Carnet de Campagne de Paul GALLERON

du 123e puis 91e RI régiment d’infanterie durant 14/18

 

Mise à jour : février 2014

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Photographié au cours de sa convalescence en juillet 1915 avec sa femme Marcelle Bramaud qu’il avait épousée le 26 novembre 1910 à Aigrefeuille.

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Préface

 

Jean-François m’écrit en 2013 :

« Voici  joints le carnet de campagne de mon oncle Paul Galleron (né le 18 mai  1884 à Aigrefeuille d’Aunis),

 

Plus âgés que nos parents de 15 à 25 ans et sans enfants, mon oncle et sa femme ont joué,  pour moi et mon frère, les rôles du grand-père et de la grand-mère. Nous étions toujours attendus  et avons passé de nombreuses vacances d’été ou de révisions (en vue d’une quelconque session de septembre).

C’était en effet des longues veillées près de la cuisinière diffusant une douce chaleur, tous  réunis autour de la table ronde, sous la lampe à contre poids. Avec son petit abat jour de  porcelaine blanche, bien centrée sur la table et réglée de façon à n’éclairer que celle ci, elle  laissait les visages dans une douce pénombre alors que le reste de la pièce demeuré dans l’ombre  ne révélait que des silhouettes pleines de mystère.

 

C’est dans cette ambiance chaude et intime qu’il aimait se laisser aller à évoquer ses  aventures et mésaventures durant la guerre de 14-18. Car, sans être bavard, il aimait raconter et il le faisait bien.

 

Nous y avons moult fois revécu l’enfer des tranchées, la première attaque du Chemin des  dames, où il fut laissé pour mort par deux fois; la bataille de Maizeray où blessé il avait dû marcher plusieurs kilomètres en terrain défoncé en soutenant son bras en charpie, pour rejoindre l’ambulance la plus proche, les mines et contre-mines dans la craie front de Champagne où l’arrêt du bruit des pics des mineurs ennemi signifiait l’explosion prochaine qui pouvait détruire l’abri.

Il rappelait toujours l'épisode, sans le localiser exactement où complètement enseveli par un tir d'obus, il avait gratté la terre pour respirer, en faisant une petite ouverture avec un doigt, puis  attendu la fin de la canonnade et la nuit, avant de se dégager complètement et regagner les lignes.

  En Algérie c'est un épisode météorologique qu'il nous rappelait. Ils avaient établi leur  campement dans le lit d'un oued, pour toutes les bonnes raisons du monde, présence d'eau, terrain  plat, ombre etc... et ce malgré les remarques des gens du pays. Le lendemain, après un bel orage,  ils n'avaient plus qu'à récupérer leur matériel, toujours dans le lit de l'oued, mais à une dizaine de  kilomètres en aval.

Durant sa narration, il s’enflammait souvent et, comme, héritage des tranchées où il fut deux fois gazé (je ne sais ni où ni quand ), il était asthmatique, cela déclenchait une crise. Il la maîtrisait immédiatement grâce à une poire avec laquelle il se pulvérisait le médicament adéquat dans les bronches. Car il vivait tellement ses récits que dans l’excitation du moment, il ruisselait de sueur. 

C’était un très brave homme, d’une extrême sensibilité. Il était tellement sensible que  lorsqu'il allait au théâtre de Rochefort s/Mer voir une opérette, il emmenait deux mouchoirs, un pour le nez et l'autre pour les yeux.

Il aurait été très ému d'apprendre la publication de son carnet, merci de pouvoir ainsi lui rendre hommage. »

 

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Décembre le 3, 1914

Rentré à la caserne Renaudin à La Rochelle au 123ème régiment d'infanterie de ligne.

Versé à la 21ème compagnie, 57ème escouade, capitaine Monet (du cimetière du Mourod), Adjudants Brizard, Camore.

1915

3 février

Départ de La Rochelle pour aller renforcer, ou plutôt, pour former le 4ème bataillon de marche du 34ème régt. d'infanterie à Mont de Marsan. Nous formons un détachement de 80 hommes, tant d'anciens que d'auxiliaires, avec le capitaine Monod et le sergent Major Roy.

Nous partons de la caserne à 2 heures défiler par la ville chargés comme de véritables bourricots pour embarquer.

