Carnets de guerre 14-18 et 39/40 de Ferdinand GILLETTE

aspirant au 158e régiment d’infanterie

Carnets N°4 et 5 : Année 1918

 

Mise à jour : décembre 2013

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Une mèche de cheveux est encore collée :

« Souvenir de notre mignonne petite Fernande »

INTRODUCTION

Chaque carnet (7 au total) détaille avec la plus grande précision, la vie de Ferdinand Gillette - au jour le jour - sur plus de 1.800 pages :

 

Liste et matricules de tous ses camarades et supérieurs, compte individuel, liste de sa correspondance, combats (attaques, contre-attaques, replis), détail individuel des pertes, vie de groupe, moral de la troupe et des officiers, prémices de fraternisation, les mutins de son régiment, amour de la famille, l’alcool chez les soldats (tous grades), convalescence dans les hôpitaux, permissions, vie de prisonnier….

Tel est ce récit extraordinaire et émotionnel, vrai « mine d’or » pour comprendre cette période…

 

L’écriture est très lisible, très déliée, bien que très resserrée et peu aérée, ce qui rend une lecture de plusieurs pages d’un coup un peu « difficile ».

Pour une meilleure compréhension des carnets et pour « adapter » le récit aux facilités d’internet, j’ai volontairement :

1)      Ajouter un sommaire

2)      Ajouter des commentaires (en bleu), pour expliquer certains termes d’époque ou situations.

3)      Ajouter des photos et cartes des combats.

4)      Les carnets sont des agendas, et parfois le récit d’une journée est écrit sur plusieurs journées de l’agenda. J’ai donc logiquement regroupé ces journées sur la même date.

5)      J’ai indiqué en face de chaque date, le lieu où se déroule la journée, et parfois un événement important.

 

Bonne lecture, et vivez des émotions fortes comme nous les avons vécus, Marie-Thérèse, Antoinette, Annie, Philippe, Serge, Christophe N., Patrick et surtout Catherine, Françoise, Dominique, Christophe R. et Nicolas, qui à eux cinq ont retranscrit plus de huit cent pages des carnets !

 

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Introduction, retour sur 1917

 

Depuis fin novembre 1917, Ferdinand est au camp d’instruction du 158e régiment d’infanterie à Valréas (Vaucluse), après sa blessure au plateau des Roches (Aisne). En 1917, il a aussi vécu les mutineries, sans y participé, au sein de son propre régiment.

Pour les fêtes de fin d’année, il est en permission, chez lui.

La rancœur, voir la haine, envers les officiers, continue à se faire ressentir comme en 1917, au travers de ses écrits. Il note les dépenses quotidiennes

L’année 1918 sera marquée par l’attaque allemande de mai au cours de laquelle Ferdinand sera fait prisonnier.

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Le sommaire ne fait pas parti de ses écrits, mais il est rajouté pour le confort de navigation. Il se veut détaillé, car beaucoup d’événements sont décrits. Ferdinand est prolixe…et c’est tant mieux pour nous et pour l’histoire de cette époque.

 

Ø  Retour vers 1915

Ø  Retour vers 1916

Ø  Retour vers 1917

 

Ø  Janvier 1918 :

§  Fin de la permission – Retour à Valréas (Vaucluse), camp d’instruction du 158e RI – L’abondante neige

Ø  Février 1918 :

§  Valréas (Vaucluse), camp d’instruction du 158e RI – La solde - La permission

§  Départ pour le 158e RI, au front – Lyon, fort Lamothe

Ø  Mars 1918 :

§  Fort Lamothe, Lyon – Gray – Taintrux, Vosges – Xainfeing - Les dents des Vosgiennes

Ø  Avril 1918 :

§  Taintrux (Vosges) - Quelques mots sur la vie au C.I.D – Aumontzey

§  Ferdinand rejoint le corps actif à Grandvillers – départ pour Néry (Oise) - Lacroix-Saint-Ouen

§  Les différents chars français

Ø  Mai 1918 :

§  La permission exceptionnelle - Lacroix-St-Ouen (Oise) - L’attaque allemande

§  L’honteuse conduite de certains officiers - Prisonnier !

Ø  Juin 1918 :

§  Prisonnier – Limé - Inhumation de cadavres - La faim

§  La faim - Exactions allemandes - Mont de Soissons - Laon

Ø  Juillet 1918 :

§  Prisonnier – Laon, la citadelle – Hirson

§  Les prisonniers italiens – Du phoque comme nourriture !

Ø  Août 1918 :

§  Prisonnier – Hirson – départ pour l’Allemagne – Guissen – Camp de Cassel

Ø  Septembre 1918 :

§  Allemagne – Camp de Cassel

Ø  Octobre 1918 :

§  Allemagne – Camp de Crossen

Ø  Novembre 1918 :

§  Allemagne – Camp de Crossen

Ø  Décembre 1918 :

§  Allemagne – Camp de Crossen

Ø  Janvier 1919 :

§  Le retour

Ø  Divers

§  Éphémérides de ma captivité - Inventaire du contenu de ma cantine

§  Raisons qui m’ont fait demander à travaillerListe des colis reçus

 

Ø  Vers 1939

 

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Janvier 1918 : Fin de la permission – Retour à Valréas (Vaucluse), camp d’instruction du 158e RI – L’abondante neige

Mardi 1er janvier

Le 1er janvier, cette année, est bien froid et si cela dure, l'hiver sera aussi dur que l'année dernière.

En compagnie des cousins Jors (?), je vais, ce matin, faire un tour aux carrières des Fresnays où les travaux progressent beaucoup plus rapidement que lorsque c'étaient des Boches qui y travaillaient. Nous allons faire un tour dans les champs et les cousins, braconniers à leurs moments perdus, s'exclament devant les nombreuses traces de pas de lapins et de lièvres sur la neige.

 

Cet après-midi, nous allons tous ensemble faire un tour par les cascades qui sont loin d'être aussi belles que l'année dernière au début de février (il n'a pas encore gelé assez fort).

Mercredi 2 janvier

Temps toujours à la gelée.

Les routes sont très mauvaises. Malgré cela nous allons cet après-midi faire visiter aux cousins la petite chapelle de Mortain.

Le vent est beaucoup moins vif qu'hier, aussi il fait moins froid.

Jeudi 3 janvier-fin de la permission

C'est ce matin que les cousins repartent pour Bréhal et je vais les reconduire à la gare.

Hélas ! Moi aussi je vais devoir partir ce soir !

Ma permission est déjà terminée ! Ce que ce temps passé chez soi, auprès de ceux que l'on aime, file vite !

C'est incroyable !!...

Enfin, il faut espérer que la paix viendra bientôt et nous rendra à nos familles.

 

La journée se passe en préparatifs de départ et à 5h ½ je dois quitter la maison.

C'est pour moi un véritable arrache-cœur de quitter notre mignonne petite Fernande.

Pauvre chérie ! On dirait qu'elle sait que je m'en vais. Elle m'embrasse bien une dizaine de fois en passant ses petites mains autour de mon cou, elle qui souvent refusait en riant de m'embrasser.

Ah ! Qu'il est pénible d'être condamné à vivre loin de ses enfants !!...

 

En arrivant à la gare avec ma Berthe, qu'elle n'est pas ma surprise lorsque je m'aperçois qu'au lieu de mon képi, j'ai ma casquette, aussi je suis bien embêté.

Je demande au chef de gare si le train pour Domfront a un retard d'annoncé : hélas, non ! Heureusement que le chef de gare a l'amabilité de me faire cadeau d'un bonnet de police tout crasseux qu'un poilu a oublié dans la salle d'attente.

Le train, bien que n'ayant pas de retard d'annoncé, arrive après 35', et me voilà obligé de dire au revoir à ma Berthe, maintenant en voilà pour 3 mois ½ avant que [je] (*) revois mes chéries.

Dieu, que c'est long tout de même !!...

 

(*) : Le « je » n’existe pas dans le carnet, je l’ai volontairement ajouté.

Vendredi 4 janvier-Trajet en train : Laval-Paris-Lyon-La neige

Jusqu'à Laval, le voyage se passe sans incident, mais à cette gare, je ne puis trouver une place libre où me caser (l'express étant bondé). Je suis obligé de rester debout dans le couloir d'un wagon de 2ème classe pendant tout le trajet Laval-Paris.

Dans ce couloir, j'ai eu terriblement froid aux pieds, bien que j'ai passé mon temps à battre la semelle avec quelques compagnons d'infortune. Le froid est tellement vif que la buée, sitôt que le train est en marche, se congèle instantanément sur les vitres qui sont recouvertes par plus d'1 cm de givre.

Les 6 heures que j'ai passées ainsi m'ont parues terriblement longues !

 

Arrivée à Paris 6h40 (40' de retard).

Comme l'express à la gare de Lyon part à 7h45, je n'ai pas de temps à perdre. Sitôt sorti de la gare Montparnasse, je vais, avec un camarade qui lui s'en va rejoindre l'armée d'Orient, boire un bon café au lait qui me réchauffe un peu.

Nous revenons pour prendre le tramway Montparnasse-Bastille que je prenais habituellement, lorsqu'à la station je vois affiché le renseignement suivant :

« En raison du sel jeté pour faire fondre la neige et de l'eau salée qui, en pénétrant dans les caniveaux, a occasionné de nombreux court circuits, la circulation des tramways est interrompue jusqu'à nouvel ordre. »

 

Nous voilà donc forcé d'emprunter le métro et après bien des demandes, après avoir changé au Châtelet, nous arrivons sans encombre à la gare de Lyon.

Comme à Paris les magasins ne sont pas encore ouverts, je ne puis acheter un képi.

En gare, l'employé de service ne laisse pas passer mon camarade qui devra attendre le train de permissionnaires de 9h.

Le bruit court que la circulation est interrompue entre Lyon et Valence par suite d'abondantes chutes de neige.

Toujours est-il que le train partant hier soir de Paris a été supprimé ainsi que le « bis » de notre express. La suppression de ces 2 trains fait que l'express que je dois prendre est bondé de voyageurs et c'est à grand peine que je réussis à trouver une place dans un compartiment de 2ème.

Toutes les places en 2ème étaient louées, heureusement que le voyageur qui avait loué cette place ne s'est pas présenté !!...

 

Jusqu'à Mâcon, rien d'anormal, la neige atteint partout une dizaine de cm d'épaisseur. Nous arrivons à cette gare avec 1 heure de retard (16h45).

Là, il nous faut attendre 2 heures, la gare de Lyon ayant télégraphié qu'elle n'acceptait pas les trains allant plus loin que cette ville.

Nous en repartons ainsi à 18h30 et allons jusqu'à Lyon-Vaise.

Là, notre train se gare et les employés nous disent qu'il ne repartira pas avant demain matin ou demain midi et ils nous conseillent de passer la nuit dans le train, c'est ce que nous faisons et, ma foi, étant seulement 2 dans un compartiment de 2ème, j'ai passé une assez bonne nuit (les wagons étaient bien chauffés heureusement car le froid est très très vif).

Samedi 5 janvier-Trajet en train : Lyon-Valréas-La neige

Départ de Lyon-Vaise à 5 heures.

Sitôt après Lyon, l'épaisseur de la neige augmente rapidement : à Chasse (*) il y a bien 30 cm, à Vienne 40 cm, à Saint-Rambert-d'Albon 50 cm.

Dans toutes les gares nous faisons de longs arrêts.

 

À Valence, où nous stationnons 1 heure (de 8 à 9h) il y en a plus de 60 cm.

C'est entre Valence et Montélimar que la neige atteint, paraît-il, son maximum d'épaisseur. Entre ces deux villes, la circulation a été interrompue pendant 3 jours et n'a commencé à reprendre qu'hier soir ; encore n'y a-t-il qu'une seule voie de déblayée, aussi les trains doivent se garer dans presque toutes les grandes gares pour laisser passer les trains allant sur Lyon.

 

À Livron (**), 1h ½ d'arrêt. C'est après cette gare, entre Loriol et Saulce que la voie est la plus encombrée (plus d'un m de neige).

La voie entre ces deux stations est en déblai, aussi le mistral y a poussé la neige.

À Montélimar, où nous arrivons à 13h ½ et où je dois quitter l'express pour attendre l'omnibus qui suit à peu d'intervalle, il n'y en a plus que quelques centimètres et elle cesse brusquement entre Châteauneuf-du-Rhône et Donzère. Cela me semble drôle de ne plus voir de neige.

La limite de la neige est très très brusque et paraît comme coupée au couteau.

 

À Pierrelatte, où nous avons 4h d'arrêt, je mange un peu en compagnie d'ABONNEL (ancien poilu de ma section) et à 20h30 je suis de retour à Valréas avec 24h de retard, mais cela n'a aucune importance, toutes les garnisons ayant été prévenues des retards ayant eu lieu.

Des poilus sont restés jusqu'à 2j ½ en gare de Lyon. Si j'avais pu prévoir semblable chose, je serais resté tranquillement une journée de plus près de mes chéries !!...

C'est le jour de l'an que la neige est tombée en plus grande quantité et les permissionnaires de 48h qui étaient allés du côté de Lyon n'ont pu rentrer que ce midi.

 

À Valréas, je vais sitôt acheter un képi, le magasin étant encore ouvert et je vais coucher à l'hôtel Blanc.

 

(*) : Chasse-sur-Rhône

(**) : Livron-sur-Drôme

Dimanche 6 janvier-Valréas (Vaucluse), camp d’instruction du 158e RI

Je vais me faire porter rentrant au bureau de la 25ème compagnie et ensuite au groupe C3. Je passe ma matinée à la recherche d'une chambre et finalement, en compagnie de l'adjudant SABATY du 140ème qui est également mobilisable, j'en trouve une qui est une véritable occasion (20F pour nous deux). Elle n'est pas luxueuse mais pourvu que nous soyons bien couchés, c'est tout ce qu'il nous faut.

 

En me baladant, je rencontre CONDROYER, anciennement à la 3ème section de la 1ère compagnie, qui a été blessé dans un exercice de lancement de grenades quelques jours avant de monter en ligne pour l'attaque du 23 octobre.

Au bureau du C3, j'ai trouvé plusieurs lettres dont 2 du camarade BOUDON : le 118ème est en ce moment au repos du côté de Montbéliard et il n'a pas repris les lignes depuis l'attaque.

 

(*) : Il s’agit d’un classement de blessés (C1 à C4). Ferdinand explique le fonctionnement et « la triche » pour l’attribution de ces groupes, dans son carnet les 12, 13 et 17 octobre 1917.   >>>> Voir ici <<<<

Lundi 7 janvier-Valréas

Comme je ne dois me présenter au bureau des mobilisables que demain matin, je n'ai rien à faire de toute la journée et passe une grande partie de mon temps au café en compagnie de SABATY.

Le temps aujourd'hui est assez doux, pourvu qu'un brusque dégel n'amène pas des inondations !!...

 

Ce midi, j'assiste au dépeçage d'un porc par un professionnel : par ici, après avoir enlevé les 4 jambons et la tête, on enlève l'épine dorsale et on le vide par le dos.

Les groupes C1, C2 et C3 des 4 régiments de Valréas vont quitter très prochainement pour aller dans des petits patelins : Saint-Paul-Trois-Châteaux pour le 140 et le 159ème, Grignan pour le 97 et le 158ème. Ne resteront ici que les mobilisables qui formeront les compagnies de manœuvre pour le C.P.C.S (Centre de Pilotage et de Conduite du Soutien ?).

Dépenses :

Ø  Café : 4F10

Mardi 8 janvier-Valréas

Ce matin nous allons, SABATY et moi, nous présenter à la compagnie des mobilisables et ensuite rien à faire de toute la journée.

Je rencontre MATHON Stéphane qui rentre de permission de transition.

Le bruit court que tous les mobilisables regagneraient leurs dépôts respectifs : si cela pouvait être vrai, j'en serais bien heureux.

 

Aujourd'hui, SABATY est de service en ville, demain ce sera mon tour.

Dépenses :

Ø  Cirage : 0F40

Ø  Cheveux : 0F40

Ø  Café : 2F10

Ø  Total : 2F90

Mercredi 9 janvier-Valréas

Le temps a de nouveau subi un brusque changement : le mistral s'est levé et il a fait bien froid cette nuit. Dans la matinée, il tombe quelques flocons de neige.

 

Le détachement du 140ème (groupes C1, C2 et C3) est parti ce matin pour Saint-Paul-Trois-Châteaux ; demain matin ce sera le tour du 159ème. Les mobilisables du 97ème sont partis pour Chambéry hier soir.

 

À 10h, je prends le service en ville avec le sous-lieutenant LORINOT du 299ème.

Ce sous-lieutenant est un froussard, aussi il est pas mal servit ; mais, bien qu'il me demande de prendre les noms des poilus qui se baladent dans les rues pendant les heures d'exercice, je n'en fait rien et reste tranquillement dans ma chambre.

 

Ce soir, le bruit court que tous les gradés en ce moment au camp, seraient réservés comme instructeurs pour la classe 19.

Bien que cela ne me sourit pas du tout, si je suis proposé, j'accepterai, à cause de mes chéries.

Dépenses :

Ø  Café : 1F90

Ø  Journal : 0F10

Ø  Total : 2F

Jeudi 10 janvier-Valréas

Ce matin, je dois me lever de bonne heure (6h ¼) étant de service et devant aller à la gare au train de 7h. C'est par ce train que les types du 159ème (groupes C1, C2 et C3) partent pour Saint-Paul-Trois-Châteaux.

Le mistral s'étant un peu calmé, il fait un peu moins froid qu'hier, bien que cette nuit il ait encore gelé très fort.

 

À 10h, le lieutenant OLMETA, qui commande la 1ère compagnie, me fait désigner les caporaux et soldats des 118, 97, 17 et 30ème RI susceptibles de faire des instructeurs pour la classe 19.

C'est parfaitement absurde car je n'en connais point un seul et par suite ce choix est fatalement fait au petit bonheur.

Dépenses :

Ø  1F40 au café

Vendredi 11 janvier-Valréas

À la compagnie de manœuvre, c'est une vraie pagaille, mais le lieutenant OLMETA, qui n'est pas très facile, va certainement y remédier dans sa compagnie : il commence par « foutre » 8 jours de prison aux poilus manquant aux exercices aujourd'hui.

Ce lieutenant était à la 5ème au front et, paraît-il, était passablement froussard. Ce sont d'ailleurs ceux-là qui, à l'arrière, font le plus de service.

 

Cet après-midi, je vais, avec la compagnie, faire une petite marche d'environ 7 km sur la route de Nyons et en rentrant, je fais ajouter à la liste des propositions comme instructeurs pour la classe 19, les caporaux CROISILLE et GOUDE et les soldats ABOUZIT et GATIGNOL, ce dernier est aîné de 18 enfants et père de 2.

Le temps a été superbe cet après-midi, aussi notre exercice a été une vraie balade.

Dépenses :

Ø  1F40 au café

Samedi 12 janvier-Valréas

En ce moment, tous les gradés cherchent à se « démerder » pour aller à la chambre 19. C'est incroyable ce que la frousse peut amener à faire !!...

Pour moi, je ne me fais pas de bile et ma foi, je préférerai retourner au 158ème directement.

 

Le temps est superbe aujourd'hui, et comme le mistral ne souffle pas, il fait même chaud ce midi.

Pas d'exercice aujourd'hui mais c'est le dernier jour de bon temps car, lundi, commencent les cours pour le C.P.C.S. et les poilus de la compagnie serviront de mannequins.

 

Cet après-midi, je vais reconnaître l'emplacement des cantonnements de la compagnie.

En me promenant ce soir avec SABATY du côté de la gare, j'ai l'occasion de voir un poilu atteint d'une crise d'épilepsie : ce n'est certes pas beau à voir, c'est un bien triste spectacle.

Dépenses :

Ø  1F35 au café

Dimanche 13 janvier-Valréas

Je profite de la liberté que nous laisse la journée du dimanche pour rester au lit jusqu'à 9h.

Pour un dimanche, le temps est bien maussade et toute la journée, il tombe de la flotte, aussi, ce soir, tout est dégelé.

 

Je passe une grande partie de la journée au café à faire nombre de parties de bridge, de piquet, manille, échecs, etc...

Demain, je serai de jour à la compagnie de manœuvre, aussi le boulot commencera.

Dans cette compagnie c'est la pagaille la plus complète du haut au bas de l'échelle. Tout le monde commande et personne n'obéit.

Vivement que je rejoigne le 158ème.

Dépenses :

Ø  1F95 au café

Lundi 14 janvier-Valréas-Conflit entre Berthe-Marguerite

Étant de jour à la Cie de manœuvre, je dois me lever à 7h pour désigner ce matin le service de garde.

De 8h à 10h, je vais voir, en compagnie des s/s offs de la 1ère Cie les cantonnements qui sont affectés à notre Cie (les poilus doivent, je crois, changer de domicile après-demain), la plupart de ces cantonnements sont absolument infects ; c’est vraiment honteux de voir pareille chose après 3 ans ½ de guerre.

 

Cet après-midi, les Cies de mobilisables vont servir de mannequin pour le C.P.C.S. et je vais avec les 1ère, 5ème et 6ème Cies pour les coloniaux qui suivent les cours.

Pour ma part, je n’ai qu’à conduire et ramener les poilus qui sur le terrain manœuvrent avec les coloniaux. (Formation, fractionnement et déploiement de la section.)

 

Ce midi, je reçois une lettre de ma Berthe qui ne me fait pas bien plaisir : je suis maintenant fixé sur la méchanceté de Marguerite qui après avoir voulu m’enjôler, voyant qu’elle n’a pu y réussir, veut maintenant, de dépit, me faire perdre l’estime de ma Berthe.

Certes, je suis coupable, j’ai eu le grand tort de lui adresser des lettres que je voudrais n’avoir jamais écrites et ces lettres, elle va les envoyer à ma Berthe, espérant bien ainsi brouiller notre ménage.

Ah ! Faut-il que cette créature soit lâche et vile.

Cependant, à part ces maudites lettres, je n’ai rien à me reprocher et cela je le jure sur la tête de notre mignonne Fernande ; mais voilà, j’ai peur que ma Berthe ne me croie pas, qu’elle me prenne pour un menteur.

Si j’avais su, comme j’aurais gardé une seule de ses lettres à elle, ainsi que sa mèche de cheveux que je ne lui avais même pas demandée, avec cela j’aurais pu la confondre, mais j’ai tout brulé il y a longtemps.

Tout cela me donne un cafard formidable et je voudrais partir immédiatement pour le front.

Dépenses :

Ø  1F20 au café.

Mardi 15 janvier-Valréas

Toute cette nuit, je n’ai pu dormir.

Ah ! Pauvre Berthe adorée, je suis sûr que tu vas me croire beaucoup plus coupable que je ne le suis et je ne sais si je dois seulement essayer de me justifier. Mais plutôt que de perdre ton estime, ta confiance, je préfère cent fois la mort et en me levant je suis bien décidé à aller trouver le commandant pour repartir au front.

 

Ce matin, il y a revue du général qui fait l’appel des officiers et s/s officiers désignés pour l’instruction de la classe 19 ; c’est avec surprise que j’apprends que j’étais désigné (bien que m’y attendant un peu) car personne ne m’en avait parlé ; mais ma résolution de ce matin est inébranlable et je vais sitôt trouver le capitaine GUICHARD auteur de la liste pour me faire rayer, demandant également à ne pas faire partie du cadre fixe de la Cie de manœuvre (cadre désigné pour 6 mois), mais à partir au front le plus tôt possible afin d’obtenir le pardon de ma Berthe ou la mort.

 

Pauvre chérie, ta lettre m’est arrivée quelques jours trop tôt, car demain, je n’aurais pu me faire rayer, il aurait été trop tard.

Si je dois trouver la mort là-haut, tu sauras ma Berthe que cette odieuse créature en est en grande partie la cause et comprenant la douleur que j’ai ressentie en pensant que je pourrais perdre ton affection, peut-être me pardonneras-tu ?!.....

Dépenses :

Ø  0F00

Mercredi 16 janvier-Valréas

Ce matin, je vais trouver le Ct ROCHE pour lui demander à partir au front comme volontaire, il me reçoit plutôt mal et me dit d’en parler à mon Ct de Cie qui lui en parlera : c’est tout de même malheureux de décourager ainsi les bonnes volontés !!...

 

Je ne fais rien de toute la journée, et ce soir j’apprends que je suis désigné par le capitaine GUICHARD pour faire fonction d’adjudant de bataillon au groupe A. (Les 6 Cies de mobilisables forment maintenant 2 groupes : Groupe À ou infanterie ; groupe B ou chasseurs.)

Dépenses :

Ø  2F40 au café.

Jeudi 17 janvier-Valréas

Ce matin, je me lève à 7h ½ pour prendre mon nouveau service et j’apprends que ce n’est pas moi qui suis désigné, aussi j’en parle au capitaine GUICHARD qui commande le groupe À et il me dit qu’il n’a encore désigné personne pour cette fonction, aussi je vais reprendre mon service à la 1ère Cie.

Comme il y a visite dentaire ce matin, je vais voir le dentiste qui après avoir insensibilisé ma grosse molaire malade, me l’arrache sans trop me faire souffrir, mais toute la journée j’en souffre passablement.

 

L’adjudant SABATY va réclamer cet après-midi auprès du commandant, parce qu’il n’a pas été désigné pour la classe 19, il a d’ailleurs parfaitement raison et il est honteux de voir comment le capitaine GUICHARD a fixé son choix qui a été fait au petit bonheur, inscrivant sur la liste tous les « lèche-cul » qui sont allés le lui demander ; c’est ainsi que de très jeunes aspirants tels : POIRIEU, PAOLI sont désignés, alors que des pères de famille, évacués tout dernièrement, ayant beaucoup plus de présence au front ont été laissés de côté : c’est le cas de SABATY, classe 1904, père de 2 enfants, évacué du mois de mai dernier ; POIRIEU lui est de la classe 16, a déjà fait l’instruction de la classe 17 et a à peine quelques mois de front.

 

Ce qui m’a frappé avant-hier à la revue du général, c’est que presque tous les s/s off qui sont au camp, sont évacués du front depuis 1915 ou début de 16, il n’y a guère que SABATY et moi, qui avons été évacués en 17.

Ah ! Pauvre justice ! Que tu es un vain mot !!...

Dépenses :

Ø  2F35, dont 1F35 au café

Ø  et 1F comme cotisation pour acheter une couronne à un sergent instructeur du C.P.C.S. tué dans un accident de grenades ; à cet accident il y a eu également un capitaine blessé et 1 poilu.

Le sergent était marié et père d’un enfant.

Vendredi 18 janvier-Valréas

Ce matin, je conduis la 1ère Cie à l’exercice.

J’attends avec impatience une lettre de ma Berthe ; Ah ! Si seulement la lettre que j’ai reçue avant-hier m’était parvenue 2 jours plus tôt, j’aurais accepté ma proposition comme instructeur à la classe 19, mais il est trop tard !.....

Tout l’après-midi je n’ai absolument rien à faire et alors le temps me paraît bien long. Depuis quelques jours, la température est très douce et le temps très brumeux.

 

Ce soir, je fais une partie de bridge en compagnie de SABATY, PUIGET, POIRIEU, la guigne me poursuit toute la soirée et je perds 2F.

Dépenses :

Ø  3F35 dont 2F au bridge

Ø  et 1F35 au café.

Samedi 19 janvier-Valréas

Aujourd’hui le temps est très beau, plus de brouillard, le soleil est assez chaud et pas de mistral.

Toute la journée je n’ai à peu près rien à faire, aussi le temps me paraît long : il est triste de penser qu’ici on ne fait rien, alors qu’on pourrait être si utile et si heureux chez soi ; mais le mieux est de n’y pas penser et accepter le temps comme il vient, car il n’y a rien à faire contre l’incurie militaire.

Le résultat forcé de ce désœuvrement complet est le stationnement dans les cafés et par suite des dépenses.

 

Ce soir 5h ½, l’adjudant CHABROL m’apprend que je suis de service en ville depuis 10h ce matin, aussi je dois aller à la gare ce soir.

Au train arrivent au moins 250 poilus : des 97, 157, 159, 99ème Régiment et des 12 et 28ème bataillon de chasseurs.

Maintenant il n’y a plus sur la ligne Pierrelatte-Nyons que 2 trains par jour : 1 le matin allant sur Pierrelatte et 1 le soir allant sur Nyons.

 

Ce soir, j’ai encore la guigne aux cartes et je perds 0F65.

Dépenses :

Ø  3F30

Ø  0F65 aux cartes

Ø  et 2F65 au café.

Dimanche 20 janvier-Valréas-Une réflexion au sujet des chasseurs

Je dois me lever à 6h pour être présent à la gare au train de 7h02’.

Le lieutenant qui est de service en ville avec moi est un très bon type aussi ce service se fait tout à la douce.

 

Une réflexion au sujet des chasseurs qui se trouvent à Valréas.

Le groupe B formé de 3 compagnies de chasseurs a un effectif au moins triple du groupe A, il y a ici des chasseurs qui ont près d’un an de présence au camp comme mobilisables et depuis 6 mois il n’est parti aucun renfort pour les chasseurs ; en voilà au moins qui sont plus veinards que les malheureux fantassins dont la majeure partie part en renfort avec moins d’un mois de présence ici comme mobilisable.

 

Cet après-midi, je vais jouer au football : nous avons réussi à former ici une petite équipe et nous matchons contre les coloniaux qui suivent les cours du C.P.C.S., nous gagnons par 8 buts contre 2.

Au bridge ce soir, je perds encore 0F55.

Dépenses :

Ø  2F35, dont 0F55 au bridge

Ø  et 1F80 au café.

Lundi 21 janvier-Valréas

Je dois aller à l’exercice ce matin et en rentrant (9h ½) je vais voir le dentiste, car à l’emplacement de la molaire qu’il m’a arrachée jeudi, il est sorti hier et ce matin quelques coquilles osseuses provenant probablement de la mâchoire : le dentiste me rassure en me disant qu’il n’y a pas lieu de m’inquiéter, m’enlève encore 2 coquilles et me dit qu’il y en a encore une à sortir, mais qu’elle sortira d’elle-même.

 

Ce soir, la guigne semble un peu m’abandonner et je gagne 0F10.

Dépenses :

Ø  1F au café.

Mardi 22 janvier-Valréas

Ce matin à 8h, le général remet au s/s lieutenant MAYENS qui commande la 1ère Cie la croix de la légion d’honneur : pour cette prise d’arme, il a fallu se lever à 6h ¼ ; heureusement que c’est terminé à 8h ½.

Je reçois ce midi 2 lettres qu’elle avait envoyées à ma Berthe  et une 3ème de ma Berthe qui est assez généreuse pour me pardonner.

Pauvre chérie que pourrai-je faire dans l’avenir pour te faire oublier les souffrances que je t’ai causées ?!...

 

Cet après-midi, je vais avec les coloniaux pour conduire et ramener la Cie de manœuvre (école de Cie et attaque d’une position).

Ce soir, toujours la guigne, je perds 0F80.

Dépenses :

Ø  1F20 élixir parégorique car la diarrhée me reprend. 0F80 aux cartes, en tout 2F.

Mercredi 23 janvier-Valréas

À partir de ce jour je fais fonction d’adjudant de bataillon au groupe À et aujourd’hui je n’ai absolument rien à faire.

 

Toute la journée, il tombe de la flotte mais malgré cela il ne fait pas froid.

Je passe mon après-midi et ma soirée à jouer au bridge et cette fois j’ai la veine : je gagne 2F50.

Dépenses :

Ø  1F35 au café.

Jeudi 24 janvier-Valréas

Toujours rien à faire et malgré cela c’est à peine si je trouve le temps d’écrire.

Je vais à 9h ½ chez le dentiste me faire arracher la 2ème prémolaire supérieure droite, aussi maintenant je n’aurai plus qu’à m’en faire soigner 2 (1 molaire déjà plombée et la prémolaire située à côté de celle que j’ai fait arracher et que la carie de l’autre a atteinte).

 

Je passe mon après-midi et ma soirée à faire maintes parties de bridge et je m’en tire sans trop de perte.

Dépenses :

Ø  1F15 au café.

Vendredi 25 janvier-Valréas

Ce matin, le boulot ne presse pas et je me lève à 7h ½.

 

Cet après-midi, je vais faire une petite partie de football pendant ¾ d’heure ; en rentrant le travail ne manque pas : il faut installer 3 cantonnements nouveaux pour loger des renforts (17, 158, 97) qui arrivent ce soir et ce n’est pas un petit boulot d’autant plus que ces cantonnements sont à plus de 2km d’ici.

Aujourd’hui, temps splendide.

Dépenses :

Ø  1F20 au café.

Samedi 26 janvier-Valréas

Ce matin, je vais présenter les poilus du 17ème arrivés hier au bureau de la 25ème et cet après-midi j’accompagne une Cie qui va manœuvrer avec les officiers : comme le temps est splendide, c’est plutôt une ballade et cela me fait passer le temps sans trop d’ennuis.

Au bridge ce soir je perds 1F15.

Dépenses :

Ø  0F50 au café et 1F15 au bridge.

Dimanche 27 janvier-Valréas

Le temps est toujours splendide.

Hier après-midi au cours de l’exercice, nous avons aperçu un dirigeable qui descendait la vallée du Rhône.

Cet après-midi, nous faisons une partie de football contre les coloniaux qui sont au C.P.C.S. ; nous gagnons par 8 buts contre 2.

Au cours de la partie il y a eu 2 accidents, d’abord après 5’ de jeu au maximum, l’aspirant PAOLI de notre équipe se déboite le genou et on est obligé de le transporter à l’infirmerie, le major va l’envoyer à l’hôpital à Montélimar, il croit de plus qu’une opération sera nécessaire et peut-être PAOLI pourra s’en ressentir toute sa vie ; en 2ème lieu, l’adjudant SABATY, 5’ avant la fin se fait une entorse au genou droit : c’est vraiment la guigne !

Au bridge ce soir je perds 1F15.

Dépenses :

Ø  3F20 au café.

Lundi 28 janvier-Valréas

Temps toujours superbe. L’adjudant SABATY ne va pas mieux, il boite beaucoup et en a au moins pour 15 jours.

 

Cet après-midi, je dois aller reconnaître des cantonnements qui se trouvent à plus de 3km du centre de la ville et je ne rentre qu’à 17h.

Il doit y avoir mercredi prochain un nouveau grand chambardement dans les cantonnements affectés aux Cies et enfin, Valréas va paraît-il être divisé en 6 secteurs affectés aux 6 Cies ; chose qu’on aurait dû faire depuis le début ; en ce moment les cantonnements des différentes Cies s’enchevêtrent  et c’est une véritable pagaille.

Dépenses :

Ø  1F05 au café.

Mardi 29 janvier

Ce matin, avec une corvée de 6 poilus, je vais débarrasser 2 des cantonnements que j’ai reconnus hier, encombrés par du fourrage ou autre fourbi.

Le dépôt du 158 demande 15 poilus pour l’armée d’Orient ; les volontaires ne manquent pas : ils doivent passer la visite d’aptitude cet après-midi.

Temps toujours superbe.

 

Ce midi, je reçois une lettre de ma Berthe qui m’apprend que notre mignonne chérie est grippée et est au lit depuis quelques jours : pauvre chérie, sous ce rapport elle sera plus heureuse à La Chapelle où elle ne risquera point d’attraper les maladies contagieuses que les enfants lui transmettent si facilement à Romagny.

Dépenses :

Ø  2F50 dont 1F50 (pâte dentifrice).

Mercredi 30 janvier

Le déménagement général prévu pour ce matin est reporté à demain ; car aujourd’hui, nous avons la visite d’un général inspecteur et en conséquence tout le monde doit assister à l’exercice. Nous rentrons à 11 heures ½ de l’exercice.

Cet après-midi nous commençons à aménager les nouveaux cantonnements occupés.

Dépenses :

Ø  2F35 au café.

Jeudi 31 janvier

Ce matin, nous achevons le déménagement commencé hier après-midi : il faut espérer que cette fois c’est pour quelque temps et qu’il ne faudra pas recommencer d’ici quelques jours.

 

À partir du 1er février, les Cies vont envoyer leurs mobilisables en permission de détente, car tout poilu partant en renfort doit avoir pris sa permission pour la période en cours ; en conséquence il est probable que d’ici une quinzaine je vais être près de mes chéries.

Dépenses :

Ø  2F10 dont 1F60 en cartes postales.

Février 1918 : Valréas (Vaucluse), camp d’instruction du 158e RI – La solde - La permission - Départ pour le 158e RI, au front – Lyon, fort Lamothe

Vendredi 1er février

À partir de 10h, je suis de service en ville, aussi n’ayant rien à faire ce matin, je me lève à 9h.

Hier soir un s/s lieutenant, ALBERT, a été attaqué par des poilus qui l’ont fort malmené, pour les faire fuir il a dû tirer plusieurs coups de revolver.

Le temps continue d’être splendide et c’est vraiment rare à la saison de trouver une période semblable.

Mon service consiste à aller à la gare, et ce soir le train à 1h ½ de retard ; ensuite j’escorte une patrouille, mais tout se passe sans incident.

 

Je vais avoir d’ici peu ma permission de détente pour la période du 1er février-fin mai, ce qui m’ennuie, c’est que les 4 jours de délai qui me seront accordés ne suffiront pas à mon voyage si bien que je pourrai tout juste passer 6 jours près de mes chéries : 6 jours chez soi pour 5 jours de voyage c’est vraiment peu.

Ce qui est injuste c’est que les permissionnaires pour Paris ont également 4 jours de délai alors que moi, à Paris, je ne suis qu’à moitié route.

 

Ce soir à la gare, beaucoup de civils attendaient les journaux pour avoir des nouvelles du raid des gothas sur Paris ; le radical de ce soir annonce 36 morts et 190 blessés. Voilà encore quelque chose qui n’est pas pour finir la guerre !

Dépenses :

Ø  1F50 au café.

Samedi 2 février-Valréas-La solde

Je dois me lever à 6h ½ pour être à la gare à 7h.

Ce matin, part un détachement de 78 chasseurs du 30ème ; ce départ a lieu sans incident.

 

Ce midi, je touche le prêt pour le 158ème RI et je passe une grande partie de mon après-midi à payer les poilus.

Reçu Prêt : 43F36.

Pauvres poilus ! Quand on pense qu’il faut 15 jours pour gagner 4F, c’est vraiment peu payé ! Et encore on refuse de donner 1 paquet de tabac à tout homme qui n’a point 10 jours de présence.

Dépenses :

Ø  1F25 au café.

Dimanche 3 février

Le temps continue d’être superbe ; vraiment cette saison pourrait bien se faire regretter !!...

 

Ce matin, je finis de payer le prêt des poilus, beaucoup doivent se passer de tabac aussi avec raison ils ne sont pas content.

À Grignon, on ne leur en a pas donné sous prétexte qu’ils n’avaient pas 10 jours de présence et ici, on leur tient le même raisonnement, si bien qu’ayant passé 9 jours à Grignon et 7 ici ils n’y ont pas droit : c’est tout de même malheureux, et il faut que le poilu soit vraiment de bonne composition pour se laisser ainsi faire.

 

Cet après-midi, je vais assister à un match de rugby entre le C.P.C.S. et l’équipe civile de Valréas ; cette dernière est battue par 25 points à 0.

Dépenses :

Ø  0F50 au café.

Lundi 4 février

Dorénavant, le réveil aura lieu à 6h et le rassemblement pour l’exercice à 6h45’.

Ah, pauvres poilus on ne vous ménage guère.

 

Ce matin, nous allons au terrain d’aviation où les officiers spécialistes classent les poilus par spécialités et maintenant tous les matins, il y aura exercice par spécialités.

Le temps est encore meilleur qu’hier et cet après-midi, n’ayant rien à faire je vais faire la sieste sur l’herbe.

Par ici la carte de pain existe depuis le 1er février et les civils n’ont droit qu’à 300gr de pain par jour : c’est vraiment peu.

Dépenses :

Ø  2F20

§  chocolat 0F70

§  cigare 0F30

§  café 1F20.

Mardi 5 février

Ce matin, je vais conduire la Cie à l’exercice qui se borne d’ailleurs à une partie de barres.

En rentrant je réclame au lieutenant afin de partir en permission au 1er tour, ce qui me ferait quitter Valréas dimanche prochain.

 

Cet après-midi, je passe mon temps à faire des parties d’échecs et de bridge.

Dépenses :

Ø  1F50 au café.

Mercredi 6 février

Ce matin, pas d’exercice, les hommes vont prendre des douches, aussi je ne me lève qu’à 8 heures.

 

Cet après-midi, la Cie va en marche militaire du côté du Rousset, nous faisons environ 12 km tout tranquillement et comme il fait un temps superbe c’est une véritable promenade.

Ce temps splendide qu’il fait depuis 15 jours fait avancer la végétation : les bourgeons à fleurs des amandiers sont prêts à ouvrir, les blés poussent à vue d’œil et malgré les gelées de fin janvier, sont assez jolis (ils avaient d’ailleurs bien besoin de cette belle période !)

Maintenant que tout est en avance pour la saison, une gelée serait à craindre car adieu alors les fleurs qui vont ouvrir et aussi gare à la vigne !!

