Carnets de guerre 14-18 et 39-40 de Ferdinand GILLETTE

Carnet N° 7 : Année 1940

 


 

 

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INTRODUCTION

Chaque carnet (7 au total) détaille avec la plus grande précision, la vie de Ferdinand Gillette - au jour le jour - sur plus de 1.800 pages :

 

Liste et matricules de tous ses camarades et supérieurs, compte individuel, liste de sa correspondance, combats (attaques, contre-attaques, replis), détail individuel des pertes, vie de groupe, moral de la troupe et des officiers, prémices de fraternisation, les mutins de son régiment, amour de la famille, l’alcool chez les soldats (tous grades), convalescence dans les hôpitaux, permissions, vie de prisonnier….

Tel est ce récit extraordinaire et émotionnel, vrai « mine d’or » pour comprendre cette période…

 

L’écriture est très lisible, très déliée, bien que très resserrée et peu aérée, ce qui rend une lecture de plusieurs pages d’un coup un peu « difficile ».

Pour une meilleure compréhension des carnets et pour « adapter » le récit aux facilités d’internet, j’ai volontairement :

1)    Ajouter un sommaire

2)   Ajouter des commentaires (en bleu), pour expliquer certains termes d’époque ou situations.

3)   Ajouter des photos et cartes des combats.

4)   Les carnets sont des agendas, et parfois le récit d’une journée est écrit sur plusieurs journées de l’agenda. J’ai donc logiquement regroupé ces journées sur la même date.

5)   J’ai indiqué en face de chaque date, le lieu où se déroule la journée, et parfois un événement important.

 

Bonne lecture, et vivez des émotions fortes comme nous les avons vécus, Marie-Thérèse, Antoinette, Annie, Philippe, Serge, Christophe N., Patrick et surtout Catherine, Françoise, Dominique, Christophe R. et Nicolas, qui à eux cinq ont retranscrit plus de huit cent pages des carnets !

 

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Sommaire (n’existe pas dans le carnet) :

 

Retour sur 1939

 

Janvier : Montmédy – La permission - L'enquête sur la paille pour les hommes – Vezin

 

Février - L'accident du train de coke – Le suicide du capitaine DELACROIX

 

Mars : Charency-Vezin – l'alcoolisme des soldats et officiers – construction de bunkers

 

Avril : Charency - Vezin - Murvaux – Les prisonniers espagnols – le lâcher de tracts

 

Mai : La permission – l'attaque allemande

 

Juin : La récupération du vin – Le pillage par des Français - A-t-on perdu la guerre à cause de l'alcoolisme des soldats ? - Déclaration de guerre de l'Italie - La déficience du matériel français – Départ pour Ornes – La fuite – Lemmes - L'attaque de Lemmes – Troyon - Pillage de Saint-Mihiel par les soldats français – La retraite – Secteur de Toul – Favières, Saulxerotte - Combat de Selaincourt – La 5ème colonne -  Prisonnier ! – Église de Vaucouleurs - Les officiers de salon ! - Les clochent sonnent la fin de la guerre - Il faut fusiller les dirigeants – Nancy - Les conditions de l'armistice - Les salopards de Français.

 

Juillet – Prisonnier à la chartreuse de Bosserville - Commentaires sur la mentalité de la France - Causes de la défaite, vues par Ferdinand - Les bruits qui circulent – Le manque de nourriture – Le débarquement en Angleterre.

 

Août – Hospice de Bosserville – La chance de la canaille - L'évasion des 30 officiers – Le départ pour l'Allemagne - Réflexions sur le voyage en Allemagne – Munster - Le couple Ferdinand/Berthe se gâte - Le menu de tous les jours – Le régime de faveur des Bretons.

 

Septembre : Allemagne, Münster – La faim - Le règlement du camp – La note concerne la libération des prisonniers

 

Octobre : Münster - Les femmes et filles allemandes - Amélioration de la nourriture - Remarques sur les ouvriers des villes et sur les Anglais – Le torchon brûle avec Berthe : "Je n’ai pas eu décidemment de chance en me mariant…" -

 

Novembre : Münster - La commission de la Croix Rouge - Le premier libéré.

 

Décembre : Les colis - Les fausses rumeurs

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1940

Janvier : Montmédy – La permission - L'enquête sur la paille pour les hommes – Vezin -

Lundi 1er janvier

À Montmédy

 

Le temps est toujours froid, la gelée continue et la côte allant à la citadelle est très glissante.

Contrairement à ce qui avait été annoncé, les hommes aujourd’hui ne touchent aucun supplément de distributions (champagne, cigares, gâteaux) analogues à celle qui avaient eu lieu à Noël, devaient être faites, mais l’intendance n’a rien donné pour aujourd’hui

 

À la popote, nous ne sommes plus que deux : le lieutenant Josseraud qui remplace Purast pendant la permission de détente de ce dernier, et moi.

Le capitaine Labbé est parti en permission exceptionnelle de 3 jours et ne doit rentrer que le 4 au soir.

Le lieutenant Poirrier lui est parti pour Paris (permission irrégulière) et ne doit rentrer que demain. En voilà un qui ne s’en fait pas, il est déjà allé au moins 4 fois à Paris en permission plus ou moins régulière, il pourrait bien lui arriver une tuile d’ici peu de temps.

 

Aujourd’hui, il y a repos pour la Cie. Voilà une nouvelle année qui commence. Puisse cette année 1940 voir la fin de ce cauchemar qu’est la guerre et notre retour à tous dans nos foyers.

Hélas ! Il est à craindre que la guerre ne dure encore longtemps et qu’au printemps la guerre totale ne succède à cette guerre au ralentit qui a lieu depuis septembre.

Encore 3 jours et je vais partir en permission.

Mardi 2 janvier

À Montmédy.

 

Temps pareil, la gelée continue.

L’état sanitaire de la Cie est toujours très mauvais.

 

Ce matin, il y a une trentaine de malades et 3 nouveaux sont évacués (près de 40 de fièvre.) Aussi l’effectif des travailleurs est très réduit (une trentaine d’hommes.)

 

Ce midi, le lieutenant Poirrier rentre à Montmédy, il a pris aussi 4 jours de permission irrégulière : il a de la chance de pouvoir ainsi s’absenter à tout moment, mais je ne pense pas que cela puisse encore durer bien longtemps, car au 1er bataillon tout marche plus mal qu’au 2ème et cela par sa faute.

Les Cies ne touchent pas, et à loin près, tout ce à quoi elles ont droit : les hommes manquent de paille et il est certain que la responsabilité en incombe pour une bonne part à Poirrier.

Encore 2 jours et je partirai en permission, ce sera bien mon tour car j’estime que j’ai été lésé en ce qui concerne le tour de départ établi par le commandant Lecacheur.

 

Enfin en ce moment il est préférable d’avoir la perspective de partir dans 2 jours plutôt que d’en avoir seulement le souvenir.

Depuis dimanche Le Canun qui doit me remplacer pendant ma permission est arrivé au bataillon, il rentre de remplacer le capitaine Mongodin à la 4ème.

À Montmédy

Mercredi 3 janvier

À Montmédy

 

Hier soir, à 11h ½ nous sommes allés à la gare chercher le major Provost qui rentre de permission.

À la gare nous trouvons le commandant Lecacheur venu chercher le lieutenant Taub rentrant également de permission. Tous viennent à notre popote prendre un vin chaud.

Le temps est toujours excessivement froid et les routes sont glissantes.

L’état sanitaire de la Cie est toujours très mauvais.

 

Ce matin, une quarantaine de malades, tous fiévreux vont à la visite et plusieurs sont évacués, leurs températures atteignant 40°. Il est tout de même triste qu’on ne puisse toucher ni poêles, ni paille.

En plus le génie, sous la direction duquel, travaille la Cie est très exigent : les hommes n’en font jamais assez et il n’y a jamais assez d’hommes au travail.

 

 Cet après-midi, une altercation assez vive met aux prises le major Provost et l’adjudant Gallemend du génie qui dirige les travaux à la gare.

Provost doit faire ce soir un rapport au médecin-chef de la 2ème armée concernant le mauvais état sanitaire de la Cie, ainsi que sur l’état défectueux des cantonnements : il est probable que ce rapport va faire du pétard.

Mais si nous n’avons touché ni paille, ni poêles, je crois que le responsable, au moins pour une bonne part, est le lieutenant Poirrier qui ne s’occupe pas assez de son boulot et n’insiste pas assez auprès des intendants.

Ce Poirrier est d’ailleurs pour n’importe quel motif absent du bataillon. Il va très souvent à Paris…..

Jeudi 4 janvier

À Montmédy

 

Enfin cette fois c’est cette nuit que je pars en permission. Plus qu’un jour à passer avant ce départ.

L’état sanitaire de la Cie reste très mauvais, ce matin il y a encore 30 hommes à la visite. Tous ont de la fièvre, certains près de 40° et 4 nouveaux sont évacués.

Il est tout de même malheureux qu’on ne puisse obtenir ni poêles, ni paille malgré les nombreuses demandes faites tant à la place de Montmédy, qu’à l’officier de détail du bataillon.

Il paraît que les intendances sont démunies de paille et de poils, (*) mais je pense qu’il leur serait tout de même facile d’en faire venir de l’intérieur.

Au rapport de ce midi, je passe le commandement de la Cie à Le Canun.

 

Cet après-midi, préparatifs de départ. J’ai ma permission en poche depuis 10 heures, mais je ne vais partir que cette nuit au train de 4h40.

Le temps semble se radoucir comme hier et la route est tout de même un peu moins glissante, c’est heureux car pour monter à la Citadelle c’était tout un problème.

 

C’est à 23h ½ que doit rentrer le capitaine Labbé. En l’attendant, nous faisons Poirrier, Le Canun, Provost et moi un bridge jusqu’à 23h, puis nous allons à la gare où comme prévu nous trouvons le capitaine Labbé.

 

(*) : Ferdinand a même acheté lui-même le 5 décembre 19139 la paille de ses hommes pour dormir (27 francs). Il l'indique à la fin du carnet de 1939.

 

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Vendredi 5 janvier

Départ en permission

 

Ce matin, je prends avec Georget, le sergent-chef de l’officier de détails, le train en gare de Montmédy à 4h40. Après un changement à Charleville nous arrivons à Paris à 9h30.

De la gare de l’est je vais chez Mr et Mme Calmé, avenue Trudaine. Accueil charmant. Après manger Mr Calmé va au travail (musée Grévin.)

Pendant ce temps je vais gare St Lazare pour me renseigner sur les horaires des trains, nous repassons par le musée Grévin pour prendre Mr Calmé.

Il est décidé que je prendrai le train demain matin à 7h ½ à la gare St Lazare pour Le Havre : aussi je couche chez Mr Calmé.

 

Vers onze heures, j’ai envoyé un télégramme à Berthe et à Leneveu pour les prévenir de l’impossibilité d’aller à Cherbourg dimanche.

Samedi 6 janvier

Départ de Paris à 7h ½, Mr Calmé vient m’accompagner jusqu’à la gare St Lazare.

 

Arrivée au Havre à 11h ½ où je passe la journée chez Émile.

Étant allé aux renseignements l’après-midi, j’apprends que le car partant du Havre à 7h du matin et arrivant à Caen vers 10h ½ n’existe plus, aussi après consultation des horaires des trains, nous serons obligés, Alphonse et moi, de prendre le train demain à 11h et nous n’arriverons à Chef-du Pont qu’à 20h ½, et arrivés là, nous aurons sans doute la douce perspective de faire à pied les 6 km qui séparent Chef-du-Pont de Picauville.

Dimanche 7 janvier

En permission : 1er jour.

 

Départ du Havre vers 11h, arrêt de 50 mn à Rouen, de 20 mn à Serquigny et de 2h à Caen.

Arrivée à Picauville à 21h ½.

Nous sommes arrivés à la gare de Chef-du-Pont à 20h ½. Là nous avons eu la chance inouïe de trouver une auto qui nous a transportés jusqu’à Picauville.

À Picauville, nous avons trouvé tout le monde en bonne santé, mais ne nous attendant plus. Nous avions été attendus la veille au soir et Mr Hébert du bourg était allé avec Berthe à la gare pour nous chercher, car le télégramme envoyé de Paris n’est pas encore parvenu à Picauville.

Lundi 8 janvier

En permission : 2ème jour.

 

Temps encore assez doux.

J’occupe mon temps à tailler la glycine de la cave.

Cet après-midi, je vais voir Mr Durel qui lui aussi est en permission de détente.

 

Ce soir, visite chez Melles Buchot et chez Mme Durel.

Mardi 9 janvier

En permission : 3ème jour.

 

Le gel recommence à se faire sentir.

La journée se passe à tailler les poiriers du jardin.

Mr Couppey, père de Mme Durel est mort de ce matin.

Mercredi 10 janvier

En permission : 4ème jour.

 

Nous allons, Alphonse et moi, en auto à Cherbourg voir Mr et Mme Leneveu.

Départ de Picauville à 9h ½, passage par St Mère-l’Église où je fais signer ma permission par le chef de brigade.

 

Arrivés chez Leneveu à 11h ½.

 

Départ de Cherbourg à 15h ¼ et rentrée à Picauville à 16h 45.

Jeudi 11 janvier

En permission : 5ème jour.

 

Nous allons Berthe, Fernande, Alphonse et moi à Saint Lô.

Là, je vais à l’inspection académique pour mon traitement des 4 premiers jours de septembre que je n’ai pas touché.

Retour par Le Hommet où nous arrêtons chez Mr Madelaine et par St André où nous arrêtons chez Mr Lechevalier et chez Mr Couillard Auguste.

Vendredi 12 janvier

En permission : 6ème jour.

 

Temps toujours froid et la journée est employée à tailler les arbres (poiriers, glycines.)

Samedi 13 janvier

En permission : 7ème jour. Temps très froid.

 

La matinée, je vais en bicyclette avec Melle Frigout à l’inhumation de Mr Couppey à Amfreville.

 

L’après-midi, je finis de tailler les rosiers et les vignes.

 

Le soir, après la classe, nous allons Berthe et moi à Pont l’Abbé. Visite chez Mr Hébert, bijoutier, et chez Mme Viel.

 


Dimanche 14 janvier

En permission : 8ème jour.

 

Aujourd’hui nous avons la visite de Mme et Mr Leneveu qui n’arrivent qu’à midi ½ pour repartir à 16h ½.

Lundi 15 janvier

En permission : 9ème jour.

 

Temps toujours très froid. Ce matin il tombe un peu de pluie qui recouvre la route d’une couche de verglas. Les routes sont alors impraticables.

Malgré cela nous nous mettons en route, Alphonse et moi pour Saint-Jean-de-Daye, Le Dézert et Le Hommet. Arrêt à Carentan (Lebastard et hôtel de ville.)

À Saint-Jean-de-Daye (Mr Lemonnier).

Au Dézert (Vve Guilbert, Lefranc, Louis Roussel, Moittier et Lefèvre.)

Au Hommet (Vve Pézeril, E. Saint, Léon Madelaine, Vve Bigat.)

Au retour par St André, nous rencontrons sur la route de Carentan, Mrs Couillard À et Yves Gustave.

Mardi 16 janvier

En permission : 10ème jour.

 

Aujourd’hui, je vais avec Alphonse à St Lô malgré le mauvais état de la route couverte de verglas. En route nous croisons maints véhicules en panne. Il faut aller très lentement surtout dans les descentes car les roues dérapent.

À St Lo, je fais quelques courses : Comptoir d’escompte, librairie, achat d’une paire de chaussures, etc.

Au retour, nous revenons par St Clair où nous voyons Villette.

 

Ce soir, nous allons prendre le café chez Mr et Mme St Lô, ce n’est pas seulement le café que nous prenons mais le vin (rouge et blanc), le café et les liqueurs.

Mercredi 17 janvier

Jour du départ pour le retour aux armées.

 

Ce matin, j’accompagne Alphonse jusqu’à la gare de Chef-du-Pont.

Le temps continue d’être très froid.

La journée se passe à faire les préparatifs de départ et à 4h ¼ Berthe et moi prenons le car pour Chef-du-Pont.

À la gare nous retrouvons Simone qui nous attendait.

Départ du train à 16h43. Me voilà une nouvelle fois séparé de ma famille. Pour combien de temps ?

Ah ! Quelle maudite vie j’aurai vécue !

 

À Carentan, je descends du train pour attendre l’express qui passe 50 mn plus tard.

Arrivée à Paris à 23h ½, et je vais coucher dans un hôtel près de la gare St Lazare.

Jeudi 18 janvier – L'enquête sur la paille pour les hommes

À Montmédy.

 

Je rejoins la 3ème Cie du 446ème R.P. à Montmédy.

Je me lève tard et à 11h je prends un taxi pour aller chez Mr et Mme Calmé où comme à l’aller je reçois un excellent accueil.

Mr Calmé doit prendre son travail à 13h ½ et quitte la maison à 13h ¼.

 

À 14h, je vais avec Mme Calmé à la Belle Jardinière faire l’acquisition d’une culotte et d’un béret. Nous repassons par le musée Grévin pour dire au revoir à Mr Calmé.

 

À 18h30 départ de Paris. Arrivée à Charleville à 22h et à Montmédy à 23h 45 (1/4 d’heure de retard.)

Le temps est toujours très froid.

À la gare je trouve Provost et Le Cann à m’attendre.

Pendant ma permission, il y a eu tout un chambardement dans le bataillon.

À la suite du rapport du major Provost, concernant le chauffage et le couchage dans les cantonnements, la Citadelle de Montmédy a reçu la visite d’abord d’un lieutenant d’état-major, puis d’un capitaine, d’un commandant, d’un colonel et enfin de 2 généraux ! : L’un du service de santé, l’autre le chef de la 2ème armée, Rochat.

 

Une enquête a été faite au sujet des demandes de paille et de poêles et comme il fallait une victime, c’est le pauvre capitaine Labbé qui commandait le bataillon qui a écopé.

Le commandement du bataillon lui a été enlevé et confié au capitaine Bonis et Labbé est passé à la 8ème Cie.

Vendredi 19 janvier

La Cie fait mouvement de Montmédy à (Charency) Vezin.

 

Ce matin, j’apprends encore du nouveau.

Pendant ma permission, le sergent-chef Jeanne a obtenu une permission exceptionnelle de 3 jours (femme malade ?)

Or cette permission est tombée juste au moment de l’échéance de la feuille de prêt (15 janvier) et l’autre sergent-comptable Cholet était bien dans l’incapacité de faire cette feuille de prêt qui par suite ne pouvait être prête pour le 16.

Aussi malgré les réclamations du commandant, le bureau de la Cie était bien dans l’impossibilité de la fournir.

Conséquences : Jeanne à son retour le 18 janvier au matin et Cholet se sont vus infliger 4 jours d’arrêt simples et il est très probable que Cholet va quitter la Cie, ce ne sera d’ailleurs pas une grande perte pour la Cie : car ce comptable paresseux et incapable a en plus mauvais esprit.

 

Rassemblement de la Cie à 1h ½. Les hommes viennent prendre les camions dans le bas de Montmédy, pendant que 3 camions montent à la citadelle pour le chargement de la roulante et du matériel de la Cie.

Les voitures hippo sont parties à 1h ¼ et je me demande bien comment elles vont arriver à Vezin vu le mauvais état des routes et surtout le mauvais le mauvais état des chevaux.

Ces malheureuses bêtes n’ayant presque pas de ravitaillement, crèvent de faim.

Arrivée des camions à Vezin à 16h ½. Installations des hommes dans les cantonnements qui sont passables, mais très étroits.

Le convoi hippo arrive à 19h ½ en moins mauvais état que je ne l’aurais cru.

Samedi 20 janvier

À Vezin.

 

Temps toujours glacial : environ – 23°. Le vent nous pique les oreilles et j’ai bien du mal à réchauffer mes vieux os.

J’ai maintenant à la Cie un lieutenant arrivé 2 jours avant ma rentrée de permission.

Il est âgé de 54 ans, ce qui m’a étonné, car je croyais que la limite d’âge pour les lieutenants était 52 ans. Je me trompais donc, et il paraîtrait qu’elle serait à 57 ans et non à 52 ans. Je ne comprends guère car alors pourquoi Fleury a-t-il été démobilisé ?

 

Ce lieutenant Richard (c’est son nom) vient du 21ème B.C.P. et a été en ligne pendant 3 mois près du Rhin, à la frontière suisse, il me paraît être un excellent homme et je crois que nous nous entendrons bien ensemble.

 

Aujourd’hui, la journée se passe à l’installation des cantonnements dont 2 seulement sont munis d’un appareil de chauffage. Le bureau de la Cie est très à l’étroit, il est situé dans une maison évacuée et cet après-midi l’adjoint au maire vient faire l’inventaire du matériel resté.

 

Nous sommes ici très près de la frontière belge (environ 2km), sur la colline à l’Est nous voyons une grande croix que les habitants du pays appellent : Croix des Allemands. Cette croix a été faite par les Allemands pour marquer l’endroit où les premiers d’entre eux sont entrés en France en 1914.

Nous mangeons Richard et moi à la popote des 6ème et 7ème Cie du 132ème.

Dimanche 21 janvier - Vezin

À Vezin.

 

Cholet quitte la Cie et est affecté à la 7ème Cie.

 

Temps toujours très froid – 21°.

Le repos continue pour la Cie. Je n’ai d’ailleurs pas encore reçu d’ordres concernant le travail que nous allons avoir à exécuter.

 

Quelques mots sur Vezin : ce petit pays de 400 ha à peu près, est occupé actuellement par 2400 hommes de troupe, c’est dire combien ils sont serrés et en particulier c’est le cas pour la Cie qui est vraiment trop à l’étroit.

Vezin se trouve à environ 6 km de Marville où l’état-major du bataillon et la 1ère Cie vont cantonner aujourd’hui.

 1 km ½ d’ici, plus près encore de la frontière belge, se trouve Épiez où est cantonnée la 5ème Cie (lieutenant de St Victor.) La 8ème Cie commandée maintenant par le capitaine Labbé se trouve à Colmey à environ 6 km d’ici.

Près de la moitié des habitants de Vezin sont partis et les maisons évacuées ont été occupées par la troupe. Beaucoup parmi ceux qui restent se tiennent prêts à partir.

 

Je passe une partie de mon après-midi à écrire car par ce temps il ne fait pas bon se promener.

J’écris à la popote du 132ème car la chambre que j’occupe chez Mr Jacquemin, route de Villers-le-Rond est excessivement froide.

On ne peut pas y faire de feu et ce matin comme hier, l’encre est entièrement gelée dans mon encrier.

La nuit je ne parviens pas à me réchauffer, aussi il n’est pas étonnant que j’aie de nouveau attrapé un bon rhume. Il faudra décidément attendre les beaux jours pour ne plus tousser.

Lundi 22 janvier

À Vezin.

 

Le froid est toujours aussi vif (environ – 23°.) La neige menace de recommencer à tomber, quelques flocons volent mais ce n’est rien.

Les routes sont très glissantes, car la neige qui recouvrait les routes a légèrement fondu sous les roues des véhicules et est devenue de la glace.

 

Aujourd’hui encore nous n’avons aucun ordre concernant le travail que la Cie va avoir à fournir, aussi les hommes passent encore leur temps à aménager leurs cantonnements.

Ma chambre est une véritable glacière et la nuit j’ai bien du mal à me réchauffer.

Dans le lavabo à côté de ma chambre les conduites d’eau sont gelées. Dans les W.C. la chasse d’eau est également gelée. Vraiment l’hiver 1939-40 se fait durement sentir : voilà près d’un mois qu’il gèle et je crois bien qu’il faudrait remonter à l’hiver 1916-17 pour trouver un froid aussi rigoureux.

 

Les chevaux de la Cie sont en bien mauvais état. Les 2 alezans ont les pattes de derrière démesurément enflées et le pus coule.

Les 2 noirs de Versal ont de la gourme, ainsi qu’un de ceux du bataillon qui traîne le fourgon de la Cie. Ces pauvres bêtes sont insuffisamment alimentées et par suite résistent moins à la maladie, j’ai bien peur d’en perdre plusieurs et alors je me demande comment la Cie pourra se déplacer.

Mardi 23 janvier

À Vezin.

 

Temps toujours très rigoureux. Le gel continue.

 

Ce matin, les conducteurs me préviennent qu’un des deux chevaux du bataillon, traînant le fourgon de la Cie est très malade. Il a toute la tête enflée et ne boit ni ne mange.

Je vais au bureau du major de cantonnement afin de prévenir le vétérinaire.

Ce dernier se trouve à Grand-Failly et est aussitôt prévenu téléphoniquement. Je l’attends en vain toute la matinée, aussi vers 15h je lui fais envoyer un nouveau message téléphonique auquel il répond presque aussitôt que n’ayant pas de voiture à sa disposition il est dans l’impossibilité de se déplacer et qu’il fallait envoyer une voiture le chercher.

 

Immédiatement je préviens téléphoniquement le chef du 1er bataillon d’avoir à assurer ce transport. Comme le capitaine Bonis était absent de Marville il ne répond que tard dans la soirée me disant que le nécessaire sera fait demain matin.

 

Ce midi, alors que nous étions à manger, j’ai la visite d’un lieutenant du génie qui doit diriger les travaux que la Cie va avoir à exécuter.