Départ à 3 heures, nous passons : Rochefort, Saintes, Bordeaux, Mont de Marsan,

4 février

Où nous sommes arrivés à 3 heures du matin.

Impossible de voir rien de la ville car il fait trop noir. Nous arrivons dans une rue devant un vaste immeuble. On nous dit que c'est là que nous allons loger. Nous rentrons sous une grande voûte, et ensuite, nous arrivons dans un vaste local, où nous pouvons loger 100 hommes couchés sur la terre avec une paillasse.

Malgré ça, nous sommes très bien couchés car la paille est neuve et comme nous sommes fatigués, nous dormons tous très bien, et chacun de nous de se demander si nous allons rester longtemps ici.

Vendredi 5  février

Réveil à 7 heures 1/2, à 8 heures, rassemblement sur une petite place qui se trouve à  30 mètres de notre cantonnement.

Là, nous sommes rassemblés avec les hommes venus également du 6ème régiment d'infanterie qui, avec nous, doit former la 13ème compagnie du 4ème bataillon.

On procède à la formation des sections, et ensuite des escouades, où on nous mélange par moitié avec les hommes du 6ème d'infanterie.

Je suis versé à la 3ème section 11ème escouade.

Je reste avec mes copains du 123° et ceux qui viennent du 6ème sont de très bons garçons. Notre caporal est des environs de Saintes.

Le chef de section est mon ancien caporal du 123° qui est passé aspirant. Il se nomme Bonnin, le capitaine reste le même.

 

Le soir, promenade sur la route de Pau.

Samedi 6

Réveil à 6 heures, nous rassemblons aux arènes, qui sont très bien conservées, et on loge le reste du 4ème bataillon qui est formé par le 144e de Bordeaux et Pau.

Il tombe de l'eau, mais çà ne fait rien, car nous allons passer la revue du général.

1 heure nous rassemblons à nouveau sur la petite place, d'où nous allons à la caserne du 34ème pour toucher ce qui nous manque, car ceux qui viennent du 67ème ne sont pas complètement équipés pour la guerre.

Mais nous, que rien nous manque, et qui traînons toujours nos 120 cartouches, il faut que nous allions aussi.

Stupidité des chefs.

Dimanche 7 février

A 8 heures, rassemblement sur cette fameuse petite place, que nous commençons tous à trouver un peu embêtante. Revue de détail, distribution des outils et campement, toujours pour ceux qui ont, ou pas.

Ce soir, même chose que ce matin. Nous qui croyons visiter la ville nous sommes bien déçu.

Lundi 8 février

Nous allons faire une marche sur la route de Pau.

Le paysage est magnifique par ici.

 

Ce soir, nous allons faire l'exercice dans les bois de sapins.

Mardi 9 février

Nous faisons aujourd'hui deux marches de 12 Km. Ce n'est pas trop rude.

Mercredi 10 février

Ce matin marche.

Ce soir revue du Commandant, toujours sur la petite place que nous avons baptisé, 'place de la miséricorde'.

Jeudi 11 février

Marche de tout le bataillon, nous allons à l'hippodrome où une compagnie seulement fait des exercices en rampant.

Vendredi 12 février

Revue du général Legrand dans la cour de la caserne du 34° (*) qui est un très joli quartier. Nous sommes toujours sous la pluie.

 

(*) : Paul passe donc au 34e RI

Samedi 13 février

Nous partons de Mont de Marsan à 1 heure.

Nous défilons, musique en tête, pour nous rendre à la gare. Nous ne connaissons pas le point de direction. Tout ce que nous savons, c'est que nous passons par Bordeaux d'où nous passons Angoulême, Tours, Blois, Orléans.

Nous sommes bien fixés, nous allons au feu.

Dimanche 14 février

Nous roulons toujours, nous voyons les gares qui se succèdent, et le cœur se resserre à mesure que le train avance.

Lundi 15 février

Nous arrivons à Noisy-le-Sec, là un arrêt de quelques heures, et nous repartons, mais nous ne connaissons encore pas la direction.

Nous passons à Troyes, Chalons s/ Marne, Château-Thierry et nous marchons lumières éteintes, ce qui nous fait croire que nous sommes bien près de la zone dangereuse.

Mardi 16 février

Nous arrivons à Fismes à 1 heure du matin. Nous passons le reste de la nuit, et nous débarquons à 5 heures.