Ce soir partie habituelle de bridge où je gagne 1f, 10.

Dépenses :

Ø  0f, 75 au café.

Jeudi 7 février

La Cie étant de service, tous les poilus sont employés aux corvées, aussi je reste couché jusqu’à 8h.

 

Ce matin, je vais chercher quelques paquets de tabac à la 25ème où le sergent major Gilles m’en passe 4 (ce sera pour emporter chez moi lorsque j’irai en permission), je vais ensuite passer la visite, ainsi que tous ceux qui doivent partir en perm (53 pour la Cie) car maintenant tout poilu partant en renfort doit avoir eu sa perm de détente pour la période en cours (février- fin mai.)

Je crois que nous partirons de Valréas dimanche matin : ce qu’il y a de malheureux c’est que la permission commence dimanche à 0h, nous partons donc la perm commencée et il faut rentrer avant qu’elle soit expirée, ce qui fait perdre 1 journée, mais tant pis si les délais de route qui me seront accordés ne me suffisaient pas je passerai tout de même 7 jours pleins chez moi en faisant timbrer ma perm à la gare à l’arrivée et au départ.

 

Après la visite, je vais au magasin de la 25ème où cette fois je puis toucher un pantalon de velours et aussitôt je vais le porter à faire retailler.

Étant arrivé un des premiers au magasin, j’ai pu choisir  et ma foi j’en ai eu un très chic.

Tout cela me coûte plusieurs apéritifs, tant au sergent-major qui a signé le bon qu’au sergent garde-magasin et je dépense ainsi 3f, 50.

 

Cet après-midi, je ne fais rien si ce n’est qu’une série de parties de bridge où je perds 1f.

Dépenses :

Ø  3f, 50 à cause de mon pantalon

Ø  1f, 55 au café

Ø  total 5f, 05.

Vendredi 8 février

Ce matin, le temps est brumeux et reste ainsi toute la journée, le soleil ne réussissant pas à percer.

 

Je vais cet après-midi conduire la Cie d’exercice qui va manœuvrer avec les coloniaux, côte 290, le temps étant plutôt froid, je n’attrape pas chaud à regarder l’exercice.

Je compte partir en perm dimanche matin, si même je puis, je partirai demain soir vers 14h d’ici pour aller à pied jusqu’à Pierrelatte et partir par mon train habituel.

Dépenses :

Ø  10f, 20 au café

Ø  ce soir je gagne 0f, 70 au bridge.

Samedi 9 février-La permission

Je paye ma chambre 10f (ce n’est pas cher !)

 

Ce matin, la Cie va aux douches, par suite rien à faire.

Le temps s’est de nouveau éclairci et il fait un temps superbe.

 

Cet après-midi, passage dans la chambre à gaz, ensuite je vais toucher mon titre de permission au bureau de la 4ème ainsi que mon prêt 27f, 10 et 6f de timbre. Ce qu’il y a de chouette c’est que la permission ne commence que dimanche à minuit, nous allons donc gagner un jour complet.

Il me faut aller ensuite chez l’officier de détails pour avoir mes ordres de transport.

Je vais partir ce soir à 18h à pied jusqu’à Pierrelatte où je vais avoir l’express de permissionnaires à 2h cette nuit, ce qui me fera gagner une ½ journée.

 

Aussitôt après la soupe, je me mets en route (6h), à Grillon, je retrouve Trézani et c’est en sa compagnie et avec celle de 3 autres poilus du 158ème : Michel, Bourne et Darc que je fais la route jusqu’à Pierrelatte. Nous passons par Margerie, Monségur, St Paul 3 Châteaux et à 1h ½ nous sommes à la gare.

Dépenses :

Ø  2 L de vin de Valréas à Pierrelatte : 2f, 80

Ø  Au café : 1f, 50

Ø  Beurre, chocolat : 1f, 20

Ø  Total : 5f, 50

 

(*) : Il s’agit de chambre d’épouillage.

Dimanche 10 février

Nous prenons le train de permissionnaires à 2h ½, comme il est bondé, nous devons aller jusqu’à Lyon dans le fourgon, nous arrivons à Lyon à 8h : l’express civil étant bondé, nous sommes forcés de rester dans ce train qui va bien à Paris mais en passant par Corbeil.

À Corbeil où il y a 1 heure d’arrêt, je puis me ravitailler en pain, vin et charcuterie.

Par ce train, j’arrive à Paris à 22h ½, trop tard pour prendre le train de 19h 13 aux Invalides. Je passe la nuit dans la gare de Lyon, couché sur une banquette.

 

Dépenses :

Ø  À Corbeil, pain – 0f, 50

Ø  Fromage – 1f, 40

Ø  vin – 1f, 80

Ø  Pâté – 0f, 75

Ø  Total – 4f, 45.

Lundi 11 février

À 6h je prends le tramway jusqu’à la gare Montparnasse et de là, le métro jusqu’à la chambre des députés d’où je gagne la gare des Invalides où je prends l’express à 8h.

J’arrive ainsi à Vire à 15h et heureusement j’ai la correspondance pour Mortain où je descends à 17h ½, je ne suis pas long à descendre à Romagny et à 18h je suis chez moi.

Quel bonheur pour moi d’embrasser ma Berthe adorée et ma mignonne petite Fernande qui heureusement est complètement rétablie de sa grippe…

 

Dépenses :

Ø  Oranges – 1f, 20

Ø  Métro tram – 0f, 30

Ø  Total – 1f, 50.

Mardi 12 février

Hier le temps était vraiment splendide, je crois bien n’avoir jamais vu une pareille journée au mois de février et dans le train, les voyageurs avaient même trop chaud.

 

Aujourd’hui, il fait également très chaud et j’en profite pour faire 2 herbiers d’échalotes et pour remuer la terre de la salade d’hiver qui ma foi est bien avancée.

 

Ce soir, je vais à Mortain avec ma Berthe qui va trouver l’inspecteur primaire afin d’avoir congé vendredi et samedi, ce qui nous permettra d’aller passer 2 jours à La Chapelle.

Dépenses :

Ø  Télégramme pour la Chapelle – 2f, 65.

Mercredi 13 février

Temps toujours très doux, je travaille encore un peu au jardin où je défriche une partie de l’emplacement occupé par la salle-verte.

C’est avec grand plaisir que je constate les progrès que notre chérie fait journellement au point de vue vocabulaire. Pauvre petite chérie !

Qui est déjà bien raisonnable pour son âge et ce qu’elle est mignonne !!!

Dépenses :

Ø  0f, 00.

Jeudi 14 février

Nous partons mes 2 chéries et moi par le train de 7h, il nous faut passer près de 6h à Avranches et c’est vraiment assommant.

Nous arrivons à Carantilly à 19h ½ et nous trouvons Marie qui nous attendait.

Arrivée au Mesnil Dot vers 22h : je trouve mon père en bonne santé, Édouard est arrivé en permission pour se marier.

Dépenses :

Ø  0f, 10 – journal.

Vendredi 15 février

Temps toujours superbe, je travaille toute la journée au jardin où je refais les échalotes qu’Henri avait piqué trop profondément et l’après-midi je l’aide à planter des choux verts.

Avec la température douce qu’il fait depuis une quinzaine, tout est déjà bien avancé pour la saison, ce temps heureusement permet d’économiser le fourrage qui n’abonde pas cette année.

Dépenses :

Ø  0f, 00.

Samedi 16 février

Cette nuit, il a un peu gelé mais dans la journée il fait très beau, jusqu’à la collation je vais faire un tour dans les champs : le blé n’est pas fameux dans les Fossettes et dans le Domaine, fait trop tard il a été pris en lait par la gelée de fin décembre et beaucoup de grains n’ont pas levé.

Il est triste d’avoir ainsi mis pour plus de 500f de semence en terre avec aussi peu de succès, à beaucoup d’endroits c’est pareil, aussi je crois que l’année prochaine la récolte sera encore bien déficitaire.

J’aide ensuite à battre le reste d’orge (environ 200 gerbes), c’est la fin du battage et une fois quitte je démonte la machine.

Dépenses : 0f, 00.

Dimanche 17 février

Il nous faut quitter le Mesnil Dot ce matin pour prendre le train de 10h à Carantilly, nous emportons 2 baratées de pommes de terre qui empêcheront au moins mes chéries de souffrir de la faim, car en rentrant à Romagny, la carte de pain (300g) par personne va être établie : ce qui est notablement insuffisant.

 

Ce matin, il fait assez froid car cette nuit il a gelé pas mal et du Mesnil-Dot à la gare je vois combien notre chérie est raisonnable, ayant froid aux pieds elle fait tout son possible pour ne pas pleurer.

À Carantilly, on ne veut pas accepter ma commode que nous avions emportée, car le dimanche la gare de marchandises n’est pas ouverte et mon père devra la rapporter un autre jour.

Il nous faut attendre 3h à Avranches et enfin à 18h nous sommes à Romagny où Germaine nous attendait à la gare.

Dépenses :

Ø  0f, 50.

Lundi 18 février

Toujours un peu de gelée la nuit, mais beau temps dans la journée.

Je ne fais pas grand-chose de toute la journée, avec ma mignonne petite Fernande je vais chercher un peu de pissenlit cet après-midi.

La carte de pain est en vigueur ici depuis le 15, comme permissionnaire, j’ai droit à 60gr par jour, nous allons ce soir à Mortain, mais à la boulangerie, pas de pain et même plus de farine : le boulanger ne sait même pas s’il en aura demain. Heureusement que nous en avons encore une dizaine de livres à la maison !!!

Dépenses :

Ø  0f, 50 – balle et journal.

Mardi 19 février

Temps toujours pareil.

Je vois aujourd’hui le petit père Laigne en permission de 7 jours et qui repart ce soir : il n’a pas changé et est toujours aussi rasoir.

Je me demande vraiment comment feront mes chéries pour vivre avec 600g par jour : Petit Loup deviendra aussi bien difficile à nourrir mais il est vraiment ennuyeux de s’en séparer car c’est un jouet pour notre chérie.

Heureusement que Germaine part à la fin du mois car il aurait été impossible de la nourrir.

Dépenses :

Ø  1f, 80 pour acheter café.

Mercredi 20 février

Voilà ma permission déjà écoulée.

Dieu que ces jours de bonheur passent vite tout de même !!!

 

Cet après-midi, je fais mes préparatifs de départ… Germaine qui est allée à Mortain rapporte tout de même 3kg de pain.

 

À 5h ½, il faut dire « au revoir » à notre chère petite.

Que c’est dur tout de même de quitter ainsi des êtres chers avec la perspective de ne pas les revoir avant 4 mois !!

Les larmes m’en viennent aux yeux et il me faut faire un grand effort pour quitter la maison.

Ma Berthe vient m’accompagner à la gare et c’est de nouveau une scène bien pénible pour moi que de quitter cette épouse chérie. Ah ! Vivement la fin de la guerre et de tous se maux !!

 

Voyage sans incident jusqu’à Paris où j’arrive à 6h ½ du matin.

Dépenses :

Ø  0f, 00.

Jeudi 21 février

À Paris, j’ai juste le temps de me rendre en tramway jusqu’à la gare de Lyon et de prendre l’express de 7h41.

À part un long retard, le trajet jusqu’à Montélimar s’effectue sans incident, j’arrive à cette gare à 21h au lieu de 18h, aussi plus d’omnibus pour Pierrelatte et je passe la nuit dans la gare.

La gelée est terminée et aujourd’hui le temps très doux a plutôt été brumeux.

Dépenses :

Ø  0f, 40 – tram et café.

Vendredi 22 février

À la gare de Montélimar, j’apprends que ce matin à 5h, il y a une voiture qui va à Valréas et plutôt que de passer une journée à Montélimar et à Pierrelatte je préfère prendre la voiture.

Je fais donc en voiture les 32 ou 35 km qui séparent Montélimar de Valréas et après un quart d’heure d’arrêt à Grignan où je vois la statue de Mme de Sévigné je suis rentré à 8h ½.

 

Je rencontre le sergent Reboutier qui m’annonce qu’un nouveau capitaine est arrivé à la Cie, c’est paraît-il une vraie vache et avec lui les jours d’arrêts pour les sous-officiers et les jours de prison pour les hommes tombent à profusion.

Aussi je ne m’attarde pas, je vais porter ma permission au bureau du centre, puis au bureau de la Cie où je trouve ce fameux capitaine qui me fait l’effet d’une fameuse brute : il me demande quand je suis rentré, je lui réponds « hier soir », il me fait ensuite aller chercher ma permission à la 25ème et s’assure si je ne suis pas en retard : j’ai eu vraiment de la chance de venir par la voiture.

Pour me remettre de mon voyage, il me commande pour aller à l’exercice cet après-midi et pour être, demain matin, au rassemblement à 6h45.

 

Au bureau du centre, j’ai appris que je dois partir incessamment en renfort pour le 158, je m’entends avec l’agent de liaison du 158ème et le sergent-major de la 25ème pour ne partir que mardi matin pour rejoindre d’abord mon dépôt : Lyon, je suis surtout heureux de retourner au 158ème où je vais retrouver bon nombre de camarades et cela me console un peu à la pensée que cela ne va certainement pas tarder à barder terriblement sur le front français.

 

Cet après-midi, je dois accompagner la Cie qui va à l’exercice du C.S.C.D. (officiers) au polygone du Rousset (7km d’ici) et je ne rentre qu’à 17h, aussi j’ai été dans l’impossibilité d’écrire à ma Berthe aujourd’hui.

 

Quelques mots sur notre capitaine Tortel.

Ce capitaine du 414e a été connu au front par des poilus se trouvant ici et qui racontent de lui des choses invraisemblables pour qui ne connaîtrait pas le type.

Il parait qu’il allait jusqu’à commander « garde à vous » à son cheval et qu’il lui flanquait « 8 jours sans avoine » s’il n’était pas obéi, à son chien il mettait « 8 jours sans soupe » pour avoir fait ses besoins dans le camion à vivres, il voulait également qui son chien assiste au rapport de la Cie, etc.

D’après ces poilus il est doux ici, auprès de ce qu’il était au front et pourtant ici il n’est pas tendre, il a mis quinze jours d’arrêts au sergent Trézaué qui est rentré de perm cet après-midi après avoir fait le trajet Pierrelatte –Valréas à pied au lieu d’hier soir, quinze jours d’arrêts au sergent Fournier instructeur aux grenadiers pour ne pas coucher au cantonnement affecté aux sous-officiers et pourtant ce sergent n’appartient pas à la Cie, il est même C ??

 

À la Cie, il y a plus de 30 types punis de 4 à 20 jours de prison pour être rentrés en retard de perm.

Hier au rapport, il met 4 jours de prison à un poilu pour avoir un képi déformé.

Il y a vraiment de quoi dégoûter les hommes et c’est en opérant de cette façon qu’on arrive à changer de bons soldats en mauvais et c’est vraiment triste de se voir commandé par des brutes pareilles !!!

 

Je puis m’estimer heureux d’être rentré ce matin, car sans cela je n’y coupais pas de mes 4 jours d’arrêts.

Dépenses :

Ø  Voiture – 3f

Ø  Café – 1f, 40

Ø  Total – 4f, 40.

Samedi 23 février

J’ai passé une bien bonne nuit, mais ce matin je dois encore me lever à 6h pour être au rassemblement à 6h45. Heureusement que notre trop fameux capitaine Tortel part pour Paris où, il va suivre un cours sur les gaz asphyxiants d’une semaine, par la voiture d’onze heures, aussi je vais pouvoir passer tranquille les 2 jours qui me restent à séjourner à Valréas.

 

Le temps continue d’être superbe.

Le 158ème est en ce moment en ligne du côté de St Dié, Ste Marie-aux-Mines où le secteur est paraît-il assez calme.

Je passe mon après-midi au café à écrire.

Dépenses :

Ø  0f, 50 au café.

Dimanche 24 février

 Je profite que c’est aujourd’hui dimanche pour rester au lit jusqu’à 9h.

Toute la journée je ne fais que m’ennuyer, car ici il n’y a aucune distraction, alors on en est réduit à tuer le temps au café, nous faisons maintes parties de bridge et ce soir la guigne ne cesse de me poursuivre si bien que je perds 3f.

Dépenses :

Ø  5f, 60 au café et jeux.

Lundi 25 février

C’est la dernière journée qu’il me reste à passer ici, car demain matin en route pour Lyon.

L’adjudant Marot du 158ème qui était ici avec moi et qui est en permission, rejoindra à l’expiration de sa permission directement Lyon pour être ensuite dirigé au front au 358ème.

 

Ce matin, je passe 2h à mettre mon carnet de route à jour, cet après-midi préparatifs de départ : je vais toucher mon prêt au bureau de la 25ème, puis mes papiers et mon ordre de transport au bureau des agents de liaison.

C’est certainement ce soir que je fais ma dernière partie de bridge d’ici longtemps.

Dépenses :

Ø  Chambre – 6f

Ø  Café – 1f, 50

Ø  Total – 7f, 50

Mardi 26 février-départ pour le 158e RI-étape à Lyon, fort Lamothe

Il faut me lever de bon matin (5h ½) car il me faut prendre le train à 7h.

L’adjudant Sabaty vient me conduire jusqu’à la gare : voilà un bon type que je regrette de quitter et qui, lui aussi, n’a certes pas eu de chance et qui n’a point eu ce qu’il méritait au sujet de la classe 19.

 

À Pierrelatte, j’ai 3h ½ d’arrêt : arrivé à 10h ½ je n’en repars qu’à 13h ½, j’en profite pour casser un peu la croûte, là je retrouve Nicolas Finon qui rejoint également Lyon comme H.C. (hors catégorie), il sera certainement changé d’arme.

 

L’omnibus que je prends à Pierrelatte arrive à Lyon à 7h du soir, je gagne immédiatement le fort Lamothe où je passe la nuit dans une chambre de sous-officier où je couche sans drap.

 

J’apprends que le sergent Légé est toujours au fort et qu’il est chargé du ravitaillement, que l’aspirant Bourguet, monté volontaire au front comme sous-lieutenant a été blessé dernièrement….

En quittant Valréas, j’ai su qu’un renfort du 158ème (40 hommes et 1 sergent), le sergent Trézani va rejoindre également le dépôt où ils arriveront probablement demain soir, mais je ne crois pas que ce soit pour le 158ème.

Dépenses :

Ø  2f, 20 à Pierrelatte.

Mercredi 27 février-Lyon, fort Lamothe

Je passe la matinée à m’habiller et à m’équiper à neuf.

Je touche 1 chemise, 2 caleçons, 1 paire de bas, 1 chandail, 1 cache-nez, 1 pantalon, 1 veste, 1 capote, 2 paires de souliers, 1 serviette, comme je garde mes vieux effets, je pourrai une fois au front les échanger contre des neufs.

On me retire mon révolver et mon sabre (je toucherai mes armes à la gare régulatrice.)

 

Cet après-midi, je réussis à trouver Légé et nous passons la soirée ensemble.

Je porte mon pantalon et ma veste chez une couturière qui me les arrangera pour demain midi, car je dois embarquer demain soir.

En me promenant je fais l’achat d’un stylo (Onoto) 22f, 20, insignes de croix de guerre et de blessure de cravate chiffres 10f, 60, avec le vin et le café 5f, cela fait tout de suite 37f, 80 (Légé paye le souper en ville.)

Pour terminer la soirée nous allons dans un cinéma et nous ne rentrons au fort Lamothe qu’à 23h.

Légé a fait une demande pour passer sous-lieutenant, s’il est nommé il rejoindra directement le front mais il s’en moque, car avec son mal d’oreilles il pourra se faire évacuer quand il voudra.

Jeudi 28 février

Ce matin, je touche un lot de cartes d’état-major (ligne du front) ainsi qu’une jumelle prismatique.

 

À 10h, je sors avec Légé et vais voir avec lui le parc de la Tête d’Or qui est une des beautés de Lyon, dans ce parc se trouve un petit jardin des plantes avec toutes sortes d’animaux qui m’intéressent vivement, le lac est également très joli avec les nombreux cygnes blancs et noirs qui s’y trouvent.

Nous allons ensuite voir Mollet, toujours en traitement à l’hôpital 45 (*), nous le trouvons prêt à partir en convalescence de 20 jours, il va maintenant beaucoup mieux mais sa blessure lui a laissé une bien triste infirmité et comme il nous le dit lui-même avec amertume :

« Maintenant je ne suis plus un homme, je ne suis qu’une loque, je ne peux plus penser à me créer une famille, à me marier. »

 

Et nous disant cela il a les larmes aux yeux.

Ces blessures laissent hélas des traces bien tristes tout de même et il préfèrerait de beaucoup retourner au front que de se voir ainsi mutilé.

Nous buvons avec lui une bouteille de champagne que je lui devais depuis Oppenans.

 

(*) : MOLLET Léon a été blessé très gravement en octobre 1917, il était dans le même régiment que Ferdinand.

 

Cet après-midi, nous montons par le funiculaire jusqu’à Fourvière où la cathédrale est un véritable joyau d’architecture : de Fourvière on a une vue magnifique sur Lyon.

J’aurais ainsi vu, du moins, ce qu’il y a de plus intéressant à Lyon : le parc et Fourvière.

 

En rentrant à la caserne, je prends mon pantalon et ma veste qui sont prêts : coût 7f.

Je dois partir ce soir au train de 20h, mais une fois ma cantine apportée au café je me décide à ne partir que demain matin et je passe la soirée à faire la bombe avec Légé, nous allons à l’horloge : cinéma chantant pour clore la soirée.

 

Demain, ouverture de la grande foire internationale à Lyon : la place Perrache, les quais sont couverts de baraquements, ces foires n’existaient avant la guerre qu’en Allemagne, on commence à les inaugurer en France.

Je vais donc, ainsi d’ailleurs qu’en 1916, quitter Lyon la veille de spectacles : en 1916 c’était la veille de la grande fête de gymnastique qui avait lieu le lundi de pâques et cette fois c’est à la veille de la foire de mars.

Dépenses :

Ø  20f dont 3 en vin et café.

Récapitulation des dépenses mensuelles

 

FEVRIER

MARS

1

En caisse

90,70

 

1,50

1

En caisse

106,00

10,50

2

Prêt

43,35

 

1,25

2

 

 

1,50

3

 

 

 

0,50

3

 

 

2,05

4

 

 

 

2,20

4

 

 

5,50

5

 

 

 

1,50

5

 

 

1,00

6

 

 

 

0,75

6

 

 

4,55

7

 

 

 

5,05

7

 

 

0,00

8

 

(chambre)

 

10,20

8

 

27,10

2,00

9

Prêt

29,10

 

5,50

9

 

 

0,00

10

 

 

EN PERMISSION

4,45

10

 

 

2,40

11

 

 

1,50

11

 

 

4,90

12

 

 

0,65

12

 

 

0,70

13

 

 

0,00

13

 

 

6,90

14

 

 

0,10

14

 

 

0,00

15

 

 

0,00

15

 

44,00

2,00

16

 

 

0,00

16

Prêt

46,70

0,00

17

 

35,65

0,50

17

 

 

5,00

18

 

 

0,50

18

 

 

2,10

19

 

 

1,80

19

 

 

0,00

20

 

 

0,00

20

 

 

2,10

21

Ma Berthe

50,00

0,40

21

 

 

11,10

22

 

 

 

4,40

22

 

 

1,80

23

 

 

 

0,50

23

 

 

1,05

24

 

48,85

 

5,60

24

 

 

8,60

25

 

 

 

2,20

25

 

 

0,00

26

 

 

 

16,00

26

 

77,85

2,10

27

 

 

 

37,60

27

 

 

0,00

28

Prêt

14,00

 

10,50

28

 

 

16,50

 

 

 

 

 

29

 

 

2,30

 

 

 

 

 

30

 

 

7,80

 

 

 

 

 

31

 

114,15

0,10

 

TOTAL

220,15

 

114,15

 

TOTAL

152,70

104,55

 

RESTE

106,00

 

RESTE

48,15

 

 

 

 

 

 

 

AVRIL

MAI

1

En caisse

48,15

0,00

1

En caisse

68,70

0,10

2

 

 

0,00

2

Prêt

48,25

7,60

3

 

 

0,20

3

 

 

0,10

4

Prêt

52,65

0,80

4

 

 

2,40

5

 

 

1,40

5

 

 

12,00

6

 

 

0,00

6

 

 

1,75

7

 

 

16,45

7

 

 

1,50

8

 

 

0,10

8

Chambre

 

24,00

9

 

 

2,20

9

 

 

4,00

10

 

 

3,55

10

 

 

0,00

11

 

 

2,25

11

 

 

0,00

12

Prêt(C.A)

33,25

12,50

12

 

 

4,00

13

 

 

4,00

13

 

 

0,00

14

 

 

5,00

14

Ma Berthe

50,00

0,00

15

 

 

6,00

15

 

 

0,10

16

Prêt

10,25

10,00

16

 

 

0,15

17

 

 

4,20

17

Prêt

26,00

6,70

18

 

70,15

1,50

18

 

 

0,15

19

 

 

4,50

19

 

 

0,15

20

 

 

0,15

20

 

 

0,10

21

 

 

0,30

21

 

 

0,00

22

Ma Berthe

20,00

9,10

22

 

 

0,00

23

 

 

0,10

23

 

 

0,10

24

 

 

0,10

24

 

 

0,00

25

 

84,45

0,00

25

 

 

 10,30

26

 

 

0,10

26

 

 

 

27

 

 

0,10

27

 

 

 

28

 

 

9,00

28

 

 

 

29

 

 

1,85

29

 

 

 

30

 

 

0,10

30

 

 

 

 

 

 

 

31

 

 

 

 

TOTAL

164,30

95,60

 

TOTAL

192,95

75,20

 

RESTE

68,70

 

RESTE

117,75

 

 

 

 

 

classes

N° matricule

Noms et Prénoms

Grade

recrutement

Mull  du régiment

 

Adresses de la famille

observations

1915

16193

Colinet Pierre

Caporal

Seine 1er B

178

Agriculteur, Mr et Mme Colinet 39 rue Bichat Paris 10ème.

Rgt N° 43

1914

16271

Mathon Georges

2ème  cl

Bourg

902

Cultivateur, Mr Clément Jean – St Didier, Chalaronne par Troisay, Ain.

Rgt N° 390

1917

17116

Leblanc Emile

St Etienne

1942

Garçon boucher, Mr et Mme Guéru 3 impasse Pers, Montmartre, Paris 18ème.

 

1900

09156

Luminel Pierre

Le Puy

2204

Journalier, St Didier la Siaux Haute Loire.

 

1900

010135

Gallay Louis

1ère  cl

Bourgoin

874

Coiffeur, 91 cours Emile Zola, Villeurbanne Rhône.

Rgt 50 ??  Militaire

1907

014002

Guée René

2ème cl

Seine 3ème B

704

Mécanicien, Mr Guée 43 rue Monge Paris.

Rgt 340 Passé à la S.D. le 21.4.18

1905

015352

Lelait Edgard

Évreux N

696

Journalier, Mme Lelait à St Colombe la Campagne, Eure.

Rgt

1911

7743

Rendu Robert

Rhône Centre

2604

Teinturier.

 

1910

04797

Jean Eugène

Épinal

2204

Cultivateur, Mme Jean Blaise à Scarept Fraise, Vosges.

 

1906

018977

Petit Didier Marie

Brancdier

Epinal

1916

Débitant, Mme Didier, Entre deux Eaux, Saulcy, Vosges.

 

 

 

 

 

 

classes

N° matricule

Noms et Prénoms

Grade

recrutement

Mull  du régiment

 

Adresses de la famille

observations

1914

7580

Drézet Armand

Caporal

Belfort

522

Cultivateur, Mme Vve Drézet à Vanclans par Nods, Doubs.

 

1910

21885

Maureau Théodore

Caporal

Marseille

2447

Boucher, Mr Maureau Raphaël les Arles, B. du R.

 

1901

01411

Violon Jean

1ère cl

Le Puy

271

Cultivateur, Mme Violon à Valprivas, Haute Loire.

 

1913

16427

Rey Louis

2ème cl

Avignon

1359

Cultivateur, Mr Rey Aimable à Gordes, Vaucluse.

 

1914

14550

Mangin Maurice

idem

Bourges

976

Épicier, Mr Mangin 20 rue du coin Haslay, Bourges, Cher.

Rgt n° 50

1917

17123

Lhôte Adolphe

idem

St Etienne

794

Métallurgiste, Mme Lhôte à Chambon Feugerolles, rue Tremblaine, Loire.

 

1900

010235

Bounneaud Michel

idem

Pt St Esprit

333

Cultivateur, Mr Bounneaud route d’Avignon, Masse de Mathieu, Nîmes, Gard.

 

1908

15211

Jouan Marcel

idem

 

 

 

1917

15611

Nayme Joannes

idem

St Etienne

817

Cultivateur, Mr Nayme Antoine à Picanson, Cune de Dizieux, St Chamond, Loire.

Rgt n° 54

1915

14728

Lecreux Maurice

idem

Vesoul

183

docteur Lecreux Chauviran, Haute Saône.

 

1900

014675

Gaulard Théophile

idem

Alençon

566

Cultivateur, Mr Gaulard à Bray, Cne de Coulimer par Pervenchères, Orne.

 

 

 

 

 

 

 

classes

N° matricule

Noms et Prénoms

Grade

recrutement

Mull  du régiment

 

Adresses de la famille

observations

1912

13864

Marut Antoine

Caporal

Tulle

251

Cultivateur, Mr Marut Jean à Eyrein, Corrèze.

 

1917

13870

Ravin Gaston

2ème  cl

Évreux

653

Cultivateur, Mme Ravin à la Barre en Ouche, Eure.

 

1900

08061

Bruyères Jean

St Etienne

1635

Cultivateur, Mr Bruyère à Dorzieux, Loire.

 

1912

13292

Pradayrol Isidore

1ère

Cahors

985

Cultivateur, Mr Pradayrol à Espeyroux La Capelle Marival, Lot.

Dn n° 276

1903

014591

Faure Jean

1ère

Clermont F

114

Cultivateur, Mme Faure à Noissat, Puy de Dôme.

Bn n° 37

1914

19293

Varenne Augustin

Grenoble

1046

Cultivateur, Varenne J, Vaulnavey le Bas par Vizille, Isère.

 

1917

19131

Grenier Jean

St Etienne

1914

Tourneur sur métaux, Mme Vve Grenier 44 rue Paillon, St Etienne, Loire.

 

1916

13503

Bonnafé Louis

Mende

1566

Cultivateur, Mr Bonnafé Louis, Les Infruts par le Caylar, Hérault.

 

1908

01700

Limbert Joseph

Grenoble

255

Garçon épicier, Mme Vve Limbert 21 rue passe V siron, Isère.

 

1903

021221

Richard Léon

Le Puy

423

?? Mr Richard à Le Puy, Haute Loire.

Evacué le 14.4.18 faiblesse.

 

 

 

classes

N° matricule

Noms et Prénoms

Grade

recrutement

Mull  du régiment

 

Adresses de la famille

observations

1905

15817

Stéphan Henri

Caporal

Évreux

513

Rt de Com, Mr Stéphan 10 rue Dulac Paris 15è.

Rt

1908

014705

Vondut Jean

2ème  cl

Rodez

46

Serveur de café, Mr Vondut 221 rue de Charenton, Paris 12è.

Rt N° 50

1907

010642

Millet Marceau

Amiens

1351

Peintre, Mr Millet 24 rue Herbière, Rouen Seine Maritime.

 

1899

021480

Gouézé Jean-Pierre

1ère

Tarbes

402

Maçon, Mme Gouézé à Adé par Lourdes Hautes Pyrénées.

 

1916

14925

Bertrand Jean

Montpellier

629

P.T.T., Mr Bertrand à Lattes par Montpelliers, Hérault.

 

1905

020858

Auger Emile

1ère

Chalon-sur- Saône

597

Cultivateur, Mr Auger à Montpont, Saône et Loire.

 

1906

021900

Michaud Claudius

Chalon-sur- Saône

525

Sabotier-épicier, Mme Vve Michaud St Germain du Bois Saône et Loire.

 

1911

4638

Desbiolles Auguste

Annecy

553

Cultivateur, Desbiolles Melchiort à Thoran, Haute Savoie.

 

1917

17124

Lostal Joseph

St Etienne

1601

Armurier, 17 rue Vendôme, Lyon, Rhône.

 

 

Mars 1918 : Fort Lamothe, Lyon – Gray – Taintrux, Vosges – Xainfeing - Les dents des Vosgiennes

Vendredi 1er mars

Comme je compte prendre le train ce matin à 8h ¼ je dois me lever à 6h et à 7h je quitte le fort Lamothe.

Après avoir dit au revoir à Légé, je vais avec un poilu chercher ma cantine au café où je fais quelques provisions et de là en route pour Perrrache, là le commissaire militaire ne veut pas me laisser embarquer, il me met mon ordre de transport dans une enveloppe et m’expédie à la gare de la Guillotière : il me faut donc retransporter ma cantine à la Guillotière qui se trouve tout près du fort Lamothe, heureusement que j’ai un poilu pour m’aider et là le commissaire militaire m’apprend que je dois prendre le train cet après-midi à 16h.

 

Je laisse tout mon bazar : cantine, musettes, bidon, équipement à la gare et je rejoins le fort Lamothe. J’ai diablement bien fait de ne pas aller à la gare de Perrache hier soir, puisque je n’aurais pu partir d’un sens comme de l’autre que ce soir.

Légé est bien étonné quand il me voit de retour au fort, je passe ma matinée à me chauffer dans sa chambre pendant qu’il va faire sa distribution de viande.

Ce qu’il y a de plus étonnant c’est qu’on ne m’ait pas dit au bureau de la 28ème Cie que je devais prendre le train à la Guillotière !

 

Hier soir, le sergent Trézani et les 40 poilus du 158ème sont arrivés au fort Lamothe, mais ainsi que je l’avais prévu ils ne vont pas au 158ème mais au 252ème, ceci à leur grand désespoir, car tous préfèreraient retourner à leur ancien régiment, d’autant plus que certains d’entre eux : Trézani, Gravier, Ferry, etc, sont des Vosges où se trouve en ce moment le 158ème, ils auraient donc été chez eux.

 

Je passe mon après-midi avec Légé et ma foi nous buvons pas mal.

 

À 3h ½, nous allons à la gare et en attendant le train qui se forme avec pas mal de retard, nous allons encore boire si bien que je m’embarque légèrement éméché à 17h.

Sur le quai le commissaire militaire me remet mon ordre de transport et j’apprends que je suis en route pour Gray qui est donc ma gare régulatrice.

À Lyon-Vaise nous touchons du bouillon : je dois passer par Chalon-sur-Saône, Saint Jean-de-Losne, Villers-les-Pots et Gray.

Dépenses :

Ø  10f, 50 en provisions et en café.

Samedi 2 mars-Gare de Gray

En arrivant du côté de Chalon-sur-Saône, il tombe de la neige et il fait bien froid : heureusement que je suis confortablement installé dans un wagon de 1ère et je ne suis pas trop à plaindre.

Le train part de Chalon avec 6h de retard : il y a eu parait-il un déraillement entre Dijon et Chagney.

 

Nous devions boire le café à Saint Jean-de-Losne mais nous n’y passons pas, nous faisons le tour par Vesoul, puis Auxonne où nous avons 4 heures d’arrêt et où j’en profite pour me ravitailler un peu car depuis ce matin, la demi-boule que j’avais emportée de Lyon n’existe plus et je n’avais plus de pain.

 

Nous repartons d’Auxonne vers 17h et enfin nous arrivons à Gray à 21h avec 14 heures de retard : en ce moment les déraillements sont nombreux et il serait temps que la guerre finisse, car le matériel roulant, ainsi que les rails et les traverses commencent à bien s’user.

À la gare de Gray, j’apprends que je ne repartirai que demain après-midi et je passe la nuit dans le cantonnement de repos situé près de la gare : je n’ose pas m’étendre dans la paille de crainte des poux et autres bestioles qui sûrement n’y manquent pas et je dors assis sur un banc. Il fait toujours froid et la neige ne cesse de tomber.

Ah ! Vivement que je sois arrivé au dépôt divisionnaire.

Dépenses :

Ø  1f, 50 provisions à Auxonne.

Dimanche 3 mars

Ce matin, je vais toucher des effets chauds à une caserne sise près de la gare (gants, couvertures, 2 chemises et 2 caleçons) puis un révolver et un sabre au centre de réarmement.

Depuis Chalon j’avais voyagé avec un sous-officier du 140ème qui conduisait un renfort (classe 18 de ce régiment) à Belfort : ce matin il s’est fait porter malade et il entre à l’hôpital.

 

Heureusement que je puis me ravitailler à la coopérative de la gare : le pain y est excellent et je crois bien en avoir vu rarement d’aussi blanc, j’en engloutis près de ¾ de boule (0f, 55).

Quelle différence avec le pain de l’intérieur !!

 

Vers 11h, le commissaire militaire me dit que je dois prendre le train à 14h59 direction Épinal. J’ai hâte d’être arrivé car avec ma cantine je suis plutôt embarrassé et j’ai un rude « barda » à transbahuter (1 cantine, 3 musettes, 1 jumelle, 1 bidon, mon équipement, mon sabre, etc.)

Le train qui m’emporte ne s’emballe pas et ce n’est qu’à 20h que j’arrive à Épinal où il me faut changer de train et prendre la direction de St Dié : j’ai omis de dire que mon ordre de transport est pour Fraize (gare de ravitaillement de la 43ème division.)

 

Il me faut de nouveau changer à Corcieux et ce n’est qu’à 5 heures du matin que j’arrive à Fraize : là le commissaire militaire m’apprend que le C.I.D. du 158ème est à Taintrux distant d’une quinzaine de km d’ici, je me demande comment je vais faire pour faire transporter ma cantine.

Il est malheureux de faire ainsi débarquer les types à Fraize alors que nous passons à Corcieux et à St Léonard : gares qui sont moitié plus près de Taintrux.

Dépenses : ravitaillement à Gray.

Lundi 4 mars-Taintrux

Le temps est toujours très mauvais : la neige ne cesse de tomber.

J’apprends que les voitures de ravitaillement du C.I.D. viennent tous les matins à Taintrux, aussi je les attends et en profite pour emporter en même temps ma cantine.

Nous passons par St Léonard, puis Saulcy-sur-Meurthe.

 

De Fraize à Saulcy, la route est camouflée.

Les villages de Saulcy et d’Anozel sont bien abîmés surtout le dernier.

 

J’arrive à Taintrux vers 13h, je vais aussitôt au bureau de la 4ème Cie où je trouve Fiard, ancien sergent major de la 1ère, de là je vais au bureau du commandant afin d’être affecté à une Cie puis au bureau de la 12ème Cie où je trouve le capitaine Lambert qui commande le C.I.D. du 158ème et qui m’affecte à la 4ème Cie.

Je vais ensuite voir Perrin, fourrier au bureau de la 8ème et nous buvons un bon canon ensemble.

 

En rentrant, je trouve au bureau de la 4, l’adjudant Morel anciennement à la 1ère C.M.

J’apprends que le 158 tient les lignes au N.E. de St Dié du côté de Provenchères, que le sergent Boudon détaché à la coopérative divisionnaire vient d’être relevé et a quitté hier le C.I.D. pour rejoindre le corps actif.

Pauvre Boudon, il doit la trouver plutôt amère !!

 

À la 4ème Cie je trouve quelques anciens de la 1ère Cie entre autres Fave de ma section (*) dont je n’avais plus de nouvelles depuis le début d’octobre, le caporal Grégoire de la 4ème section, Damas de la 3ème ainsi que Prax, Ricard de la 1ère.

C’est tout de même un énorme avantage de retourner à son ancien régiment car alors on n’est pas l’inconnu. Maintenant je ferai mon possible pour retourner à la 1ère et dès ce soir j’écris aux capitaines Allène et Tallotte dans ce sens.

Dépenses :

Ø  5f, 50 au café.

 

(*) : FAVE Louis, 158ème d’Infanterie, un des « meilleurs » soldats, presque qu’ami, sous les ordres de Ferdinand. FAVE est cité très souvent dans les carnets de 1916 et 1917.

 

Mardi 5 mars-Taintrux

Aujourd’hui le temps est meilleur et ce soir la neige a presque complètement disparu dans la vallée.

 

Ce matin, je vais à la visite et suis reconnu bon, cet après-midi la Cie va creuser des trous d’obus qui sont destinés à servir d’emplacement pour le tir.

Je réussis à trouver une chambre très bien à l’extrémité nord du patelin pour 0f, 75 par jour, elle a seulement l’inconvénient d’être un peu éloignée (7 à 800 m du pays.)

 

Le village de Taintrux est assez abîme, la moitié au moins des habitations ont été détruites, incendiées par les obus boches car les allemands ne sont pas descendus jusqu’au village, ils ont seulement occupé les crêtes nord : le Komberg, la Pierre de Laître pendant une quinzaine de jours en septembre 1914 et ce sont leurs obus qui ont démoli le village.