D’après lui la Cie irait travailler tout près de Marville, alors que la 1ère Cie cantonnée à Marville viendrait travailler à Villers-le–Rond (3km ½ de Vezin), alors qu’il serait autrement logique d’intervertir les chantiers des 2 Cie, ce que je lui demande de proposer.

J’adresse d’ailleurs aussitôt un rapport en ce sens au chef de bataillon.

Espérons que ce qui est la plus simple logique triomphera !

Mais sait-on jamais !!

Vendredi 26 janvier

À Vezin.

 

Ce matin, encore le temps est très froid : environ – 20°. Comme je pars avec la Cie au travail, je suis obligé de me lever à 6h.

Départ pour Villers-le-Rond à 7h et arrivé au chantier à 7h45.

Il ne fait pas chaud à rester à rien faire et j’ai vite les pieds froids comme de la glace, je suis obligé de faire les cents pas pour me réchauffer un peu.

J’ai tellement froid aux mains que je n’arrive pas à déboutonner ma capote.

 

Ce midi, nous sommes invités, le lieutenant Richard et moi, à la popote du capitaine Gascuel de la Cie 41/1 du génie qui dirige nos travaux et qui réside en ce moment à Ham les St-Jean. Nous y sommes parfaitement reçus et j’y retrouve le capitaine Launay qui lui aussi est invité.

 

Cet après-midi, je quitte le chantier vers 14h ½ pour revenir à Vezin.

Le cheval malade n’est pas encore évacué et se trouve toujours dans le même état. J’ai hâte qu’il soit parti.

 

Ce soir, la température s’est légèrement radoucie, espérons que le temps va changer car le dégel faciliterait grandement le travail que la Cie doit faire.

Ce soir la Cie perd Saussey, caporal d’ordinaire qui retourne au dépôt comme appartenant à la classe 15 de mobilisation (classe de recrutement 19 et 2 enfants.)

C’était un bon caporal d’ordinaire et je regrette son départ.

Samedi 27 janvier

À Vezin.

 

Changement de temps ce matin, la température s’est considérablement radoucie et le dégel commence.

Que les routes sont mauvaises ! Elles sont couvertes d’au moins une dizaine de cm de neige à moitié fondue et à patauger là-dedans toute une journée, le cuir des chaussures s’imbibe d’humidité et les pieds sont humides.

 

Ce matin, je vais au travail avec la 1ère et la 2ème section. Ce travail n’avance pas vite car la terre gelée est très difficile à travailler, c’est bien pire que le roc : il faut de multiples coups de pioche pour en détacher quelques petits morceaux.

Dans la matinée, nous avons la visite d’un colonel d’artillerie (13ème) venu se rendre compte de l’état des travaux de défense se trouvant dans son secteur.

 

Cet après-midi, c’est le lieutenant Richard qui conduit les 3ème et 4ème sections au travail.

Le dégel continue toute la journée et sur le chantier il ne fait pas bon (sous le camouflage) car la neige fond et tombe en grosses gouttes de pluie sur les travailleurs.

Toute la journée, d’ailleurs, il tombe de la neige à moitié fondue.

 

Demain, 2 hommes quittent encore la Cie, ce sont : Le Méhaute Louis et Potier Alphonse. Ils vont rejoindre le D.I. 33 à Cherbourg, comme pères de 3 enfants des classes de mobilisation 17 et plus anciennes.

Dimanche 28 janvier

Hier, c’est un faux dégel que nous avons eu car la gelée a repris cette nuit : -4, si bien que ce matin les routes sont impraticables, c’est même avec difficulté que les piétons peuvent s’y aventurer, les routes sont recouvertes par au moins 10 cm de glace.

 

Les chevaux de la Cie sont toujours en aussi mauvais état.

Le cheval qui devait être évacué est toujours là et je crois bien qu’il est destiné à finir ses jours à Vezin, car son état ne fait qu’empirer.

 

À onze heures, le capitaine Launay vient nous chercher, le lieutenant Richard et moi, pour nous emmener diner à Marville.

La voiture sanitaire qui nous transporte met une bonne demi-heure à faire les 12 km séparant Vezin de Marville tellement la route est mauvaise.

Nous sommes très bien reçus par le capitaine Bonis et l’après-midi se passe à faire un bridge (Bonis, Launay, Provost et moi) je gagne 2fs, 75.

Retour à Vezin à 18h ½.

 

Demain matin, je dois téléphoner au lieutenant vétérinaire pour savoir à quelle heure une voiture du bataillon peut aller le chercher à Grand-Failly pour le transporter à Vezin.

Hier et aujourd’hui le courrier n’est pas arrivé à la Cie, c’est compréhensible vu l’état actuel des routes, mais les hommes trouvent le temps long : c’est que pour le soldat les lettres et le pinard sont des choses sacrées.

La Cie a eu repos aujourd’hui.

Lundi 29 janvier

Le temps est toujours très mauvais. Le froid reprend d’une façon inquiétante et les routes sont toujours impraticables.

Conformément à ce qui a été entendu hier entre le capitaine Bonis et moi, j’essaie vers 8h ½ de joindre téléphoniquement le vétérinaire du 132ème R.I.F. à Grand-Failly. Je lui fais passer un message téléphonique en demandant une réponse, mais toute la journée se passe sans la recevoir.

 

La matinée se passe à la recherche d’un nouveau local pour la Cie, les hommes étant par trop serrés dans les cantonnements. Avec le capitaine adjoint au major de cantonnement je réussis à trouver une chambre où à la rigueur une quinzaine d’hommes peut arriver à se caser.

Ce matin, c’est le lieutenant Richard qui conduit la Cie au travail.

 

En rentrant de la popote vers 13h, j’apprends au bureau de la Cie que le cheval proposé pour l’évacuation par le vétérinaire est parti.

On est venu le chercher vers 11h ½ avec une sorte de vachère.

Ce malheureux cheval est bien mal en point et il est fort probable que nous ne le reverrons pas. Par une note j’en informe aussitôt le capitaine Bonis en lui demandant de faire transporter ici le vétérinaire du 104ème qui se trouve à Marville pour qu’il visite les 2 autres chevaux malades.

 

Cet après-midi, je vais avec la Cie au travail et à rester presque immobile pendant près de 3 heures sur le chantier, j’ai diablement froid et ai hâte d’être rentré.

Le vaguemestre qui n’était pas venu ni samedi ni dimanche vient tout de même aujourd’hui. Reçu une lettre de ma Berthe.

Mardi 30 janvier

Le mauvais temps persiste.

Cette nuit il est encore tombé environ 5 cm de neige et malgré cela le froid est toujours très vif : environ – 15°.

 

Ce matin, tous les sous-officiers de la Cie (Yon, Moria, Gastel et Hanon) sont malades, il y a en tout 25 malades.

Par ce froid ce n’est pas étonnant.

Aussi ce matin, je suis seul à rassembler et à emmener la Cie au travail.

Départ à 7h et arrivée au chantier à 7h 50. Seuls 2 sergents et un caporal du génie y viennent et encore arrivent-ils à 9h.

Le blockhaus auquel la Cie travaille est le G. 27.

 

De 7h 50 à 11h ¼, il me faut rester là à surveiller la Cie et j’ai les pieds glacés.

Par ce temps de neige, les malheureux oiseaux sont bien à plaindre. À l’aller nous avons vu une compagnie de perdreaux courant sur la neige ne s’envolant que lorsque nous n’étions plus qu’à quelques mètres d’eux.

Nous en avons également vu une quinzaine non loin du chantier et deux autres compagnies à notre retour. Les ramiers quittent les bois pour venir dans les jardins auprès des maisons manger les choux.

 

Cet après-midi, c’est le lieutenant Richard qui emmène la Cie au travail. Le temps ne change toujours pas.

Je profite de mon après-midi pour écrire.

 

Ce soir lorsque nous sortons de la popote, il tombe de la neige à moitié fondue : est-ce le dégel qui commence ?

Si cela pouvait être vrai nous serions tout de même un peu moins malheureux, malgré qu’avec le dégel nous serons en plein dans la boue.

Mercredi 31 janvier

Une nouvelle fois le dégel espéré hier soir n’a pas continué et l’eau tombée s’est changée en verglas.

 

Ce matin, c’est le lieutenant Richard qui emmène la Cie au travail, aussi j’en profite pour rester au lit jusqu’à 7h ¼.

 

Hier, dans la matinée, alors que nous étions au travail, un avion allemand est venu survoler la région et la D.C.A. est entrée en action.

Une demi-heure après nous avons vu 3 appareils anglais patrouiller aux environs.

J’apprends ce matin qu’une autre Cie de pionniers doit venir cantonner à Vezin. Est-ce une Cie du 446ème ?

Je l’ignore, mais ce qu’il y a de certain c’est qu’il va être très difficile de la loger.

Le lieutenant Le Cann qui commandait la 3ème Cie en mon absence et qui avait eu une forte grippe est parti pour huit jours en convalescence.

 

Cet après-midi, c’est à mon tour d’emmener la Cie au travail.

Depuis 11h il tombe une pluie glacée qui sur la route se transforme en verglas. La circulation même à pied devient de plus en plus difficile.

En allant nous dépassons 2 camions qui après avoir dérapé sont allés dans le fossé où ils sont restés.

Sur le chantier, j’ai la visite du capitaine Gascuel.

Tout l’après-midi, une petite pluie glacée ne cesse de tomber si bien qu’en quittant le travail les capotes sont presque traversées. Il est tout de même rare d’avoir une telle période de mauvais temps et ce soir il n’y a pas encore apparence que cela change.

Voilà au point de vue temps un bien mauvais mois de terminé.

Janvier 1940 ne sera pas à regretter.

Notes de janvier

Le 18 janvier : acheté à Paris culotte et bérets

Ø  350fs, 00

En caisse au 19 janvier à mon retour de permission

Ø  2500fs, 00      

Reçu paie janvier

Ø  4369fs, 00

•Total

Ø  6869fs, 00

•Dépenses

Ø  186fs, 00

Reste au 1er février

Ø  6683fs, 00

Février 1940 - L'accident du train de coke – Le suicide du capitaine DELACROIX – construction de bunkers

Jeudi 1er février

Cette nuit encore il a gelé, si bien que l’état de la route est encore plus mauvais et ce matin il faut marcher bien prudemment sur les bas-côtés des routes pour ne pas tomber à tout moment, malgré ces précautions les chutes sont nombreuses.

Les branches des arbres, les fils télégraphiques, les barbelés, etc, sont entourés d’une gaine de glace d’au moins 5 mm d’épaisseur.

La neige est elle aussi recouverte d’une couche de glace qui brille comme un miroir. Sur cette glace courent corbeaux et perdrix affamés.

 

Vers 11h, il commence légèrement à dégeler : les branches des arbres, les fils télégraphiques se dépouillent peu à peu de leur gaine glacée qui tombe sur la neige gelée avec un bruit cristallin.

Le nombre des malades à la Cie reste sensiblement le même (une douzaine en moyenne chaque jour.)

 

Cet après-midi, je reste au cantonnement où je mets mon carnet à jour. C’est le lieutenant Richard qui emmène la Cie au travail.

Je passe au moins 1 heure au central téléphonique pour essayer d’avoir la communication avec le capitaine Bonis à Marville, mais en vain. Le vétérinaire n’est pas encore venu aujourd’hui, il est vrai que les routes sont dans un état impraticable.

 

À 5h ½, nous avons la visite des lieutenants Staub et Lelièvre. Le lieutenant Lelièvre : lieutenant de détail du 2ème bataillon venait d’Épiez où se trouve la 5ème Cie.

Il faisait le tour des cantonnements du bataillon pour payer le prêt et la solde des officiers.

Vendredi 2 février

Cette nuit il a encore légèrement gelé mais dès 8h le dégel continue. Un brouillard excessivement épais enveloppe la nature.

 

Ce matin, c’est le lieutenant Richard qui emmène la Cie au travail (57 hommes.)

Toute la matinée j’attends le vétérinaire pour nos chevaux atteints de gourmes.

 

À 10h, j’ai la visite du capitaine Gascuel du génie qui vient emprunter 22 hommes à la Cie pour qu’ils puissent couler un block à Petit-Failly, l’effectif fourni par la 1ère Cie étant insuffisant.

Ces hommes vont manger sur place ce midi et ce soir ils ne vont rentrer que vers 22h.

Leurs repas du midi et du soir vont être préparés, mis dans des norvégiennes et le génie va se charger de leur transport.

 

Cet après-midi, c’est à mon tour de conduire la Cie au travail.

Sur le chantier nous avons la visite d’un colonel, d’un lieutenant-colonel et d’un capitaine d’état major. Le colonel se montre très aimable, il est surpris de voir un capitaine de pionniers sur le chantier avec ses hommes.

C’est la première fois dit-il qu’il voit chose semblable. Il se fait donner quelques indications par le sergent du génie sur la nature du blockhaus.

Cet après-midi, nous avons tout de même vu le vaguemestre et le vétérinaire du 104ème R.I.F. À peu près tous les chevaux ont la gourme. Ce vétérinaire fait son travail très consciencieusement, ce qui n’était pas le cas pour celui du 132ème.

Samedi 3 février – L'accident du train de coke

Voilà quinze jours passés que je suis rentré de permission. 15 jours qui m’ont paru bien longs ! Je suis toujours grippé et ai certainement de la fièvre.

Je tousse presque continuellement.

Ah ! Vivement les beaux jours et le soleil !

 

Hier en matinée, un pénible accident est survenu à un homme du 132ème R.I.F. dans les circonstances suivantes : des hommes occupant un block, près de la voie ferrée de Montmédy à Longuyon, avaient l’habitude au passage des trains de coke (*) se rendant dans le bassin de Briey de faire descendre à l’aide de gaules des morceaux de coke pour se chauffer.

Hier au passage d’un de ces trains, un homme voulut faire ce qu’il faisait les autres jours, mais commettant l’imprudence de se mettre à contre-voie et n’entendant pas venir un autre train croisant le 1er, il fut renversé et eut les 2 cuisses broyées.

À l’heure actuelle il doit être mort, le major lui ayant donné à vivre tout au plus jusqu’à 17h.

Déjà avant-hier un homme de la même Cie (la 6ème) avait eu une fracture ouverte du fémur : un rail lui étant tombé au-dessus du genou alors qu’avec des camarades il déchargeait des rails d’un wagon.

 

Cette nuit, il a gelé légèrement, le temps est plus clair et dès 8h le soleil brille et le dégel reprend.

Toute la journée, le temps est beaucoup plus doux, le soleil a déjà de la force et il fait meilleur dehors que dans les appartements, mais il faut bien une dizaine de jours comme aujourd’hui pour débarrasser la terre de toute la neige et la glace qui la recouvrent.

Je passe l’après-midi au cantonnement.

 

(*) : Le coke est obtenu par cuisson à l'abri de l'oxygène du charbon. Cette opération est effectuée dans des cokeries. Pendant la cuisson le charbon se transforme en coke et dégage de grandes quantités de gaz.

Ce gaz, après être épuré, était utilisé à l'époque pour le chauffage urbain de grandes villes. Ces cokeries s'appelaient alors communément des "usines à gaz". Le coke était utilisé en sidérurgie.

De nos jours, il existe toujours quelques cokeries en France, mais le gaz est un sous-produit ; le coke étant la matière "noble" et est utilisé principalement dans les fonderies et hauts fourneaux en sidérurgie pour produire de l'acier.

Dimanche 4 février

Le dégel continue et la température est plus clémente mais il faudra bien 5 à 6 jours de temps doux pour que neige et glace disparaissent.

Aujourd'hui, repos pour la compagnie.

 

Ce midi, j'ai la visite du capitaine Pascuel.

Dorénavant la compagnie travaillera en 2 équipes. 2 sections le matin de 7h ½ à 12h ½, les 2 autres sections relevant les premières et travaillant de 12h ½ à 17h ½ ce qui fera pour tous 5 heures de travail, mais je suis sûr que les hommes préfèreront cette nouvelle répartition du travail car aussi ils n’auront à faire qu'une fois par jour l'aller et le retour à Villers-le-Rond.

 

Cet après-midi, je vais avec la voiture au bataillon à travailler ou jouer avec le lieutenant Richard nous passons deux heures à jouer au bridge avec le capitaine Boris, Prévost et Launay.

Prévost part cette nuit en permission exceptionnelle, attendant un second héritier.

Nous restons ce soir à manger à Marville ou je vais dire bonjour à Mr et Mme Doufils.

Rentré à Vezin à 20h45 une brume épaisse gêne considérablement la visibilité et à la faible clarté des phares de la sanitaire ; il est très difficile de conduire.

Pour ma part j'en serais bien incapable car s'est à peine si on peut y voir à 4 m devant la voiture.

Une fois rentré à Marville le conducteur va encore être obligé d'aller à Verdun porter Prévost au train de 1h40.

Lundi 5 février

Le temps est toujours brumeux et le dégel continue.

Le long de la côte route de Villers-le-Rond les traces des roues des autos sont transformées en ruisseaux qui dévalent le long de la pente.

Rassemblement des 1er et 2éme sections à 6h45 le lieutenant Richard part au travail avec elles (40 hommes).

La route le long de laquelle sont situés les cantonnements de la compagnie est transformée en véritable torrent, l'eau dévale à toute vitesse du plateau et plus de 10cm d'eau recouvre la route. Il ne fait pas bon s'y aventurer.

Les civils habitants Vezin n'ont pas souvenir d'une pareille avalanche d'eau, due cette fois-ci à un trop rapide dégel.

 

Cet après-midi, c'est à mon tour d'emmener les 3éme et 4éme sections.

Le chantier est transformé en bourbier où l'on enfonce jusqu’aux chevilles.

 

En rentrant à 17h45, les hommes de 2 équipes trouvent leur cantonnement inondé par une hauteur de plus de 10cm d'eau ; il me faut chercher de la place dans les autres cantonnements pour que ces hommes puissent coucher.

Je reçois du bataillon un dossier concernant le nommé Rubé de Montaigu-les-Bois, dossier constitué à la suite d'une plainte de femmes de mobilisés de Villedieu-les-Poêles.

Ce type a obtenu une permission exceptionnelle de 3 jours après réception d'un télégramme invoquant un fait (enfant probablement malade) qu'une enquête a révélé faux.

En ce moment ce Rubé est à l'hôpital mais il sera sévèrement puni.

Mardi 6 février

Comme je dois emmener la compagnie au travail ce matin, je dois me lever à 6h pour partir à 6h45. La route ce matin est un peu moins inondée qu'hier soir, mais un 2eme cantonnement de la compagnie est inondé et les hommes qui y étaient couchés ont dû déménager en pleine nuit.

Au chantier on patauge maintenant dans une couche de 20cm de boue.

Conséquences, les malades vont être de plus en plus nombreux.

Ce matin déjà il y a 13 malades et il ait fort probable que demain, il y en aura davantage.

 

La température reste douce et le dégel s'accentue ; en rentrant du travail à 13h, la route est de nouveau pleine d'eau. Les bas-côtés forment deux torrents qui arrachent les illisible et le goudron de la chaussée.

 

Aujourd'hui, de nombreux permissionnaires rentrent, il en sera encore de même demain.

Sur le chantier, nous avons eu la visite d'un commandant et d'un capitaine d'artillerie venus pour se rendre compte des objectifs pouvant être battus par les armes qui seront installées dans le blockhaus. Le plus risible, si ce n'était pas triste c'est que ni l'artillerie ni le génie ne savent au juste dans quelle direction ces armes doivent tirer, les plans de l'ouvrage ont déjà été modifiés 3 fois et cela sans qu'aucune précision soit donné.

Il est tout de même triste de commencer un travail sans savoir d'une façon précise à quoi il doit aboutir. Malheureusement de telles choses sont fréquentes.

Mercredi 7 février

À partir d'aujourd'hui les heures de travail sont encore changées, la 1ere équipe (2 sections) devra commencer à 6h ½ et par suite, partir à 5h30 environ, c'est à dire à la pointe du jour.

Elle sera relevée par la 2eme équipe (les 2 autres sections) à 12h.

Cette 2eme équipe devant travailler jusqu'à 17h ½ ce qui fera 11 h de travail consécutif sur le chantier.

 

La fouille pour le block devant être terminée au plus tard samedi matin.

Décidément le travail presse mais n'aurait-on pas dû commencer les travaux beaucoup plus vite. En septembre, alors que nous étions à Bouy à ne rien faire, il aurait été préférable de nous occuper à ces travaux qui auraient été plus facile à exécuter qu'en ce moment ci.

Mais en France, c'est l'habitude de se presser au dernier moment, alors que souvent c'est trop tard.

 

Ce matin, l'écurie ou sont cantonné les chevaux de la compagnie est pleine d'eau et les pauvres bêtes ne sont pas heureuses. J'espère que maintenant le plus fort afflux d'eau est terminé et que peu à peu le sol va s'assécher bien que toute la neige ne soit pas encore fondue.

 

C'est le lieutenant Richard qui, ce matin, va au travail et cet après-midi c'est mon tour.

La fouille du blockhaus commence tout de même à avancer et elle sera certainement terminée au début de la semaine prochaine. Il faudra ensuite établir le coffrage et enfin couler le radier et le béton et pour terminer remblayer tout autour avec la terre retirée de la fouille.

Cette nuit, on coule un block tout près de Vezin en haut de la crête allant à Villers-le-Rond.

 

Description : Description : 1.jpg

 

Le blockhaus existe toujours

Jeudi 8 février

Ce matin, c'est à mon tour d'accompagner la compagnie au travail, aussi levé à 5h et départ à 5h50, car il faut être rendu sur le chantier à 6h ½.

Cette matinée il fait un temps exécrable.

À partir de 7h la pluie ne cesse de tomber et malgré cela les hommes doivent continuer à travailler. Aussi, lorsqu'ils quittent le travail à 12h, sont-ils complètement trempés et couverts de boue. Il en est d'ailleurs de même pour moi ma capote est traversée et j'ai les pieds mouillés dans mes souliers qui prennent l'eau.

 

L'après-midi, est nettement meilleur que la matinée, le temps reste brumeux mais il ne pleut pas, ce qui est le principal.

En rentrant du bureau de la compagnie je trouve un pli du bataillon dans lequel se trouve deux dossiers, l'un concernant le nommé Gruche Émile qui est rentré d'une permission exceptionnelle avec 1 jour de retard et je vais être dans l'obligation de lui infliger un jour de prison.

 

L'autre beaucoup plus grave concerne le nommé Delarue Henri, type peu intéressant qu'empoisonne la compagnie.

Ce phénomène avec un titre de permission irrégulier, signé de lui, ce qui constitue un faux, s'est absenté de la compagnie les 30 et 31 décembre ainsi que le 1er janvier.

En voilà un qui s'est mis dans un mauvais cas et lui en coutera cher.

Au retour, il a eu l'imbécilité de remettre son titre de permission à un contrôleur des chemins de fer, parce qu'il avait pris un train auquel il n'avait pas droit. Le plus ennuyeux c'est qu'il n'avait pas été tamponné.

Vendredi 9 février

Ce matin, je passe 2 heures à faire un rapport sur le cas Delarue, rapport destiné au bataillon ainsi que la punition que je lui ai infligé (8 jours de prison).

Voilà une histoire embêtante pour la compagnie car ça peut aller loin.

Vezin devait avoir la visite du Général de division (la 41eme DI) le célèbre Bridou, qui, par exemple, sous le prétexte qu'un soldat ne salue pas lors de son passage en auto, inflige 15 jours d'arrêts au capitaine de ce soldat, et qui est le héros de maints faits semblables.

Le temps ce matin reste brumeux mais heureusement il ne pleut pas.

 

Cet après-midi, je vais au chantier avec la 1ere et la 2eme section.

Le lieutenant, qui dirige les travaux, est lieutenant du génie, Urbain de la 41/1. C'est un type très aimable et qui me paraît connaître bien son affaire. Mais d'après les bruits qui courent il est probable que cette compagnie du génie ne va pas rester longtemps par ici.

Sur le chantier, il y a une boue épaisse d'au moins 20 cm d'épaisseur aussi les hommes sont-ils couverts de boue. Ce n'est certes pas un travail intéressant à faire, mais la construction de tous ces blocks peut avoir une utilité d'ici peu de temps.

 

Nous quittons le chantier à 17h45 car il a fallu déplacer la bétonnière et faire que les roues posent sur des planches et ce n'est pas un petit travail.

 

Ce soir, le temps se refroidit considérablement et il est fort probable que cette nuit la gelée va recommencée.

Samedi 10 février – Le suicide du capitaine DELACROIX

Cette nuit, la gelée a repris et ce matin la boue est sèche. Il continue d'ailleurs à geler toute la matinée et ce n'est qu'au soleil que la terre dégèle un peu.

 

Ce matin, c'est à mon tour de partir à 5h45 pour aller au chantier. Il ne fait pas chaud sur le plateau de Villers-le-Rond et j'ai diablement froid aux pieds et aux mains.

Une section de 132ème RIT cantonnée à Vezin vient au travail avec nous (lieutenant Camonez, prêtre dans le civil)

 

Alors que nous allons (Cormorain, Urbain et moi) prendre un café chaud dans le village de Villers-le-Rond, nous apprenons le suicide d'un capitaine du 132ème cantonné à Villers-le-Rond, le capitaine d'active DelAcroix âgé de 49 ans.

La cause de ce suicide est vraisemblablement d'après les bruits qui circulent, une altercation survenue entre son commandant (Rigault) et lui.