Mardi 16 février

Nous partons sur la route de Reims, on se demande où nous allons bien pouvoir nous arrêter.

Nous savions tous que nous sommes rentrés à Craonne, ce n'est pas ce qui nous fait le plus plaisir, mais malgré tout chacun fait le vaillant, ce qui n'empêche pas lire dans la figure l'angoisse que l'on a. Nous arrivons presque au but, nous avons fait 6 Km. On nous fait faire la pose à un embranchement de chemin. Nous apprenons que nous allons camper dans ce pays, c'est Courlandon.

 

Pendant que nous faisons le café, nous voyons passer de grandes autos, remplies de soldats, qui passent à toute allure et qui vont aux tranchées, enfin nous y sommes.

Nous rentrons dans le village, nous allons loger à l'autre bout, dans une ferme, et couchons dans une grange, sur du foin où il y a déjà passé et couché peut être des milliers de soldats, tant Français qu'Allemand.

Cette nuit je prends la garde, tout seul, à l'extrémité du village, avec mission de ne laisser passer personne.

Mercredi 17 février

Exercices tous les jours sur les coteaux.

Jeudi 18

Id.

Vendredi 19

Id.

Samedi 20

Id.

Dimanche 21

Id.

Lundi 22

Marche. Breuil-sur-Vesle.

Mardi 23

Exercices

Mercredi 24

Id.

Jeudi 25

Id.

Vendredi 26

Id.

Samedi 27

Revue sur le plateau de Merval par le général Marjolin.

Dimanche 28

Repos.

Lundi 1 mars

Exercices.

Mardi 2

Id.

Mercredi 3

Id.

Jeudi 4

Id.

Vendredi 5 mars

Nous partons à 6 heures du matin, tout le bataillon, pour faire des tranchées sur la rive gauche de l'Aisne et du canal latéral de l'Aisne.

Nous sommes en pleine zone dangereuse, et pour arriver où notre travail nous attend, il nous faut traverser un bois, très grand et serré, dans lequel nous rencontrons des coteaux qui sont très durs à monter avec la charge que nous traînons toujours avec nous.

Enfin nous arrivons.

Devant nous c'est Craonne, à gauche Craonnelle, la Ville-au-Bois qui est en face de Maizy. Pour nous rendre nous passons par Meurival, où est campé le 58° d'artillerie.

J'ai rencontré Garnier.

Il y a aussi du 14° d'artillerie. Nous arrivons là à 8 heures du matin, nous allons commencer à faire des tranchées sur les bords du canal. Je me trouve dans un bien mauvais endroit, en pleine vue des boches, dans un champ de betteraves.

Nous étions là, travaillions, quand à 14 heures juste, nous entendons au dessus de nous un sifflement qui nous était complètement inconnu, mais que j'ai bien compris pour être un obus.

En effet, il tombe et éclate tout près de nous. Après celui là, il en vient 4 autres, mais heureusement personne n'a été blessé.

Mais le commandant commande de se sauver à l'abri, nous ne perdons pas notre sang-froid, et nous ramassons tout ce qui nous appartient, sacs, fusils, pioches, pelles. Mais nous ne retournons pas travailler à découvert.

 

Le soir, on nous fait faire également des tranchées et des abris sous bois, et quand le temps n'est pas trop propice pour travailler à découvert, nous travaillons sous bois, nous faisons de véritables tranchées modèles, avec toutes le confortable moderne.

Nous avons aujourd'hui reçu le baptême du feu.

Samedi 6 mars

Repos qui consiste à laver ou nettoyer notre linge et le soir revue d'arme.

Dimanche 7

Nous sommes revenus encore à Craonne à faire des tranchées, et nous nous en retournons le soir,  presque déçus de ne pas avoir été salué par les boches.

Lundi 8

Courlandon. Exercices.

Mardi 9

Tranchées.

Mercredi 10

Courlandon.

Jeudi 11

Tranchées.

Vendredi 12

Courlandon.

Samedi 13

Tranchées.

Dimanche 14

Courlandon.

Lundi 15

Tranchées.

Mardi 16

Courlandon.

Mercredi 17

Revue du général Legrand.

Jeudi 18

Courlandon.

Vendredi  19

Tranchées.

Samedi 20

Courlandon.

Dimanche 21

Tranchées.