Ici nous ne sommes pas très loin des lignes (12 à 15 km) et je me refais au bruit du canon. Jusqu’à l’arrivée de la 43ème division dans ce secteur, il parait que c’était très calme, mais maintenant il est assez mouvementé. Bien qu’il n’y ait pas d’attaques, les pertes sont assez grandes et causées surtout par les grosses torpilles boches qui font du sale travail.

 

J’apprends que Coste a attrapé 8 jours de prison pour avoir refusé de participer à un coup de main : cela m’étonne de sa part, il est probable que celui qui commandait le coup de main ne lui plaisait pas.

Toutes les crêtes, par ici, sont couvertes d’immenses forêts de sapin et le pays est très accidenté.

Dépenses :

Ø  1f au café.

Mercredi 6 mars-Taintrux

Ici il faut se lever de bonne heure le matin car l’exercice commence à 7h moins le quart et dure jusqu’à 10h.

Il comprend : 45’ de gymnastique à laquelle je ne connais plus rien (c’est parait-il la méthode Hébert), 20’ d’escrime à la baïonnette où je ne « pige plus que dalle » avec ses en garde ordinaire à droite, à gauche, ses gardes courtes, longues, basses, hautes, ses « piquez », etc.

Ah ! En temps de guerre les nouveaux règlements sont vite élaborés !! Il me faudra bien quelques jours pour me mettre au courant.

 

Cet après-midi, nous allons continuer à creuser les trous d’obus commencés hier sous la direction du lieutenant Fortin de la 12ème Cie : encore un loustic peu facile, il vient des bataillons d’AF (*) et n’est jamais monté au front.

 

À la décision de ce soir, j’apprends que l’aspirant Gateron qui m’avait remplacé à la 1ère Cie vient d’être nommé sous-lieutenant, par suite la place serait libre et peut-être aurai-je la chance de retourner à mon ancienne Cie : c’est ce que je souhaite de tout mon cœur, car j’y retrouverais de bons camarades : Figeac, Alphant, Mommerat et comme poilus : Coste, Chauveau, Boutier, etc.

 

Ce soir, je rencontre le sergent Buissiers de la 1ère Cie qui était à ma section et qui est descendu des lignes pour suivre les cours de perfectionnement de sous-officier et nous parlons ensemble des vieux copains.

Je vais passer ma soirée au foyer du soldat où ce soir il y a représentation, chants, etc. J’y reste jusqu’à 10h et ma foi je n’y trouve rien d’épatant, malgré la présence de Melle Marchal, artiste de St Dié, si bien que je n’attends même pas la fin de la représentation.

Dépenses :

Ø  12f, 45 – popote

Ø  2f, 10 – café

Ø  total – 4f, 55

 

(*) : Explication de « BF » :

Un internaute, Guy, nous propose de prendre connaissance de l’extrait, ci-après reproduit, d’un article en ligne sur Wikipédia :

 

Bataillons d'infanterie légère d'Afrique

Les Bataillons d’Infanterie Légère d’Afrique (BILA), plus connus sous leurs surnoms de Bat’ d’Af’ et de « bataillons de chasseurs légers », étaient des unités relevant de l'Armée d'Afrique, composante de l’armée de terre française. Ils regroupaient des militaires libérés (prisons militaires des divisions territoriales puis des régions de corps d'armée, pénitenciers, ateliers de travaux publics et du boulet).

 

Rien d’étonnant donc à lire le commentaire suivant sous la plume de Ferdinand Gillette : « encore un loustic peu facile ».

Jeudi 7 mars-Taintrux

Ce matin, même exercice qu’hier : le capitaine Lambert vient nous y trouver et fait aux poilus une petite théorie sur le tir.

 

Ce midi, grand branle-bas, le général doit venir cet après-midi passer l’inspection des cantonnements, aussi grand nettoyage.

L’adjudant Morel doit aller avec 20 poilus dont 9 de la 4ème Cie lui rendre les honneurs et se trouver à 13h au poste de police.

Tant qu’à moi, je dois conduire le reste de la Cie (8 hommes et 1 caporal) au tir.

En attendant le moment de tirer, nous tuons le temps comme nous pouvons (instruction de la patrouille.)

Nous sommes rentrés au cantonnement pour 15h ½.

 

Le général n’est pas venu, le capitaine adjoint au commandant en a été averti à 15h par téléphone, si bien que nous en sommes pour nos frais.

Quelle n’est pas ma surprise de voir arriver ce soir à la Cie Desmons (*) un ancien poilu de ma section qui nous avait quitté à St Ulrich pour être ordonnance du capitaine Covin de la 7ème Cie.

Ce poilu vient au C.I.D. (**) comme ordonnance du capitaine Lambert qui avait remplacé Covin à la 7ème.

Par lui j’ai quelques tuyaux sur le secteur où le régiment est en ligne du côté de Wisembach, c’est un secteur assez calme mais à la côte 607 il n’y fait pas bon. Les boches nous y balancent quelque chose comme obus et comme torpilles.

Cela me fait plaisir de retrouver Desmons et Fave ici, car ce sont deux de mes meilleurs poilus.

Dépense :

Ø  0f, 00

(*) : DESMONS Albert Gervais Clément, né à Graissac (12) le 20 mars 1892, mort à Champigny-sur-Marne en 1962

(**) : Centre d’instruction divisionnaire

Vendredi 8 mars-Exercice

Le rassemblement en tenue de campagne complète est à 7h 20, l’exercice comprend une marche avec manœuvre.

Nous passons par Rougiville (village également bien abimé) puis nous escaladons le bois de la Famille, au sommet de la crête se trouvent 3 ou 4 maisons : c’est le Haut Jacques. Je puis ainsi admirer tout à mon aise les forêts des Vosges, forêts aux sapins géants vraiment magnifiques à voir.

Nous traversons tout le bois de la Famille passons par La Table et revenons par Chevry : la manœuvre commence seulement dans la vallée, mais ce sont les élèves du centre de perfectionnement qui en sont chargés et nous n’avons qu’à les regarder, c’est le capitaine Lambert qui dirige la manœuvre.

Nous rentrons à 15h ½.

 

Par Desmons j’apprends quelques nouvelles relatives à mes anciens poilus :

Vernès est maintenant conducteur au train régimentaire comme ayant eu 2 frères tués à l’ennemi.

Larrière qui était passé tambour à la 11ème Cie a été gravement blessé à Aizy en transportant un blessé, il doit avoir eu la mâchoire inférieure brisée et ne peut plus parler.

Graner (*) a été tué tout dernièrement à la roulante, transporté à Fraize il y est mort au bout de 2 jours, son corps doit avoir été transporté chez lui à Plainfaing, tout près de Fraize.

Par le sergent Légé, j’avais appris que Dumont est parti dans l’artillerie contre avions, que Reynaud est également changé d’arme (artillerie.)

Miquel (**) est passé en conseil de guerre pour avoir refusé de se faire vacciner et attrapé 5 ans de travaux publics qu’il est en train de faire.

 

Ce soir, je reçois une lettre de ma Berthe qui est allée à Valréas.

Dépense :

Ø  2f au café.

 

(*) : GRANER Ernest, 21 ans, né à Plainfaing (Vosges), mort pour la France le 27 janvier 1918 à Fraize (Vosges), suite de blessures de guerre.

(**) : MIQUEL Jérôme, 23 ans en 1918, cultivateur à Perpignan, a été affecté à la section de Ferdinand le 15 janvier 1917 : « J’hérite là d’un sale phénomène, aussi nul aux tranchées qu’au repos. »

Samedi 9 mars-Vaccination

Cette nuit, il a gelé fort et ce matin il ne fait pas chaud, par contre ce midi entre onze heures et 3h ½ il fait un temps splendide et le soleil commence à avoir pas mal de force.

Exercice habituel de 7 à 10.

 

À 13h, il y a présentation des hommes arrivés pendant la semaine au capitaine Poupard qui remplace le commandant pendant la permission de ce dernier. Je dois aller ensuite présenter ma fiche de vaccination au major et comme ma dernière piqûre date du 5 mars 1917, il me fait y passer de nouveau, car nous devons recevoir une piqûre tous les ans.

Ce qu’il y a de plus rosse, c’est de nous vacciner un samedi après-midi, si bien que notre jour d’exemption de service se trouve être le dimanche : il faut décidément que l’on juge l’exercice bien indispensable pour ne pas nous faire perdre même celui du samedi matin.

Avec cette piqûre j’ai l’épaule bien endolorie ce soir, aussi dès 19h ½ je suis au lit.

 

Dans la division, il y a maintenant une compagnie destinée à faire les coups de main, Cie que l’on a baptisée « la Vosgienne », elle ne prend pas les lignes et monte seulement pour les coups de main.

Elle est cantonnée tout près d’ici à Chevry, elle est montée hier soir, a fait un coup de main ce matin et est redescendue ce soir.

Le coup de main n’a pas donné de résultats : ils sont parait-il restés 3 heures dans les lignes boches sans trouver personne, mais par contre ils n’ont eu aucune perte.

Cela me plairait assez de faire partie d’une telle Cie car dans ces unités on jouit d’une liberté beaucoup plus grande et on n’est pas embêté par l’exercice.

Dépense :

Ø  0f, 00

Dimanche 10 mars

Gelée dans la nuit et temps magnifique dans la journée, j’en profite pour prendre un bon bain de soleil.

Cette matinée je vais faire un tour du côté de La Pierre de Laitre, colline surmontée d’un rocher gigantesque.

Partout aux alentours de ces villages, on rencontre de place en place dans les champs des tombes des pioupious français tués en 1914 dans les combats autour de St Dié et enterrés à l’endroit où ils sont tombés.

Ces tombes sont pieusement entretenues par les habitants et les jeunes filles du pays en ont toutes adopté quelques-unes.

 

Hier soir, j’ai rencontré le sergent Bouillard ancien caporal à la 1ère Cie qui en ce moment suit un stage à Le Paire.

Par lui j’ai quelques tuyaux au sujet des anciens copains.

Quelle n’est pas ma surprise, lorsque ce midi après dîner, je vois arrive Perruchot, venu en bécane de St Dié où il est employé au service topographique de la division : ce n’est pas un filon qu’on lui a donné car il doit presque tous les jours en ligne relever les plans de secteurs.

 

Je passe mon après-midi en sa compagnie et nous parlons des anciens copains.

Par lui j’apprends que le 1er B.C.P. a fait cette nuit un prisonnier boche : il a été ramassé entre les lignes alors qu’il cherchait des parachutes de fusées éclairantes. C’est un jeune type très instruit, parlant 4 langues, qui a donné force détails sur les emplacements des cuisines, des batteries, des P.C., etc.

Détails qui ont fait éveiller les soupçons et on croit que c’est un officier boche qui s’est fait faire prisonnier pour nous induire en erreur.

Par Perruchot, j’apprends aussi que les boches ont fait un coup de main sur le 149ème et nous ont « barboté » quelques poilus (4 ou 5.)

Dépenses :

Ø  2f, 10 au café

Ø  0f, 30 enveloppes

Lundi 11 mars

En arrivant ici j’ai trouvé pas mal de sous-officiers que je ne connaissais point : c’est que après les attaques de l’Aisne le 158 a été renforcé par tout un bataillon du 228ème qui a été supprimé (le 228 qui était du côté de St Quentin s’est laissé, parait-il, prendre un bataillon et alors on l’aurait supprimé et réparti dans les unités de la 43ème division.)

C’est ce qui explique pourquoi le 158 ne demandait pas de renforts au camp de Valréas.

 

Ce matin, exercice habituel jusqu’à 9h, ensuite nous allons passer dans la chambre à gaz à Mauvais Champ et il nous faut conserver le masque pendant 1 heure : c’est un exercice assez pénible qui cause à presque tous un fort mal de tête.

 

Cet après-midi, nous allons faire un petit exercice d’attaque au col d’Anozel : exercice d’ailleurs peu pénible et à 4h ½ nous sommes rentrés à Taintrux.

En 1914, les boches sont venus jusqu’au col d’Anozel et dans le bois de sapins qui monte au Kemberg, il y a bon nombre de tombes boches. À la lisière du bois on remarque encore les trous individuels faits par les boches et l’emplacement de l’une de leurs mitrailleuses.

 

À la rentrée de l’exercice, je trouve 3 lettres dont 2 de ma Berthe, une du 8 mars et l’autre qui est allée se promener à Valréas.

Je suis bien heureux de savoir que ma petite famille se porte bien, la 3ème lettre était du capitaine Allène qui est allé trouver le colonel afin que ce dernier me fasse demander nominativement au C.I.D. (*) pour retourner à la 1ère Cie, ce dont je serais d’ailleurs bien heureux.

Dépenses :

Ø  cartes-lettres 1,75

Ø  au café 3,15

 

                   (*) : C.I.D. : Centre d’Instruction Divisionnaire

Mardi 12 mars

Maintenant je ne ressens plus rien de ma piqûre et ma foi je n’en ai pas encore trop souffert et m’en voilà débarrassé pour un an.

J’apprends aujourd’hui que la 43ème division (la division des as, où tous les corps ont la fourragère : 1er et 31ème B.C.P., 149 et 158èmes R.I., 12ème régiment d’artillerie de campagne et jusqu’au génie) a pour marraine la compagnie de chemins de fer de l’Est : ceci date du mois de novembre, après la fameuse attaque de l’Aisne et les Cie ont reçu pas mal de cadeaux de notre marraine, surtout pour les poilus déshérités : la 4ème Cie du C.I.D. a reçu en particulier 2 ballons de foot-ball.

 

Ce matin, exercice habituel jusqu’à 10 heures, on souffre du froid et après jusqu’à 4h ½ on souffre de la chaleur, aujourd’hui particulièrement il a fait aussi chaud que par une belle journée de juin en Normandie, dommage qu’il gèle ainsi pendant la nuit.

 

Vers 7h moins le quart, un avion boche est venu survoler le patelin et alors que je descendais au pays pour l’exercice, plusieurs éclats de nos obus lancés contre lui sont tombés bien près de moi.

 

Cet après-midi, nous allons au tir à Xainfeing, tir sur silhouettes disparaissant, nous sommes rentrés de bonne heure 4h ½ et jusqu’à 5h ½ nous nous sommes amusés à faire une partie de ballon.

Je ne sais toujours rien au sujet de la demande que le colonel du 158 doit faire au C.I.D. qui me concerne, elle ne saurait cependant tarder beaucoup et je crois bien en avoir des nouvelles demain ou après-demain.

Dépenses :

Ø  0f, 70 au café.

Mercredi 13 mars

Temps toujours superbe.

 

Ce matin, même exercice qu’à l’ordinaire.

 

Cet après-midi, les hommes ont travaux de propreté et les sous-officiers doivent aller du côté de Xainfeing assister à un tir indirect de mitrailleuses : c’est ma foi très intéressant et je voudrais pouvoir étudier cela en détail.

Je reçois ce soir une lettre de ma Berthe, mes chéries continuent heureusement à se bien porter.

Entre les heures d’exercice nous passons le temps à jouer au football.

 

Ce soir, je reste un bon moment à bavarder avec les gens de la maison où j’habite : Mr Michel, adjoint de Taintrux, ces gens sont vraiment très « chics » et ce soir ils m’offrent encore un bon petit verre de « gnôle ».

Dans la soirée, le capitaine me demande si j’ai fait un stage de grenadier ou de F.M. afin de me proposer comme instructeur au C.I.D., mais comme je n’ai fait aucun stage, la question est tout de suite résolu.

 

Il paraît que la Cie vosgienne va recommencer un coup de main cette semaine : le capitaine qui commande cette Cie doit être allé reconnaître les emplacements cet après-midi, la division voulant à tout prix des prisonniers pour avoir des renseignements sur ce qu’il y a devant nous dans ce secteur.

Maintenant, il est fort probable que ce coup de main ne donnera pas de meilleurs résultats que le précédent : les boches sont certainement prévenus à l’avance et les villages proches de la ligne de feu, qui ne sont pas évacués, je ne sais pour quelle raison doivent regorger d’espions.

Dépenses :

Ø  mess 6f, 90.

Jeudi 14 mars

Cette nuit, il a gelé un peu moins fort et aujourd’hui le soleil est un peu moins ardent que de coutume.

 

Ce matin : exercice habituel, puis courte manœuvre sous la direction du sous-lieutenant Berthet, manœuvre qui d’ailleurs ne rime à rien.

 

Cet après-midi, les 4 et 8ème Cie vont esquisser 2 petits thèmes de manœuvre au col d’Anozel dans la forêt de sapins qui monte au Kemberg et ainsi le temps se passe sans trop de peine.

La 12ème Cie reste elle à part : le lieutenant Fortin qui la commande ne connaît que l’école du soldat et les malheureux poilus et caporaux de la 8 passent toutes les heures d’exercice à en faire.

Ce Fortin qui vient des bataillons de discipline est une véritable brute et je plains les types qui sont ou sont destinés à être sous ses ordres.

Comme de juste, il n’est pas encore allé au front.

De plus il est galeux au dernier degré : il faut le voir se gratter continuellement, il en est dégoûtant et je ne voudrais même pas lui serrer la main et c’est un véritable danger pour ceux qui l’entourent.

 

Quelques mots sur le pays :

Ce pays très accidenté ne manque pas de jolis paysages, mais un caractère domine dans toutes les Vosges : c’est l’abondance de l’eau, devant chaque maison se trouve une fontaine où la flotte coule gros comme le poing et du moins les poilus peuvent se tenir propres, ce n’est pas comme en Champagne ou même comme à Sauqueuse où les habitants ne veulent pas donner un seau d’eau.

Cette abondance d’eau est facile à comprendre, à cause des montagnes qui dominent les villages et dans ceux-ci il a suffi de creuser des puits artésiens. (*)

Dépenses :

Ø  0f, 00

 

(*) : Un puits artésien est un puits où l’eau jaillit spontanément.

Vendredi 15 mars

Aujourd’hui nous avons marche manœuvre.

Nous partons ce matin à 8 h, passons par les Ripailles et avant d’arriver à Vanemont le 1er exercice commence : cet exercice comporte une marche sous-bois à la boussole avec comme but le pont du chemin de fer avant d’arriver au village de Sarupt. Pour nous, nous n’avons qu’à suivre les élèves des cours de perfectionnement pour sous-officiers et pour caporaux.

Cet exercice est assez pénible et ce qu’il y a de plus dur c’est la traversé d’un ravin à pic.

 

À Sarupt, nous faisons la grande halte de 11h moins le quart à midi ¼.

En revenant par le chemin de terre au M de Sarupt nous faisons  un 2ème exercice : attaque d’une position où se trouvent plusieurs groupes de combat, cela se passe sans trop de peine.

Nous sommes rentrés à Taintrux à 16 heures. Ces marches manœuvres me plaisent beaucoup mieux que les longues heures d’exercice des autres jours et tous les poilus sont du même avis que moi.

Ici comme dans toute la zone des armées, nous sommes très, très bien nourris…

Quelle différence avec l’intérieur !!

C’est inouï : le pain est excellent et nous l’avons à volonté, de plus les plats sont largement suffisants : ce qu’il y a de plus embêtant c’est que les civils nous « estampent » de la belle façon et heureux celui qui peut se passer de leur acheter quelque chose.

Dans les bistrots, le L de vin rouge vaut 2f et celui de vin blanc 2f, 10.

 

Maintenant j’attends d’un jour à l’autre la demande du colonel du 158 au C.I.D. pour me faire retourner à la 1ère Cie.

Dépenses :

Ø  2f, 1 L de vin rouge.

Samedi 16 mars

Cette nuit, il a très peu gelé et dans la journée il fait un temps splendide (une vraie journée de juin en Normandie.)

 

Ce matin : exercice habituel et cet après-midi, travaux de propreté : c'est-à-dire repos pour les sous-officiers, j’en profite pour écrire un peu.

 

Vers 9h, ce matin, nous voyons une escadrille de bombardement française qui d’ailleurs ne va pas très loin car une heure après nous la voyons repasser.

Le sergent major Fiard va cet après-midi à Laveline, toucher le prêt : il parait que le 1er bataillon remonte en ligne ce soir à la côte 607 qui est le point le plus mauvais du secteur, il nous rapporte également quelques tuyaux au sujet de la relève de cadres qui doit se faire le 18.

J’espère que cette fois je vais rejoindre la 1ère Cie.

 

D’après les bruits qui courent le corps d’armée ferait une attaque avant d’être relevé du secteur : la 166ème division est parait-il arrivée en arrière, le 234ème R.I. doit cantonner demain à Rougiville.

Cette attaque aurait bientôt lieu, dans une quinzaine de jours.

Le capitaine Jacquier qui commandait la 1ère C.M. vient au C.I.D. et les lieutenants Mura et Berthet montent au régiment.

 

Cet après-midi, nous allons passer 2 heures à jouer au football, mais par ici il n’y a pas de terrain bien fameux, tous les champs étant en pente, aussi ce n’est pas sans mal que nous avons réussi à en trouver un potable.

Dépenses :

Ø  0f, 00.

Dimanche 17 mars

Ce matin, je fais la grasse matinée et ne me lève qu’à 8h ½.

À la décision d’aujourd’hui, il y a relève des cadres du 158ème.

À la 4ème le sergent-fourrier Bernard, les sergents Prudhomme et Andrillon, le caporal-fourrier Coll montent demain matin au corps actif.

À la 8ème Perrin part également, il va très probablement retourner à la 1ère en remplacement de Gibours blessé. Pour moi, il n’y a toujours rien et cela m’ennuie car la demande du colonel devrait être arrivée maintenant.

 

Dans la soirée, nous voyons passer de nombreux poilus des 158 et 149 R.I. ainsi que du 31ème B.C.P. qui descendent des lignes pour venir suivre un stage à Le Paire sur le F.M., le R.S.C., le canon Brauer ou les grenades.

 

Quelle n’est pas ma surprise lorsque je vois arriver Figeac !!

Il vient pour le R.S.C.

Par lui j’ai quelques tuyaux : la 1ère Cie est montée hier soir à Vessembach, c’est le coin le plus tranquille du secteur, en 2ème ligne, dans le village il y a bistrot, le bureau de la Cie est dans une maison et les sous-officiers ont popote et couchent dans des « pages ».

Les 2ème et 3ème Cie sont montées à la côte 766 : un des plus mauvais coins avec 607.

Dans le secteur le front coïncide presqu’avec la frontière surtout du côté du Violu

Je vais conduire Figeac jusqu’à Le Paire et nous buvons maintes bouteilles, si bien qu’à 10h j’étais encore à Le Paire.

Boutier, Coste, Chauveau, Martin, Renard, poinet et Raccaglia, Gaure, Chabanon, Rescoussié, Coudray sont toujours à la section qui est passé 4ème section.

Dépenses :

Ø  5f au café.

Lundi 18 mars

La gelée a repris cette nuit, aussi malgré le beau soleil de la journée, ce n’est pas un temps idéal pour la culture pour les prés et les blés car il fait vraiment trop sec.

 

Jusqu’à 9h : exercice habituel, de 9h à 10h nous allons à Mauvais Champs passer dans la chambre à gaz : garder le masque 1 heure sur la figure est un exercice assez pénible.

Maintenant nous avons, parait-il, un autre masque qui ne gêne en aucune façon la respiration et qui ressemble assez au masque boche : malheureusement les poilus n’en sont pourvus qu’en réserve, on les leur enlève pour monter en 1ère ligne sous prétexte qu’il faut éviter que les boches les connaissent, c’est ainsi qu’à Laveline tous les poilus de la C.H.R. en sont pourvus.

 

Cet après-midi, nous allons au pied du Kemberg installer quelques groupes de combat sous la direction du capitaine Lambert : l’exercice n’est pas trop pénible, le capitaine est un type vraiment épatant qui comprend les choses et qui ne veut pas « esquinter » les poilus, j’en garderai un très bon souvenir.

 

Ce soir, j’ai la visite du sergent Figeac, ce qui me donne l’occasion de boire un bon litre de vin blanc.

Comme je repassais devant le poste, grand branle-bas : un chasseur a « cogné » sur l’adjudant de bataillon et une fois au poste a cherché à se débiner, je suis arrivé juste au moment où l’ayant rattrapé, le poste aidé de l’adjudant était occupé à le ficeler comme un saucisson.

Voilà encore un type qui n’y coupe pas pour le conseil de guerre et 5 ou 10 ans de travaux publics.

Dépenses :

Ø  2f, 10 – 1L de vin blanc.

Mardi 19 mars-Xainfeing

Ce matin, nous apprenons que le groupe du 158ème R.I. va aller à St Dié remplacer celui du 149ème qui lui va venir cantonner à Taintrux, ce déménagement ne me sourit guère car à St Dié, nous allons être embêté par le service en ville et on est toujours bien moins libre dans une ville que dans une petite bourgade.

 

Ce soir, il est officiel que les 8ème et 12ème Cie se déplacent après demain, le mouvement de la 4ème sera fixée ultérieurement.

 

Cet après-midi, nous allons au tir à Xainfeing et ainsi le temps passe assez vite.

En rentrant, une note du bureau du C.I.D. arrive : un sergent doit partir en renfort après demain, c’est le sergent Bouet qui est désigné : ce sous-officier, professeur libre avant la guerre est un très bon garçon et un bon camarade.

 

Le temps couvert toute la journée se met à la pluie dans la soirée à la grande joie des cultivateurs.

Le poilu qui, hier soir, avait frappé l’adjudant de bataillon, est un type de la « Vosgienne » : il ne connaissait pas l’adjudant, mais avec 2 complices dont 1 caporal, dont il a donné les noms, il s’était promis d’esquinter un sous-officier : une telle mentalité ne sera guère en sa faveur et tous les 3 pourraient bien en attraper pour 5 ou 10 ans.

Il faut avoir véritablement le fond mauvais pour concevoir pareille chose, c’est ignoble.

Cette « Vosgienne » est d’ailleurs un véritable repaire de bandits : ces types ne font absolument rien, aussi ils emploient leur temps à mal faire, en ce moment il y en a bien 6 ou 7 qui sont en prévention de conseil de guerre.

À mon avis on ferait bien de dissoudre cette Cie, qui d’ailleurs n’est d’aucune utilité.

Dépenses :

Ø  0f, 00.

Mercredi 20 mars

Comme la pluie ne cesse de tomber toute la journée, il n’y a pas exercice, aussi la journée me parait mortellement longue.

 

À 13h, le campement du 8 et 12ème Cie part pour St Dié accompagné d’un caporal et de 2 poilus de la 4ème qui vont reconnaître les emplacements de la 4ème du 149.

Nous ne devons paraît-il ne quitter Taintrux que dimanche matin.

 

Cet après-midi, nous voyons passer le 84ème territorial qui va cantonner à Xainfeing et à Rougiville : c’est pour servir d’instructeurs à ces poilus que notre C.I.D. doit laisser ici bon nombres de gradés spécialistes.

 

Ce soir, nous allons assister à une conférence faite par le major sur les gaz : cette causerie est très intéressante mais a le grand inconvénient d’être trop substantielle pour le peu de temps qu’elle dure (1 heure.)

Ces sortes de conférences en montrant les grands dangers que font courir les gaz ne sont pas faîtes pour relever le moral des poilus et pourtant elles sont utiles !!

 

Le sergent Prudhomme qui était en absence illégale depuis dimanche soir est rentré ce matin (2 jours de retard) et il aurait dû monter en renfort lundi matin, aussi il va être probablement cassé.

Ce sergent, instituteur dans le civil, s’est marié il y a quelques mois avec une institutrice qui vient d’accoucher, la pensée de sa femme le hante continuellement, devient pour lui une idée fixe qui le fait mourir d’ennui et est cause de ses fugues.

Toujours il est triste, a le cafard, sa pensée est toujours loin, si bien que de la classe 1910, il parait avoir au moins 31 ans, en voilà au moins à qui la guerre aura fait faire du mauvais sang et à mon avis il est plus à plaindre qu’à blâmer, mais le métier militaire est inexorable et il a déjà 8 jours d’arrêts de rigueur de son lieutenant.

Dépenses :

Ø  2f, 10 – 1L de vin blanc.

Jeudi 21 mars

Ce matin, nous avons repos : il est vrai qu’à la Cie il y a juste 4 hommes disponibles !!

 

Cet après-midi, nous allons au tir à Xainfeing : le capitaine Lambert nous ayant fait toucher des cartouches de revolver, je puis essayer le mien et je profite de ce tir pour « raboter » une vingtaine de cartouches.

 

Ce soir, vers 5 heures le groupe du 149 arrive à Taintrux et d’après les bruits qui courent, nous irions les remplacer à St Dié dimanche matin.

 

Au 228ème R.I. qui a été dissous (*) et fondu dans la 43ème division, il y aurait bon nombre de Normands et en particulier des gars de la Manche et du Calvados, ainsi il est probable que lorsque je vais monter au corps actif je vais trouver quelques compatriotes.

Aujourd’hui le temps s’est remis au beau et l’après-midi surtout a été bon.

Ce soir la température est très douce.

 

Les gradés proposés comme instructeurs pour les territoriaux des 83 et 84ème (**) ont commencé leur travail aujourd’hui. À la 4ème Cie il y a le sergent Bargeon et le caporal Goudon.

Nous n’allons sans doute pas tarder à recevoir des renforts de la classe 18 (***) : il en est déjà arrivé au 1er B.C.P. et au 149 R.I. ainsi il est fort probable que je ne vais pas tarder à revoir le capitaine Coste, les caporaux Michel et Picard, etc.

Depuis mon départ de Romagny, je n’ai rien reçu de La Chapelle et je commence à m’inquiéter au sujet de mon pauvre père.

Dépenses :

Ø  2f, 10 vin blanc

Ø  0f, 10 journal

Ø  8f, 90 popote

           Total  11f, 10

 

(*) : Le 228e RI a été dissous en novembre 1917, ses soldats ont intégré en grande partie la 43e division d’infanterie, division du 158e RI.

(**) : Il s’agit du 1e bataillon du 83e régiment territorial, et du 3e bataillon du 84e régiment territorial, qui étaient affectés provisoirement à la 43e division d’infanterie. Les 2 autres bataillons de ces régiments étant rattachés à d’autres divisions du même corps d’armée. (Source : JMO des 83e et 84e RIT)

(***) : 20 ans en 1918

Vendredi 22 mars-Les dents des Vosgiennes

Ce matin, il y a de nouveau une gelée blanche et dans la journée il fait beau.

 

De 7h ½ à 10h : exercice habituel, le capitaine Lambert fait donner devant nous une leçon de gymnastique et escrime à la baïonnette par un adjudant du 149 qui a fait un stage d’un mois à Joinville-le-Pont et qui vient de l’instruction de la classe 18.

 

Cet après-midi, nous allons travailler à creuser des tranchées qui serviront à l’instruction des territoriaux.

Tout l’après-midi nous avons entendu un fort bombardement du côté de Badonvillers (près de Nancy) bien à gauche du secteur occupé par le 158ème : je n’en ai pas entendu de pareil depuis mon arrivée ici.

D’après les bruits qui courent, le colonel Lefort qui commande le 158 quitterait le régiment prochainement : il sera sûrement regretté de tous, car il était parait-il très chic.

Maintenant il est presqu’officiel que nous quitterons Taintrux pour St Dié lundi matin.

 

Remarque. Depuis mon arrivée dans ce patelin, j’ai fait ainsi que beaucoup de camarades la remarque suivante : tous les habitants et principalement les femmes et les jeunes filles ont de très mauvaises dents, beaucoup de jeunes demoiselles n’ont plus que des chicots dans le devant de la bouche et même n’ont plus rien du tout, cela tiendrait parait-il à l’eau, en tout cas sur le rapport de la dentition, les vosgiennes sont loin d’être favorisées.

 

Toujours pas de nouvelles de La Chapelle, reçu une lettre de ma Berthe et une autre de ma marraine.

Dépenses :

Ø  1f, 80 au café.

Samedi 23 mars

Temps superbe toute la journée : un vrai temps du mois de juin.

 

Ce matin, comme exercice, nous jouons au football avec le cours de perfectionnement.

Pour me distraire, je fais, cet après-midi, l’ascension de La Pierre de Laitre (624 m d’altitude), au sommet de cette colline se trouve un énorme rocher, d’où son nom.

Du haut de ce rocher, on a une vue splendide sur Taintrux et les villages avoisinants (Le Paire, Chevry, Xainfeing, Rougiville), ainsi que sur la vallée de la Meurthe de l’autre côté du col d’Anozel.

 

Dans la soirée, nous apprenons que la 4ème Cie du 158 ne part pas lundi pour St Dié, nous devons encore rester environ 1 semaine ici et aller ensuite relever une des Cie (14ème ou 8ème) qui sont à St Dié où chaque Cie ferait un séjour d’une quinzaine.

Depuis mon arrivée ici, il me semble que j’ai déjà engraissé pas mal, il me semble que je ne suis plus aussi souple, aussi leste qu’avant, que je suis devenu plus lourd, de plus je n’ai pas grand courage et je suis heureux quand je suis assis ou couché.

Il va tout de même falloir que je réagisse un peu et que je prenne un peu d’exercice.

 

Les journaux annoncent aujourd’hui de fortes attaques boches sur le front anglais (*), nous en aurons les détails demain.

Serait-ce le commencement de leur offensive annoncée depuis si longtemps ?

C’est possible, même probable et je crois bien que cela ne va pas tarder également à « cogner ferme » sur le front français.

Dépenses :

Ø  1f, 05 -  vin blanc.

(*) : Oui, les Allemands ont attaqué très fortement à la soudure des forces anglaises et françaises, qui n’avaient pas encore de commandement unique.

Cette bataille est historiquement appelée bataille de l’empereur.

Les Anglais, débordés les premiers jours de l’offensive avaient même envisagé de ré-embarquer leurs troupes. Leur avancée fut de 60 km environ, avancée énorme pour l’époque !

 

Voir ici la page consacrée à cette bataille sur mon site.

Dimanche 24 mars

Comme tous les dimanches, je fais la grasse matinée et ne me lève qu’à 7h ½.

J’emploie une grande partie de mon temps à copier les notes que m’a passées un camarade (Lamaud), notes qu’il a prises au stage qu’il a fait sur le R.S.C.

 

Ce matin, Buissières a repris le chemin pour Laveline, le cours de perfectionnement étant fini.

Sur le journal que nous avons aujourd’hui (journal du 23), il n’y a pas beaucoup de détails sur l’offensive allemande contre le front anglais.

Pourvu qu’ils ne réussissent pas à percer, c’est l’essentiel !!!

Au sujet de cette offensive, maints bruits circulent déjà : les boches auraient annoncé sur leur communiqué, 18 000 anglais prisonniers et 400 pièces de canon prises, ce chiffre de 18 000 prisonniers ne serait pas énorme vu le front (80 km) de l’attaque.

Ce qu’il y a de certain, c’est que la 166ème division qui était arrivée en réserve derrière nous, il y a une dizaine de jours, a embarqué ce matin on ne sait pour quelle destination : les uns disent la Champagne, les autres le front anglais, il paraîtrait également que nous aurions attaqué en Champagne pour soulager un peu nos alliés, mais qu’y a-t-il de vrai dans ces racontars ?

On ne sait !!

En tout cas le front de l’attaque doit être le théâtre d’une formidable boucherie et le déluge de mitraille doit encore y être pire qu’à Verdun…

Enfin espérons !!

 

Le sous-lieutenant Fonck (2ème sur le palmarès de nos as, avec 30 avions à son actif) est de Saulcy-sur-Meurthe, tout près d’ici, il paraît que jusqu’à son entrée dans le métier militaire, ses parents ne pouvaient rien en faire, il était mécanicien dans une usine où travaillent encore ses 2 sœurs.

Dépenses :

Ø  3f, 60 au café

Ø  4f, 90 popote

           Total 8f, 50

 

(*) : René FONCK finira la guerre avec 75 victoires homologuées (certainement presque 130). Il mourra en 1953, après avoir été député.

Lundi 25 mars

Le temps continue d’être splendide et s’il fait ce temps du côté de St Quentin, les boches sont plus chanceux que nous, il est en effet à remarquer que chaque fois que nous avons fait une attaque, nous avons été contrariés par le mauvais temps : le 4 et 7 octobre 1916, la flotte tombait à verse le soir, le 7 novembre, encore pris, l’attaque s’est faite sous une pluie diluvienne, le 23 octobre 1917 pluie le soir ; sous ce rapport nous n’avons pas été favorisés.

 

Ce matin, nous allons continuer à creuser des tranchées et cet après-midi, nous (les gradés) allons à La Pierre de la Ruche assister à un exercice de signalisation qui ne nous apprend rien et ensuite à un exercice de tir indirect au champ de tir de Xainfeing, si bien qu’à 17 heures, nous ne sommes pas encore rentrés : l’ascension et la descente de La Pierre de la Ruche m’a mis les jambes en capilotade et ce soir je suis plutôt fatigué.

 

Les journaux d’aujourd’hui annoncent le bombardement de Paris par une pièce de 210 à longue portée, en position dans la forêt de St Gobain, c'est-à-dire à environ 120 km de la capitale : si cela est vrai les boches nous en réservent de nouvelles tous les jours, toutes plus colossales les unes que les autres.

Pour ma part, je ne crois encore qu’à moitié à ce bombardement et attends sceptiquement plus amples détails.

Leur attaque sur le front anglais se poursuit avec acharnement, nos alliés ont dû se replier à l’ouest de St Quentin, mais le principal, c’est que le front ne soit pas crevé.

Dépenses :

Ø  0f, 00.

Mardi 26 mars

Le temps s’est considérablement refroidi cette nuit et toute la journée, le vent qui souffle du Nord est plutôt froid, même cet après-midi il tombe quelques flocons de neige.

 

Ce matin, l’exercice se borne à aller passer dans la chambre à gaz et de 13 à 16h la Cie va faire quelques exercices de contre-attaque en prévision de l’exercice qui aura lieu probablement après demain avec les territoriaux ; comme c’est l’adjudant Morel qui dirige l’exercice tout se passe en douce.

 

Hier soir, la Cie « Vosgienne » est montée pour faire un coup de main ce matin (5h30), cette fois ils ont réussi à faire 2 prisonniers (territoriaux boches.)

Le coup de main a eu lieu à la côte 607 et la Cie « Vosgienne » a eu 5 ou 6 blessés, dont 2 très grièvement par nos obus. Cette fois les boches ont été surpris car la « Vosgienne » est montée par alerte sans que personne ne soit prévenu à l’avance.

Les poilus sont restés 25 mn dehors, partis à 5h30 ils sont rentrés dans nos lignes à 5h55.

 

Aujourd’hui, nous n’avons pas de journaux et pas mal de bruits circulent au sujet de l’offensive boche : il paraîtrait que les Anglais auraient abandonné Péronne et Ham et se replieraient encore plus à l’ouest, mais qu’y a-t-il de vrai dans ces bruits ? (*)

J’ai enfin reçu aujourd’hui des nouvelles de La Chapelle : je commençais à m’inquiéter sérieusement de ce long silence. J’ai eu également des nouvelles de Lemazurier, mais de Leneveu toujours rien.

 

Hier soir, j’avais une carte du capitaine Tallotte qui me promet la place d’aspirant à la 1ère Cie : j’aurais donc la chance de retrouver bon nombre de camarades.

Dépenses :

Ø  2f, 10 au café.

 

 (*) : C’est vrai.

Mercredi 27 mars

Le temps froid d’hier a amené cette nuit une forte gelée et ce matin les vitres étaient couvertes de givre. Dans la journée par contre, il a fait un temps splendide, même très chaud.

 

La matinée : exercice habituel au stade et cet après-midi nous allons à la côte 592 répéter deux exercices de contre-attaques que nous exécuterons demain contre la classe 18 du 149ème avec comme spectateurs, les territoriaux.

Ces territoriaux qui sont à l’instruction par ici, ne vont sans doute pas tarder à remplacer le 21ème C.A. dans les Vosges.

 

Ce soir, je reçois enfin des nouvelles de La Chapelle qui me rassurent sur l’état de santé de mon pauvre père, il était temps car je commençais à me faire du mauvais sang.

 

Aujourd’hui, nous avons les journaux (en date d’hier) : les allemands ont repris Péronne, Bapaume, Ham, Nesle et se trouvent à peu près à leur emplacement du début de 1917 avant leur retraite, nous apprenons également que les français ont remplacé les anglais du côté de Nesle, aussi nous retournerons peut-être du côté d’Ablaincourt, d’Harbonnières.

 

Ce soir, le bruit court que les français attaquant sur le flanc gauche de l’avance boche auraient fait bon nombre de prisonniers, on parle de 50 000, mais cela me parait bien exagéré et le principal est que l’on réussisse à arrêter ces satanés boches.

Vivement demain midi que l’on ait des nouvelles fraîches !!

Ayant cédé ma chambre à un adjudant du 149ème qui a sa femme ici, je couche avec le caporal fourrier Debenay.

Dépenses :

Ø  0f, 00.

Jeudi 28 mars

Ma nouvelle propriétaire est la mère de l’instituteur de Rougiville et est très chic, elle a un autre fils qui est prisonnier en Allemagne depuis 1915 (combats autour de N.D. de Lorette.)

 

Le temps est superbe, ce matin nous allons exécuter les contre-attaques répétées hier après-midi devant le bataillon du 83ème territorial (*) et cet après-midi, réédition avec comme spectateur le bataillon du 84ème territorial. (**)

Comme exercice c’est le filon, car ce n’est pas pénible et c’est plus intéressant que l’école du soldat : les poilus du 149 qui font l’attaque et que nous contre attaquons ensuite ont plus de boulot que nous.

