Journal de campagne de Jules (Albert) FROTTIER

caporal-infirmier aux 47e et 70 régiments d'infanterie territoriale

6 carnets de guerre période 1914-1919

 

Carnet N°2

Mars 1915-Novembre 1915 : secteur du bois Le Prêtre puis Verdun, les Chambrettes

 

Retour vers le premier carnet

Vers le troisième carnet

 

Jules FROTTIER en 1899

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Alain, son petit-fils nous précise :

 

« Voici le deuxième carnet de guerre de Jules FROTTIER qui débute le vendredi 5 mars 1915 pour se terminer le vendredi 5 novembre de la même année.

Le 1er carnet ne faisait qu’exposer les faits militaires, les déplacements de Jules, ses activités en tant qu’infirmier et je déplorais presque qu’il ne fasse pas davantage allusion à son passé, sa famille, qu’il n’émette pas de critiques à l’égard de ses supérieurs ou du gouvernement français. »

 

« Ce 2ème carnet nous fait découvrir davantage sa personnalité, son affection pour les siens et ses amis, toujours très pudiquement exprimée, sa révolte aussi à l’encontre de ses supérieurs qu’il juge souvent incompétents et imbus de leur personne. Il déplore aussi la situation lamentable de l’industrie d’armement française par rapport à celle de l’Allemagne. »

 

« Alors qu’il avait connu son baptême du feu le 28 décembre 1914, le secteur de Verdun dans lequel il se trouve à la fin du mois de mars 1915 l’expose davantage au danger qui devient son quotidien. Il s’installe peu à peu dans cette guerre qu’il juge longue et difficile.

Ici encore, on a l’impression que ces lignes sont écrites en temps réel, sur le vif, tellement elles sont criantes de réalisme et très détaillées. Je pense qu’elles sont souvent écrites après coup, ce qui ne fait que confirmer les talents de narrateur de Jules.

C’est toujours avec un grand intérêt et une réelle curiosité que je pénètre dans l’intimité de mon grand-père et que je le découvre jour après jour dans son quotidien de poilu, souvent difficile à vivre. Lorsque je reprends le carnet pour numériser et transcrire une nouvelle page, c’est à chaque fois un nouveau rendez-vous que l’on se donne, lui et moi, et le temps s’efface pour un moment. »

 

 

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Vendredi 5 mars 1915 :

Dans la nuit, (à minuit), les Boches font encore une contre-attaque sur la Croix des Carmes mais nos mitrailleuses et une terrible bordée de notre artillerie les arrêtent net.

La journée est assez calme.

La relève se confirme, nous devons partir lundi et le 3ème bataillon demain. La 9ème, 10ème, 11ème vont à Villers-St Etienne, la 12ème à Avrainville.

Samedi 6 mars :

Rien de bien important, bombardement de Boozville.

Dimanche 7 mars :

Bombardement de Boozville le matin vers 10h.

Un sergent du 167ème qui était au repos est tué (*) et plusieurs autres soldats blessés.

 

Le soir, vers 8h, une attaque a lieu au Bois le Prêtre mais nos canons l’arrêtent en 40 minutes par un bombardement intense.

Nous avons un tué, neveu de GARDAVOS (**) et une douzaine de blessés au 167ème et 168ème.

 

(*) : Il s'agit certainement du sergent Simon Henri CHENAL. Voir sa fiche.

(**) : Le neveu de GARDAVOS ne devait pas être du 47° RIT mais du 167° RI (comme les blessés mentionnés) car il y a selon le JMO du 167° RI un jeune soldat tué du nom de GARDAVOT. (Merci à Philippe pour la recherche).

Ce GARDAVOT Fernand Charles était natif de Laine-aux-Bois, petit village de l’Aube, pas trop loin du village de Jules FROTTIER. Voir sa fiche.

Lundi 8 mars :

Branle-bas de déménagement, c’est le 42ème (*) qui vient nous remplacer.

 

(*) : 42e régiment territorial.

Lundi 8 mars :

Il tombe 10 cm de neige.

Nous partons de Maidières vers 1h30 pour nous rendre à Dieulouard où nous couchons dans un bon lit chez M. COLLING.

Mardi 9 mars :

Réveil à 6h, nous déjeunons chez ces braves gens et embarquons à 7h½ pour partir à 9h 10 min.

 

Arrivée à Toul à 11h½, arrivons à Thélod vers midi 45.

 

Dans l’après-midi, je vais à Bicqueley pour trouver M. VOIX qui a une lettre de Camille mais fais un voyage de boucher et reviens au Thélod en colère.

Je couche au fort sur une mauvaise paillasse.

Mercredi 10 mars :

Je passe la visite avec M. ARNAL qui est très gentil, je vais avec lui à Gyé, Moutrot etc…

 

Le tantôt, je veux être fixé et viens à Pierre la Treiche trouver M. VOIX.

Cette fois, je sais que je vais à Gyé m’installer. GILTON me donne une lettre et suis bien heureux.

Je couche encore au Thélod.

Jeudi 11 mars :

Arrivée à Gyé à 9h avec M. ARNAL.

Je trouve une salle à la mairie mais sans aucune installation alors je me débrouille en demandant ce qui m’est nécessaire au Maire. Je fais la note des médicaments qui me font défaut pour aller demain les toucher à Gare-le-Col.

Nous faisons popote avec PIERRE et RENAUD chez Mme PENDON et couchons dans un lit chez Madame NOISETTE.

Vendredi 12 mars :

Je me lève à 7h.

Après ma toilette, je déjeune d’un bon café au lait et m’apprête à la visite pour 9h.

Il fait un temps superbe, aussi je me promène toute la relevée (?) et suis distrait par le passage d’un superbe dirigeable.

 

Le soir, les sous/off qui ont dégoté un piston font bal, nous rigolons bien de voir danser le gros et grand COSSON.

Samedi 13 mars :

Rien d’intéressant.

Dimanche 14 :

Continuation de la bonne vie à Gyé.

Je fais une partie de manille après déjeuner et en sortant de la maison, je me trouve à rencontrer deux artilleurs qui me cherchaient. C’était le fils aîné de CHARRON avec un garçon du Montlard. Nous étions heureux de nous rencontrer et de pouvoir causer un peu des amis.

Nous avons passé un bon après-midi ensemble.

Lundi 15 mars :

Matinée calme.

Après déjeuner, nous allons avec Pierre à Pierre-la-Treiche voir GILTON et les autres.

Nous rentrons à la nuit tombante.

Mardi 16 mars :

Rien d’important.

Mercredi 17 mars :

Très beau temps, nous allons à la pêche après avoir bien déjeuné.

Menu :

Pâté de foie, langue sauce moutarde, cœur sauce vin blanc, lapin farci, gâteaux (viande hachée à l’intérieur), salade, petits gâteaux secs, pets de nonnes.

Jeudi 18 mars :

Toujours la bonne vie, je déjeune avec le lieutenant DUPUIS.

Vendredi 19 mars :

Ça continue, nous vaccinons les poilus.

Samedi 20 mars :

Nous avons couché chez Madame, nous quittons le lit de Madame NOISETTE qui était trop étroit et d’un autre côté, les sergents qui couchaient dans notre chambre étaient toujours en ribouldingue.

Or nous deux PIERRE, ça ne pouvait pas faire notre affaire.

Le lit de Madame est excellent.

Dimanche 21 mars :

Camille, Léon et GUYOT viennent nous voir.

Lundi 22 mars :

Nous allons déjeuner à Moutrot avec PIERRE, MERAT, RENAUD.

Mesdames ORSIN et MILLET étaient venues voir leurs maris, nous ont payé ce déjeuner. Y assistaient encore VALLET et OUDIN de Romilly. (*)

 

(*) : Romilly-sur-Seine (10)

Mardi 23 mars :

Toujours la pause.

Je reçois 2 paquets contenant andouillettes, saucisson et jambon.

Mercredi 24 mars :

Nous allons à la pêche et je prends avec PIERRE une vingtaine de beaux vairons.

Jeudi 25 mars :

Même vie, nous sommes très heureux, vivons bien et ne faisons pas grand-chose.

Vendredi 26 mars :

Même vie, le soir nous mangeons une bonne friture que ( ?) a prise à la trouble.

Samedi 27 mars :

Branle bas, on nous apprend vers 11h du matin que nous quittons Gyé le lendemain matin.

C’est cruel, tous les hommes sont consternés surtout qu’ils viennent d’être vaccinés pour la 4ème fois et qu’ils sont tous malades.

Dimanche 28 mars :

Départ de Gyé à 5h du matin, arrivée à Toul pour embarquer à 8h.

 

Départ à 11h, nous passons par Goudrecourt, Bar-le-Duc, Ste Menehould, Verdun.

 

Arrivons à 9h½, nous débarquons le matériel et je pars avec le bataillon, arrivons après avoir fait 14 km à Louvemont à 1h du matin. En arrivant, point de cantonnement de préparé, rien pour se coucher et cependant tous les hommes sont harassés, il fait très froid.

Nous couchons 5 dans un petit coin, serrés les uns contre les autres pour se tenir un peu chaud, il est 2h½ et nous ne dormons pas de la nuit.

 

A 5h, je me lève, n’y tenant plus tant j’avais froid et peur d’être mangé à la vermine car je sentais toujours des piqûres.

Ce pauvre VIDAL est bien malade, il se lève également avec LARGE et nous allons demander la charité aux gars du 164ème qui commencent à faire du feu. Ça nous fait du bien et buvons un quart de jus qui est le bienvenu.

 

Ensuite, je vais trouver GILTON qui est arrivé à 3h½ du matin, le trouve couché avec HERBERT, CHARTON, DARGENT au milieu des vaches, c’est terrible. Nous refaisons un jus avec du lait, ça va mieux.

 

A onze heures, nous déjeunons près des infirmiers du 164ème, eux sont très bien installés depuis cinq mois. Si nous reprenions leur emplacement ça serait très chic mais nous ne savons rien, ordre et contre-ordre toute la journée.

 

A 4h, nous savons que les 1ère et 2ème Cies vont à Ornes, la 3ème et 4ème à Beaumont, nous partons demain. (*)

Nous sommes à Louvemont, un sale patelin où personne ne se montre et où nous ne pouvons rien obtenir, pas même un verre de vin. Nous couchons sur 2 cm de paille, enfin tous les hommes sont déprimés et tristes.

 

(*) : C’est exact, les 1ère et 2ème compagnies vont à Ornes, la 3ème et 4ème et le 3e bataillon à Beaumont. (JMO)

Mardi 30 mars :

Tant bien que mal nous faisons la popote avec les ordonnances et cyclistes et prenons nos mesures pour partir à 5h½ du soir.

Je devais suivre ma Cie à Beaumont mais ça m’embêtait bien un peu de me séparer encore une fois des copains et comme le 324ème devait envoyer 2 infirmiers chez nous, pour être avec les 2 du 47ème , M. VOIX a compris qu’il était préférable qu’il gardât tout son personnel au lieu de l’intercaler dans un autre service, que nous devions former HERBERT et moi avec le 324ème.

Pour cela je vais en vélo à Beaumont trouver le médecin-chef, il n’était pas là mais le médecin « à 2 galons » que je trouve donne une réponse et je rentre à Louvemont vers 5h¼ et il est décidé que je suis M. VOIX.

 

Nous partons à 7h du soir, arrivons aux Chambrettes (*) vers 8h après avoir déchargé la voiture de matériel, nous allons nous coucher et quel couchage !! …

N’ayant pas de paille, nous installons des brancards et avec une couverture pour deux, nous nous installons à 10h.

Il fait si froid que nous ne fermons pas l’œil de la nuit.

 

(*) : Les Chambrettes est un lieu-dit situé sur une butte au-dessus de Bras-sur-Meuse, en France.

Mercredi 31 mars :

Nous déguerpissons à 5h½ du matin, n’y tenant plus.

Je me mets en quête d’un feu pour faire notre jus et après bien des rebiffades, je trouve un brave garde-magasin du génie qui veut bien nous hospitaliser. Nous nous réchauffons et ça va mieux.

La journée se passe tant bien que mal, n’ayant rien d’organisé, il n’y a pas de visite.

 

Le soir, nous recouchons comme la veille et gelons encore toute la nuit. Il arrive une Cie du 324ème pour cantonner près de nous. On voit que ces pauvres types ont eu des plus mauvais jours car ils sont très heureux de ce qu’ils trouvent pour se coucher, quelques centimètres de paille et beaucoup rien. Ils ronflent tous comme des bienheureux.

C’est drôle tout de même.

Jeudi 1er avril :

C’est aujourd’hui que le 164ème restant aux Chambrettes, s’en va.

Les infirmiers nous laissent un local d’une saleté repoussante. Nous passons notre journée à nettoyer et à monter le poêle.

 

Enfin le soir, nous sommes chez nous et très heureux de pouvoir nous chauffer. Nous pouvons faire une vieille manille et ensuite nous installons nos brancards pour coucher.

La nuit se passe mieux que les précédentes malgré que ce n’est pas le rêve. Enfin !

Vendredi 2 avril :

Notre infirmerie étant installée, nous passons la visite comme par le passé et tout marche bien, nous voilà organisés. De notre service dépendent 2 ou 3 batteries d’artillerie, des canonniers marins et la Cie du 47ème qui cantonne ici.

VIDAL part ce soir à Ornes, nous restons avec HERBERT et GILTON.

Samedi 3 avril :

Contre-ordre, le médecin chef envoie une note à M. VOIX pour que ce dernier fasse rejoindre les infirmiers des 3ème et 4ème, c’est-à-dire HERBERT et moi.

M. le Major essaie de nous repêcher mais il en sort ceci : HERBERT reste aux Chambrettes et moi je dois rejoindre.

Quel fourbi !! Je suis dégoûté, enfin je partirai demain matin, jour de Pâques.