Lundi 22

Départ de Courlandon, tout le bataillon, à 1 heure du soir, nous allons embarquer à Fismes pour destination inconnue, mais à ce coup nous pensons que nos fusils servirons.

Mardi 23

Nous arrêtons à la petite gare de Villers-Daucourt où nous débarquons. Nous croyons bien filer dans les tranchées, nous passons à Dompierre-le-Château, nous faisons la grande halte à la rentrée du village après avoir traversé.

Pendant la grande halte nous faisons le café et mangeons. Nous voyons tout un état major qui viens parler au commandant, et après, on vient nous dire que le 4° bataillon est dissous.

C'est les pleurs aux yeux que le commandant annonce cela à tous les officiers. Nous allons renforcer le 91° qui est au repos à 12km de là  à St Mard s/Auve.

Aussi, nous repartons bien là à 1 heure pour cette destination, par une chaleur qui nous étouffe, surtout que nous avons déjà fait 18 kilomètres et qu'il nous est impossible de se ravitailler en vin. Nous arrivons à St Mard /Auve fatigués, nous tombons sur une petite source où je cours un des premiers, et c'est la première fois que je bois de l'eau.

Je l'ai trouvée bien bonne, car j'avais grand soif. On nous distribue dans les Cie du 91° Je reste avec mes copains dans la 11° Cie. On nous fait loger dans un hangar où il ne fait pas trop bon, car ce n'est pas clos du tout, et nous avons tout juste une botte de paille pour deux.

 

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  Extrait du journal de marches du 91e RI, on y retrouve l’arrivée du 4e bataillon du 34e RI

 

Mercredi 24

Nous ne resterons pas à rien faire car aujourd'hui on nous fait faire l'exercice. Nous sommes avec tout des gars du Nord.

Jeudi 25

Nous passons la revue du commandant en chef de l'armée général Joffre à Donmartin, qui se trouve à 14 km de St Mard /Auve, nous trouvons là le 120e, 147e et 91ème d'inf, le 18ème chasseur et le 9ème, le 42ème d'artillerie.

Tout pendant la revue la pluie n'a cessé de tomber à torrent. Nous sommes tout enfondus. (*)

 

(*) : Du patois charentais. Enfondre : mouiller la terre sur une bonne profondeur. Enfondu : mouillé jusqu'aux os.

Description : Paul Galleron photo - Copie.jpg

 

Vendredi 26

Exercice dans les champs.

Samedi 27

Exercice.

Dimanche 28

Repos.

Lundi 29

Nous partons de St Mard à 4 heures du matin. Nous partons toujours pour une destination inconnue, nous apprenons que le 147ème qui était cantonné dans un village que nous traversons, St Rémy, est parti devant nous, lui aussi.

Il n'y a plus d'espoir de rester plus longtemps inactif et cette fois on dit, c'est la bonne.

En effet, plus loin, nous apercevons la 147° qui marche moins vite que nous, et nous sommes obligés de nous arrêter pour lui donner de l'avance. Nous repassons à la gare de Villers-Daucourt, mais on ne s'y arrête pas, le soleil commence à nous chauffer un peu fort et nous marchons toujours.

 

Enfin nous arrivons à Charmontoy-le-Roy où nous allons nous reposer la nuit.

Nous avons fait 31 kilomètres, c'est plutôt dur, et mes deux copains, Train et Baudon, qui ne sont pas très solides, et à qui la frousse fait beaucoup, se font porter malade en arrivant.

Le major les évacue tous les deux, et c'est avec un grand serrement de cœur que nous nous quittons, car leur départ de La Rochelle n'était que pour me suivre, car ils n'étaient pas désignés pour partir à ce détachement.

Et c'est les larmes aux yeux que nous nous serrons la main, car ils partent aussitôt et je reste, non pas seul, mais avec deux bons copains de moins à mon escouade.

Je suis seul de renfort avec un nommé Dubiel, un bon garçon, mais malheureusement pour lui bien malade, lui aussi, car il ne peut marcher. Il a des rhumatismes dans les pieds.

Mardi 30

Départ de Charmontoy à 5 heures. Nous passons dans des pays ravagés, détruits, nous arrivons à Ippécourt à 4 heures, nous passons à Dieu, et nous arrivons à Sommedieu à 1 heure ou nous couchons.