 

Ce soir, je reçois une 2ème lettre de La Chapelle qui avait été expédiée le 18 alors que celle reçue hier avait été envoyée le 23 mais avec le trafic qui se passe en ce moment ce n’est pas étonnant.

Je suis allé ce midi payer mon ancienne propriétaire et pour les 22 nuits que j’ai passé, il m’a fallu verser 16f, 50 (0,75 par nuit.)

Aujourd’hui, il n’y a pas de journaux, aussi impossible de savoir si le fameux canard qui courait hier soir est vrai, en tout cas les Anglais ont déjà bien reculé.

Pourvu que l’on réussisse à arrêter l’avance allemande !!

 

Après la soupe, nous faisons une bonne partie de football jusqu’à la tombée de la nuit.

Lorsque je serai de retour au régiment, je retrouverai Varache qui est toujours au 1er bataillon comme toubib et nous pourrons former de nouveau une équipe.

Dépenses :

Ø  16f, 50 - loyer de ma chambre.

 

(*) : Il s’agit du 1e bataillon du 83e régiment territorial, qui était affecté provisoirement à la 43e division d’infanterie. Les 2 autres bataillons de ce régiment étant rattachés à d’autres divisions du même corps d’armée.

(**) : Il s’agit du 3e bataillon du 84e régiment territorial, qui était affecté provisoirement à la 43e division d’infanterie. Les 2 autres bataillons de ce régiment étant rattachés à d’autres divisions du même corps d’armée. (Source : JMO des 83e et 84e RIT)

Vendredi 29 mars

Cette nuit, le temps a subitement changé et la pluie est tombée en assez grande quantité.

 

Ce matin, le ciel est couvert et le temps bien incertain, malgré cela nous partons en marche à 8 heures : malgré quelques petites averses, nous n’avons pas trop à nous plaindre, nous passons par l’Épine, le col de Noirmont, Rouges-Eaux (où nous faisons la grande halte) et nous revenons par le Haut-Jacques et Rougiville : ce dernier patelin a été bien « amoché » en 1914 et la plus grande partie des maisons a été démolie et brûlée.

Les bataillons de territoriaux, arrivés dernièrement de ce côté se sont rembarqués ce matin, mais nous ne savons pas pour quelle direction !! (*)

 

Ce soir, je reçois une lettre de ma Berthe et nous avons des nouvelles de l’offensive boche par les journaux : le bruit qui courait avant-hier soir était un canard et les Allemands continuent leur avance, d’après le journal, la ligne passerait par Proyart, nous aurions donc déjà perdu (Ablaincourt, Foucaucourt, etc.)

Le plus embêtant est qu’en arrière d’Harbonnières il ne doit pas y avoir de ligne de repli organisée !!

Les boches veulent atteindre Amiens, centre du grand Q.G. anglais et ainsi couper en deux l’armée anglaise : espérons qu’en dépit de leurs sacrifices, ils ne réussiront pas et que leur échec amènera rapidement la fin de la guerre, en attendant il est fort probable que le 21ème corps d’armée ne va plus rester bien longtemps par ici et déjà des bruits de relève circulent.

 

Ce soir, le temps reste maussade et de la pluie reste à prévoir.

Dépenses :

Ø  2f, 30 – 1L de vin blanc à Rouges-Eaux.

 

(*) : Ils resteront dans les Vosges jusque la fin de la guerre.

Samedi 30 mars

La pluie est encore tombée assez fort cette nuit et toute la journée le temps reste gris.

Cet après-midi nous avons même été légèrement arrosés en rentrant de l’exercice.

 

Ce matin, 3 heures d’exercice habituel au stade.

Ah ! Que ces heures me paraissent longues !!

 

Cet après-midi, nous allons entre Chevry et Le Paire pour un exercice de signalisation auquel je ne comprends rien. J’ai hâte de remonter au corps actif pour en finir avec toutes ces « conneries. »

 

À la décision d’aujourd’hui, l’aspirant Lachamp de la Cie monte en renfort lundi prochain : voilà plus de 8 mois qu’il est au C.I.D. et n’est encore jamais allé au front, bien qu’étant de la classe 13, je crois que cette nouvelle ne le fait sourire qu’à moitié.

Pas de journaux, par suite pas de nouvelles de l’avance boche et comme toujours nombreux canards auxquels il ne faut pas accorder confiance : en tout cas bon nombre de parisiens quittent la capitale pour immigrer vers des lieux plus hospitaliers et surtout moins dangereux : il doit en arriver bon nombre en Normandie et en Bretagne, ainsi que dans le Midi de la France, pourvu que l’on n’apprenne pas bientôt le transfert du gouvernement à Bordeaux !!

 

Quelques mots sur les forêts des Vosges.

Les vastes forêts qui couvrent toutes les hauteurs n’ont comme essences que le sapin (en majorité) et le pin, les forêts de pins se distinguent très facilement des sapins à cause de leur teinte beaucoup plus claire.

La Pierre de Laitre du côté de Taintrux est couverte de pins parmi lesquels se mêle de place en place la tâche plus sombre d’un sapin.

Dépenses :

Ø  7f, 80 – popote.

Dimanche 31 mars

Le temps est toujours mauvais et l’eau ne cesse de tomber de toute la journée. Je passe une grande partie de mon temps à écrire.

D’après les bruits qui courent, la 43ème division serait relevée incessamment et irait une dizaine de jours à l’instruction du côté de Remiremont et de là serait dirigée probablement du côté de la Somme. Il est à peu près certain que pendant ce repos, le régiment va demander un renfort et alors j’espère bien retourner à la 1ère Cie.

 

Aujourd’hui nous avons des journaux, l’avance boche contenue par les français au sud, du côté de Noyon continue au centre, maintenant le front passe par Mondidier, Marcelcave (gare où les permissionnaires prenaient le train lorsque nous étions dans la Somme), ce patelin se trouve à 6 ou 8 km d’Harbonnières (ouest), les Allemands ne doivent plus être bien loin de St-Just-en-Chaussée, de Breteuil, Moreuil, etc.

 

Ce soir, nous apprenons que Moreuil doit avoir été pris, repris et reperdu, voilà donc encore une jolie petite ville aux mains des boches !!

Et ils n’ont plus qu’une quinzaine de km pour arriver à Amiens. (*)

 

Dans ce patelin, les enfants, voire même les grandes personnes font la chasse aux grenouilles qui pullulent dans les nombreux petits ruisseaux et trous d’obus de la vallée.

Nous en avons déjà mangé une fois à la popote et ma foi, ce n’est pas mauvais, malheureusement, il n’y a pas grand-chose à prendre et il ne faut pas avoir faim pour en manger.

Dépenses :

Ø  0f, 10 - journal.

 

(*) : Ils n’atteindront jamais Amiens.

 

 

NOTES DU TRIMESTRE

 

Promotion 1906 – 09 – Ecole Normale St Lô.

 

Adan Ernest.                 S.X.

Allix Gaston.                Mort avant la guerre

Brisset Gustave           Prisonnier de guerre 1914

Coquerel Albert.         Réformé

Decaen Albert.

Esnée Charles.               Tué à la guerre 1914

Gillette Ferdinand.

Hamel Pierre.                Tué à la guerre 1915

Harasse Charles.          S.X.

Herbin

Lanchon Gustave.

Latrouite René.             Grand blessé, amputé bras droit 1917

Leneveu Albert.              S.X.

Lesouef André.              Tué à la guerre 1914

Magnin André.                Tué à la guerre 1917

Onfroy Charles.

Ozenne Paul.                   Exempté

Poupard

Rachinel Edmond.

Tabourel

Avril 1918 – Taintrux (Vosges) - Quelques mots sur la vie au C.I.D – Aumontzey - Ferdinand rejoint le corps actif à Grandvillers – départ pour Néry (Oise) - Lacroix-Saint-Ouen - Les différents chars français

Lundi 1er avril-Taintrux, Vosges

La pluie n’a cessé de tomber à verse toute la nuit et le temps reste très mauvais toute la journée.

Aujourd’hui c’est jour férié, en conséquence, il n’y a pas exercice mais simplement quelques revues d’armes et de chaussures cet après-midi.

 

D’après les bruits qui courent, un bataillon du 149ème serait déjà relevé et aurait embarqué pour le camp d’Arches (entre Épinal et Remiremont), la division va être certainement relevé en entier d’ici 2 ou 3 jours.

 

Ce matin, l’aspirant Lachamp a quitté le C.I.D. pour rejoindre le corps actif : il va tout de même faire connaissance avec M.M. les boches !!!

J’espère qu’il ne va pas être affecté à la 1ère Cie où la place me sera réservée.

Au régiment, d’ailleurs, il manque d’ailleurs bon nombre d’aspirants, il n’y en a pas à la 1ère, 3ème, 5ème et 11ème Cie.

 

Ce soir, je reçois une lettre de ma Berthe (1 poisson d’avril) et une 2ème de La Chapelle. Heureusement tous mes êtres chers se portent bien !!

Les journaux de ce jour n’annoncent pas grande modification au front : le général Foch est désigné pour exercer le haut commandement des armées alliées, cette offensive boche aura tout de même eu pour effet de nous faire arriver à l’unité de commandement : ce sera du moins un résultat appréciable.

 

Ce soir vers 19 heures, nous entendons un fort marmitage du côté du col du Bonhomme, ce doit probablement être un coup de main.

Dépenses :

Ø  0f, 10 - journal.

Mardi 2 avril

Le temps est toujours très mauvais et la pluie continue à tomber, malgré cela nous partons pour l’exercice à 7 heures car à partir d’aujourd’hui le réveil est à 6 heures : c’est tout de même un peu trop matinal surtout pour le travail que l’on fait. Maintenant l’exercice du matin qui durera de 7h à 10h ¼ sera vraiment mortel.

La pluie continuant à tomber, nous faisons demi-tour à 8h, mais nous sommes déjà bien trempés.

Ce soir, nous allons au tir (10 balles à 250m.)

 

Le 3ème bataillon du 158ème est maintenant relevé.

J’apprends ce soir une nouvelle qui ne me fait pas plaisir : l’aspirant Lachamp est affecté à la 1ère Cie, voilà un loustic que me joue un vilain tour, car il est certain que c’est lui qui a demandé à être affecté à la 1ère alors qu’il savait pertinemment que je désirais y retourner.

J’espère bien avoir un jour l’occasion de lui faire payer cette « vacherie » car n’étant jamais allé aux tranchées il n’aurait pas dû avoir de préférence pour telle ou telle Cie.

Malgré cette affectation faite au bureau du colonel par l’adjudant Page, je ne perds pas tout espoir de retourner à la 1ère, j’ai confiance en la parole du capitaine Allène et surtout dans celle du capitaine Tallotte qui m’avait bien promis de me réserver la place à la 1ère, je serai certainement fixé dans une dizaine de jours car d’ici là je monterai probablement moi aussi au corps.

 

D’après les bruits qui courent nous quitterions Taintrux samedi ou dimanche.

Aujourd’hui, peu de chose sur les journaux, si ce n’est la résistance victorieuse de nos troupes.

Dépenses :

Ø  0f, 10 – journal.

Mercredi 3 avril

Ce matin, tous les nuages sont dissipés et le temps promet d’être beau.

La matinée se passe à faire l’exercice habituel : service, gymnastique, instruction du grenadier, etc. Nous sommes sous la direction du lieutenant Ronssin du 149ème et c’est plutôt la barbe, au cours de l’exercice, ce lieutenant vient trouver le sergent Lamaud pour lui faire prendre une attitude moins nonchalante !!

 

Ce midi, le rassemblement est à 12h30, nous passons par la bourse prendre 5 caisses de grenades que nous allons ensuite balancer au terrain de Chevry, ensuite il nous faut aller au champ de tir de Xainfeing, si bien que nous rentrons à 17H ½.

Décidément ici, nous n’avons guère de temps de disponible et les poilus souhaitent partir le plus tôt possible au corps.

 

En passant ce midi dans le bourg de Taintrux, la Cie a été arrêtée par le commandant Dufor qui commande le C.I.D. (jambe de laine comme l’appellent les poilus, à cause de son pied en bois), et ce commandant engueule le sous-lieutenant Pouveau parce que 2 poilus n’avaient pas leurs pans de capote relevés.

 

Ce soir j’écris une lettre au capitaine Allène au sujet de l’affectation de l’aspirant Lachamp à la 1ère. Voici ce que je lui mets :

« Mon capitaine.

J’ai été péniblement surpris hier soir, lorsque j’ai appris l’affection de l’aspirant Lachamp à la 1ère Cie, j’osais espérer, en effet, que la place étant libre me serait réservée. Je me demande pour quel motif l’aspirant Lachamp a demandé à être affecté à la 1ère, alors qu’il n’est jamais allé au front et que par conséquent il ne devait pas avoir de préférence pour telle ou telle Cie. Serait-ce parce que je lui avais fait part de mon désir d’y retourner.

En tout cas ce n’est pas très chic de sa part. Malgré tout j’ai confiance et j’espère que cette affectation faite au bureau du colonel n’est pas définitive et que d’ici peu j’aurai le plaisir d’aller vous retrouver.

Dépenses :

Ø  0f, 00.

Jeudi 4 avril

Le temps est couvert et annonce la venue prochaine de la flotte.

Ce matin, après 1 heure de gymnastique nous allons passer dans la chambre à gaz et cet après-midi, il y a une petite manœuvre à double action avec le 149ème R.I. : attaque et contre-attaque, le capitaine Lambert qui dirige l’exercice nous réserve le rôle le moins pénible, si bien que le temps passe sans trop de mal.

La pluie tombe par petites averses.

Les sous-officiers à solde mensuelle touchent leur rappel, ce qui fait à chacun plus de 500f.

Avec leur récente augmentation, les sous-officiers à solde mensuelle touchent maintenant plus de 150f de plus que les sous-officiers à solde journalière, c’est vraiment exagéré lorsque l’on considère que tous font le même travail : je me demande comment il n’y a eu aucune interpellation à la chambre à ce sujet, mais je crois bien que nos dirigeants seront obligés d’augmenter également les soldes journalières d’ici peu de temps.

 

Composition du 21ème C.A.

4 Divisions :

13ème

43ème

167ème

170ème D.I.

13ème D.I. :

21ème R.I.

109ème R.I.

20ème B.C.P.

21ème B.C.P.

 

43ème D.I. :

149ème R.I.

158ème R.I

1er    B.C.P.

31ème B.C.P.

 

167ème D.I. :

172ème R.I.

174ème R.I.     

409ème R.I.

10ème B.C.P.

 

170ème D.I. :

17ème R.I.

116ème R.I.

3ème B.C.P.

 

Dépenses :

Ø  0f, 80 café.

Vendredi 5 avril-Quelques mots sur notre vie au C.I.D.

Aujourd’hui nous avons marche manœuvre, le départ est à 8 heures : nous passons par Le Paire, le col de Moirmont, Rouges-Eaux et revenons par Chevry et Xainfeing, en tout une vingtaine de km.

La pluie qui nous accompagnait au départ a cessé au cours de la marche qui n’a pas été trop pénible et à 3h ½ nous sommes de retour. Pour la grande halte, nous avons eu la veine de trouver une maison où nous avons été très bien.

Les journaux d’aujourd’hui n’annoncent pas grand nouveau, la lutte se stabilise, mais les boches concentrent de nouveau d’énormes forces en arrière des lignes et vont très probablement tenter un 2ème coup et la grande bataille va certainement encore durer 1 ou 2 mois.

 

Quelques mots sur notre vie au C.I.D.

Ici la vie est loin de ressembler, même de loin, à celle des combattants du corps actif.

Entre les poilus et même entre sous-officiers il n’y a pas la même camaraderie qu’au front.

Sitôt le repas fini, chacun de nous s’en va de son côté : il n’y a plus ces bonnes parties de cartes, ces longues soirées que je passais avec les camarades lorsque j’étais à la 1ère Cie. On sent qu’entre sous-officiers il n’y a aucune sympathie, mais bien l’indifférence la plus complète.

Ah ! Quand donc retournerais-je au corps actif ??

 

Aujourd’hui, au cours des grenadiers il y a eu un accident assez grave : une grenade O.F. lâchée maladroitement par un poilu a blessé 7 types dont 1 assez grièvement.

Dans ces exercices, on ne prend jamais assez de précautions : tout est assez bien jusqu’au jour où arrive un accident.

Dépenses :

Ø  1f, 40 – blanchissage.

Samedi 6 avril

Pour assister à l’exercice de cadres, il faut se lever à 6h, le rassemblement de tous les sous-officiers du C.I.D. de la 43ème D.I. doit avoir lieu à 7h au S.O. des Basses-Fossés, mais comme toujours les ordres sont imprécis et le rassemblement était au S.O. des Hautes-Fossés, si bien que nous arrivons avec une demi-heure de retard au champ de tir.

 

Le capitaine adjoint au commandant du C.I.D. nous tient pendant 2 heures sous une pluie battante : il fait de plus exécuter plusieurs bonds et tirs par les sergents qui doivent se coucher et ramper dans la boue.

Ce capitaine Coutal, ne m’a pas l’air très facile et à ce point de vue il remplace avantageusement le capitaine Poupard qui est parti comme adjudant-major au 3ème bataillon du 158ème.

 

Cet après-midi, travaux de propreté et revues.

Aujourd’hui, pas de journaux.

Certains bruits circulent au sujet de la 43ème D.I., notre division irait au camp d’Arches pendant une quinzaine de jours avec des américains pour donner ensuite un coup ensemble dans cette région.

J’ai hâte de savoir si l’aspirant Lachamp va rester à la 1ère Cie, si oui, je n’aurais plus confiance en la parole de n’importe quel officier, car d’après ce que m’avaient écrit les capitaines Allène et Tallotte, je me croyais bien certain d’y retourner : en tout cas je garde précieusement leurs lettres.

 

Ainsi que tous les autres soirs de cette semaine, je vais passer la soirée chez les personnes où je couche : Mme Vve Balthazar et de cette façon le temps passe assez vite sans trop d’ennui.

Dépenses 

Ø  0f, 00.

Dimanche 7 avril

Toute la nuit mon camarade de lit, le caporal-fourrier Debeinay a souffert du mal de dents et n’a fait que tourner et retourner, aussi la nuit a été plutôt mauvaise.

Ce matin, lorsque je descends à 8 heures, j’apprends que le 1er bataillon est passé par Taintrux vers 5 heures ½, il allait cantonner à Biffontaine, patelin situé à environ 14 km. D’ici, cela va lui faire une bonne étape.

Parti de Laveline vers minuit, il n’est certes pas arrivé à destination avant 9h ½.

Le temps reste pluvieux, aussi je suis contraint de passer une grande partie de la journée enfermé.

Ainsi qu’hier, nous n’avons pas de journaux, cela m’embête car je voudrais bien avoir des nouvelles de l’offensive boche qui d’après les bruits qui courent aurait recommencé.

 

Ce soir, à la popote nous passons quelques instants à dire des devinettes, charades, etc. J’en profite pour placer mon fameux truc de la racine cubique exacte d’un nombre de 2 chiffres qui épate un peu les camarades.

 

Toujours rien de nouveau au sujet de notre déplacement, nous ne savons toujours pas quand nous quitterons Taintrux et peut-être resterons-nous ici encore une dizaine de jours !!

Encore un nouveau tuyau : les 13ème et 43ème D.I. qui ont déjà fait l’attaque du 23 octobre dans l’Aisne, auraient réclamé, disant que c’était au tour des 167ème et 170ème D.I. d’attaquer : nous ne manquons pas de tuyaux, mais c’est comme toujours ils « crèvent » souvent.

Dépenses :

Ø  14f, 25 – popote

Ø  2f, 20 – café

           Total 16f, 45

Lundi 8 avril

La pluie n’a cessé de tomber à verse toute la nuit, mais par malchance elle cesse de tomber ce matin et ainsi nous devons aller à l’exercice.

Depuis quinze jours, la Cie a décuplé sont effectif : au lieu de 5 à 6 poilus que nous avions à l’exercice lorsque je suis arrivé au C.I.D., maintenant il y en a entre cinquante et soixante, aussi ce n’est plus la pause et ça barde.

 

Cet après-midi, nous allons au col d’Anozel, où sous la direction du capitaine nous prenons les différentes formations de combat de la section : formations d’approche, de combat, d’assaut ; tout cela pour recommencer demain, afin d’instruire les chasseurs à cheval qui sont à Rougiville.

 

Ce soir, en rentrant de l’exercice nous apprenons que le 149ème envoie au corps demain matin un renfort de 50 poilus.

Après la soupe, nouveau tuyau : le 158ème doit fournir après demain matin un renfort de 150 poilus, 15 caporaux pour le corps, mais nous ne savons pas s’il y aura d’autres gradés : j’espère cette fois dire adieu au C.I.D. et rejoindre le 1er bataillon.

 

À la Cie, rentre l’aspirant Devaux qui était instructeur au stage de grenadiers.

Voilà un poilus avec lequel je ne m’accorderai certainement pas : il n’est d’ailleurs pas sympathique auprès des sous-officiers de la 4ème qui l’ont connu : c’est le type qui se croit supérieur à tous les autres, qui emploie les phrases ronflantes, les grands mots pour les choses les plus simples et qui d’ailleurs ne fréquente aucun camarade.

C’est également le type pessimiste à outrance, d’après lui les boches seraient à Amiens et dans 2 mois nous aurons signé la paix.

Dépenses :

Ø  0f, 10 – journal.

Mardi 9 avril

Ce matin, pas de nouveau au sujet du renfort et l’exercice habituel a lieu : gymnastique, puis passage dans la chambre à gaz.

Au retour, nous apprenons que la 4ème Cie doit fournir 2 sergents, 5 caporaux et 47 poilus.

Pour tout le renfort, il ne part qu’un adjudant (Pasquet) 8ème Cie, me voilà donc destiné à devenir un pilier du C.I.D. et cela bien contre ma volonté.

Maintenant la Cie va avoir un effectif très réduit, à peine une dizaine de types à l’exercice.

 

Cet après-midi, je suis désigné par le capitaine pour conduire les poilus qui doivent partir en renfort au terrain de gymnastique de Chevry où le capitaine adjoint-major Contal doit leur passer la revue.

Le rassemblement est à 15 heures, la revue à 16 heures : le capitaine Contal ne trouve rien à dire, mais ne nous lâche qu’à 17 heures, si bien que nous ne sommes rentrés qu’à 17h ½.

 

Au renfort partent les sergents Desgranges et Bargeon et comme poilu Fave de ma section repart.

À la décision d’aujourd’hui, nous apprenons que le C.I.D. doit se déplacer demain : on parlait d’abord pour 6h du matin, mais vers 19h nous avons l’avis officiel que le départ aura lieu après la soupe du matin, nous devons aller à Aumontzey près de Laveline devant Bruyères ou à Jussarupt, à environ une vingtaine de km d’ici, nous devons passer par Biffontaine où je pourrai voir les anciens copains de la 1ère Cie.

Dépenses :

Ø  2f, 20 – vin blanc.

Mercredi 10 avril-Aumontzey

À 5h ½ je me lève, car il faut que je fasse ma cantine qui doit être rendue au poste de police pour 9 heures.

La patronne où je couche ne veut rien accepter pour m’avoir donné l’hospitalité pendant une quinzaine, elle est vraiment très « chic » et j’en garderai un très bon souvenir.

Adresse « Mme Vve Balthazar – Les Basses-Fossés à Taintrux, Vosges. »

 

La soupe est mangée à 9 heures et à 10h ½ nous quittons Taintrux. Nous passons par l’Épine, la Bource (point initial où les 1er et 31ème B.C.P. prennent la tête de la colonne), Vanémont, La Houssière, Biffontaine, où contrairement aux indications que possédions nous ne trouvons pas traces du 1er bataillon, non plus qu’à Les Poulières à 2 km plus loin.

Depuis Vanémont nous suivons le côté N de la voie ferrée jusqu’à Laveline où nous obliquons vers le sud pour gagner Aumontzey où nous arrivons vers 17h ½.

Les cantonnements affectés à la Cie sont loin de valoir ceux que nous avons quitté à Taintrux : le plus embêtant c’est que le commandant Dufor ait son bureau juste en face de nos cantonnements.

 

Nous apprenons que le corps actif a fait mouvement ce matin et est allé à une quinzaine de km plus au Nord. (*)

Le renfort qui est parti ce matin de Taintrux a donc dû s’appuyer plus de 35 km avant de rejoindre le corps : les poilus devaient certainement « râler ».

Ici le pinard est encore plus cher que je ne l’avais jamais vu : 2f, 40 le L de vin rouge et 2f, 50 le L de vin blanc.

Dépenses :

Ø  3f, 55 – vin et journal.

 

(*) : En effet, le 158e régiment d’infanterie cantonne dans les villages de Granvillers, Le Grand-Mont, le Petit-Mont et Frénifontaine

Jeudi 11 avril

Bien que j’aie couché sur la paille, j’ai passé une bien bonne nuit.

Ce matin : travaux de propreté et d’aménagement des cantonnements.

 

À 10h, surprise agréable : les 1er et 31ème B.C.P. quittent Aumontzey sitôt après la soupe, ils vont être accompagnés par le commandant et l’infirmerie et vont aller à Jussarupt à la place du 149 qui va cantonner à Herpelmont.

Maintenant nous allons avoir de la place en rabiot et tous les sous-officiers vont pouvoir coucher dans un lit.

 

Cet après-midi : continuation du travail de ce matin et à 17h nous faisons une partie de football qui est tôt interrompue par suite d’un accident survenu au sergent major Demollieus, qui reçoit un coup de pied en pleine figure, il a le cartilage du nez troué et perd pas mal de sang, si bien qu’on doit aller à Jussarupt chercher l’infirmier.

Quelle n’est pas ma surprise ce soir lorsque je vois arriver Coste Elie, il est venu de Grandvillers à ici pour me voir : il ne s’en fait toujours pas.

 

Le régiment est en ce moment à Grandvillers et ne sait ce qu’il va faire : on dit qu’un bataillon du 149 est remonté en secteur par ici, que le 12ème d’artillerie serait également remonté.

Qu’y a-t-il de vrai dans tous ces bruits ?

Je passe une grande partie de la soirée en compagnie de Coste et de Desmons.

Aujourd’hui, Bouzon, ancien poilu de ma section rentre à la Cie : il avait été évacué pour bronchite.

Dépenses :

Ø  2f, 25 – vin blanc.

Vendredi 12 avril-Grandvillers

Je rejoins le corps actif. Grandvillers. (*)

 

Ce matin, continuation de l’aménagement des cantonnements pendant que le capitaine nous fait une petite théorie sur le combat offensif des petites unités. Pendant ce temps, une note arrive au bureau : les 3 aspirants du C.I.D. : Devaux, Restuit et moi doivent rejoindre le corps actif à Grandvillers et quitter Aumontzey à midi.

Avant de partir je fais encore une partie de football et à midi en route pour Grandvillers : ceci est du moins un départ précipité, nous passons par Laveline, puis par Bruyères où nous nous rafraîchissons un peu car il fait très chaud.

Après Bruyères je rencontre Coste Elie qui va se promener tranquillement à Bruyères.

 

À 4h, nous arrivons à Grandvillers. Désirant faire mon possible pour retourner à la 1ère Cie, je vais trouver le capitaine Tallotte avant d’aller au bureau du colonel.

Je puis constater combien nous (pauvres sous-officiers) sommes indifférents à ces messieurs : pourvu qu’ils puissent faire la bombe, ils s’en « foutent » complètement, il me promet bien de me faire aller au 1er bataillon, mais cela va être probablement à la 3ème Cie.

Hélas, cela se réalise bien et je suis affecté à la 3ème où je ne connais personne et pourtant à mon avis il aurait été bien facile de faire permuter Lachamp qui m’a volé ma place à la 1ère, mais ce serait trop de tracas pour ces Messieurs !!!

Je suis profondément dégoûté et cela m’ennuie, d’autant plus que nous sommes appelés à donner d’ici peu un coup de chien et que je ne connais pas ce que valent les poilus que je suis appelé à commander.

Reçu :

Ø  33f, 25 (prêt.)

Dépenses :

Ø  4f au café

Ø  8,50 – popote.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Samedi 13 avril-Le départ, Bruyères

Nous embarquons à Bruyères. (*)

 

Bien que j’aie couché dans un très bon lit, j’ai mal dormi, je suis furieux de mon affectation à la 3ème Cie, il est tout de même malheureux de constater qu’un blanc bec, n’ayant jamais monté au front ait pris ma place : place, qui s’il y avait un peu de justice aurait dû m’être réservée.

Enfin, malgré cette « crasse » qu’on m’a faite, il faut bien se faire une raison et je passe une partie de ma matinée à faire connaissance avec mes nouveaux poilus qui, je crains bien, ne vaudront pas mes anciens de la 2ème section de la 1ère Cie.

 

À 9 heures, les sous-officiers vont assister à une petite conférence sur les gaz, causerie faite par le lieutenant Delarue qui est au bataillon.

À la fin de cette causerie, le capitaine de Mouy de Sons qui commande la 3ème Cie me présente au capitaine du Cor de Damrémont qui commande le 1er bataillon : comme le colonel, ce capitaine m’accueille favorablement, parlant de ma bonne réputation au régiment, me disant qu’il est heureux de m’avoir au bataillon, toutes ces belle paroles me font plaisir, mais j’aurais encore préféré moins de félicitations et être affecté à mon ancienne Cie.

J’en garde rancune aux capitaine Allène et Tallotte et je n’irais même pas rendre visite au capitaine Allène.

 

Cet après-midi, après 1 heure de jeux, les poilus montent leurs sacs, car nous devons embarquer ce soir à 20 heures. Nous quittons Grandvillers à 6h ½.

À Bruyères, on nous distribue 2 jours de vivres de chemin de fer et nous attendons sur un terrain proche de la gare pendant plus de 3 heures.

 

Enfin à minuit, nous embarquons, nous ne savons pour quelle direction.

Aujourd’hui, j’ai eu le plaisir de boire un bon canon avec l’ami Boudon.

Dépenses :

Ø  4f au café.

        

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Dimanche 14 avril-Voyage en train

Dans le wagon où je suis, nous sommes empilés les uns sur les autres : 29 dans un petit wagon à bestiaux, aussi nous ne pouvons-nous étendre et de toute la nuit nous ne pouvons fermer l’œil.

Nous passons par Mirecourt, Neufchâteau, St Dizier, Châlons-sur-Marne, Épernay, Château-Thierry, où nous touchons enfin le jus que nous aurions dû avoir ce matin et que nous n’avons qu’à 19h ½.

 

Cette journée m’a paru abominablement longue et ces voyages dans ces compartiments à bestiaux ne me sourient pas du tout.

Enfin nous savons de quel côté nous nous dirigeons, ce sera soit du côté de la Somme, soit encore plus au Nord, du côté de Bailleul, où ça chauffe en ce moment ; les Anglais y ont déjà reculé d’une quinzaine de km en 4 jours et si cette avance boche continuait, l’armée anglaise opérant entre Armentières et la mer du Nord, serait en mauvaise posture.

 

Pendant toute la journée, nous avons dû nous contenter de singe : heureusement encore qu’à Épernay nous pouvons trouver 2L. de pinard qui nous aident à finir la journée.

Les journaux d’aujourd’hui annoncent que Bolo (*) sur le point d’être exécuté s’est décidé à faire de graves révélations à la justice et son exécution a été retardée pour permette à la justice de l’entendre.

 

Après Château-Thierry, je ne sais pas par où nous sommes passés, car je réussis à dormir un peu mieux que la nuit précédente.

Avec ces déplacements, nous allons rester certainement quelques jours sans nouvelles.

Dépenses :

Ø  5f donnés à mon tampon.

 

(*) : Accusé d'intelligence avec l'ennemi, Paul Bolo, aventurier français, philanthrope,  sera condamné à mort le 14 février 1918 et fusillé le 17 avril suivant. Voir  >>>  ici  <<< pour plus de détails sur cette affaire qui a empli les journaux d’époque.

Lundi 15 avril-Secteur de Néry, Oise

Vers 3 heures du matin, nous sommes réveillés en sursaut par la garde de police du train qui appelle l’équipe de débarquement pour descendre les voitures : nous voilà donc arrivés mais ce n’est que 2 heures plus tard que nous savons où nous sommes : c’est une petite gare, non loin de Compiègne : Béthisy-St-Pierre.

 

Une fois descendus, nous gagnons le patelin où nous devons cantonner : nous passons par le village de Vaucelles et à 7 heures nous sommes arrivés à destination : Néry.

Heureusement la marche n’a pas été trop longue, à peine 5 km. Maintenant nous savons du moins, approximativement, de quel côté nous serons engagés : ce sera probablement du côté de Noyon.

 

Dans ces pays, ce n’est plus comme dans les Vosges, il n’y a pas une fontaine où l’eau coule gros comme le bras devant chaque maison : ici, c’est comme dans la Somme, les puits ont une quarantaine de m de profondeur et c’est tout juste si on trouve de la flotte pour se laver.

Les maisons non plus sont bien différentes : nous nous rapprochons du Nord, les murs sont très peu épais et faits en torchis.

La section est logée dans une très grande ferme (environ 200 ha d’exploitation.)

Avant la guerre ce devait être une belle ferme, mais comme partout ailleurs on sent le laisser-aller : les cours et bâtiments sont sales, l’électricité qui avant la guerre éclairait tous les bâtiments ne fonctionne plus…

 

Toute la journée, nous avons peu de chose à faire et cet après-midi nous faisons une bonne partie de football.

À la 4ème section où je suis affecté, j’ai retrouvé le sergent Desgranges que j’avais connu au C.I.D.

Dépenses :

Ø  6f au café.

Mardi 16 avril

J’ai passé la nuit sur la paille dans un grenier et j’ai, ma foi, très bien dormi.

 

Ce matin, il y a installation des cantonnements et les poilus doivent nettoyer la grande cour de la ferme qui est dégoûtante, aussi le boulot ne manque pas.

 

À 8h30, il y a revue par le capitaine et à 9h45 par le capitaine commandant le bataillon qui me félicite pour la bonne tenue de la section : je préfèrerais un peu moins de félicitations et un peu plus de considération pour les demandes que je fais.

À la Cie se trouve le sous-lieutenant De Pierrefeu, ancien poilu de la 1ère Cie et aspirant de la 2ème, célèbre dans tout le régiment pour sa connerie.

Notre capitaine ne m’a pas fait bonne impression et il n’est pas non plus sympathique à la Cie : il est parait-il très froussard aux tranchées et emmerde les poilus au repos.

 

Cet après-midi, nous allons à l’exercice, mais pour moi cela se borne à jouer au football (match entre la 1ère C.M. et la 3ème Cie) nous nous faisons battre par 5 buts à 4.

Je suis toujours sans nouvelles de mes chéries et je commence à trouver le temps long, pourvu que ma Berthe ne reste pas elle aussi sans nouvelle de son petit !!!

Nous devons paraît-il quitter Néry demain pour nous approcher du côté de Compiègne : il y aurait paraît-il 7 ou 8 divisions massées dans ce coin avec plusieurs corps d’armée italiens.

Dépenses :

Ø  popote 8f – 2f au café.

Mercredi 17 avril - Lacroix-St-Ouen

Arrivée à la Lacroix-St-Ouen. (*)

 

Ce matin, revue en tenue de départ par le capitaine à 8h45.

À ma section se trouvent plusieurs phénomènes dont Lecreux qui me fait l’effet d’un sale individu.

 

Rassemblement pour le départ à midi 15 et départ de Néry à 12h30, nous passons par Béthisy-St-Pierre, St Sauveur et à 15h ½, nous arrivons à Lacroix-St-Ouen.

En arrivant dans la bourgade, le régiment défile devant le drapeau et le général Michel.

Nous sommes logés avec la 1ère Cie dans un grand baraquement où se trouvaient avant des prisonniers boches.

Étant avec la 1ère Cie, j’ai l’occasion de revoir à peu près tous les poilus de mon ancienne section et Faure me passe la photo de la section prise à Montgobert par De Rivoire. (**)

 

Tout le régiment se trouve dans le même patelin et je revois Boudon et Sinion, ce dernier est à la 9ème Cie.

Je réussis à trouver un lit, j’en suis très heureux car parait-il, la paille du cantonnement est pleine de puces.

Le moral des poilus baisse de plus en plus depuis que les permissions sont suspendues, et il serait temps que nous donnions le coup de chien, car si l’on continue à se promener comme cela encore quelques temps, je crains fort qu’il n’y ait encore de la rouspétance.

Je suis toujours sans nouvelle de ma chérie, espérons que demain me sera plus favorable !!

D’après les journaux d’aujourd’hui, Bolo aurait été fusillé ce matin.

Dépenses : 4f, 20 au café.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : Dommage qu’elle ne soit pas parvenue jusque nous !

Jeudi 18 avril

Après une bonne nuit, je me lève à 6h ½.

La matinée se passe à nettoyer un peu le manège où les poilus sont logés : on fait enlever toute la paille et on en apporte d’autre.

J’apprends sans aucun plaisir que je suis de garde demain avec toute ma section (1 aspirant, 2 sergents, 4 caporaux, 20 hommes.)

 

Ce midi autre nouvelle : la 3ème Cie quitte le manège pour aller cantonner ailleurs, les poilus doivent remonter leur sac et être rassemblés pour 13h.

Le capitaine De Moïy nous emmène faire de la gymnastique dans le bois, les hommes ayant tout leur « barda » sur le dos : il est tout de même triste de voir pareilles stupidités et on comprend pourquoi les poilus en ont « marre ».

 

À 14 heures, je rentre à notre nouveau cantonnement avec ma section qui est logée dans une seule maison, dans cette maison, j’ai un lit où je serai très bien couché.

 

Ce soir, j’apprends que désormais il n’y aura plus qu’une ½ section de garde et que demain il y aura manœuvre pour tout le régiment, en conséquence le réveil aura lieu demain à 5 heures pour partir à 6h20.

Toute la soirée le canon fait rage et le bruit court que les boches auraient reculé d’environ 8 km du côté de Noyon : il est fort probable que d’ici peu nous allons prendre part à la danse, j’en suis d’ailleurs fort heureux et le plus tôt sera le mieux.

Le sergent Desgranges qui était à ma section, nous quitte demain matin pour retourner au C.I.D.

Aujourd’hui, enfin, j’ai reçu 4 lettres de mes chéries, ainsi qu’une autre de La Chapelle.

Avec tous les ordres pour la manœuvre de demain, je ne puis me coucher avant 10h30.

Dépenses :

Ø  1f, 50 au café

Vendredi 19 avril

Comme il y a manœuvre du régiment, le réveil est à 5h15 et le rassemblement à 6h20. Pour nous, la manœuvre se borne à une marche sous bois et comme toujours cela ne rime à rien.

 

Au cours de la manœuvre, je rencontre le capitaine Allène qui m’adresse la parole : à l’entendre ce n’est certes pas sa faute si je n’ai pu retourner à la 1ère Cie, il m’engage même à parler au commandant afin de permuter avec l’aspirant Lachamp, me disant que si j’étais à la 1ère, il me ferait avoir la médaille militaire à la 1ère occasion qui ne tardera pas à se présenter.

Mais tout cela me dégoûte, je sais qu’il n’y a rien à faire et que je devrais rester à la 3ème : cela me donne un cafard formidable et maintenant je voudrais n’être jamais revenu au 158ème, peut-être même vais-je me décider à faire une demande pour l’aviation.

 

Notre capitaine De Moïy me dégoûte profondément : il n’a absolument rien de ce qu’il faut pour commander une Cie, il méprise les poilus, probablement parce qu’ils ne sont pas de sa caste noble, aussi il est très mal vu de tout le monde et même je crains fort que lorsqu’il va falloir entrer dans la fournaise il n’y ait de la « rouspétance ».

Ah ! J’ai grande envie maintenant de quitter le régiment et sitôt après le coup de chien, si je m’en tire comme j’en ai la conviction, je demanderai soit à passer dans l’aviation soit à repartir pour Salonique.

 

Ce soir, je me ballade un peu avec Figeac et causons ensembles de nos déboires.

Le bruit qui courait hier soir et suivant lequel les boches auraient reculé de 8 km en face de nous persiste toujours, nous saurons cela exactement demain par les journaux.

Dépenses :

Ø  4f, 50 au café. 

Samedi 20 avril

Ce matin, enfin il y a travaux de propreté, aménagement des cantonnements et nettoyage des armes : ce n’est pas trop tôt !!

 

Cet après-midi, nous allons recommencer la fin de la manœuvre d’hier, près de la station de Verberie : le temps est heureusement meilleur qu’hier et ce n’est pas trop pénible.

 

Cette nuit, il a gelé assez fort et je crains bien que cette gelée n’ait beaucoup de mal aux pruniers et poiriers en fleurs.

Ainsi qu’hier, la nuit, les aviateurs boches ont profité du clair de lune pour venir lâcher des bombes dans les environs.