Les 120 longs qui sont près de nous tirent quelques bordées de temps en temps mais les sales Boches répondent aussitôt.

 

Je partirai à 5h½ demain et passerai par le bois pour m’éviter des choses désagréables comme les Boches savent en faire.

Dimanche 4 avril, Pâques :

Comme prévu je file des Chambrettes à 5h½ et passe par le bois mais quel voyage, il a plu toute la nuit, ce qui rend la marche très pénible dans ces mauvais chemins avec tout le barda sur le dos.

Ne connaissant pas la route, je fais bien des tours et détours et pour ne pas m’égarer, vais trouver des artilleurs d’une batterie de 90 pour me renseigner.

J’étais trempé de sueur et suis heureux de trouver un jus près de ces gars-là pour me réchauffer.

Après renseignements pris, je me remets en route, rentre dans le bois et finalement arrive éreinté à Beaumont à 7h moins le quart.

Je trouve l’équipe de M. MASSON et m’empresse de changer de linge car j’étais mouillé de sueur, comme il y a longtemps que ça m’était arrivé. Je m’installe et passe la visite, 200 malades et le reste de la journée à ne rien faire.

Je déjeune avec CHARONNAT, BONNERAT, CAUSSON et GOUERE, le soir je dîne encore.

Nous voulons marquer Pâques mais c’est bien triste.

 

Beaumont est complètement évacué et presque entièrement démoli, que c’est donc triste d’habiter un pays comme cela.

Je couche à l’infirmerie sur une paillasse et nous avons réveil à 4h½, car le soir, un ordre était arrivé de se tenir tout prêt pour 5h le lendemain.

Nous devons faire une attaque.

Lundi 5 avril :

Au réveil, nous montons dans nos bottes.

M. MASSON arrive à l’heure dite et préparons la salle comme d’habitude.

Le canon tonne au jour, et à 6h½, les Boches répondent quelques coups. Le pauvre BINET de la 3ème (*), avec qui j’avais trinqué la veille, est tué en allant chercher de l’eau à la borne fontaine située en face du bureau de CHARONNAT.

Un percutant arrive et explose à ses pieds le tuant raide.

Il a un pied de coupé net et 2 ou 3 balles à la poitrine, que c’est donc triste, nous le transportons à la mairie sur un peu de paille. CHARONNAT, BONNERAT et (?) sont épouvantés, ils ne savent plus ce qu’ils font et il y a de quoi.

 

Toute la journée, nous sommes bombardés, une marmite tombe à côté de l’infirmerie et fait tout trembler chez nous, une autre tombe un peu plus bas et brise toute la cuisine de 2 ou 3 escouades,

Heureusement personne n’est touché. Vraiment nous n’osons plus sortir dehors.

 

Dans le tantôt, nous entendons une terrible canonnade du côté de l’Argonne, c’est effrayant. Dans notre région, les pièces tirent toute la journée, et le soir vers 8h, nous allons nous coucher à peu près tranquilles.

Nous regardons les projecteurs et fusées éclairantes, c’est vraiment beau.

 

(*) : BINET Paul Auguste, soldat de 1e classe, 3e compagnie, mort pour la France le 5 avril 1915 à Beaumont (55), tué à l’ennemi. Il était né au Mériot (Aube) le 30 janvier 1879. Pas de sépulture militaire connue. Voir sa fiche matriculaire

Mardi 6 avril :

Le canon nous réveille à 4h ¾, toutes nos pièces cognent, les Boches ne répondent presque pas mais toute la journée, nous leur envoyons quelque chose. Nous entendons une terrible canonnade du côté de l’Argonne.

Les copains de la 3ème s’occupent de faire fabriquer un cercueil pour le pauvre BINET.

A grand peine, JOUNARD (?), un Troyen, trouve ce qu’il lui faut et le cercueil est prêt à 6h. On met ce pauvre en bière et le prêtre ou aumônier du 324ème lui chante une petite messe accompagné de GOUÈRE, près de la mairie.

 

Le commandant ENGELARD rend les honneurs avec un piquet qui présente les armes baïonnette au canon.

Puis le cortège se forme peu nombreux en raison des ordres donnés, comme il est dangereux de sortir. Enfin c’est une belle cérémonie et combien impressionnante.

Dix minutes après, tout est terminé.

 

Le soir, toujours des projecteurs, fusées éclairantes etc…

Depuis notre départ de Gyé, il pleut tous les jours sur les chemins conduisant au bois où nous prenons les avant-postes, il y a 10cm de boue, c’est effrayant les pauvres territoriaux, qu’est-ce qu’ils prennent !

Jeudi 8 avril :

Rien d’important, toujours le mauvais temps (du canon surtout de chez nous)

Vendredi 9 avril :

Mauvais temps, il tombe de la neige.

Nos pièces tirent toujours. Les Boches ne répondent guère et ne tirent pas sur Beaumont. J’ai bien mal aux reins et ne peut presque pas me redresser.

C’est la deuxième fois depuis la campagne que je suis pincé.

Samedi 10 avril :

Toujours du mauvais temps, il tombe de la neige mais 10 minutes après il n’y paraît plus.

Mes reins me font moins souffrir.

Ici on lave son linge, que cette vie est donc dure.

Dimanche 11 avril :

Journée comme les précédentes, du canon, toujours du canon.

Nous apprenons la prise des Éparges et une bonne prise à Mort Mare. Les cadavres boches y sont par monceaux.

 

A 5h ¾, nous partons pour le bois Laville.

Jamais je n’ai vu chemin pareil, nous pataugeons dans 15cm de boue. A chaque pas, nous manquons de tomber, grâce à notre bâton nous nous maintenons. Le chemin dure une heure.

Enfin nous arrivons aux Casemates à nage. (*)

Il y fait bon, le feu ne cesse pas, quant au couchage, inutile d’en parler.

 

(*) : Être mouillé (en sueur)

Lundi 12 avril :

La nuit s’est assez mal passée, mauvais couchage et des puces pour compensation. Nous nous levons vers 6h½, astiquons un peu le fourbi car il fait beau temps, le soleil fait son apparition.

Le canon gronde toute la nuit et d’une façon plus intense au loin au matin puis il cesse d’un coup.

Autour de nous, ça tire toujours, les obus boches et français sifflent au-dessus de nos têtes.

 

Vers 3h½, les Boches arrosent le bois en avant de nous, dans la direction de Beaumont mais sans faire de victime. Malheureusement, il n’en est pas de même à Beaumont où ces cochons nous tuent 3 hommes et en blessent 6 ou 7 (11ème Cie). C’est terrible.

 

(*) : ETIENNE et VIREY sont tués. MARTINOT, MINISCLOU, ROYER, PISCHEUR, et MONFORT sont blessés. (JMO)

VIREY Henri Léopold, 2e classe, mort pour la France le 12 avril 1915 à Beaumont (55), tué à l'ennemi. Il était né à Bragelognes (Aube), le 28 octobre 1875. Pas de sépulture militaire connue.

Son frère, VIREY Auguste Frédéric sera tué au mois de décembre de la même année, lui aussi dans le même régiment. Voir sa fiche matriculaire.

 

ETIENNE Camille Jules, 2e classe, mort pour la France le 12 avril 1915 à Beaumont (55), tué à l'ennemi. Il était né à Chennegy (Aube), le 4 mars 1879. Pas de sépulture militaire connue.

Voir sa fiche matriculaire

Mardi 13 :

Temps superbe.

Dès 7h½ du matin, deux aéros passent et vont sur les lignes allemandes mais ils sont salués par 50 coups de canon qui ne les atteignent pas. Ils s’en vont une demi-heure après sur Verdun.

 

Le soir vers 4h, les Boches bombardent encore Beaumont et arrosent toujours la plaine à 500m de nous.

 

Vers 5h½, 6h, nous leur abattons un avion qui tombe dans nos lignes à Ornes.

 

Le soir, sur notre gauche, forte canonnade qui dure jusqu’au matin.

Mercredi 14 avril :

Au réveil, je vais en compagnie de PIERRE et d’ORSIN (?) chercher de l’eau à une source au milieu du bois, j’en profite pour me laver car ici c’est du superflu.

Journée assez calme.

 

Le soir, avant de se coucher on fait une vieille manille ou un piquet. (*)

 

(*) : Jeu de carte.

Jeudi 15 avril :

Superbe journée, calme de notre côté.

Nous sommes relevés à 7h et profitons de la nuit pour aller gagner la route et éviter ainsi ce chemin épouvantable par lequel nous sommes venus, en même temps ça raccourcit au moins d’un quart d’heure.

Nous rentrons sans accroc et je me mets à table ensuite au lit.

Vendredi 16 avril :

Journée assez calme.

Samedi 17 avril :

Réveil à 4h du matin, nous allons au bois derrière Beaumont chercher des perches pour nous construire des couchettes métalliques. M. MASSON nous a procuré du grillage.

 

Nous rentrons à 6h.

Après la visite chacun se met à l’œuvre et le soir nous en avons déjà 5 de terminées.

Dimanche 18 avril :

Après la visite nous terminons nos couchettes et faisons le nettoyage dans la salle en enlevant toute la paille qui était sous nos matelas. Je vais laver un sac de couchage qui sèche en 2h (il fait un temps admirable) puis chacun fait son lit et voudrait qu’il soit l’heure de se coucher pour goûter un bon plumard.

Nous voilà à peu près installés et si nous restons ici, nous ne serons pas trop mal.

Notre installation est si bien que M. MASSON désire qu’on lui fasse des lits semblables pour mettre à la cave où il couche accompagné de 4 ou 5 infirmiers.

Lundi 19 avril Mardi 20 avril Mercredi 21 avril Jeudi 22 Vendredi 23 :

Nous continuons l’installation de l’infirmerie et le nettoyage, ça prend figure.

Pendant quelques jours, nous entendons une terrible canonnade du côté des Éparges.

Samedi 24 :

A 5h du matin, nous sommes réveillés par une fusillade venant du bois de Consenvoye.

Le canon se met de la partie après quelque temps et le tout dure jusqu’à 11h du matin.

 

Vers 10h, ça tape sérieusement mais nous ne savons pas grand-chose, un ordre vient à 11h d’être prêts en cantonnement d’alerte.

 

A 1h½, il nous arrive 4 blessés des tranchées (du 47ème) deux sont touchés à la mâchoire inférieure, légèrement mais il n’en est pas de même des 2 autres. (*)

Un a la jambe cassée et une sérieuse entaille, l’autre a une plaie pénétrante de shrapnels sous l’omoplate gauche, malgré cela le poumon ne doit pas être atteint.

Nous recevons deux obus fusant, quelques morceaux viennent taper tout près de nous dans la cour de l’infirmerie, un éclat traverse la toiture et s’arrête dans le grenier. Nous sommes sur le point d’entrer dans l’abri de bombardement mais comme tout devient calme, nous n’y allons pas.

Une terrible canonnade se fait toujours entendre du côté de St Mihiel qui dure tout le jour et jusqu’au lendemain à 11h.

 

(*) : Les noms sont indiqués dans le JMO : ROCHEFRETTE, DANTO, MAILLARD, FOURMY.

Dimanche 25 avril :

Toujours du canon, ça claque de tous les côtés.

 

A 4h, les Boches arrosent le bois près du pays en avant du Bois de Ville et blessent 4 hommes de la 4ème entre autres JARDIN de Troyes (*), vers 5h un autre arrive de la 12ème Cie, il a eu de la veine son sac placé devant lui a été traversé avant que l’éclat le touche.

Tous ces blessés ne le sont pas grièvement, évacués de suite sur Bras.

Je commence à entourer mon jardin et les brancardiers le bêchent.

Il nous est arrivé un nouveau médecin auxiliaire mais qui doit passer aide (?).

 

(*) : ROLLOT, PAPILLON, DUBOIS, JARDIN, ARNOULT.

Lundi 26 avril :

Depuis deux jours j’attends une lettre et m’ennuie de ne rien recevoir.

Belle journée toujours agrémentée par les coups de canon. Nous continuons le jardinage et la clôture mais vers 4h, voilà un véritable orage qui arrive et nous force à quitter le chantier.

Il éclaire et tonne très fort.

Mardi 27 avril :

Terrible canonnade du côté des Éparges où les Boches voudraient reprendre pied, ça dure toute la journée. Ici, comme tous les jours canonnade des deux côtés.

 

La nuit, la séance continue mais nous n’avons pas de blessés. Je termine la clôture du jardin.

Mercredi 28 avril :

La canonnade des Éparges dure toujours, vers 9h du matin c’est terrible, les aéros voyagent de bonne heure.

 

Dans l’après-midi, je bêche un peu pour planter demain si possible.

Nous dégustons une paire de litres de cidre que MORISSAT a reçus.

Jeudi 29 avril :

Je continue le jardinage et plante des oignons.

Du canon et passage d’aéros.

Vendredi 30 avril :

Plantations de pommes de terre et semis de salade (laitue pommée).

Samedi 1er mai :

Je me lève à 5h½ pour jardiner un peu et quitte à 6h parce que je suis de jour.

10 minutes après en train de faire griller une tartine de pain à la cuisine, j’entends un bruit étrange, ce n’est pas le sifflement ordinaire des obus, mais un soufflement et puis nous restons interdits en nous rendant compte de la réalité.

Heureusement qu’il vient tomber à 60m de nous car nous n’avions plus le temps de nous sauver. Un éclatement formidable se fait entendre et nous entendons pousser des cris tout de suite après.

 

C’est un pauvre type de la 9ème Cie qui se trouve enseveli jusqu’au cou sous les démolitions d’une petite boîte sur laquelle l’obus est tombé.

Une seconde après, autre éclatement à peu près à la même distance, puis ça se succède par deux, de minute en minute. Heureusement qu’il n’en tombe pas sur l’infirmerie.