Jeudi 1 avril

Repos

Vendredi 2 avril

Repos

A 11 heures du soir, alerte, on met sac à dos et nous voilà parti. Cette fois, plus de doute, notre idée à tous c'est bien que nous allons cette nuit même relever des camarades dans les tranchées, presque au but. Nous marchons dans la nuit, on ne voit rien, nous traversons des bois.

Arrivé à moitié route, on nous défend de fumer ce qui nous contrarie un peu, car nous n'avons plus d'espoir.

 

Nous arrivons à 3 heures 1/2 entre deux bois, là, on nous fait souffler un peu, et on nous fait rentrer sous bois. Il faut passer, un à un, dans un petit sentier qui va pic, et comme il tombe de l'eau, c'est dans la boue, et on glisse à chaque pas, plusieurs d'entre nous se ramassent ce qui n'est pas amusant.

Enfin nous arrivons à des baraquements en planches qui sont tout neufs, même pas finis de couvrir, ce sont des hangars. Nous sommes au bois Vendu.

 

Il est 4 heures ½, on nous dit de nous coucher là.

Il y a 10 cm de boue, comment faire, on ne peut allumer de bougie?

Enfin on se décide, on ramasse des branches qui sont là, que l'on a coupé dans l'emplacement des abris, et on se fait un lit de branches et on se couche dessus.

Vendredi 2 avril

Au soir, à 8 heures, on demande 2 hommes par escouade pour aller toucher les vivres.

Je suis désigné.

Nous partons avec un sceau, un sac, il tombe de l'eau. Le détachement est conduit par un adjudant, et chaque fourrier de Cie a ses hommes. Il fait une nuit très noire, nous devons aller dans un petit village à 6 Km, où les voitures de Cie doivent se rendre.

 

Nous marchons dans la boue jusqu'aux genoux, de temps en temps, on tombe dans un creux d'obus rempli d'eau, ou dans une tranchée également pleine d'eau. Il y a déjà plus d'1 heure que nous marchons et nous arrivons dans un endroit où il y a 2 maisons, ce n'est pas ça.

 

Ceux qui nous conduisent, reconnaissent qu'ils ont fait fausse route. Nous retournons au point de départ et là, nous prenons une autre direction. Nous filons tout droit à présent et nous nous apercevons que nous faisons encore fausse route, car nous arrivons dans les tranchées.

Nous faisons encore une fois demi-tour et là, personne de nous ne veut plus marcher, les chefs s'embêtent, ils ne peuvent rentrer comme ça, et nous, nous commençons par rouspéter. Le hasard nous envoie un officier à cheval, qui va je ne sais où, on lui demande le chemin et nous l'indique.

C'était tout à l'opposé, il nous fait tourner à droite et nous partons dans cette direction, et enfin nous arrivons. Les voitures ne sont pas rentrées, il faut attendre.

 

Nous repartons chargés. Moi, je porte un sac de pain, de temps en temps on laisse tomber le sac dans la boue, car ce n'est que boues et nous finissons par arriver.

Mais pour monter dans les baraquements c'est là le plus rigolo, j'ai moi même dégringolé plus de 10 fois avec mon sac, qui était tellement plein de boue, que je ne pouvais plus prendre.

 

Arrivés dans le bois, nous ne trouvons plus notre baraquement, enfin nous finissons par le trouver, il était après 4 heures.

Ce n'était pas une nuit de repos.

Samedi 3

Repos.

Dimanche 4

Repos.

Nous partons à 9 heures du soir pour aller prendre l'offensive aux Éparges. On nous dit que nous arrivons à prendre 2 tranchées allemandes et le village de Maizeray.

C'est notre secteur d'opération et notre section est désigné pour charger les premiers, ce n'est pas ce qui nous fait le plus plaisir. Mais il n'y a pas à reculer, nous partons tous avec espoir de retourner, mais seulement la pluie ne cesse de tomber, ce qui nous arrange pas.

Nous approchons toujours, les fusées éclairantes des boches nous éclaire, mais à chaque fois

Lundi 5 avril

Dès qu'on se lève il faut tomber à plat ventre dans la boue, on est jolis.

La fusillade commence, les balles sifflent à nos oreilles, zin, zin, mais trop haut. On nous fait charger nos fusils et à la queue leu leu, nous passons derrière un chemin, pour aller occuper tout à fait l'extrémité de nos positions, puisque c'est à nous de commencer.