Ce Rigault est paraît-il une brute, un malotru qui engueule ses officiers particulièrement ses capitaines et ce devant tout le monde (troupe et civil).

Il ne pouvait pas sentir le pauvre DelAcroix et chaque fois qu'il le rencontrait c'était pour l’engueuler. Delacroix avait déjà plusieurs fois demandé son changement de régiment mais en vain. Il y a quinze jours, il avait demandé audience à son colonel à ce sujet.

Ce matin à 7h ½., en pleine rue, son commandant l'a traité de con, de propre à rien, incapable de commander une compagnie. Delacroix lui répondit alors :

« Puisque je suis un bon à rien, je vais me faire sauter »

 

Rentré dans sa chambre vers 8h10, il a envoyé son ordonnance faire une course et s'est tiré une balle au cœur. Nous apprenons son suicide à 8h ½.

Je pense que le commandant Rigault ne va pas avoir la conscience tranquille et qu'après l'enquête qui va avoir lieu, il va être peut-être cassé, tout au moins déplacé.

Ce suicide va faire du bruit au 132 RIT.

 

Cet après-midi, j'ai à Vezin la visite du capitaine Bonis accompagné du lieutenant Caner. Avec eux et le major Josserand nous allons à Épiez et delà nous allons à pied jusqu'à la frontière belge.

À cette frontière se trouve un café belge qui possède sur le sol français une baraque en planches où des soldats français peuvent venir boire et ou se fait l'achat de panier de tabac belge et de cartes à jouer.

Josserand va jusque dans le café se trouvant en Belgique et nous achetons un peu de tabac et des cartes à jouer.

Au retour à Épiez, nous voyons le commandant Lecacheur qui était à la 5éme avec de Saint victor 

Dimanche 11 février

Repos pour la compagnie.

À partir de demain, nous (le lieutenant Richard et moi) nous changeons de popote car les 6 et 7éme compagnie du 132éme R.I.T avec les officiers desquelles nous mangeons, partent demain matin pour Mangiennes, aussi mangerons nous maintenant avec les officiers du 3éme bataillon du 132éme.

 

Cet après-midi, je vais avec le lieutenant Richard à Marville où nous sommes invités par le capitaine Bonis.

 

L'après-midi se passe à jouer au bridge où je perds 6f.

Retour à Vezin à 18h ½ et nous réglons nos comptes de popote avec le 132ème RIT.

Lundi 12 février

Le froid a repris une offensive brusque et ce matin, il fait au moins -14°. Le vent souffle de l'est et glace le visage.

 

Ce matin, c'est le lieutenant Richard qui emmènera la compagnie au travail et je vais le relever à midi. Il fait tellement froid que les hommes n'arrivent pas à se réchauffer et le rendement comme travail est bien faible mais il faut être présent sur le chantier jusqu'à 17h ½, les heures ne passant pas vite.

C'est certainement un des jours où j'ai le plus souffert du froid, j'ai les pieds et les mains glacés, et sur le plateau de Villers-le-Rond le vent vient de loin.

Ce matin à 7h, les 6éme et 7éme compagnies du 132éme RIT ont quitté Vezin pour aller cantonner à Mangiennes (distance 25km)

 

Comme nous étions les hôtes à la popote des officiers de ces compagnies, il nous a fallu, au lieutenant Richard et moi chercher un autre lieu d'accueil et maintenant nous sommes les hôtes de la popote des officiers du 3éme bataillon du 132éme.

Dans cette nouvelle popote, l'ambiance est très différente de celle qui existait dans la 1ére.

À cette nouvelle popote VERON (*) c'est la gaité qui règne en maitresse et parmi les officiers qui y mangent se trouvent quelques gais lurons comme le toubib, le lieutenant Didier etc...

Aussi il n'est pas facile de s'y ennuyer.

 

(*) : Ou VERIN ?

 

Description : Description : 1.jpg

Mardi 13 février

C'est à mon tour de me lever de bon matin pour emmener la compagnie au travail, aussi lever à 5h et quand je sors je suis surpris de voir la terre recouverte de 4 à 5 cm de neige, mais cette chute de neige n'a pas adouci le temps et il fait bien froid (au moins -14)

 

Décidément cette année l'hiver se fait durement sentir.

Je rentre à la compagnie à 10h ¼, c'est que le lieutenant Richard part à midi pour faire un stage de D.C.À à Verdun. Je vais encore une fois resté seul à la compagnie avec des cadres très insuffisants et je ne vais avoir que peu de repos.

 

Cet après-midi je retourne à Villers-le-Rond retrouver la compagnie.

Là, par l'adjudant du génie j'apprends que la compagnie du capitaine Pascuel fait mouvement demain matin et par suite, cesse à partir de ce soir à diriger les travaux du 446éme RP tous ces déplacements continuels me paraissent ridicules et lorsqu'on a commencé un travail, on devrait à mon avis le terminer.

Malheureusement ce n'est pas souvent le cas. On manque vraiment d'esprit de suite dans le métier militaire !

 

La température un peu plus clémente cet après-midi qu'hier par suite de l'absence de vent, s'abaisse encore sérieusement vers 4h, et il fait encore bien froid lorsque nous quittons le chantier à 17h.

J'apprends ce soir que Jean Bte Thouroude est venu dimanche à la compagnie pour me voir, mais j'étais absent étant à Marville. J'irais peut être dimanche à Épiez le voir.

Mercredi 14 février

À Vezin.

 

Le temps ne change pas et le froid est toujours aussi vif. Ce matin une nouvelle couche de grésil recouvre la route.

Départ pour le travail à 6 h et arrivé à Villers-le-Rond à 6 h ½.

Maintenant que le commandant Gascuel s’en va, je dois me mettre en relations avec le capitaine de la Cie du Génie cantonné à Villers-le Rond, mais je dois attendre jusqu’à 8 h ½ avant de trouver le lieutenant. Les consignes doivent être passées par le lieutenant Urbain à 10 h et comme il me semble qu’il y a une erreur dans les côtes de la fouille, je fais suspendre le travail en bas.

Les camions de sable, laitier, ciment, gravier commencent à arriver.

 

Je quitte le chantier à 10 h ½ pour redescendre à Vezin. Juste après mon départ, le chantier reçoit la visite d’un général qui tique un peu parce qu’il n’y a plus qu’un caporal-chef pour commander les hommes. Je ne peux tout de même pas être continuellement présent et les cadres de la Cie sont bien insuffisants, il ne reste plus, en ce moment, que 2 sergents : Yvon et Morieu (?).

Je vais, parait-il, recevoir un renfort en sous-officiers d’ici peu.

 

À 1 h 1/2, je retourne au chantier et en reviens avec les hommes à 17 heures. Le froid est vif et j’ai une partie du lobe de l’oreille gauche complètement gelé et il me fait durablement mal. Je n’ai pas souvenance que pareille chose me soit encore arrivé. 

Jeudi 15 février

À Vezin

 

L’hiver reprend l’offensive et cette nuit, il est tombé au moins 6 à 7 cm de neige. Cet hiver ne se fera pas regretter.

Cela va faire juste 4 semaines que nous sommes à Vezin ; c’est pour nous un bail déjà long et il est à présumer que nous n’y resterons plus longtemps. Ce matin, je pars avec la Cie à 6 h ½ pour arriver sur le chantier à 7 h.

Comme à l’habitude, nous sommes seuls, car les hommes du Génie commencent le boulot plus tard (8 h) et le termineront plus tôt (16 h) mais pour les [illisible], on agit envers eux avec plus de désinvolture.

 

Au chantier, on continue le boisage du block pour faire le radier, mais il y a encore pour plusieurs jours avant de pouvoir commencer à couler. Je serais heureux de rester ici jusqu’à ce que ce block soit complètement terminé, cela me donnerait une idée de leur construction.

Revenu à Vezin à 10 h ½, je retourne cet après-midi à Villers-le-Rond.

 

Toute la journée, la neige menace de tomber, des flocons volent de temps à autre et il est bien à craindre que la nuit ne va pas se passer sans qu’il en tombe. Gare encore au dégel.

D’après une lettre d’Alphonse reçue ce matin, je vais recevoir d’ici peu, une paire de bottes en crêpe, elles me rendront bien service si la couche de neige augmente et aussi lorsque surviendra le dégel.

Vendredi 16 février

Charency-Vezin

 

Je reçois une paire de bottes du Havre.

Ce matin le froid est toujours très vif et le sol est recouvert de 5 à 6 cm de neige. Décidemment, février ne veut rien avoir à envier au mois précédent.

La route est très glissante et il est impossible aux voitures hippo de circuler.

La Cie est toujours occupée au block G27 où l’on continue le boisage, mais je ne pense pas qu’on puisse couler le radier avant la fin de la semaine prochaine.

Aujourd’hui, on commence à couler le blockhaus situé en haut de la côte menant à Villers-le-Rond.

 

Ce matin, vers 9 h ½, je vais au chantier et après être revenu manger à Vezin, j’y retourne cet après-midi.

La popote où je mange maintenant a de nombreux convives, une quinzaine le midi et une dizaine le soir. Parmi ces convives, il y a de gais lurons, tels le sous-lieutenant Didier, le major Dupuy, le capitaine Véron (?), le toubib Gounod qui est maintenant à Saint Jean.

 

Le soir, la gaieté règne et les chansons réalistes se font entendre.

A la décision du Chef de Corps d’aujourd’hui, j’apprends qu’un sergent-chef et 2 caporaux promus sergents passent à la 3ème Cie, c’est heureux car à la 3ème, les cadres étaient vraiment par trop squelettiques.

Ces sous-officiers arriveront probablement demain. Le sergent Sicot est lui aussi affecté comme comptable à la 3ème Cie.

Samedi 17 février

Charency-Vezin

 

Hier soir, le temps plus doux laissait présager le dégel, le vent était retourné au nord-ouest.

Or cette nuit, la gelée a repris et vers 7 heures, la neige se remet à tomber, elle tombe d’ailleurs toute la matinée et à midi, il y en a au moins 15 cm. Gare encore au dégel.

 

Ce matin, seule une section va au travail et il en est de même cet après-midi ; d’ailleurs sur le chantier, le Génie ne travaille pas et la Cie doit seulement assurer le déchargement des camions qui apporteront des matériaux pour le bétonnage (gravier et laitier).

 

Hier soir, un caporal de la 2ème Cie promu sergent est arrivé à la Cie ; c’est un nommé Aimé Duval (?).

Hier soir, j’ai reçu un colis du Havre, c’est la paire de bottes en crêpe que j’avais commandée. Elle a couté 235 F. Aujourd’hui, je les essaie et, ma foi, elles sont un peu petites.

Certes, je peux les mettre mais sans kroumirs (?) ; c’est d’ailleurs du 42 et pourtant, j’avais demandé qu’on m’envoie du 43. Cela m’ennuie, car elles ne sont pas près d’être usées.

 

Le dossier de punition de Delarue est revenu aujourd’hui du Colonel, il a seulement 10 jours de prison. Quant à la suppression de la [ill] aux permissions de détente, elle reste subordonnée à la conduite dudit Delarue d’ici là.

Somme toute, il s’en tire à bon compte et peut s’estimer heureux.

 

Ce soir, alors que nous sommes à la popote, le lieutenant Richard rentre de Verdun. Son stage de D.C.A. n’ayant duré que 3 jours au lieu de 4.

Le temps semble un peu moins froid, mais on ne sait ce que la nuit nous réserve.

Dimanche 18 février

À Charency-Vezin

 

Ce matin le temps est froid et le dégel que l’on pouvait espérer hier n’a pas lieu. Le ciel est clair et de bonne heure, le soleil apparaît, mais si la neige fond un peu au soleil, l’air reste froid.

Les routes, avec la neige foulée par les roues des camions, restent très glissantes et la circulation est ralentie.

 

Toute la journée, je reste à Charency-Vezin.

 

Cet après-midi, je vais voir le lieutenant de Saint Victor à Épiez pour voir Jean B[ill.]. Justement, Jean B[ill] est absent, il est parti en permission exceptionnelle par suite de la naissance d’un rejeton.

Avec de Saint Victor, je vais jusqu’à la frontière belge où de nombreux poilus achètent tabac et cartes. J’avais l’intention de faire quelques achats mais devant les soldats, je m’abstiens.

Ce lieutenant de Saint Victor a bien la mentalité d’un type à particule.

Le long de la route, il arrête tous les poilus qui ne saluent pas (et ils sont nombreux) ; cette façon d’opérer, toute militaire, n’est pas de mon genre et à mon avis ce n’est pas avec du vinaigre que l’on prend les mouches !

 

N’ayant pu faire des achats aujourd’hui, j’y retournerai demain ou après-demain car alors, je serai certes beaucoup plus libre.

Le temps se maintient au froid et cet après-midi, il gèle de nouveau.

Quand donc les beaux jours reviendront-ils ?

Pour moi, j’ai hâte de voir le soleil venir réchauffer mes vieux os.

Lundi 19 février

À Charency-Vezin

 

Alors qu’hier soir, le temps était encore froid, ce matin, la température est beaucoup plus douce, c’est le dégel ; nous allons encore voir probablement les rues pleines d’eau ; mais il faut espérer que cette fois c’est la dernière et que nous ne reverrons plus de neige lorsque celle-ci sera entièrement fondue.

 

Ce matin, le sergent-chef Cochepain (?) de la 7ème Cie affecté à la 3ème ; arrive à Vezin. C’est un type qui ne me parait pas d’une santé bien robuste.

Avec Aimé Duval et lui, la Cie va être mieux pourvue en sous-officiers.

 

Ce matin, ma section va au travail à Villers-le-Rond pour le déchargement de camions, il en est de même cet après-midi.

La température très douce accentue le dégel.

 

À midi, déjà 2 torrents d’eau dévalent de chaque côté de la route, mais ce n’est rien.

 

À 13 heures, les routes sont complètement inondées malgré les barrages faits par les habitants et par la troupe, l’eau envahit les caves et les maisons.

Il devient impossible de circuler, des torrents d’eau boueuse dévalent les pentes des collines, s’engouffrent dans les routes qui sont devenues de véritables torrents, c’est encore pis qu’il y a une dizaine de jours, sur la route pourtant en pente rapide qui mène à Villers-le-Rond, le torrent qui dévale a au moins 25 cm de profondeur, tous les habitants sont sur le seuil des portes, l’air atterré.

De mémoire de personnes âgées, ce fait ne c’était pas encore produits et voilà que c’est la 2ème fois en 15 jours.

Certes, cela ne va pas durer longtemps, mais on croirait que les barrages établis sur la Chiers (?) et ses affluents ne cèdent et alors ce serait l’inondation de toute la partie basse de Charency-Vezin.

Déjà une grande partie de la neige est fondue, les collines voisines perdent leur blancheur.

Mardi 20 février

À Charency-Vezin

 

Cette nuit, il a légèrement gelé, mais dès 8 heures, la température est douce, ce qui reste de neige ne va pas tarder à fondre.

 

Ce matin, à 8 h ½, je vais voir les 2 sections au travail à Villers-le-Rond. Maintenant, avec le dégel, c’est la boue et il faut patauger dans une vingtaine de cm de boue.

D’après le lieutenant du Génie qui dirige les travaux, on ne coulera pas le radier avant une quinzaine de jours.

Serons-nous encore là à ce moment ? C’est peu probable.

Le lieutenant Richard est grippé en ce moment et doit garder la chambre.

Un renfort de 3 hommes est arrivé hier soir, ce sont des Normands de la Manche.

 

Cet après-midi, je vais à la frontière belge avec les toubibs Jossercer (?) et Provost et là nous réussissons à voir de près la frontière. À cette frontière se trouvent 2 maisons belges qui vivent surtout, je pense, de la vente de tabac belge et de jeux de cartes.

Cet après-midi, le temps est excessivement doux et il fait bon marcher à pied. La campagne est à peu près complètement débarrassée de la couche de neige qui la recouvrait.

 

Dimanche prochain doit avoir lieu l’inauguration du foyer du soldat à Vezin et alors 3 généraux doivent y venir : Hutsinger, commandant la 2ème armée ; Rochat, commandant le C.A. et Bridou, le célèbre commandant de la 41ème division.

Ce foyer a été créé grâce aux dons d’Argentins, amis de la France, aussi y aurait-il probablement un délégué de l’ambassade d’Argentine.

Mercredi 21 février

À Charency-Vezin

 

Ce matin il a gelé, mais le ciel est clair et le soleil ne tarde pas à briller et toute la journée il fait un temps superbe. C’est la 1ère belle journée dont nous sommes gratifiés depuis le début de l’hiver.

 

Toute la journée, 2 corvées sont chargées de procéder au nettoiement des rues qui sont dans notre secteur, c’est que dimanche prochain, 3 généraux doivent venir à Charency-Vezin pour l’inauguration du foyer du soldat.

 

J’apprends, ce matin, que la frontière belge fait l’objet d’une garde sévère, un peloton de gardes mobiles doit être arrivé dans la région et pour aller chercher du tabac, je crois que c’est bien fini, il est vrai qu’il y avait des abus.

 

Cet après-midi, je vais au chantier à Villers-le-Rond.

Là nous avons la visite du commandant Cazal du 132ème, venu voir où en sont les travaux du block et qui demande qu’un créneau soit ajouté pour battre le terrain au N.E.

Il m’apprend qu’un homme du 446ème vient d’être retiré de l’Othain, noyé. Comme il serait possible que ce soit un homme de la Cie qui aurait quitté le chantier, je fais faire immédiatement l’appel et comme il ne manque personne, je suis un peu rassuré.

 

Dans la soirée, j’apprends que c’est un nommé Maquerel de Canisy, marié et père de 2 enfants vivants appartenant à la 1ère Cie. D’après les bruits qui courent, ce nommé Maquerel aurait été impliqué dans une affaire de vol de vin (une barrique de 120 l) appartenant à une autre unité aurait mystérieusement disparu alors que la 1ère Cie se trouvait à Halle-sous-les-Cotes et après enquête, la prévôté aurait découvert que les coupables appartenaient à la 1ère Cie, il y aurait une quarantaine de types compromis dans l’histoire et Maquerel en était un).

Il paraitrait qu’on les aurait menacés du conseil de guerre (tort qu’on a eu d’ailleurs) et c’est alors qu’épouvanté par les conséquences de son acte que Maquerel se serait suicidé.

Il a quitté son cantonnement ce matin à 5 h ½ et est allé se jeter à l’eau. Il paraitrait qu’un autre homme également impliqué dans l’affaire, un nommé Pépin, aurait voulu se tuer avec son fusil.

Voilà encore des ennuis pour le capitaine Launay mais à mon avis, le capitaine Bouis (?) a eu tort de les menacer du conseil de guerre qui pour beaucoup est un épouvantail.

Jeudi 22 février

À Charency-Vezin

 

Le temps, ce matin, est toujours superbe, la nuit, il a légèrement gelé mais le soleil se montre vite et toute la journée, il fait un temps de printemps.

La Cie travaille toujours à Villers-le-Rond au coffrage et au ferraillage du block G.27.

 

Après diner, un fort feu de cheminée se déclare dans la maison où nous avons notre popote. Le piquet d’incendie est alerté.

Après une demi-heure tout semble fini, mais cet après-midi, il reprend de plus belle et il faut plusieurs heures pour l’éteindre. Pourvu que le feu ne coure pas dans quelques poutres.

 

Cet après-midi, j’ai la visite du capitaine Bonis et du lieutenant Le Cam ; de nouveau, nous sommes invités pour dimanche prochain, Richard et moi à Marville. J’avais pourtant promis à Jean Baptiste Thouroud (?) d’être là dimanche après-midi, enfin je lui ferai demander de venir dimanche matin.

Je profite de l’auto du capitaine Bonis pour aller à Villers-le-Rond.

Il serait, parait-il possible de couler le radier lundi prochain.

Vendredi 23 février

À Charency-Vezin

 

Le temps continu d’être très doux, c’est vraiment un temps de printemps.

 

Ce matin, le vétérinaire du 104ème R.I. vient à Vezin faire aux chevaux du 104ème et à ceux de la Cie, une piqûre préventive contre la morve, cette piqûre est faite à la paupière inférieure, il doit revenir après demain pour constater les résultats.

Les chevaux de la Cie sont toujours en piteux état, le mien a reçu un coup de pied à la face interne de l’avant-bras gauche et il boite bas. Sur les 7, 3 seulement peuvent être attelés.

 

Cet après-midi, en allant à Villers-le-Rond, je trouve le commandant Lecacheur avec le capitaine Bonis et le lieutenant Le Cam en haut de la côte. Le commandant Lecacheur est venu pour interroger un homme de la 2ème Cie, détaché aux bétonneurs, au sujet d’une enquête.

Le capitaine Bonis m’apprend que vraisemblablement, les permissions de détente (2ème tour) commenceraient lundi prochain.

Le lieutenant Richard va un peu mieux, mais n’est pas encore complètement guéri. Cet homme taillé en hercule n’a pas une santé aussi robuste qu’on pourrait le croire.

 

Ce soir, à la popote, j’apprends que 3 hommes du 104ème se sont fait pincer à la frontière belge par des douaniers français, ils avaient à eux trois 1,2 kg de tabac belge.

Maintenant, il faut se méfier et pour ma part, je n’y retournerai plus.

Le chef comptable de la Cie, Jeanne, part ce soir en permission exceptionnelle, sa femme ayant de la congestion. Je passe la soirée à remplir la déclaration pour l’impôt sur le revenu pour la renvoyer demain matin à Picauville.

Samedi 24 février

À Charency-Vezin

 

Le ciel, ce matin, est beaucoup plus couvert et la pluie menace de tomber.

 

De 12 h ½ à 16 h ½, doit avoir lieu un exercice de défense passive. Des avions français Curtis, doivent survoler la région et voler en rase-motte. Les hommes, sitôt l’alerte donnée, doivent rentrer dans les cantonnements ; aucune circulation ne doit avoir lieu dans les rues.

À Villers-le-Rond où je suis allé cet après-midi, j’ai pu apercevoir un avion Curtis volant assez bas, mais il n’a survolé ni Charency-Vezin, ni Villers-le-Rond.

Le block auquel travaille la Cie doit être prêt pour couler le radier, jeudi ou vendredi, mais on ne coulera pas avant le lundi suivant, le génie ayant 2 autres blocks à couler.

 

Ce soir, le ciel est clair, étoilé et il est fort probable qu’il va geler cette nuit. En ce moment, nous sommes vraiment gâtés comme temps, pourvu que cela dure !!

Cette nuit nous passons à l’heure d’été, c’est tout de même un peu tôt à mon avis, car pour partir au travail, il fera nuit pour rassembler les hommes.

Demain nous devons aller, Richard et moi, à Marville, passer l’après-midi.

L’inauguration du foyer du soldat est remise à une date ultérieure, car tout n’est pas prêt. On peint, on efface, on repeint, on gaspille autant que faire se peut les dons de nos amis argentins, c’est vraiment honteux.

Dimanche 25 février

À Charency-Vezin

 

Ce matin il est gelé, le sol est durci et la terre est enveloppée d’un brouillard épais, mais je pense que le soleil va arriver à percer cette brume et qu’il va faire beau.

 

À 9 h ½, j’ai la visite de Jean Baptiste Thouroud de la 5ème Cie.

 

À 11 h, un camion du bataillon vient me chercher avec le lieutenant Richard pour aller manger à Marville et il emporte en même temps, une partie du matériel d’équipement se trouvant en trop à la Cie (sacs avec courroies, porte-épées, baïonnettes, casques, etc …) ce sera toujours autant de moins que nous aurons à transporter.

À Marville, nous apprenons que le 1er bataillon du 446ème RP doit faire mouvement dans quelques jours pour se regrouper du côté de Sainte-Menehould, ce serait pour mercredi ou jeudi, dans ces conditions, nous ne verrons pas achever le block que nous avons commencé, je le regrette car j’aurais été heureux de le voir couler.

 

L’après-midi se passe à faire des parties de bridge et pour une fois la chance me sourit car je gagne successivement 4 parties.

Au retour, j’apprends que 2 sergents de la Cie Yvon et Moira, avec le caporal Maillon se sont fait pincer dans la zone neutre voisine de la Belgique, j’avais pourtant, ce matin, recommandé aux hommes de ne pas y aller.

 

La vaccination anti-typhoïque doit avoir lieu très prochainement. À la 1ère Cie, ¼ de l’effectif a été vacciné hier.

Lundi 26 février

À Charency-Vezin

 

Temps toujours très doux, mais le soleil boude et ne se montre pas. Enfin, il ne faut pas nous plaindre, c’est du beau temps.

 

Dans la matinée, un 2ème cheval de la Cie [ill] est évacué pour ulcères aux boulets et canon, patte postérieure droite. Cette évacuation est cette fois une perte légère pour la Cie car ce cheval est une véritable rosse, vicieuse, méchante et ne voulant pas tirer.

Le second tour de permission doit commencer demain. Tous les jours 1/60ème de la Cie doit partir jusqu’à ce que ¼ de l’effectif soit dehors.

 

Cet après-midi, je vais à Villers-le-Rond où le travail s’achève. Le lieutenant du génie Meyer m’apprend que le radier serait prêt à être coulé jeudi prochain, mais à ce jour, peut-être ne serons-nous plus là. Je le regrette d’ailleurs, car j’aurais aimé voir couler un block.

