud de communication souvent bombardé. Près de Cuperly, il y avait La Cheppe et le camp d’Attila. Nous y avons eu une alerte au gaz.
Fin janvier 1916 (?), nous étions relevés de Champagne et allions au repos direction de Vitry-le-François. Notre train régimentaire reçoit l’ordre de s’y ravitailler et d’attendre les ordres.
A la nuit, ordre nous est donné de remonter rapidement à Somme-Tourbe (30 à 40 km) pour ravitailler le régiment le lendemain à Maisons de Champagne et Massiges. J’ai rarement vu une contrée plus triste. De Somme-Tourbe, nous prenons une route se dirigeant vers le nord, passant près de 3 villages dont 2 détruits. C’était une rivière de boue.
Arrivés à un certain point la route descendait vers le ravin de Marson. Ordinairement noyé par les gaz mais surtout elle était très visible des boches. Alors il fallait faire ce parcours au galop allé et retour.
Pour revenir du ravin nous lancions les voitures espacées. Arrivés au sommet derrière un rocher, une buvette gratuite, nous remettait en forme. La dernière fois que j’ai ravitaillé sur cette route c’était à mi-chemin dans un ravin appelé des pins ou le régiment se reposait 24hrs avant de remonter. L’esprit était à la révolte et j’ai entendu l’internationale. (*)
De Somme-Tourbe j’ai aussi ravitaillé à Balme (?) par un wagonnet. Nous avons été bombardé mais sans perte. En quittant cette région, au lieu d’aller au repos, en route pour Verdun à travers l’Argonne en plein hiver.
(*) : Déjà ! : Le régiment sera relevé fin février, avant
l’attaque du Chemin des Dames et les mutineries
Charmante région. Au nord de l’Aisne jusqu’au chemin des Dames. Face au midi, bonne température. Villages adossés à la montagne, célèbres pour leur creutes. Au sud de l’Aisne aussi de jolis villages, plutôt riches jusqu'à La Vesle.
Notre PC de ravitaillement souvent changé. Au sud de la chaine de montage sud de l’Aisne – quelques fois très près des lignes comme à Oeuilly. Notre parcours était souvent très long pour aboutir à Paissy, à Pargnan, Oulches, Craonnelle, etc. Cormicy, Sapigneul près de la cote 108 – Berry-au-Bac.
Pour Cormicy et Sapigneul, nous y parvenions souvent par la route 44 venant de Reims. Nous la prenions face au fort du Choléra et pendant 2 ou 3 heures nous risquions les coups de canon.
Nous revenions souvent dans l’Aisne. J’aimais ce beau pays.
Pour l’offensive de 1917, notre PC était au-dessus de Fismes dans les bois. Toutes les nuits, les avions venaient nous arroser. Nous prenions la route à la nuit, des convois interminables. Allions franchir l’Aisne au pont de Maizy qui était régulièrement bombardé, alors il fallait passer entre 2 rafales. Nous ravitaillions soit à Beaurieux soit à Craonnelle. Ce n’était pas du sucre. Près de Craonnelle mon ami Charlat qui était cuisinier a voulu nous faire voir les squelettes des chars français lesquels j’avais vu 8 jours avant au repos près de nous. (*)
La cote 108 était une petite colline crayeuse à la jonction du canal et de l’Aisne. Des combats incroyables s’y sont déroulés, surtout par les mines.
(*) : Attaque des chars de Berry-au-Bac du 16 avril 1917 : sur
128 chars Schneider, 28 tomberont en panne et 81 seront détruit.
Nous avons fait un long séjour dans la région.
Notre PC se trouvait au camp des Célestins, point culminant face à Calbert dont on voyait les ruines. De ce camp, nous avons été témoins d’une phase de la bataille qui faisait rage. Nos lignes faisaient un saillant dans les lignes ennemies. Les saucisses étaient très nombreuses en ½ cercle. Un orage d’une extrême violence est arrivé, toutes les saucisses ont rompu leurs câbles et sont parties chez l’ennemi. Notre régiment a été très éprouvé. Mon frère Joannès aux Alpins est venu passer 2 jours avec moi.