Tout de suite les blessés nous arrivent, il y en a 19 en tout dont 1 mortellement et le lieutenant ROUSSEAU de la 12ème Cie qui est très sérieusement atteint. Les plus graves sont évacués sur Bras.

9 reçoivent des égratignures seulement.

 

Notre matinée est occupée jusqu’à midi et nous sommes tous désorientés. Le reste de la journée se passe calme.

Le grillage qui entoure notre jardin est coupé et enfoncé dans 8 ou 10 endroits , un arc-boutant coupé et arraché et la place où l’éclat a porté est mise en allumettes.

 

(*) : Le JMO dénombre 17 blessés, le blessé n'est pas mentionné.

Dimanche 2 mai :

Journée calme, du canon aux environs, mais rien au pays.

Il fait très chaud, je sème des radis roses mais le tantôt un orage éclate vers 5h.

Il tombe beaucoup de grêle et très grosse comme les balles de shrapnels. Les fleurs de pruniers, les groseilliers et autres sont coupés et abîmés.

Dimanche 2 et lundi 3 mai :   

Rien d’important sinon une terrible canonnade du côté de St Vauquois.

Mardi 4 mai :

Mauvais temps, orage accompagné de tonnerre, pluie, journée assez calme.

Mercredi 5 mai :

Il nous arrive encore 2 obus sur le patelin qui heureusement ne font aucun mal. Il fait un temps lourd, orageux et j’ai bien peur de recevoir la flotte en montant au bois ce soir car c’est mon tour de monter pour 4 jours.

Nous partons à 6h½ et arrivons mouillés mais de sueur seulement.

J’étrenne le nouveau gourbi et couche avec M. COQUIDE, nous n’avons pas de puces tandis que les copains en sont couverts dans les deux autres gourbis.

 

Vers 4h de l’après-midi, une terrible canonnade se fait entendre du côté des Éparges et le soir devant les gourbis, nous assistons de loin à ce duel d’artillerie, les fusées éclairantes et les projecteurs marchent sans cesse.

 

Vers 10h du soir, une autre attaque se prononce du côté de Consenvoye et le canon accompagne les fusils et mitrailleuses pendant une heure environ. Le reste de la nuit est plus calme quoique coupé de temps en temps par le canon.

Le bois est superbe, la feuille est poussée, c’est vraiment agréable.

Jeudi 6 mai :

Dès le matin, le canon gronde dur, de notre côté, nous tirons sur les tranchées allemandes avec un 75, les Boches répondent aussi.

 

Le reste de la journée se termine assez bien, du canon, des obus qui passent au-dessus de nous, des uns et des autres on finit par ne plus les entendre.

Manille après souper jusqu’à la nuit. Nous restons dehors sur les bancs en fumant une pipe et nous couchons vers 9h.

Vendredi 7 mai :

C’est toujours la même musique.

 

Vers 4h½, on vient chercher les brancardiers pour enlever un blessé.

C’est un homme du 324ème.

Le pauvre garçon a le mollet gauche coupé en deux, on peut coucher la main dans la plaie, nous faisons le pansement avec M. COQUIDE, il souffre beaucoup surtout quand nous lui versons la teinture d’iode à même avec la bouteille. La blessure est terrible mais la jambe ne doit pas être cassée malgré tout. (*)

 

(*) : Il s’agit du caporal GIRAULT Gabriel. Le JMO du 324e RI précise « Blessure par éclat d’obus, sérieuse à la jambe »

 

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Samedi 8 mai :

Très belle journée, il fait très bon au bois.

Le canon tonne toujours.

Dimanche 9 mai :

Dès le matin, un de nos avions vient repérer le tir de notre artillerie, il est copieusement arrosé mais rien ne l’arrête et reste au moins une heure, peut-être plus au-dessus des lignes allemandes.

Nos canons tirent sans cesse et de tous côtés.

 

Les Boches ne répondent guère le matin mais vers 4h½ / 5h de l’après-midi, les nôtres recommencent mais cette fois ce n’est plus la même chose, les Boches commencent à arroser et tirent sur Beaumont, peut-être 100 obus, nous les entendons passer et ce sont des gros 150 au moins. Le bombardement dure au moins deux heures.

Beaumont est arrosé du haut en bas mais l’infirmerie en reçoit au moins une trentaine tout autour. Les infirmiers ramassent des gros morceaux et c’est un effet du hasard qu’il n’y a eu que 2 blessés au 324ème et légèrement.

Nous attendons la relève jusqu’à 8h½ et trouvons le temps bien long.

 

Enfin M. SERRIERE arrive avec les brancardiers et l’infirmerie. Il nous raconte ce qui vient de se passer à Beaumont. Nous rentrons à 9h½ sans encombre.

 

(*) : Le sergent GESLOS Émile (blessure à l'épaule droite, un éclat d'obus à la hanche droite) et le soldat ESNAY Henri Ernest (éclat d'obus à l'œil gauche et au bras)

Lundi 10 mai :

Toujours le beau temps.

Après la visite je m’occupe de ma lessive et lave après déjeuner, je lave tout mon linge et mon sac à viande. (*)

 

A 4h½, nos 90 tirent 4 coups, ce qui me décide à rentrer et 5 minutes plus tard, un obus de 105 au moins tombe sur notre local et la fusée traversant le plafond, tombe sur le mur en face et ricoche sur le lit de COUSIN.

Tout le personnel est dans la salle et nous sortons indemnes.

Aussitôt revenus à la réalité, nous passons au gourbi mais tout se borne à cela. M. MASSON réclame pour lui la fusée. Nous blaguons après…mais sur le moment…

 

(*) : Sac à viande : sac de couchage

Mardi 11 mai :

Je touche ma capote bleue.

Mercredi 12 mai :

Nous sommes obligés de rendre visite à l’abri de bombardement mais tout se passe bien.

Jeudi 13 mai Ascension :

Journée assez calme ainsi que vendredi 14 mai.

Il fait un temps d’hiver, pluie, vent et le froid revient.

Samedi 15 mai :

Il gèle un peu, j’avais pris note des brouillards de mars 12-13-14-15, or le dicton est vrai quelquefois.

Les aéros profitent du beau temps disparu depuis quelques jours.

 

Dès 6h½, un des nôtres vient rendre visite aux lignes boches, il est bien arrosé mais rien ne le retarde et revient plusieurs fois.

 

Vers 9h½, les Boches nous envoient quatre marmites et des grosses mais elles tombent en avant du patelin.

Depuis 4 ou 5 jours, les communiqués sont bons, nous rossons les Boches du côté d’Arras, Lens et leur avons fait 5000 prisonniers dont 70 officiers, 2 colonels, pris plus de 50 mitrailleuses, canons etc…

 

Vers 11h½, le marmitage recommence et cette fois beaucoup plus intense.

Il tombe un obus sur une grange où une escouade du 324ème était à table.

11 d’entre eux sont blessés, dont un mortellement à la tête et deux autres grièvement. (*)

Ces pauvres malheureux nous arrivent à l’instant où nous allions nous mettre à table, nous les pansons aussitôt et demandons des voitures à Bras. (**)

Elles arrivent assez vite et nous évacuons tous ces blessés, les derniers partent vers 2h. Le chargement de la dernière voiture n’était pas terminé qu’il arrive une marmite tout près, on active et la voiture démarre.

Nous rentrons tous précipitamment et le bombardement avec des 210 continue.

 

A nouveau les blessés nous arrivent mais cette fois c’est du 47ème. Le premier appartient à la 12ème Cie, il est bien touché mais il s’en tirera je pense, quatre autres de la 10ème succèdent. (***)

L’un d’eux meurt en arrivant, c’est le caporal GORRIN d’Estissac qui travaille chez LEPERCHE, il a la carotide coupée. Ce pauvre poilu a 5 gosses. (****)

 

Nous passons à l’abri de bombardement où nous pansons les blessés et restons là jusqu’à 4h½, heure à laquelle le marmitage cesse. Voilà encore 15 blessés aujourd’hui dont 2 tués, il est tombé sur le patelin peut-être plus de 500 obus de tous calibres.

Quelle vie, nous sommes tous comme déroutés quand le calme revient.

C’est terrible des instants comme ceux-là.

Nous entendons une forte canonnade du côté de l’Argonne, ça dure toute la nuit et même le dimanche matin.

 

(*) : DUBRAY Émile (le tué)-BONNIER - LANDELLE Julien - VIOT Arsène - FOUCAULT François - BIGNON François - LANDEAU Henri - MOLIERE Paul - RIVAULT Jean - LANCELOT Ernest -GAULIER Arthur - GAUDIN Alexis.

(**) : Bras-sur-Meuse

(***) : DIDIERBRIFFOND - ADAM (ADAN ?)

(****) : GORIN Albert Georges, caporal au 47e RIT, mort pour la France à Beaumont-en-Verdunois (55), tué à l’ennemi. Il était né à Saint Sauflieu (80), le 27 septembre 1878. Pas de sépulture militaire connue. Il travaillait donc, en 1914, dans l’Aube, à Estissac.

Dimanche 16 mai :

Journée habituelle, nos pièces tirent mais les Boches ne répondent guère.

En revanche ils tirent sur les tranchées et sur la pièce de 75 qui est dans le ravin au Bois de Ville.

Résultats : 4 blessés, 2 de la 4ème PRESTAT, GUILLARD, 2 de la 11ème pour blessures peu graves. (*)

 

(*) : PRESTATGUILLARDALEXANDREDUIFUI…( ?)

Mardi 18, mercredi 19 mai :

Mauvais temps.

Du canon comme les autres jours, mais pas trop sur le patelin. Plantation de haricots.

J’envoie un colis postal de 5kg et le paquet remis à GUILLOUX le 26 avril ne part qu’en même temps, si j’avais su. Je joins dans mon postal la petite bague pour Néné.

Jeudi 20, vendredi 21, samedi 22 :

Trois jours assez calmes, quelques marmites de temps en temps..

Dimanche 23 – Pentecôte :

Dès le matin, un de nos aéros règle le tir de nos 155, il paraît que nous avons détruit ou endommagé deux batteries boches à Cernoy.

 

Le tantôt, vers 6h j’étais dans le jardin quand tout-à-coup un bruit qui ne nous trompe jamais passe au-dessus de moi.

Je dis à quelques uns de mes camarades d’écouter et nous entendons une très forte détonation qui est tout simplement l’éclatement d’une grosse marmite (210 probablement) sur Louvemont, une deuxième passe et cette fois, nous regardons et voyons très bien les unes après les autres, 37 marmites éclater sur Louvemont.

C’est un bombardement en règle comme ces sales Boches savent en faire.

Résultats : un homme tué du 95ème, 3 blessés grièvement et quelques autres superficiellement. (*)

L’infirmerie trinque sérieusement, la salle de visite est détruite complètement quelques maisons sont démolies.

On parle sérieusement de l’intervention de l’Italie. (La mobilisation est décrétée)

 

(*) : Le seul soldat du 95° RI, tué à Louvemont ce jour, est Antoine FAYOL de Corgnac-sur-L’Isle (19). Voir sa fiche.

Lundi 24 :

Nous apprenons à 10h½ du matin la déclaration de guerre de l’Italie à l’Autriche, c’est une joie pour nous.

A 5h du soir, toutes les pièces du front tirent un coup pour célébrer l’intervention. (Télégramme du Ministre de la Guerre). Nous recevons de notre ambassadeur à Rome la dépêche suivante :

 

"A partir de demain 24 mai, l’Italie se considère en état de guerre avec l’Autriche-Hongrie.

Nos troupes accueilleront avec un joyeux enthousiasme la nouvelle de l’entrée en action de notre sœur latine, fidèle à son glorieux héritage, l’Italie se lève pour mener aux côtés de nos alliés et au nôtre le combat de la civilisation contre la barbarie.

En adressant à nos frères d’armes d’hier et de demain une cordiale bienvenue, nous saluons dans leur intervention un nouveau gage de la victoire définitive. "

Mardi 25 mai :

Journée calme

Mercredi 26 :

Aéro magnifique. Il reçoit 120 obus mais au milieu de l’attaque, il rentre à Verdun.

Jeudi 27 :

Journée de canonnade, surtout de notre part.

Dès le matin notre aéro revient il fait 5 ou 6 voyages dans les lignes boches et reçoit encore 60 ou 80 obus. Il manœuvre d’une façon admirable et possède un sang froid extraordinaire. Il repère le tir de nos batteries. Il paraît que 2 pièces boches étaient installées dans une grange et depuis longtemps il nous était impossible de savoir exactement l’emplacement.

Pour tirer les Boches ouvraient les portes et aussitôt leur tir terminé, ils les refermaient. Notre aéro a surpris le truc et les pièces de 120 batterie K ont démoli la grange en tirant 18 obus dessus. Probablement qu’avec la grosseur, les pièces se trouvant dedans ont été démolies.

Les Boches se sont vengés en tirant sur les tranchées tuant 1 homme du 324ème, en blessant 2 et 1 du 47ème 9ème Cie. (*)

 

(*) : HUET Jules Henri (de Guerche-de-Bretagne, 35, voir sa fiche) et MACARDET du 324e RI et PARISON du 47e RIT.

Vendredi 28 :

Journée assez calme à part la canonnade quotidienne, le soir enterrement du soldat du 324ème.

Samedi 29 :

Je monte au bois.

Beau temps.

Dimanche 30 :

Réveil à 6h par le tir des Boches sur notre aéro, puis les 120 batterie K tirent une quinzaine d’obus et ensuite nous recevons autant de shrapnels tombant dans le ravin en avant du gourbi à 30 ou 40m.

C’est étonnant la pluie de soufre après chaque éclatement.

Le reste de la journée est assez calme.

