Publication : Mars 2006
Mise à jour : Août 2024
Robert Fournier, adjudant-chef, chef mitrailleur au 158ème régiment d’infanterie
Germaine Fournier sa belle-sœur
Prologue
Alexandre FOURNIER, nous dit en 2007.
« Voilà donc la série de lettre qu’il envoie à sa belle-sœur, toutes les autres lettres semblent perdues, surtout celles vers ses parents. Faites en bon usage. »
Contacts
avec des internautes depuis la mise en ligne (en 2006) :
Contact avec Natacha N. en septembre 2008 :
« Bonjour
monsieur, je me permets de vous contacter car j'ai eu l'occasion de lire les
lettres de monsieur Robert Fournier
sur votre site. Je
suis le lieutenant Natacha N. de l'ECPAD (ancien cinéma des armées) et je
prépare un livre sur les fêtes de noël passées en temps de guerre ou opérations
extérieures, de la 1ère guerre mondiale à aujourd'hui.
Ce livre,
qui devrait sortir l'année prochaine, est constitué aux deux tiers d'images
d'archives et le tiers restant de textes, dont la majeure partie est des
témoignages de militaires en activité ou à la retraite qui ont vécu cette
situation.
L'objectif
est de faire découvrir au grand public que sous notre uniforme, nous restons
des êtres humains et que cette période de noël est également importante pour
nous. Ainsi, passer noël loin des siens est plus ou moins bien vécu, le 24 et
25 décembre peuvent être des jours où il y a des combats, ou bien, au
contraire, des jours où la cohésion est plus forte car un arbre, un bâtiment
est décoré, un repas est amélioré, etc... et chacun
soutient l'autre dans ces moments parfois empreints de mélancolie car la
famille est loin.
Je suis actuellement à la recherche de
témoignages ou de lettres de poilus permettant de montrer ce que furent les
fêtes de Noël pendant la 1ère guerre mondiale.
Ayant lu
parmi les lettres de monsieur Fournier
une datée de Noël 1915, j'aimerai savoir si vous accepteriez que cette lettre
soit retranscrite dans le livre que je réalise.(…)
Remerciements
Merci à Alexandre pour le carnet de son grand-oncle.
Merci à Philippe S. pour les corrections éventuelles et certaines recherches.
Nous avons ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit. Pour une meilleure lecture, j’ai volontairement ajouté des chapitres, sinon le reste est exactement conforme à l’original.
Introduction
Robert Marie Alexandre FOURNIER est né en janvier 1894 à Dijon. Il déclare être étudiant à son incorporation en septembre 1914. Durant sa formation, il passe caporal, puis part au front comme sergent au 158ème régiment d’infanterie. Il devient adjudant en 1915. Il a 4 frères : Pierre, Alexandre, Jules et Hubert.
Germaine Marie PERRON est l’épouse de son frère Alexandre FOURNIER. Mariés en 1911, ils ont eu leur premier enfant, Simon (surnom Simette), en 1912. Le couple habite dans les Vosges, puis a été déplacé devant l’avancée allemande. Robert FOURNIER y fera référence dans ses lettres.
Il semblerait que ce sont les seules lettres vers sa belle-sœur qui nous sont parvenues. Il a écrit aussi à ses parents, mais cette correspondance a malheureusement disparue.
À cette date de fin 1915 Robert FOURNIER a 22 ans…
Ma chère Germaine
« Dans
l’impatience de ma rentrée je croyais trouver à peine ici quelques lettres
aussi grande a été ma désillusion lorsque il y a 3 jours j’ai dû monter à la
tranchée sans un mot de personne. J’étais si souffrant que j’ai pu à peine
tenir 2 jours-là hauts. Hier dans l’après-midi voulant sortir un moment, je me
suis trouvé mal, voyant cela je me suis fait relever le soir même.
Je vous dirai d’ailleurs que bien qu’ayant
dormi 15 h de suite je ne vais guère mieux.
Enfin j’ai 8 jours devant moi pour me
reposer : une lettre de Maman et les vôtres m’ont aidé à passer presque
agréablement, si j’ose dire, cette journée de Noël.
Noël, ce mot si magique autrefois n’évoque
plus pour moi que de lointains souvenirs, bien tendres et bien doux. Si les
bébés pouvaient se douter de ce qu’ils perdent lorsqu’ils deviennent
grands !