A notre départ, je suis allé le voir près du Mt St-Quentin. A un certain moment l’artillerie s’est mise à nous tirer dessus. J’ai dû le quitter rapidement. Pour rejoindre mon TR, j’ai profité d’une voiture postale qui m’a promené à travers le Santerre qui à ce moment était fort maltraite par l’artillerie. J’ai rejoint près d’Amiens.
(*) : Son frère Pierre Marie Joannès
FEY, classe 1913, était au 30e BCP puis 28e BCP. Voir
sa fiche matriculaire.
Début 1918, nous étions en repos au sud de Fismes. Les Allemands venaient de percer le front au nord de Noyon. Le corps de l’armée s’y porte et éprouve de terribles pertes. Par la route nous nous y portons en passant par Braine ou nous sommes bombardés. Nous passons près de Fontenoy ou j’avais été blessé en 1914.
Arrivés à Vic-sur-Aisne, je suis détaché avec une section de voitures pour rejoindre en avance Noyon. Je traverse une belle région de grandes cultures.
J’arrive à Noyon, traverse l’Oise, entre dans la ville et attends les clients. Je vais me rendre compte de ce qui se passe. La ville a été évacuée. On ne voit personne, seulement des soldats anglais qui se dirigent vers le sud. Il faut comprendre que l’ennemi n’est pas loin, qu’il n’y a plus que des troupes anglaises ou françaises devant nous.
Quelques soldats français arrivent en débouche. Ils confirment que le front est rompu. J’attends l’arrivé du lieutenant avec les autres voitures. Les nouvelles sont très mauvaises, il faut rebrousser chemin au plus vite. Le lieutenant part avec une partie du convoi à bride abattu en suivant l’Oise. Je reste avec le premier adjudant qui n’ayant pas de carte ne sait où se diriger. Je lui conseille de ne pas suivre la vallée mais de grimper sur les monts. Sus vers la ferme Quennevière (de célèbre mémoire) ce que nous faisons.
De ce point culminant, nous pouvons y voir venir. Les soldats anglais arrivent par petits groupes.
Le lieutenant nous a rejoints 2 jours après. Autour de Quennevière, nous avons vue des localités voisines où de terribles combats avaient lieu : Moulin-Touvent, Tracy-le-Val, Tracy-le-Mont.
Ne sachant ou se trouvait notre régiment, nous allons aux renseignements.
Pour ma part je reprends la route de Noyon jusqu'à Carlepont. Là j’apprends que le régiment est en ligne face à Noyon près d’Ourscamp. Nous allons de suite le ravitailler.
Notre PC se porte ensuite à Tracy-le-Mont dans le parc d’un château. C’est là que je vais apprendre que je dois rejoindre ma compagnie remplacé par un sergent ayant 2 frères tués. Et moi j’étais célibataire. (*)
Le lieutenant fait son possible pour me retenir, mais inutilement. Je rejoins donc Ourscamp. Les gradés manquaient à la compagnie. Nous étions : Capitaine, un lieutenant, 2 sergents. J’ai en somme à commander une section qui occupe un triangle face à Noyon, face au château Renard de l’autre côté de l’Oise.
Notre consigne : tirer sur le dos des Allemands, s’ils attaquent le magnifique château qui a une vue magnifique sur la vallée. Les Allemands attaquent. Leur artillerie en quelques heures a tout démoli. Nous voyons des Français s’échapper des ruines.
Mais nos tirs n’y pouvaient pas grand-chose. Les Allemands gravissaient la pente dans des boyaux qui les protégeaient.
(*) : Il part du train régimentaire où il était ‘’ tranquille ‘’
pour rejoindre les unités combattantes du 201ème régiment d’infanterie
Là, j’ai eu ma première punition.