 

Nous y arrivons à 2 ou 3 heures, nous mettons sac à terre dans la boue. Nous sommes derrière une palissade, faite de claie derrière lesquels on avait jeté de la terre, car il était impossible à cet endroit de faire des tranchées.

La pluie tombe toujours, on va couper les fils de fer qui sont devant, je ne suis pas désigné pour cela, mais ceux qui y vont retourne tous. Le jour commence à paraître, et nous voyons arriver nos cuisiniers qui nous apportent presque rien, car, eux comme nous, ils ont dégringolé en route.

Le café, il y en a presque pas, encore nous, il y en a un peu, on nous donne un demi quart chacun, puis presque autant de goutte.

Je ne sais pas ce que c'est, mais, je le trouve trop fort, et comme je veux voir la charge dans la réalité, je ne veux pas être sous l'alcool. Je jette ma part.

 

Les obus commencent à tomber, les balles sifflent, déjà les blessés commencent à passer. Nous sommes là à regarder, en attendant, espérons toujours qu'il n'y aura rien pour nous.

J'étais avec le sergent-fourrier, l'adjudant et les copains de l'escouade, quand tout à coup un obus tombe à nos pieds.

Je suis renversé, la figure fouettée par la boue avec une telle violence que je crois être blessé à la tête. Je porte ma main à la figure, débouche les yeux. Je respire un peu. Je vois. Je me relève, je vois du sang sur mon pantalon, je crois être blessé à la cuisse.

Je tâte, rien, et je m'aperçois que c'est le bras d'où sort le sang.

En effet j'ai le bras malade mais je n'avais rien ressenti du tout.

Les deux qui étaient à coté de moi ne se relèvent pas, ils râlent, c'est terrible. Moi je m'en vais au poste de secours où je trouve beaucoup de copains.

 

Là, on nous fait un léger pansement avec une fiche sur la momie. Je lis (plaie pénétrante à l'avant bras gauche)

Nous partons pour le poste de secours qui est installé dans un village à moitié démoli, et qui est à 6 Km de là. Pour nous y rendre, il nous faut repasser en plein jour ce que nous avons fait la nuit, sous les obus.

De temps en temps, un obus nous tombe à peu de distance, et cela tout le long du chemin, pas mal déjà on souffre de la canonnade car on voit des blessés qui se défilent de tous côtés.

 

Nous arrivons au poste, là le commandant major nous regarde et nous fait faire un bon pansement, à la teinture d'iode.

Puis on nous dit que ceux qui peuvent marcher il faut se rendre à l'autre poste, d'où on évacue. C'est à  Haudiomont, à 12 km, je ne suis pas fâché, car les obus tombe presque sur la maison où est le poste.

Je pars avec 7 copains également blessés au bras, on suit le sergent Godrideau qui est légèrement blessé au pied, et qui ne veut pas rester ici, vient avec nous. Nous passons toujours dans les bas cotés de la route, à chaque instant dans l'eau et la boue.

Nos bons petits 75 ils sont là, serrés un peu partout, et font un tapage infernal, et les obus énormes  viennent encore nous tomber tout autour de nous, ce qui fait qu'à chaque coup de canon, nous sommes forcés par je ne sais quelle force nous pousse tous, sans exception, à se baisser presque jusqu'à terre, comme si quelque chose nous arrivait sur le dos.

 

Enfin nous arrivons à Haudiomont, le poste se trouve à l'entrée du village, là, on nous donne à manger, il est bien temps, car il est après 1 heure. Mais ce qu'ils nous donnent n'est pas de ces plus appétissant, du singe, et comme ce n'est guère facile pour nous de manger on y fait que goûter.

 

Après çà on nous fait notre pansement qui est très bien fait, avec toutes les précautions voulues, on nous lave les plaies et on nous pique au sérum antitétanique, et nous allons nous reposer dans une grange sur la paille.

Mais nous n'y restons pas longtemps car le coup d'œil est féerique.

 

Ce soir les officiers, qui sont là et qui sont habitués, nous disent que jamais encore ils n'ont vu cela. En effet nous sommes très bien placés, nous voyons tout le front des Éparges et la canonnade va de plus en plus fort, une grosse pièce de marine est tout près, derrière nous, qui crache ses obus et qui nous rend sourd. Du côté du feu on ne voit que des nuages de fumée qui sortent du camp boches comme du notre, c'est un véritable ouragan et pendant ce temps, nous, nos pauvres camarades que nous avons laissé derrière nous, chargent à la baïonnette parmi les obus et les balles.