Vous êtes trop gentille ma chère Germaine de
vous déranger ainsi pour moi. Je n’oserai bientôt plus rien vous demander, si
ce n’est des lettres plus suives et plus longues que par le passé !
Avez-vous fait un bon voyage de retour et un
peu moins long que celui que nous avons fait ensemble ! Je l’espère pour
vous. Je m’arrête sur ces mots, ma chère belle-sœur.
Quel que soit le plaisir que j’aie à écrire
avec vous, si vous saviez comme je suis fatigué, je continuerai un autre jour.
Mes
meilleurs amitiés à Madame Perron
et pour vous et Simette (**) d’affectueux baisers »
Robert
J’attends
votre petit Paquet et une carte.
(*) : Le 158ème régiment d’infanterie trouve en Artois (Bouvigny, Noulette).
(**) : Simette est le surnom
donné par Robert à Simon son neveu.
Ma chère Germaine
« Cette
lettre vous joindra je l’espère assez tôt pour vous apporter mes souhaits les
plus affectueux de bonne année et de bonne santé. J’ai reçu ce soir votre
lettre du 24. Je suis navrée pour vous de l’affreux voyage que vous avez dû
faire. J’espère que vous êtes maintenant remise complètement de vos fatigues.
Pour ma part, les voyages ne me réussissent pas. A peine rentré j’ai dû monter
aux tranchées, mais très fatigué j’en suis redescendu 2 jours après, depuis je
dors toute la grande journée et me soigne le mieux possible.
J’ai reçu
hier soir votre boite de bonbons expédiée de Bourges ainsi que la bague qui me
va maintenant très bien, vous êtes trop gentille et je n’oserai plus désormais
vous déranger de la sorte : vos « poilus » ont-ils été aimable
pendant votre voyage.
Je me
serais très certainement passé pour vous de cette compagnie.
Enfin par
ces temps de guerre c’est presque un honneur de voyager avec des guerriers (je
ne dis pas cela pour moi, croyez le bien).
Nous avons
toujours un temps détestable et la boue des tranchées monte chaque jour. Si
cela continue d’ici un mois nous aurons par-dessus la tête (*). On parle de nous conduire au repos dans
quelques temps, si cela pouvait être vrai !
J’attends
toujours les photographies de Bourges vous ne m’en parlez pas : Au revoir
ma chère Germaine, je vous embrasse tendrement ainsi que Simette.
Que lui
donnez-vous pour le jour de l’an. Nous penserons à vous ce jour-là. »
Affectueux
baisers »
Robert
(*) : Le JMO signale que les tranchées sont inondées et
que les hommes sont obligés d’écopés (JMO)
Ma chère Germaine
« Je
viens de rentrer à mes cantonnements après un voyage qui nous a semblé
terriblement long !
La pensée
que je laisse à la maison des êtres chéris et attristés, qu’il se pourrait que
je ne revois pas, le souvenir aussi de notre cher Papa m’a mis dans un état d’esprit
déplorable, et puis ce passage rapide au milieu d’une vie civilisée, ce retour
non moins rapide parmi nos guerriers, n’est pas fait pour me remettre.
Je compte
un peu sur vous pour dissiper cette mauvaise impression du retour. Avez-vous pu
remporter ma bague ! J’y tiens.
Et
n’oubliez pas de me l’expédier ainsi que la note de mon Bottin. Nos photos
sont-elles réussies ? Il pleut à torrent ici et je dois remonter après
demain aux tranchées. Joyeux noëls, n’est-ce Pas ! Enfin on pensera
peut-être à moi à la maison. Cela me console.
J’attends
bientôt de vos nouvelles ma chère Germaine.
Je vous
embrasse tendrement ainsi que Simette ;
meilleures amitiés à votre Maman. »
Robert
Ma chère Germaine
« De
la tranchée où je vous écris, cette carte vous apportera avec mes vœux les plus tendres, mes remerciements pour le
charmant et délicat envoi que vous m’avez fait. Il est arrivé le matin de mon
départ pour les tranchées, j’en ai emporté quelques-unes avec moi ! Et Simette, l’a-t-on gâté ? Affectueux baisers. »
Robert
Ma chère Germaine
« Ma
lettre sera courte aujourd’hui bien que je vous en doive encore plus long que
de coutume, la seule raison est que je manque de papier et je déteste écrire
sur du papier ordinaire.