 

Vers 11h du soir, il vient encore quelques obus, même endroit, nous sommes réveillés et puis le canon cogne toute la nuit du côté de l’Argonne.

Lundi 31 mai :

A 5h½ du matin, notre aéro revient mais jamais pareille canonnade. Il reçoit plus de 400 obus.

Il est merveilleux, manœuvre d’une façon magistrale et ne s’en va que quand ça lui fait plaisir, il a l’air de défier les Boches et de leur dire m…

Le reste de la journée se passe assez bien.

Mardi 1er juin, mercredi 2 juin :

Journée de canonnade, nos pièces tirent de tous côtés, les Boches répondent moins qu’il y a quelque temps.

Le 2 juin au soir, je retourne à Beaumont.

Jeudi 3 juin :

Rien d’intéressant, nous apprenons le soir que M. GIBERT, notre chef de service du 47ème, médecin à 3 galons (*), qui depuis son arrivée au régiment était toujours resté à Gare-le-Col, vient ici.

Or comme M. VOIX est évacué, nous supputons qu’il en partira un d’ici pour le remplacer. (Dès 4h du matin une escadrille de 5 ou 6 avions passe ici).

 

(*) : Capitaine

Vendredi 4 juin :

En effet dans la matinée une note arrive de M. LUTROT disant que M. MASSON ira rejoindre aux Chambrettes remplacer M. VOIX.

 

Vers midi, M. GIBERT arrive en auto. Il vient prendre contact après déjeuner et se renseigner au sujet du service.

Il a l’air d’un charmant garçon mais pour son arrivée à Beaumont les Boches le saluent à leur façon, en nous bombardant pendant une heure et demie, de 5h½ à 7h.

M. GIBERT ne trouve rien d’intéressant à cette distraction et de suite se terre au gourbi. Nous n’avons eu qu’un blessé de la 11ème (Cie qui rentrait des douches et que la saucisse a certainement vue) mais légèrement. (*)

Le toit de notre cuisine est mis en écumoire, un fusant le perce en 20 endroits, en cassant tuiles et poutrelles. Un petit éclat vient même se loger dans le mur au-dessus du lit du caporal.

Enfin tout se passe assez bien puisqu’il n’y a pas de tué et 1 seul blessé légèrement.

 

(*) : Soldat TEYSSON, de la 11e compagnie.

Samedi 5 juin :

Passage d’aéro, bombardement toute la journée.

 

Le soir, vers 6h, les Boches nous envoient 2 gros obus du 210 probablement qui tombent sur le petit lavoir derrière l’église. A ce moment deux types étaient en train de laver, un a eu seulement une forte commotion, l’autre est blessé à la tête légèrement et au bas des côtes, côté gauche.

Il est évacué.

 

(*) : Soldat LÉGER, de la 12e compagnie.

Dimanche 6 juin :

Dès 6h un aéro boche passe, traverse Beaumont, pousse jusque sur Montfaucon et revient au-dessus du bois des Fosses, nous le canonnons ferme mais sans l’atteindre.

 

Un deuxième passe une demi-heure après.

Puis les nôtres viennent à leur tour et assurent un marmitage en règle.

 

Vers 7h½, nous partons avec M. COQUIDE passer la visite au bois des Fosses, toutes les pièces tirent autour de nous, les obus boches éclatent sur les aéros, enfin ce n’est pas très rassurant.

Notre voyage se passe bien malgré tout, mais tout en passant la visite, les Boches arrosent nos batteries et ça tombe pas très loin.

Nous nous mettons en route pour revenir et en arrivant à moitié de la côte, voilà une salve boche qui nous surprend. Immédiatement nous faisons le plat ventre, puis comme nous ne voyons pas les éclats venir près de nous, il nous a semblé bon de chercher abri derrière une haie voisine.

Nous nous allongeons là et laissons passer la rafale.

Puis ennuyés d’être là, nous essayons de passer par la route de Vacherauville, mais en arrivant au tournant de la côte, nous apercevons la saucisse boche qui nous regarde.

Demi-tour par principe pour revenir à notre point de départ, puis nous décidons de presser le pas pour rentrer, soit que la saucisse nous ait vus ou par pur hasard, voilà une nouvelle salve qui nous arrive et deux percutants tombent à 150m de nous, les éclats et la terre nous arrosent, nous faisons le plat ventre l’un à côté de l’autre.

 

Puis la rafale passée, nous prenons le pas gymnastique et arrivons à l’infirmerie, mais essoufflés et à nage.

Un sergent de la 3ème est atteint par un éclat à la joue et au cou. Chose étrange, il est paralysé des deux jambes, il ne les sent plus du tout, même en les piquants, effet de la commotion. (*)

 

Cinq minutes après notre rentrée, un autre obus arrive, éclate au-dessus de notre cuisine et casse encore la toiture, bientôt il n’en restera plus. Un pauvre type se trouvait dans les jardins à ce moment, il reçoit un éclat d’obus qui lui fracture le crâne.

On vient prévenir les brancardiers. PIERRE et VINOT qui se trouvaient là, vont le chercher, mais malheureusement il n’y a plus rien à faire.

La cervelle sort de la boîte crânienne, nous lui faisons un pansement et pendant 2h½ à 3h, le pauvre bougre agonise dans la salle ; ça crève le cœur de voir de semblables tableaux.

L’ambulance arrive, nous l’expédions, mais il meurt en arrivant à Bras. (**)

Canonnade le reste de la journée.

 

(*) : Le sergent MORVAN mourra le lendemain. MORVAN Noël Marie, mort pour la France le 7juin 1915 à Bras-sur-Meuse, blessures de guerre. Il était né en février 1987 à Saint-Agathon (Cotes d’Armor)

(**) : Soldat BAYSSIÉ Émile Charles, 2e classe, mort pour la France le 6 juin 1915 à Bras-sur-Meuse, par blessure de guerre. Il était né le 1e septembre 1872 à Tours (Indre-et-Loire). Il est inhumé au cimetière militaire de Bras-sur-Meuse, tombe 2328. Voir sa fiche.

Lundi 7 juin :

Toujours la même vie, passage d’aéros, duel d’artillerie.

 

A 1h de l’après-midi, je vais à Louvemont avec LEDUC chercher des médicaments.

Quelle chaleur ! Reste de la journée assez calme.

Mardi 8 juin, mercredi 9 juin, jeudi 10 juin :

Vers 3h½ de l’après-midi, il tombe un obus boche 157 au moins dans la façade de l’infirmerie, à 1m du couloir. Le mur est enfoncé et les moellons projetés dans l’escalier qui monte au grenier.

Personne n’est atteint.

M. DIRAT était sur son lit quand il entendit le sifflement de la marmite, au lieu d'essayer de se sauver, il s’est bien couvert avec son édredon, puis après l’éclatement, il descendit 4 à 4 les escaliers passant par-dessus les décombres. Il nous arrive couvert de poussière et bien émotionné, mais indemne.

Nous allons au gourbi, par précaution, mais tout se borne là.

 

Le matin, j’étais allé au Bois des Fosses passer la visite, nous rentrons encore peu rassurés, car toutes nos pièces tirent.

Vendredi 11, samedi 12, dimanche 13 :

Trois journées assez calmes, le temps reste assez correct.

Notre médecin-chef M. GIBERT s’occupe de nous faire protéger notre salle d’infirmerie.

Le commandant GOACHET va en référer au génie. Alors il vient un lieutenant qui prend des dispositions pour nous élever le mur du corridor jusqu’au toit etc… nous préférons cela à l’autre version qui était de nous faire construire un gourbi blindé, à l’extrémité du pays, derrière le cimetière.

Comme ici nous avons tout sous la main, cuisine, source et une belle grande salle, nous préférons bien y rester.

M. MASSON vient nous voir et nous photographie.

 

Description : Description : Description : 001 copie 2

Lundi 14 juin :

J’envoie un colis contenant des éclats d’obus de celui qui a troué le mur, 2 têtes d’obus (fusées) en cuivre, un porte-plume pour LAMBERT, une montre pour Mme MORISSAT et une bague pour Camille, un peu de linge.

 

Le soir, il nous arrive le sergent MILLOT, nous fêtons un peu son entrée parmi la société, du reste il a eu la gentillesse d’apporter une bouteille de Champagne.

Mardi 15 juin :

Je vais passer la visite au Bois des Fosses, le voyage s’effectue sans encombre.

 

Après déjeuner, nous repartons avec LEDUC, allons aux Chambrettes où nous trouvons M. MASSON et tous les anciens amis, GILTON, HERBERT, CHARTON, DARGENT, les brancardiers WITTMANN, BUISSON, CARRÉ etc…

 

Nous rentrons vers 5h.

MASSON nous apprend que M. DIRAT est nommé aide-major et qu’il va nous arriver un médecin auxiliaire.

Mercredi 16 juin :

Nous recevons l’hyposulfite, la glycérine et le carbonate de soude pour faire une solution servant à imbiber les cagoules et tampons qui doivent servir contre les gaz asphyxiants.

Camille m’apprend l’épidémie d’angine à Aix, 2 gosses sont morts.

Jeudi 17 juin :

Nous sommes réveillés à 2h du matin : alerte.

Le sergent MILLOT avait été prévenu la veille de cette alerte mais ne nous avait rien dit.

 

A 2h40, tout le monde doit être dans les abris de bombardement. Toute la grosse artillerie de la 72ème division doit tirer.

En effet, à l’heure dite, toutes les pièces tonnent pendant 1h½, les Boches ne répondent presque pas.

 

Jusqu’à 4h de l’après-midi, c’est à peu près calme, mais un nouvel ordre arrive, tout le monde aux gourbis.

Nos pièces tirent encore pendant une heure.

Cette fois les Boches répondent sur le pays et même sur le Bois des Fosses, blessant deux sergents ici et 5 hommes du 324ème là-bas, tous légèrement.

 

*********

 

J’ai oublié de noter dans la journée de mercredi l’évacuation de GUYET, il a été blessé à la main droite mais légèrement.

J’envoie un mot à sa femme.

 

(*) : Soldat GUYET, de la 4e compagnie.

*********

 

Le soir vers 6h, il nous arrive 48 hommes de renfort pour les trois Cies, venant du dépôt du 47ème à Mailly.

FAUCHOT Eugène est du nombre. C’est tout de la classe 92. (*)

Ils vont la trouver mauvaise surtout que ces hommes sont des réformés et auxiliaires. Quelles tristes recrues !

Quelques uns viennent à la visite le lendemain, ça fait pitié. Certains n’ont jamais tenu un fusil, d’autres ne voient pas clair, même de l’œil droit, des herniaires, varices, cœurs faisant du 100 à l’heure, etc…

C’est malheureux d’envoyer des soldats comme ça sur le front.

 

(*) : Ils ont donc 43 ans !

Vendredi 18 juin :

Une lettre de Camille me rassure un peu au sujet de cette épidémie mais aussitôt je lui ai envoyé les mesures préventives à prendre dans ces occasions.

Samedi 19 juin :

Rien de particulier.

Dimanche 20 :

Départ à 6h½ pour aller passer la visite au Bois des Fosses. Aucun coup de canon ne vient troubler notre balade.

Depuis deux jours, je fais le cuistot.

Nous préparons les tampons contre les gaz asphyxiants en les imprégnant de la solution hyposulfite, glycérine et carbonate.

Dimanche 20 juin, lundi 21 :

Rien d’intéressant.

Mardi 22 juin :

Journée calme.

 

A 8h¼ du soir, nous passons au Bois de Ville pour 4 jours avec M. COQUIDE.

Bon voyage, nous rencontrons en route près du bois M. SERRIÈRE et LEDUC. En arrivant au gourbi, nous buvons une bouteille de mousseux avec PIERRE, M. COQUIDE et son ordonnance.

Mercredi 23 juin :

Il pleut en partie toute la journée mais peu.

Jeudi 24 juin : St Jean :

A 4h½ du matin, nous allons avec M. COQUIDE et DIONNAIS aux avant- postes pour visiter les récipients qui doivent contenir le liquide contre les gaz asphyxiants. Nous allons à la GG1 et GG2 dans les tranchées de 1ère ligne.

En revenant nous passons près du poste de mitrailleuse qui doit balayer la route de Ville-devant-Chaumont. Un veilleur me montre un remblai à cheval sur la route à 3 ou 400m de nous, fait par les Boches et où il les voit travailler. Les crapouillots  claquent à côté de nous sur le 162.

 

Nous rentrons à 6h½ sains et saufs.

Cette promenade matinale m’a donné de l’appétit. Nous déjeunons bien.

Je suis très content d’avoir visité tout cela, c’est intéressant. Les obus y tombent assez fréquemment, il s’agit de choisir le bon moment.

Vendredi 25- Samedi 26 :

Deux derniers jours de séjour au Bois de Ville. Nous les passons dans un calme complet mais le 162 qui se trouve à côté de nos tranchées, de l’autre côté de la route de ville, prend quelque chose.

Les crapouillots tombent sans cesse avec un fracas terrible. Nous revenons le soir vers 9h et notre retour se passe bien.

Dimanche 27, lundi 28, mardi 29 :

Le dernier jour, je fais passer la visite au Bois des Fosses, bon voyage mais en arrivant, je vois quelque chose qui me révolte : la 4ème Cie fait l’exercice par escouade et ensuite école de section commandée par les sergents.

C’est vraiment écœurant de voir des poilus de 40 ans revenir à pirouetter comme des bleus de 20 ans.

Quel métier !!!

 

Dans la nuit il se produit une attaque du côté de Montfaucon, ça dure jusqu’à 8h du matin le 30.

Mercredi 30 juin :

Rien à signaler.

Le sergent brancardier ROBIN est avec nous depuis quelques jours, il ne s’amuse guère ici et préfèrerait être à Bras au ravitaillement qu’il n’avait pas quitté depuis le début de la campagne.