Nous avions des jeunes classes 1918. Un de ces braves petits s’était fait arracher un doigt par une balle de son fusil. Dès que je l’ai su je suis allé le voir. Voulant éviter le conseil de guerre pour lui, les infirmiers en accord avec moi ont fait le possible pour camoufler l’affaire. Mais le capitaine n’a pas accepté cette version, il m’a infligé 8 jour d’arrêt pour déclaration tardive. 15 jours après j’ai eu 2 hommes tués dans des endroits différents, à côté de moi. Je n’ai fait aucune déclaration pour la raison simple qu’il n’y avait personne pour recevoir notre déclaration : c’était la débandade.
Relevés de 1ère ligne, nous allons en ½ repos dans les ruines de l’abbaye d’Ourscamp. Nous nous reposions sur des paillasses mouillées et pourries. Y avons récolté poux et punaises.
Un jour avec l’aumônier, nous menions les malades à la visite, un obus tombe à quelques m de nous tuant un homme.
Après 4 ou 5 jours, nous nous replions sur un village près de la forêt de Laigue. Nous y restons peu. (*)
Embarquement pour Soissons.
(*) : le 201 RI embarque en auto à
Choisy-au-Bac le 27 mai pour se rendre sur Soissons.
Les Allemands avaient rompu le front de l’Aisne.
Leur droite approchait de Soissons, leur centre avait envahi le Tardenois. Les camions nous transportant passèrent près de Coeuvres et nous débarquaient prés de Soissons. Nous traversons l’Aisne, quelques heures d’attente dans un ravin infiniment triste. Ensuite nous prenons la route de Laon direction Laffaux. Route trop repérée, nous nous jetons dans une tranchée ancienne à demi effondrée. Les avions nous harcèlent.
Arrivés en un point, nous voyons la plaine de Laon et apercevons les troupes allemandes en colonne qui se dirigent vers l’Aisne. Nous ne pouvons tirer, c’est trop loin. Nous ne nous sommes pas méfiés des patrouilles rampantes qui nous enlèvent notre section de mitrailleuse situées à 90m de nous. Nous nous replions précipitamment (28 mai - 18h) vers un piton dominant un peu la ville. Nous ne pouvons y rester. A l’abri de la pente, nous nous approchons du pont. Le capitaine est blessé.
Nous traversons l’Aisne sur le pont des Anglais. Nous ne savons que faire. Impossible d’avoir des renseignements. Les autorités se sont repliées sur Villers-Cotterêts. Nous recevons enfin l’ordre de revenir défendre (28 mai – vers 20h le pont des Anglais qui va sauter. (*)
Notre effectif en troupe et en gradés était bien réduit. Le seul lieutenant nous divise en deux groupes. Il garde avec un sergent la moitié des combattants et s’installe à droite à une distance d’environ 90m. Il me confie le deuxième groupe à gauche.
Le pont saute mal, incomplètement.
(*) : un des 3 ponts de Soissons, nommé
auparavant pont St Waast, il avait été partiellement
détruit par les Allemands en se retirant après la 1ère bataille de la Marne,
puis réparé en 1915 par le génie anglais d’où son nouveau nom.
Les Allemands en profitent pour le franchir et installent de suite des mitrailleuses qui arrosent les quais. Nous nous replions en sens opposé en nous garantissant derrière les arbres et en tirant quand c’était possible. Je me replis d’un petit km et reviens dans la ville par une rue protégée. Je pensais retrouver le lieutenant et me joindre à lui, mais rien (J’ai su le lendemain par lui-même qu’il s’était replié sur la route de Villers).
Avec mes hommes en tirailleurs, nous prenons une rue face au pont. A l’extrémité je vois des hommes qui gesticulent en nous regardant, distance 90m. Je les prends pour des français. Brusquement une mitrailleuse nous arrose. L’homme qui était à côté de moi tombe mort (il n’était pas de ma compagnie mais il s’était joint à nous). Nous nous précipitons dans une rue à côté. Nous nous rendons compte que l’ennemi est maître des artères principales.