 

Ce soir, alors que nous sommes à la popote, le capitaine Véroz et moi, sommes avertis qu’un espion a été aperçu entre Marville et Delut, son signalement : vareuse bleu marine, béret basque, bottes et galons de sergent, est assez vague.

La région par ici est remplie d’espions qui à tout moment changent de tenue ; c’est qu’ils ont des complices parmi la population civile qui devrait être évacuée depuis longtemps.

À Vezin, en particulier, se trouvent de nombreux belges qui m’ont l’air de suspects et il leur est facile d’avoir des renseignements sur la région (plans de feux, blocks, unités, etc …)

Mardi 27 février

À Charency-Vezin

 

Le temps continu d’être doux. Voilà février qui veut maintenant se faire regretter.

Nous n’avons toujours pas de nouvelles concernant notre déplacement et ma foi le tuyau reçu, peut, comme beaucoup d’autres, s’avérer faux.

Le vétérinaire du 104ème RI revient aujourd’hui et voit les 3 chevaux de la Cie encore malades. Ce vétérinaire, un nommé Julienne, est très aimable et fait très consciencieusement son métier, ce qui n’était pas le cas pour celui du 132ème RIF.

 

Ce midi, alors que nous sommes à la popote, nous apprenons que le général division Bridou vient à 14 heures à Charency-Vezin pour voir les cantonnements ainsi que les travaux à la gare qui, en ce moment, est encombré de wagons de matériau de bétonnage.

Bridou est célèbre et les jours d’arrêts qu’il distribue aux officiers ne se comptent plus. Si par malheur, un homme ne salue pas sa voiture, il fait stopper, interroge l’homme, lui demande le nom de son capitaine qui, le lendemain apprend qu’il a 15 ou 30 jours d’arrêts.

Ce n’est pas seulement Bridou mais Hutsinger, commandant la 2ème Armée, qui vient à Vezin. Tout se passe d’ailleurs très bien, sans distribution de jours d’arrêts.

 

C’est ce soir que les premiers permissionnaires du 2ème tour à la Cie (ils sont 7).

Ce midi, j’ai reçu le colis envoyé par ma Berthe ; à côté d’excellentes choses (beurre, chocolat, bonbons) il y en a d’autres dont je me serais volontiers passé (marrons, compote de fruits, etc …)

Mercredi 28 février

À Charency-Vezin

 

Temps toujours couvert mais doux. Les oiseaux commencent à chanter et d’ici peu de temps, il en est certain qui vont commencer leurs nids.

Toujours rien de nouveau concernant notre départ.

Aussi la vaccination anti typhoïque doit commencer demain pour la Cie et cet après-midi, 35 hommes vont à Épiez passer la visite préalable, ils seront vaccinés demain matin et exempts de service les 2 jours suivants.

 

Cet après-midi, je vais avec le lieutenant Richard voir le chantier de travail à Villers-le-Rond où le lieutenant du génie Meyer m’apprend que demain, on commence à couler le radier.

 

Rentrés vers 5 h, nous avons la visite du lieutenant Poirier venu pour payer la solde. Il nous apprend que le capitaine Launay doit partir en permission demain.

Le lieutenant de Saint Victor doit lui aussi partir demain soir et peut-être jusqu’à son départ (le 7 mars) le lieutenant Richard va prendre le commandement de la 7ème Cie, ceci d’après Poirier. Ce dernier doit lui partir en permission le 2 mars.

Pour moi, il faudra que j’attende le 21 avril (encore plus d’un mois et demi).

Sous ce rapport, je ne suis guère favorisé, mais je ne suis pas comme beaucoup qui demandent sans motif valable, une permission exceptionnelle.

Jeudi 29 février

À Charency-Vezin

 

Ce matin, le temps est brumeux et très doux et il est probable que, de nouveau, la journée va être belle.

Toujours point de nouveau en ce qui concerne notre départ et ma foi, je voudrais bien rester là encore quelque temps.

Aujourd’hui, au block G27, on commence à couler le radier. Une équipe de 42 hommes de la Cie doit se trouver à 12 h à Villers-le-Rond pour commencer.

 

Je vais au chantier vers 16 h. Le chantier est en pleine activité et le travail avance assez vite, malheureusement une bétonnière est en panne.

 

À 18 h, la Cie va être relevée par une équipe du 621ème qui sera relevée à 24 h par une autre équipe du 621ème qui à 6 h sera relevée par une équipe du 444ème et demain à 12 h, la Cie reprend le travail qui, si tout marche bien, doit être terminé après demain matin.

Après le coulage du radier, il faudra faire le coffrage du block, ce qui doit demander près d’un mois et ensuite couler le block, si bien que, certainement ce block ne sera pas achevé avant la mi-avril.

 

J’apprends quelques tuyaux sur le prix de revient de ces blocks. Le m3 de bétonnage doit revenir à environ 1 000 F.  Pour le block G27, qui n’est qu’un block moyen, il faut compter 360 m3 de béton, ce qui fait un prix de revient de plus de 350 000 F, que d’argent englouti ainsi.

Ah ! Je crois qu’après la guerre, notre malheureux franc ne vaudra plus cher. Notre monnaie court certainement à la banqueroute et ce serait encore les petits épargnants qui en feront les frais. 

 

En caisse au 1er février : 6 683,00 F

Solde février : 4 370,60 F

Total : 11 053,60 F

Dépenses février : 1 472,75 F

En caisse au 1er mars : 9 580,85 F

Mars 1940 : Charency-Vezin – l'alcoolisme des soldats et officiers – construction de bunkers

Vendredi 1er mars

À Charency-Vezin

 

Ce matin, le sergent-chef Jeanne rentre de permission. Le temps ce matin est plus froid. Le vent est reparti du côté de S.E., mais malgré tout, il fait beau.

Les journaux, ce matin, annoncent la fermeture de la frontière belgo-allemande ; d’ici qu’il y ait de nouveau alerte, il n’y a peut-être pas loin.

Le temps, toute la journée, se maintient au beau sec et lorsque cet après-midi, je vais au block G27, il n’y a presque plus de boue ; la route en particulier est aussi sèche qu’en été.

 

Au chantier, le travail marche à plein rendement, les 2 bétonnières sont en pleine action. Le lieutenant Meyer est très satisfait du travail des hommes et le radier va être terminé beaucoup plus vite qu’il ne le pensait, car alors qu’hier, il escomptait en avoir jusqu’à demain matin, tout va être fini pour 18 h et peut-être avant. En effet, tout est terminé pour 16 h ½ et les hommes rentrent à 17 h.

 

En raison du travail fourni, la Cie aura repos complet demain, et après demain, à moins qu’un contre ordre ne survienne ou encore que la Cie ne fasse mouvement, car au bataillon on en parle de plus en plus.

Ce midi, à la popote, nous avons eu comme convive, un des aumôniers de la division, un Normand de l’Orne.

Toujours rien à signaler au point de vue guerre ; c’est décidemment à n’y rien comprendre. Les adversaires ne font que s’observer en chiens de faïence.

Samedi 2 mars

À Charency-Vezin

 

Hier, au mess des sous-officiers de la Cie il y a eu pas mal de bruit, plusieurs étaient certainement en état d’ivresse, tels Maurice Bourgeois, etc … aussi, ce matin, je vais lui dire ce que j’en pense. Ils ne sont allés se coucher qu’à 1 heure du matin.

 

Cette nuit, il a bien gelé, mais le ciel est clair et le soleil brille de bonne heure. Le vent qui souffle de l’Est est fort.

Toute la journée, le temps reste beau et sec.

 

Cet après-midi, nous avons la visite du lieutenant Henry qui remplacera de Saint Victor à la 5ème Cie. Il nous apprend qu’un colonel vient d’être nommé pour être affecté au 446ème R.P. Il doit s’appeler Reboul et être méridional. Le commandant Lecacheur ne va donc pas attraper son 5ème galon, ainsi qu’il l’espérait. Le Cdt Lecacheur reprendrait le commandement du 1er bataillon.

Que deviendrait alors le capitaine Bonis ?

Je regrette ce changement car le capitaine Bonis est un homme charmant et j’aurais été heureux qu’il reste à commander le bataillon.

 

De notre déplacement, il n’en est toujours pas question et ma foi, il est possible que nous restions encore quelques temps à Vezin.

Nous sommes encore invités, Richard et moi, à Marville pour demain midi.

Demain soir ce seront nos adieux aux officiers du 132ème R.I.F. qui partent lundi matin pour Mangiennes.

Dimanche 3 mars

À Charency-Vezin

 

Ce matin, le sol est encore bien gelé, mais le temps est au beau et toute la journée, le soleil brille, il fait beaucoup moins froid qu’hier, car aujourd’hui le vent ne souffle pas.

La Cie a encore repos aujourd’hui.

 

Ce midi, nous allons, Richard et moi, à Marville, et une partie de l’après-midi se passe à faire une petite promenade à pied. Au jeu, je perds 3 F.

J’ai joué avec le capitaine Bonis, Le Cam et Provost, Launay, de la 1ère compagnie et Poirier sont en permission.

Richard doit partir mercredi prochain. Toujours rien de nouveau concernant notre déplacement.

Au régiment, nous avons reçu notre nouveau colonel, mais il doit partir demain en permission de détente, si bien qu’il ne prendra le commandement du régiment qu’à son retour vers le 17 mars.

 

Aujourd’hui, les 4 hommes de la Cie désignés pour suivre les cours d’élèves-caporaux quittent Vezin, pour aller à Brandeville où le capitaine Delarue dirigera le cours. Ce sont : Desruelle Fernand, Cherdlé Raymond, Hébert Ernest, Rouxel Louis.

La Cie d’engins du 132ème R.I.F. doit quitter Vezin demain matin pour aller cantonner à Mangiennes. Depuis le début de septembre, cette Cie se trouvait à Vezin et le départ de cette localité ne les enchante pas.

 

Ce soir, il y a de nombreux cas d’ivresse dans les cantonnements que ce soit au 132ème, au 104ème ou au 446ème.

Lundi 4 mars

À Charency-Vezin

 

Ce matin, la Cie doit fournir des travailleurs au génie à Villers-le-Rond, 34 hommes du matin à 16 h l’après-midi.

Un 2ème quart de l’effectif est vacciné ce matin (27 hommes). La vaccination a lieu à Épiez où le docteur Josseran du 2ème bataillon opère.

A Épiez, je rencontre le lieutenant Henry qui vient de Bréhéville pour suppléer le lieutenant de Saint-Victor de la 5ème Cie en permission.

Il nous dit quelques mots de notre nouveau colonel arrivé hier à Bréheville et qui ce soir repart en permission de détente. C’est un colonel d’active qui semble-t-il est assez à cheval sur le service.

 

Le temps est toujours superbe ; un peu de gelée blanche le matin, mais dans la journée un vrai temps de printemps.

Hier après-midi, le feu a brûlé les herbes sèches au flanc de la colline au sommet de laquelle se trouve la Croix des Allemands.

 

Cet après-midi, je vais faire un tour sur la route de Longuyon. Je passe auprès de la fonderie de Charency où je vois le directeur, M. Perbal, (cet homme était venu manger à la popote, il ya une quinzaine de jours, étant invité par le capitaine Véron) ; il m’invite à visiter la fonderie lorsque j’aurai un moment de liberté. Il me fait l’effet d’un homme charmant.

Le long de la route, dans un champ voisin, un jeune homme d’une vingtaine d’années laboure un champ pour y ensemencer de l’avoine. Les habitants ont confiance !!

(Encore 47 jours).

Mardi 5 mars

À Charency-Vezin

 

Ce matin, les vents ont un peu changé de direction, ils soufflent du S.E. Le ciel est couvert et il vole des flocons de neige. Ce sont les giboulées de mars !

Le temps est froid, mais j’espère bien que nous ne reverrons pas les grands froids de janvier et février.

A la Cie, le sergent Vincent partira d’ici peu pour suivre le peloton préparatoire au brevet de chef de section.

 

Hier, un nouveau sergent, affecté à la 3ème Cie, nous rejoint, il vient des bataillons d’Afrique.

 

Vers 9 heures, nous avons une tempête de neige, qui, heureusement, ne dure pas longtemps, mais le vent reste froid.

Dans la matinée, je vais à Villers-le-Rond où j’apprends que la Cie du génie 121/1, qui dirigeait notre travail doit faire mouvement probablement vendredi prochain. Cette Cie va être remplacée par la Cie 152/3 qui est déjà sur place.

 

Cet après-midi, je vais un peu me promener. Le temps reste froid mais il est ensoleillé. Le général Bridoux, commandant la 41ème D.I., doit passer par Vezin dans le courant de l’après-midi et le passage de ce général est toujours redouté par les officiers.

 

L’après-midi se passe et Bridoux ne vient pas ; peut-être le mauvais temps en est-il la cause !!

 

Ce soir, la neige tombe de nouveau, il faut espérer que cela ne va pas durer.

On apprend, ce soir, que le gouvernement italien a donné l’ordre à ses bateaux chargés de charbon à [ill] de quitter les ports hollandais.

Que va faire l’Angleterre ?

Mercredi 6 mars

À Charency-Vezin

 

Ce matin, la terre est de nouveau recouverte de neige (3 à 4 cm), le vent est froid et souffle du nord. Toute la journée presque sans interruption des flocons de neige volent, tantôt clairsemés, mais parfois en véritable tourmente.

La route reste glissante jusque vers 11 h.

 

Aujourd’hui, le lieutenant Richard part en permission de détente ; c’est un Alsacien de Delle, territoire de Belfort. Une voiture du bataillon vient cet après-midi apporter le ravitaillement et porte Richard à Longuyon où il prendra le train vers 16 h ½.

 

Cet après-midi, le reste de la Cie va amorcer la fouille d’un autre block près de la gare de Charency, dans le bois Lagrange où un block G26 doit être construit.

 

Ce soir, tard dans la soirée, je reçois une note du capitaine Hublot, Cie 121/1 du Génie, de fournir demain à 7 heures, 20 à 25 hommes pour aider à couler la superstructure du block 51 entre Charency et Villers-le-Rond.

Aujourd’hui, je reçois une lettre d’Alphonse m’annonçant qu’il est mobilisé à la société française de travaux routiers, rue Démidoff au Havre où il travaille, il ne va donc pas pouvoir quitter cette place et retourner, comme il en avait l’intention, chez son ancien patron.

Cet ordre de réquisition individuelle me surprend assez.

Jeudi 7 mars

À Charency-Vezin

 

Temps toujours froid. Cette nuit il a gelé et il est encore tombé de la neige. Des flocons continuent à tourbillonner.

La Cie fournit ce matin, une équipe de 23 hommes à la Cie 121/1 du génie pour le bétonnage de la superstructure du block 51, en bordure de la route de Vezin à Villers-le-Rond.

Je vais voir le travail à 9 h, le chantier est en pleine activité. 3 bétonnières marchent à plein rendement et le travail avance assez vite.

La 1ère équipe travaille de 7 h à 12 h ; une 2ème équipe remplace la 1ère à 12 h et va travailler jusqu’à 18 h.

Le bétonnage sans arrêt (jour et nuit) doit continuer jusqu’à dimanche midi car le génie ne pense pas qu’il soit terminé avant.

 

Cet après-midi, visite préalable à la vaccination pour le 3ème quart de la Cie.

J’apprends que la 2ème Cie est arrivée au camp de Marville où elle est logée dans la caserne. Elle aussi vint pour travailler aux Blocks que l’on bétonne en hâte.

Le commandant Lecacheur avec le lieutenant Guillain passent cet après-midi par Charency, ils vont à la 5ème Cie (Épiez) où le lieutenant de Saint Victor est absent, étant en permission.

 

Le temps reste froid et ce soir il gèle de nouveau. L’hiver ne veut décidément pas finir.

Dimanche, ce sera probablement l’inauguration du foyer du soldat et en conséquence, il faut s’attendre à la venue des généraux Hutsinger, Rochard et Bridoux.

Vendredi 8 mars

À Charency-Vezin

 

Ce matin, le sol est encore bien gelé et des flocons de neige volent encore. Malgré tout, le soleil brille assez tôt, mais toute la matinée l’air reste vif.

 

Cet après-midi, le temps est meilleur et il fait bon travailler.

Travaux : une équipe (30 hommes) travaille de 6 h à 12 h au bétonnage du block 51. Une 2ème équipe (23 hommes) relève la 1ère, de 12 à 18 h. Le travail est dur mais intéressant.

 

Ce matin, le 3ème quart de la Cie reçoit une 1ère piqure contre la typhoïde (vaccin T.A.B.) sur le chantier.

 

Cet après-midi, je reçois la visite du capitaine Bonis, de Le Cam, Staul et Guillain. Le 2ème Cie arrivée hier soir au camp de Marville, travaillera au block 50, non loin du block 51 où travaille la 3ème.

Le coffrage du block 50 est presque terminé et le bétonnage doit commencer la semaine prochaine.

Maintenant, il n’est plus question de notre départ prochain et je crois que nous sommes encore ici pour un certain temps car on a l’air en haut lieu de vouloir activer le plus possible la construction de blocks.

 

Ce soir, je reçois une lettre très [ill.] d’Auguste ; il est tout de même bien triste de se voir privé de liberté, mais heureusement, il a l’air de ne pas s’en faire.

Toujours rien de nouveau dans le secteur, c’est à se demander si quelque évènement important se passera ce printemps sur le front français.

Samedi 9 mars

À Charency-Vezin

 

Cette nuit, il a encore bien gelé ; c’est à désespérer de voir arriver les beaux jours.

Le temps, ce matin, est couvert et une fois de plus peut laisser prévoir une chute de neige.

La Cie continue de travailler au bétonnage du block 51. On espère que ce sera terminé pour demain midi, mais ce n’est pas trop sûr.

Enfin les hommes auront du repos de toute façon toute la journée de lundi et si la Cie doit travailler demain, il y aura encore repos mardi.

 

Toute la matinée, le ciel reste couvert. Je profite de quelques moments de liberté pour grimper jusqu’à la Croix des Allemands, placée à l’arête ouest d’un plateau de plus d’un km de long dont la bordure Est est une forêt formant la limite entre France et Belgique.

Sur le plateau se trouve quelques emplacements pour F.M. ou mitrailleuses, mais bien peu nombreux, simples éléments de surveillance.

Je suis redescendu par la route d’Allondrelles, en bordure de laquelle se trouve un cimetière où voisinent Français et Allemands.

 

Cet après-midi, le ciel s’éclaircit et le temps est vraiment beau. Les derniers restes de neige vont fondre et maintenant, il faut bien espérer que les mauvais jours sont enfin passés.

La Cie doit encore travailler demain matin pour finir de couler le block 51, mais les hommes auront repos lundi et mardi, car le travail est dur et les hommes travaillent très consciencieusement.

Peut-être irai-je demain midi manger à Marville.

Mais, après tout, j’aimerais autant rester à Vezin.

Dimanche 10 mars

À Charency-Vezin

 

Le beau temps continue

Ce matin, la Cie doit fournir une équipe de travailleurs pour finir le bétonnage de la superstructure du block 51 (26 hommes).

Le travail est terminé à 11h ½.

Si les équipes du 104 venues au chantier cette nuit avaient tant soit peu travaillé, la Cie n’aurait pas été dans l’obligation de fournir des travailleurs ce matin, car le bétonnage aurait dû normalement être terminé pour ce matin 6h, mais la plupart des hommes du 104 venus cette nuit étaient ivres et sous prétexte que d’ici peu ils allaient remonter en ligne n’ont pour ainsi dire rien fait.

 

Je suis invité à Marville pour manger ce midi : Launay & Poirier sont toujours en permission.

J’apprends que le lieutenant Guillain commandant la 2e Cie est parti hier midi pour Rouen, étant désigné comme instructeur pour les jeunes classes.

Voilà un heureux veinard, car étant de Caen il pourra très facilement aller chez lui, et sa femme pourra elle aussi aller facilement à Rouen.

Le beau temps dont nous profitons en ce moment incite l’aviation à sortir, aussi toute la journée nous voyons et surtout nous entendons de nombreux avions surtout des Allemands survoler le pays.

Cette activité de l’aviation pourrait laisser supposer que la guerre changera d’aspect d’ici peu. Maintenant que les mauvais jours sont passés, il faut bien s’attendre à quelque chose.

Lundi 11 mars

Temps toujours beau.

 

Cette nuit, il a à peine gelé et la température est douce.

La Cie a repos aujourd’hui, le travail reprend demain dans le bois Lagrange block G26.

Comme hier de nombreux appareils tant allemands que français survolent la région.

Le temps est vraiment superbe, une véritable journée de printemps si cela continue il va falloir bientôt enlever les tricots car on ne va pas tarder à souffrir de la chaleur.

Je passe une partie de mon après-midi à voir comment s’établissent situation administrative, feuille de prêt, car le chef comptable Jeanne ne va pas tarder à partir en permission et Vicot n’est pas encore très au courant.

 

Ce midi le major Josseran me dit avoir appris avec certitude que le lieutenant Richard quitterait le régiment au mois d’avril lorsqu’il aura atteint ses 54 ans et serait affecté à un état-major en attendant d’être renvoyé dans ses foyers 6 mois plus tard ; mais ce renseignement est-il bien vrai ?

Le temps est extraordinairement superbe et la soirée est délicieuse. On ne peut penser qu’il y a quinze jours à peine il neigeait et il faisait bien froid.

 

  Ce soir à la popote, nous avons le capitaine BUDENAY qui pendant 6 mois a logé dans la maison où j’avais ma chambre et qui y venait assez souvent depuis que sa Cie a quitté Vezin pour la camp de Marville.

  Demain ¼ de la Cie reçoit la 2e et dernière piqure contre le typhus.

Mardi 12 mars

Ce matin, il y a un peu de gelée blanche mais le temps reste superbe.

Toute la matinée le soleil brille et il fait chaud, mais vers midi le ciel se couvre et annonce la pluie prochaine. Celle-ci se met d’ailleurs à tomber vers 16h.

 

Les habitants du pays commencent à cultiver leurs jardins. Ils ont parfaitement raison car avec la guerre telle qu’on la fait actuellement, on peut espérer qu’ils pourront récolter ce qu’ils auront semé.

 

Ce matin ¼, de la Cie va à Épiez pour la vaccination (TAB). Pour 34 hommes ce sera la fin.

La Cie va aujourd’hui au travail au block 50, à gauche de la route de Villers-le-Rond où on procède au coffrage (la superstructure devant être coulée dans une dizaine de jours).

Maintenant, il y a des ordres très sévères pour que les soldats n’approchent pas de la frontière belge, plusieurs d’entre eux ayant franchi la frontière et créant ainsi des incidents diplomatiques.

 

La pluie augmente d’intensité et il est probable que la nuit va être mauvaise.

Le colonel qui va prendre prochainement le commandement du régiment s’appelle Redasse et est méridional : il va se trouver parmi des Normands qui ont une mentalité très différente de celle des gens du Midi ; il doit rentrer de permission vers le 17.

Alors il est probable que le commandant Lecacheur reprendrait le commandement du 1er Bon comme il l’avait avant le départ de Granville.

Mercredi 13 mars

Cette nuit la pluie n’a pas cessé de tomber avec violence et ce matin elle continue par averses presqu’ininterrompues.

Il paraitrait que les négociations entre la Russie et la Finlande auraient abouti à la paix.

L’Allemagne va donc se trouver débarrassée d’un souci à l’Est et notre situation ne va pas en être renforcée. On se demande bien ce qui va se passer au cours des semaines qui vont suivre.

Malgré le mauvais temps, la Cie va au travail au block 50 (coffrage et aménagements pour placer les bétonnières). Par suite de la vaccination et des permissions le nombre des travailleurs est plutôt restreint (une trentaine pour la Cie).

 

Ce midi à la popote, sur l’invitation du capitaine Mos nous avons comme hôtes un capitaine & un lieutenant attachés au corps d’armée (4e Bau).

À la Cie les premiers permissionnaires commencent à rentrer, c’est le cas ce matin pour 6 d’entre eux. En ce moment il y en a déjà une quarantaine de partis. Si la même cadence continue le 2e tour sera achevé avant la fin avril pour les hommes alors qu’il ne le sera pas pour les officiers.

 

Ce soir, le mauvais temps continue et la nuit s’annonce comme devant être très mauvaise.

Cette pluie est plus désagréable que la gelée car les hommes sont obligés de travailler dans plus de 20 cm de boue et sous la pluie le travail ne rend pas.

Jeudi 14 mars

La nuit a de nouveau été très mauvaise (pluie & vent).

 

Ce matin, des averses de pluie mêlée de grêle ont été nombreuses, si bien que la Cie n’est pas allée au travail et il en est de même cet après-midi.

 

Vers midi, le vent se met à souffler avec fureur, de véritables tornades passent en levant les tuiles des toits, les tôles des hangars, brisant & déracinant les arbres ; les habitants de Vezin ne se rappellent pas avoir subi pareille tempête.

 

Par la voie des journaux nous apprenons les conditions imposées par la Russie et finalement acceptées par la malheureuse Finlande pour mettre fin à la guerre.

Cette paix est un nouveau succès pour Hitler & Staline est un échec pour les démocrates. Maintenant la Finlande est à la merci de la Russie, comme la Tchéco-Slovaquie était à la merci de l’Allemagne après Munich. Dans cette triste fin de la guerre russo-finlandaise, les pays scandinaves ont une grosse part de responsabilité mais que la Suède & la Norvège prennent garde, leur tour d’être absorbées par les pays totalitaires ne saurait tarder et elles pourront alors se repentir amèrement de ne pas avoir apporté à la Finlande l’aide que celle-ci attendait d’elles.