 

Hier soir, Figeac m’a annoncé que le bruit courait que Mourey (ancien sergent de la 1ère Cie passé dans l’aviation), s’était tué accidentellement, si c’est vrai, ceux qui sont partis de la 1ère pour l’aviation n’ont pas eu de chance : le caporal Pernod doit être maintenant amputé d’une jambe et Jabiol était de retour à Valréas, alors que je m’y trouvais, comme inapte.

D’après les bruits qui courent, nous resterions encore quelques jours ici : mais nous ne savons toujours pas de quel côté nous serons engagés, on dit même que nous irions plus au Nord du côté de Beauvais.

La division alpine Brissot-Dumaillet qui était en avant de nous est repassée par ici ce midi pour aller d’un autre côté où ça presse plus.

Du 21ème C.A. il n’y a que la 43ème D.I. qui est par ici, les autres divisions seraient, parait-il parties en Alsace.

Dépenses :

Ø  0f, 15 allumettes.

Dimanche 21 avril

Cette nuit il a encore gelé assez fort.

Le réveil ce matin est à 7 heures et a lieu en musique. À part une revue en tenue de sortie à 8h45, nous avons repos complet aujourd’hui.

 

Le temps dans la journée est superbe et le soleil chauffe déjà assez fort : la nature reverdit, les arbres se couvrent de fleurs et de feuilles, les oiseaux chantent, sont heureux de vivre et commencent déjà à faire leurs nids.

Et pendant ce temps que font les hommes ?

Au lieu de travailler en commun, de s’aimer, ils mettent leur intelligence, leur géni au service du mal : drôle avantage de la civilisation humaine !!!

 

Cet après-midi, grand match de football entre le 1er et le 3ème bataillon : je fais partie de l’équipe du 1er comme avant-centre. La clique du 1er bataillon nous prend au centre du village pour nous conduire au terrain.

Malgré nos efforts, la partie est nulle : 3 buts à 3. Dans la 1ère mi-temps nous avons marqué 3 buts alors que le 3ème en avait marqué seulement 1, mais à la 2ème mi-temps, nous perdons l’avantage : notre demi-centre Gilles doit quitter le terrain au moins une ½ heure avant la fin et je suis également estropié : j’ai reçu un fameux coup de pied sur la cheville dès le début de la partie et j’ai bien du mal à tenir jusqu’à la fin de la partie.

Depuis que je joue au football, je n’avais encore jamais reçu pareille coup. Malgré cela sur les 3 buts que nous avons passés, j’en ai marqué 2.

 

Ce soir, ma cheville ne va pas du tout et je dois aller me faire masser à l’infirmerie : j’en ai bien pour 8 jours à être boiteux.

Le temps est très doux ce soir et il fait bon prendre le frais : dommage que nous soyons en guerre !!!

Dépenses : 0f, 35 - cirage.

Lundi 22 avril

Ce matin, mon pied va un peu mieux, il est un peu désenflé et dans 2 ou 3 jours il n’y paraitra plus.

12 poilus de la 4ème section prennent la garde ce matin.

Dans la matinée, il n’y a pas grand-chose : nettoyage des armes.

 

À 9 heures, réunion des officiers et des chefs de section au bureau du commandant qui nous fait un petit speech sur la tenue.

D’après lui, tous les sous-officiers devraient avoir des tenues fantaisie, être pimpants, les hommes doivent être rasés au moins tous les 2 jours, etc.

C’est probablement un type partisan de la guerre en dentelles !!!

À la décision d’hier, nous avons appris que notre lieutenant-colonel Lefort quitte le régiment pour passer colonel et sous-chef d’état-major à la 2ème armée, par la voie de la décision il a fait ses adieux au régiment ; en attendant l’arrivée d’un autre lieutenant-colonel, le régiment va être commandé par le commandant Pierre, chef du 2ème bataillon.

 

Cet après-midi, il y a présentation du régiment à  notre colonel Lefort qui nous quitte puis ensuite défilé traditionnel.

Cet exercice n’est pas trop pénible et à 3h ¼ nous sommes de retour.

 

Je passe ma soirée en compagnie de mon vieil ami Boudon et vais me coucher de bonne heure car ma patte est plutôt fatiguée.

Il parait que le 31ème chasseurs qui est à Compiègne aurait eu des pertes par les bombes d’avion : une de celles-ci serait tombée sur la caserne où ils sont cantonnés et il y aurait eu 5 morts et quelques blessés.

Toute la soirée, le marmitage fait rage en face de nous, ce n’est qu’un roulement continuel et cela dure une bonne partie de la nuit.

Dépenses :

Ø  1f, 50 – blanchissage

Ø  7f, 60 – popote.

Mardi 23 avril

Maintenant les nuits sont beaucoup plus douces et il fait très bon se promener le matin et le soir.

 

Depuis 2 jours, une épidémie de grippe sévit au bataillon et ce matin il y a une vingtaine de malades à la Cie, à la 1ère C.M. il y en a une vingtaine à l’infirmerie.

Cette épidémie nous vaut un repos relatif et ce matin le temps est consacré aux travaux de propreté et au nettoyage des armes et cantonnements.

Notre élégant capitaine réunit tous les sous-officiers et caporaux de la Cie et nous répète à peu près le petit « laïus » que le commandant nous fît hier.

Ah ! Ils commencent à devenir « emmerdants » avec leur « chique » !!!

S’ils tiennent tant que cela à nous voir bien « fringués », ils n’ont qu’à nous payer des tenues fantaisies ou tout au moins à nous donner le moyen d’avoir des capotes neuves pour en faire des vareuses.

 

Cet après-midi, l’exercice n’est pas non plus très pénible : il se borne à une demi-heure de gymnastique puis un peu d’instruction sur le tir et à une petite marche sous bois.

Je m’ennuie de plus en plus à cette compagnie de malheur où il n’y a aucune camaraderie, même entre sous-officier.

Ah ! Non ce n’est pas la 1ère Cie !!!

Si à la suite des actions auxquelles nous ne tarderons certainement pas à participer, je n’obtenais pas ce que je crois mériter, je ferai aussitôt une demande pour partir à Salonique et une autre pour passer dans l’aviation.

Ce que je demande en ce moment, c’est d’être engagés le plus tôt possible.

Sur les journaux d’aujourd’hui on annonce que les permissions vont reprendre à partir du 25 : ce n’est pas trop tôt !!

Il n’aurait pas fallu que cela continue longtemps, les poilus commençaient à rouspéter.

Dépenses :

Ø  0f, 10 – journal.    

Mercredi 24 avril

Hier soir, nous avons eu la visite des Gothas, mais ils n’ont fait que passer sur le patelin : par les journaux nous apprenons qu’ils ont essayé, mais en vain, d’aller sur Paris.

 

À 4 heures ce matin, il y a eu branle-bas pour l’exercice de liaison qui a lieu dans la journée pour toute la division. À la Cie y assistent le capitaine, 2 sous-officiers et une vingtaine de poilus : signaleurs et coureurs.

Notre capitaine n’étant pas là, nous sommes plus tranquilles : la matinée se passe à nettoyer les cantonnements et leurs abords et pendant ce temps je vais faire un tour dans la forêt en compagne de Duhamel.

Par ici les forêts sont remplies de muguet mais en ce moment il n’est pas encore fleuri.

 

Cet après-midi, la Cie va à l’exercice avec le sous-lieutenant De Pierrefeu, pendant ce temps je vais tranquillement jouer au football, je ne fais d’ailleurs pas grand-chose car j’ai toujours mal à la cheville.

Le temps est plus frais que de coutume et laisse prévoir de la pluie à brève échéance, par ce temps de brume il n’y a que très peu d’avions en l’air, aussi il faut espérer que nous allons être plus tranquilles ce soir qu’hier soir.

Depuis le lendemain de notre arrivée ici, le 1er bataillon est en proie à une épidémie de grippe : les 1ère C.M., 1ère Cie et 3ème sont particulièrement atteintes : plus de 50 malades sont à l’infirmerie et bon nombre sont obligés de rester dans leur Cie.

Cette épidémie aura très probablement pour effet de nous faire rester ici un peu plus longtemps que le commandement ne l’avait prévu.

Dépenses :

Ø  0f, 10.

Jeudi 25 avril

Alors que j’étais couché, l’agent de liaison est venu me prévenir que demain matin il y aura revue de régiment par le général commandant le 10ème C.A. : Vandenberg.

Le réveil est par suite à 5h ½.

Nous défilons après la revue 3 fois de suite : d’abord devant le général Vandenberg, ensuite devant le général Michel et enfin devant notre nouveau lieutenant-colonel nommé Cazal.

 

Cet après-midi, nous devions d’abord avoir repos, mais comme le lieutenant-colonel doit passer dans les cantonnements, au cours de l’après-midi il y a contrordre et nous devons aller à l’exercice de 13 à 16h : jeux, exercice et marche sous bois.

Maintenant la 43ème D.I. n’est plus à la disposition du 10ème C.A. : le reste du 21ème doit maintenant être en route pour venir nous rejoindre, nous en sommes d’ailleurs fort heureux car si nous étions restés avec le 10ème C.A., il est certain que tout le sale boulot aurait été pour notre division.

 

Ce soir, le caporal Stéphan de ma section part en permission exceptionnelle de 3 jours, ayant un enfant très malade ; ce malheureux n’a pas de chance, depuis le début de la guerre il a perdu 2 enfants sur 5 et en voilà un 3ème bien malade.

Nous devions, parait-il, faire une manœuvre avec des tanks demain, mais cet exercice doit être reporté à après-demain.

Si ces manœuvres ont lieu, c’est que très probablement nous serions des troupes réservées pour une attaque. D’après les bruits qui courent nous resterions encore 3 ou 4 jours ici.

Dépenses :

Ø  0f, 00.

Vendredi 26 avril

Contrairement aux autres jours, nous avons exercice ce matin de 8 à 10 h.

Le nombre des malades ne cesse d’augmenter à la Cie, aujourd’hui il y en a 32 sans compter ceux qui se trouvent déjà à l’infirmerie : la 4ème section a 8 malades et 2 à l’infirmerie.

 

Le temps est très doux mais couvert et cette nuit il est tombé quelques gouttes de pluie : avec ce temps les escargots se promènent et les poilus sitôt qu’ils sont libres vont dans la forêt y faire la chasse.

 

Hier soir, le canon « billait » dur en face de nous et cela a duré une partie de la nuit : ce matin tout est redevenu assez calme.

Je passe mon après-midi à faire maintes revues et maints comptes-rendus pour les munitions, les vivres de réserve, les chaussures, etc. En fait d’habillement, il serait de la plus grande utilité que la Cie touche quelques effets, certains poilus n’ont même qu’une chemise.

 

Dans l’après-midi, la Cie va également aux douches.

Le sous-lieutenant De Pierrefeu qui est au plus mal avec le capitaine de Mouïy doit parait-il quitter la Cie pour aller à la 1ère et serait remplacé à la 3ème par le sous-lieutenant St Saëns, si cela est vrai nous ne perdrions pas au change.

Demain, le 1er bataillon va manœuvrer à une dizaine de km d’ici avec les tanks : cela me procurera l’occasion de voir de près pour la 1ère fois ces crèmes de menthes et également de faire une bonne marche.

Le temps passe et nous restons toujours ici, nous ne savons toujours pas quand nous quitterons ce charmant patelin.

Dépenses :

Ø  0f, 10 - journal.

Samedi 27 avril-Les différents chars français

Réveil ce matin à 5h et départ à 6h.

Le nombre des malades a encore augmenté : il y en a 40 sans compter ceux qui sont à l’infirmerie.

La distance de la Croix St Ouen au camp de Champlieu est d’environ 9km et à 8 heures nous sommes arrivés : ce camp est en bordure de la forêt de Compiègne, forêt dans laquelle se trouvent les nombreux hangars pour tanks et les nombreuses baraques Adrian pour la troupe qui sert dans cette artillerie d’assaut.

 

De 9 à 10h,  nous écoutons (les chefs de section) une petite conférence faite par un commandant sur ces chars.

 

L’artillerie d’assaut française comprend 3 sortes de tanks :

 

Les Renault : ce sont les plus petits, ils ont l’énorme avantage d’être très mobiles et d’aller assez vite, ils sont armés soit d’un canon de 37, soit d’une mitrailleuse, la chenille est extérieure et 2 hommes seulement les servent.

On ne les a pas encore employés au combat.

 

Les Schneider du poids de 13 tonnes (il n’y en a pas au camp, tous ont été envoyé sur le front) ayant une vitesse de 2 à 8km à l’heure, moteur à explosion de 60 H.P., ils sont armés d’un canon de 75 court et de 2 mitrailleuses : ils sont montés par 1 officier, 1 sous-officier et 4 mitrailleurs.

 

Les St Chamond. Véritable mastodontes, du poids de 23 tonnes, vitesse pouvant atteindre 12km à l’heure sur un très bon terrain, moteur de 90 H.P., armement composé d’un canon de 75 à l’avant et de 4 mitrailleuses (1 sur chaque face), ils sont montés par un officier, 1 sous-officier et 8 canonniers : 2 hommes d’élite suivent le tank pour le guider, ces tanks peuvent grimper des rampes à 45°.

 

De 10 à 11h, le 1er B.C.P. manœuvre avec 4 St Chamond et l’après-midi de 14 à 15 c’est notre tour.

Rentrée à la Croix St Ouen à 17h ½.

Dépenses :

Ø  0f, 10 – journal.

Dimanche 28 avril

Hier soir, il est tombé une petite pluie rafraîchissante et ce matin, la nature rafraîchie est plus belle : les plantes semblent, avec leur belle couleur verte, être heureuses de vivre, les oiseaux chantent et gazouillent à qui mieux mieux.

Je profite de cette tranquillité pour faire un tour dans la forêt dont les arbres commencent à se couvrir de feuilles.

 

Ce calme (on n’entend pas la voix du canon ce matin), cette solitude provoquent la rêverie. Perdu au sein de cette nature que le printemps fait revivre, je songe, je rêve aux déboires que la civilisation nous a causés : j’envie le sort de nos aïeux qui passaient leur vie au centre de ces magnifiques forêts, sans souci du canon ou des gaz, fruits de notre belle civilisation.

Mais pendant que ma pensée vagabonde, des hommes sont en train de s’entretuer à moins de 20km d’ici et le canon dont j’entends à nouveau le bruit sourd me rappelle à la réalité et je puis juger tous les bienfaits que nous ont valus la société et la civilisation.

 

Le sergent Andrillon de ma section a été évacué sur ordre hier : en voilà un qui se faisait un mauvais sang terrible et que la bile rendait réellement malade !!!

 

Cet après-midi, nous matchons contre une équipe de l’artillerie d’assaut et alors cette fois nous sommes battus dans la grande largeur par 6 buts à 1, nous réussissons tout juste à sauver l’honneur.

À la 1ère mi-temps ils n’ont marqué que 2 buts contre 1, mais dans la 2ème ils ont constamment dominé et marquent 4 nouveaux buts, leur équipe est formidable et surtout très homogène : pas un seul joueur faible, 2 internationaux, l’avant-centre et le demi-centre.

C’est moi qui ai réussi à marquer le but qui a sauvé l’honneur.

Dépenses :

Ø  7f, 90 – popote

Ø  1f, 10 – au café.

Lundi 29 avril

Le temps qui avait été brumeux pendant toute la journée d’hier, s’est mis à la pluie dans la soirée et avec la nuit noire qu’il a fait je plains sincèrement les camarades qui sont en ligne.

 

Ce matin, la pluie continue à tomber, aussi successivement le passage dans la chambre chlorée qui devait avoir lieu à 9h et l’exercice de liaison prévu pour cet après-midi sont décommandés, par suite la journée se passe sans trop de mal.

Je passe une partie de mon après-midi avec le vieil ami Lavigne qui est toujours au canon de 37.

 

Hier, le 2ème bataillon du 158 est allé à Compiègne matcher contre le 31ème B.C.P., je ne connais pas exactement le résultat du match mais le bruit court qu’ils auraient encore reçu une meilleure pile que nous.

Le lieutenant St Saëns qui vient d’avoir son 2ème galon est passé à la 3ème Cie à la date d’aujourd’hui en remplacement du sous-lieutenant De Pierrefeu, qui lui est passé à la 1ère Cie. Cette mutation est un sérieux avantage pour la Cie.

 

Ce matin, le nombre des malades a considérablement diminué à la Cie : il n’y en a plus qu’une quinzaine, si l’état sanitaire redevient normal, il est fort probable que nous ne resterions plus longtemps ici.

 

Dans la soirée, le lieutenant St Saëns s’entretient un moment avec moi, il me fait l’impression d’être un très chic type : voilà au moins un officier qui n’a pas la frousse, il est même plutôt téméraire.

À l’attaque du 23 octobre il ne s’est laissé évacuer qu’après une 2ème blessure, ainsi d’ailleurs qu’il l’avait fait dans la Somme au mois de septembre : il a d’ailleurs la légion d’honneur et cinq citations dont 3 à l’armée.

Dépenses :

Ø  1f, 85 – journal et cartes-lettres.

Mardi 30 avril

Ce matin, il n’y a pas grand travail à la Cie, simplement travaux de propreté, de couture et nettoyage des armes.

Il paraitrait qu’au 149ème sévit une épidémie de rougeole et que tous les cantonnements sont de ce fait consignés. Ah ! Vivement que toutes ces épidémies finissent et que nous montions en ligne !!

 

À 9 heures, il y a encore réunion des officiers et des chefs de section au bureau du bataillon ; le capitaine commandant le bataillon nous en raconte encore une tartine au sujet de la tenue, il remet également cela en ce qui concerne les barbes qui doivent être toujours fraîchement rasées.

D’après ses dires, nous resterions encore quelques jours ici, il parle même d’organiser pour dimanche une soirée récréative en plein air, suivie d’un bal champêtre avec le concours des jeunes demoiselles du pays : je doute fort que cette innovation soit couronnée de succès !!!

 

Cet après-midi, nous allons dans la forêt : jeux pendant une heure et ensuite petite marche sous bois : section pointe d’avant-garde, nous rentrons à 15 heures.

Le temps est resté brumeux toute la journée, ce midi la pluie tombait même en fines gouttes et a cessé juste pour nous permettre d’aller à l’exercice.

J’ai de plus en plus le cafard.

Ah ! Quelle différence entre la 3ème Cie et l’ancienne 1ère !!!

Ah ! Où sont mes anciens poilus !!

L’esprit à la 3ème est très mauvais et d’autant plus mauvais que nous sommes mal commandés. Où est également le capitaine Coste !!

Aussi je me fais du mauvais sang et maintenant je voudrais être parti je ne sais où.

Dépenses :

Ø  0f, 10 – journal.

Mai 1918 : La permission exceptionnelle - Lacroix-St-Ouen (Oise) - L’attaque allemande - L’honteuse conduite de certains officiers - Prisonnier !

Mercredi 1er mai

Voilà encore un mois terminé et toujours nulle apparence que cette terrible calamité, qu’est la guerre, finisse.

Aujourd’hui, c’est la fête du muguet ; à Paris, les petites midinettes doivent arborer quelques brins à leur corsage. Par ici, dans la forêt, il n’est pas encore fleuri et il faudra encore bien attendre une dizaine de jours avant de le voir paré de ses jolies clochettes.

La manœuvre de liaison devant avoir lieu cet après-midi, je vais à 7 heures conduire aux douches les 32 poilus qui doivent y assister.

Le temps étant toujours brumeux, cet exercice est de nouveau reporté à une date ultérieure, probablement samedi.

 

Cet après-midi, tous les chefs de section du bataillon vont assister à un exercice de cadres du côté de Fayel : exercice qui d’ailleurs ne rime à rien, je peux piger alors que si le capitaine du Cor est comme d’ailleurs tous les chasseurs bon pour le chiqué, pour les défilés, la tenue, etc.

Il n’a par contre rien d’un stratège, ni d’un tacticien et est sous ce rapport bien inférieur à notre ancien commandant Gousseault, qui était, lui, l’opposé de notre chef de bataillon actuel.

 

Demain, nous devons recommencer cette manœuvre, mais avec la troupe : ce sera encore une jolie pagaille.

Par la décision de ce soir, nous apprenons que notre sympathique Bonamour, sergent fonctionnaire, adjudant de bataillon est nommé adjudant : décidément cela sert beaucoup d’avoir du bagout et de faire le crâneur !!!!

Dépenses :

Ø  0f, 10 – journal.

Jeudi 2 mai

Ce matin un fort brouillard voile la nature et à vingt pas impossible de rien distinguer.

La matinée se passe en théories sur le fusil mitrailleur, le R.S.C. et la grenade : le capitaine passe dans les cantonnements vers 9h et ne trouve pas tout rangé à son idée.

Le caporal Stéphan de ma section rentre de sa permission exceptionnelle.

 

Au rapport, je suis désigné comme cadre de conduite pour les permissionnaires qui prendront le train demain matin (2h) à la station de Verberie, par suite je ne vais pas à l’exercice cet après-midi et passe mon temps à lire et à écrire pendant que la Cie va collaborer à une manœuvre du régiment dans la forêt.

 

Ce soir, lorsque je vais au bureau du colonel chercher les titres de permission de ceux qui doivent partir cette nuit, j’apprends qu’il n’y en a pas et par suite mon voyage à la gare de Verberie est tout fait. Avec cela j’ai toujours « coupé » à l’exercice de cet après-midi.

 

Le temps surtout cet après-midi est très lourd et est plutôt orageux : temps superbe pour la campagne.

Je suis de plus en plus dégoûté : j’ai hâte de monter en ligne.

Ma section est certainement et de beaucoup la plus mauvaise de la Cie, même du bataillon, à part quelques exceptions comme Jean, Ravin, Bruyères, Violon.

Presque tous les poilus font preuve de mauvaise volonté évidente et ont de plus un très mauvais esprit : tels Lecreux et Mathon.

Oh ! Non je ne veux pas rester longtemps à cette section !!!

Dépenses :

Ø  7f, 60 – calot et journal.

Dimanche 5 mai

Hier soir, les gothas ont profité du calme de la soirée pour venir faire un tour du côté de Compiègne et lâcher quelques bombes.

 

Cette nuit, nous avons eu un orage épouvantable : les craquements sinistres du tonnerre se répétaient à court intervalle et la pluie tombait à grosses gouttes.

 

Ce matin, une pluie fine continue à tomber et menace de durer toute la journée, aussi il pourrait très bien se faire que la journée sportive à Compiègne ne puisse avoir lieu !!

Vers 10 heures, la pluie cesse et j’apprends qu’il y a rassemblement des concurrents à 11h ½ place de l’église. À l’heure fixée, nous prenons la direction de Compiègne dans la voiture d’ambulance, nous passons par Royallieu et à 12h 30 nous sommes arrivés.

 

Cet après-midi est très bien organisé : il y a d’abord les 2 matchs d’association, pour notre part nous battons le 12ème d’artillerie par 3 buts à 0, de leur côté le 1er B.C.P. bat le 149ème par 3 à 1.

Le 158ème gagne ensuite dans la lutte à la corde, la course en sacs, la course de chiens. Le 100 m est gagné par un sous-officier du 1er B.C.P., le lancement de grenades par un type du 149ème avec 44 m 50, la course de mulets par le 31ème B.C.P., le concours de saut pour chevaux par un capitaine du 31ème B.C.P.

Malgré une averse survenue pendant notre match, le temps a été assez favorable, aussi sur le terrain il y avait une foule immense : presque toute la division s’y trouvait réunie.

En somme, excellent après-midi tout à l’honneur du 158ème.

 

Nous revenons par la voiture et à 6h ½ nous sommes de retour à Lacroix.

À 6h ½ rassemblement de l’équipe de football et on nous paye 4 bouteilles de champagne.

Lundi 6 mai

Cette fois je suis de plus en plus boiteux, j’ai la cheville bien amochée: je ne rejouerai plus avant d’être complètement rétabli

Dépense :

Ø  12f popote

Mardi 7 mai-La permission exceptionnelle

Ce matin, la Cie va au tir dans la forêt, auprès de St Sauveur et avec toutes les différentes armes qui restent dans l’armement  d’une Cie (fusils 1886. RC, FM, mousquetons) cela demande pas mal de temps si bien que nous rentrons à Lacroix juste pour la soupe.

Le tir que nous avons fait est absurde, les poilus ont tiré chacun 24 cartouches mais avec le système du commandant qui fait faire à chaque poilu, sa cible, il est matériellement impossible de contrôler les résultats car les cibles sont loin d’être de même dimensions.

 

En rentrant je reçois un mot de ma Berthe et je vais poser une permission exceptionnelle que le chef établit de suite et fait ensuite porter au bureau du commandant, je compte pouvoir partir demain soir.

Quelle n’est pas ma surprise ce soir en rentrant de l’exercice, de trouver ma permission signée du colonel, je vais donc pouvoir partir ce soir même. Je mange de bonne heure et à 16h je prends la direction de Verberie où parait-il il y a un train pour Paris à 19h50.

Je fais le 6km qui séparent Lacroix de Verberie en moins d’une heure ¼  mais deviné à la gare j’apprends que le train de 19h50 a été supprimé depuis le 1er mai et par conséquent je vais être obligé d’attendre jusqu’à 2h20 demain matin : ce n’est vraiment pas de chance.

À Verberie je trouve du cidre dans un café j’en profite pour me rafraichir & emplir mon bidon

Dépense :

Ø  Chambre 15F

Ø  Blanchisserie et Pourboire 7F

Ø  Au café 2F

 

 

Les pages des 8 et 9 mai ne sont pas écrites. Ferdinand est en permission exceptionnelle.

Il semblerait qu’il soit de nouveau père, d’une seconde fille : Simone

 

Vendredi 10 mai

Melle ? & Rault puis M. Silandre

Entré en revenant de Vire, enfin la suppléante qui vaut pour remplacer ma Berthe pour le mois de mai, arrive ce soir c’est Melle Lelièvre de La Croix Avranchin.

Le temps continu d’être au beau, je passe une partie de la journée à bécher le carré où je dois faire des haricots.

 

Cet après-midi, je vais avec Mme Remy et notre chère petite Fernande, voir petite Simone à la Tierceraie, je la trouve bien petite, mais elle prend bien et dort également bien : peut-être réussira-t-on à l’élever !!...

Samedi 11 mai

Le temps se maintient au loin et je passe une grande partie de mon temps à bécher.

Je suis allé faire timbrer mon titre de permission à la gare de Romagny hier soir & aussi je gagnerais un jour & ne repartirais que le 14 au soir.

Je retrouve mes anciens godillots de football que j’avais l’intention de remporter avec moi.

Ah ! Des jours de permission, comme ils passent vite !!... et déjà je pense au moment qu’il me faudra de nouveau dire au revoir à mes chéries.

Dimanche 12 mai

Le temps est toujours superbe  mais ce soir il est un peu à l’orage.

J’espère cependant que demain il fera encore beau pour me permettre de travailler un peu au jardin.

Toute la journée je ne fais rien et m’ennui passablement, heureusement que j’ai ma mignonne Fernande qui m’aide à passer le temps.

Ce matin nous apprenons par une lettre de faire-part la mort de la mère de Melle Rault ; elle l’a trouvée morte en arrivant chez elle !!

Lundi 13 mai

Le temps se met à la pluie ce matin si bien que je ne peux guère travailler au jardin : je fais tout juste une planche de haricots.

Notre mignonne petite Fernande devient de plus en plus affectueuse.

Pauvre petite chérie, comme je voudrais pouvoir vivre près d’elle !!!..

Ne pas être privé de ces caresses !!..

Voilà déjà ma courte permission à peu près terminée !!

Mardi 14 mai

Le temps bien que brumeux est moins mauvais qu’hier aussi malgré que la terre soit bien mouillée je finis le carré d’haricots.

Dès 16 heures, il faut me mettre en tenue de départ.

J’apprends à la gare que la correspondance n’existe plus que pour Fougères et j’ai juste le temps de prendre le train, une fois de plus il me faut quitter mes chéries. Ah que c’est dure !!..

Je passe par Fougère & Vitré où je prends le train de permissionnaires qui me conduit jusqu’à Achères

Mercredi 15 mai

Pour l’anniversaire de ma Berthe, je passe ma journée dans le train.

J’arrive à Achères vers 9 heures et en repars une demi-heure après.

À la gare régulatrice de Villers-Cotterêts à j’arrive à 13 heures j’apprends que le régiment est toujours à la Croix St Ouen.

À Villers-Cotterêts je dois attendre dans le parc des permissionnaires jusqu’à 15h ½ (train R qui m’a ramené à Crépy-en-Valois puis à Le Meux (2km de la Croix St Ouen).

J’arrive au cantonnement trempé de sueur à 18 heures.

Ah il fait diablement chaud aujourd’hui !!!

Jeudi 16 mai

Ce matin, je dois déjà aller à l’exercice et ma foi je n’ai pas trop de veine : notre nouveau commandant Du Cor (ayant obtenu son 4ème galon pendant ma permission) a, je crois, changé de caractère et n’a plus le sourire qu’il avait au début ; il vient voir la Cie à l’exercice et comme de juste d’est moi qui trinque.

Comme ma section est de garde, je dois faire manœuvrer la 2ème section.

 

Pendant ma permission, il y a eu bon nombre de modifications à la marche de la section aussi, les ignorant, je me fais attraper. Je suis chargé d’abord de faire une reconnaissance avec ma section, je me fais d’abord « engueuler » parce que j’avais mis des pourvoyeurs de F.M. comme éclaireurs et ensuite pour autre chose.

 

Maintenant voilà la disposition que doit avoir la section de reconnaissance :

Ø  Patrouille en tête, derrière le chef de section avec 1 homme de liaison.

Ø  Le reste de la ½ section derrière, prête à fixer l’ennemi par son feu.

Ø  La deuxième ½ section ou ½ section de manœuvre, destinée à manœuvrer pour faire tomber la résistance ennemie.

 

De son côté le sergent Vedrennes se fait « engueuler ».

Ah ! Je commence à en avoir « marre », où donc est Gousseault ? Je crois que cela changerait un peu.

Cet après-midi, je dois conduire la Cie à l’exercice (jeux et escrime à la baïonnette), pendant que le capitaine va pour jalonner le tracé d’une tranchée au N.E. de la Croix (grande route de Compiègne.)

Je crois que l’on commence à avoir peur de l’offensive boche !!

Mais comme toujours, avec notre organisation, nous commençons au dernier moment.

Dépenses :

Ø  0f, 15 – journal.

Vendredi 17 mai

Ce matin, j’ai encore le cafard et je crois bien que je vais me résoudre à faire une demande pour passer dans l’aviation.

Ce matin il fait très bon, mais dès 10 heures il fait une chaleur excessivement lourde qui nous paraît beaucoup, car ce sont les premiers jours de chaleur de cette année.

Cette matinée, la compagnie est allée enfoncer des piquets pour la pose de réseaux de fils de fer barbelés (la 1ère Cie elle, est chargée de creuser la tranchée.)

Il est triste de constater qu’après un mois passé ici à ne rien faire ou à faire bon nombres d’exercices inutiles, le commandement se décide à nous faire entreprendre des travaux de défense  pour le cas où une avance boche se produirait par ici et alors que quelques jours seulement, peut-être nous séparent de l’offensive allemande.

 

Ah ! Pauvre France ! Si tu sors victorieuse de cette guerre, ce ne sera certainement pas de la faute à ceux qui ont la mission de diriger la barque !!

 

Cet après-midi, nous commençons la pose du réseau et nous attrapons chaud.

Ce soir, paiement du prêt : les poilus touchent le rappel de l’indemnité de tranchée portée à 3, cela leur fait à chacun une trentaine de francs en plus avec plus cent francs au pécule.

N’étant pas à la Cie alors que le régiment était en secteur (Vosges) je touche mon simple prêt : 26fs.

Dépenses :

Ø  6f, 70 – popote.

Samedi 18 mai

Hier soir, nous avons eu la visite des gothas qui ont laissé tomber bon nombre de bombes pas très loin du patelin, ils ont encore dû probablement essayer d’aller sur Paris.

À dater d’aujourd’hui, les heures de travail sont changées : le réveil est à 5h15 au lieu de 6 heures et le matin, le travail dure de 6h30 à 11 heures. Le midi nous avons sieste jusqu’à 14h30 et l’après-midi travail de 15 à 16h30. De cette façon il y a certainement beaucoup plus de travail de fait, car avec la chaleur qu’il fait tous ces jours, il ne faisait pas bon au coup de soleil de 13 à 15h.

 

Toute la journée, nous continuons le boulot commencé hier : pose de réseaux de fil de fer ; ce soir le bruit court même qu’il faudra y revenir demain, si cela est exact, il faut croire que cela presse diablement et que l’on craint que M.M. les boches nous enfoncent une 2ème fois.

Notre fameux capitaine réunit encore les sergents ce soir et une fois de plus les engueule. Maintenant il faudra que le sergent de jour fasse après l’extinction des feux, pour s’assurer qu’il n’y a plus de lumières et que les poilus sont dans les cantonnements, une ronde dans le secteur de la compagnie.

Ah ! Vivement que ce phénomène d’imbécillité quitte la Cie !

Si ce pouvait être le capitaine Coste qui le remplace !!!

 

Toujours rien de nouveau pour nous, peut-être attendons-nous que les boches viennent nous trouver à la Croix St Ouen.

Dépenses :

Ø  0f, 15 – journal.

Dimanche 19 mai

Contrairement à ce que nous croyons, il y a repos aujourd’hui.

Le temps qui était orageux hier soir, s’est remis au beau et il fait encore horriblement chaud, si cela continue seulement une quinzaine, tout va dessécher et la récolte sera bien compromise dans cette région au sol sableux qui n’a pas de fond.

 

À 8 heures, il y a revue de cantonnements et à 8h ½ rapport, après les poilus sont libres.

 

Cet après-midi, il y a deux matchs de football :

Entre l’équipe 1ère  du 158 et l’équipe 1ère du 149.

Entre l’équipe 2ème du 158 et l’équipe du 8ème génie.

Chose vraiment extraordinaire, les 2 matchs sont nuls et se terminent 0 à 0.

D’après certains bruits, nous irions à Béthisy pour manœuvrer avec les tanks cette semaine.

Notre commandant du Cor est loin de me plaire et à part le capitaine De Moïy (chef-d’œuvre d’idiotie et de gâtisme), je ne crois pas qu’il ait beaucoup de partisans au bataillon, il est certain en tout cas que le capitaine Allène le laisse tomber dans les grandes largeurs et il a ma foi parfaitement raison, car lorsqu’on voit un chef de bataillon rechercher comme ami intime un loustic de la valeur ou plutôt de la nullité de De Moïy, il faut être ou le parfait des imbéciles ou le dernier des goujats.

Oh non !

Il va falloir que je quitte le régiment le plus tôt possible !!!

 

Vu aujourd’hui ce vieux et brave ami Duhamel, ainsi que cette vieille cloche de Perruchot qui m’a l’air d’avoir toujours une prédilection marquée pour le pinard.

Dépenses :

Ø  0f, 15 – journal.

Lundi 20 mai

Aujourd’hui nous faisons le même travail qu’avant-hier : pose de fils de fer barbelés, mais comme nous avons eu repos hier, alors que nous aurions dû travailler, le travail dure 1h ½ de plus cet après-midi (de 14h30 à 17h au lieu de 15h30 à 16h30.)

 

Hier soir, les gothas sont de nouveau venus, mais ma foi ils ne m’ont pas empêché de dormir.

Le sergent de jour avec la ronde qu’il doit faire le soir après 21h dans les cantonnements pour faire rentrer les poilus n’a pas le filon.

Quel imbécile tout de même que ce capitaine de Moïy !! N’est-il pas honteux d’obliger les poilus à s’enfermer à 21h alors que c’est là le meilleur moment de la journée et que les types ne font aucun mal en prenant le frais devant leur cantonnement.

 

En tout cas tous ces officiers qui prescrivent de telles règles devraient avoir au moins la pudeur de ne pas se balader dans les rues dans les onze heures, minuit et de courir à ces heures après le jupon.

Ah ! Ils prêchent bien d’exemple !!!

Mais voilà, c’est peut-être, c’est même probablement pour être plus libres et pour ne pas être gênés par les poilus !!

Ah ! Pauvre France où vas-tu ?

 

Le temps est toujours aussi chaud et lourd…

Ici à la 3ème Cie, je n’ai aucun camarade parmi les sous-officiers : je n’avais pas encore trouvé une popote où il y ait si peu de camaraderie, aussi sitôt après les repas je vais tranquillement dans ma chambre et je reste le moins possible avec eux. L’adjudant Drubhe, en particulier, type parfait du larbin, me dégoûte profondément.

Dépenses :

Ø  0f, 10 – journal.

Mardi 21 mai

Les gothas sont encore venus hier soir et l’un d’eux vers 22 heures a même tiré quelques cartouches sur la localité : ce matin on a pu ramasser quelques balles dans la grande rue.

Hier soir, le capitaine Coste est arrivé ici, il doit être affecté au 1er bataillon et d’après les bruits qui courent, ira soit à la 1ère C.M. où un sous-lieutenant (Tricot) commande la Cie, soit la 1ère Cie où le capitaine Allène doit bientôt partir pour aller paraît-il dans les tanks. Je n’aurai donc pas la chance qu’il vienne à la 3ème à la place de notre imbécile de De Moïy de Sons !!!

 

Pendant toute la journée, même travail qu’hier avec les fils de fer barbelés. Les boches n’ont pas l’air pressés de déclencher la formidable offensive qu’ils ont l’air de nous promettre : le temps est pourtant assez favorable et la nuit il fait un clair de lune superbe ; mais prenons patience, je crois bien que cela ne tardera pas beaucoup et que une fois de plus nous prendrons quelque chose, enfin il ne faut pas s’en faire pour si peu !!

Et ce que je souhaite ardemment, c’est que nous montions en ligne le plus tôt possible.

 

La chaleur devient de plus en plus écrasante et il est pénible pour les poilus d’être obligés de travailler presqu’en plein soleil.

Dans la journée, ils n’ont qu’un moment de tranquillité, c’est le soir après la soupe et encore on les emmerde en les obligeant de se coucher à 21h.

 

Ce soir, je vais faire un tour avec le sergent Garçon dans la forêt et s’il n’y avait pas les maudits moustiques qui sont insupportables, on y serait véritablement bien.

Dépenses :

Ø  0f, 00.

Vendredi 24 mai-Exercice de tir

Après tout le travail exécuté cette semaine, on ne nous donne même pas repos aujourd’hui et à 7 heures la Cie part pour aller au tir à St Sauver.

Le tir avec toutes les différentes armes que nous avons maintenant prend beaucoup de temps et ce n’est qu’à 11 heures que nous rentrons à la Croix-St-Ouen.

Cet après-midi, il y a douches pour la Cie de 14h30 à 16h, je suis chargé de surveiller les douches pour le 1er peloton.

 

Alors que nous étions aux douches, nous entendons tout à coup sonner la générale et en même temps nous apercevons une forte fumée qui vient du côté de la coopérative. Il y a un incendie et les 3 compagnies de jour du régiment se portent au pas de gymnastique vers le lieu du sinistre.

Nous apprenons presqu’aussitôt que c’est la maison où habite le colonel qui est la proie des flammes, flammes que nous pouvons apercevoir très distinctement.

Heureusement que la Cie n’est pas de jour !!

Heureusement également que cet incendie n’a pas eu lieu dans un cantonnement de poilus, car alors j’aurais plaint les malheureux.

Les pompiers et les poilus se rendent assez vite maîtres du feu et à 17h tout est terminé.

Tout le 1er étage de la maison ainsi que la toiture sont brûlés, par contre le rez-de-chaussée n’a pas beaucoup de mal.

 

Le reste de l’après-midi il y a nettoyage des armes et la 4ème section va porter toutes ses armes : fusils 1886, R.S.C., F.M., mousquetons, pistolets automatiques à l’armurerie afin qu’ils soient vérifiés par l’armurier.

Dépenses : 0f, 00.

 

 

Les écrits des jours suivants ont disparus. Un nouveau carnet est ouvert. Il est intitulé « Ma vie de prisonnier »

 

 

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Ma vie de prisonnier

 

Lundi 27 mai-L’alerte

Alors que nous étions à l’exercice dans la forêt de Compiègne, l’ordre d’alerte arrive au Ct du Cor (9h du matin) ; nous rentrons immédiatement au cantonnement où nous préparons le barda & où nous restons sur le qui-vive toute la journée.

Départ par camion-auto vers 1h du matin, après avoir attendu notre convoi qui s’était trompé de route à Verberie depuis 18h.

Nous devons aller cantonner à Braisne. Adieux des jeunes filles de Lacroix à leurs amoureux.

Mardi 28 mai

Nous passons par Compiègne, route de Soissons, prenons la droite avant d’arriver à cette ville : Longpont, Hartennes, Arcy Ste-Restitue vers midi ; enseignements que nous donnent les artilleurs qui se débinent : Allemands à 3 ou 4 km.

Ils ont attaqué hier matin et dans cette seule journée ont avancé de plus de 25 km.

Ah ! Où est Braisne où nous devions cantonner.

Triste spectacle à la descente des autos : roulante du 149 éventrée, 3 cuisiniers morts éventrés sur des brancards à côté de la route, chevaux éventrés…

Ah ! Nous allons certes pas tarder à entrer en danse !