Avec mes hommes, je m’efforce de gagner la sortie de la ville vers Compiègne. Dans la ville des équipes françaises travaillaient sans se rendre compte de la situation. Même une forte colonne d’artillerie était en marche pour Laffaux. Sans nous elle était bien cueillie. Le ½ tour a été rapide. Pour nous replier, un boulevard à traverser arrosé par une mitrailleuse. Les hommes passaient les uns après les autres. Nous profitâmes enfin d’un camion ou nous étions à plat ventre. Il sortit de la ville, mais impossible de nous faire arrêter, il nous mena trop loin. Ce qui était très dangereux pour nous. Nous revînmes à pied jusqu’aux faubourgs. Chose curieuse sur cette route de Compiègne, pas une personne, pas de troupe. La débâcle avait tout balayé.
A proximité de ce faubourg, il y avait de grands magasins de l’intendance regorgeant de marchandises. Pas de gardiens, portes ouvertes et pas de pillards. Et dire que la troupe ne recevait rien à quelques km de là ? De plus le long de la route un immense dépôt d’obus de tout calibre, personne ne s’en occupait.
J’ai fini de passer la nuit à cet endroit. Au matin des régiments alpins arrivaient, déposaient leur sacs (une montagne) et s’approchaient de Soissons. J’ai causé avec un capitaine qui avait ordre de gagner Laffaux. Il a été surpris d’apprendre la réalité.
Renseignements pris, ma compagnie doit se trouver Mont de Paris sur la route de Villers-Cotterêts.
En effet je la retrouve dans les fossés de la route. C’était un point culminant dominant Soissons et tout l’ouest. De là on voyait les colonnes allemandes descendre les collines nord de l’Aisne et s’engager dans la plaine. Notre artillerie ne donnait pas, peu de nos avions, beaucoup d’Allemands. L’effectif de la compagnie était réduit, des troupes arrivaient.
Sur le soir, nous partons sur Chaudun et gagnons Vierzy (29 mai - 19h), belle réalité en complet désordre. Les gens partaient, le vin coulait à flot dans les rues. Nous passons une partie de la nuit dans une creute que la canonnade allemande faisait trembler.
Au matin (30 ou 31 mai ?), nous quittons Vierzy pour nous enfoncer dans les montagnes Est.
Arrivés à un sommet nous sommes arrêtés, on sent l’ennemi partout, on ne le voit pas. Nous y avons une réunion des sous-officiers. Ordres transmis. Nous prenons connaissance des citations proposées pour nous et quelqu’un de nos hommes. Je prends connaissance de la mienne. Que sont-elles devenues ? Nous nous séparons par petits groupes allant occuper des sommets séparés par de profonds ravins de taillis. Une fois en place, nous voilà complément coupés de toute communication. Avec 2 autres sous-officiers nous occupons un excellent point d’observation d’où nous voyons défiler les boches mais trop loin pour nos tirs. Nos feux de salves sont sans effets. Les tranchées anciennes que nous occupons sont peu larges, on ne peut circuler.
Et nous nous apercevons que nous sommes pris d’enfilade. Les balles sifflent, nous ne savons d’où elles viennent. Un de mes hommes est tué net à côté de moi (encore un jeune, c’était la ferme de Moremboeuf). Nous nous replions, d’autres groupements en font autant. Arrivons près de la ligne de chemin de fer.
Un avion la survole, l’artillerie allemande répond à ses signes, les obus pleuvent sur la voie. Les pierres volent partout. C’est la fuite jusqu'à une grosse ferme appelée Jeanne d’Arc.
Là, réunion, on nous désigne un autre point à occuper à environ 2km de la ferme. Occupons d’anciennes tranchées à quelques mètres d’un profond ravin boisé. A notre dos un réseau de fils de fer de 10m de profondeur près de la plaine qui s’étendait jusqu'à la forêt de la route de Villers-Cotterêts. Nous étions donc on ne peut plus mal placés. Aveuglés devant nous et toute retraite barrée.