J’ai reçu avant-hier une lettre de Camille qui ne me rassure guère. Elle se plaint de plus en plus, ça me tourmente beaucoup. J’ai écrit à la doctoresse pour être fixé.

Jeudi 1er juillet :

Voilà le 12ème mois qui commence, quelle triste vie et dire que l’on n’aperçoit pas la fin de cette maudite guerre !

Les uns prétendent que nous en avons encore pour 3 mois, disant ça ne peut pas durer, tout le monde se fatigue etc…etc…

Moi je ne crois pas que nous serons quittes avant la fin de l’année.

Espérons que je me trompe et puis de voir tout ce qui se passe ça rebute tous les troufions.

 

On s’aperçoit après onze mois de guerre que nous ne fabriquons pas assez de canons et de munitions, que les Allemands en fabriquent à profusion et qu’ils sont toujours tellement bien approvisionnés qu’il nous est impossible de les mettre dehors de chez nous. C’est ainsi qu’est le Français et le gouvernement, impossible de faire quelque chose de bien et de sensé.

Le gaspillage des fonds et la noce dans les hautes sphères, voilà ce qui guide les gens qui nous dirigent.

Vendredi 2 juillet :

Rien d’important.

Ces messieurs les officiers viennent de toucher leurs mois et aussitôt on voit partir les billets de banque dans leurs familles.

C’est épouvantable de voir ce que vaut notre commandement. Ici des quantités énormes de blé se perdent dans les granges, sans être battu, alors qu’il serait très facile d’emmener tout cela à l’arrière.

Plus fort encore, un grenier est plein de sacs de blé et bien on le laisse manger aux rats et le commandant GOUACHEY qui passe son temps à emm…les poilus, à voir si les cravates font deux tours, n’a pas eu l’idée de faire enlever ce blé depuis 9 mois qu’il est là. Et notre beau pognon s’en va à l’étranger pour acheter du blé à des prix fabuleux.

Voilà comme ces messieurs défendent et servent leur pays. On voit bien par là ce qu’ils peuvent faire chez eux. C’est triste mais c’est ainsi que ça se passe.

Quels bons souvenirs on emportera tous chez soi après la guerre. Voilà notre infériorité manifeste vis-à-vis des Boches.

Samedi 3 juillet, dimanche 4 :

Rien de particulier.

Lundi 5 juillet :

La journée assez calme mais vers 7h du soir, nous entendons une terrible canonnade du côté des Éparges et de l’Argonne. C’est probablement une attaque boche prédite depuis quelques jours dans les journaux.

Toute la nuit ça continue et toute la journée du mardi.

 

Du côté des Éparges, ça cesse vers midi mais il n’en est pas de même de l’autre côté. Les Boches voudraient nous couper la ligne de chemin de fer St Menehould-Châlons.

 

Ce jour mardi 6 juillet, j’adopte une chienne qui est baptisée immédiatement « Marmite » et je me fais photographier dans le jardin avec.

Nous verrons demain ce que ça donne.

Mercredi 7 juillet :

Ça cogne encore du côté de l’Argonne. Les communiqués nous apprennent en effet que les Boches ont attaqué mais sans résultat. On parle de très grosses pertes de leur côté.

Je vais avec ESTIVALET et ROBIN déjeuner aux Chambrettes.

Jeudi 8 juillet :

Rien d’important.

Depuis une quinzaine Pierre BRANDON est mal à son aise, il ne peut plus manger, son intestin est malade, après s’être purgé plusieurs fois, il faut qu’il s’alimente spécialement, bouillon de légumes, purée, pommes de terre et pâtes.

Vendredi 9 juillet :

Dès 5h½ du matin, les avions boches viennent nous visiter, nos pièces les canonnent ainsi que les fusils mais sans les atteindre, il y en a un qui revient 5 ou 6 fois au-dessus de nos lignes.

Il a du culot le cochon.

 

La 23ème Cie du 324ème part à 6h½ au repos dans les péniches à Bras.

Ce sera notre tour dans 8 jours.

Samedi 10 juillet, dimanche 11 juillet :

Toujours du canon du côté de l’Argonne. Ici calme complet.

Lundi 12 juillet :

J’envoie un colis contenant un sertisseur, réamorceur et un panier avec couvercle. (*)

Je joins dedans un colis pour Mme BRANDON et une petite boîte pour Mme CHARONNAT.

 

A 1h du matin, le bruit d’une effroyable canonnade nous arrive, c’est du côté de Montfaucon, mais plus loin.

 

(*) : Instrument servant au sertissage des cartouches. Sertisseur... Appareil individuel d'usage courant avant 1914, puis surtout industriel.

Mardi 13 juillet :

La canonnade continue jusqu’à 6h du soir, c'est-à-dire pendant 17 heures.

C’est un roulement ininterrompu mais effrayant. Qu’est-ce qui doit se passer ?

Nous plaignons sincèrement les pauvres poilus qui se trouvent dans cet enfer, dans cette pluie de ferraille. Nous voudrions savoir ce qu’il adviendra d’un pareil engagement.

Les uns disent que c’est les Boches qui ont attaqué mais qui sont repoussés avec pertes et fracas. Je n’attache pas grande importance à tous ces bruits et attends le communiqué officiel car tous les potins qui circulent me laissent indifférent.

Mercredi 14 juillet :

Jour qui ne ressemble guère à celui des autres années, plutôt triste car tout le monde s’embête, peu de canon et le duel de l’Argonne est à peu près fini.

MORISSAT vient déjeuner avec nous, le repas est assez copieux, après nous faisons un mata (*), et MORISSAT et ROBIN prennent la purge.

Nos médecins, entre autres M. DIRAT, devient assez dur avec nous, il fait sentir son galon et ça l’ennuie de nous voir jouer aux cartes. Il nous cherche noise pour rien.

Il nous arrive un nouveau médecin de Bras, M. DELFINI ( ?), ça fait 4 jeunes et M. GIBERT.

 

Au sujet de l’Argonne, nous apprenons que les Boches y ont pris la piquette. Ils ont attaqué avec 45 000 hommes, paraît-il mais nous étions prêts. Il y a eu un petit recul sur une partie de la ligne à cause de leurs obus asphyxiants mais nous nous sommes repris vivement.

 

(*) : Mata : jeu de dominos

Jeudi 15 juillet, vendredi 16 :

Depuis deux jours, la conversation roule sur les permissions.

Nous allons avoir 4 jours, paraît-il et ce jour, nous en avons la confirmation à la décision : 4 jours aller et retour non compris ou plutôt la permission partira de la gare régulatrice qui est …( ?)

Maintenant ce qui devient intéressant c’est la répartition pour assurer notre service, il ne sera possible qu’un départ d’infirmier à la fois et avec M. GIBERT nous ne serons jamais fixés.

Samedi 17 juillet :

Nous partons passer huit jours au repos dans les péniches sur le canal de Bras.

Départ à 6h du matin, passons par Vacherauville où nous arrivons à 7h. La Cie prend une douche en passant et vers 8h½ 9h moins le quart nous arrivons à Bras, gentil petit patelin où se tient le siège de la 7ème division ainsi que notre colonel et la section.

Les péniches sont aménagées avec des lits des forts et quelques autres faits par le génie en fil de fer. Le mien est de ceux-là, nous avons une paillasse, polochon, sac à viande et notre couvre-pied.

Il fait très bon dans ces bateaux mais il pleut un peu. Je fais popote avec les sous/off et vis très bien. Nous buvons le Champagne pour que ce soit complet.

Dans la journée, je tire des plans pour la pêche et m’équipe tant bien que mal.

Dimanche 18 juillet :

COSSON, le sergent, vient avec moi.

Nous tendons des lignes et en pêchant le soir avec des vairons, je prends deux brochets. Le 1er me coupe une ligne, n’étant pas monté assez fort, je remets un hameçon et prends le 2ème, le 3ème me recoupe mon crin mais un copain se trouvant à passer me prête sa ligne et je reprends celui-ci qui pèse presque une livre.

Comme il fait nuit, je rentre au bateau et tous les types de m’arrêter pour s’extasier devant ma pêche.

Lundi 19 juillet :

Le lendemain matin nous partons lever nos lignes et nous prenons une lotte et une anguille.

Ça nous fait une matelote qui mérite à peu près mais à partir de ce jour, tous les poilus vont traîner et voient les brochets, tous ils les prennent au lacet et tout le monde en veut de la pêche.

Nous tendons encore.

Mardi 20 juillet :

Cette fois, chou blanc, à 3h du matin, nous allons lever nos lignes mais rien ou plutôt presque rien.

Une lotte de 200 grammes. Ça nous dégoûte et COSSON ne marche plus. Je pêche encore quelquefois et prends encore quelques brochetons mais petits.

J’en manque un gros.

Mercredi 21 juillet :

Je me repose car pour se lever à 3 ou 4h du matin et se coucher à 9h½ le soir, ce n’est pas une vie et je plaque la pêche.

Jeudi 22 juillet :

Un formidable éclatement nous réveille à 3h½ du matin et fait trembler le bateau, nous sommes un peu surpris et sortons nous rendre compte. C’est bien les Boches qui bombardent et avec quels morceaux !!

 

Depuis cette heure, jusqu’à la nuit, les marmites ne cessent de tomber. Ils tirent sur la côte derrière Vacherauville où ils veulent détruire une pièce de marine qui le matin à 2h½, leur a fait sauter un ravitaillement de munitions.

Les marins se sont mis à l’abri et malgré un tel arrosage, 250 coups au moins, ils sortent le soir pour réparer les ouvrages et déterrer leurs munitions qui étaient enfouies par les ravages faits à chaque éclatement.

Heureusement, la pièce est intacte. Les Boches s’en sont approchés très près mais sans l’endommager ni les munitions non plus.

Vendredi 23 juillet :

Journée calme, nous allons à la pêche avec LEFEVRE.

Samedi 24 juillet :

A la visite du matin, je conduis 5 malades dont CHARLOT qui est évacué, COURTOIS très embêté par ce qui lui arrive, ne mangeant plus, reste quelques jours à Bras.

Les autres exemptés de sac, CHARLOT est heureux, il a bien fait de persister, c’est ainsi qu’on arrive.

 

Nous partons le tantôt à 5h ¾.

De mon séjour à Bras, j’en déduis que plus on recule, plus les services sont agréables, tout en étant loin du danger c’est curieux de voir tous ces officiers faisant les beaux, changeant de tenue trois fois par jour : ça met les hommes en rage.

A l’infirmerie, il y en a des jeunes infirmiers et cabots (*) infirmiers et sergents, que de tireurs au cul, ça révolte.

 

J’ai omis de noter hier vendredi, l’évacuation du lieutenant CAPEL ( ?).

Nous apprenons aussi que notre colonel vient à Beaumont reprendre le commandement des deux bataillons. Le 324ème s’en va.

Nous n’allons plus avoir affaire à GOUACHET, ni à VIENET, quelle chance, tous les poilus en rigolent.

Le 324ème ira à Louvemont, le 95ème à Ornes et la 1ère et 2ème du 47ème reviennent vers nous avec le commandant SAUDRAS.

Certainement ça ne fait pas l’affaire de tout le monde, ceux qui étaient à Bras avec le colonel aimeraient mieux y rester, mais nous, nous en sommes contents.

Il est probable que M. MASSON va revenir à Beaumont ramenant avec lui GILTON, HERBERT, DARGENT et CHARTON. Il quitterait les Chambrettes, nouvel agencement dans le service.

M. COQUEDE et DIRAT vont nous quitter pour aller à Louvemont.

 

Le départ de Bras est roulant, dans presque toutes les escouades il y a des types de saouls et ils s’embouchent avec les caporaux. Enfin tout le monde met sac au dos et nous voilà partis.

 

C’est dur, il fait chaud et avant la pause, 5 ou 6 restent en route près du bois qui se trouve à droite de la route de Vacherauville. Un obus fusant vient éclater pas loin de la route.

Heureusement pour nous, le capitaine nous a fait passer par le chemin de traverse, sans cela il est probable que nous aurions eu quelques poilus de touchés.

 

Encore une petite pause avant de monter à Beaumont près des artilleurs et nous rentrons à 8h moins 10. Ces derniers nous apprennent comment le Lieutenant et le Maréchal des Logis des 155 longs ont été blessés à l’intérieur de l’abri.

Le dernier est mort des suites de ses blessures et enterré à Bras.

 

En arrivant à Beaumont, je change de linge et monte au bois avec M. COQUIDÉ.

DUCOURET était prêt pour me remplacer mais je préfère faire mon tour.

 

Nous arrivons au bois à 9h½ car ayant voulu sortir dans la plaine, nous nous heurtons à un barrage de fil de fer et impossible d’en sortir. Il nous faut rentrer sous bois et chercher un autre chemin, comme il fait très nuit, ça ne va pas vite mais nous en venons à bout tout de même.

Nous rencontrons une équipe de nos brancardiers qui ramène un homme de la 12ème Cie qui vient d’être tué au ravin. (**)

La batterie K ayant tiré, les Boches ont répondu 20 min après par 10 coups de 150 et ont criblé les emplacements de nos gourbis. POUILLET a eu son gilet traversé en ( ?) par une balle de shrapnel.

Quelle veine il a eu de ne pas être atteint !

 

Le lendemain matin, nous trouvons les têtes d’obus, culots et balles tout autour des gourbis.

 

(*) : Cabot : Caporal.

(**) : Il s’agit de DEFERT Louis Georges, 2e classe, mort pour la France le 24 juillet 1915 à Beaumont (55), tué à l'ennemi. Il était né à Paris, le 10 mars 1879. Pas de sépulture militaire connue.

Voir sa fiche matriculaire

Dimanche 25 juillet :

Journée assez calme mais de la pluie.