 

Tout l’après-midi, nous vadrouillons d’Arcy-au-Bois qui se trouve au N.

Avions venant nous mitrailler à très faible hauteur.

 

Le soir, nous revenons à la lisière du bois au S d’Arcy (Bon de réserve de l’infie divisionnaire).

Mercredi 29 mai-L’honteuse conduite de certains officiers

Alertes vers minuit, nous allons occuper Branges (liaison entre le 149e et le 31e BCP).

Reconnaissance avec ma section, occupons talus au N du village, & aménagement de ce talus ; position absurde : ravin à dos, impossible de se replier, il est triste de se voir conduit ainsi à la boucherie !

Car puisque ce sont les Allemands qui attaquent, pourquoi ne pas les attendre sur une bonne position, préparé à l’avance, pendant cette nuit, plutôt que d’aller au-devant d’eux, et se fourrer dans une véritable souricière.

 

Attaque allemande vers 4h ½ (coups de sifflet, petites torpilles…), le 1er BCP se replie suivi du 31; notre flanc droit se trouve par suite découvert, et est aussitôt débordé ; ensuite le 149 se replie également à notre gauche & voilà le 1er Bon du 158e isolé ; les Allemands ayant gagné le plateau en arrière de nous nous mitraillent dans le dos : repli forcé dans la ferme où se trouvent rassemblés les 1e & 3e Cie du 158e et une section du 31e BCP, sous le commandement du capitaine Allène.

 

Honteuse conduite de notre capitaine De Moy qui dès le début de l’action abandonne sa Cie pour se débiner et de notre beau Ct Du Cor qui en a fait autant laissant son Bon avec ordre de tenir jusqu’au bout alors qu’il met les « bouts » avec Talotte et ??. Belle conduite du capitaine Coste qui est resté avec nous alors qu’il n’y était pas obligé.

Belle résistance dans la ferme jusqu’à 13h ½, le capitaine Allène me promet la médaille militaire (je suis remonté 3 fois de suite occuper le talus où nous étions ce matin).

Cal ??? blessé (ventre traversé par une balle).

 

Allène envoie 3 coureurs pour demander des ordres au colonel.

Avion français venu au-dessus de nous, signaux, il répond « compris » ; torpillettes dans la cour de ferme.

Le capitaine Coste qui se son côté avait organisé la résistance dans le centre du village est grièvement blessé.

Grenades, les Allemands nous envoient successivement 3 parlementaires (prisonniers français), le dernier nous donne 6’ pour nous rendre, sans cela aucune grâce à espérer.

Nous nous rendons au bout de 5’, il était temps : lance-flamme prêts à fonctionner.

Fureur des Allemands, sergt Favier blessé gravement par une balle de revolver en pleine poitrine.

 

  Obus de 155 français tombant en plein village, nous sommes conduits à Braisne où nous passons la nuit dans nos anciens baraquements.

Jeudi 30 mai-Prisonnier

Ce matin, nous revenons à Limé : ferme où nous trouvons plus de 1000 prisonniers.

Vu le sergt Boudon (*) mort sur une brouette pendant son transport à l’hôpital : voilà encore un bon camarade de moins.

Notre recul s’accentue, plus de 500 nouveaux prisonniers arrivent nous rejoindre.

 

(*) : BOUDON Jean Joseph, 34 ans, né à Retournac, Haute-Loire, mort pour la France à Branges, le 29 mai 1918, tué à l’ennemi. Déclaré initialement disparu, son acte de décès a finalement été retranscrit en septembre 1922 à Paris.

Vendredi 31 mai-Limé

Touchons ravitaillement : 400 gr de pain et 100 gr de cheval y compris les os, un peu de choucroute pour faire une mauvaise soupe, très peu d’orge grillée pour faire du jus infect, pas de sucre.

Avec cette nourriture mauvaise & insuffisante, les hommes vont être astreints à un travail de 8h par jour.

Juin 1918 : Prisonnier – Limé - Inhumation de cadavres - La faim - Exactions allemandes - Mont de Soissons - Laon

Samedi 1er juin-Limé

Les officiers qui étaient avec nous quittent Limé par camion-auto pour aller dans un camp près de Laon en attendant leur transfert en Allemagne : je donne l’adresse de ma Berthe au s/s Lt de Pierrefeu qui si cela est possible la fera prévenir que je suis prisonnier par la Croix-Rouge.

Prisonniers français arrivent toujours.

Dimanche 2 juin

Aujourd’hui un officier allemand interroge un s/s off de chaque bon de tous les régiments représentés ici : pour le 1er bon du 158e, c’est moi qui ai cet honneur.

Il n’a toujours pas eu beaucoup de tuyaux de ma part, mais il était diablement bien renseigné : il savait que nous venions du repos à Lacroix, l’heure de notre embarquement & de notre débarquement des camions etc…etc…

Il m’a demandé également ma profession civile et si j’étais heureux d’être prisonnier, sur ma réponse négative, il a eu plutôt l’air étonné.

Lundi 3 juin

Par un aviateur fs tombé dans les lignes allemandes nous avons quelques tuyaux sur notre retraite : comme en 1914, les Allemands seraient tombés sur un ??? Marne-Château-Thierry.

Mardi 4 juin-Inhumation de cadavres

Avec mon groupe (1e section de la 2e Cie du 158e), je vais aujourd’hui au travail : enterrement de cadavres fs & allemands près de Cuiry-Housse ; nous enterrons 2 Français du 149e (Méline & ChaVAT) & 1 Allemand (Hugo Janke) colosse de 19 ans de la garde.

Ainsi donc alors que notre classe 18 commence seulement à être engagée, leur classe 19 est déjà au front.

 

 

(*) : MELINE Paul Eugène, 2e classe au 149e RI, né à Sanchey (Vosges) le 5/08/1887, mort pour la France à Cuiry-Housse (Aisne) le 28 mai 1918.

CHAUVET, soldat au 149e RI, quelqu’un a-t-il une idée ?

 

De cette corvée (car ce travail est une bien pénible corvée à cause de l’odeur des cadavres, qui par cette chaleur sont en pleine putréfaction) je rapporte 1 sac avec quelques effets : chemise, caleçon, musette etc….J’en avais bien besoin, car je n’avais que ce que je portais sur moi.

 

Mercredi 5 juin

Les jours passent bien lentement, d’autant plus que la faim commence à nous tirailler sérieusement l’estomac.

Ah ! Je ne suis pas de l’avis de beaucoup qui s’estiment heureux d’être prisonniers et je préférerais de beaucoup me trouver encore de l’autre côté.

Jeudi 6 juin-La faim

Je vais au travail à Cerseuil : je souffre terriblement de la faim et c’est à peine si les jambes peuvent me porter. Le retour surtout m’est bien pénible.

Comme viande, nous touchons presque tous les jours du cheval salé dans des barils, ce n’est pas très appétissant !!!

Vendredi 7 juin

L’installation du camp commence et les menuisiers travaillent tous les jours à la confection des couchettes à 6 places.

Peut-être sommes-nous destinés à rester ici jusqu’à la fin de la récolte !!

Samedi 8 juin

2 nouveaux aviateurs arrivent au camp, ce sont 2 pilotes de l’école de Châlons qui, venus conduire un appareil au front, se sont égarés : ils doivent la trouver plutôt mauvaise !!

Nous nous ingénions comme nous pouvons à améliorer l’ordinaire, maïs écrasé avec lequel  qui sont ma foi assez bons ; les poilus se nous fait des gâteaux ; les poilus se démerdent de leur côté et font leur petite cuisine à part.

Dimanche 9 juin-Exactions allemandes

Je vais au travail à Braisne : déménagement systématique de toutes les habitations, dont le mobilier est aussitôt emballé et expédié en Allemagne ; aujourd’hui nous nettoyons le foyer du soldat où je prends un lot de papier, cartes & livres parmi lesquels les Poèmes Barbares de Leconte de Lisle.

Plus de 200 volumes tout neufs sont jetés sur le fumier.

C’est honteux !! & écœurant !!

Lundi 10 juin

Nous avons enfin l’autorisation d’expédier une carte à notre famille avec simplement l’indication suivante : « suis prisonnier en bonne santé ».

Pourvu que cette carte arrive !

Car que de mauvais sang doit se faire ma Berthe !!

Ce soir, forte canonnade du côté de Reims.

Mardi 11 juin

100 hommes des 1e & 3e Cies du 158e quittent Lime pour Basoches, je suis ainsi séparé de mon ancienne section sauf Mangin & Limbat qui restent avec nous.

Mercredi 12 juin

D’autres poilus partent encore aujourd’hui pour Grand-Rozoy : ce sont des cultivateurs et je vois partir avec regret Coste & Boutier de la 1e Cie (j’aurais bien voulu essayer de me débiner par les lignes avec Coste)

Jeudi 13 juin

La vie continue d’être de plus en plus pénible.

Ah ! Quel triste sort que celui de prisonnier !!

Si cela dure longtemps, je ne sais ce que je deviendrai, cette vie commençant à me peser étrangement.

Vendredi 14 juin

Toujours la même vie et tous les jours le cafard augmente.

Ah ! Je donnerais gros pour me trouver encore en 1e ligne de l’autre côté !!!

Samedi 15 juin

Ce matin, je vais avec un infirmier allemand porter des croix sur les tombes des soldats fs & allemands enterrés dans les environs : j’en profite pour rapporter une musette de pommes de terre qui contribue à améliorer un peu notre ordinaire

Ah ! Quand mangerons-nous à notre appétit !!

Dimanche 16 juin

Rien de nouveau, si ce n’est que l’affaiblissement augmente de jour en jour.

Lundi 17 juin

Je vais de nouveau porter des croix et rapporte encore une pleine musette de patates : à ce prix, je voudrais bien y aller tous les jours !!

Mardi 18 mai

Aujourd’hui, les menuisiers qui travaillent à la confection des couchettes reçoivent l’ordre de cesser le travail : il paraitrait que les prisonniers qui sont ici vont partir d’ici pour aller à quelques km d’ici & que la ferme où nous sommes servirait de cantonnement de repos pour les troupes allemandes.

Mercredi 19 juin

Notre départ de Limé est maintenant officiel ; nous devons aller à la ferme du Mt de Soissons situé à 6km d’ici, et nous recevons l’ordre de démolir nos couchettes dont les matériaux seront transportés à notre futur cantonnement.

 

Voilà un ordre qui me renverse & qui me prouve que l’organisation allemande qui est si vantée de l’autre côté du front, est loin même déjà de la nôtre car je doute qu’en France pareil ordre ne soit jamais donné car il est impossible de démonter nos couchettes sans démolir la plupart des planches.

Jeudi 20 juin

Aujourd’hui la moitié environ des personnes de Limé partent pour le Mt de Soissons ; nous restons ici environ 1000, nous sommes classés par Cies et je réussis à avoir Limbert comme cuisinier pour mon groupe & Védrinier comme sergent.

Vendredi 21 juin-Mont de Soissons

À 8h nous quittons la ferme de Limé pour le Mt de Soissons où nous arrivons à 10h ; en allant une escadrille d’avions fs venant bombarder un camp d’aviation situé près de la ferme, laisse tomber des bombes à 3 ou 400 m au plus de la colonne, aussi c’est une belle pagaille : poilus & gardiens se sauvent dans les champs, augmentant ainsi considérablement la cible pour nos aviateurs qui heureusement continuent leur route sans lancer de nouvelles bombes.

Il fallait voir également les avions allemands prendre l’air et voler au ras du sol !

Notre nouveau cantonnement ne vaut pas celui que nous venons de quitter.

Samedi 22 juin

Rien de bien nouveau, nourriture analogue à celle que nous touchions à Limé. Nous passons la journée à aménager le cantonnement mais il nous est impossible de refaire les couchettes, les planches étaient presque toutes inutilisables.

Dimanche 23 juin

Continuation d’aménagement & de nettoyage des cantonnements & de la cour : cette ferme est très importante et complètement isolée sur une hauteur.

Lundi 24 juin

Les poilus commencent à aller au boulot (travail agricole) dans les environs : battage des pommes de terre, binage des betteraves.

Le 1er travail est assez intéressant et il permet aux hommes de « rabioter » quelques patates.

Mardi 25 juin

Il est triste de voir les magnifiques champs de blé que notre recul a laissé aux mains des Allemands : aux environs de la ferme, il y en a de vraiment superbes….

Mercredi 26 juin

Ici ce n’est pas comme à Limé & en dehors de l’infecte ??? il n’y a rien à manger ; aussi les jours diminuent de jour en jour & je me demande ce que je deviendrai s’il me faut rester 2 ans en captivité.

Certains groupes partent pour aller travailler dans les villages voisins : Acy, Ciry-Salsognes, etc….

Jeudi 27 juin

Mon groupe ne comprenant pas un seul cultivateur, je dois rester ici, malgré cela nous allons au travail et cet après-midi nous allons biner un champ de betteraves : je faiblis de plus en plus & ce soir, ayant attrapé la diarrhée, cela ne va pas du tout.

Vendredi 28 juin

Quoiqu’étant bien malade & pouvant à peine me tenir debout, je vais à la corvée de croix avec l’infirmier allemand ; nous faisons au moins une vingtaine de km : nous discutons une bonne demi-heure avec de jeunes civils (15 à 18 ans) qui gardent les bœufs & les vaches dans les champs.

Ah ! Les malheureux comme je les plains !!

Avec Limbert (notre cuistot) je rapporte plus de 40 kg de pommes de terre nouvelles qui vont nous aider à passer quelques jours.

Aujourd’hui, nourriture infecte : phoque & mauvaise farine.

Samedi 29 juin - Bourg & Comin

Rassemblement des s/s officiers ce matin pour désigner les sergents qui doivent partir pour Laon ce midi avec nous (adjt & aspt).

Comme c’est justice on prend ceux des classes les plus anciennes : Védrennes & Tissot doivent rester ici.

 

Nous quittons la ferme de Soissons à midi pour Bourg & Comin où nous arrivons à 19h.

Je suis bien fatigué, d’autant plus qu’il a fait une chaleur tropicale & que je suis bien malade.

À part quelques patates ramassées en cours de route, je mange à peu près.

Dimanche 30 juin-Laon

Nous quittons Bourg ce matin à 6h pour Laon (22 km).

Nous traversons l’ancien front : la fameux Chemin des Dames, sur une profondeur d’au moins 10 km.

Tout est complètement dévasté : les villages sont en ruine et ne forment plus qu’un amas de décombres.

 

À Bruyères où nous faisons une heure de grande halte, les Allemands ont enlevé jusqu’aux gouttières des maisons,  ainsi que les cloisons intérieures.

 

Arrivée à Laon à 15h.

Pour arriver à la citadelle où nous sommes enfermés : pente abrupte à grimper qui achève de m’esquinter car je suis toujours mal fichu.

 

En traversant les champs de blé, nous trouvons 3 cadavres de soldats fs qui sont en pleine décomposition.

Combien de malheureux se trouvent ainsi encore étendus dans la campagne & dont on ne trouvera les os qu’au moment des récoltes !!

Juillet 1918 : Prisonnier – Laon, la citadelle – Hirson - Les prisonniers italiens – Du phoque comme nourriture !

Lundi 1er juillet

Notre départ pour l’Allemagne qui était fixé à demain est maintenant incertain.

Comme nourriture sommes un peu mieux qu’à la ferme de Soissons (2 soupes claires par jour)

Mardi 2 juillet

Comme traitement, les Français sont beaucoup mieux que les Anglais à qui les Allemands n’épargnent pas les bousculades, ce sont eux qui héritent de toutes les sales corvées (binettes).

Les prisonniers sont littéralement affamés, et c’est vraiment un spectacle écœurant de les voir se battre pour ramasser les os que leur jettent nos gardiens.

Mercredi 3 juillet

De la citadelle où nous sommes, il est bien impossible de songer à s’évader.

De la terrasse au sommet de la citadelle, où je passe une partie de l’après-midi, on a une vue magnifique (fort de la Malmaison & Chemin des Dames).

Jeudi 4 juillet

Vers 19h, rassemblement des adjt & aspt qui doivent partir demain pour l’Allemagne : comme il doit y en avoir seulement 49, je ne suis pas du nombre et reste avec Lachamp.

Vendredi 5 juillet

Ce matin 500 Anglais quittent la citadelle ; hier soir 500 fs sont également partis : le camp, parait-il doit se vider dans un bref délai.

Les 49 adjt & aspt désignés hier soir partent à 15 km (direction inconnue), le Brandebourg affirment les uns, la Westphalie disent les autres.

Samedi 6 juillet

Hier soir, le feldwebel qui commande le camp tire un coup de fusil pour effrayer les Anglais, la balle ricoche et traverse la cuisse d’un soldat fs : il est tout de même triste de voir pareils actes !!

 

À 7h, l’interprète vient prendre le nombre d’adjt & sergt-majors qui restent.

 

De 9 à 11h, on nous parque dans les fossés pour nettoyer les chambres.

 

À 12h, on vient nous avertir que nous partons à 11h ; nous manquons le train qui est bondé de permissionnaires et nous partons qu’à 21h pour Hirson.

Dimanche 7 juillet-Hirson

Jusqu’à 20 km au moins de Laon, la campagne est inculte, signe certain que les Allemands prévoyaient un recul.

Arrivée à Hirson à 1h ½, nous vadrouillons pour trouver le camp jusqu’à 4h ½ (fort). Je suis très malade : sorte d’indigestion.

Au camp, nous retrouvons les adjt partis avant-hier.

Camp détestable, nourriture ignoble.

Lundi 8 juillet-Les Italiens

Ici nous nous trouvons avec 5 à 600 Italiens qui après être restés pendant 4 ou 5 mois à travailler par ici vont retourner en Allemagne (camp de Darmstadt).

Ces malheureux sont complètement épuisés et n’ont plus que la peau et les os : c’est un spectacle vraiment lamentable !!!

Mardi 9 juillet

Nourriture très mauvaise et insuffisante, je suis toujours très malade (fièvre, lourdeur d’estomac), si cela continue je crois bien qu’il me faudra laisser ma peau par ici.

Mercredi 10 juillet

Je vais un peu mieux.

Ce soir, j’assiste à la visite des malades passée par un infirmier allemand.

Triste spectacle que celui des Italiens, couverts de furoncles aux jambes et aux chevilles enflées par la faiblesse.

Pas de remèdes, compresses & bandes en papier, très peu de teinture d’iode.

Certes plus des ¾ de ces malheureux Italiens ne reverrons jamais leur pays.

Ah ! Quelle chose abominable que la guerre !!

Jeudi 11 juillet-Du phoque !

D’après des bruits qui ont couru cette semaine, nous devons partir demain. Puissè-je être vrai ?!

Comme viande nous avons ici phoque exécrable et de la soupe faite avec de la farine ou plutôt avec un mélange ou entre tout autre chose que la farine, soupe à odeur & à saveur infecte.

Vendredi 12 juillet

Les Italiens partent ce midi pour l’Allemagne & nous devons encore rester ici.

Ah ! Que notre tour vienne le plus tôt possible !!

 

Le soir, une vingtaine de spécialistes français arrivent au camp ; parmi eux se trouve Aléonard ancien poilu de la 1e Cie.

Nous n’avons plus, heureusement la vue de ces Italiens, spectacle vivant de la misère

Samedi 13 juillet

Maintenant il n’y a plus aucun bruit de départ et je me demande anxieusement si nous ne devrons pas laisser notre peau à Hirson ; c’est à peine si j’ai encore la force de faire le tour de la cour !!!

Aussi je me fais de plus en plus de mauvais sang et je crains bien que la captivité ne me soit fatale !

Un Badois qui est ici et qui parle couramment français nous fournit quelques tuyaux sur le prix exorbitant des denrées en Allemagne (1/2 kg de lard 25 marks, une paire de chaussures 150 mark)

Dimanche 14 juillet

Pour le 14 juillet, le menu est légèrement amélioré par nos cuisiniers qui arrangent le phoque en sauce, ce qui me permet d’y goûter.

La messe est dite dans la cour par un aumônier allemand polonais.

Lundi 15 juillet

Régime complet de restrictions : phoque & soupe à la julienne pour toute la journée. Les spécialistes (métallurgistes, riveurs, mariniers) arrivés vendredi quittent le camp ce soir pour l’Allemagne.

Mardi 16 juillet

Nous devions partir ce matin & puis rien.

Ah ! Ils nous font bien languir dans ce camp.

Vivement que nous soyons en Allemagne & que nous puissions recevoir quelques colis.

Mercredi 17 juillet

Les baraques où nous couchons sont infestées de puces & punaises aussi impossibilité absolue de dormir. Temps orageux.

Les Allemands doivent avoir commencé une nouvelle offensive du côté de Reims.

Jeudi 18 juillet

Toujours pas de bruits de départ : nourriture toujours aussi peu abondante et aussi mauvaise (hier seulement nous avons eu une soupe à la farine de maïs à peu près mangeable)

Ah quelle vie tout de même & dire que nous avons la perspective de rester ici peut-être 2 ans.

Vendredi 19 juillet

Toujours la même existence & la même nourriture, avec cela les puces qui abondent par millions dans les baraquements nous empêchent de fermer l’œil et il faut rester enfermé dans ces baraques de 21h à 7h du matin.

Quel supplice !!

Samedi 20 juillet

Pour tuer le temps je vais à la corvée de bois & alors je me rends compte de mon extrême faiblesse : les jambes ne veulent plus rien savoir.

Depuis hier nous avons touché un petit morceau de cheval bouilli au lieu de phoque.

Dimanche 21 juillet

Aujourd’hui pas de viande, simplement une soupe à l’orge bouillie.

Le 18 nous avons eu des champignons plein de vers qui formaient une véritable couche au-dessus du bouillon ; malgré cela je l’ai mangé.

 

Ce matin, nous allons aux douches et en même temps on passe nos vêtements à l’étuve ce qui les rend jaunâtres.

Mais pour nous débarrasser des puces ce ne sont pas nos vêtements mai les baraquements entiers qu’il faudrait désinfecter !

Lundi 22 juillet

Le matin arrivent environ 80 travailleurs prisonniers depuis une quinzaine de mois, la plupart depuis le 16 avril 17.

Grâce à eux nous avons un petit supplément : ils ne mangent pas toute leur soupe et nous passent un peu de rabiot.

Ils touchent régulièrement leurs colis et ne sont pas trop malheureux maintenant mais au début ils sont restés 3 mois à ??? comme nous en ce moment.

 

Ce soir, nous réclamons à l’officier du camp pour la nourriture ce qui vaut une belle engueulade au sergent qui est au camp.

Mardi 23 juillet

Nourriture un peu moins mauvaise (effet de la réclamation d’hier) nous avons un petit morceau de viande fraîche au lieu du sale phoque.

Avec quel plaisir nous mangeons les bribes de biscuits que nous ont donnés les anciens prisonniers !

Ah, le bon pain blanc de France !!

Quand aurons-nous le plaisir de le croquer !!

Bruits d’une grande offensive fse, nous serions revenus du côté d’Hartennes (avancée de plus de 10 km).

Mercredi 24 juillet

Ce matin, 1500 prisonniers fs arrivent au camp, la plupart ont été faits prisonniers fin juillet, quelques-uns les 15 & 16 mai lors de l’offensive allemande sur Reims & quelques autres les 19 & 20 juillet lors de notre avancée.

 

D’après eux les Allemands prennent en ce moment une bonne piquette, ce qu’il y a de certain c’est que les prisonniers fs travaillant du côté d’Arcy, fe Rozoy, la ferme du Mt de Soissons ont été évacués en grande vitesse à l’arrière et ce sont eux qui sont arrivés ici hier.

Il ne faut peut-être pas croire tout ce qu’ils racontent car d’après eux, les Français seraient à Braisne & à ??? & nous aurions fait plus de 7000 prisonniers mais hélas il faut bien se garder de tout emballement car après la déception est trop grande.

 

Malgré tout, nous sommes bien heureux, puissions-nous seulement réussir à les rejeter de l’autre côté de l’Aisne ! Je crois bien qu’alors ce serait un grand pas vers la paix !

Les Américains ont parait-il de fameux soldats et rappellent les Français de 1914 ; ils font parait-il peu de prisonniers mais les Allemands leur rendent la pareille.

Parmi les prisonniers arrivés ici se trouvent 2 Américains dont 1 aspirant qui loge avec nous.

 

Ce soir, nous réussissons à avoir un journal allemand qui donne le communiqué fs du 21 : Château-Thierry est maintenant complètement dégagé au Nord.

Jeudi 25 juillet

Cette nuit, il a plu à verse & les malheureux qui ont dû coucher dehors (les baraques étant trop petites) sont trempés.

Ah ! On en voit de toute sorte lorsqu’on est prisonnier.

 

Dans la journée arrivent encore 500 nouveaux prisonniers ; d’après eux la pagaille serait dans l’armée allemande qui se replierait en désordre ; je revois le cal Moreau & Lhôte de ma section : ils ont vu Védrennes et Tissot à Laon.

Ces derniers ont parait-il bien décollé & font peine à voir. Il est vrai qu’un prisonnier fs a été tué par une sentinelle à la ferme du Mt de Soissons pour être allé chercher quelques patates dans un champ.

 

Le midi, les anciens prisonniers quittent le camp pour aller à 12 km d’ici.

Vendredi 26 juillet

Toujours la pluie & plus de 200 malheureux doivent passer la nuit dehors.

Les sergents qui ont été rassemblés à Laon sont parait-il embarqués pour l’Allemagne ; les veinards !!!

Quand aurons-nous cette chance ??

Quand pourrai-je enfin rassurer mes êtres chers ?

Et quand recevrai-je la 1e lettre ? Le 1er colis ?

Hélas pas avant début d’octobre maintenant !!

Samedi 27 juillet-La faim

Le bruit court que nous devons partir lundi prochain en même temps que 300 officiers qui se trouvent au camp de Sissonne. Puisse ce tuyau être enfin exact !!

 

Aujourd’hui, pour soupe, nous avions des orties en guise d’épinards : ces orties cuites à l’eau sans aucune graisse sont complètements immangeables. Je suis de plus en plus dégoûté de la vie.

Si j’ai le bonheur de voir le fin de la guerre, j’ai l’intention de quitter l’enseignement pour revenir à la terre, car il est certain que l’avenir est de ce côté.

Temps toujours très mauvais, averses tout le jour.

Pauvres cultivateurs !!!

Dimanche 28 juillet

Rien de nouveau, sauf que la faim & l’affaiblissement augmentent de jour en jour.

Lundi 29 juillet

Le midi, nous avons comme soupe une infâme mixture où on trouve rutabaga, orties, œufs de poisson etc…

J’ai de plus en plus faim.

Ah quelle chose terrible que la faim !

Depuis 2 mois, s’être toujours couché & levé avec l’estomac qui crie famine. Pour calmer leur estomac, les poilus qui ont encore un peu d’argent achètent du pain aux gardiens, mais à quel prix, grand Dieu !

Pour une mauvaise boule de 1500 gr à moitié moisie, un donne un stylo « Watermann » à pompe d’une valeur de plus de 25 f. La même boule se vend couramment 15 marks ou est échangé contre une montre.

À Laon, un poilu a échangé une montre en or contre 1 boule.

Ah, c’est tout de même triste !! Hier l’officier du camp est venu et nous a laissé entendre que nous étions ici en représailles.

Ah, quand donc finira cette vie !!!

Mardi 30 juillet

Un cas de diphtérie s’est déclaré hier soir et le poilu est mort ce matin ; si jamais cette maladie se propage….gare à nous !!

Mercredi 31 juillet

Cela ne va pas très bien, mon estomac crie famine et encore quinze jours de ce régime, alors je serai bien près d’être comme les Italiens qui sont passés par ici.

Ah ! Pauvre Berthe !

Pauvre père !

Si vous vous doutiez que je suis en train de mourir de faim !

Heureusement, vous ignorez les souffrances que j’endure !! Ah ! vivement que nous allions dans un camp, que nous touchions des biscuits auxquels nous pensons continuellement !!

Août 1918 : Prisonnier – Hirson – départ pour l’Allemagne – Guissen – Camp de Cassel

Jeudi 1er août

Ce midi très bonne nouvelle, il est parait-il certain que nous partons pour l’Allemagne demain ou au plus tard, après-demain…Puisse ce nouveau tuyau ne pas crever comme les autres !

Nous allons donc pouvoir enfin écrire à nos familles & dans 2 mois nous pourrons attendre les 1er colis.

Vendredi 2 août

Nous passons toute la journée attendant impatiemment l’ordre de départ qui ne vient pas & j’ai bien peur que demain se passe également sans que rien arrive, nous n’avons décidemment pas de chance.

Ce midi, soupe aux haricots non épluchés & salés à tel point qu’ils sont à peu près immangeables.

Samedi 3 août-Hirson

La journée se passe dans les mêmes conditions qu’hier et le soir arrive sans qu’il n’y ait rien de nouveau à notre sujet.

Ah, quand donc quitterons nous Hirson ?

Quand donc pourrai-je manger une fois à ma faim ? Les forces s’en vont de jour en jour et c’est d’une âme pessimiste que j’envisage l’avenir.

Jamais de ma vie je n’ai eu pareil cafard

Dimanche 4 août

Rien de nouveau si ce n’est que cet après-midi nous avons, grâce à quelques paroles de l’officier qui commande le camp la conviction que le tuyau de départ lancé par nos gardiens était un vaste canard destiné certainement à nous démoraliser.

Lundi 5 août

Temps toujours pitoyable, même nourriture.

Rien de nouveau au sujet de notre départ.

Mardi 6 août

Ce midi nous avons une soupe à la farine de maïs qui ma foi n’est pas trop mauvaise, dommage qu’on en ait si peu.

Rien de nouveau.

Mercredi 7 août

Le midi, soupe aux haricots & à la julienne (rutabaga en barils).

Ce soir : marmelade, à peine une demi-cuillère par homme, c’est vraiment ridicule.

Jeudi 8 août

Aujourd’hui betterave fourragère avec un peu de farine comme les Allemands reconnaissent eux-mêmes que ce n’est pas fameux nous avons ce soir, au lieu de casse-croûte un peu de soupe à la farine.

Depuis 2 jours nous touchons la moitié de notre ration de pain en biscuits allemands, (très petits biscuits et de 25 à 30 par homme) chaque biscuit doit peser 5 gr.

Avance française continue.

Vendredi 9 août

Julienne avec mauvaise farine.

Ce soir, vif incident au sujet des listes que les Allemands voulaient nous donner à faire (adjt ??? du 159e). visite de l’officier commandant le camp.

Le communiqué allemand nous apprend que nos troupes ont franchi le Vesle. Puissions-nous ne pas nous arrêter en si bon chemin…c’est le vœu de tous les prisonniers.

Samedi 10 août

Inspection du camp par 3 officiers, nous devons tout de même partir d’ici très peu de temps (3 ou 4 jours) pour le camp de Giessen.

Nous avons comme soupe de l’orge et c’est peut-être la meilleure que nous avons depuis que nous sommes ici ; dommage que ces officiers ne soient pas venus les jours où nous avons eu orties, champignons, haricots, œufs de poisson, betteraves etc… Malgré cela, ils trouvent que la ration n’est pas suffisante….

Affaire du petit drapeau.

 

Ce soir, le communiqué allemand annonce une bonne avance des Anglais dans la Somme qui sont revenus à Caix, Harbonnières. Les Allemands avouent avoir subi de lourdes pertes en hommes & en matériel (camions).

Les gaz ont parait-il fait beaucoup de victimes (aveugles)

Dimanche 11 août

Temps splendide : soupe à la betterave ce midi et ce soir 2e soupe à la farine.

Environ 300 poilus (spécialistes) doivent partir demain.

L’officier du camp nous annonce que cette fois notre tour viendra demain ou après-demain.

Puisse-t-il enfin dire vrai !

Les 3 mois au bout desquels nous devons avoir une adresse sont en effet bien près d’être écoulés et c’est certainement pour cette raison que l’on va se décider à nous expédier.

Aujourd’hui 3 Français s’évadent de la corvée de bois & la patrouille allemande partie à leur recherche revient bredouille.

Lundi 12 août

Ce soir, rassemblement général, l’officier du camp nous annonce que nous partons demain matin pour l’Allemagne (camp de Giessen).

Ah ! Quelle joie !!

Mardi 13 août-Le départ vers l’Allemagne

Ce matin le jus est à 5h & le départ du camp a lieu à 7h.

L’embarquement a lieu à Hirson & à 10h le train démarre.

Nous passons par Maubeuge, Charleroi, Mons, Namur, Liège (où nous avons une soupe).

Accueil enthousiaste de la population belge qui n’ayant rien trouve malgré tout le moyen de nous passer quelque chose : pommes de terre, jus, lait, etc

Affaire du petit drapeau.

Mercredi 14 août

Le matin à la pte du jour alors que nous allions arriver en gare de Verviers, 7 types s’évadent pour essayer de gagner la frontière hollandaise.

Parmi eux se trouve l’aspirant américain.

Ah ! Que n’ai-je pu faire comme eux !!

Nous entrons en Allemagne vers 6h ½ ; nous passons par Aix-la-Chapelle, Cologne (Cöhn) qui sont de très belles villes : nous suivons ensuite la vallée du Rhin, vraiment superbe, le terrain est entièrement cultivé, pas la moindre parcelle est restée en friches, les enfants de 12 ans fauchent, conduisent des moissonneuses etc…

C’est le moment de la récolte et le blé qui domine paraît assez bon. Il y a aussi beaucoup de champs de pomme de terre.

Nous passons ensuite par Böhn, Coblentz qui a également un très bel aspect : les simples villages ont l’aspect très propre.

À Coblentz, nous passons la Moselle puis le Rhin.

Limbourg.

Jeudi 15 août-Giessen

Arrivée à Giessen à 4h ½, nous traversons la ville qui est très bien.

Camp très vaste avec belle apparence ; à notre arrivée, on nous enlève couvertures & toiles de tente ; soupe à l’arrivée & ce midi pommes de terre nouvelles en soupe.

Nous touchons ensuite du pain pour 2 jours (près d’un kg).

 

À 17h, nous reprenons le train : en traversant la ville nous pouvons remarquer que les boutiques d’alimentation sont vides, les jeunes filles de 14-15 ans vont nu-pieds.

Soupe à Bebra vers 23h.

Vendredi 16 août-Cassel

La soupe à Bebra est vraiment abondante & je m’en mets plein la lampe, depuis que je suis prisonnier, jamais je n’ai eu l’estomac si bien garni.

Nous allons jusqu’à Gotha en passant par Eisenach : à Gotha nous faisons demi-tour et à 13h nous sommes de retour à Breba où nous avons eu une nouvelle soupe.

Arrivée à Cassel à 17h.

Le camp est très vaste & un véritable village : aspect sale.

Là, nous retrouvons les sergents que nous avions laissés soit à Laon, soit à la ferme du Mt de Soissons : Vedrennes, Tissot, Bouillad, Perrin qui sont ici depuis 1 mois : les veinards !!

Nous avons eu une guigne formidable.

Ah ! Hirson !!

Quel souvenir j’en garderai !! Autre guigne, celle jusqu’à Gotha alors qu’un autre convoi parti avec nous de Giessen est venu directement ici et touche des biscuits ce soir.

Samedi 17 août

Nous sommes affectés à la Cie 2/4 & j’ai le matricule 4425.

Au camp, il y a une cantine où l’on vend bière & limonade (3 canettes de bière valent 1 mark), des prisonniers qui sont sur le point d’être rapatriés changent leur argent (120 marks contre 100f).

Si j’avais su je n’aurai pas changé mes derniers 50f à Hirson !

Ici nous avons 2 soupes par jour.

Le soir nous touchons chacun 45 biscuits.

Ah ! Comme ils nous paraissent bons, après avoir été si longtemps désirés. J’espère bien que maintenant les plus mauvais jours sont finis.

Dimanche 18 août

Ce matin : début de fouille, on nous enlève nos marmites, bidons allemands, boites à masques, boussoles etc…. toujours pas le droit d’écrire.

Quand donc nos parents seront-ils prévenus de notre sort ?

Le temps s’est remis à la pluie.

Lundi 19 août

Matin : soupe aux choux & ce soir orge.

La nourriture est déjà bien supérieure à celle d’Hirson & j’espère bien me retaper un peu car je ne suis guère costaud & à Hirson je craignais bien être obligé de laisser ma peau en Allemagne.

Mardi 20 août

Enfin, aujourd’hui nous recevons l’autorisation d’écrire & j’envoie une carte à ma Berthe chérie, mais quand la recevra-t-elle ? Matin : rutabaga & choux ; ce soir : idem.

Mercredi 21 août

Le matin : douches & désinfection des effets, on nous coupe les cheveux & tous les poils à la tondeuse : onguent gris.

Les effets sont complètement esquintés par l’étuve.

Comme pain, nous ne touchons pas notre compte. Nous avons une boule de 2100 gr pour 10, ce qui fait 210 gr par homme au lieu de 250. Réclamation en voie.

Les Allemands trouvent surprenant que nous ne laissons pas une caisse de biscuits au bureau où ils pourraient puiser.

Matin : carottes & pommes de terre ; soir : choux & patates.

Jeudi 22 août

Nous touchons chacun une couverture ce matin et encore quelques-unes sont grandes comme un mouchoir.

À force de coucher sur les planches, les hanches & les côtes sont plutôt endolories.

Aujourd’hui 2 soupes aux choux.

Ici je suis avec l’adjt Germain du 149e.

Vendredi 23 août

Le midi nous touchons des biscuits, mais seulement 38 chacun sous prétexte que nous en avons eu de trop samedi dernier.

 

Ce soir, on nous paye notre solde du 20 au 30 (8 marks), il parait que l’on va nous faire notre rappel depuis le début de notre captivité : cela nous ferait une soixantaine de marks à toucher chacun.

Le feldwebel rassemble les chefs de groupe ce soir & nous fait part qu’une épidémie de dysenterie cholérique sévit au camp : on compte 90 cas & 15 décès.

La quarantaine en serait allongée, aussi nous voilà pour longtemps dans ces sales baraques.

Vivement que je fasse venir une de paquets A.

Ah ! C’est bien là notre veine !

 

Matin : soupe aux choux, soir : soupe aux pruneaux.

Samedi 24 août

Ce matin, fouille à la Cie 3/4, mais comme elle était prévue, les Allemands ne trouvent pas grand-chose à ramasser.

 

À 11h, visite du camp par un général allemand.

Le temps est à l’orage depuis hier soir & la température est un peu plus supportable.

Matin : choux, soir : farine.

Dimanche 25 août

Rien de nouveau.

Matin : soupe aux choux plutôt claire, soir : orge bouillie.

Ma provision de biscuits subit un rude choc & ce soir je n’en ai plus qu’une dizaine pour aller jusqu’à vendredi.

Lundi 26 août

Nous touchons ce matin chacun une boîte de bœuf bouillie & une 2e de corned-beef du Comité de Secours : cela fait diablement plaisir.

Je passe mon après-midi à jouer au bridge.

Matin : soupe aux choux, soir : orge & pruneaux.

Mardi 27 août

Nous passons pour la 2e fois à la désinfection.

Matin : saucisson de chien & soupe aux choux ; soir : nouilles avec mauvaise farine.

Mercredi 28 août

Nous apprenons enfin qu’aujourd’hui nous pouvons écrire 1 carte & 1 lettre.

Que ces nouvelles aillent vite rassurer nos êtres chers !!

Notre rappel à partir du 1er juin à raison de 24 marks par mois nous sera payé lundi prochain : cela nous fera 64 marks chacun.

 

Aujourd’hui nous avons connaissance du communiqué allemand.

Notre offensive continue dans la Somme & nous attaquons également en Alsace.

Jeudi 29 août

Nous touchons ce matin 2e couverture & enveloppe de paillasse.

Communiqué excellent nous avons repris Roye.

Nous savons enfin quand nous devons écrire : 1e dimanche & 3e du mois 1 lettre & 1 carte, 2e et 4e dimanche 1 carte.

Par suite nous pourrons écrire de nouveau 1 carte & 1 lettre dimanche prochain.

Matin : soupe aux choux, soir : orge (rations diminuent).

Vendredi 30 août

Notre ration de biscuits est encore diminuée pour rattraper ce que nous avions touché en trop à la 1e distribution.

Matin : soupe aux choux, soir : orge & farine.

Samedi 31 août

Aujourd’hui nous écrivons carte & lettre qui doivent être remises au bureau pour 2h ce soir.

Communiqué toujours excellent : avance anglaise continue. Il paraitrait que nous serons définitivement affectés au camp de Cassel alors nous passerions d’ici peu dans le camp des anciens.

Les adjt & aspt. qui travaillent la terre pourront demander à travailler & seront alors expédiés dans les fermes. Pour de multiples raisons, j’ai l’intention de demander à travailler.

 

Le soir nous touchons notre rappel depuis le 1er juin.

Matin : orge & carottes, soir : choux.

Septembre 1918 : Allemagne – Camp de Cassel

Dimanche 1er septembre

Je passe une grande partie de ma journée à la confection d’une caisse pour mettre mes vivres : le temps passe ainsi plus vite et je m’ennuie moins.