J’ai reçu
de vous pendant ces 4 jours la carte de Simette la
veille du jour de l’an avec votre lettre du 28. Elle m’a tenu compagnie pendant
toute cette journée du 1er de l’an qui m’a semblé bien longue. Enfin j’ai vécu
quelques heures seul à seul avec mes souvenirs, les uns déjà bien anciens, les
autres encore tout frais et ravivé encore par les lettres.
Mon
indisposition de l’autre jour n’a été que passagère et maintenant je me porte
de nouveau tout à fait bien. Je suis aidé dans mon rétablissement par la pensée
que nous sommes relevés bientôt.
Nous
partons le 10 ou le 12 pour les environs d’Amiens où nous resterons 5 à 6 semaines.
Quelle joie ! Vous être trop gentille de penser ainsi à moi. Germaine,
j’attends votre gâteau. Je ne doute pas qu’il ne soit excellent ! Que me
demandez-vous. Je ne puis vous écrire plus et mieux que je le fais sans
dépasser les bornes de la sagesse.
Il n’en
est pas de même pour vous, n’est-ce pas ? Je crois vous avoir dit que
j’avais reçu bonbons, et bague de Bourges, mais le bijoutier l’a très mal
rangé. Elle est à peine dégrossie et polie. J’ai bien envie de vous la renvoyer
pour que vous la donniez à finir à Dijon.
A bientôt
de vos nouvelles, chère grande sœur Je vous embrasse bien tendrement
Je vais
dormir. Bonne nuit ! »
Robert
Ma chère Germaine
« Nous
avons quitté hier nos cantonnements pour gagner en auto un patelin (*) plus en arrière. Vous ne vous étonnerez donc
pas de ne rien recevoir de moi avant quelques jours.
J’ai toute
une organisation de cantonnement à faire. J’ai reçu vos deux lettres
avant-hier. Tendres baisers. »
Robert
(*) : Le régiment est au repos à Manin (62) à 30 km à
l’arrière du front à l’ouest d’Arras.
Ma chère Germaine
« J’attendais
aujourd’hui une longue lettre de vous et ce n’est qu’une très courte que je
reçois. Après 3 jours de silence c’est bien court vous en conviendrez, et vous
qui avez peur de m’ennuyer.
Comment
osez-vous écrire de telles choses ! J’ai bien reçu les photos d’Alex (*). Elles ne sont pas bien fameuses mais elles
n’en ont pas moins de prix pour moi.
Je n’ai
pas encore eu l’occasion de me faire photographier mais dès que je le pourrais
je le ferai. Depuis 3 jours je suis pris par notre nouvelle installation. Et ce
n’est pas petite affaire.
J’espère
que Simette ne vous donne plus d’inquiétude et qu’il
est complètement remis maintenant : avez-vous reçu mes dernières lettres.
La carte postale d’Hubert (**) m’a
fait bien plaisir : je crois vous avoir dit que votre gâteau m’était
arrivé un petit peu aplati mais malgré cela délicieux puisque je l’ai mangé à
moi tout seul. Voyez un peu quel gourmand ! J’attends vos autres fleurs
avec impatience et vous en remercie d’avance.
Pour le
moment, je profite du beau temps et des loisirs que me laisse le service pour
faire du cheval. Demain matin je vais faire une promenade avec mon lieutenant.
Je m’arrête pour ce soir ma chère en vous embrassant bien tendrement. J’attends
une longue lettre demain. »
Robert
(*) : Alexandre FOURNIER (1881-1944), l’époux de
Germaine. Tuberculeux, il a été classé dans les services auxiliaires en août
1914, puis comme chauffeur au 8ème escadron du train. Voir
sa fiche.
(**) : Hubert FOURNIER (1890-1954), un autre frère
de Robert et Alexandre, partira en août 1914 au 60ème régiment d’infanterie.
Fait prisonnier en janvier 1915 à Cuffies (02), il sera interné au camp de Gottingen jusqu’en 1918. Voir
sa fiche.
Ma chère Germaine
« Quelques
mots seulement, nous partons à la revue d’ici ½ heure.
Il nous
faut faire 10 Km pour aller défiler devant d’Urbal.
Le spectacle serait certainement beau toute une division, cavalerie artillerie
y prendra part. Je vous raconterai cela demain.