Lundi 26 juillet :

Pluie mais calme à peu près toute la journée.

Mardi 27 juillet :

Le matin vers 10h½, les Boches nous envoient un percutant 150 (en vache) sans aucun indice pouvant le faire supposer, c’est une de leur surprise. Il tombe juste sur une cuisine de la batterie K avec un vacarme épouvantable et culbute deux artilleurs se trouvant à l’intérieur.

Un se relève indemne mais l’autre est blessé.

Deux coupures du cuir chevelu assez profondes mais juste pour que le crâne ne soit pas intéressé. Il était temps, c’est une veine avec quelques autres contusions. Il doit s’en tirer à bon compte.

On l’amène près de nous et le pansons aussitôt puis après avoir prévenu par téléphone, nous l’envoyons à Beaumont où la voiture de Bras viendra le prendre.

 

Vers 2h de l’après-midi, le 75 qui se trouve juste en face de notre gourbi tire, alors la réponse ne se fait pas attendre, trois 150 nous arrivent en vitesse et pas le temps de se mettre à l’abri tellement ces obus arrivent vite.

Tous les bancs, les tables, sont criblés, les hêtres superbes qui nous donnaient leurs frais ombrages sont zigouillés mais tout cela n’est rien puisque personne n’est atteint.

Mercredi 28 juillet :

Journée assez calme jusqu’à 14 heures.

M. SERRIÈRE est venu remplacer M. COQUIDÉ pour la journée.

Ce dernier part à Louvemont avec le 324ème. M. MASSON quitte les Chambrettes et revient à Beaumont avec M. DUPONT qui était à Ornes.

M. SERRIÈRE passe au 1er bataillon avec M. DUPONT.

M. MASSON reprend le 3ème bataillon.

 

Vers 2h½ de l’après-midi, les Boches nous envoient encore quelques obus mais plus petits, c’est du 77. Ils tombent presque dans la plaine et ne font pas de dégâts. Nous attendons la relève, c’est M. MASSON qui vient relever M. SERRIÈRE, étant seul à son bataillon, c’est lui qui monte au bois.

Il n’est pas très content, je crois qu’avec M. GIBERT ça ne va pas tout seul. Il y a eu certains froissements ces temps derniers, enfin tout cela s’arrangera peut-être.

 

Nous rentrons à 9h½ et trouve à l’infirmerie toute mon ancienne équipe : GILTON, HERBERT, CHARTON, LARGE, VIDAL, DARGENT.

Tous ces braves ne sont pas trop contents car ils savent bien qu’il ne fait pas très bon par ici.

Jeudi 29 juillet :

Ça me fait drôle de me retrouver à l’infirmerie, voilà 2 jours que j’en étais absent.

Je range un peu mon fourbi et fais un peu ma lessive. CONY part en perm avec MILLOT, c’est le 1er départ, vivement qu’ils reviennent et que mon tour arrive.

Vendredi 30 juillet :

Journée assez calme, il passe quelques aéros et vers 6h du matin, nous voyons parfaitement un Boche mitrailler un des nôtres. Celui-ci pique du nez et descend perpendiculairement, puis sorti de la zone dangereuse probablement, se redresse mais au lieu de continuer le combat repart sur Verdun.

Peut-être n’était-il pas armé ?

 

Dans la nuit, vers 11h, on nous amène un blessé du génie, qui étant au travail, vient de recevoir 2 balles de shrapnels au-dessus de la fesse droite. Les docteurs constatent que les balles ont pénétré jusque dans les intestins.

On téléphone de suite à Bras et une auto vient chercher ce blessé qui est complètement perdu. M. DUPONT lui a fait 2 piqûres de caféine et d’éther et par-dessus a envoyé chercher un prêtre qui a donné l’absolution.

Samedi 31 juillet :

Je suis en retard de quelques jours et ne me rappelle plus exactement ce qui s’est passé mais malgré cela il n’y a rien eu de bien intéressant, on devient de plus en plus abrutis.

Avec ces permissions, c’est la barbe, M. SERRIÈRE fait liste sur liste et finalement je me trouve classé 10ème.

Ça me repousse tout simplement au mois de novembre.

Le pauvre poilu du génie est mort en arrivant à Bras. (*)

 

(*) : Il semble s’agir de ROUSSINET René Théodore, sapeur-mineur du 4e génie, de Chépy (Marne). Voir sa fiche.

Merci à Philippe pour la recherche.

Dimanche 1er août :

Anniversaire de la mobilisation.

Quel triste jour ! (le 2, départ de M. MASSON)

Lundi 2 août, mardi 3 :

Évacuation de CHARONNAT qui a depuis quelques jours une forte crise d’asthme.

 

Même jour, le caporal FARGE de la 12ème reçoit au Bois de Ville en allant au devant de la corvée de soupe, un éclat d’obus qui lui coupe toute la face extérieure du bras droit, lui entre dans le côté en perforant le poumon et allant se loger dans le ventre.

Le pauvre type souffre énormément et lorsqu’on le retourne sur le brancard pour lui faire son pansement, le sang gicle de la plaie à flot.

Il est mort en arrivant à Bras.

 

(*) : FARGES François, caporal, mort pour la France à Bras-sur-Meuse (55), le 1e août 1915, par blessures de guerre. Il était né à Saint Etienne de Fursac (Creuse), le 9 novembre 1875. Pas de sépulture militaire connue.

Mercredi 4 août :

Anniversaire de notre départ pour Troyes.

 

Le soir, encore deux poilus de blessés : BAUDOUX de la 2ème et MAURY de la 12ème, ce dernier est de Planty (*). BAUDOUX a eu le bras droit cassé et traversé par une balle de shrapnel, il est bien malade du bras.

Sa jambe droite est également traversée dans le mollet.

MAURY a le pouce droit presque coupé, il en sera quitte pour quelque temps de repos.

 

(*) : Planty, village de l'Aube

Jeudi 5, vendredi 6 :

BONNERAT est nommé sergent-major en remplacement de CHARONNAT et FÈVRE, sergent-fourrier.

Départ de MORISSAT et LEDUC.

Samedi 7 août, Dimanche 8 août :

Rien d’important.

Lundi 9 août :

Terrible canonnade du côté de l’Argonne. Les Boches ont dû essayer de passer encore un coup. Nous ne savons rien, les communiqués n’en parlent presque pas.

Mardi 10 août, mercredi 11 août :

Rien de sérieux.

Jeudi 12 août :

Rentrée de M. MASSON, il me donne des bonnes nouvelles de ma famille, je vais faire son truc, en attendant la rentrée de MORISSAT. Il veut passer sa visite à part, notre bataillon d’un côté, le sien d’un autre.

Le rassemblement des 2 bataillons occasionne un peu de tiraillements dans le service mais tout se passera à la longue, ou du moins nous l’espérons.

 

Le 10, nous avons eu un chic concert organisé par le 47-324ème et mitrailleurs, qui nous a fait passer un bon quart d’heure.

Il était paru un ordre disant de ne plus cacheter nos lettres et de n’envoyer que des cartes illustrées sans noms des pays mais aujourd’hui 12, d’autres ordres disent et autorisent à recacheter nos lettres, quel fourbi grand Dieu !

On pourrait croire que ceux qui donnent ces ordres ne savent pas ce qu’ils doivent faire.

 

M. GIBERT part en permission, ce qu’il est content, c’est comme un gosse. Malgré sa rouspétance au sujet de la voiture qui était venue le jour du départ de LEDUC et MORISSAT, disant que pour l’avenir il ne fallait plus que l’omnibus de ces messieurs vienne à domicile, mais lui l’a fait venir le premier pour lui.

C’est bien ça les officiers, tout pour eux (le bonheur et le reste).

Vendredi 13 août :

Un aéroplane français, que nous regardons, en reconnaissance au-dessus des lignes boches, a probablement une panne : nous le voyons baisser, baisser et il n’a que le temps d’arriver au sommet de la côte qui domine la ferme d’Anglemont et d’atterrir mais les Boches l’ont vu et immédiatement les shrapnels arrivent ainsi que des percutants de très gros calibres.

Des poilus voulant se porter au secours des aviateurs, sont obligés de s’arrêter et ces derniers ont juste le temps de se sauver. Ils sont indemnes mais après une violente canonnade, leur pauvre avion est démoli.

Samedi 14 août, Dimanche 15 août, Lundi 16 août :

Pendant les deux premiers jours 14 et 15, rien de bien marquant.

 

Le 16, décidément, nos avions n’ont pas de chance et nous en voyons un qui quitte les lignes boches avec une vitesse vertigineuse après avoir été violemment marmité, prendre la direction des Chambrettes, descendre, se diriger au-dessus du petit bois de sapins à gauche de la route de Louvemont puis de là virer pour venir atterrir dans un terrain propice près de Louvemont.

 

Les commentaires vont leur train et s’il n’était l’heure de se mettre à table, 6h, je filerais comme un lapin voir mais je préfère encore ne pas perdre mon repas.

Nous n’avons rien su de bien précis à ce sujet.

Mardi 17 août, mercredi 18 août :

Les jours derniers je suis indigné en lisant le journal.

Des députés font le procès à la Chambre de notre service de santé, ça dégoûte et suis écœuré, malheureusement ils ne nous apprennent rien, nous sommes au courant de tout ça.

Comme solution et pour calmer le débat, il fallait une tête de Turc et c’est TROUSSAINT, le médecin-inspecteur du service qui trinque. Il quitte la direction.

C’est un bon exemple mais combien en faudrait-il ?

 

Du bombardement pour finir la journée, et le soir, vers 9h½, nos grosses pièces de 155 tirent.

Les Boches répondent peu mais un de leurs obus tombé très près de notre infirmerie dans le champ à gauche du jardin.

DUCOURET trouve la fusée le lendemain matin, c’est un 150.

Jeudi 19 août :

Bombardement intense de toute notre artillerie, les Boches répondent assez tard dans la journée.

Ils blessent légèrement un gamin du 15ème mais par contre un des deux qu’ils ont envoyé sur le pays blesse un pauvre type de la 9ème, BAILLY, de Fontaines-les-Grés, il est mort en arrivant à Bras. (*)

Il était atteint à la tête avec épanchement de la matière cérébrale et au ventre.

C’est un miracle que les cinq autres camarades qui se trouvaient avec lui n’eussent pas subi le même sort. Je suis allé voir la place où était tombé l’obus, c’est le hasard, la chance, comme toutes les fois qu’une marmite éclate.

 

Voilà deux jours que je suis assez mal à mon aise. J’ai eu de la fièvre et une courbature générale mais aujourd’hui, ça va un peu mieux, je me suis purgé légèrement et mis à la diète.

 

 (*) : BAILLY Ulysse, 2e classe de la 9e compagnie, mort pour la France le 19 août 1915 à l'hôpital 3 de la 72e division d'infanterie de Bras-sur-Meuse, par blessure de guerre. Il était né à Savières (Aube). Il est inhumé à Bras-sur-Meuse, tombe 1036.

Voir sa fiche matriculaire

Vendredi 20 août, Samedi 21, Dimanche 22, lundi 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 :

Toute la semaine accalmie, on se demande si nous sommes en guerre.

Les avions se font voir tous les jours car il fait très beau, les sales Boches canonnent toujours les nôtres en masse mais sans résultat.

Nos artilleurs commencent à s’y mettre aussi et reconduisent assez bien les oiseaux boches qui se risquent au-dessus de nos lignes.

 

(GILTON, CAUNE et COUSIN sont partis en permission lundi dernier et M. SERRIÈRE est également parti le 27.)

Ce dernier m’a promis de me faire filer après le prochain convoi qui comprend HERBERT et MARÉCHAUT (*). Si ça peut réussir, je serai bien placé mais gare les jaloux, tous les poilus veulent s’en aller, c’est à qui partira le premier.

Depuis le changement qui fait partir par classe, on parle d’une offensive générale prochainement, les conversations roulent là-dessus tous les jours.

 

(*) : MARÉCHAUT Henri Georges était vigneron (de champagne) à Buxeuil (Aube). Son nom sera cité très souvent sur les carnets.

21, 22, 23 août :

Rien à signaler.

24 août :

Départ des permissionnaires, GILTON, (?) caporaux et COUSIN.

25, 26, 27, 28, 29, 30, 31 août :

Toujours le calme, c’est à ne pas y croire

Mercredi 1er septembre, jeudi 2 septembre :

Rentrée des permissionnaires et départ des autres parmi lesquels MARÉCHAUT et HERBERT.

On parle de la suspension des permissions à partir du 6 septembre, toujours à cause de l’offensive probable.

Vendredi 3, samedi 4 septembre :

M. SERRIÈRE revient de permission et me désigne pour le prochain départ avec COUTANT ( ?).

Je suis très heureux mais ne me réjouis pas outre mesure à cause de tous les bruits qui circulent.

Dimanche 5 septembre, lundi 6 :

Rien de particulier à signaler.

 

Dans la relevée du 6, nos canons tirent beaucoup et les Boches répondent sur la route d’Ornes, sur les batteries et quelques shrapnels tombent sur le quartier de l’église, traversant le toit des sapeurs mais sans accident.

Mardi 7 septembre :

Toujours du canon et le tantôt vers 3h, un ordre arrive de la division alertant le cantonnement pour 4 heures.

Nous préparons notre fourbi au galop et M. GIBERT part avec presque tout le personnel au Bois des Fosses.

Je reste à l’infirmerie avec M. SERRIÈRE et LEDUC.

Le 75 cogne, ensuite le 90 et vers 4h½, nos avions font leur apparition car il fait un temps superbe. Ils survolent très longtemps les lignes boches et ces derniers leur envoient jusqu’à la nuit sans marchander des marmites et des marmites mais sans les atteindre.