Matin : soupe aux choux, soir : pommes de terre en robe de chambre & fromage.

Lundi 2 septembre

L’épidémie de dysenterie est à peu près enrayée comme manger ce matin nous du mauvais rutabaga. Je trouve à acheter de la marmelade (1 livre pour 2 marks). Je travaille toute la journée à ma caisse.

Le soir : orge très claire.

Mardi 3 septembre

Matin : soupe au rutabaga, soir : orge.

Avec GERMAIN j’achète un chou rouge à la cantine que nous mangeons en salade avec du mauvais vinaigre.

Je fais l’acquisition d’une grammaire allemande : 6m50. Je vais essayer de potasser un peu.

Mercredi septembre

ce matin soupe à l’orge assez bonne ma foi, le jus était aussi assez bon, il est fait parait-il avec du sarrasin grillé tantôt avec de la pulpe de betteraves.

Soir : patates robe de chambre & ??? infect.

Malgré tout on la pile jusqu’à l’arrivée des colis.

Beau temps, mais nuit froide.

Jeudi 5 septembre

Navets ce matin & orge ce soir.

Le temps se met à la pluie.

Vendredi 6 septembre

Nous touchons chacun 35 biscuits.

Ce soir épouvantable grêlons gros comme le doigt & averse diluvienne.

Choux ce matin & navets ce soir.

Samedi 7 septembre

Pour la chambre nous touchons 4 tables & 5 bancs.

Après nous avoir passé à la désinfection, il est triste de constater qu’on nous a donné des paillasses remplies de vermine, c’est dégoûtant !!

Matin : orge & carottes, soir : patates en robe de chambre & marmelade.

Dimanche 8 septembre

Les camarades qui sont arrivés ici le 11 juillet commencent à recevoir des colis, aussi nous espérons pour la mi-octobre, encore 1 mois ½ que c’est long !!

Communiqué toujours très bien : Ham & Guiscard puis attaques depuis Ypres jusqu’à Reims.

Matin : choux, soir : patates.

Lundi 9 septembre

Communiqué toujours très bien, on parle de Douai, St Quentin, ???.

J’ai toujours la déveine : alors que beaucoup de camarades ont trouvé des connaissances parmi les vieux prisonniers qui leur donne un supplément de nourriture, je n’ai trouvé personne et je la « saute » terriblement.

Je suis complètement découragé.

 

Cet après-midi, nous touchons chacun 2 boîtes de singe et ce soir j’en achète 4 autres aux ??? pour 20 marks.

Matin : choux, soir : soupe aux pruneaux.

Mardi 10 septembre

Communiqué toujours excellent, les Anglais sont à peu près revenus à leurs anciennes positions.

Matin : choux & navets, soir : patates, 4 ou 5 chacun.

Dans le grand camp se trouvent quelques poilus de la Manche : le sergt Fontaine de Carentan, beau-frère de F. Violette, je vais le trouver avec l’adjt Allix afin d’essayer d’aller en Kommando aux environs de Cassel, ce qui nous donnerait toute facilité pour nous débiner au printemps.

Mercredi 11 septembre

Temps toujours exécrable.

La soupe ne devient pas fameuse.

Ce matin un peu d’orge très claire & ce soir choux, navets.

Jeudi 12 septembre

Toujours la pluie.

Quelle vie tout de même nous menons !!

Rien à faire aussi je m’ennuie mortellement & la faim me travaille.

Ma Berthe doit être sur le point de recevoir ma 1e carte.

Matin : soupe aux choux, soir : nouilles.

Vendredi 13 septembre

Aujourd’hui nous touchons notre ration complète de biscuits. Comme ils sont plus petits que d’ordinaire, nous en avons chacun une cinquantaine.

Matin : choux, soir : patates & fromage.

Samedi 14 septembre

Cette nuit un type a été pris en train de voler des biscuits à un camarade (2e fois) pendant toute la journée il doit rester debout à la porte du bureau avec cette pancarte à son képi : « au voleur de biscuits ».

Bonne punition.

Le communiqué annonce que les Allemands ont dû évacuer la pointe de St Mihiel (8000 prisonniers).

Voilà une nouvelle défaite pour eux.

Ce soir mauvaise nouvelle, un de mes camardes, l’adjt Gobet me dit qu’il sait par un camarade prisonnier qu’à la fin août il était encore porté « disparu » chez lui ; par suite il est à peu près certain que la carte envoyée de Limé n’est pas parvenue à nos êtres chers.

Que c’est triste tout de même !!

Aussi donc ma Berthe & mon pauvre père sont restés pendant plus de 3 mois ½ sans recevoir de mes nouvelles !!

Quels tristes jours ils ont dû passer !!

Matin : soupe aux choux, soir : orge & pruneaux.

Dimanche 15 septembre

Nous remettons notre 3e lettre & carte pour qu’elles s’en aillent là-bas vers notre belle France consoler nos chers parents.

Communiqué excellent : ce sont les Américains & les Français qui ont attaqué à St Mihiel.

Matin : choux, soir : patates.

Lundi 16 septembre

Temps superbe.

D’après les bruits qui courent, notre quarantaine tirerait à sa fin & nous passerons cette semaine dans l’autre camp.

On dit également que dorénavant nous toucherons 3 kgs de biscuits au lieu de 2 !!

Puisse ce tuyau être vrai !

Car malgré que nous soyons moins mal qu’à Hirson, nous n’avons cependant pas & loin de là notre suffisance.

Dans le journal d’aujourd’hui, l’Autriche inviterait tous les états belligérants à tenir une conférence sur un pied d’égalité.

Matin : orge, soir : choux.

Mardi 17 septembre

Le bruit court que tous les s/s officiers partiraient à Crossen ; décidemment la déveine nous poursuit moi qui espérait rester par ici.

Matin : orge, soir : choux.

Mercredi 18 septembre

Toujours même tuyaux, nous partirons pour Crossen un de ces jours.

Choux ce matin & patates ce soir.

Jeudi 19 septembre

Notre quarantaine est levée aujourd’hui & ce soir nous pouvons aller nous promener librement dans le camp des anciens, camp qui d’ailleurs est loin d’être le rêve (baraques très sales remplies de vermine).

Pourvu que je réussisse à aller dans un Kommando !!!

Matin : choux, soir : orge très claire.

Vendredi 20 septembre

Communiqué toujours très bon, nous touchons chacun 35 biscuits.

Matin : orge, soir : patates

Samedi 21 septembre

Temps pluvieux il tombe d’ailleurs de la flotte presque tous les jours.

Je fais connaissance avec quelques anciens prisonniers de la Manche dont Grivelle de Carentan & plusieurs autres de l’arrondissement de Cherbourg.

Je me demande anxieusement si je réussirai à rester ici & à éviter le départ pour Crossen.

Dimanche 22 septembre

Je passe une partie de la journée à la bibliothèque, cela a l’énorme avantage de me tenir éloigné de mes biscuits.

Les listes qui devaient être envoyées aux comités de secours départementaux ne sont pas encore parties : il y a tout de même quelqu’un de responsable au Comité d’ici & il est triste de constater combien chacun s’en « fout » royalement.

Aujourd’hui dimanche les belles tenues sont sorties & quelques-uns même en assez grand nombre font autant de clique que s’ils se trouvaient sur les Grands Boulevards.

Matin : choux, soir : carottes.

Lundi 23 septembre

Rassemblement des s/s officiers de la compagnie 3/4 à 14h45 pour demander les volontaires pour le travail. Je me fais inscrire avec Allix de Neuilly.

Espérons que d’ici peu nous allons partir dans un Kommando.

Matin : choux, soir : orge.

Mardi 24 septembre

Le matin, bonne nouvelle : grâce à Fontaine nous allons très probablement Allix & moi partir d’ici peu en Kommando du côté de la Hollande (Valdeck).

Ce soir grande désillusion, les adjt & aspt volontaires pour le travail vont tous à Cassel dans des usines aussi je m’empresse de me faire rayer de la liste des volontaires & me résigne à aller à Crossen.

Quelle déveine tout de même, jamais la chance me favorisera !!

Matin : soupe aux choux, soir : nouilles.

Mercredi 25 septembre

Les s/s officiers volontaires partent ce midi pour Cassel : me voilà heureusement séparé de l’adjt Germain qui part en me donnant 8 marks.

Je n’ai pas encore réussi une seule fois à conserver des biscuits jusqu’au vendredi & depuis lundi soir je n’en ai plus.

Il est triste tout de même de n’avoir pas plus de volonté & de souffrir ainsi de la faim.

Matin : choux, soir : feuilles de betteraves.

Jeudi 26 septembre

Matin, inventaire de nos effets (linge & effets de drap). Je fais réparer mes godillots qui d’ailleurs en avaient grand besoin. Coût : 2 marks.

Communiqué toujours bon : avance considérable anglaise en Mésopotamie.

 

Ici comme probablement dans tous les camps, il se fait un commerce honteux : les anciens prisonniers profitent de notre dénuement pour nous « voler » à qui mieux mieux.

Les cuisiniers eux vendent patates & choux qui sont ainsi distraits de notre ration. Aux colis, il est avéré que les s/s officiers qui ouvrent les colis barbotent pas mal de choses : tabac, savon, chocolat, alcool de menthe etc…

Un sergent avait le toupet de se vanter de ne jamais recevoir de colis !!

Ce tabac qu’on nous barbotte, on nous le revend jusqu’à 8 marks le parquet (un colis de chez Burrus a été cédé pour 70 mark) c’est honteux !

En attendant, je la pile consciencieusement.

Matin : carottes, soir : orge.

Vendredi 27 septembre

J’achète quelques patates aux Anglais (6 pour 1 mark) cela améliore un peu l’ordinaire.

Nous touchons chacun 39 biscuits qui cette fois ne sont pas fameux, ayant souffert de l’humidité.

Matin : orge, soir : choux.

Samedi 28 septembre

Temps plutôt froid ; touche 2 boîtes de singe pour le voyage à Crossen.

Communiqué excellent : avancée d’une dizaine de km en Champagne, sur un front de plus de 80 km de Reims à la Moselle. La Bulgarie demande l’armistice etc.….

Matin : carottes, soir : orge.

Dimanche 29 septembre

J’achète de nouveau quelques patates aux Anglais qui me serviront pour le voyage de Crossen.

Nous touchons chacun 70 petits biscuits très bons, mais très petits.

Le départ pour Crossen doit avoir lieu demain 9h.

Matin : carottes, soir : patates & fromage.

Lundi 30 septembre

Rassemblement à 7h, nous rendons paillasses, couvertures & gamelles, touchons 2 jours de pain ; à la gare nous attendons de 8 à 9h ½ ; pas de train nous revenons au camp manger la soupe.

À midi nouveau rassemblement& et cette fois nous prenons le ???.

Départ de la gare à 16h, passons par Cassel.

Tout le long de la ligne nous voyons dans presque tous les champs les femmes & les enfants occupés à ramasser les pommes de terre : des sacs pleins se dressent au long des sillons.

Octobre 1918 : Allemagne – Camp de Crossen

Mardi 1er octobre – Allemagne – Camp de Crossen

Le matin nous passons par Leipzig puis Torgau : les gares de ces villes sont très importantes.

Le pays devient ensuite bien moins riche, ce sont des landes & des bois de petits pins rappelant assez notre Champagne pouilleuse. Dans notre compartiment se trouvent plusieurs anciens qui, ayant leurs caisses pleines de biscuits s’en mettent « plein la lampe » alors que nous devons nous mettre la ceinture.

Voilà plus de 4 mois pendant lesquels j’ai bien rarement mangé à ma faim.

Arrivée à Crossen à 17h ½.

Le camp est à 4km de la gare, nous y arrivons à 7h. 1er aspect assez bon, nous sommes isolés dans une cour.

Mercredi 2 octobre

Nuit très mauvaise : n’ayant ni couvertures, ni paillasses nous avons froid.

Par ici il a gelé déjà & malgré la fatigue du voyage, je dois me lever vers 3h pour me réchauffer un peu les pieds.

Quelques tuyaux par les anciens : tuyaux qui se contredisent suivant les types (la nourriture est parait-il meilleure qu’à Cassel) Ah quand recevrons-nous nos colis ?

Je ne compte plus en avoir avant 1 mois.

Nous passons à la désinfection : pâte épilatoire qui nous fait tomber tous les poils Passons dans une autre cour & touchons 2 couvertures de pilou.

Jeudi 3 octobre

Cette nuit il a gelé assez fort.

Beau temps dans la journée.

Nous touchons aujourd’hui chacun 15 biscuits pour aller jusqu’à lundi qui est le jour de la distribution. Le comité de secours du camp est très pauvre et nous ne sommes pas près de toucher des boîtes de conserve.

Vendredi 4 octobre

Le temps s’est mis à la pluie et est moins froid mais pour ma part je préfèrerais un froid sec à cette humidité.

Ici la soupe est plus abondante qu’à Cassel mais moins bonne. Communiqué toujours bon.

Nous écrivons aujourd’hui une carte pour donner ma nouvelle adresse.

Samedi 5 octobre

Même temps qu’hier ; comme jus on a 1 fois sur 2 de la mauvaise soupe.

Cet après-midi, inspection par le capitaine commandant le camp.

Nous devons passer dans le grand camp demain ou après-demain.

Dimanche 6 octobre

Beau temps : le midi assez bonne soupe aux pommes de terre, macaronis & poires (les dimanches & les jeudis, les soupes sont parait-il bien meilleures).

Je passe mon temps cet après-midi à écrire la lettre que nous devons remettre demain.

 

Ce soir, excellente nouvelle : les puissances centrales ont fait des propositions de paix.

L’Allemagne demande l’armistice à Wilson & accepte comme base de négociations les conditions formulées par le Président des E.A.

Décidemment la guerre tire à sa fin & je crois bien qu’au jour de l’an nous serons bien près de rentrer en France.

Quel bonheur !!

Lundi 7 octobre

Cette demande de paix de l’Allemagne fait le sujet de toutes les conversations & nous espérons tous que cette fois c’est la fin.

Je trouve ici un type d’Agneaux, Thomasse, prisonnier depuis Maubeuge & qui s’attend à être rapatrié ; il donnera de mes nouvelles chez moi à La Chapelle.

 

Ce soir, il m’offre un bon café : c’est le 1er que je bois depuis que je suis en captivité.

Adresse de Guillaume au peuple allemand (37 biscuits).

Mardi 8 octobre

Les communiqués annoncent une forte avance française en Champagne- 15 km-.

Le fort de Brimont est maintenant entre nos mains. D’après les bruits qui courent, l’armistice demandé par les Allemands leur aurait été refusé.

Les s/s off. non-travailleurs doivent partir un de ces jours pour Cottbus. J’ai un cafard fou, si je quitte Crossen, quand aurai-je des nouvelles ?

Je ne sais trop quoi faire & ai presque l’intention de demander à travailler.

Mercredi 9 octobre

Tant pis !

Le sort en est jeté et avec Lepetit, je demande à travailler dans la petite culture ; au moins de cette façon je serai stable et pourrai attendre des nouvelles.

Allix ne veut pas nous imiter. Comme volontaires pour le travail, nous changeons de baraque cet après-midi.

Nous nous sommes fait inscrire, Lepetit & moi pour aller dans le même Kommando, sans cela rien à faire pour aller au boulot.

Jeudi 10 octobre

Temps superbe.

Communiqué excellent : les Allemands reculent sur tout le front et les Autrichiens sont en pleine déroute en Serbie.

Réponse de Wilson aux puissances Centrales : il ne peut songer à entrer en pourparlers avant que les armées des puissances centrales n’aient évacué les territoires envahis.

Vendredi 11 octobre

Beau temps.

Toujours ni lettre ni colis.

Ici le service postal & aux colis sont très mal faits : plus de 700 colis sont parait-il en gare & on en monte environ 250 au camp tous les jours, alors qu’il en arrive plus de 1500 en moyenne : c’est honteux !!

De plus on vous ouvre toutes les boîtes de conserve avant de vous les distribuer. Je crois le Président du Comité de secours coupable.

Samedi 12 octobre

Beau temps : je m’ennuie effroyablement de rester ainsi sans nouvelles.

Le bruit court que l’Allemagne aurait accepté les conditions de Wilson ; si cela est, c’est la fin de la guerre à brève échéance.

Au camp, démonstration militaire à la suite du refus d’un soldat de faire une corvée : canon tire à blanc, 2 compagnies viennent de Crossen et braquent leurs mitraillettes sur les baraques.

Aujourd’hui 12 octobre est mon anniversaire : j’ai maintenant 30 ans, ah ce que l’on vieillit vite tout de même !!

Ah, si j’étais chez moi, ma Berthe chérie me souhaiterait ma fête & je pourrais me régaler un peu mieux que je ne le fais ici.

Dimanche 13 octobre

 Excellente nouvelle ce matin : l’Allemagne aurait accepté d’évacuer les territoires envahis, ce serait par suite l’armistice à peu près certain.

Ah ! Vivement l’heureux jour où nous foulerons de nouveau le sol de la patrie !!

Lundi 14 octobre

Le bruit court que les alliés auraient accordé 14 jours d’armistice à l’Allemagne.

Ah ! Quelle joie il doit y avoir en France !!

Comme les poilus doivent être fêtés.

Ah ! Comme j’aurais voulu vivre ces moments d’ivresse, goûter la joie de la victoire, mais hélas ma destinée était autre et au lieu de participer à ces réjouissances, je suis ici exilé sans nouvelles et souffre de la faim.

Quelle vie tout de même !!

Mardi 15 octobre

Avec les évènements qui se déroulent, je ne suis plus partisan d’aller au boulot et lorsque notre tour de partir à Lepetit et à mois arrivera nous refuserons catégoriquement.

 

Ce soir, nouveau tuyau : la France aurait refusé l’armistice à l’Allemagne qui avec sa fausseté habituelle après avoir accepté les conditions de Wilson, fait maintenant des restrictions au sujet de l’Alsace-Lorraine.

La cour II est consignée pour 4 semaines.

Mercredi 16 octobre

Cet après-midi : promenade, nous allons à environ 1500 m du camp, au bord d’un petit lac.

Paysage assez agréable : forêts de pins, nous rencontrons quelques vieux et vieilles qui ont l’aspect misérable.

Au camp règne en ce moment une épidémie de grippe infectieuse qui a fait déjà 5 morts, on parle aussi d’un mort de la cérébro-spinale.

Jeudi 17 octobre

300 sous-officiers vont partir pour Cottbus : comme j’ai demandé à travailler, je vais rester ici avec Lepetit. Drulhe, Bernoud et Brouillard partent pour Cottbus : ils ne sont pas près de recevoir leurs lettres et colis !!

 

Ce soir nous apprenons que la Turquie demande la paix sans conditions au même titre que la Bulgarie et que l’Autriche-Hongrie accepte son démembrement.

Vendredi 18 octobre

Pour tuer le temps et le cafard, je vais travailler aujourd’hui avec Lepetit : bien que ce soit un travail assez pénible, cela a du moins l’avantage de faire passer la journée en dehors du camp.

Je me rends compte combien je suis faible et les 1500 m à faire pour rentrer au camp le soir m’ont été bien pénibles.

Samedi 19 octobre

Hier sont arrivés au camp des prisonniers français et anglais venant de la région de Rethel.

Les malheureux sont complètement épuisés : il en est mort 1 à la gare de Crossen à l’arrivée.

Cette nuit 5 autres ont rendu l’âme et ce matin on en a encore transporté une vingtaine au lazaret : certes plus de la moitié ne reverront pas la France.

Ah ! On ne fera jamais payer assez cher aux Allemands leur cruauté !!

Ce soir le bruit circule que les troupes bulgares avec notre arrivée de Salonique marcheraient contre les Turcs….

Que Rethel et Vouziers seraient pris.

Dimanche 20 octobre

Communiqué toujours excellent.

Aujourd’hui Donnadieu, Ruau et Bellugne ont des colis arrivés ici et les voilà partis à Cottbus, aussi ils ne sont pas près de les recevoir.

Lundi 21 octobre

Une dizaine de nous partent en Kommando cet après-midi, j’espère bien rester encore une dizaine de jours ici et recevoir ainsi mes dernières lettres et colis.

Mardi 22 octobre

Le temps paraît abominablement long et je n’ai toujours ni lettres, ni colis.

Ah ! Comme j’ai hâte d’avoir cette 1ère lettre !!

La Turquie aurait également accepté l’armistice sans condition, je crois que cette fois c’est la fin et qu’à Noël nous serons bien près de rentrer en France.

Ah ! Vivement cet heureux jour !!!

 

Mercredi 23 octobre

La journée se passe encore sans rien recevoir.

J’ai un cafard fou : j’espère cependant que cela ne va pas tarder maintenant car un adjudant de la Cie ¾ : Chanoy a reçu une lettre aujourd’hui, cela commence donc à arriver.

Jeudi 24 octobre

Aujourd’hui je vais au travail : je me rends compte que peu à peu je reprends des forces et ce soir je suis bien moins fatigué qu’après ma 1ère journée de boulot.

Le temps passe plus vite qu’au camp et je suis moins porté à manger des biscuits.

Vendredi 25 octobre

Je continue d’aller au travail.

Depuis quelques jours les communiqués n’annoncent pas grand-chose.

Samedi 26 octobre

Je vais encore au travail et ce soir nous sommes payés, nous touchons 1 mark 35 par jour, ce qui me fait 5 m 40 pour mes 4 jours de boulot.

 

Ce midi, je suis allé avec 2 camarades au village voisin où nous avons bu une bière au bistrot : les prisonniers qui sont en Kommando sont très libres, ils vont au café comme ils veulent et se baladent comme ils l’entendent.

 

Ce soir, nous profitons de l’obscurité pour barboter quelques choux qui vont servir à améliorer notre ordinaire.

Dimanche 27 octobre

Grande nouvelle, on parle de l’abdication du Kaiser, nous touchons décidément à un grand tournant de l’histoire et ne sommes certainement pas loin de la paix.

 

 

 

 

 

Rien entre ces dates

 

 

 

 

 

 

 

Novembre 1918 : Allemagne – Camp de Crossen

Jeudi 7 novembre

Temps toujours superbe : nouvelles excellentes, j’espère maintenant être en France pour fin novembre.

C’est aujourd’hui que le maréchal Foch, représentant des puissances alliés, doit recevoir les délégués allemands.

 

Ce soir, bonheur, je reçois 2 lettres : 1 de ma Berthe chérie et l’autre de La Chapelle.

Ah ! Ce que les nouvelles font plaisir : j’apprends que mon père a acheté la ferme où est Désiré Lebas (105 Vergers) et en suis bien heureux.

Vendredi 8 novembre

Depuis que j’ai touché mon colis, nous ne touchons presque plus à la soupe du camp, heureusement !!

Le bruit circule que l’armistice serait signé et ce soir les journaux annoncent des troubles graves à Hambourg, Kiel, etc. C’est la révolution qui commence, aussi vivement que nous soyons rapatriés.

J’espère maintenant être en France pour le début de décembre.

Samedi 9 novembre

Aujourd’hui je touche un colis de La Chapelle en bon état et bien que je n’en aie pas l’inventaire je ne crois pas qu’il y manque grand-chose.

Nous apprenons que les socials démocrates allemands exigent l’abdication du Kaiser et la renonciation au trône du Kronprinz, le chancelier a démissionné.

Le général Foch a accordé 72 heures aux allemands pour répondre oui ou non au sujet des conditions de l’armistice et que la suspension d’armes demandée est refusé.

Au camp circulent maints canards

Dimanche 10 novembre

Le Kaiser a abdiqué : il y a réunion des officiers de la garnison ce matin, d’après les tuyaux qui circulent dans le camp, le capitaine commandant le camp aurait opté pour le nouveau gouvernement et aurait été choisi par les soldats et sous-officiers pour continuer à diriger le camp, le lieutenant au contraire serait parti.

 

Tout l’après-midi, nous attendons la venue d’un député socialiste qui soi-disant devait venir nous exhorter au calme et qui ne vient pas.

Le capitaine craint une rébellion des Russes et compte sur l’appui des Français pour maintenir l’ordre.

Demain le comité de secours doit liquider biscuits et conserves par crainte d’un pillage, en conséquence nous touchons chacun 3kg de biscuits au lieu de 2, mais nous somme exposés à ne plus en toucher s’il n’en arrivait pas d’autres.

En attendant, ce soir nous nous envoyons un fameux riz au chocolat.

Lundi 11 novembre

Ce matin à l’appel, le sergent boche nous invite à rester calmes si on veut éviter toute effusion de sang.

 

Au rassemblement à 6h un interprète allemand nous exhorte également au calme disant que le nouveau gouvernement a tout fait pour éviter des troubles et que d’ici peu nous serons rapatriés.

 

Ah ! Que cet heureux jour vienne vite (je compte maintenant pour la fin novembre.)

Nous connaissons maintenant les conditions de l’armistice : cession de 150 000 wagons, 5000 locomotives, 200 avions, tous les sous-marins, 3 navires de guerre type Dresden, évacuation de l’Alsace-Lorraine, Belgique et N de la France, occupation des ponts du Rhin, rétrocession de l’or pris par le traité de Brest-Litovsk et de Bucarest, annulation de ces traités et surtout rapatriement immédiat de tous les prisonniers, etc.

 

Les boches du camp nous distribuent les boîtes de conserve sans les ouvrir, cela nous permettra de faire une petite réserve pour le retour en France.

Maintenant je n’espère pas beaucoup à l’arrivage des colis, je crains bien qu’ils soient pillés en route.

Toute la journée les tuyaux circulent : l’armistice est signé, il n’est pas signé (les conditions étant trop dures), telles sont les paroles qui circulent de bouche en bouche toute la journée et ce soir nous ne sommes pas plus avancés, aucun tuyau n’étant officiel.

 

Cet après-midi, les conditions détaillées de l’armistice sont affichées à la cour IV : elles sont en effet très dures, à peu près aussi dures que pour l’Autriche et elles doivent être remplies dans le délai d’un mois (nous serons donc en France dans un mois.)

Dans la matinée, un avion venant de Cottbus lance des proclamations sur Crossen invitant la population à élire un comité d’ouvriers et de soldats ainsi que cela s’est fait à Cottbus.

Nous touchons 3kgs de biscuits chacun, de plus ceux qui n’ont pas touché de colis pendant le mois d’octobre touchent une grosse boîte de singe pour 2, un paquet de tabac également pour 2, 1 quart de riz et 100 gr de végétaline, la liste pour notre baraque a été faite samedi alors que nous (Lepetit et moi), faisions la queue pour nos colis et grâce à l’amabilité et à l’obligeance de nos camarades probablement jaloux nous avons été oubliés, certainement avec intention, aussi nous devons aller réclamer au comité qui nous renvoie à demain.

 

Ah ! C’est bien là la mentalité de cette société égoïste et farouche.

Les quelques mois de captivité que j’aurais faits m’auront du moins appris à juger le fond humain qui est foncièrement mauvais et en arrive à haïr la société.

Mardi 12 novembre

Ce matin tuyau officiel : l’armistice est signé.

Les Allemands trouvent les conditions très dures mais ils ont confiance en la magnanimité du président Wilson pour les atténuer un peu.

 

Quelques poilus rentrent de Kommando : un d’eux qui a passé la nuit en gare de Berlin raconte qu’en gare les soldats et la population civile lui offraient cigares, cigarettes, bocks, etc. Nous allons au comité de secours et touchons ce que les camarades avaient eu hier.

 

Aujourd’hui les boches distribuent les colis sans les ouvrir et dans la journée il en monte 600 : j’espère que la gare ne va pas tarder à être dégorgée.

 

Ce soir, maints tuyaux circulent : le 1er train partant de Crossen pour les rapatriements de prisonniers aura lieu jeudi prochain et ce seraient les malades et blessés du lazaret qui partiraient, de plus le camp doit être vide pour le 22 (si cela pouvait être vrai !!)

Le « Crossener Tageblatt » que nous avons ce soir peint la misère de l’Allemagne, la grande mortalité surtout parmi les enfants depuis le début de la guerre par suite de la mauvaise nourriture, la fatigue des femmes qui par suite du travail ne peuvent pas allaiter leurs enfants, des épouses qui pendant longtemps ne doivent pas songer à devenir mères, sous peine de donner le jour à des enfants chétifs, aussi au nom de l’humanité, le peuple allemand fait appel au président Wilson pour précipiter les négociations, les commencer de suite afin que la paix apporte un soulagement à la famine qui règne en Allemagne.

 

Voilà bien des vérités qui avant l’effondrement de l’empire allemand étaient soigneusement cachées et qu’il était interdit de publier.

À Crossen la révolution s’est opérée dans le calme et ce soir nous pouvons voir le drapeau rouge flotter sur la caserne. Les journaux annoncent que le Kaiser, l’impératrice et le Kronprinz se sont réfugiés en Hollande.

Par des poilus qui reviennent de Kommando, nous apprenons que la révolution a lieu également au front : les soldats quittent le front pour retourner chez eux, ils obligent leurs officiers à porter sur la poitrine une banderole rouge et massacrent ceux qui résistent.

Mercredi 13 novembre

Le bruit court et les journaux allemands annoncent que la révolution sévit également en France : ces bruits ne sont pas sans m’étonner surtout en ce moment en pleine victoire, aussi j’espère que s’il s’est produit quelque chose en France, ces faits ont été considérablement grossis par les Allemands.

 

Le bruit court également que les alliés auraient accordé 35 jours au lieu de 30 à l’Allemagne pour l’exécution des conditions de l’armistice : ce serait une sale blague pour nous prisonniers.

Les gardiens ont tous arraché à leur calot les insignes impériaux qui s’y trouvaient et ils ont tous l’air enchantés du renversement de l’empire.

Aujourd’hui presque tous nos camarades touchent 2, 3, 4 ou 5 lettres et rares également sont ceux qui n’ont pas de colis : Lepetit et moi, nous sommes à peu près les deux seules qui n’avons rien, je n’y comprends rien !!

Jeudi 14 novembre

Les bruits de révolution en France annoncés par les journaux allemands sont officiellement démentis aujourd’hui. Beaucoup de colis arrivent encore aujourd’hui, mais toujours rien pour Lepetit et pour moi.

Un camarade arrivé ici en même temps que nous reçoit un colis adressé directement à Crossen.

Le temps aujourd’hui s’est considérablement refroidi et il commence à geler.

Vendredi 15 novembre

Temps froid, gelée assez forte. Toujours pas de colis, ce qui m’ennuie passablement, par contre ce soir je reçois 4 correspondances de ma Berthe du 29 septembre, des 2-4 et 5 octobre.

 

Lepetit est plus veinard que moi : il a une dizaine de lettres dont une du 22 octobre adressée directement à Crossen, notre carte écrite ici le 5 octobre n’a donc mis qu’une quinzaine à aller en France.

Au camp le calme continue à régner ainsi que la discipline, heureusement.

 

Dans la soirée, un Allemand interprète vient nous lire un appel du conseil de soldats aux prisonniers : disant que rien n’est changé, que toute tentative de révolte serait comme précédemment très sévèrement punis, il termine en disant que dans 15 jours – 3 semaines au plus tard nous serons en France.

Ah ! Que ce jour vienne vite !!!

Samedi 16 novembre

Pas de lettre ni de colis.

Le temps se maintient au froid et laisse prévoir la chute de neige d’ici peu.

Dimanche 17 novembre

Ah quelle triste journée pour moi !

 

Cet après-midi, je reçois une lettre de ma Berthe du 29 octobre m’annonçant que ma mignonne petite Fernande est très gravement malade et qu’elle est atteinte d’une fluxion de poitrine.

Décidément les plus terribles épreuves me seront réservées.

Je suis comme un fou, j’ai la tête en feu à la pensée qu’en ce moment ma chérie n’est peut-être plus. Mais non, c’est impossible, je ne puis croire à une telle cruauté du destin, car mon Dieu, que deviendrais-je ?

À quoi me servirait de vivre ? Ah que les jours vont être longs et tristes maintenant !

Oh ! Mon Dieu, vous ne permettrez pas sa mort, vous voudrez que lorsque je rentrerai à la maison ce soit ma chère petite qui la 1ère me tende ses deux mignons petits bras pour les passer autour du coup de son petit papa. Oh ma Fernande adorée, vis pour permettre à ton petit papa de te chérir.

 

Ce soir, je reçois la carte du 30 octobre de ma Berthe m’annonçant l’état stationnaire de ma mignonne.

Lundi 18 novembre

8ème jour de l’armistice

 

La journée passe bien trop lentement à mon gré.

Ah ! Dieu que les heures sont longues !!

 

3 heures arrivent et oh quel désappointement en voyant le chef de baraque revenir sans m’apporter de nouvelles !

Oh ma chère petite Fernande !

Ce soir maints tuyaux sur notre départ circulent : on dit d’abord que les Français doivent partir mercredi et les anglais jeudi, ensuite c’est l’inverse anglais mercredi et français jeudi.

Mardi 19 novembre

9ème jour de l’armistice.

 

Ce matin, je touche le colis provenant de La Chapelle, colis qui m’avait été annoncé hier soir.

Ah combien je préférerais recevoir une lettre de ma Berthe m’annonçant que notre chérie est hors de danger, mais hélas pour comble de malheur aujourd’hui il n’y a pas de lettres et je dois me coucher sans nouvelles.

Ah que les nuits sont longues.

Nouveau tuyau pour le départ : ce serait pour vendredi, le feldwebel de la cuisine aurait dit qu’à partir de jeudi soir il n’y aurait plus de ravitaillement pour les français.

Mercredi 20 novembre

10ème jour de l’armistice.

 

Aujourd’hui pas de travail : c’est le jour des morts (toussaint) dans la religion protestante, religion du pays aussi ni lettres, ni colis et il va me falloir encore attendre à demain avant de pouvoir espérer recevoir des nouvelles de ma pauvre petite Fernande.

Quelle tristesse tout de même !!

Hier 1ère journée de neige.

Jeudi 21 novembre

11ème jour de l’armistice.

 

Gelée assez forte cette nuit, brouillard ce matin et terre couverte de verglas.

Le président du comité de secours du camp est très mal vu et on l’accuse de maints actes honteux : dilapidation de biscuits et de conserves, etc.

C’est un nommé forgeron adjudant ?? dans le civil rédacteur à la préfecture de la Seine. J’apprends que c’est le 8ème arrondissement de Paris qui est la marraine du camp.

 

Cet après-midi, je reçois bien 3 lettres de ma Berthe, mais antérieurs à la maladie de ma chère Fernande, si bien que je suis de nouveau obligé d’attendre à demain.

Ah que c’est long !

J’ai une lettre de La Chapelle et 1 de Leneveu.

Les Allemands avaient demandé à Wilson une prolongation d’armistice, mais aujourd’hui les journaux mentionnent la réponse négative de Foch, heureusement !!

Nouveau tuyau : nous partirions lundi !! Enfin il faudra bien que cela vienne un jour !!

Nous touchons 1 kg de biscuits (16.)

Vendredi 22 novembre

12ème jour de l’armistice.

 

Ce matin, je touche le colis d’effets envoyé par ma Berthe le 7 octobre (il n’y manque rien.) Il paraîtrait qu’un grand incendie a eu lieu à Cassel et que les dégâts sont considérables (500 000 mark.)

Bon nombre de colis auraient été brûlés !

Ah vivement que nous retournions en France, car je crois bien que nous ne toucherons plus beaucoup de colis. Cette nuit il a gelé très fort, l’hiver commence à se faire sentir.

 

Cet après-midi j’ai bien une carte de ma Berthe, mais étant du 25 octobre elle est antérieure à la maladie de notre chère petite et il me faut encore attendre à demain.

Quel supplice !!

Le tuyau court que les anglais doivent partir lundi prochain et les français le 1er décembre.

Pas de permission pour aller en ville aujourd’hui : je voudrais pourtant bien faire rapporter une pipe boche et un petit souvenir pour ma Berthe.

Samedi 23 novembre

13ème jour de l’armistice. Forte gelée, mais beau temps dans la journée.

 

Ce matin, je reçois 2 colis (le 1er de ma Berthe et le 2ème de la Chapelle.)

Ah qu’une lettre m’annonçant que notre mignonne est hors de danger me ferait plus plaisir que tous les colis du monde !! Depuis lundi dernier nous (Lepetit et moi) nous avons quitté la baraque des Kommandos pour la baraque 34 (baraque des adjudants et aspirants), n’étant plus volontaires pour le travail.

 

Affaire de vol : sergent Gasser du 153ème R.I., type au chique qui a volé ??, biscuits, etc…. au Lazaret (adjudants Banat, Bidault, aspirant Charmat enquêtent.)

 

Je reçois 2 lettres de ma Berthe mais toujours antérieures au 29 octobre (du 12 et du 22.)

Je suis tellement découragé que je n’ai pas eu le courage d’écrire hier la carte à laquelle nous avions droit. Ah quelle angoisse m’étreint !!

Dimanche 24 novembre

14ème jour de l’armistice.

 

Forte gelée, mais beau temps.

Il paraitrait que nous quitterions l’Allemagne cette semaine, mais que notre rapatriement aurait lieu par voie de mer.

Pas de lettre aujourd’hui….

Hélas, quand donc aurais-je des nouvelles de ma mignonne petite Fernande !!

Lundi 25 novembre

15ème jour de l’armistice. Forte gelée (-14° cette nuit.)

 

Ah bonheur ! Ce soir je reçois une carte de ma Berthe, datée du 2 novembre m’annonçant que ma chère petite Fernande va mieux et que tout danger semble conjuré.

Ah ! Qu’une pareille nouvelle fait plaisir, je me sens revivre moi qui commençais à désespérer.

Vivement le rapatriement que je puisse enfin serrer mes chéries sur mon cœur !

Oh ! Ma Berthe ce que je t’aime !!

 

Ce soir, j’apprends qu’un colis est arrivé à mon nom : je le toucherai demain.

Lepetit apprend également qu’il y en a un pour lui (le 4ème.)

Maints tuyaux sur notre départ de Crossen continuent à circuler : il paraitrait que le bruit de départ par eau serait un immense canard.

Tant mieux !!

D’après certains, nous partirions vendredi prochain 29, d’après d’autres ce serait pour le 30, enfin quelques bien informés prétendent que c’est pour le 1er ou pour le 5 décembre : il est probable qu’à la fin quelqu’un aura raison…

En tout cas, les anglais qui devaient partir ce matin sont toujours là.

Mardi 26 novembre

16ème jour de l’armistice.

 

Ce matin environ 10 cm de neige recouvrent le sol.

Je touche le colis annoncé hier : c’est une paire de chaussons envoyée de La Chapelle, par malheur ils sont moitié trop grand (du 44 au lieu de 41.)

Les permissions pour sortir en ville qui avaient été suspendues sont rétablies : maintenant il n’y aura pas de poste pour nous accompagner, parce que certains postes avaient profité de cette sortie en ville pour « plaquer » les prisonniers qu’ils étaient chargés d’accompagner et, s’en aller chez eux.

Ainsi c’est beaucoup plus « chic » pour nous et je ferai mon possible pour sortir demain et acheter quelques petits souvenirs (pipes, albums, etc.)

Mercredi 27 novembre

17ème jour de l’armistice.

 

Même temps qu’hier.

Ni lettre, ni colis.

 

Cet après-midi, je sors en ville en compagnie de Lepetit, Banat et Charmat.

Nous avons juste le temps d’aller dans quelques magasins pour acheter quelques souvenirs : pour ma part je fais l’acquisition de 3 pipes et quelques cartes postales.

Très bel après-midi et grâce à cette sortie, la journée ne parait pas trop longue.

Jeudi 28 novembre

18ème jour de l’armistice.

 

Toujours les mêmes tuyaux circulent.

Ah ! Quand donc prendrons-nous la direction de la France ? Hier soir les grands malades italiens sont partis : espérons que ce sera bientôt notre tour !!

Maintenant le bruit court que ce sera pour dimanche ou lundi. Ce qui m’ennuie c’est que je n’ai plus de « pognon » : hier j’ai dépensé bien près de 40 marks (36 de pipes), heureusement que j’ai vendu ma savonnette 6 marks !!

Ah ! Que la journée me parait longue, d’autant plus qu’aujourd’hui encore il n’y a ni lettre, ni colis.

Vendredi 29 novembre

19ème jour de l’armistice.

 

Il y a aujourd’hui 6 mois exactement que je suis prisonnier.

Toujours ni lettre, ni colis, il paraitrait même que ce serait fini : vivement alors le rapatriement car sinon, nous allons être obligés de nous remettre à la soupe boche, ce qui ne me fait pas plaisir !!

Hier, il y a eu 5 à 6 cas de diphtérie constatés au camp, pourvu que cette épidémie ne fasse pas retarder le rapatriement !!!

Samedi 30 novembre

20ème jour de l’armistice.

 

Toujours les mêmes tuyaux et ainsi que les jours précédents ni lettre, ni colis.

Oh ! Dieu que les heures me paraissent longues !!

 

Cet après-midi, surtout, j’ai un cafard formidable : si le physique va à peu près, il n’en est pas de même du moral, heureusement que je ne me suis jamais trouvé un tel état d’esprit, alors que j’étais de l’autre côté, car alors j’aurais certainement fait quelque bêtises.