Maintenant que cette affaire de Finlande est terminée, les petits pays neutres doivent se demander avec angoisse : à qui le tour ?

Vendredi 15 mars

La tempête d’hier après-midi s’est tout de même calmée cette nuit.

Une nouvelle fois l’hiver a repris l’offensive, ce matin la terre est couverte de neige et le sol est gelé. Le ciel couvert peut laisser encore prévoir de nouvelles giboulées.

La tempête d’hier après-midi a causé bon nombre de dégâts ; les tuiles enlevées des toitures ne se comptent plus, de nombreux arbres ont été abattus et c’est certainement la chute de l’un d’entre eux sur la ligne électrique qui nous a privés de lumière hier soir, et il est fort possible que le courant ne soit pas rétabli avant plusieurs jours.

 

La Cie va au travail au block 50, même façon de procéder qu’hier.

Les permissionnaires rentrent régulièrement et jusqu’ici je n’ai pas eu de retard à constater. En sera-t-il toujours ainsi ?

 

Cet après-midi, une vingtaine de récupérés vont passer la visite médicale pour être vaccinés demain…Il faudra encore plusieurs séances pour que tous soient vaccinés.

En ce moment, on parle d’une offensive de paix d’Hitler mais à mon avis cette offensive a bien peu de chances de réussir, car il n’est pas possible qu’on laisse l’Allemagne avec toutes ses conquêtes mais vraiment, je trouve que les hostilités mettent du temps à se déclarer et c’est à se demander si c’est encore pour cette année.

Samedi 16 mars

La Cie va tout entière au travail ce matin de 8h ¼ à 11h ¼ et le soir de 13h ½ à 17h ; au même block viennent également la 1e et la 2e Cie, l’une le matin et l’autre l’après-midi.

Le temps aujourd’hui est encore très maussade et l’hiver a bien du mal à nous quitter.

 

C’est aujourd’hui que le colonel Redasse prend le commandement du régiment, le cdt Lecacheur doit reprendre le 1er Bon ; comme il va partir en permission incessamment, le capitaine Bonis va très probablement conserver encore quelques temps le 1er Bon. Je regretterai certainement le capitaine Bonis qui est très aimable.

Le Cann doit partir lundi soir en permission aussi je crains bien que lorsque Richard sera de retour, il ne soit obligé de prendre la 2e Cie.

 

Cet après-midi, j’ai la visite du capitaine Bonis, accompagné de Launay, Oscar & LeCann.

Je suis invité à un petit gueuleton qui doit avoir lieu entre nous demain midi à Longuyon. Ce gueuleton sera payé sur la cagnotte des parties de bridge fait au 1er bataillon.

 

Ce soir, après le repas je fais une partie de belote avec le lieutenant DOUANI et PREDRIAU.

Le calme actuel qui règne sur le front pourrait bientôt prendre fin ; les journaux annoncent des concentrations de troupes allemandes sur différentes frontières (hollandaises, belge, suisse).

Si la paix inspirée par Hitler n’a pas de succès il faut bien s’attendre à des évènements graves d’ici peu.

Dimanche 17 mars

La compagnie devant travailler ce matin, je vais au chantier vers 9h ½ et y reste jusqu’à 11h ½. Le travail consiste à la manipulation des matériaux de la ferme de la Prêle au block 50 (environ 400m).

Le transport se fait par wagonnets que les hommes poussent sur la voie de 60.

Ce block 50 sera bien placé car il aura un très beau champ de tir, mais ce qui est bien désagréable, c’est la boue.

 

À onze heures ¼, le lieutenant le Cann vient me chercher pour aller avec Bonis, Launay, Poirier, Provost faire un petit gueuleton à Longuyon ; le malheur c’est que si la matinée a été passable comme temps, il n’en est pas de même de l’après-midi. La pluie ne cesse pas de tomber à verse.

Nous mangeons à l’hôtel Lutétia et comme le repas est payé par la cagnotte (gains au bridge) à laquelle je n’ai pas participé, je suis obligé d’offrir le champagne (30 f).

 

En sortant du restaurant Provost s’en va dans une confiserie faire l’achat d’un œuf de Pâques pour sa fillette, et je l’accompagne.

Pendant que nous sommes dans la confiserie, les 2 voitures qui nous avaient amenés s’en retournent, chacun croyait que l’autre nous avait pris, aussi grande est notre déception lorsque en sortant de la confiserie, nous ne trouvons pas de véhicule.

 

Attente sous la pluie pendant 1 heure, puis entrée au café du centre, et avec plaisir nous voyons revenir la voiture.

Retour par Colmey.

Lundi 18 mars

Nous voyons le capitaine Labbé et arrivée à Vezin à 18h.

Provost reste à manger avec moi et on repart pour Marville qu’à 21h. Je me demande bien ce que pense le capitaine Bonis qui doit être assez inquiet à notre sujet. Décidemment je crois qu’à l’avenir je ferai bien de passer mon dimanche à Vezin.

La 1e Cie (Launay) & l’EM du Bon devraient faire mouvement demain mardi pour aller à Wiseppe, mais le contrordre est arrivé et ils restent à Marville.

 

Ce matin, je trouve un des hommes de la Cie Bouvet, détaché à la Cie 121/1 du génie à Villers-le-Rond qui, cette nuit est revenu à Vezin ayant été frappé par le fameux Bourdon de la 2e Cie également détaché à la Cie 121/1, qui déjà à Bouy s’était rendu tristement célèbre.

Bouvet était revenu hier après-midi avec un autre camarade à la 3e Cie à Vezin. Son camarade au retour a été sérieusement frappé par d’autres soldats.

 

Rentrés à leur cantonnement à Villers-le-Rond alors que Bouvet était couché, le fameux Bourdon sous le prétexte que Bouvet n’avait pas soutenu suffisamment son camarade, s’est rué sur lui le frappant à coup de pied et ce n’est que grâce à un camarade qui a ceinturé Bourdon que Bouvet put s’échapper pieds nus sans veste & sans calot.

Ce Bourdon est un type terrible lorsqu’il est ivre et s’il n’est pas mis dans l’impossibilité de nuire, il fera certainement une bêtise.

Mardi 19 mars

Hier après-midi, sur le chantier presque tous les types de la 1e Cie sont ivres et c’est bien peu intéressant pour Launay & Le Cann qui sont présents.

Heureusement, la 3e Cie travaille à part et n’est pas en contact avec eux. Plusieurs rixes éclatent entre ivrognes et le lieutenant du génie qui dirige le travail est loin d’être satisfait.

 

Ce matin, comme la 1e Cie a travaillé jusqu’à 18h ½ à décharger des camions de ciment, elle a repos ce matin ; cela tombe bien, car le temps a bien changé depuis hier après-midi où il faisait bon, même la température était plutôt lourde, tandis que ce matin le ciel est couvert et la pluie tombe à peu près sans discontinuer.

 

Vers 11h ½, le ciel s’éclaircit et la Cie part au travail comme de coutume.

Une note du Bon m’apprend qu’à la date du 20, le Cdt Lecacheur prend le commandement du 1er Bon, le capitaine Bonis retourne à la 8e et le capitaine Labbé à la 2e.

Comme le Cdt Lecacheur va partir en permission un de ces jours, Labbé est désigné pour prendre pendant ce temps le commandement du Bon. Après ce qui s’est passé à Montmédy, je ne sais s’il acceptera, mais à sa place je refuserais catégoriquement.

Le colonel Redasse devrait venir aujourd’hui à Marville-Vezin mais nous l’attendons en vain.

 

Cet après-midi, je vais à Marville voir le capitaine Bonis qui atteint d’un érésipèle à la figure est contraint de garder la chambre. C’est un très brave homme et je ne voulais pas qu’il quitte le Bon sans aller lui dire « au revoir ».

Mercredi 20 mars

Temps toujours maussade ; la pluie tombe en crachin.

La Cie part au travail ce matin à 7h ½. Pour ma part je passe ma matinée à aller à Épiez assister à une nouvelle séance de vaccination.

Vivement que cela soit fini car ces vaccinations réduisent considérablement le nombre de travailleurs.

 

Ce midi, un de mes meilleurs chevaux de la Cie se blesse sérieusement à la patte antérieure gauche, ayant fait tomber en se tournant une fourche dans l’écurie, il s’est enfoncé profondément un doigt de cette fourche au-dessus du sabot, aussi il ne peut appuyer sur la patte blessée.

Je fais téléphoner au vétérinaire du 104e qui est absent puis à celui du 103e qu’une voiture du Bon va chercher. Ce vétérinaire n’a pas de sérum antitétanique, et par suite ne peut faire une injection au cheval (il est tout de même triste de constater qu’un vétérinaire manque de ce sérum).

Avec le vétérinaire est venu le capitaine Labbé qui a repris le commandement du Bon en l’absence du Cdt Lecacheur qui est parti en permission.

À la place du capitaine Labbé j’aurais eu du mal à reprendre le commandement du Bon après en avoir été balancé.

Cependant c’est avec le sourire que Labbé a repris ce commandement (il y a vraiment des gens qui ont peu de caractère).

Jeudi 21 mars

Pour ne pas changer ce matin il bruine et peu à peu la pluie s’épaissit.

Le cheval blessé est toujours dans le même état et je crains bien qu’il soit longtemps indisponible.

 

Cette matinée, je vais au block 50 où seule la Cie travaille, ni la 2e ni la 1e ni le 104 ne sont là. Je trouve seulement le lieutenant du génie de la Cie 121/1 qui passe les consignes pour le travail à un lieutenant d’une autre Cie du génie qui va remplacer demain la Cie 121/1.

Ces changements de direction ne peuvent qu’être préjudiciables au travail effectué.

Voilà en effet un block dont le coffrage est presque achevé, il serait tout naturel que le génie qui a commencé à diriger le travail l’achève, car au moins au cas où la réussite laisserait à désirer, on pourrait au moins trouver un responsable tandis qu’avec ces changements il ne peut y avoir aucune responsabilité quant à l’exécution ; mais c’est peut-être cela que cherchent d’ailleurs les états-majors !!!

 

Cet après-midi, repos pour la Cie. Je reçois une note du Bon me demandant s’il y a une chambre à gaz dans le cantonnement et dans l’affirmative d’y faire passer la Cie.

Comme il y en a une, j’y ferai passer les hommes samedi matin.

Vendredi 22 mars

Temps superbe ce matin et la journée s’annonce magnifique.

 

Repos pour la Cie ; la Cie du génie 121/1 faisant mouvement aujourd’hui. Il est d’ailleurs probable que nous aurons repos jusqu’à mardi.

Par ce beau temps, nous avons la visite de plusieurs avions ennemis mais qui, comme toujours, passent à une grande altitude si bien qu’il est très difficile de les apercevoir.

Faisant mentir la croyance générale, la semaine sainte n’est pas plus mauvaise qu’une autre. Par un temps comme aujourd’hui on se sent un peu ragaillardi, et d’ici peu de temps on va voir tout reverdir.

Je profite de ma liberté d’aujourd’hui pour aller faire une petite promenade aux environs du Bois Lagrange. C’est vraiment un temps à se promener et dans presque tous les champs on voit civils & militaires s’affairer à la recherche de pissenlits.

 

Aujourd’hui vendredi Saint, les hommes doivent manger de la viande car l’intendance tout en autorisant l’achat de poisson & d’œufs n’en fournir pas et comme il est impossible de s’en procurer dans le commerce il faut bien utiliser la viande fournie par l’intendance.

 

Ce soir, je perds un des meilleurs soldats de la Cie Letallec Alphonse mineur (mines de fer du Calvados) mis en affectation spéciale et qui reprend le chemin du DI 33 pour retourner ensuite où il travaillait.

Samedi 23 mars

De nouveau le temps s’est gâté cette nuit et ce matin il pleut. La pluie continue jusque vers 9h, et après quoique nuageux, il y a des éclaircies assez belles.

 

Ce matin par le cycliste qui va tous les matins à Marville porter les pièces au Bon, j’apprends le décès subit du sergent Bastard employé au ravitaillement du Bon. Ce sergent avait appartenu à Bouy à la Cie puis avait été muté à l’E.M. du Bon.

Hier après-midi, il avait joué au foot-ball et c’est environ une demi-heure après la partie qu’il est mort subitement (crise cardiaque probablement).

 

Ce matin 8h, le lieutenant Richard prend la camionnette du 2e Bon pour se rendre à Colmey prendre le commandement de la 8e Cie pendant la permission du capitaine Bonis.

Dans l’après-midi je vais sur la route d’Épiez et je croise là quelques hommes de la Cie jouant au foot-ball. Pendant 1 heure je me mêle à eux.

À la popote où je mange nous manquons un peu trop de convives. En ce moment nous ne sommes plus que le lieutenant Perdriau du 132e et moi, aussi comme il nous faut nourrir 2 cuisiniers, cela nous revient à un prix assez élevé (près de 35F par jour).

Encore 4 semaines et cette fois ce sera mon tour à partir en permission.

Ce tour de départ a d’ailleurs été établi d’une façon tout à fait injuste.

Dimanche 24 mars

Ce matin, le ciel est couvert et la pluie menace de tomber ; elle ne se fait d’ailleurs pas attendre longtemps et à 7h il pleut.

Après entente avec le médecin du 104ème, la Cie passe dans la chambre à gaz de 7h ½ à 8h ½.

Cet exercice se passe sans incident quoique quelques hommes manifestent une certaine appréhension.

 

Le temps s’améliore et l’après-midi est superbe, il fait même chaud et je crois bien que maintenant nous n’aurons pas à souffrir du froid. Ce que je ne comprends pas, c’est qu’avec les beaux jours, la façon de faire la guerre ne change pas.

Si c’est simplement une lutte économique, nous pouvons en avoir pour longtemps. Voilà plus de deux mois que nous sommes à Vezin et il n’est pas question que nous en partions. Cela paraît bon de rester ainsi assez longtemps au même endroit : car les déplacements sont toujours à redouter car le matériel d’une Cie augmente sans cesse.

Le sergent-chef Bounard (vicaire à Granville) qui revient de faire un stage de radio à Verdun va partir en permission de détente en attendant d’être affecté, et ce, très prochainement au G.Q.G. Décidément les curés ont toujours de la chance et pour eux les bonnes places ne manquent jamais.

La Cie doit encore avoir repos demain, mais mardi matin 7h ½ il faudra repartir au travail.

Lundi 25 mars

Le temps continue d’être au beau ; il fait même chaud pour la saison, il est vrai que par ici si les froids sont plus rigoureux l’hiver qu’en Normandie, la chaleur doit être plus forte en été.

La Cie a toujours repos et vraiment c’est intéressant pour les hommes qui peuvent en profiter pour se nettoyer.

Ce matin à Vittarville, a eu lieu l’inhumation du sergent Le Bastard. (*)

Trois hommes de la Cie y sont allés, emportés par un camion du bataillon. Aucun membre de la famille n’assistait à la cérémonie, il paraîtrait même qu’elle n’est pas encore prévenue, les avis de décès devant passer par le bureau de l’état-civil du ministère de la guerre avant d’être transmis aux maires, ce qui est plutôt à regretter.

 

Je passe une grande partie de l’après-midi dans ma chambre à établir un cahier concernant ce que la Cie reçoit et rend (armement, habillement, équipement, etc.)

Dans la soirée le temps se couvre et laisse prévoir de nouvelles pluies, c’est regrettable car on s’habitue bien au beau temps.

 

Ce midi, un avion allemand est venu survoler la région. La D.C.A. a tiré mais évidemment sans résultat. À mon avis ce ne peut être qu’un hasard malheureux pour un avion lorsqu’il est atteint par un obus et contre l’aviation ennemie, il ne peut y avoir qu’une arme efficace : c’est l’aviation de chasse.

 

Ce soir vers 21h, de nouveaux avions allemands viennent nous rendre visite et pendant plus d’une heure nous entendons le tir de la D.C.A.

 

(*) : LE BASTARD Victor, sergent au 446e RP, né le 12 avril 1902 à Rennes, mort de maladie à Vittarville (Meuse) le 22 mars 1940. Non mort pour la France.

Mercredi 26 mars

À Charency-Vezin

Hier soir, la Cie a perdu 3 sous-officiers.

Le sergent-chef Cochepain et le sergent Vincent qui vont à Binarville faire un stage de préparation au brevet de chef de section, et le sergent Bourgeois qui va remplacer le sergent Le Bastard auprès de l’officier de détails du 1er bataillon.

 

Ce matin, la Cie par au travail à 7h au block 5 où elle va travailler sous la direction de la Cie 154 du 3ème génie : capitaine Godine. Dans le courant de la matinée je vais au chantier.

 

Vers midi, nous avons la visite de plusieurs avions allemands (au moins 9), 5 d’entre aux font une longue promenade le long de la frontière sans incident si ce n’est le tir de la D.C.A.  qui ne produit aucun effet.

À la popote nous avons comme invité ce midi : le lieutenant de Saint Victor.

Lieutenant depuis 1913, fait prisonnier au début de la guerre, il est sérieusement vexé de n’avoir pas encore obtenu son 3ème galon. En voilà un qui est à cheval sur le service et qui punit à tour de bras.

Le temps assez maussade dans les premières heures de la matinée est superbe cet après-midi et même très lourd. Avec cette température nous n’allons pas tarder à voir tout changer. Les habitants de Vezin commencent à jardiner. Puissent-ils récolter ce qu’ils auront semé !!

 

Dans la soirée, le bruit court qu’un avion allemand a été abattu par la D.C.A. entre Velosnes et Montmédy ; mais est-ce bien vrai ?

Vers 16h ½, visite du capitaine Labbé, Launan, Provost et Corsin.

Mercredi 27 mars

À Charency-Vezin.

 

Cette nuit encore, la D.C.A. a tiré presque sans arrêt. L'activité de l'aviation allemande progresse de jour en jour, cela présage-t-il le commencent véritable de la guerre pour une date rapprochée ?

 

Ce matin, la pluie recommence et la Cie ne va pas avoir de chance au travail car de nouveau le chantier va être envahi par la boue et ce midi les hommes rentrent couverts de boue et mouillés. Un homme, Horel de Pont-Hébert, s'est trouvé malaise sur le terrain et un autre s'est enfoncé une pointe à la base du gros orteil, aussi cet après-midi le major du 104 lui fait une piqûre antitétanique ainsi qu'à douze du bureau à qui pareille mésaventure est arrivée hier soir.

 

Aujourd'hui par ce temps couvert l'aviation reste tranquille et nous ne voyons aucun appareil : ni allemand ni français.

 

Cet après-midi, le temps reste maussade et froid, mais la pluie a à peu près cessé, ce qui est le principal pour la Cie. Je vais au chantier et y reste 2 bonnes heures.

Notre nouveau colonel nous a fait envoyer des planches et des madriers pour installer des couchettes dans les cantonnements, mais ce qui serait très bien dans des granges est bien difficile à réaliser dans des chambres de maison ; enfin je vais voir ce que nous pouvons arriver à faire avec ce matériel.

Aujourd'hui nous n'avons entendu aucun avion, le mauvais temps en est certainement la cause.

La température s'est bien abaissée et il fait même froid.

Jeudi 28 mars

À Charency-Vezin

 

Quand je me lève ce matin, la neige tombe à gros flocons et la terre est blanche. L'hiver 39-40 ne se fera pas regretter.

Aujourd'hui 14 malades à la Cie, conséquence du mauvais temps d'hiver.

Dans la matinée, je vais au chantier voir la Cie. Alors que j'y suis nous subissons une véritable tempête de neige avec un fort vent glacial.

Le mauvais temps dure toute la matinée et même ce midi la neige tombe en gros flocons. Comme le temps est complètement bouché aujourd'hui nous ne voyons aucun avion.

Le lieutenant du génie qui dirige les travaux au block 50 est loin d'être aussi aimable que son prédécesseur de la Cie 121/1. Il est toujours à courir d'un endroit à l'autre voir si les hommes travaillent, lorsqu'il aura au chantier des types du 104, il aura pas mal à retordre, car ils sont loin d'être aussi travailleurs que les hommes de la Cie.

Ce que je ne comprends pas, c'est que pendant ce temps les 1ère et 2ème Cie n'ont aucun travail à fournir. Au point de vue repos, la 3ème Cie n'est guère favorisée, car il lui a toujours fallu travailler sans aucun répit et toujours des travaux pénibles à exécuter.

 

Ce soir, vers 21h le sergent Mouie en rentrant au cantonnement tombe sur le dos et se fait une profonde coupure derrière la tête. Le major du 104ème doit lui faire 3 points de suture.

Vendredi 29 mars

À Charency-Vezin.

 

Ce matin la terre est recouverte d'une légère couche de grésil, mais le ciel clair laisse prévoir un temps meilleur.

Je vais ce matin au chantier où malgré la boue le travail est moins pénible qu'hier, car malgré l'air assez vif il ne tombe rien.

En rentrant je reçois une note du chef de bataillon m'invitant à aller au bureau du colonel avec les capitaines Launan et Mongaudin pour que nous signions notre proposition pour la légion d'honneur.

Pour moi, je n'attache aucune importance à cette proposition, puisque depuis 1920, je renouvelle tous les 5 ans la formalité de cette signature ; j'ai même l'intention de ne pas accepter cette proposition, mais après réflexion je laisse faire.

 

À 11h, le chauffeur Leravasseur vient me chercher en auto pour aller manger à Marville.

Départ de Marville à 13h ½ avec Provost et Launan, nous passons par Wiseppe pour prendre Mongaudin.

Arrivée à Bréhéville à 15h ¼. Le colonel nous fait bon accueil, il me confirme mon départ en permission pour le 21 avril. Retour par Wiseppe et par Vezin où la voiture me dépose.

 

Le temps aujourd'hui, quoique assez froid, s'est du moins maintenu au sec et les hommes ont été moins malheureux au travail.

Demain Jeamu doit rentrer de permission s'il n'a pas de retard. Lebreton de Sourdeval aurait dû rentrer aujourd'hui et est toujours absent.

Samedi 30 mars

À Charency-Vezin.

 

Le mauvais temps continue.

Ce matin la terre est à peu près recouverte de neige et une pluie fine et glaciale ne cesse pas de tomber. Dans le courant de la matinée, je vais au block 50 où travaille la Cie. Le travail sous cette pluie et dans une boue qui colle aux chaussures est vraiment pénible et les travailleurs ont du mérite.

Toute la journée le mauvais temps persiste et ce sera un jour de plus à ne pas regretter.

Quand donc viendront les beaux jours!!!

 

Toujours rien de nouveau dans le secteur.

Avec un pareil temps bouché l'aviation tant ennemie qu'amie ne manifeste aucune activité.

En ce moment je suis toujours seul officier à la Cie. Le lieutenant richard ne devant revenir que mercredi après le retour à Colmey du capitaine Bonis. De plus il reste actuellement tout juste 3 sergents, ce qui comme cadres est nettement insuffisant. Il va y avoir paraît-il des nominations de sous-officiers et de caporaux à bref délai.

Depuis quelques jours le vin touché par la Cie devrait plutôt s'appeler de l'eau teintée en rouge, car il n'a du vin que le nom ; si pareil fait se reproduit je vais faire un rapport au bataillon.

La ration journalière de viande va paraît-il encore diminuer, passant de 40 à 35g. La Cie était mieux servie lorsque nous étions ravitaillés par les soins du 132ème que maintenant alors que nous le sommes par le bataillon.

Dimanche 31 mars

À Charency-Vezin.

 

Chose surprenante ce matin, le ciel est clair et le soleil qui apparaît de bonne heure peut laisser espérer une belle journée.

La Cie a repos aujourd'hui et les hommes vont pouvoir se nettoyer et se promener un peu cet après-midi.

Six permissionnaires sont rentrés ce matin, mais parmi eux 3 doivent avoir resquillé un jour: Allix d'Airel, Lebreton de Sourdeval et le sergent-chef Jeamu de Coutances.

Le temps assez froid ce matin se réchauffe l'après-midi. Pour tuer le temps je vais voir sur la route d'Épiez un match de football entre 2 équipes du 104.

Penser qu'ici on ne sait à quoi s'occuper et qu'il y a tant de travail à la maison, c'est à vous donner le cafard. Enfin, c'est ça le métier militaire : le mieux c'est de prendre le temps comme il vient sans s'occuper du lendemain.

L'aviation profite du ciel clair pour montrer un peu plus d'activité, mais comme toujours sans dégât puisqu'aucune bombe n'est lancée.