 

Vers 7h, les camarades ne revenant pas du Bois des Fosses, nous décidons de manger la soupe.

 

A 8h, COUSIN vient chercher à dîner pour les majors GIBERT et MOREAU.

Nos pièces tirent et les Boches répondent sur le Bois des Fosses et un obus tombe en face des gourbis. Un homme de la 2ème entendant venir une marmite, a juste le temps de se mettre derrière un chêne et bien lui en prit car l’obus percutant vient éclater tout contre ce chêne, mettant l’arbre en morceaux et faisant valser le poilu à quelques mètres de là.

Son caporal qui n’était pas bien loin, vient le ramasser pour le mettre à l’abri mais ils sont obligés tous deux de refaire un plat ventre, une seconde marmite venant encore éclater tout près d’eux.

Enfin ils se relèvent et se mettent à l’abri.

Nous couchons tout habillés et la nuit se passe calme.

 

Le lendemain matin, mercredi 8 septembre, M. GIBERT et MOREAU ainsi que le personnel les accompagnant reviennent à Beaumont.

On passe la visite et à 8h½, le colonel envoie un ordre que l’alerte est levée. Les permissionnaires du prochain départ ont la frousse, cette alerte ne nous dit rien de bon mais la journée est assez calme.

Jeudi, vendredi, samedi 11 :

Rien d’important.

Je me prépare à partir car les autres reviennent, malgré tout, je sais que le départ sera pour le lendemain 12.

Dimanche 12 :

Je quitte Beaumont à 3h et monte en voiture, à la sortie du patelin, qui me conduit jusqu’à Bras.

Là, je retrouve ( ?), MORISSAT, ROBIN, etc…nous trinquons.

Tous les Aixois me donnent des commissions, j’en ai une quinzaine. Nos perms nous sont données vers 6h et comme le Decauville (*) ne passera pas, nous partons à pied.

 

Arrivés à Verdun, vers 7h 3/4, nous prenons comme siège le bord du trottoir et cassons la croûte.

J’avais bien faim.

Embarquons à 10h, passons par Revigny, Bar-le-Duc, revenons à Revigny, Vitry, Brienne, Troyes, reprends le train à 6h10 pour arriver chez nous à 8h½/9h.

Je ne parlerai pas de notre joie de nous retrouver, j’étais tellement bien dans mon bon lit que j’ai mal dormi la première nuit, c’était trop doux et j’avais trop chaud.

 

Le lendemain, je reprenais mes anciennes habitudes et j’oubliais complètement les misères passées mais hélas, les 7 jours et ½ ont passé trop vite et il m’a fallu repartir, content malgré tout d’avoir pu voir à mes affaires et mettre tout en ordre.

 

(*) : Decauville : Chemin de fer à voir étroite, utilisé en arrière du front pour le transport d'hommes et de matériel.

Retour le 21.

Arrive à Troyes à 3h 1/2, partons à 6h pour BrienneSt Dizier, passons la nuit dans les wagons de 2ème classe, repartons à 5h du matin pour Revigny, 2h ½ d’arrêt ensuite, Bar-le-Duc, arrivée à 9h 1/2, prenons le Meusien, départ à 10h.

Passons à Rembercourt et voyons tous les villages dévastés, où nous nous sommes battus au début, nous nous rendons bien compte de l’encerclement de Verdun qui était presque accompli.

 

Tout le long de la ligne, ce n’est que cimetières et tombes isolées. Quelques cimetières comptent 20, 40 et peut-être 50 tombes, que c’est donc triste de voir tout cela.

Le petit « Meusien » va très doucement et s’arrête très souvent.

 

Nous arrivons à Verdun à 15h, c’est-à-dire qu’il a fallu 5h pour faire le trajet Bar-le-DucVerdun.

Nous voulons aller boire un bock mais rien à faire pour entrer en ville, alors nous nous résignons et attendons l’heure du train pour Charny, assis sur un banc à l’ombre près de la gare. Nous voyons et observons la circulation de tous les services installés à Verdun.

Chacun fait sa réflexion car dans tous ces conducteurs, hommes et officiers, il doit bien y avoir des inutiles et embusqués.

 

A 4h 1/2, nous prenons notre train et arrivons à Charny peu de temps après.

De là, en route pour Bras, où nous retrouvons les copains, prenons possession de nos sacs et moi je laisse le mien près de JACQUEMARD qui me le fera passer par le ravitaillement le lendemain.

Ensuite direction caboulot (*) où nous nous faisons préparer à souper avec HUTIN, CHAUSSEPIED, et DUCHAT.

 

Nous nous calons bien et vers 8h, prenons le chemin de Beaumont où nous arrivons sans encombre vers 10h.

Tous les copains sont couchés mais se réveillent aussitôt.

On se serre la main et la conversation roule sur les nouvelles du pays.

En arrivant du côté de Bar-le-Duc, nous avions entendu une canonnade très intense du côté de l’Argonne et en rentrant les camarades m’ont dit que ça durait comme ça depuis 3 jours et 3 nuits.

 

(*) : Caboulot : cabaret mal fréquenté.

23 septembre :

Réveil à Beaumont, c’est moins gai que chez moi, mais il faut en prendre son parti.

Toute la journée, la canonnade dure et ça continue le 24 ainsi qu’une grande partie de la nuit. A certains moments, c’est effrayant.

Samedi 25 septembre :

Toujours du canon, maintenant ça tape de tous les côtés, on parle de l’offensive générale.

ROBIEN qui revient de Bras nous assure qu’un ordre du jour du général JOFFRE a été lu à la division et que l’offensive est prise sur plusieurs points du front. Nous allons toucher des cuisines roulantes, voitures de Cie et médicales.

Dimanche 26 septembre :

L’ordre du jour en question nous arrive, l’offensive est générale sur tout le front.

Nos pièces tirent sur les tranchées boches et ces derniers répondent sur le pays, nous allons au gourbi. Un obus pulvérise la guérite du poste et enterre la sentinelle sans lui faire de mal, c’est très drôle.

Un téléphoniste est blessé légèrement sur le devant de la porte au moment où il se précipitait pour rentrer.

Nous apprenons que les Boches prennent la purge en Champagne et vers Arras. Nous avons fait 10 000 prisonniers.

 

A 6h, je pars pour le bois de Ville, avec M. SERRIÈRE. Le canon gronde en Argonne et nous voyons les fusées éclairantes qui se succèdent sans interruption. Nous arrivons au gourbi où nous attend M. MASSON.

Après les congratulations d’usage, ce dernier nous quitte et nous prenons possession du gourbi.

Toute la nuit le canon fait rage et au réveil nous apprenons que le nombre de prisonniers fait est de 18 000 plus quantité de matériel et munitions, 24 canons, 200 officiers, etc…

 

La journée du lundi 27 passe encore dans le bruit infernal de la canonnade.

Nous sommes tous heureux des résultats et tout le monde a l’espoir de la continuation.

Il pleut.

Je reçois une carte de ma chère Camille et vois qu’elle a bien pleuré après mon départ. Je comprends que la maison est vide et triste depuis.

Mardi 28 septembre :

Nous apprenons des bonnes nouvelles de Champagne, le nombre des prisonniers augmente ainsi que le nombre des canons, on nous dit 40 000 prisonniers et 200 pièces.

 

À 7h du soir, c’est une dépêche qui nous vient de l’État-major de Verdun disant :

           « Faites jouer les musiques, sonner les cloches et chanter la Marseillaise ».

 

Nous entendons aussitôt les poilus du 362ème à notre gauche qui chantent à tue-tête. Nous nous en mêlons aussi puis tout se calme et vers dix heures du soir, alors que nous nous mettions au lit, voilà M. GIBERT qui arrive. Il est heureux et ne se contient plus, il est venu nous apprendre la victoire remportée en Champagne.

Enfin après son départ, nous nous endormons en rêvant à d’autres succès. L’espoir est revenu et déjà nous voyons les Boches hors de France.

Mercredi 29, jeudi 30 septembre :

Deux jours de canonnade de part et d’autre.

Je parle de notre secteur, nous sommes un peu moins enthousiasmés depuis ces deux journées car la nouvelle de mardi soir ne se confirme pas et les communiqués deviennent plus rares.

 

Vers 4h du soir, alors que MOREY, ...( ?)..., et plusieurs autres brancardiers étaient devant les gourbis occupés soit à faire leur toilette, soit à d’autres petits travaux, un obus de 105 vient éclater juste au-dessus d’eux.

C’est toujours cette pièce qui nous prend en enfilade et dont on entend le départ en même temps que l’éclatement. Ça vient si vite qu’il est impossible de se sauver.

Le pauvre MOREY est rentré au gourbi bien émotionné mais s’il avait eu à être touché, il n’y pouvait rien en se sauvant grâce à ce que l’éclatement s’est produit juste au-dessus de lui. Il en a été quitte pour la peur ainsi que ses copains.

Moi qui étais juste en face en train de faire la manille, j’ai eu le temps de me lever pour me jeter de côté mais je n’aurais pas bougé que le résultat aurait été le même, aucun éclat n’étant venu de mon côté. Une émotion de plus à la clef, nous n’y faisons plus guère attention

 Nous rentrons le soir à bon port mais ce n’est pas le fricot car il fait très noir dans le bois et sans la lampe électrique de M. SERRIÈRE, nous n’aurions jamais retrouvé le chemin. MAROY Léon qui était perdu, nous rejoint.

Vendredi 1er octobre, samedi 2 octobre, dimanche 3 octobre :

Journées sans intérêt, de la canonnade, passage d’aéro, et toujours discussions sur les opérations, les journaux parlent de l’entrée en ligne de la Bulgarie. La Grèce se prépare aussi, et si l’avant- dernière bouge, les Anglais et nous irons cogner là-bas.

Depuis 2 jours, j’ai un rhume de cerveau terrible.

Aujourd’hui, ça va un peu mieux.

Lundi 4 octobre :

Mon rhume se guérit, demain il n’y paraîtra plus. Le canon cogne toujours, il paraît que l’action de Champagne se continue.

Mardi 5 octobre, mercredi 6 octobre :

Rien de particulier.

Jeudi 7 octobre :

Le communiqué nous donne une certaine avance en Champagne, prise et occupation du village de Tahure, plus de 100 prisonniers.

 

CHARTON reçoit une lettre de son beau-frère artilleur près de Ste Menehould qui lui dit que ça va bien, les munitions ne leur font pas défaut, ils en envoient plus que les Boches en voudraient, et nous avançons un peu de ce côté.

Nous faisons par ici des travaux de défense considérables, réseaux de fils de fer, tranchées, abris de mitrailleuses etc…

Beaumont se trouve emprisonné par les réseaux, jusqu’au bois des Fosses il y en a partout.

Depuis le changement de service du 47ème, les poilus qui étaient déjà fatigués, sont tellement surmenés que les malades augmentent tous les jours.

 

A présent les Cies ne restent plus que 2 jours de repos à Beaumont et à tour de rôle, restent 6 jours au Bois de Ville. La 9ème et 10ème sont affectés à Herbebois depuis le 30 septembre avec MIZELLE et CONY comme infirmiers.

M. MOREAU va à Herbebois et ne fait plus partie de notre service.

Le bataillon du 324ème resté à Louvemont est parti d’hier pour les Éparges. Le nouveau bataillon qui était parti une quinzaine avant, a déjà écopé sérieusement, 5 ou 6 tués et beaucoup de blessés.

Ils reçoivent le casque avant leur départ.

Vendredi 8 octobre :

Du canon du côté de l’Argonne et de Champagne. Ici rien d’intéressant.

Beau temps.

Samedi 9 octobre :

La canonnade se fait toujours entendre du même côté, également sur les Éparges-Pont-à-Mousson.

Passage d’aéro.

On apprend la neutralité de la Grèce, elle manifeste son mécontentement sur notre débarquement à Salonique. VÉNIZÉLOS démissionne, tous ces évènements ne sont pas faits pour éclaircir l’affaire et amener une fin prochaine. La Bulgarie est prête à marcher.

(Toujours beau temps sec et froid)

Dimanche 10 octobre :

Journée assez calme. La nuit terrible canonnade direction Champagne.

Lundi 11 octobre :

Ça continue toute la journée et par instant, c’est un roulement ininterrompu, ressemblant à celui de notre attaque du 25 septembre.

Ce bruit épouvantable dure jusqu’à 8h½ du soir puis tout rentre dans le silence.

Mardi 12 octobre :

Ce matin, calme complet mais la pluie tombe et ce soir je dois monter au Bois de Ville pour 4 jours. La canonnade de la Champagne se fait entendre à nouveau.

 

Vers 13h, même pétarade dans l’Argonne. Passage d’un aéro boche vers 10h, il est violemment canonné mais s’en va indemne.

 

Vers 15h, un autre Boche revient, marmité consciencieusement par les nôtres, il est obligé de rebrousser chemin. Le communiqué nous annonce qu’au nord les Boches ont attaqué notre front anglo-français sur Loos et Lens, avec 4 divisions. Ils ont subi de très lourdes pertes, 7 à 8000 morts, on ne parle pas des blessés qui d’après ces chiffres doivent être nombreux, pas moins du double. Toutes ces pertes ne sont pas faites pour donner du courage et de la force aux Boches.

Ils doivent bien s’épuiser aussi. D’un autre côté, les journaux nous apprennent ...( ?)... à Belgrade, ça c’est embêtant. Le Lt Colonel ROUSSET réclame de la part des Alliés une intervention subite et énergique de la part des Alliés pour ne pas laisser écraser les Serbes.

D’autres écrivains ne sont pas du même avis et prétendent que nous ne devons pas dégarnir notre front.

Attendons et espérons.

 

Nous partons pour le Bois de Ville à 5h ½ et notre voyage se passe très bien.

A notre arrivée, M. MASSON nous cède la place.