Hier soir
je recevais votre gentille lettre du 12 et ce matin des fleurs délicieuses
(illisible) très fraîches malgré le voyage. Je les ai mises dans un vase, elles
embaumeront ce soir ma petite chambre.
Simette dort-il maintenant ? Il ne faut pas avoir peur de lui
faire prendre l’air, laisser courir, trotter, ce régime lui fera certainement
beaucoup plus de bien que de rester confiné dans une chambre à fatiguer par ses
jeux sa petite Maman.
Je crois
vous avoir assez dit que j’avais eu les photos d’Alex. Elles ne sont pas
merveilleuses à part 1 ou 2, malgré tout elles me plaisent ainsi.
Aujourd’hui
nous avons un temps superbe. J’ai reçu hier mes bottes. Elles sont très bien et
ont fait tiquer mon lieutenant. Je les étrenne aujourd’hui. Je rentre de la
revue épatantes mais nous avons dû rester sous la pluie plus de 2 h ; mon
régiment a reçu les félicitations de D’Urbal :
vous verrez peut-être d’ici q.q temps cette revue au Ciné, et sur l’illustration et
vous pourrez peut-être m’y reconnaître marchant à 10 pas en avant de mon
peloton en passant devant de Boissandy
qui commande notre division : il a dit : « très bien » (au
passage de notre peloton). Revers de la médaille ! Mes bottes trop dures
m’ont blessé et j’ai dû rester à cheval ; j’étais ravi !
Au revoir
ma chère Germaine A bientôt le plaisir de vous lire, je vous embrasse bien
tendrement. »
Robert
(*) : La revue par le général d’armée a eu lieu ‘’
sur le terrain situé au sud de Le Carry sur la route d’Avesnes-le-Comte à
Frévent ‘’ (JMO).
Ma chère Germaine
Déception
hier. Déception avant-hier. Pas de lettres : je me rattrape heureusement
un peu ce soir avec votre petit mot trop court de mardi, et une lettre de Maman
et de Guite ; je ne m’expliquais pas le silence
de ces derniers jours, je le comprends maintenant, vous avez dû être occupée
par le départ de votre Maman. Vous voilà maintenant tout esseulée.
Votre
petit compagnon heureusement se charge à lui tout seul de vous occuper
largement .Et puis le papier et la plume sont là qui vous attendent,
prometteurs de consolation pour celui qui le lira ; je vous confirme ce
que j’écrivais l’autre jour de Guite.
J’espère
venir à Dijon fin février.
Je
m’endors et me réveille chaque jour en y pensant, le reste du temps je me
promène, lis et écris avant-hier j’ai galopé tout l’après-midi avec mon
lieutenant, à travers champs et bois il faisait délicieusement bon, aujourd’hui
nous avons été au tir toute la journée et nous venons à peine de rentrer il est
6 h ; j’espérais non seulement trouver 1 lettre mais plusieurs, aussi je
ne suis qu’à moitié contenté, le courrier de demain sera meilleur !
Les dernières
fleurs reçues se conservent encore quoique un peu fanées. Seule une rose à
peine épanouie et toute rouge garde toute sa
fraîcheur.
Je l’ai
mise dans un vase auprès de mon lit : Attendez-vous bientôt
Alexandre ? Il m’avait écrit il y a déjà q.q temps
et je ne sais pourquoi je ne lui ai pas encore répondu, je vais profiter de mes
loisirs pour le faire. Si vous voulez vous amuser, procurez-vous ‘’Monsieur de
Courpière Marié’’ de (Habel Hernant)
et ‘’la Peur de l’amour’’ de H de Régnier : à bientôt le plaisir de vous
lire, avant d’avoir celui de vous embrasser ainsi que Simette.
Robert
Ma chère Germaine
« Excusez-moi
de vous laisser ainsi sans nouvelles, malgré mon grand désir de répondre à vos
2 lettres du 20 et 21.
Je n’ai
pas eu une minute pour le faire ces 2 derniers jours.
Depuis
hier je suis un peu souffrant. Ce soir je suis absolument éreinté, et en ce
moment pendant que je vous écris mes mains et mon front sont brûlants, toute la
journée j’ai été assisté à des exercices de cadres, c’est intéressant, mais la
route est un peu longue 15 km avant d’arriver au terrain de manœuvre, demain je
repars à 11 h ½ avec le capitaine et le lieutenant, une bonne lettre je
l’espère m’attendra à mon retour.