 

Je passe une partie de mon après-midi à aller voir un match entre 2 équipes du 104ème R.I., match qui a lieu sur un terrain situé route d'Épiez, cela a au moins l'avantage de tuer le temps, car lorsqu'on est seul comme je le suis en ce moment les heures ne passent pas vite et l'ennui vous gagne,

Dépenses MARS

Ø  1 mars   Payé popote depuis 11 février : 340fs, 00

Ø  2            Donné Guilbert 10fs - journal 0fs, 50 – Verres popote 65rfs       75fs, 50

Ø  3            Popote 5fs – verres 5fs – perte bridge 3fs            13fs, 00

Ø  4            Apéritifs Épiez : 5fs, 50

Ø  5            Payé avance popote 100fs – Apéritifs 11fs 110fs, 00

Ø  6                       

Ø  7                       

Ø  8            Journal : 0f, 50

Ø  9            Apéritifs popote 20fs – Repas popote 126fs        146fs, 00

Ø  10          Donné pourboire Marius à Marville : 10fs, 00

Ø  11                      

Ø  12          Apéritifs : 9fs, 50

Ø  13                     

Ø  14          Apéritifs : 10fs, 50

Ø  15                     

Ø  16                     

Ø  17          À Longuyon champagne 25fs – pourboire 5fs – savon 2fs, 50  32fs, 50

Ø  18          Popote depuis le 9 225fs (30fs par jour) – verres 50fs  275fs, 00

Ø  19                     

Ø  20                    

Ø  21                     

Ø  22          Payé lavage linge 4 semaines 20fs – pourboire Chireau 30fs  50fs, 00

Ø  23          Payé popote 12 repas à 15fs = 180fs + verres 50fs          230fs, 00

Ø  24                    

Ø  25          Apéritifs mess sous-officiers avec capitaine 104 10fs + apéritifs soir 13fs           23fs, 00

Ø  26                    

Ø  27          Donné au coiffeur      5fs, 00

Ø  28          Journaux        1f, 00

Ø  29          Donné au maréchal 5fs – journaux 1f           6fs, 00

Ø  30          Journaux        1f, 00

Ø  31          Apéritifs et verres pendant la semaine     

  TOTAL           1344fs, 00

 

Avril 1940 : Charency - Vezin - Murvaux – Les prisonniers espagnols – le lâcher de tracts

Lundi 1er avril

À Charency-Vezin.

 

Ce matin, il y a de la gelée blanche, mais la journée s'annonce belle et dès 7h le soleil brille. Par un beau temps pareil le travail pour les hommes est beaucoup moins pénible ; de plus la terre ayant bien séché, ils ne pataugent plus dans la boue.

 

À onze heures, nous avons la visite du lieutenant Poirrier venu à la Cie pour payer la solde du mois de mars aux sergents à solde mensuelle ainsi qu'à moi. Le toubib Provost l'accompagne.

J'apprends que Le Caun est rentré hier soir et qu'il a rapporté comme tuyau que l'accord ne règne pas au ministère.

P. Reynaud serait d'avis qu'il faudrait attaquer alors que Gamelin est d'avis opposé, ne voulant pas sacrifier un million d'hommes pour un succès problématique. Il serait question de confier la présidence au général Weygand; si cela se réalisait ce serait certainement la grande tuerie à brève échéance.

Enfin, il n'y a qu'à attendre.

 

Je retourne au chantier cet après-midi.

Le génie espère pouvoir commencer à couler le block jeudi prochain. La 2ème Cie vient également travailler au même block, mais elle a eu repos toute la semaine dernière, alors que la 3ème malgré le mauvais temps a dû travailler tous les jours.

Par le beau temps dont nous avons profité toute la journée, nombreux ont été les avions qui ont survolé la région.

Mardi 2 avril

Ce matin le ciel est couvert.

La matinée se passe sans eau, mais vers 11h ½, la pluie se met à tomber et après une interruption de 13h à 15h, elle reprend dans la soirée, aussi les hommes ne sont pas heureux à travailler dans la boue.

Quel vilain temps tout de même ; après une belle journée c’est la pluie pour le lendemain.

 

Le commandant Lecacheur a dû rentrer de permission cette nuit. Le Col. était rentré de la nuit précédente. Le capitaine Labbé doit partir incessamment ; Mongaurin partira le 7 et moi seulement le 21.

Enfin cela approche petit à petit, mais tout de même ce tour de départ en permission n’a pas été établi d’une façon très juste et je ne manquerai pas de la dire tant au commandant Lecacheur qu’au colonel.

 

Aujourd’hui, un ou 2 avions qui, ce matin, ont survolé la région, l’activité de l’aviation a été tout à fait restreinte.

Comme de coutume, rien de bien saillant à signaler, car on ne peut guère se rendre compte que la guerre existe et pourtant si cela devait se mettre à barder la période de tranquillité dont nous jouissons devrait approcher de sa fin ; mais il est certain que des 2 côtés on hésite à tenter la grande aventure et c’est peut-être bien ainsi (mais alors la guerre sera longue, très longue !!!)

Le sergent Moriel a repris sa mauvaise habitude de boire ; s’il continue, il lui arrivera certainement un pépin.

C’est dommage car à jeun, c’est un brave type.

Mercredi 3 avril

Ce matin, le temps est toujours brumeux et le travail au block 50 est vraiment pénible, car tout autour, c’est un véritable lac de boue.

Dans le courant de la matinée, 2 hommes de la compagnie ont eu leur toile de tente imperméable volée à la ferme de la Presle où ils vont chercher en wagonnets les matériaux destinés au bétonnage : ce sont sûrement des hommes du 13ème R.A.C. qui logent à la ferme qui les ont fait disparaître.

Il est tout de même triste de trouver des gens d’une telle mentalité.

 

Cet après-midi, je vais au chantier et j’apprends qu’un des imperméables volés a été retrouvé dans un sac à avoine ; je fais appeler le maréchal des logis chef et lui annonce que si le 2ème imperméable n’est pas retrouvé demain matin, je ferai un rapport sur ces faits.

 

Dans la soirée, le lieutenant Richard rentre à la compagnie, le capitaine Bonis étant de retour de permission et reprenant le commandement de la 8ème compagnie.

Le capitaine Labbé doit partir ce soir et le toubib Provost demain.

 

Ce midi, je suis allé avec le lieutenant Perdrian manger à Épiez à la popote où sont le lieutenant de Saint Victor et le major Josseran. Le lieutenant Perdrian part lui aussi ce soir en permission.

Il y aurait paraît-il un cas de rougeole au [..(*)] à Épiez et on peut craindre que les cantonnements ne soient consignés. Si réellement cela était, je n’aurais pas de chance.

 

(*) : Illisible.

 Jeudi 4 avril

Ce matin, on commence à couler le block.

Départ du cantonnement à 5h45 pour arriver sur le chantier à 6h.

 

Jusqu’à 9h, le temps se maintient à peu près, mais la pluie recommence, ce n’est vraiment pas de chance car le travail est bien plus pénible que s’il faisait beau. Le ciment colle aux effets qui sont dans un bien triste état.

Malgré tout le travail avance rapidement et le lieutenant du génie est satisfait du travail de la compagnie.

La 3ème compagnie a d’ailleurs la réputation de fournir la meilleure quantité. Le capitaine du génie 121/1 sous la direction duquel nous travaillons avant, nous avait d’ailleurs recommandés au capitaine Godine lui disant textuellement :

« Si vous n’avez besoin que d’une compagnie, prenez la 3ème et ayez soin de la garder à votre disposition. »

 

C’est ce qui explique pour quelle raison la 2ème compagnie qui est cantonnée à saint Jean (camp) vient depuis hier travailler tout près d’ici entre Vezin et Flabeuville, ce qui fait au moins 5 km à faire aux hommes alors que normalement ils auraient moins loin à aller au Block 50, mais le génie 152/1 n’a pas voulu nous lâcher.

La compagnie est relevée à midi par la 1ère qui arrive avec un peu de retard.

 

Tout l’après-midi, la pluie ne cesse pas de tomber, espérons qu’elle va cesser au cours de la nuit.

J’expédie ce soir un colis à Picauville (2 caleçons, cache-nez…) qui ne m’ont plus d’aucune utilité.

Vendredi 5 avril

Cette nuit, la compagnie est partie au travail à minuit et est revenue à 6h ½.

Le lieutenant Richard l’a accompagnée. Le temps a encore été mauvais et la pluie est tombée surtout vers 3 heures.

Ce matin encore, il pleut. Nous n’avons décidemment pas de chance pour couler de block 50. Malgré tout, les hommes travaillent très bien et donnent à ce point de vue toute satisfaction.

 

Cet après-midi, il va falloir repartir à 5h ½ pour travailler de 18h à 24h.

Hier en revenant du chantier ayant glissé avec mes bottes en descendant un talus, je suis tombé et me suis fait mal à la jambe, le tibia ayant porté durement sur un caillou. Ce matin j’ai la jambe bleue et j’en souffre un peu à marcher, enfin j’espère que cela ne sera rien.

Alors que je suis à la popote, vers 17h, je suis appelé au téléphone par le commandant Lecacheur. Ce dernier me propose de me faire partir en permission un peu plus tôt, peut-être dès dimanche.

Bien que cela contrarie mes projets et m’obligerait à passer par Le Havre, j’accepte car avec la situation actuelle, il vaut mieux tenir que d’attendre.

D’autre part, je suis persuadé que cette proposition n’est pas faite dans le seul but de me faire plaisir mais tout simplement pour éviter au lieutenant Le Cam de venir me remplacer, c’est que le lieutenant Richard qui en ce moment est avec moi a reçu aujourd’hui l’avis qu’il doit être mis en route le 17 avril pour rejoindre Besançon (chef-lieu de sa région) puisqu’il est de Delle.

 Richard qui aura 54 ans le 18 avril doit quitter la zone des armées mais ne sera démobilisé qu’un an après, à ce qu’il paraît.

Samedi 6 avril

Ce matin, je vais à Morville voir le commandant Lecacheur et lui porter les propositions pour nominations (adjudants, sergents et caporaux) et insister particulièrement sur la proposition concernant Touzé afin qu’il soit nommé caporal mais avec le colonel Redasse il n’aurait que peu de chances car ce colonel veut que pour être nommé caporal on suive un cours d’élève-caporal.

D’après le commandant, je partirais en permission demain ou après-demain à mon avis ce n’est pas encore certain.

 

Le F.M. de la compagnie vont au camp de Saint Jean pour essayer les fusils mitrailleurs ; celui qui est revenu de l’armurerie pour réparation ne marche pas mieux, l’éjection des douilles se faisant mal ; on devra le renvoyer pour qu’il soit réparé.

Je reviens au block 50 avec le commandant et Le Cam.

La compagnie n’est au travail que depuis 12h.

Comme il n’a pas plu depuis 12h, le sol est un peu moins boueux. Le block est presque coulé à 18h. Il ne reste plus qu’à niveler le sommet, ce qui va être fait par une équipe du génie.

Dimanche 7 avril

Ce matin, il fait frais, depuis hier après-midi le vent est reparti à l’est, le ciel est très clair et on peut prévoir une belle journée.

Par ce beau temps, l’aviation se montre plus active et vers 10h, 5 appareils allemands survolent la région ; la D.C.A. tire mais sans résultat.

Toute la journée nombreux sont les avions qui se promènent mais toujours sans lâcher de bombes si bien qu’on ne risque pas grand-chose à part les éclats des obus de D.C.A.

 

Ce midi, j’offre 25 bouteilles de mousseux à la compagnie (1 pour 4) pour la récompenser du travail fourni cette semaine.

 

Cet après-midi, je vais, avec le lieutenant Richard, voir un match de football entre 2 équipes du 104, sur la route d’Épiez.

À la 5ème compagnie à Épiez, il y a un cas de rubéole et il est recommandé aux hommes de ne pas y aller, car si l’épidémie gagnait Vezin, la localité serait consignée et les permissions suspendues.

 

Ce soir, il y a des hommes ivres à la compagnie, entre autres Chérie Baumgartur, ce dernier cause même du scandale dans le cantonnement et oblige le sergent de jour à intervenir.

Drôle de mentalité !

Ne penser qu’à boire !

Après tout trouvent-ils dans la boisson, un remède à leurs maux.

Lundi 8 avril

Ce matin, le temps est beau et le soleil brille, mais à 9h, le ciel est nuageux : la belle journée d’hier ne va pas avoir de lendemain et en effet dès 11h, il commence à pleuvoir et la pluie augmente rapidement si bien que le sol est vite boueux.

Avec le temps couvert l’aviation est beaucoup moins active qu’hier.

Le sergent-chef Bonnard, rentré de permission ce matin nous quitte demain matin pour aller rejoindre la compagnie radiogonio d’armée, le 51/2 à Olizy.

Ce Bonnard est vicaire à Granville et comme tous les curés il a trouvé le moyen de s’embusquer quelque part ; il part à Olizy en attendant d’être affecté au G.Q.G.

La collecte pour la caisse de secours du régiment produit la somme de 38,45F qui sera versée à l’officier de détails.

 

Cet après-midi, visite préparatoire à la vaccination pour ceux qui n’ont pas été vacciné et vaccination demain matin.

Le temps est loin d’être aussi beau qu’hier et la pluie se remet à tomber dès midi. Il ne peut faire 2 jours de suite beau.

L’aviation aujourd’hui encore s’est montrée assez active malgré le temps plutôt couvert. Il est probable que d’ici très peu de temps les évènements vont se précipiter.

Pourvu que je puisse partir en permission !

C’est ce que je demande d’abord, après advienne que pourra. Je crois bien que ma permission ne me soit accordée que pour le 21 avril.

Mardi 9 avril

Suppression des permissions, ordre arrivé à 18h05.

 

Ce matin, le ciel est encore couvert mais il ne pleut pas.

La matinée est employée à la vaccination (40 vaccinés). La compagnie (36 hommes) va au travail cet après-midi au block 50 (récupération des matériaux inutilisés de 12h à 17h1/2.

Par la T.S.F. nous apprenons que les Allemands ont envahi le Danemark et occupé Copenhague.

D’autres troupes allemandes sont débarquées et ont occupé différents ports au sud de la Norvège. Ce dernier pays ainsi que la Suède ont décrété la mobilisation générale. Maintenant il est fort probable que les évènements vont se précipiter et que dans les jours qui vont suivre nous allons assister à des faits importants.

À l’heure actuelle, la Hollande et la Belgique doivent tendre le dos, se demandant ce qu’un proche avenir leur réserve.

 

À 17h ¼, le planton au central téléphonique vient m’apporter un message m’annonçant la suppression de toutes les permissions aussi bien exceptionnelles que de détente ; aussi 3 hommes de la compagnie (les caporaux Flambard et Augé et le soldat Durier qui avaient déjà leur permission en poche et étaient prêts à partir, doivent rester à Vezin).

Pour ma part je ne suis pas chanceux car je ne puis maintenant m’attendre à partir ce 21 avril. Je me demande si les hommes actuellement en permission vont être rappelés. Il est probable qu’un corps expéditionnaire franco-anglais va partir incessamment pour la Norvège.

Mercredi 10 avril

Ce matin la T.S.F. nous apprend qu’une grande bataille navale est en cours à l’ouest des côtes norvégiennes. Il faut espérer que l’Allemagne va essuyer là son premier échec sérieux.

Le temps ce matin est toujours froid et des flocons de neige volent dans l’air.

La 2ème compagnie se trouvait au camp de Marville doit faire mouvement aujourd’hui et d’après les bruits qui courent nous ne serions plus longtemps à Vezin, l’Armée ayant besoin des cantonnements dont nous disposons pour loger dans cette région de nouvelles troupes d’active.

 

Cet après-midi, le temps s’est sérieusement amélioré et il fait même chaud. Les sauts brusques de températures sont d’ailleurs d’après les gens du pays très fréquents ; ainsi en a-t-il été aujourd’hui.

Des bruits courent annonçant que l’E.M. du bataillon et la 1ère compagnie feraient mouvement d’ici peu de temps, probablement samedi pour aller du coté de Dun. Tant qu’à nous, rien de précis et peut-être resterons nous encore à Vezin pendant quelque temps, cela d’ailleurs ne me déplairait pas.

Je vais cet après-midi au block 50 voir l’équipe de la compagnie qui y travaille à la récupération de matériaux divers.

 

Par la T.S.F. nous avons le compte rendu d’un combat naval entre 5 destroyers britanniques et 6 destroyers allemands ; 1 a été coulé de chaque côté et plusieurs autres endommagés. D’autre part les croiseurs Blücher et Karlsruhe ont été coulés par les batteries côtières norvégiennes.

Jeudi 11 avril

Cette nuit, il a gelé blanc et ce matin le ciel clair permet de présager une belle journée.

Les journaux ce matin annoncent la perte de plusieurs croiseurs allemands et anglais mais pour avoir des certitudes sur le résultat de la grande bataille navale engagée à l’ouest de la Norvège, il faut attendre plusieurs jours. Il y a tout lieu d’espérer que cette fois l’entreprise allemande va essuyer un rude échec.

Cette matinée le temps reste froid et le vent qui souffle assez violemment du N.E. n’est pas chaud.

 

Dans la matinée, je vais au chantier où la compagnie travaille avec le génie à la récupération de matériaux divers. Je pénètre dans le block où l’atmosphère est semblable à celle d’un four (il y fait certainement plus de 40°).

Cette chaleur est produite par la prise du ciment.

 

Vers 11 heures, alors que je suis de retour à Vezin, nous avons la visite de Poirrier venu pour payer la solde du lieutenant Richard. Poirrier nous apporte le tuyau suivant : nous devons quitter Vezin pour aller à Murvaux lundi prochain, mais comme il n’y a rien d’officiel je reste encore sceptique.

 

Cet après-midi, vers 15h, je reçois un mot du commandant Lecacheur pour que je charge dans les voitures des caisses de munitions et des vivres de réserve pour un déplacement à brève échéance.

 

À 17h, alerte.

Les régiments de la région doivent se tenir en état d’alerte et être prêt soit à partir, soit à aller sur leurs positions de défense. On craint une attaque brusquée des Allemands sur la Hollande, la Belgique et le Luxembourg.

Vendredi 12 avril

Cette nuit, la circulation routière a été excessivement active. Je ne suis pas sûr que pour prévenir une attaque allemande sur la Hollande & la Belgique, on ne prenne cette fois les devants et que nos troupes ne passent sur le territoire belge.

La nuit se passe sans alerte nous concernant.

 

Ce matin, il a encore gelé blanc, mais le ciel est couvert et laisse prévoir des giboulées. Nous voilà bientôt arrivés à la mi-avril et il ne fait pas chaud, c’est à se demander si les beaux jours viendront.

Dans la matinée, nous avons la visite du Commandant Lecacheur qui nous annonce notre départ de Vezin pour lundi prochain 15. Nous devons aller cantonner à Murvaux où se trouve l’EM du 3e Bon (Capitaine Lobut) et être employés à des travaux moins pénibles.

La 5e Cie resterait à Épiez jusqu’à la fin du mois, il en serait de même pour la 8e à Colmey.

Pour ma part j’aurais été heureux de rester à Vezin où nous ne sommes pas trop mal, car je suis persuadé que le cantonnement de Murvaux ne vaudra pas celui de Vezin.

 

Mauvais temps toute la journée.

Dans la matinée des flocons de neige volent et dans l’après-midi une pluie froide ne cesse pas de tomber. C’est à désespérer de voir, un jour, le beau soleil.

La TSF d’aujourd’hui n’annonce pas de grand nouveau. On ne sait pas bien encore comment vont tourner les évènements de Norvège. Par ailleurs des concentrations de troupes allemandes en face de la ligne Maginot laissent supposer une tentative de l’ennemi de ce côté en même temps que sur les frontières belge, hollandaise & luxembourgeoise.

Je pense toutefois que nous ne tarderons pas à être fixés.

Samedi 13 avril

Comme nous devons quitter Vezin lundi matin, la Cie ne va pas au travail.

Cette matinée nous récupérons les bottes en caoutchouc qui nous avaient été prêtées par le génie 41/1 pour les rendre à Villers-le-Rond.

Il faut que je m’occupe de faire venir le maréchal-ferrant pour ferrer les chevaux (2 sont déferrés et les conducteurs ne me préviennent que ce matin).

Le temps est toujours maussade & assez froid mais du moins il ne tombe rien.

 

Cet après-midi, je vais chez le maire pour qu’il me délivre un certificat de bien vivre pour la Cie, il me le promet pour lundi matin. Le maréchal vient avec le vaguemestre du 2e Bon à 15h ½ et remédie à la ferrure des chevaux.

Rien de nouveau dans le courant de l’après-midi.

 

Ce soir, en prévision de notre départ proche, nous acquittons le Lt Richard & moi notre dû à la popote (173f pour moi).

À partir de 10h, alors que je suis couché depuis plus d’une heure, j’entends de nombreux avions passer et la DCA qui donne sans arrêt.

 

À 3h ½, un planton du 132e vient chez Mr Jacquemin pour annoncer au Capitaine Bodenan qui couche dans la même maison que moi que l’on doit se trouver en état d’alerte n°2.

Le lieutenant de St Victor qui se trouve à Épiez me fait savoir qu’il déménage pour repasser sur la rive gauche de la Chiers. Pour ma part n’ayant pas d’ordre je me contente de faire monter les sacs afin que nous puissions partir dans le plus bref délai.

Je fais également charger la 2e voiture de Cie et après je n’ai plus qu’à attendre les évènements.

Dimanche 14 avril

Les nouvelles les plus contradictoires circulent, l’attaque de la Belgique par l’Allemagne serait chose faite et des troupes françaises seraient déjà en Belgique ; mais il est fort à parier que presque toutes les nouvelles qui circulent ainsi sont des bobards.

 

De bonne heure ce matin, j’envoie un cycliste au commandant à Marville pour provoquer des ordres, il revient vers 8h ½ et je n’ai qu’à attendre les ordres.

Le 104 et le 132 ont pris dès 6 heures ce matin leurs positions de combat.

Cette alerte tombe bien mal aujourd’hui car il fait un temps exécrable. Une pluie froide & serrée ne cesse pas de tomber.

 

À 10h, nous avons la visite du Cdt Lecacheur. Pour nous rien de changé, nous devons attendre des ordres, et la Cdt nous emmène à Marville (Richard & moi) manger à la popote.

À la fin du repas, le Cdt reçoit un message du colonel lui indiquant que la 1e Cie et l’EM du Bon font mouvement demain pour aller cantonner à Lion-devant-Dun. Le lendemain ce sera au tour de la 3e Cie et nous irons comme prévu à Murvaux.

 

Une heure après, le lieutenant du train-auto arrive à Marville pour prendre les dispositions pour l’embarquement de la 1e Cie ; il vient ensuite à Vezin s’entendre avec nous pour l’embarquement de la 3e Cie le 16.

Toute la journée, les éléments du 104 et du 132 sont restés sur leurs positions, sans aucun abri aussi sont-ils trempés et couverts de boue.

D’après les informations, aucune attaque allemande n’a eu lieu ni sur la Hollande ni sur la Belgique.

Lundi 15 avril

Hier soir, pour arroser un peu notre départ, je paie 2 bouteilles de champagne à la popote (52f).

La nuit se passe sans encombre.

 

Ce matin, j’ai la visite du lieutenant de St Victor Cdt la 5e Cie qui a reçu l’ordre de rester à Villers-le-Rond. Il a eu hier après-midi la visite du Cdt de Mangoux du 2e Bon et il s’est fait emballer pour avoir évacué sans ordre Épiez, bien qu’il y a quelques jours ce Cdt leur ait donné l’ordre de se replier et de passer la Chiers dès que le 104e aurait été alerté afin de ne pas risquer de rester sur la rive droite de la Chiers après que le génie aurait fait sauter le pont.

Et maintenant voilà de St Victor ennuyé, il est vrai qu’il s’en moque, car il doit rentrer à l’intérieur le 24 avril.

 

Le temps est toujours froid et le vent très fort mais cette matinée du moins il ne pleut pas.

La journée est employé aux préparatifs de départ, il nous faut rendre les 2 poêles reçus du major de cantonnement, mais comme le 104 est parti, nous devons nous adresser au maire.

 

Dans la soirée, le temps qui s’était à peu près maintenu dans la journée se remet encore une fois à la pluie et je plains tous ceux qui vu l’état d’alerte vont être obligés de passer la nuit dehors.

Le plus ennuyeux pour moi, c’est qu’avec cette alerte les permissions sont toujours suspendues.

 

La soirée se passe à donner des ordres pour demain matin.

Mardi 16 avril - Murvaux

La Cie fait mouvement et va cantonner à Murvaux.

 

Lever ce matin à 5h45 et je suis dehors dès 6h ¼.

Il faut en effet faire préparer les hommes pour qu’ils soient prêts à partir pour 8h ½.

 

Je vais à 8h chez l’adjoint afin qu’il fasse avec moi le tour des cantonnements pour qu’il s’assure de leur état de propreté.

Les s/s officiers chefs de section (Yon & Duval surtout) n’ont pas fait nettoyer leurs cantonnements pour l’heure prescrite ; décidemment au point de vue s/s off je suis bien mal partagé à la Cie.

Le meilleur serait Novice qui malheureusement prend de bonnes cuites de temps en temps.

 

Les camions arrivent à 8h ¼ (¼ d’heure en avance) et nous démarrons à 9h ½. En allant, l’officier du train qui nous emporte Richard & moi, passé par Bréhéville pour y laisser Richard qui, ce jour est invité à manger à la popote du colonel, c’est que Richard part demain pour retourner dans sa région d’origine, atteint qu’il est par la limite d’âge (54 pour les lieutenants), il aura ses 54 ans le 18 avril et il part demain.

 

Arrivée à Murvaux à 10h ½. Installation de la Cie dans les cantonnements qui ont été préparés par la 12e Cie ; cantonnements assez bons.

À l’arrivée, je trouve le Cdt Lecacheur qui passait par Murvaux pour aller manger avec le colonel.

 

Ce midi, je fais connaissance avec les capitaines Lobut & Letondot, les lieutenants Ferret, Loiseau, Letod, le toubib Besuard, tous du 3e Bon.