Que c'est terrible, quand on pense que sur notre régiment, le 91°, il est tombé 900 hommes et 24 officiers.

Mais malgré tout ils ont eu la chance de prendre ce qu'ils devaient, les tranchées et le village, mais à quel prix.

 

Description : Paul Galleron photo - Copie.jpg

 

Enfin après deux jours de combat, la fameuse position des Éparges, qui jusqu'ici était restée imprenable, est à nous.

8 heures du soir, nous embarquons dans un train. Nous sommes dans les wagons de marchandises qui sont tout remplis d'eau, on est obligé de s'asseoir par terre, heureusement que l'on nous donne à chacun un sac, qui sont  également mouillés, mais nous sommes habitués, on ne fait plus attention, et de plus comme nous ne formons qu'un tas de boue, car nous sommes complètement méconnaissables

Le train part, nous arrivons à Verdun à 1 heure 1/2 du matin.

 

On débarque, nous rentrons dans les bâtiments de la croix rouge, où médecin et infirmières nous donnent des boissons chaudes, et là on refait les pansements qui ont besoin d'être refaits. On prend note des blessures, et on dirige les blessés sur tel ou tel hôpital.

Moi je suis dirigé sur l'hôpital N° 11.

On me donne un ticket et j'attends mon tour car les voitures ne peuvent tout embarquer d'un seul coup. Ceux qui ne sont pas trop blessé, ou jugé tel, on les embarque dans un train qui va les conduire directement à l'intérieur de la France.

J'arrive à l'hôpital on me conduit à la salle où j'étais désigné N° 7. Les infirmières me lave les pieds, bien comme il faut, et je couche pour la première fois depuis le départ dans un bon lit. Comme on trouve un bon repos.

Mardi 6 avril

J'ai bien dormi jusqu'au matin à 7 heures, maintenant les infirmières arrivent, le major il s'agit de regarder tout ces blessés, de les soigner. Je passe un des premiers, on me nettoie la plaie, je ne souffre pas trop et je suis recouché.

Je me suis reposé toute la journée, la nuit, a été également bonne et bien.

Mercredi 7 avril

Le matin on nous annonce qu'il va y avoir un départ de l'hôpital pour le centre. Je demande au major si j'en suis, il me dit que oui. Je suis content car je ne veux pas rester à Verdun, c'est encore trop près, et puis, j'ai l'espoir de me rapprocher de chez nous.

En effet nous sommes désignés à 11 heures pour partir embarquer à 1 heure. Je demande si on connaît la destination, on me répond que non, que tout cela est fait au départ à Neufchâteau.

C'est de là que l'on dirige les trains, ou qu'on les arrête. Nous embarquons à 1 heure, une voiture nous conduit. Nous embarquons en attendant toujours le départ, et ce n'est qu'à 7 heures 1 1/2 seulement que le train se met en route.

Que le temps est long, enfin nous espérons que un coup nous serons vite rendu.

Ah oui, la nuit se passe brouetté dans tous les sens, parmi les plaintes des blessés, que chaque secousse leur fait mal.

jeudi 8 avril

Arrivons à Neufchâteau ce matin. Le train se gare, on descend les blessés les plus graves pour refaire les pansements. Quelques uns d'entre eux ne reviennent pas.

Le train repart, on nous dirige sur Dijon, où parait-il, de là, on nous dirigera sur la destination. Le train stop à chaque instant, quatre autres sont devant nous.

 

Dijon 8 heures du soir, là on nous dirige sur le centre. On nous dit que nous allons à Chatillon, je crois que c'est par Paris, mais non car nous arrivons à 1 heure du matin et passons le reste de la nuit ici dans le train.

Vendredi 9 avril

7 heures du matin, on vient nous chercher, les médecins passent dans les wagons et remettent à chacun le N° de l'hôpital où ils sont désignés. J'ai le N° 7, je descends un des premiers.

Une automobile est là, me demande quel N° c'est juste celle du N° 7. Je monte avec les autres et nous voilà partis.