Je suis
heureux de voir que mes lettres vous sont parvenues assez à temps pour vous
montrer que quoique vous en disiez je ne pourrais oublier ma
si gentille correspondante.
Je vous
accorde votre pardon mais pas à genou ! Votre lettre de l’autre jour
m’annonçant l’indisposition de Guite m’avait un peu
inquiété, ce n’est rien heureusement. Je compte un peu sur vous pour la
distraire ! J’accepte tout ce qui viendra de vous.
Votre dernier
gâteau était si bon, que votre offre d’un second ne peut faire autrement que de
me réjouir.
J’accepte
aussi, et à moins (illisible) votre projet de
promenade à Grignon.
Je serais
si heureux d’y retourner et de le revoir encore une fois avant de partir pour
les grandes attaques d’avril ou de mai. On nous exerce dès maintenant en
prévision de cette effervescence. Nos grandes manœuvres que nous commencerons
d’ici peu disons 15 j. Mais avant d’arriver à pied d’(illisible) 20 km à
faire à pied. Cela me sourit moins !
Je vous
quitte malgré mon désir de continuer notre causette, je veux être frais pour
demain. À bientôt et bien tendres baisers de votre Robert »
Robert FOURNIER avec ses hommes
Ma chère Germaine
« Je
brûle d’envie de causer un petit peu avec vous d’autant plus que j’ai là devant
moi 2 de vos gentilles lettres qui semblent me reprocher sinon ma paresse tout
au moins ma nonchalance.
Mais il
est près de 3 h et le courrier ne va pas tarder à arriver m’apportant j’en suis
certain de plus fraîches nouvelles. J’attends donc encore quelques instants,
n’est-ce pas !
Je n’ai
pas été déçu votre carte lettre et les fleurettes du Clos me font grand plaisir
lorsque je viendrai en permission je ne manquerai pas d’y aller. Je vous envoie
quelques violettes que j’ai cueillies hier pendant une manœuvre dans le parc
d’un château. Elles sentent merveilleusement, malheureusement je crois bien que
lorsqu’elles vous parviendront elles ne soient un peu fanées. Nous partons pour
Abbeville après demain à 7 h du matin. Notre marche durera 3 jours.
Je n’aurai
certainement pas beaucoup de temps à moi pendant ces marches pour vous écrire
aussi je vous prie de patienter un peu si vous ne receviez rien de moi. Je pars
dimanche matin à 6 h à une 2ème manœuvre de cadres. Je ne compte pas rentrer
avant la nuit. Alex a-t-il sa permission ?
Je ferai
partie dorénavant d’une nouvelle armée en formation dans la Somme. Nous ne
sommes donc pas prêts de revoir les tranchées. Je m’en réjouis certainement
autant pour vous.
Si votre
gâteau n’est déjà parti oserais-je vous demander de joindre à votre petit
paquet quelques feuilles et enveloppes comme celles-ci ?
A bientôt
et tendres baisers pour vous et Simette »
Robert
« Ma
chère Germaine, 1 mot seulement, nous venons d’arriver dans un patelin à 10 km
d’Abbeville dans la Somme (*),
après 3 jours de marche que j’ai fait assez aisément. J’ai reçu juste la veille
de notre départ votre gâteau qui était délicieux.
Je sais
par une carte de maman qu’Alex était auprès de vous, malheureusement pour hier
peu de temps. Je vous quitte, ma chère Germaine car je suis un peu éreinté. Il
est 8 h et je compte dormir jusqu’à 10 h demain.
Je vous
embrasse tendrement ainsi que Simette et Alex. »
Robert
(*) : Au camp de Saint-Riquier
Ma chère Germaine
« Je
vous écris tout joyeux.
Je viens
de passer q.q heures avec Pierre (*) qui est venu cet après-midi me surprendre en
auto, malheureusement les 2 h. qu’il a passé avec moi ont passés trop vite. Et
maintenant j’en suis encore à me demander si sa visite n’a pas été un rêve.
J’ai reçu
votre gentille carte de Grignon. Merci, j’ai bien pensé à vous tout ce jour-là.
Alexandre est-il reparti déjà ?