De nouveau, la pluie recommence cet après-midi. Murvaux est un petit pays à 4km de Dun. Comme dans tous les villages de la Meuse, les tas de fumier devant les portes bordent la route.

 

Ce soir, le lieutenant Richard qui va passer la nuit dans la même maison que moi, mange pour la dernière fois avec nous, il part en auto demain matin, à 4h, pour prendre le train de 5 heures à Longuyon.

Mercredi 17 avril

Départ du lieutenant Richard à 4 heures ce matin. Ce lieutenant, véritable colosse est un très brave homme, et nous nous entendions très bien ensemble, aussi je regrette son départ.

Parmi les officiers arrivés récemment en renfort au régiment, il y aurait le lieutenant Leconte ex-instituteur au Hommet d’Arthenay : il aurait été affecté à la 6e Cie.

 

Le mauvais temps continu, la pluie ne cesse pas de tomber et il ne fait pas chaud.

La journée est employée à l’aménagement des cantonnements, au nettoyage de leurs abords, à la confection des râteliers d’armes, à l’installation des feuillées. Il faut que je fasse le compte-rendu de l’installation du cantonnement, que je m’occupe du bois pour la roulante, ce qui est assez difficile à trouver etc. etc.

La Cie doit travailler demain.

Jeudi 18 avril

La Cie part au travail ce matin à 7h sous la direction du 8e génie Cie 802/2 ; elle va être employée avec la 1e Cie à creuser des tranchées pour la pose des câbles souterrains.

Le chantier actuel est assez éloigné environ 10 km aussi le transport des hommes se fait par camion.

 

Départ de Murvaux à 7h et retour vers 17h ½, le repas du midi étant pris sur place.

Le temps ce matin est un peu moins mauvais qu’hier, le ciel est couvert mais du moins il ne pleut pas, ce qui est le principal.

Je m’attendais cet après-midi à ce que le lieutenant du génie vienne me chercher ainsi que Launay à Lion pour que nous allions voir les travaux que les 2 compagnies ont à exécuter, mais mon attente est vaine. Il est vrai que cet après-midi ; le temps s’est remis à la pluie qui tombe par averses violentes.

Le mois d’avril, s’il continue à être aussi mauvais ne se fera pas regretter.

 

Hier, pour la première fois cette année j’ai aperçu une hirondelle ; des hommes paraît-il en avaient déjà vu il y a quelques jours à Vezin. Puissent ces gentils oiseaux nous amener le beau temps.

La Cie rentre du travail à 16h ½ car la pluie les a fait partir un peu plus tôt du chantier.

Les permissions ne sont toujours pas rétablies et comme d’après la TSF de fortes menaces pèsent sur les Balkans, la Suisse, la Belgique & l’Allemagne, il y a des chances qu’elles ne soient pas rétablies de sitôt.

Vendredi 19 avril

Ce matin, la pluie a cessé mais le vent souffle fort aussi il est à craindre que lorsque le vent va cesser la pluie recommencera.

Départ de la Cie à 7h pour le travail. La Cie travaille toujours entre Mouzay et Baâlon à creuser des tranchées devant servir à la pose de câbles souterrains.

Le lieutenant du génie qui devait me prendre hier après-midi pour aller sur le chantier avec Launay n’est pas venu aussi je ne suis pas encore allé voir la Cie au travail, ce sera pour demain s’il fait beau.

Je ferai la route à bicyclette (il y a au moins 15 km).

 

Ce soir on demande les volontaires parmi les officiers pour aller dans des EM (*) (pour ma part je ne demanderai rien, je laisserai aller).

Ici à Murvaux, le long de la Côte St Germain, il y a quelques vignobles bien exposés et le vin de la région est connu sous le nom de vin de Lissey ; c’est parait-il un petit vin sec, assez agréable.

Murvaux a été le théâtre en 1914 d’un assez vif combat, un civil a été fusillé par les Allemands et dans toute la région on retrouve les vestiges de la guerre (obus non éclatés, balles allemandes, grenades etc….).

Ce pays de Murvaux est à 6 km de Dun-s/s-Meuse et a environ 280 habitants. Comme dans tous les pays de la Meuse les tas de fumier bordent la route et se trouvent devant les habitations.

Malgré la présence continuelle de soldats, les habitants y sont assez aimables. Bien peu d’entre eux sont partis. Aujourd’hui le maire a fait procéder à la distribution des masques à gaz pour la population civile.

 

(*) : État-major

Samedi 20 avril

Cette nuit à partir de 3h, des avions allemands sont venus survoler la région et les tirs de la DCA n’ont pas cessé de se faire entendre jusqu’à ce matin.

Dans la matinée de nombreux avions circulent laissant derrière eux une longue trainée blanche. La plupart sont des avions ennemis et la DCA se fait entendre de temps à autre.

Le lieutenant du génie vient me chercher vers 9h ½ avec Launay pour aller faire un tour sur le chantier. La Cie travaille le long de la route entre Mouzay & Baâlon, en bordure d’un bois. En creusant le sol, les hommes retrouvent des vestiges de l’occupation allemande (casques, obus, cartouches etc.).

 

Le temps aujourd’hui est superbe ; il fait même très chaud pour la saison, aussi la poussière vole-t-elle déjà sur les routes, si cette température continue quelques jours les bois vont verdir rapidement. C’est sûrement à cause de ce temps superbe que l’aviation se montre plus active.

La situation internationale s’embrouille de plus en plus et on se demande quel pays va maintenant faire les frais de l’espace vital allemand.

Les gens du pays commencent à travailler aux champs (buttage des vignes, ensemencements en avoine etc…). Puissent-ils récolter paisiblement le fruit de leur travail !

Avec le beau temps nous allons avoir des ennuis différents de ceux que nous avions eus en hiver. Il faudra maintenant que les hommes allant au travail emportent leurs armes & leurs masques, qu’au cantonnement les FM soient en position du matin au soir etc….etc.

Dimanche 21 avril

Le temps se maintient au beau.

Cette nuit il a fait un clair de lune superbe, aussi les avions se sont promenés et la DCA a tiré.

 

Ce matin, le temps est superbe et la chaleur est même déjà accablante. Dans ces régions de l’Est les variations de température sont aussi subites que très accentuées (caractère des climats continentaux). Maintenant on va souffrir de la chaleur, après avoir souffert du froid.

Continuellement des avions circulent, le bruit des moteurs ne cesse pas, mais presque toujours il est impossible de voir les appareils tant ils sont hauts.

 

Cet après-midi, je vais assister à un match de foot-ball entre la 12e Cie & la 11e, cette dernière l’emporte par 8 buts à 1.

À cette occasion le Capitaine Lobut invite les Cdt de Cie du 3e Bon (Biais, d’Andréa & Camus) ainsi que Loiseau, ce qui permet de faire connaissance avec eux, car je n’avais pas encore eu l’occasion de voir certains d’entre eux.

 

La soirée est superbe, malheureusement il y a encore dans le cantonnement quelques hommes ivres. À la 3e Cie, tout est à peu près calme, mais à la 12e Cie et à l’EM du Bon, il n’en est pas de même.

D’après renseignements fournis par le lieutenant Staub qui est venu représenter le colonel au match de foot-ball, les permissions doivent reprendre le 5 ; s’il en est ainsi je vais demander à partir le 2 mai de façon à pouvoir aller au Havre avec Berthe le dimanche & le lundi de Pentecôte.

Lundi 22 avril

Cette nuit nous avons eu de nouveau la visite d’avions allemands et la DCA a tiré pendant longtemps.

Le temps est excessivement favorable à l’aviation ; il fait un magnifique clair de lune et le temps est superbe. Maintenant nous allons nous plaindre de la chaleur et les hommes ne vont pas avoir froid à travailler.

 

Ce midi, le commandant Lecacheur vient à Murvaux au bureau du 3e Bon pour une affaire de pertes d’effets militaires. Un homme de la 12e Cie a, en revenant de permission, perdu sa capote son masque, son ceinturon qui lui ont été dérobés dans le train.

Le colonel Redasse le fait traduire devant le tribunal militaire (nouvelle appellation du conseil de guerre d’antan). Ce colonel y va tout de même un peu fort et la faute de cet homme ne mérite tout de même pas pareille sanction.

Le Cdt Lecacheur reste à diner avec nous et va ensuite à Bréhéville voir le Colonel.

 

Cet après-midi, les caporaux de la Cie, avec le sergent Anne montent sur la colline au S.E. de Murvaux pour faire un peu d’exercice (préparation au cours d’élèves s/s officiers). Sur la hauteur je cueille quelques fleurs (genres d’anémones aux fleurs bleues ou plutôt violettes). Ces fleurs pullulent sur la crête.

Dans les bois il y a également du muguet, mais il aura bien du mal à être fleuri pour le 1er mai.

Rien de sensationnel à signaler.

Mardi 23 avril

Ce matin, le ciel est un peu couvert, mais malgré tout, le temps reste au beau.

Comme le répète souvent le communiqué, rien d’important à signaler. L’aviation reste toujours très active mais toute cette activité aérienne a lieu jusqu’ici sans dommage.

 

Ce midi, je vais manger à Lion avec le Cdt Lecacheur et la popote ; je retrouve Launay, Provost, Le Cann et Poirrier. À Lion on est plus tranquilles qu’à Murvaux, c’est qu’à Lion on ne voit pas passer comme ici maints officiers supérieurs, mais comme cantonnements les deux pays se valent.

Comme dans toutes les localités meusiennes, les tas de fumiers bordent la rue.

Ici dans le secteur de la Cie j’ai fait nettoyer toute la rue qui est balayée chaque matin, les indigènes du pays disent qu’aucune troupe n’a fait pareil travail.

Dans la matinée, je vois Célestin Marie de St André, il est conducteur à la 12e Cie et en ce moment travaille pour des cultivateurs de Murvaux, les aidant à labourer. Conduisant des chevaux, il est à son affaire.

 

Cet après-midi, je vois aussi Marcel Bellamy du Hommet qui lui aussi est à la 12e Cie, il vient de rentrer de permission et me donne quelques nouvelles du Hommet. Le fils Huault n’est toujours pas mobilisé, ainsi que Maurice Hebert deschamps au Losque. Gustave Desouvises doit se trouver du côté de Montmédy.

 

Ce soir, à 16h ½ la 3e Cie joue au foot-ball contre la 12e (incomplète). Résultat : 3 à 2 en notre faveur.

Mercredi 24 avril

Ce matin comme hier soir, le temps est orageux et laisse prévoir la pluie.

 

Hier soir, au 3ème bataillon, le capitaine Lobut a reçu l’ordre de se tenir prêt à aller bivouaquer dans les bois voisins et cela sur un préavis de 3 heures ; cela pour laisser le village de Murvaux libre pour le cantonnement de troupes de passage.

Ainsi donc, il faut nous attendre à déménager d’un moment à l’autre, c’est vraiment des « emmerdements continuels » et dans ce métier on n’est pas un jour tranquille.

Les permissions de détente doivent reprendre à partir de demain mais seulement à raison d’un par compagnie aussi si le nombre de partants n’est pas augmenté, il y en a encore pour 50 jours avant la fin du 2ème tour.

Pour ma part je ne sais quand je pourrai partir, j’espère que ce sera pour le 2 mai.

 

Ce midi, je vois Auguste Lecocq de Saint André ; il n’est plus à la 5ème compagnie mais à l’E.M. du bataillon où il est employé au ravitaillement.

 

Cet après-midi, le temps est toujours orageux et la pluie se met à tomber vers 4h ½ et dans la soirée, il pleut à verse.

J’apprends par le motocycliste qui va au colonel que ce dernier accepte de me faire partir en permission le 2 mai, ainsi, donc, dans 7 jours je serai bien près de partir. Les permissions reprennent demain mais à une cadence tout à fait réduite (1 homme par jour et par compagnie).

Il faut espérer que cela va s’accélérer car alors le 2ème tour ne serait pas près d’être fini.

Jeudi 25 avril

Cette nuit, la pluie est tombée en très fortes averses et ce matin, elle continue et avec la pluie la température a considérablement baissé, c’est vraiment du bien mauvais temps, les hommes ne vont pas encore avoir beau temps pour travailler.

Maintenant la compagnie peut recevoir d’un moment à l’autre l’ordre d’évacuer Murvaux et d’aller bivouaquer dans les bois situés sur les collines au S.E. de Murvaux. Il faut donc que la compagnie prépare dans ces bois des emplacements de bivouac et cette matinée, je vais donc avec le capitaine Letondot reconnaître les emplacements.

La 3ème compagnie devra bivouaquer en cas d’alerte dans le bois du Fayel, exactement au sud de Murvaux. Il va donc falloir aménager rapidement quelques abris et pour ce faire, on va utiliser des claies laissées par les hommes des chars.

 

J’apprends, cet après-midi, que le capitaine Lebut qui commande le 3ème bataillon et qui part en permission demain va être remplacé par le capitaine Labbé. Décidemment Labbé est de bonne composition, car après s’être vu enlever le commandement du 1er bataillon, il accepte et cela de gaité de cœur de faire les remplacements de chef de bataillon.

Sur la route de Murvaux à Brandeville dans des baraquements en bois, se trouve une compagnie du 34ème régiment de travailleurs où il y a un lieutenant Bien, instituteur dans le civil.

Ce lieutenant part ce matin pour être affecté à un camp international. Dans le civil il paraît que Bien était un communiste notoire.

Vendredi 26 avril – Les prisonniers espagnols – le lâcher de tracts

Le temps ce matin est toujours maussade et la pluie tombe en crachin.

Les nouvelles de Norvège ne sont pas très bonnes car les Anglais avouent un recul au nord d’Oslo. Des renforts français sont arrivés en Norvège (chasseurs alpins, il y aurait paraît-il également une partie du 208ème et en particulier le bataillon qui était resté dans le nord de la Manche).

 

Tout près de Murvaux dans une ferme près du bois du Fayel, se trouvait des Espagnols de l’ancienne armée républicaine ; ils sont gardés par des soldats français et vont au travail entre Murvaux et Brandeville où ils sont employés à faire 2 blocks très importants. Tous les matins et tous les soirs ces pauvres types passent par Murvaux.

Ces malheureux sont à plaindre car ils sont comme des prisonniers sans nul espoir de pouvoir un jour retourner dans leur pays. Ils sont vêtus de l’ancien uniforme français bleu horizon et ils font vraiment pitié.

 

Dans la région on a trouvé de nombreux tracts lancés par les aviateurs allemands. L’un représente quatre dessins :

1.            1347, les Bourgeois de Calais

2.           1431, la mort de Jeanne d’Arc

3.           1821, Napoléon sur son rocher à Sainte-Hélène, gardé par un soldat anglais

4.           1939, une tranchée avec un Français qui part à l’attaque pendant qu’appuyé au parapet, un Anglais ricane et dit « Allons, camarades, en avant ».

Samedi 27 avril

Ce matin, il ne pleut pas mais le temps reste nuageux et l’atmosphère est plutôt lourde. C’est un temps superbe pour la végétation. Dans les bois qui s’étagent au flanc des collines voisines, les fuseaux verts des bouleaux se découpent nettement car ce sont les seuls arbres dont les feuilles se sont développées. Leurs fuseaux allongés sont magnifiques, ils sont élancés et très fins.

 

Dans la matinée, je vais avec le capitaine Labbé qui est venu à Murvaux remplacer le capitaine Lebut à Stenay où est casernée la 2ème compagnie.

Nous devons revenir par Baâlon afin que je puisse voir la compagnie mais finalement nous n’en avons pas le temps.

 

Demain, il doit y avoir un match de football entre la 1ère compagnie et la 12ème.

À cette occasion, le capitaine Labbé va après dîner voir le commandant Lecacheur pour l’inviter à manger demain midi, mais le commandant refuse, c’est que depuis plusieurs jours cela ne va pas tout droit au 1er bataillon et le commandant a flanqué hier soir 4 jours d’arrêt à Poirrier qui, parti hier midi pour Verdun afin de faire quelques achats pour le bataillon n’est rentré qu’à 11h du soir.

 

L’autre jour il paraît qu’à la popote Poirrier et Pourvost (?) ont failli se battre.

Ce Poirrier est un drôle de type qui ne fait pas son travail d’officier de détails et si, très souvent nous ne touchons pas ce à quoi nous avons droit, c’est tout simplement de sa faute. Sous ce rapport nous sommes bien mal servis au 1er bataillon.

D’ailleurs je pense que les comptes de ce Poirrier sont bien loin d’être en règle.

Dimanche 28 avril

Le temps semble s’être remis au beau.

 

Nous apprenons à midi que le capitaine Lobut, parti hier matin en permission vient d’être promu chef de bataillon.

C’était d’ailleurs bien son tour car il est capitaine depuis 1916. Nous n’avons pas de nouvelles pour ce qui concerne les nominations de capitaines pour lesquelles 3 propositions avaient été maintenues à l’arrivée : celles de Henry, Le Cam et Loiseau.

 

Ce midi, nous avons à la popote le capitaine Launay et le toubib Provost, c’est que cet après-midi à 2h ½ il y a à Stenay représentation du théâtre aux armées.

Presque tous les officiers vont y assister mais pour ma part je reste tranquillement à Murvaux.

 

La soirée au cantonnement se passe sans scandale, je n’ai pas vu de types saouls à ma compagnie simplement éméchés. Sous ce rapport il y a un peu de progrès.

Encore 3 jours et je serai sur le point de partir en permission.

Vivement que ces 3 jours soient passés, car en ce moment il y a toujours à craindre que de nouveaux évènements entraînent une nouvelle suspension de ces perms, tans désirées.

Lundi 29 avril

Beau temps, mais épais brouillard.

Au bureau de la compagnie j’apprends qu’un homme Hébert Ernest est manquant depuis hier soir. Il a du aller à Milly en compagnie de Chérie mais n’est pas rentré au cantonnement, aussi je le porte manquant.

 

Dans le courant de la matinée, j’apprends par Provost venu à Murvaux pour la vaccination anti-typho., que cet Hébert a été ramassé ivre mort à Milly, que son état a fait alerter 2 majors dont Besnard du 3ème bataillon et qu’en ce moment il se trouve à la mairie de Milly.

En voilà encore un que je vais être obligé de punir, mais je ne lui porterai pas de motif ivresse car il ramasserait de 7 jours de prison.

 

Dans les bois où l’on trouve à foison anémones et muguet, il fait vraiment bon se promener, les hêtres, la charmille sont maintenant verts et le muguet va être à peu près ouvert pour le 1er mai.

Le temps est très lourd cet après-midi et laisse prévoir de l’orage. Ce qu’il doit faire chaud par ici en été, car dès maintenant la chaleur est écrasante ; il est vrai toutefois qu’on n’y est pas habitué.

 

Hébert Ernest, le type qu’on a ramassé ivre près de Milly dimanche soir reste dans un état complet d’hébétude, il est toujours couché et le major Besnard va le voir dans la soirée.

Il dit avoir un commencement de congestion ; ce qui est certain c’est qu’il est bien mal en point.

Il est heureux que le bulletin d’appel le portant manquant n’ait pas été transmis au colonel car alors après enquête il aurait été traduit devant le tribunal militaire.

Mardi 30 avril

Cette nuit, il a dû tomber de l’eau quelque part car ce matin la température s’est considérablement abaissée et le vent s’est levé. Le ciel est encore très nuageux et la pluie est à craindre (il en tombe d’ailleurs quelques gouttes).

 

À 8h, je vais en bicyclette à […(*)] porter ma permission au commandant Lecacheur pour qu’il la transmette au colonel ; je demande en même temps au commandant de bien vouloir me faire transporter dans la nuit du 1er au 2 à Montmédy où je dois prendre le train qui me mènera directement à Paris à 9h37.

 

Cet après-midi, le temps est excessivement orageux… dès 15h le tonnerre gronde au loin et l’orage prévu éclate à 16h ½. L’eau tombe à torrents pendant une bonne demi-heure.

Malgré l’eau tombée, le temps reste lourd.

 

Ce soir à 18h, il y a séance de cinéma pour la compagnie. J’assiste au début. Après plusieurs vues d’actualités, le film que l’opérateur passe est « Princesse Czardas » dont je ne vois que le début. Sur toute la compagnie environ 70 hommes c’est à dire à peine près de la moitié seulement assistent à la représentation.

Je reçois ce soir ma permission signée du colonel, j’espère bien que maintenant rien ne viendra arrêter mon départ. Pendant mon absence ce sera le lieutenant Le Cam adjoint au bataillon qui commandera la compagnie.

 

(*) : Illisible.

Dépenses avril

Ø  1 avril  Apéritifs 15 F, versé pour popote 272 F     287 F

Ø  2            Versé popote 15 F     15 F

Ø  3            Apéritif bar du Soleil           6 F

Ø  4            Achat mousseux pour la compagnie 260 F

Ø  5            Apéritifs avec Corsin (8 F), journaux 1 F           9 F

Ø  6            Donné pour couronne Le Bastard 20 F    20 F

Ø  7            Apéritifs bar du Soleil 7 F, payé expédition colis Picauville 7,5 F  14,50 F

Ø  8            Cotisation caisse de secours 5 F, apéritifs 6 F     11 F

Ø  9            Journaux        1 F

Ø  10          Journaux        1 F

Ø  11           Journal 0,5 F, apéritifs et verres depuis le 1er avril 85 F           85,5 F

Ø  12          Journaux 1 F, tabac 3,6 F, bouteille vin 12,5 F       17,10 F

Ø  13          Payé popote   175 F

Ø  14          Payé 2 bouteilles champagne 52 F à la popote, journaux 1 F         53 F

Ø  15          Payé popote 26 F, donné pourboire Ravellir 20 F         46 F

Ø  16          …………………………………    ……..

Ø  17          Payé popote 2 jours 40 F + 150 F d’avance […(*)] 9 F        199 F

Ø  18          Apéritifs avec Poirrier     11 F

Ø  19          …………………………………    ……..

Ø  20          Apéritifs 6 F, cheveux 5 F, lavage linge et pourboire […(*)] 50 F  61 F

Ø  21          Versé pour la 12ème compagnie (match)     4 F

Ø  22          Apéritifs        8 F

Ø  23          Apéritifs avec Lobut 12 F  12 F

Ø  24          ……………………………………..            …….

Ø  25          Apéritifs 9 F 9 F

Ø  26          Apéritifs 9 F + 10 F  19 F

Ø  27          Payé popote 150 F, apéritifs 12 F    162 F

Ø  28          Lavage linge 4 F pourboire Chéreau 10 F 14 F

Ø  29          Journaux        1 F

Ø  30          Apéritifs sous off, puis Poirrier 32 F

  Total   1 533,10 F

 

(*) : Illisible.

Mai 1940 : Damvillers - La permission – l'attaque allemande – Le début de la débâcle - L'ivresse des hommes - fort de Moulainville – La supériorité allemande - Le duel aérien - La capitulation de l'armée belge - Les salauds de politiciens !

Mercredi 1 mai : La permission

Ce matin, la température est encore lourde et le ciel nuageux il est à craindre que l’orage revienne cet après-midi.

Depuis 8 jours l’aspect de la campagne a bien changé, les champs ont reverdi et les arbres des bois sont maintenant couverts de feuilles aussi la nature est-elle superbe.

 

Dans la matinée je vais dans le bois du Fayel voir les travaux pour aménagements de bivouac, ces travaux avancent régulièrement mais ils sont encore loin d’être terminés car pour loger une compagnie il faut au moins une quinzaine d’abris.

Étant dans le bois, je suis une allée forestière que les chars avaient empruntée et je m’engage ensuite un peu en sous-bois, mais là je m’égare et ne puis retrouver le chemin que j’avais suivi.

Je retrouve une allée forestière que je suis pendant plus de 2 km et j’arrive enfin à la lisière du bois tout près d’un petit pays à 4 km de Murvaux : Fontaine.

 

Il me faut ensuite revenir par Milly pour retrouver ensuite Murvaux où j’arrive à 12h10 après avoir parcouru plus de 10 km. Je ne suis pas près de pénétrer sous-bois sans boussole pour m’égarer.

 

La compagnie ne rentre du travail qu’à 18h si bien qu’il est impossible de la faire passer dans la chambre à gaz ainsi que j’en avais l’intention.

Demain jeudi jour de l’Ascension la compagnie devra aller au travail le matin et elle rentrera le midi pour manger et aura repos l’après-midi : la 12ème compagnie, elle, aura repos toute la journée.

Jeudi 2 mai : Paris - Carentan

À 3h ½ ce matin, Briavoine vient me chercher en auto pour me porter à Montmédy où je prends le train à 4h45 pour Paris.

Arrivé à Paris à 9h37.

Je vais chez Mr CalMé. Mme CalMé, absente depuis 15 jours est à Saint Martin et doit rentrer demain.

Très bon accueil de la part de Mr CalMé avec lequel je passe la journée.

 

Nous mangeons le midi au restaurant, l’après-midi je vais au musée Grévin, d’où je pars en taxi pour la gare Saint Lazare où je prends le train à 17h45 qui me met à Carentan à 23h02.

Ce train étant un express n’arrête pas à Chef-de-Pont aussi suis-je obligé de passer la nuit à l’hôtel à Carentan.

Aucun incident notable à signaler.

Vendredi 3 mai : Picauville

Départ de Carentan à 7h23 et arrivée à Chef-de-Pont à 7h41.