 

Jusqu’à 7h ½ du soir, le canon gronde toujours mais la nuit est assez calme.

3ème anniversaire de la mort de Lucienne, quelle bonne compagnie pour sa mère si elle était là !

Mercredi 13 octobre :

Journée assez calme.

Jeudi 14 octobre :

Réveil à 5h, on nous prévient qu’il y a un blessé à la GG1.

Les brancardiers que je réveille partent aussitôt mais rencontrent le blessé (*) (2ème Cie) qui vient de lui-même. Il est blessé à la main gauche qui est traversée par une balle. Étant en sentinelle, par le brouillard, un sale Boche l’a probablement aperçu et lui a envoyé son coup de fusil, qui heureusement, l’a atteint légèrement.

Après son pansement, les brancardiers le conduisent à Beaumont. Le reste de la journée se passe assez calme, du canon par intermittence comme c’est l’habitude.

 

(*) : LAMBERT, soldat à la 2e compagnie.

Vendredi 15 octobre :

Dès 7h ¼, un téléphoniste vient prévenir qu’il vient d’y avoir un blessé à la GG1.

Les brancardiers partent et cette fois sont obligés de le ramener sur le brancard. C’est un soldat de la 11ème Cie classe 92 des derniers arrivés.

Parti en patrouille avec ses camarades et un sergent, ils sont tombés sur une patrouille adverse qui les reçut par une salve. Les nôtres ont répondu et chacun s’est retiré de son côté mais un de nos hommes était touché.

En se couchant, la balle lui a traversé le bras gauche sans le casser, lui est entrée dans les côtes et ressortie au-dessous du poumon en le touchant à la base. Il pourra s’en tirer sauf complication à craindre. (*)

 

Vers 9h, un aéro boche vient nous rendre visite. Violemment canonné par nos pièces, il n’en persiste pas moins dans sa mission, va au-delà de nos lignes, revient, retourne et finalement, toujours suivi par nos obus, retourne chez lui.

La batterie de 120 long K qui avait quitté son emplacement du Bois de Ville le 12 octobre revient ce matin à son ancien gîte.

Les artilleurs avaient dit qu’ils allaient au Bois des Fosses, peut-être n’avaient-ils rien à faire là ?...

Toujours la confusion dans les ordres, c’est bien l’incohérence du commandement.

Ainsi pour les masques cagoules, lunettes contre gaz asphyxiants, le commandement n’a pas pu faire lui-même la répartition à chaque homme. Il a fallu que le service de santé s’en mêle, et naturellement, ce que l’un fait, l’autre le défait et depuis quinze jours, c’est un va et vient de notes d’un service à l’autre.

Les récipients que nous avions placés dans les tranchées et contenant de l’hyposulfite ont été vidés par les poilus.(Contre-ordre naturellement), sous prétexte de changer l’eau. Il a donc fallu tout recommencer et tous les jours même tableau.

C’est triste à constater.

 

Vraiment si les Boches faisaient une attaque par ici, je me demande comment tous ces officiers d’occasion s’en tireraient. J’ai peur quand je pense à ça pour notre pauvre régiment.

 

Vers 13h ½, un de nos aéros vient faire sa tournée mais il est reçu par une fusillade comme je n’avais jamais entendu sur avion. Les obus éclatent également mais rien ne l’atteint et il continue sa reconnaissance.

Après une demi-heure, voyant qu’il ne part pas, les sales Boches téléphonent à leur centre d’aviation et immédiatement un des leurs arrive. Le nôtre se retire prudemment, ne pouvant probablement pas soutenir un engagement. C’est le tour de cet aviateur d’aller et venir, de tourner et retourner sans qu’on puisse l’en empêcher.

Finalement nous le voyons rentrer chez lui.

 

Les journaux nous ont appris hier la démission de DELCASSE, ça fait causer. Les pauvres Serbes se défendent vaillamment mais si nous n’arrivons pas à temps, ils seront écrasés sûrement.

VIVIANI déclare à la Chambre que les Alliés sont d’accord pour aller à leur secours.

Il a une forte majorité sur la question de confiance car plusieurs députés demandaient des explications au sujet de l’expédition et ne pouvant rien dire il a purement et simplement posé la question de confiance.

 

Le soir, je fais un mata avec les copains et j’ai eu la veine en gagnant 2F15. J’achète 2F50 un briquet à JUDE. Je me mets au lit à 10h mais les puces et les souris m’empêchent de dormir, c’est assommant.

 

(*) : Le nom du blessé n'est pas répertorié dans le JMO.

Samedi 16 octobre :

Jour de relève ; même musique mais sans importance. M. DUPONT arrive avec HERBERT à 6h.

La lune commence à donner et nous rentrons sans difficulté, le chemin est suffisamment éclairé pour nous éviter de prendre notre lampe.

En arrivant à la route d’Azannes, nous pressons le pas car le passage est assez dangereux, les Boches arrosent cette route de temps en temps, tapent sur les réseaux de fil de fer installés de chaque côté et quand la route est visée, ça tombe bien dessus. Malgré cela, nous arrivons à bon port.

Dimanche 17 octobre :

Il paraît que je suis de jour, ce n’était pas l’habitude mais depuis que nous ne sommes plus que 6, il faut prendre bien plus souvent. En ce moment, nous restons 3 à l’infirmerie. VIDAL, en permission, ça recommence aujourd’hui.

Un aux douches car c’est un nouveau service à assurer et un au Bois de Ville ; et à présent il en sera presque toujours ainsi.

Malgré le service de jour, ça ne m’empêche pas de faire une lessive.

Lundi 18 octobre :

Je pars à 7h du matin à la séance de bains et douches, c’est très agréable, on est tranquille et j’en profite pour me doucher convenablement. L’installation est bien comprise et pour les moyens dont on dispose c’est épatant.

La baignoire est destinée aux officiers mais s’en servent ceux que nous voulons bien.

Mardi 19 octobre, mercredi 20, jeudi 21, vendredi 22 :

Rien de particulier, cependant j’oubliais, le mercredi tantôt, nous avons eu la visite du médecin divisionnaire qui est venu nous faire rigoler. (Mais après son départ).

En descendant de cheval, comme MORISSAT se précipitait pour tenir le bourrin, la première parole du « 5 galons » fut de demander où l’on pouvait se procurer des cigarettes toutes faites à Beaumont. Peut-on croire des réflexions de la sorte ?

C’est bien ça la mentalité des types de l’arrière, enfin MORISSAT lui dit qu’ici nous n’avons pas ce luxe, malgré les cyclistes qui nous en fournissent mais il n’y en avait pas pour ces Messieurs.

De là, à l’infirmerie, il cause pendant quelque temps avec M. GIBERT qui s’adresse à GILTON pour un renseignement. Ce dernier lui répond (oui, M. GIBERT) mais immédiatement le grand chef attrape GILTON et lui dit :

 

« Depuis quand êtes-vous militaire ? »

« Depuis le début de la mobilisation »

« Vous êtes de la réserve ou Territorial ! »

« Territorial ? »

« Eh bien, vous devez être plus militaire et vous M. GIBERT, exigez que votre personnel conserve ses distances et vous appelle M. le Major ou M. le Médecin-Chef. »

Ce dernier ne répond pas grand-chose mais l’autre continue :

« Moi, j’ai un excellent ami qui est Médecin Inspecteur or ça ne m’empêche pas de dire M. l’Inspecteur. »

Etc.…etc…

 

GILTON était bien embêté mais comme M. GIBERT s’en f…, après le départ des 5 ficelles, nous avons tous bien rigolé. Notre médecin-chef est « un civil de carrière » comme il dit et il se moque de toutes ces chinoiseries qui lui font hausser le dos.

le 22, je reçois mon colis d’effets adressé à Charny.

Samedi 23 octobre :

Poires excellentes chez M. Lucien GENOUX COLLIN.

Nous entendons une terrible canonnade du côté de l’Argonne qui dure toute la journée et qui avait commencé la veille.

 

Vers 2h ½, 5 ou 6 avions boches passent au-dessus de nous, violemment canonnés par nos batteries. Ils viennent certainement d’accomplir un raid au-dessus d’une de nos villes, peut-être Verdun.

Nous saurons cela aujourd’hui ou demain au communiqué si toutefois on le dit. Malheureusement nous les voyons regagner leurs lignes avec regret et déception car nous voudrions pourtant bien en voir descendre un.

Dimanche 24 octobre :

Il paraît que ces avions boches venaient de bombarder Verdun, mais rien de bien certain, les communiqués n’en parlent pas. La Grèce refuse les avances et l’offre de l’Angleterre ; nouvelle déception pour nous.

Rien de particulier.

Lundi 25 octobre :

Le mauvais temps fait son apparition, il pleut et nous voilà dans la boue.

Impossible d’aller au bois des Fosses comme nous le faisions depuis quelque temps.

 

Après déjeuner, nous partons 5 ou 6, tous ceux qui sont libres et chacun rapporte sa bûche. Nous trouvons le moyen de nous alimenter en bois.

Je reçois une carte de Camille qui me dit qu’elle se décide à aller passer quelques jours à Champlost (*) pour la Toussaint. Aujourd’hui avec ce temps maussade, il faut allumer de bonne heure, nous voilà dans les jours courts qui vont nous faire ennuyer encore bien davantage.

 

(*) : Village de l’Yonne

Mardi 26 octobre :

Le temps se remet au sec.

 

Vers midi 1/2, nous partons au bois des Fosses mais à peine arrivés, voilà un bombardement qui se déchaîne sur le bois de Comte et des Caures d’une certaine violence, or au lieu de faire la pause un instant en fumant une pipe, nous coupons chacun notre fardeau et repartons aussitôt.

La canonnade se continue pendant 1h ½ environ et les minenwerfer font trembler les portes de l’infirmerie.

Deux avions allemands viennent se balader au-dessus de nous, canonnés mais pour rire.

Ils regagnent leurs lignes tranquillement.

Mercredi 27 octobre :

VIDAL rentre de permission mais il est complètement vanné. Il rapporte un vieux litre de marc que nous dégustons avec plaisir.

 

Après le déjeuner, ce pauvre VIDAL va se coucher tellement il est harassé et obligé de garder le lit deux jours avec une courbature terrible, maux de cœur, etc...

Cela m’oblige à monter au bois à sa place.

Jeudi 28 octobre :

Les Boches bombardent le grand boyau de la plaine d’Azannes, le démolissent dans plusieurs endroits et le pauvre François qui s’était mis à l’abri dans une petite cagna se retrouve au milieu du boyau, enroulé comme un hérisson, et couvert de terre et de bois. Un 210 l’avait envoyé là.

Un copain se trouvant non loin de lui vient l’aider à se remettre sur pied et l’entraîne un peu plus loin comme il peut car il est fort contusionné.

Il était temps, d’autres marmites reviennent à nouveau éclater dans la place qu’ils occupaient avant. Bref, ils s’en tirent comme ça et les pionniers se mettent au travail .pour la réfection du boyau.

 

Nous allons à notre corvée de bois quotidienne et nous entendons une terrible canonnade en Argonne, c’est effrayant.

Je casse la croûte à 4h et nous montons à 4h30 avec M. DUPONT, c’est la première fois que je me trouve avec lui, je suis bien content, il est charmant.

 

Arrivons à 5h ½ et relevons M. SERRIÈRE et LARGE.

Mon premier ouvrage en arrivant est de faire marcher le poêle qui d’après LARGE ne veut plus rien savoir. Je comprends de suite, il est moitié plein de cendres.

Aussitôt vidé, je nettoie le coude et le feu chante comme un enragé. C’est toujours les mêmes qui sont embarrassés.

 

De là, je regarde pendant 1h ½ jouer au mata et regagne mes pénates vers 8h ½.

La canonnade se fait toujours entendre en Argonne. Quelques coups de canons pour nous endormir et nous passons notre 1ère nuit au gourbi du Bois de Ville.

Vendredi 29 octobre :

Matinée très calme, temps maussade, pas de malade, le reste de la journée se passe sans incidents notables.

Samedi 30 octobre, dimanche 31 :

Rien à signaler, tout est calme ici.

Nous commençons notre dîner par une douzaine d’huîtres portugaises que je trouve excellentes. Manger des huîtres à quelques centaines de mètres des Boches, ce n’est pas banal.

Lundi 1er novembre : La Toussaint :

Triste journée, je pense à mes petites chéries qui doivent être arrivées à Champlost d’hier et veux espérer que leur voyage s’est bien passé.

 

Dans l’après-midi, je fais un mata avec POUILLET, SANDRIN et GARDAVOS, je gagne 23 sous.

Ensuite nous préparons notre fourbi pour regagner Beaumont vers la tombée de la nuit.

M. MASSON arrive vers 4h ½ et nous partons de suite. La rentrée à Beaumont se fait normalement.

Mardi 2 novembre :

Je fais ma lessive, rien de particulier.

Mercredi 3 novembre, jeudi 4 novembre :

Journées de brouillard et de froid qui se passent absolument calmes.

Nous allons après déjeuner faire notre corvée de bois au Bois des Fosses.

Vendredi 5 novembre :

Au réveil, nous entendons une formidable canonnade du côté de l’Argonne, peut-être la Champagne. Nous allons au bois des Fosses à 1h et entendons toujours le même roulement.

 

Au retour, je prends connaissance de la carte lettre de Camille envoyée de Champlost.

Je suis rassuré sur la 1ère partie de leur voyage. Ma lettre adressée là est arrivée à temps pour la surprise. Je me doutais qu’elle ferait plaisir.

Nous travaillons à préparer les bâillons contre les gaz en ajoutant une compresse verte et une rose à la blanche. Quel truc ! Nous nous demandons si nous en sortirons.

 

 

Fin du second carnet

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Vers le troisième carnet

 

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