Nous
n’allons pas moisir bien longtemps où nous nous trouvons, et nous ne marcherons
guère à monter vers les lignes. Aussi soyez sans inquiétudes si vous ne recevez
pas de suite de mes nouvelles, ce qui ne vous empêchera pas d’ailleurs de me
répondre n’est-ce pas ?
Si vous vouliez
m’envoyer un petit colis de cigarettes. Levant ou autres j’en serais bien
heureux car nous ne trouvons absolument rien ici, et trouverons encore moins où
nous allons. Je vais très bien, vous aussi je l’espère. Je vous embrasse bien
fort avec Simon. »
Robert
(*) : Pierre FOURNIER (1878-1949), le quatrième frère
(l’ainé) s’est engagé en 1899. Admis à Saint-Cyr, sous-lieutenant en 1901, se
classe 218ème sur 546. Capitaine au 136ème régiment d’infanterie en août 1914,
il est blessé à la bataille de la Marne par balle qui lui traverse la figure.
Rétabli et défiguré, il repart au 136eRI. Blessé au bras en mars 1915, il rejoint plusieurs
états-majors, puis devient formateur pour l’armée américaine en 1917.
A la date de cette lettre, il est à l’état-major de la
brigade. Voir
fiche matriculaire.
Ma chère Germaine
« Un
petit mot pour vous dire avant de vous embrasser que nous embarquons ce soir
pour destination inconnue. La bataille fait rage vous le savez sur Verdun. (*)
Peut-être
allons-nous à la rescousse. Hourra !
En 3 jours
nous avons changé 2 fois de cantonnements. Hier matin nous partions nous
installer dans un autre village où nous aurions été merveilleusement bien,
malheureusement nous le quittons ce soir à 5 h.
J’attends
avec impatience de vos nouvelles ! Il neige à gros flocons ! À quand
la permission maintenant !!!!
Bien
tendres baisers »
Robert
(*) : Sa lettre datée du 20 février 1916 commence en
parlant de la bataille de Verdun qui fait rage, alors que cette bataille n’a
commencé que le 21 !
En en parlant dès le début de sa lettre, on ne peut
envisager qu’il l’ait commencé le 20 et finie le 22 ou 23, d’autant plus que
l’information ne s’est peut-être pas répandue immédiatement sur les autres
partie du front. Peut-être s’agit-il d’une erreur de transcription (confusion
20 <-> 26 ?).
Ma chère Germaine
« Je
reçois après n’être resté plus de 5 jours sans nouvelles de personne votre
lettre de 25.
Vous devez
être bien contente de l’arrivée d’Alex ;Quel
veinard ! Pour nous les permissions par la faute de ces rosses de Boches
sont remises à quand ? Enfin ce qui me réjouit le cœur c’est que l’échec
que nous venons de faire subir à leur offensive leur fera peut-être passer
l’envie de recommencer. En attendant nous déménageons de nouveau demain matin
pour je ne sais où, mais certainement pour nous rapprocher de la bataille. Si
nous pouvions seulement les culbuter une bonne fois !!!
Votre
maman ne doit pas être bien tranquille à Rt (*) avec ce bruit effrayant de canonnade qui ne
cesse depuis 8 jours. Je me rapproche de Pierre.
Je viens
de lui écrire pour l’avertir de ma présence dans la région.
Je
m’arrête pour ce soir ma chère Germaine en vous embrassant tendrement ainsi
qu’Alex s’il est près de vous. Sans oublier Simette. »
Robert
(*) : Rt : nom d’un
village ?
Ma chère Germaine
« Pourrais-je
vous charger d’une commission auprès de votre mari ? J’ai brûlé l’extrémité
de mes bottes en me chauffant il y a q.q jours auprès
d’un poêle un peu trop ardent. Je demanderais à Alex de passer chez le bottier
à Bourges et lui dire de m’envoyer avec un morceau de cuir de 10 cm2 pour la
réparation et un pot de colle couchou (Couchou). Nous sommes
pour le moment dans un petit village dans les environs de B. le. D (*) et nous attendons d’un moment à l’autre à être
porté en avant.
Les Boches
se sont enfin un peu calmés devant Verdun, probablement pour frapper plus fort
plus tard mais ils trouveront à qui parler.
Et cette
promenade à Grignon. Avez-vous eu le beau temps et votre vieux donjon est-il
toujours en bon état. Combien je voudrais pouvoir le visiter : les
permissions sont supprimées pour le moment.