J’en arrive à haïr de plus en plus la société que je trouve de jour en jour plus pourri d’égoïsme et de fausseté. Ah quand je serai rentré chez moi, comme je la laisserai tomber !!

Décembre 1918 – Allemagne – Camp de Crossen

Dimanche 1er décembre

21ème jour de l’armistice.

 

Nous voilà au début de décembre et nous sommes toujours ici.

Hélas, quand donc prendrons-nous le train !! Aujourd’hui, nos vivres étant épuisées nous devons nous remettre à la soupe du camp, ce qui ne nous fait pas plaisir.

Je crois bien que les fameux tuyaux concernant notre rapatriement sont crevés, car il n’y a rien de nouveau. Quinette du Mesnil-brun ?? est rentré au camp depuis 21 jours.

Toujours ni lettre, ni colis, de plus il n’y a plus de biscuits (la semaine dernière nous en avons touché seulement 1 kg), si nous restons encore une quinzaine ici nous allons la « sauter » passablement.

Lundi 2 décembre

22ème jour de l’armistice.

 

Cet après-midi, bien que n’ayant pas de permission, je vais en ville en compagnie de Banat, Lepetit et Charmat : cela me donne un peu l’occasion d’étudier la mentalité allemande qui, à vrai dire, me déroute complètement : il faut voir la politesse, l’amabilité même des civils vis-à-vis des prisonniers français pour le croire.

 

Ce soir, il y a un nouveau tuyau : nous partirions dans 3 jours et les anglais dans 4 !!!

Mardi 3 décembre

23ème jour de l’armistice.

 

Toujours ni lettre, ni colis, ni biscuits.

Cette absence prolongée de nouvelles de ma chère petite Fernande m’inquiète car, malgré que la dernière carte de ma Berthe fût plutôt rassurante, ma mignonne était encore bien malade.

Maintenant nous la « sautons » royalement et il est inadmissible que les gouvernements alliés aient toléré que l’Allemagne arrête lettres et colis.

Mercredi 4 décembre

24ème jour de l’armistice.

 

Ce matin, nous avons connaissance que le président du Comité de Secours a envoyé un télégramme au comité interallié à Berlin pour l’informer de la situation du camp : la Croix Rouge Danoise a répondu que le rapatriement et le ravitaillement s’effectuaient d’une façon normale, de prendre patience, qu’on s’occupait de nous, qu’il ne fallait pas quitter le camp afin de ne pas « louper » le départ imminent, demandant enfin l’effectif du camp et sa situation.

Le président du Comité a répondu à peu près : « Prisonniers s’inquiètent, colis individuels n’arrivent plus, 2 wagons de biscuits annoncés ne sont pas arrivés, situation très sérieuse. Effectif du camp : 3500.

 

Cet après-midi, je vais à Crossen sans permission, nous trouvons Lepetit et moi à changer 4 barres de chocolat contre 2 pains de 5 livres.

La sortie du camp et la rentrée ont été plutôt mouvementées : escalade des fils de fer en rentrant et achat d’une sentinelle au moyen de 2 barres de chocolat pour sortir. Touchons 15 biscuits : 1kg pris sur la ration réservée aux Kommandos.

Jeudi 5 décembre

25ème jour de l’armistice.

 

Ce matin, nous remettons au capitaine commandant le camp une réclamation au sujet de la nourriture : disant que l’effervescence croît dans le camp, que la nourriture est totalement insuffisante, que la faute en est au gouvernement allemand : wagons de biscuits annoncés et non parvenus, colis individuels arrêtés, etc.

Bien que trouvant cette réclamation très dure, le capitaine a accepté de la transmettre sur notre insistance.

Le bruit court que l’on changerait l’argent du camp des anglais contre de l’argent allemand : si cela est vrai les anglais partiraient bientôt.

 

Cet après-midi, je sors de nouveau en ville bien que n’ayant pas de permission, avec Charmat je vais dans un village à côté de la ville acheter des patates : nous tombons, après quelques essais infructueux, chez une paysanne qui nous en remplit 2 musettes pour 1 mark et nous donne en plus 8 belles pommes, ce n’est vraiment pas cher et cela nous fait une sérieuse économie car au camp, 1 plat de patates vaut maintenant 3 marks 50.

De son côté Lepetit trouve 4 livres de pain pour 2 barres de chocolat : ce qui nous fait 20 livres de pain d’avance, il faut bien se démerder comme on peut.

En ville je trouve à changer 5 mark en billets contre une pièce de 5 mark.

Complaisance extraordinaire des sentinelles pour nous permettre de sortir et surtout de rentrer au camp. Toujours ni lettre, ni colis.

Délégation doit partir demain pour Berlin.

Vendredi 6 décembre

26ème jour de l’armistice.

 

Maintenant nos repas à Lepetit et à moi se composent de purée le matin et pommes de terre en robe de chambre le soir. Le président du Comité de Secours part ce matin pour Berlin pour aller trouver le comité interallié.

 

Ce midi, impossible de corrompre les sentinelles et je dois passer l’après-midi au camp. LEPETIT qui est sorti achète 1 livre de viande de cheval 2 mark 50.

 

Ce soir, nouveau canard : nous devons partir mardi matin à 6 heures, en attendant les anglais sont également toujours là. D’après les bruits qui courent, ils seraient dirigés par chemin de fer jusqu’à Dantzig où les attendraient des navires anglais.

Samedi 7 décembre

27ème jour de l’armistice.

 

Le président du Comité n’est pas de retour et nous l’attendons avec impatience, avec l’espoir qu’il va nous rapporter quelques bons tuyaux.

Puissions-nous être enfin rapatriés dans les délais de l’armistice !!!

Ce soir le canard qui courait hier soir au sujet de notre départ est démenti et nous sommes toujours dans l’incertitude. Hélas, quand donc serons-nous de retour dans nos familles…..

Dimanche 8 décembre

28ème jour de l’armistice.

 

La journée commence par un bon tuyau : le vice-président du Comité nous annonce qu’un wagon de biscuits est arrivé en gare, nous apprenons ensuite que ce n’est pas un wagon mais bien 2 qui sont arrivés.

 

Vers 9h ½, le président du Comité est de retour et nous apprenons alors, oh désespoir :

Qu’il est très probable que nous ne serons pas rapatriés dans les délais de l’armistice, mais qu’il est possible que nous le soyons avant le 1er janvier.

Que le gouvernement fera son possible pour nous ravitailler, mais ne garantit rien en ce qui concerne l’arrivage des vivres expédiées.

Que notre rapatriement se fera par mer.

 

Ces nouvelles produisent chez tous les prisonniers un profond abattement, nous avons tous la conviction d’être considérés comme quantité négligeable, même nuisible par nos gouvernants et cela après avoir lutté pendant 4 ans, après s’être fait trouer la peau pour eux : c’est triste tout de même !!

D’après le président du Comité, l’anarchie la plus complète règnerait à Berlin, enfin la situation nous est présentée sous un aspect très noir : seule une bonne nouvelle subsiste, c’est que la légation d’Espagne connaissant la triste situation dans laquelle se trouve le camp a promis de lui faire avoir un tour de faveur pour le rapatriement (le camp de Crossen est celui qui jouit de la plus triste réputation, avec un autre camp.)

 

Ce soir, 1200 anglais quittent le camp pour gagner Dantzig ou Stettin pour être rapatriés : les heureux ! Combien nous envions leur sort !!

Il parait que l’Angleterre, la France et chaque pays allié sont chargés de rapatrier leurs nationaux : si cela est vrai tous les Anglais auront quitté l’Allemagne avant la moitié des français.

Lundi 9 décembre

29ème jour de l’armistice.

 

La journée ne se passe pas sans que maints tuyaux circulent : ce soir on annonce un départ de 1500 français pour le 12 et un 2ème départ pour le 22, autre tuyau : le capitaine allemand commandant le camp aurait dit aux anglais qui sont encore au camp qu’ils partiraient très prochainement avec un détachement de français.

Ce qu’il y a de certain c’est qu’aujourd’hui il y a eu une visite au lazaret pour déterminer les malades qui voyageront couchés.

Mardi 10 décembre

30ème jour de l’armistice.

 

Ce matin, nous apprenons que le président du Comité : Forgeron a donné sa démission, de plus autre tuyau plus intéressant, on commence à échanger aux français l’argent du camp contre de l’argent allemand.

 

Ce midi, on élit dans la baraque un représentant pour le Comité à la place de l’adjudant Jaillardon qui a donné sa démission en même temps que l’adjudant Forgeron, au moment du vote : affaire Jaillardon, Durand.

Finalement l’adjudant Lemaire est élu. Toujours les mêmes tuyaux.

 

La pluie tombe une partie de la journée. ?? pendant la promenade.

Barnat et Charmat rentrent ce soir après avoir passé 30 h en ville.

De bœuf fouille en une grosse boîte de 3 kg pour 3, ces vivres nous ont été passés par les anglais.

 

À midi, on vient nous annoncer que l’inhumation de l’italien est à 14h30.

Le personnel allemand du camp et à sa tête le colonel qui commande le camp désapprouve l’acte qui a amené la mort de l’italien, une délégation allemande va assister aux obsèques et portera une couronne sur la tombe.

Ah ! Quel peuple vil et bas que le peuple allemand.

 

L’inhumation de l’italien a lieu à 14h30. Le cortège comprenant tous les italiens, tous les français, quelques anglais et russes du camp passe par la cour centrale pour se rendre au cimetière. 49 italiens prennent successivement la parole sur la tombe et l’aumônier français remercie ensuite les français d’être venus ainsi en totalité pour manifester aussi dignement contre ce véritable assassinat.

Au cimetière se trouvaient le colonel commandant le camp et le capitaine qui sûrement étaient sur des épines pendant toute la cérémonie.

 

Le président du Comité rentre ce soir et nous fait part par l’intermédiaire de l’adjudant Lemaire des résultats de son voyage à Berlin : il a conféré dimanche dernier pendant 4h ½ avec le général Dupont et a obtenu de ce dernier que le rapport sur l’état du camp de Crossen soit transmis immédiatement au gouvernement français qui règle le rapatriement des camps, si ce rapport est pris en considération nous aurons peut-être un tour de faveur.

En tout cas, nous avons la certitude d’être ravitaillés : des wagons de vivres convoyés par des soldats allemands, nourris par le gouvernement français, nous serons régulièrement expédiés.

 

Le général DUPONT exhorte encore les français à rester unis dans les camps et à ne pas tenter de s’évader.

Un officier français doit venir au camp d’ici peu.

Si nous ne sommes pas rapatriés plus tôt, c’est à cause du manque de transports, tous les transports français sont partis en Amérique, chercher du ravitaillement pour l’Europe et ce ne sera que leur voyage terminé qu’ils viendront nous chercher.

 

Ah ! C’est bien là, la France qui songe à ravitailler l’Europe avant de penser à ses enfants qui souffrent loin d’elle !

Voilà la récompense à nos 4 années de front !! C’est à vous dégoûter complètement !

Aussi quand aurai-je le bonheur de revoir la France ?

Dans 15 jours – 1 mois – 2 mois !!!

Mercredi 18 décembre

38ème jour de l’armistice.

 

Beaucoup de russes qui ont 100 mark sur eux, payent 8 mark pour leur transport et sont rapatriés : nous avons de fortes chances d’être les derniers (les anglais vont certainement partir d’ici quelques jours !)

Quelques types du camp, partis samedi, sont arrivés dimanche à Cologne : moyennant une centaine de mark, ils étaient convoyés par un soldat allemand.

Les veinards, maintenant ils sont en France.

Ah ! Si j’avais de l’argent, comme je tenterais la chance avec plaisir !! Mais faute d’argent, je suis condamné à attendre le rapatriement.

Jeudi 19 décembre

39ème jour de l’armistice.

 

Ce matin, distribution de vivres.

Nous touchons chacun : 1 boîte de corned-beef, 1 boîte de cassoulet, 1 boîte de pâté, 1 boîte de prunes au ??, 1 quart de riz, 1 quart de thé, 1 potage, 1 peu de savon.

Pour 2 : 1 boîte de cassoulet, 1 boîte de sardines.

À part le riz et le corned-beef, le reste est peu intéressant et nous préfèrerions des haricots et un peu plus de riz.

Il parait qu’un nouveau wagon de vivres et 1 autre de biscuits sont arrivés en gare !

 

Cet après-midi, je sors en ville avec Lepetit et nous rapportons 2 musettes de patates qui nous font passer quelques jours. En rentrant au camp, nous sommes arrêtés et fouillés sans inconvénient heureusement !

De plus en plus, le nombre de ceux qui s’évadent augmente, de jour en jour grâce à la complicité des soldats boches qui moyennant une certaine somme, conduisent les prisonniers à la frontière, mais à mon avis, s’il y avait un réel mérite à s’évader avant l’armistice, maintenant il n’y en a plus et l’évasion en ce moment a le seul avantage, évidemment considérable, de rentrer un peu plus tôt en France.

Vendredi 20 décembre

40ème jour de l’armistice.

 

Le temps me parait de plus en plus long et j’ai de plus en plus un cafard fou.

Ah ! Que la vie est triste tout de même !!!

De nouveau les canards circulent : nous étions pourtant beaucoup plus tranquilles ces derniers jours alors qu’il n’y en avait pas ! Il parait qu’à partir de lundi prochain, 20 000 prisonniers seront rapatriés tous les jours.

Samedi 21 décembre

41ème jour de l’armistice. Temps froid et neige toute la journée.

 

Ce matin, nous touchons 2 kg 500 de biscuits, mais de mauvais biscuits, maintenant la distribution aura lieu le samedi au taux de 2 kg 5 au moins et plus si possible.

Les évasions augmentent de jour en jour. Je ne comprends pas la plupart de ces types qui il y a seulement 3 mois envisageaient sereinement au moins encore 6 mois de captivité, sans qu’un instant l’idée de s’évader leur traverse le cerveau et qui maintenant que le rapatriement est une question de jours, de semaines au plus, ne peuvent attendre le rapatriement officiel et partent tous !!!

Il y a là, je crois, contradiction avec eux-mêmes !!

Illogisme frappant.

Dimanche 22 décembre

42ème jour de l’armistice.

 

Ce matin, 4 officiers français (1 capitaine, 1 lieutenant et 2 sous lieutenants) arrivent au camp : le général Dupont en envoie ainsi dans tous les camps de prisonniers. Ceux-ci viennent du camp de Magdebourg.

Le plus ennuyeux, c’est qu’ils ne nous apportent aucune précision : d’après eux tous les prisonniers seraient rapatriés avant la fin janvier, il y a encore loin d’ici là. Les navires de commerce allemands avec des équipages français serviraient à notre rapatriement et le camp de Crossen aurait des chances d’être rapatrié dans une quinzaine de jours, on envisage également maintenant le rapatriement par voie ferrée !!

 

Cet après-midi, on nous lit une note du général Dupont par laquelle le maréchal Foch défend aux prisonniers de tenter de s’évader : le rapatriement dit-il sera terminé dans 1 mois.

Gelée cette nuit et neige ce matin.

Lundi 23 décembre

43ème jour de l’armistice.

 

Gelée cette nuit : je touche une paire de sabots.

À partir de demain nous aurons les sonneries françaises au camp. Il n’y a toujours aucun tuyau de départ. Nous touchons chacun 1 quart de lentilles et un peu de pois cassés.

Mardi 24 décembre

44ème jour de l’armistice. Dégel et pluie.

 

Un officier français s’occupe de la cuisine et dès aujourd’hui il fait diminuer la quantité au profit de la qualité, si bien que ce midi la soupe est mangeable, de plus ce que les boches mettaient dans la soupe : sang, fromage et autres saletés seront distribués séparément, ainsi les mangera qui voudra !

Les adjudants sont chargés de commander les corvées qui nettoieront les cours.

Nous touchons chacun 2 quarts de riz et un peu de tabac.

Mercredi 25 décembre

45ème jour de l’armistice.

 

Neige toute la journée. Ce midi nous apprenons que les blessés et malades du lazaret doivent partir ce soir ou demain, aussi je passe mon après-midi à écrire une lettre que je donne à ce bon père Hurel de Montpinchon : lettre qui ainsi sera rendue à destination dans une dizaine de jours.

Ah ! Quel triste Noël nous passons !

Il y a un mois nous ne pensions pas être encore ici à cette date et nous caressions le plaisir de passer Noël et le jour de l’an en famille.

Hélas ! Il est fort probable qu’au 1er janvier nous serons toujours ici.

Jeudi 26 décembre

46ème jour de l’armistice.

 

Maintenant les permissions pour aller à Crossen sont accordées dans une plus large proportion (10% de l’effectif) et sont signées par le capitaine français, de plus nous (adjudants et aspirants) serons libres jusqu’à 8h ½ du soir, alors que les hommes et sergents devront rentrer à 5h.

 

Ce soir arrive et les blessés et malades du lazaret sont toujours là, pourvu que ce tuyau ne fasse pas comme les autres !!

Vendredi 27 décembre

47ème jour de l’armistice.

 

Ce matin, lorsque nous venons lepetit et moi pour casser la croûte !!!

Surprise, notre table a disparu : après maintes recherches, nous apprenons que c’est un adjudant du 256 : DENIS qui l’a cassé et mise au feu.

D’où explication plutôt un peu vive, comme excuse il a le toupet de dire que cette table le gênait !!

Alors devant un bel égoïsme je l’ai traité d’imbécile.

Son amour propre d’adjudant, chef d’active a dû être fortement froissé car cet après-midi il va se plaindre au capitaine qui me fait appeler à 18h. Je lui raconte alors comment l’incident s’est passé et dans quelles circonstances je l’ai traité ainsi, tous les officiers ne peuvent s’empêcher de sourire et comme de juste je n’ai rien mais de plus je fais passer cet adjudant auprès des officiers pour ce qu’il est : un véritable égoïste imbécile.

 

Ah ! Que c’est triste de voir l’égoïsme poussé à un tel degré et de voir ces goujats d’adjudants : Denis, Bidorelt avoir une pareille conception de leur grade de juteux.

Ah ! Quand donc serai-je débarrassé de ces grossiers personnages !!

 

En allant au Lazaret, cet après-midi voir Plongeon atteint de grippe, nous apprenons qu’un mourant : Aussant Pierre (*) est de la Manche (Montanil), atteint de pleurésie purulente, il meurt ce soir vers 19h ½.

Bon tuyau ce soir : un télégramme du général Dupont dit de faire rentrer tous les hommes de Kommando et demande l’effectif du camp (sans commentaire…..)

 

(*) : AUSSANT Pierre Marie René, 20 ans, né à Montanil (Manche), 9e régiment de dragons, mort pour la France le 27 décembre 1918 à Griessen (Allemagne)

Samedi 28 décembre

48ème jour de l’armistice.

 

Temps très froid, verglas. Nous touchons 37 biscuits chacun.

 

Le sous-lieutenant De HEUTECLUSQUE qui est de retour de Berlin apporte de bons tuyaux.

Le camp de Crossen serait le 6ème à être rapatrié et sur les 5 venant avant, le rapatriement serait commencé pour 4. Par le rapport nous savons que notre embarquement aura lieu soit à Stettin, soit à Hambourg et qu’il aura lieu d’ici peu de jours (je cois fort que la semaine prochaine ne se passera pas sans départ.)

Ah ! Vivement que nous partions d’ici pour de multiples raisons !!

 

Le jour de Noël, les roumains du camp (70 environ) ont adressé aux français une note disant leur admiration pour la France et nous souhaitant un prompt retour dans notre pays. Voilà un joli geste qui touche certainement tous les prisonniers français.

Dimanche 29 décembre

49ème jour de l’armistice.

 

Cet après-midi, j’assiste à l’inhumation d’AUSSANT.

Par le rapport le capitaine fait savoir qu’à la suite de plaintes venant à la suite de disputes entre gradés ou entre hommes, il ne tient pas à faire un juge de paix, désapprouvant par suite ceux qui vont se plaindre.

 

Ce midi, nouveau tuyau : anglais partent demain, lazaret, malades, 1er départ de français valides : jeudi, 2ème samedi.

 

Ce soir, les Anglais touchent de nombreuses vivres et ne pouvant tout emporter en vendent la majeure partie : c’est honteux de voir un pareil gaspillage alors que les autres prisonniers n’ont pas leur nécessaire !!!

Lundi 30 décembre

50ème jour de l’armistice.

 

Cette fois, les anglais qui restaient au camp (environ 200) partent ce midi, les veinards !!

Espérons que le reste du tuyau d’hier se réalisera !! Il paraitrait que 3 camps qui devaient être rapatriés avant le nôtre l’ont été en 12 jours et que celui de Crossen serait maintenant le 3ème venant après Juben.

D’autre part, un sergent du Comité étant allé hier à Juben chercher du lait pour les malades du lazaret, nous a rapporté que le rapatriement du camp de Juben est commencé, aussi nous espérons tous que les départs commenceront cette semaine.

Mardi 31 décembre

51ème jour de l’armistice.

 

Cet après-midi, je sors en ville avec une permission régulière, malheureusement il fait mauvais et la pluie ne cesse de tomber. Achat d’un couteau : 3 mark.

 

Ce midi nous avons touché notre solde pour le mois de décembre : 24 mark.

Le capitaine De CASTRIS qui était allé à Berlin, rentre ce soir : maintenant il paraitrait que nous serions rapatriés par voie ferrée (décidément le général DUPONT ne sait trop quoi faire), de plus le premier départ du camp aurait lieu au début de la semaine prochaine

 Et dire que c’est ainsi depuis plus d’un mois, c’est remis de semaine en semaine ! C’est à désespérer !!

 

Nous touchons chacun un colis anglais : ce sont vraiment des colis magnifiques et notre gouvernement aurait bien dû imiter le gouvernement anglais, cela aurait évité d’occasionner des dépenses formidables aux familles des prisonniers (ce sont toujours les malheureux combattants qui trinquent) et surtout cela aurait établi l’égalité entre prisonniers et alors il n’y aurait pas eu entre nous cette jalousie infecte arriériste.

 

Contenu de mon colis : 1 boîte lait condensé, 1 boîte de pâté, 1 boîte saucisse, 1 boîte confiture, 2 boîtes bœuf, 1 gâteau, un peu de savon, de tabac, 1 paquet de biscuits, ½ livre chocolat, 1 boîte plum pudding, 500 g sucre, 2 paquets lentilles, 1 pudding.

Janvier 1919 : Le retour

Mercredi 1er janvier

52e jour de l’armistice.

 

Cette nuit à minuit exactement nous sommes réveillés par des salves que tirent les Boches à l’occasion du jour de l’an.

Voilà le jour de l’an arrivé, et nous sommes toujours ici.

 

Notre gouvernement est vraiment coupable & il aurait pu au moins rapatrier les nombreux malades & blessés des camps qui ici meurent en grand nombre & qu’il laisse sans soins & sans remèdes (on aurait pu, je crois, faire parvenir des médicaments pour les malades !).

De plus je me demande pour quelle raison on a arrêté la correspondance venant de France, laissant ainsi les prisonniers sans nouvelles ! & quelquefois dans de tristes situations –comme c’est mon cas-. J’espère bien que cette incurie de nos gouvernants leur sera véhémentement reprochée…

 

Ce soir, nous apprenons que les Italiens ont reçu l’ordre de se tenir prêts à partir pour après-demain.

Par le rapport le capitaine nous rend compte du résultat de son voyage à Berlin : le rapatriement aura lieu par voie ferrée & d’après le Général DUPONT sera terminé pour le 9 janvier.

 

Le camp de Crossen recevant du ravitaillement, n’occupe plus le ??? rang signalé précédemment, ceci pour permettre le rapatriement de camps non ravitaillés ; malgré cela un 1er départ est probable dans 8 à 10 jours !!

Tout cela ce sont de belles paroles qui sont loin de nous satisfaire !!

Jeudi 2 janvier

53e jour de l’armistice. Ce matin, nouveau tuyau qui se trouve ensuite confirmé par la voie du rapport : la Kommandantur de Crossen a reçu l’ordre de tenir les Français prêts à partir pour lundi prochain 6 : 1er départ 1500 à destination de Damstadt ; 2e départ 1500 également à destination de Limbourg, enfin le reste à destination de Radstadt (villes de la zone neutre).

Maintenant nous allons attendre lundi avec impatience.

 

  Pendant ce temps, les malades meurent en grand nombre (2 nouveaux décès cette nuit). Depuis une quinzaine il en meurt 1 à 2 tous les jours.

  Ce soir les bruits de départ se confirment, le 1er départ, aurait maintenant lieu le 5 (dimanche prochain), le 2e le7 & le 3e le 9. Vraisemblablement je ferai partie du 2e.

Vendredi 3 janvier

54e jour de l’armistice.

Ce matin nous apprenons qu’il y a eu une séance orageuse à la chambre des députés au sujet de notre rapatriement, il y a eu paraît-il lecture de lettre d’épouses, de mères se plaignant de la lenteur de notre rapatriement.

Je ne serais pas étonné que ce « chahut » soit pour beaucoup au sujet de notre prochain départ dont l’ordre est venu hier, alors qu’avant-hier le capitaine nous disait qu’il nous faudrait attendre encore une dizaine de jours.

Ce soir le tuyau court qu’un télégramme est arrivé disant que le camp doit être vidé pour le 8.

Samedi 4 janvier

55e jour de l’armistice

 

Les bruits de départ se confirment de plus en plus.

Cet après-midi il y a rassemblement des hommes faits prisonniers avant le 27 mai 18 (préparatifs du départ du lendemain).

Demain partiront : Hurel, Sévier, Quinette???, Thoumaisse de la Manche & nous allons rester seuls ici Lepetit & moi. Nous allons faire un tour à Crossen toujours sans permission.

Dimanche 5 janvier

56e jour de l’armistice

 

Préparatifs pour le départ de 1500 de cet après-midi. Invités à prendre le café par le père Hurel.

Foule énorme dans le camp. Tout le monde est sorti dans le camp. Sonnerie de rassemblement impressionnante.

Ah ! Quel bonheur de quitter cette Allemagne & de faire route vers la France !!!

Départ impressionnant : clairons jouant marche militaire, drapeaux fs déployés sous les yeux de la garde allemande du camp.

 

À 14h, rassemblement des types faits prisonniers du 27 au 9 juin 18, ceci pour faire les préparatifs de départ.

Ah ! Si cela pouvait être pour demain !!

Nous touchons 1 colis anglais pour 2.

Maintenant la nourriture abonde & on ne sait plus qu’en faire, alors qu’il y a 1 mois on crevait de faim !!

 

Ce soir, incident : guérites renversées, démonstration allemande de 50 hommes en armes & mitrailleuses braquées.

Lundi 6 janvier

57e jour de l’armistice

 

Au rapport, 2e départ confirmé pour demain 7 & le 3e départ aura lieu le 8.

Je trouve que le départ des Français est bien précipité & il y a sûrement une raison à cette précipitation.

Mouvements polonais prend de l’importance. Posen occupé par eux.

Français se débarrassent de ce qu’ils ont en trop comme vivres : joie des Russes qui pour aller nous chercher un peu d’eau reçoivent 2 ou 3 biscuits, des lentilles, du riz etc…

Mardi 7 janvier

58e jour de l’armistice

 

Toute la nuit, impossibilité complète de dormir : chahut infernal.

Enfin le jour tant désiré arrive.

Ah ! Qu’il est doux de se dire qu’aujourd’hui nous allons prendre le train pour la France !

Cette fois le rêve tant de fois caressé va se réaliser.

Prodigalité des Français qui se débarrassent de leurs réserves & cela pour rien tandis que les Anglais eux vendaient.

 

Le rassemblement pour le départ d’abord fixé à 12h est reporté à 1h ½.

Distribution sur les rangs de pain (1 boule pour 3) : les Russes en bénéficient aussitôt. Nous balançons pêle-mêle nos plats & nos couvertures au milieu de la cour & cela sous l’œil des Boches.

Beaucoup ont confectionné des drapeaux fs qui flottent au vent.

Départ du camp à 16h par groupes de 50.

 

Traversée de Crossen au pas & en chantant la Marseillaise ou le chant du départ. La place est traversée en chantant la Marseillaise. Quel tableau tout de même & comme les Boches doivent la trouver mauvaise de nous voir ainsi les narguer.

Un Boche qui veut prendre notre groupe en photo n’a pas de succès, nous lui tournons le dos.

 

Aux chants se mêlent de temps en temps les cris de « à bas les Boches » « Vive la France ».

L’embarquement est vite fait, nous (adjt & aspt) nous sommes dans nos wagons de 3e. 5 officiers russes viennent avec nous : ils ont l’aspect vraiment misérable & ont dû bien souffrir.

Départ de Crossen : 17h ½, salué par nos chants & nos cris qui se renouvellent dans toutes les gares : Guben, Cottbus.

À cette gare, on descend un de nos camarades mort subitement après Guben (voilà encore un malheureux qui n’aura pas le bonheur de revoir la France).

Mercredi 8 janvier

La journée se passe dans le train : comme nous avons Lepetit & moi suffisamment de provisions, nous partageons avec les camarades Bernau & Charretier & le temps passe bien qu’il nous paraisse assez long à cause de la lenteur désespérante de notre train.

 

  Ce matin, vers 8h, nous arrivons à Leipzig (plus grande gare du monde) & après de multiples arrêts & départs pour faire chaque fois quelques centaines de m nous y sommes encore à 13h.

Nous passons ensuite par Halle & Nordhausen où nous avons une soupe boche.

Il va falloir de nouveau passer la nuit en chemin de fer.

Jeudi 9 janvier

Toute la nuit le train est allé bien doucement, si bien qu’à la pointe du jour nous ne sommes pas encore à Cassel.

 

Ah ! Les nuits ce qu’elles paraissent longues dans le train d’autant plus que je ne puis fermer l’œil car impossible de s’étendre.

Rencontrons un train de rapatriés Russes venant de Giessen, les Français de ce camp sont en France depuis longtemps (les Américains sont parait-il venus en auto y chercher les malades).

Commerce avec les Russes. ???

 

En gare de Cassel, train des rapatriés fs venant du camp de Cassel qui n’est pas encore complètement évacué.

En passant à proximité du camp, nous pouvons voir les dégâts causés par le fameux incendie auquel nous devons la perte de maints colis.

À Giessen où nous arrivons assez tard dans l’après-midi, les Boches nous donnent pain & saucisson avec un peu de café.

La lenteur du train est vraiment désespérante et il faut encore renoncer à l’idée d’arriver ce soir à Limbourg.

Vendredi 10 janvier

Nous arrivons à Limbourg vers 3h, passons le reste de la nuit dans le train (petite gare auprès de Limbourg desservant le camp).

 

Dans cette gare en territoire neutre se trouvent 2 postes (1 allemand & 1 fs).

Par le poilu de garde nous avons quelques tuyaux : le camp est complètement plein, & les prisonniers peuvent y rester 2 à 5 jours. Les poilus mal habillés, mal cirés doivent donner mauvaise opinion de l’armée.

 

Vers 8h ½, on nous annonce que le camp étant plein, nous allons partir pour un autre patelin, probablement Francfort s/s le Main.

Pas de ravitaillement.

Nous refaisons en sens inverse le chemin parcouru pendant la nuit, repassons à Giessen & à 18h arrivée à Francfort, la voie passe dans la ville.

Le train allant très doucement & même arrêtant souvent, il y a un grand chahut (engueulade entre les habitants & nous), à nos cris de « Deutschland Capout » ils répondent « Frankreit Capout » ; garde de police boche nous laisse à Francfort.

Samedi 11 janvier

Nous ne passons pas par Mayence mais tout près de Darmstadt & ce matin vers 7h (heure fse) nous arrivons à Vorms.

Là, pour la première fois nous touchons du ravitaillement fs (1 boule pour 2 & 1 boîte de singe pour 4).

Nous sommes maintenant en territoire occupé nous devons, parait-il aller soit à Metz, soit à Nancy.

 

  À Forbach, nous avons chacun un quart de jus.

  Enfin, ce soir vers 5h du soir nous arrivons à Metz après 10h de trajet.

Là, branle-bas tout le monde descend. 2 poilus nous attendent, traversée d’un coin de la ville en pagaille : nous allons au fort Goëben, à 3 km de la gare.

Avant d’arriver au fort, classement des prisonniers par régions ; comme les poilus d’une région appelée doivent passer en tête de la colonne (colonne qui a à peu près 1km de long), cela se fait avec une lenteur désespérante, et nous restons entre 2 & 3 heures sous la pluie (pas seulement 1 officier n’est là pour nous recevoir, et faire ce classement).

Un poilu nous conduit à travers un dédale de couloirs sous terre dans les casemates du fort et cela à la lueur d’une chandelle, car évidemment il n’y a pas de lumière. Nous nous trouvons ainsi Lepetit & moi avec les ??? du 10e corps dans une salle infecte, où se trouvent quelques lits en fer en pagaille avec quelques couvertures.

 

Les couloirs sont dans un état repoussant, car comme il n’y a pas de lumière, les prisonniers qui la nuit, ont besoin d’aller aux cabinets ne peuvent songer à sortir car certainement ils ne retrouveraient pas leur chambre, aussi ??? & déposent les excréments dans les couloirs près de leur « carré » & il est à peu près impossible de marcher dans les couloirs sans mettre le pied sur une sentinelle et de patauger dans des cloaques d’urine.

  Ah ! Certes ce n’était pas la réception que nous attendions !!

Malgré que je ne m’attendais pas à être couvert de fleurs, je suis un peu déçu.

Dimanche 12 janvier

Service très mal organisé, les prisonniers vont eux-mêmes chercher leur jus, aussi conséquence certains boivent 1l alors que d’autres (et tous ceux de la 10e région sont du nombre) se mettent la ceinture.

  Attitude des poilus à notre égard qui basent leur conduite sur celle des officiers (99e RI lieutenant), poilus nous regardent de travers, nous sommes considérés comme des lâches, comme la honte de l’armée fse & on nous le fait bien voir.

Nous sommes enfermés dans le fort ; quelques prisonniers & parmi eux des s/s off. ayant monté sur les remparts pour voir le paysage, se voient intimer l’ordre de descendre par la sentinelle & cela sur un ton qui ne laisse aucun doute de ses sentiments à notre égard.

Ah ! Nous sommes bien encore prisonniers !

 

  Altercation du lieutenant du 99e avec le sergent Raoult au sujet de l’épluchage des pommes de terre.

  À l’extérieur, même pas de WC mais des feuillées impraticables.

  Quelques régions (Paris & 1 2 3 4 e régions) passent la visite qui est une simple formalité.

Lundi 13 janvier

Ce matin, quelques régions ayant passé la visite quittent le fort. Heureusement que Lepetit & moi, nous avons encore quelques boîtes de conserve, car si nous n’avions que le ravitaillement qu’on nous donne, nous pourrions serrer la ceinture d’un cran.

  Nous passons la visite cet après-midi, visite qui se borne à demander si, parmi nous, il y en a qui ne se sentent pas la force de supporter le voyage & à donner à chacun de nous une feuille de renseignements.

Mardi 14 janvier

Rassemblement ce matin à 8h moins le ¼.

Après avoir pointé plus de 2h à la porte d’entrée du fort, nous partons avec quelques autres régions pour une caserne située dans Metz à 3 kms du fort : caserne Montigny.

Très belle caserne mais l’intérieur est dans un état repoussant & comme toujours pas de lumière.

Pour s’occuper de tous les prisonniers, il y a à peu près tout juste un aspirant du 99e RI. Lepetit & moi trouvons une petite chambre qui une fois nettoyée est presque passable, pas de couvertures, aussi la nuit j’ai plutôt froid malgré un poêle que nous allumons dans la soirée.

 

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Divers

 

Éphémérides de ma captivité

Prisonnier du 29 mai 1918

 

Limé................................................ du 30 mai au 20 juin

Ferme du Mt de Soissons...........du 21 juin au 29 juin

Laon.................................................du 30 juin au 16 juillet

Hirson..............................................du 30 juin au 16 juillet

Cassel...............................................du 16 août au 30 septembre

Crossen s/s Oder..........................du 1er octobre au

 

 

Inventaire du contenu de ma cantine

 

1 rasoir de sûreté Gillette

blaireau & savon Gibbs………30F

1 stylo « Oncto »……………………………………………25

1 képi rouge…………………………………………………… 15

1 vareuse bleu horizon…………………………………90

1 paire de souliers de foot-ball………………… 45

1 paire de brodequins……………………………………50

1 briquet………………………………………………………… 5

3 chemises dont 1 fantaisie…………………………20

2 caleçons………………………………………………………  10

Carnet de pécule…………………………………………… 80

 

 

Raisons qui m’ont fait demander à travailler

 

I Apprendre la langue allemande ; ce n’est qu’en Kommando au contact permanent des Allemands que l’on peut arriver rapidement (en quelques mois) à l’apprendre.

 

II Si la guerre dure encore quelques temps & comme je n’ai pas la moindre envie de m’éterniser en captivité, profiter de la connaissance de la langue pour me débiner.

 

III Apprendre à connaître les mœurs, la mentalité du peuple allemand

 

IV En « Kommando » dans la petite culture, la nourriture est bien supérieure à celle du camp où sans colis, on crève littéralement de faim ; de plus, ah ! Grand, inappréciable avantage ! On jouit d’une assez grande liberté, on n’a plus la vision constante de ces barbelés, de ces sentinelles baïonnette au canon qui vous gardent au camp.

Couchage également supérieur.

 

V Éviter le départ des s/s off pour Cottbus, départ qui a eu lieu le 28 octobre et qui aura encore pour effet de retarder l’arrivée des lettres & colis.

 

VI Ne plus vivre cette vie déprimante des camps où la santé s’altère rapidement à cause du manque d’exercice, où l’on est constamment exposé aux épidémies, où le cafard vous mine.

 

VII Quitter la compagnie de la plupart de ces s/s off. dont la mentalité égoïste me dégoûte (pas une journée ne passe sans que quelque dispute s’élève dans la baraque).

 

VIII Grâce à un petit travail, chasser l’ennui, le cafard qui me rongent.

 

IX Ne plus avoir constamment sous les yeux la misère des camps

 

Colis reçus

 

Date de réception & provenance

Inventaire signalé

Contenance à l’arrivée

Manque

NOVEMBRE

4 novembre N°1

 

Ma Berthe

1 boîte de beurre, 1kg d’haricots, 500gr de riz, 375 de chocolat, 2 boîtes de lait concentré, 2 paquets de tapioca, 24 morceaux de sucre, du café

1 boîte de beurre, 1kg d’haricots, 500gr de riz, 375 gr chocolat, 2 boîtes de lait concentré, 2 paquets de tapioca, 24 morceaux de sucre, du café en vrac (1 quart)

Complet

Le café était en pagaille et je ne peux en ramasser que la valeur d’un quart

9 novembre N°1

 

La Chapelle

1 boîte de beurre, 2 boîtes lait, 1 boîte lapin, 1 boîte poulet, 1 boîte corned-beef, 500 gr chocolat, 3 tranches jambon, 250 gr riz, café, sucre

1 boîte de beurre, 2 boîtes lait, 1 boîte lapin, 1 boîte poulet, 1 boîte corned-beef, 500 gr chocolat, 3 tranches jambon, 250 gr riz, café, sucre

 

18 novembre N°2

 

La Chapelle

1 boîte de beurre, 2 paquets farine, haricots, jambon, 1 kg de farine châtaignes, savon & savonnette, 5 barres chocolat, 1 boîte lait concentré, 1 lait condensé, sucre, café, 5 œufs durs

1 boîte de beurre, 2 paquets farine, haricots, jambon, 1 kg de farine châtaignes, savon & savonnette, 5 barres chocolat, 1 boîte lait concentré, 1 lait condensé, sucre, café, 5 œufs durs

Œufs en mauvais état

22 novembre N°3

 

Ma Berthe

1 chandail, 1 cache-nez, 2 paires chaussettes, 2 mouchoirs, 1 serviette toilette, laine, fil, aiguilles, boutons, élixir parégorique

1 chandail, 1 cache-nez, 2 paires chaussettes, 2 mouchoirs, 1 serviette toilette, laine, fil, aiguilles, boutons, élixir parégorique

Arrivé en bon état

23 novembre N°2

 

Ma Berthe

3 boîtes conserves, 1 boîte corned-beef, 2 boîtes lait concentré, ½ livre chocolat, café, sucre, haricots, noisettes, paquet de vermicelle, confitures, lait

3 boîtes conserves, 1 boîte corned-beef, 2 boîtes lait concentré, ½ livre chocolat, café, sucre, haricots, noisettes, paquet de vermicelle, confitures, lait

Complet

Arrivé en bon état

23 novembre N°3

 

La Chapelle

1 kg farine châtaignes, 2 paquets farine haricots, 1 boîte de beurre, café, sucre, jambon, 1 boite lait concentré, ½ livre chocolat, 1 boîte conserves, graisse et soupe

1 kg farine châtaignes, 2 paq. farine haricots, 1 boîte de beurre, café, sucre, jambon, 1 boite lait concentré, ½ livre chocolat, 1 boîte conserves, graisse et soupe

Arrivé en bon état

26 novembre

La Chapelle

1 paire chaussons

1 paire chaussons

Arrivé en bon état

 

 

 


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