J’étais avec un aspirant et un autre sergent. De suite nous avons vu que nous étions perdu, surtout qu’il y avait ordre de résister à tous prix. Les hommes étaient à bout de souffle et sans ravitaillement depuis 2 jours.
La nuit vient, je fais une patrouille dans le ravin, rien à signaler. Qu’un avion allemand tombé et suspendu dans les arbres.
Rentré, je me repose un moment. Mes deux collègues viennent me trouver, ils devaient faire leur patrouille. Ils me disent qu’ils partent et vont se renseigner s’il ne serait pas prudent de se replier. Ils me recommandent de ne pas faire tirer. Je ne les ai plus revus.
Les Allemands se mettent à tirer des obus incendiaires. Mauvais signe ! Mais que faire, impossible de se replier : ces fils de fer et cette plaine !!!
Nous n’avions pas eu le temps de vérifier nos liaisons avec les compagnies voisines. Personne à notre droite, donc un trou. à la gauche y avait la 19ème compagnie et le capitaine que je connaissais me fait appeler, son poste de commandement profondément enterré était à 50m de nous. Il me dit :
« Fey ne faites pas tirer, c’est inutile nous nous ferions tous
massacrer ».
Il me dit :
« Bonne chance ».
Je ne l’ai pas revu et n’ai pas su s’il s’était rendu après nous.
En sortant de mon poste, je donne un coup d’œil sur l’emplacement de sa compagnie. On s’y battait à l’arme blanche. Je rejoins mes hommes, une trentaine. Rapidement je les mets au courant. Quelques minutes après une forte patrouille sort du ravin, nous sommes prisonniers. (*)
(*) : Selon le fichier des prisonniers à Darmstadt (daté du 23
juillet), c’était le 2 juin à Vaux (Vauxcastille) et
il était à la 21e Cie (donc 6e Bat.). Voir sa fiche.
On nous conduit dans un camp à environ 10 km où des éléments de notre régiment nous rejoignent et bien d’autres.
Le lendemain, nous partons pour Laon où nous restons 2 jours.
De Laon, nous partons pour Hersons en 2 étapes. Restons deux ou trois jours à Herson et partons pour la frontière belge (Chimay, je crois).
De là, nous embarquons pour Darmstadt où nous passons les visites médicales. Nous y souffrons de la faim. Il y avait des vivres pour les prisonniers de passages, mais on ne nous donnait rien. Nous ramassions les croutes que les anciens nous jetaient.
Ils vivaient bien et ne s’occupaient pas des autres. Là il y a eu des profiteurs impitoyables.
Nous reprenons le train et traversons toute l’Allemagne par Leipzig, Breslau, Ratibor et arrivons à Lamsdorf, un ancien camp militaire. Prisonniers de toutes nations. Les Russes y tombaient comme des mouches.
Pas maltraités, mal nourris. Peu de colis de France.
Absolument rien après l’armistice. Ça a été la période la plus dure ! Nous y vivons par baraque de 80. Un chef de baraque était responsable. Au début le plus élevé en grade. Nous, c’était un sergent-major. Lequel s’est échappé après l’armistice, a été repris mais n’est pas revenu au camp. J’ai été désigné à l’unanimité pour le remplacer. Ce poste était assez intéressant, il permettait d’assister aux réunions des chefs de baraques où le délégué allemand donnait les ordres.
J’étais bien vu de mes camarades car avec 2 instituteurs et quelques intellectuels nous avions veillé à maintenir le moral en créant des cours en tous genres qui fonctionnaient très bien. Avec un jeune normalien j’étais chargé du cours de grammaire : nous avions des intérêts à ce cours. Lorsqu’un camarade perdait la force morale, ce qui arrivait souvent, nous nous occupions de lui.
Mais un général étant venu visiter le camp, il nous surpris en plein cours. Il ordonna immédiatement la suppression…
Libéré le 2 janvier 1919
FIN des
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