Je suis
très occupé par l’instruction de ma 1ère qui commence à prendre forme.
Mais ces
déplacements continuels nous font perdre un temps précieux. Nous ne serons
guère en état de marcher avant un bon mois.
Je vais
très bien et j’espère qu’il en est de même pour vous tous. Bon baisers. »
Robert
(*) : Bar-le-Duc.
Ma chère Germaine
« J’ai
reçu hier deux de vos lettres du 6 mais les miennes vous sont-elles
parvenues !! Je le souhaite : au moins j’espère que vous avez pensé
que je ne suis pas le seul fautif dans ces retards si ennuyeux.
Ces Boches
sont toujours là cause de semblables (mot illisible) une chose qui vous fera grand plaisir j’en
suis persuadé, c’est que je ne suis pas encore engagé, et que je n’espère pas
l’être avant que mon régiment ne soit sorti de la bataille qui fait encore rage
à l’heure où je vous écris ; je suis (si votre frère n’est pas parti) tout
près de lui 2 Km.
Je vais
faire mon possible pour le voir : nous sommes parfaitement logés dans des
maisons évacuées par leurs habitants le jour même de notre arrivée. Ces
derniers pressés de partir nous ont tout abandonnés. Malgré tout, les
permissions je l’espère reprendront d’ici peu. Pas plus que vous je ne perds
patience. D’ailleurs la guerre est une excellente école et je ne serais pas
soldat si je n’avais pas la patience d’attendre ce qui doit venir.
Je
continue l’instruction de mes hommes malgré le froid et la neige. Pendant
qu’autour de nous gronde le canon.
A bientôt
de vos nouvelles ma chère. Je vous embrasse tendrement ainsi que Simette. »
Robert
Ma chère Germaine
« Encore
cette fois je ne répondrai à votre lettre du 13, reçue hier soir, que bien
vivement.
Mon papier
se trouve dans ma cantine à 15 Km d’ici et je n’en ai plus une feuille sur moi.
Mon régiment a été relevé ce soir, et probablement nous allons partir nous
informer plus en arrière. Je suis navré de vous savoir un peu souffrante.
J’espère que maintenant vous allez mieux. Merci pour vos fleurettes et tendres
baisers. »
Robert
Ma chère Germaine
« 2
lettres de vous et ce soir je n’ai que juste le temps de vous griffonner un
petit mot en attendant mieux. J’ai reçu vos cigarettes. Je vous en remercie en
vous embrassant bien fort. »
Robert (*)
(*) : Il passe adjudant-chef le 18 mars 1915.
Ma chère Germaine
« Reçu
vos 2 lettres. Je ne puis vous répondre encore aujourd’hui car nous logeons
sous la tente. Dès que nous serons mieux je vous écrirai. Je pense à
vous. »
Bon
baisers. R.
« Alex a-t-il oublié la commission que je vous avais demandé de
lui faire ? »
« Reçu
hier soir votre lettre du 22.
Je n’ai
pas le temps d’y répondre ce soir car nous déménageons, et par une pluie
diluvienne.
Tendres
baisers »
Robert.
Ma chère Germaine
« Quelques
temps déjà que je n’ai eus de vos nouvelles.
Que
devenez-vous. Avez-vous pu voir votre frère. Nous avons un temps superbe depuis
hier.
Si ce
n’était ce bruit continuel des canons la vie serait encore supportable. Cette
nuit presque impossible de dormir. Le grondement était effrayant. Tous les
monts qui nous protègent semblaient embrasés et nous pouvons être appelés à
monter d’un moment à l’autre là-haut.
Ce serait
peut-être notre bonheur. Une gentille petite blessure. Puis évacués sur Nice ou
Vichy, convalescence, permission. Enfin revoir un peu cette vie que j’ai
quittée depuis 17 mois ne serait pas pour me déplaire. Je vous quitte en vous
embrassant bien affectueusement ainsi que Simon. Mes amitiés à votre
frère. »
Robert.
Robert FOURNIER est tué le 31 mars 1916 dans le village de Vaux, le 3ème bataillon étant cerné dans les ruines du village, l’état-major du régiment n’a plus de nouvelles de ces hommes.
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le propriétaire du carnet de Robert FOURNIER
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