On nous débarque dans une grande salle, où plus de 20 infirmières s'empressent de nous recevoir. On nous fait les pansements, on lave ceux qui ne l'on pas été, et chacun est conduit dans sa salle. Je suis versé à la salle St Michel où j'ai le N° 11.

On nous apporte à déjeuner, chocolat, café au lait, tout ce que l'on veut, inutile de dire se que l'on dévore. Ils sont bien habitués, ils savent bien qu'il nous faut du bon.

 

La journée se passe bien, la nourriture est excellente, de bons petits plats, que l'on avait perdu l'habitude de trouver à l'heure du repas, à chaque instant on vient nous apporter quelque chose à prendre. Ces dames qui nous soignent sont vraiment dévouées pour nous.

Samedi 10 avril

Ce matin on nous apporte du chocolat, ceux qui ne veulent pas prennent ce qu'ils veulent, café au lait ou café pur, c'est ce que je prends, avec deux bonnes rôties. On nous lave bien la figure, et nous attendons la visite du docteur, qui ce matin, examine bien chaque blessé et indique à chaque infirmière le genre de pansement qu'il faut faire.

Notre salle à 20 lits et pour soigner ces 20 malades il y a 5 infirmières, ce qui fait qu'elles ont chacune 4. Comme infirmière, j'ai une petite dame, elle se nomme Mme Faroul, elle prend beaucoup de précautions.

C'est incroyable avec quel dévouement ces femmes soignent les blessés.

 

Le docteur, Mr  Rebeyrian, est un chirurgien qui a fait en 1913 la guerre des Balkans et qui a déjà vu toutes les sortes de blessures, aussi il ne cherche pas longtemps et a la main très légère et sûre. Sa dame est comme infirmière en chef, elle aussi est reçu docteur. Il y a aussi un autre docteur, Mr Boulay, qui lui est simplement docteur.

Nous avons dans notre chambre, Mme De Villiers mère, chef infirmière, Mme De Villiers jeune, Mme Faroul, Mme Quenon, Mlle Lecourt et comme infirmière la Sœur Marie Marcelin, l'abbé Péraut et le curé Gaubin. Nous pouvons être bien soignés.

Samedi 10 avril

A la visite, le docteur cherche dans ma plaie s'il ne trouve pas l'éclat d'obus.

Il me fait grand mal et ne trouve rien, cependant il trouve des petits morceaux d'os, mais bien petits, il en conclut qu'il y a fracture, aussi, on me fait le même pansement qui est heureusement au permanganate.

Dimanche 11 avril

Je vais à la messe. Tous ceux qui peuvent marcher, le soir promenade.

Mais en rentrant, quant on nous prend la température, j'ai la température montée à 39°. Le docteur me défend de sortir avant qu'il m'en donne l'ordre.

Lundi 12 avril

Température 39° le docteur me regarde bien encore la plaie, ce qui ne me fait pas trop de bien, il y a beaucoup de pus, c'est ce qui me donne la fièvre. Il me met un drain en caoutchouc, même pansement.

Mardi 13

Même chose température 39°.

Mercredi 14

Idem.

Jeudi 15

Idem.

Vendredi 16

La fièvre ne baisse pas, le bras me fait mal, le docteur me perce le bras dans le côté gauche. Il y trouve un abcès qui donne du pu, il y met un autre drain, ce qui m'en fait deux.

Samedi 17 avril

Température baissée 38.

La plaie donne bien, elle se nettoie bien.

Mardi 13 juillet 1915

Départ de l'hôpital pour Dijon pour obtenir convalo avec Lacombe, Mouton, Jousselin et l'adjudant Turgis.

Départ à 10 heures 20 de la gare de Chatillon/Marne, avec tous les regrets de Mme Giraudaud, directrice, le colonel Cte de Beauvoy directeur, l'abbé Delage comptable, le curé Gobez, l'abbé Perrot, infirmière la sœur Marie Marcelin, Mlle Lecourt, Mme Devilliers, Mme Guniot, Mme Lacombe, Monsieur ou Madame le médecin chef de l'hôpital Rebeyraud Paul, docteur Boulleau, aide de Rebeyraud.

 

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Le carnet de route s'arrête là. Suivent les adresses des personnes citées ci-dessus, de parents et d'amis.

Après sa convalescence il est reparti dans le même régiment pour être démobilisé la guerre terminée en mars 1919.

 

 

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