Le car de Mélis faisant le service de la poste de Picauville me transporte et à 8h je suis à la maison.

Sur le quai de la gare de Chef-de-Pont, Simone m’attendait.

La journée se passe à faire peu de chose.

Samedi 4 mai : Picauville

1er jour de ma permission.

 

J’emploie ma journée à nettoyer le massif de la cour d’honneur et les 2 bordures de la dite cour.

Je vois Mr Davarend qui lui aussi est en permission

Dimanche 5 mai : Picauville

2ème jour de ma permission.

 

La journée se passe à Cherbourg où nous allons voir nos amis et ce soir je vais à Chef-de-Pont chercher mon cher petit Alphonse (*) qui n’a pu venir qu’aujourd’hui, ainsi qu’un télégramme nous l’avait appris avant-hier.

 

(*) : Son fils.

Lundi 6 mai : Picauville

3ème jour de ma permission.

 

Je travaille un peu au jardin où je commence à butter les pommes de terre qui sont suffisamment avancées.

Le jardin est d’ailleurs en bon état. Félicitations à ma Berthe.

Mardi 7 mai : Picauville

4ème jour de ma permission.

 

Avec Alphonse, je vais en auto au Dézert voir les herbages. Vu Louis Roussel.

Nous mangeons chez la cousine Guilbert. Retour par Le Hommet où je vais chez Émile Saint puis chez Mr Madelaine. Vu Paul Hardelay qui est en permission et Mr Tapin.

Mercredi 8 mai : Picauville

5ème jour de ma permission.

 

Je passe la journée à butter les pommes de terre.

Beau temps, c’est vraiment une belle saison.

Jeudi 9 mai : Picauville, l'attaque allemande

6ème jour de ma permission.

 

Nous allons en auto à Saint-Lô où j’ai plusieurs courses et achats à faire et revenons ensuite par Saint-Clair où nous mangeons chez Villette que je vais chercher chez Mr Ménard où il était en journée.

 

Nous apprenons que le 10 mai les Allemands ont envahi la Belgique et Luxembourg le 10 mai à 4h du matin.

Vendredi 10 mai

7ème jour de ma permission et départ par suite de rappel.

 

À 7h ½ ce matin, alors que j’étais tranquillement dans la salle à manger, Mme Saint Lô arrive m’annonçant une mauvaise nouvelle.

Elle vient d’entendre à la T.S.F. que tous les officiers permissionnaires doivent rejoindre immédiatement leur corps. Je ne vais donc pas avoir le bonheur de terminer mes 10 jours de permission à Picauville et au Havre. (Nous devions partir pour Le Havre demain matin et j’en serais reparti le 14 au soir).

 

Ce n’est décidément pas de chance et ce n’est pas cette fois-ci que je ferai la connaissance de la fiancée d’Alphonse.

Dans la journée je me hâte de finir de butter le carré de pommes de terre. Je sème également navets, salades, cornichons, etc

Bien que j’aurais pu prendre le train de 11h, je ne vais prendre que celui de 5h47 à Carentan, cela va me permettre de passer encore la journée en famille.

 

À 8h, j’ai la visite des demoiselles Buhot et de Mlle Trigout qui elles aussi ont appris par la T.S.F. le rappel des officiers permissionnaires et viennent me dire au revoir.

Départ de Picauville à 16h45.

Arrêt à Chef-de-Pont pour dire au revoir à Simon et arrivée à Carentan où je reprends le train après avoir dit au revoir à ma Berthe et à mes enfants.

J’arrive à Paris à l’heure prévue 23h20 et je passe la nuit dans un hôtel.

Samedi 11 mai : retour dans l'unité

Le lendemain matin, je vais chez Mr Calmé où je trouve Mme Calmé rentrée depuis 5 jours de Saint Martin.

Dans la matinée nous allons Mme Calmé et moi à la Belle Jardinière où j’achète une 2ème culotte, un couteau aux Galeries Lafayette et un bouquin de comptabilité à la librairie Lavauzelle.

 

Nous mangeons Mr et Mme Calmé et moi au restaurant d’où Mr Calmé nous quitte pour aller prendre son travail au musée Grévin à 13h ½.

 

L’après-midi, je vais l’y rejoindre avec Mme Calmé et à 18h30 je prends à la gare de l’Est le train pour Montmédy. Le voyage se fait sans encombre jusqu’à Reims, mais après cette ville le train va beaucoup plus lentement. Nous arrivons à Rethel avec un retard appréciable.

Entre Rethel et Charleville la voie a été coupée par des bombes d’avion si bien que nous devons faire un détour par Liart pour gagner Charleville où nous n’arrivons qu’à 3h du matin au lieu de 10h du soir.

Mais autre déception, tout le monde doit descendre à Charleville car la ligne Charleville-Longuyon ne fonctionne plus. Nous sommes ici plus de 100 officiers rentrant de permission qui n’ont aucun moyen de liaison avec leurs unités.

Dimanche 12 mai

Je rentre de permission, la compagnie cantonne à Damvillers.

 

Une vingtaine d’entre nous grâce au commandant de la Place de Charleville qui met à notre disposition un camion réussissent à gagner Stenay où je retrouve le capitaine Labbé de la 2ème compagnie. De Stenay, je peux téléphoner au commandant du 1er bataillon pour qu’on vienne me chercher.

À la caserne de Stenay des avions allemands ont mitraillé la cour et tué 2 hommes.

 

À 7h, Briavorne arrive avec la voiture du commandant et j’arrive à Luzy à 7h ½.

Là, j’apprends que ce n’est pas le lieutenant Le Cam qui a commandé la compagnie pendant mon absence, mais le lieutenant Ferret, comme à Montmédy. Le Cam s’est trouvé malade, si bien qu’il est resté au bataillon.

 

À 8h, je suis de retour à Murvaux. La compagnie bivouaque maintenant dans le bois du Fayel où je vais me rendre compte de ses emplacements.

À Murvaux des bombardiers allemands ont lancé 6 bombes qui sont tombées à la sortie du village tout près du poste du P.C. où se trouvaient 4 types de la compagnie. La rue principale de Murvaux a été également balayée par des mitrailleurs allemands, sans résultat.

 

À 18h10, je reçois un message du commandant Lecacheur qui m’annonce que la compagnie doit être prête à faire mouvement pour 17h30 !

Je demande téléphoniquement s’il n’y a pas erreur, confirmation du message m’est alors donnée.

Préparatifs de départ et à 8h, la compagnie est enlevée par des camions pour aller à Damvillers.

Lundi 13 mai

À Damvillers

 

Les hommes débarquent des camions sur le quai de la gare, attendant le train de munitions qu’ils doivent déchargés. Pendant ce temps, je retourne à Damvillers m’occuper du cantonnement.

Je vais trouver le major de la 41ème D.I. (général Bridoux) qui me met en rapport avec le lieutenant Lhomme chargé du cantonnement. Avec ce lieutenant je parcours les rues de Damvillers à la recherche de locaux pour loger la compagnie.

Après 2 heures de recherche nous trouvons tout de même des emplacements pour caser les hommes et les divers services de la compagnie.

 

Je retourne à la gare à 22h, le train de munitions n’est pas encore là et les hommes sont couchés sur le quai.

 

Le train arrive enfin à 23h et le travail commence aussitôt, les hommes ont à manipuler 400 tonnes de munitions.

Le travail dure toute la nuit et ne finit qu’à 11h.

 

L’après-midi, les hommes s’installent dans leurs cantonnements.

Ce midi, un avion allemand volant en rase-motte a mitraillé les rues principales de Damvillers, jetant la panique dans la bourgade. D’autres avions ennemis laissent tomber de nombreuses bombes du côté de la gare, mais ne réussissent pas à l’atteindre.

Maintenant on peut dire que les beaux jours pour nous sont terminés.

Mardi 14 mai

À Damvillers

 

Dès ce matin à 5h ½, un avion allemand vient survoler à nouveau Damvillers à faible altitude et mitraille les rues principales.

La compagnie occupée depuis hier soir 20h 1/2 à décharger un 2ème train de munitions, je reste avec elle toute la nuit et à plusieurs reprises, nous sommes survolés par les avions ennemis qui laissent tomber leurs bombes dans le voisinage.

 

Je suis relevé par l’adjudant Acphona et vais en bicyclette à Bréhéville voir le colonel car le bataillon nous laisse tomber comme ravitaillement. Il nous a fallu aller hier à Mangiennes et l’intendance a fait bien des difficultés pour nous donner du pain, du vin et des petits vivres, mais ne nous a donné de viande.

Je ne comprends pas le commandant Lecacheur qui écoute trop Oscal, un fainéant sans pareil trouvant en avoir toujours trop à faire. Notre ravitaillement doit en effet être assuré par l’officier de détails, les compagnies ne disposant pas de voitures pour ce ravitaillement.

 

Pendant mon voyage à Bréhéville une dizaine d’avions allemands viennent bombarder la région et j’apprends à mon retour à Damvillers que la compagnie qui vient de rentrer de la gare a été mitraillée à 3 reprises par un avion allemand, heureusement sans dégâts.

Un de mes hommes, Launay, a eu son pantalon troué par une balle.

 

Ce soir, nous avons la visite de Le Cam et Poirrier à Tux voir la 1ère compagnie.

Le bataillon doit venir à Damvillers et Le Cam est venu préparer le cantonnement.

Pendant qu’il est là, les rues de Damvillers sont mitraillés par un avion allemand d’abord, puis 6 autres passent en groupe et mitraillent tout le pays. D’autres avions bombardent les routes et la voie ferrée.

Un convoi de camions transportant le 36ème R.I. a un de ses camions détruit par une bombe à l’entrée de Damvillers, route d’Azannes (3 tués et une quarantaine de blessés).

Mercredi 15 mai – Le début de la débâcle

À la gare, les voies dont détruites par un bombardement ; ce matin le poste d’aiguillage est pulvérisé par une bombe et 3 employés de chemin de fer sont tués, les voies dont coupées en plusieurs endroits si bien qu’aujourd’hui le train de munitions annoncé ne vient pas, et la compagnie est au repos.

 

Toute la journée nous sommes encore survolés par des avions allemands qui mitraillent et bombardent.

À Damvillers, des évacués depuis plusieurs jours arrivent de tous les côtés.

Quel spectacle lamentable !!

Des troupeaux de vaches sont amenés également. Ces vaches qui n’ont pas été traites depuis plusieurs jours, la mamelle gonflée marchent péniblement.

Les habitants de Damvillers commencent à partir en hâte. Dans les rues de nombreux chiens hurlent à la recherche de leurs maîtres.

Dans les maisons, volailles, lapins, chats, porcs restent sans nourriture.

Quelle tristesse tout de même !

Jeudi 16 mai – L'ivresse des hommes – Le départ

À 5h ¼ ce matin, je suis réveillé par les éclatements des bombes lâchées par les avions allemands. La déflagration de l’air est si forte que la maison où je loge tremble fortement.

Plus d’une trentaine de bombes sont ainsi lâchées toutes tombent en dehors de Damvillers dont 2 dans le cimetière. Il semblerait que les Allemands veuillent épargner la localité.

Pour quelle raison ? Ne serait-ce point parce que des agents ennemis se trouvent parmi les civils ?

 

La compagnie n’ayant pas encore touché de viande pour son ravitaillement, je vais dans la matinée à Bréhéville voir le colonel Redasse qui a maintenant établi son P.C. dans une cave voûtée.

Alors que je suis à ce P.C., le commandant Lecacheur arrive pour annoncer au colonel l’arrivée de l’E.M. du bataillon à Haraucourt, mais après entretien avec le colonel, le bataillon va aller à Tux Abancourt avec la 1ère compagnie.

Le commandant Lecacheur n’est pas satisfait de ce que je ne sois adressé au colonel pour lui signaler que le ravitaillement de la compagnie est très mal fait, mais je m’n moque et je me fous de Lecacheur comme Poirrier son officier de détails qui s’occupe de tout autre chose que de son travail.

J’apprends tout de même que le ravitaillement de la compagnie va être assuré par le bataillon au moins pendant quelques jours.

Retour à Damvillers à 11h30.

 

Cet après-midi, de 14h à 16h, une vingtaine d’avions allemands viennent survoler la région et bombarder. Un chasseur français a dû être touché car il est descendu très rapidement.

 

À 20 h, je reçois l’ordre suivant : la Cie doit faire mouvement à partir de 22h pour gagner par ses propres moyens les bois à l’est du fort de Vaux. Il faut donc se préparer hâtivement au départ. Comme nous ne disposons que de 2 voiture de Cie, nous sommes forcé de laisser pas mal de matériel à Damvillers où nous reviendrons le chercher.

 

Au départ à 22h, plusieurs hommes sont ivres.

Par malheur on leur a donné le prêt ce matin et comme les cafés sont ouverts, les hommes ont bu. Certains d’entre eux avaient bien du mal à suivre.

Vendredi 17 mai

Nous passons par Azannes, Gremilly, Ornes et Vaux, bivouaquons dans un petit bois au Jumelles d’Ornes.

Tout le long de la route nous avons croisé ou dépassé de longues files d’évacués, c’est un cortège vraiment lamentable.

À l’arrivée, plusieurs hommes manquent Madret, Lépine, Viouville, Lebredonchet.

Ces 2 derniers rejoignent dans le courant de l’après-midi.

 

Pendant la journée les hommes se reposent dans ce bois et il va falloir partir pour une nouvelle étape.

Moi je vais à 9h à la recherche du Cdt Lacheur et je le trouve près du fort de Vaux.

Maintenant ce n’est plus à l’est du fort de Vaux que nous devons aller, mais au nord du fort de Moulainville.

 

Départ du bivouac à 21h

La Cie arrive au fort de Moulainville.

Journée passée au bivouac dans le bois.

Samedi 18 mai - fort de Moulainville

À Bezonvaux, Damloup.

 

On me prévient qu’avant d’arriver au carrefour de la route de Verdun à Étain, une bombe non éclatée est tombée au milieu de la route.

Pendant tout le temps que la Cie passe auprès, je reste près du trou fait par la bombe, trou qui à plus de 1m50 de profondeur.

 

Nous arrivons ensuite à Eix puis à Moulainville où une motocyclette nous attend pour nous conduire à notre emplacement de bivouac, bois au nord du fort de Moulainville.

Nous y arrivons à 1h du matin sous une pluie battante et à tâtons les hommes s’allongent sous bois sur la terre détrempée.

Le colonel et le commandant Lecacheur se trouvent au fort même dans une casemate.

Le colonel est excessivement froussard et tremble de peur sitôt qu’il entend le bruit d’un avion.

 

Heureusement vers 5 heures, la pluie cesse et le soleil ne tarde pas à briller. Nous sommes rejoints dans le bois par les 2eme, 5eme, 7eme et 8eme Cie.

La journée est employée par les hommes à aménager un peu leur trou de bivouac.

Je mange à la popote du commandant de Moulainville avec le capitaine Lable et le lieutenant Cerai.

 

La journée se passe sans incident notable et à nouveau je vais coucher dans le bois avec la Cie.

Humble matin, je n’y attrape pas chaud.

Mardi 21 mai

La Cie déplacée d’Étain à Spincourt

 

Réveil à 5h, la Cie devant être rassemblée à 06h10 sur la place de la mairie d’Étain pour être transporté par camion à Spincourt où elle doit être employée à la manipulation de munitions.

Place de la mairie nous attendons jusqu’à 08h ½ l’arrivée du train auto.

Arrivé à Spincourt à 09h. Les cantonnements préparés par le fourrier hier soir doivent être recommencés ce matin par suite de l’arrivée probable d’un bataillon du 102eme RI si bien que les hommes sont seulement logés pour midi.

Je suis logé chez un ancien instituteur rue de la gare.

 

Cet après-midi à partir de 15h, la Cie doit aller à la gare charger des camions de munitions. Elle y travaille jusqu’à 18h30 pour recommencer à 21h jusqu’à 11h.

Ce travail particulièrement pénible, d’autant plus que les wagons arrivent au ras du quai, si bien que les hommes doivent soulever les caisses de plus d’un mètre pour les mettre dans les camions.

Il parait qu’aujourd’hui les nouvelles sont nettement meilleures.

Puisse-t-on enfin arriver à stopper l’invasion allemande !!

Le temps est toujours superbe et la poussière ne manque pas.  Le soleil est très chaud le jour mais par contre les nuits restent froides. Toute la nuit la Cie travaille à la gare à charger les camions de munition.

 Mercredi 22 mai – La supériorité allemande

À Spincourt

 

Au matin ce n’est pas encore terminé. Si l’organisation du va et vient des camions ne s’améliore pas, les hommes n’y tiendront pas car ils n’auront même pas le temps de dormir ; Le déchargement du train est tout juste terminé pour 11 heures et le train est à peine vide qu’un 2ème train entre en gare et il va falloir que les hommes recommencent à travailler cet après-midi.

 

Les journaux nous apportent de mauvaises nouvelles.

Les Allemands seraient à Amiens et à Arras (*) et leur avance vers la mer se fait de plus en plus inquiétante, c’est à se demander si on va pouvoir les arrêter.

On se rend compte maintenant qu’au point de vue matériel, aviation, ils nous sont nettement supérieurs.

Certain de nos dirigeants les BLUM, les Cotty devraient être fusillés.

 

(*) : Les Allemands étaient à Amiens le 20 juin au matin et à Abbeville le même jour au soir !

Arras tombe le 21 mai, malgré une attaque de chars anglais. L'attaque est très réussie en raison de l'invulnérabilité des chars Matilda par rapport aux armes antichars allemandes.

 

Cet après-midi à 4h, la Cie doit se remettre au travail à ce 2eme train.

Maintenant le train auto procède autrement, au lieu de charger tous les camions à la fois, camions qui partaient tous à la fois pour revenir ensemble ce qui faisait que pendant la durée de leur voyage la Cie restait inoccupée. On les charge 4 par 4 ou 5 par 5 et les camions partent séparés et reviennent isolément.

De cette façon, il y a toujours sur le quai des camions à charger et surtout la présence de toute la Cie.

Jeudi 23 mai

À Spincourt

 

N’est pas nécessaire si bien que nous travaillons en 2 équipes qui se relayent.

Les hommes ont ainsi un peu plus de repos.

 

Le temps aujourd’hui s’est remis à la pluie, c’est un temps idéal pour la végétation.

Les nouvelles aujourd’hui seraient nettement meilleures, nous aurions repris Arras et par ailleurs l’avance allemande serait à peu près arrêtée.

 

Dans la matinée j’ai la visite d’un commandant du 441ème Pionnier qui m’annonce l’arrivée de 2 sections de son régiment qui viennent à Spincourt pour aider ma Cie, l’armée ayant jugé que le travail imposé à la 3ème Cie est vraiment excessif. Dans ces conditions nous pourrons travailler par 3 équipes et les hommes auront plus de repos.

 

Le déchargement d’un 3ème train de 400 tonnes commence à 2h.

Ce train étant sur un autre quai où la plate-forme des camions est à niveau de celle de wagons, le travail est beaucoup moins dur. Les 2 sections qui travaillent de 2h à 6h ½ déchargent au moins 15 wagons sur les 26 du train, mais le dépôt de munitions de la forêt de Spincourt ne pouvant absorber tout l’arrivage, le déchargement est arrêté à 7h et ne reprendra que demain matin.

 

Vers 6h, nous sommes survolés à 3 reprises par 11 avions, mais pour une fois ce ne sont pas des Allemands, mais des français et leur passage nous fait plaisir, nous en avions si peu vu jusqu’alors.

Tout près d’ici il y a une pièce de marine qui doit tirer à 30 km au moins dans le Luxembourg. Cette pièce en 3 coups aurait démoli un observatoire allemand à Longwy.

Vendredi 24 mai – Le duel aérien

À Spincourt.

 

Ce matin, la Cie a repos, c’est le 441ème Pionniers qui assure la fin du déchargement du train.

À Spincourt presque toute la population civile est encore là et pourtant nous sommes ici à moins de 14 km du lieu où on se bat, mais je comprends parfaitement toutes ces personnes qui attendent au dernier moment pour tout abandonner.

Ce doit être bien dur de partir, laissant derrière soi tout le fruit d’une vie de labeur et c’est le cœur bien gros que l’on doit quitter sa maison. Les habitants de nos régions de l’ouest doivent se faire difficilement l’idée du malheur de ces pauvres évacués car ils les recevraient encore mieux qu’ils ne le font.

 

Dans la soirée ver 18h ½, nous sommes survolés par une douzaine d’avions allemands, mais 5 appareils de chasse français interviennent et nous assistons à un combat aérien à quelque 8000 m d’altitude dont nous ne pouvons que suivre difficilement les péripéties.

Un avion, très probablement allemand, descends en grande vitesse, sûrement touché.

Les 5 appareils français regagnent leur base, mais les avions allemands les suivent un certain temps, faisant preuve de beaucoup d’audace.

Samedi 25 mai

À Spincourt

 

Dans la matinée, il faut achever le déchargement du train de munitions arrivé hier midi, et ce train est à peine vide qu’un autre arrive. Comme celui d’hier, ce train transporte des munitions pour le 75, des obus de 155, des caisses de grenades et des munitions d’infanterie.

Par malheur, ce train est garé sur le quai où avaient été garés les 2 premiers trains, aussi la manipulation est beaucoup plus difficile et le travail va être plus pénible.

 

Dans la soirée, le 441ème travaille deux heures pour charger les camions qui doivent partir dès demain matin.

 

À 3h, le 441ème recommence pour aller jusqu’à 11h. Le travail ne va pas vite car les camions manquent et comme le déchargement est lent ils ne reviennent qu’à intervalles éloignés.

Les journaux annoncent que des éléments motorisés allemands sont arrivés jusqu’à Boulogne et St Omer. Il faut tout de même que le front ne soit pas continu pour qu’ils puissent avancer de cette sorte.

L’armée franco-anglaise qui combat en Belgique va être coupée de ses bases, et alors quel sera son destin !!!

Dans la soirée des avions allemands viennent de nouveau survoler la région.

Aujourd’hui température lourde et orageuse.

Dimanche 26 mai

Félicitations au régiment. À Spincourt

 

De bonne heure ce matin une pièce de marine sur rails tire une quinzaine de coups de canon.

Cette pièce doit se trouver tout près d’ici à peine à 1 km. À chaque coup les maisons tremblent fortement.

Au rapport du bataillon d’hier soir, j’ai appris avec plaisir les félicitations que le général de la 2ème armée a adressées au 446ème R.P. Voici le texte du rapport :

 

Félicitations au régiment. II Armée. E.M. 4ème Bureau N° 688/4-2

Le général d’armée Hutoringer, commandant la 2ème armée adresse ses félicitations aux compagnies de Pionniers du 446ème Régiment qui ont été mises à la disposition de l’artillerie depuis le début de la bataille en cours avec l’appréciation suivante :

« Sans tenir compte de leur fatigue et conscients de l’importance de leur tâche, elles ont assuré le service des munitions de l’armée avec le plus complet dévouement.

Je compte sur elles pour poursuivre leur effort avec la même abnégation. »

 

Voilà certes des félicitations bien méritées mais qui vont faire plaisir aux hommes.

Ce matin, les 3ème et 4ème section achèvent le déchargement du 5ème train, elles finissent à 16h.

Comme il n’arrive pas d’autre train, les hommes vont pouvoir se reposer un peu : ils en ont vraiment besoin car ils sont bien fatigués.

Les nouvelles sont toujours plutôt mauvaises. Les Allemands seraient maintenant à Boulogne.

Lundi 27 mai

À Spincourt.

 

Cette nuit nous avons eu un fort orage : éclairs, tonnerre et trombes d’eau. Malgré cette chute de pluie le temps reste orageux. C’est un temps superbe pour la végétation.

Toute la nuit du côté de Montmédy la canonnade a fait rage.

 

Les journaux de ce matin annoncent la prise de Boulogne.

Il est certain que les Allemands veulent devenir maîtres de toute la côte de la mer du Nord et de la mer de la Manche jusqu’à l’estuaire de la Somme. Peut-être ont-ils l’intention de tenter un débarquement en Angleterre.

Le journal m’apprend également que les départements de la 3ème région (Seine-Inférieure, Calvados, Eure et Manche) ainsi que ceux de l’Orne, de l’Eure et Loir, de l’Yonne sont maintenant compris dans la zone des armées. Je commence à craindre pour toute la rive droite de la seine. Il paraîtrait que Rouen, Le Havre commence à évacuer.

Que va devenir mon bien cher petit Alphonse ?

La famille d’Émile va-t-elle s’en aller à Picauville ?

 

Aujourd’hui, pas de train de munitions si bien que la Cie a repos toute la journée.

Le communiqué de ce soir est un peu meilleur : l’avance allemande semble être un peu stoppée, mais il faut s’attendre encore à un sérieux coup de boutoir de leur part. Leurs pertes doivent être terribles, mais pour eux la vie des hommes ne comptent pas.

Pour nous nous sommes plus tranquilles, nous voyons beaucoup moins d’avions ennemis ; ils doivent être occupés par ailleurs.

Mardi 28 mai – La capitulation de l'armée belge

Trahison du roi Léopold III de Belgique. À Spincourt

 

La nuit s’est passée sans incident dans le cantonnement.

À 8h ½, j’écoute l’allocution de P. REYNAUD qui nous annonce un évènement très grave : au cours de la nuit (4h) l’armée belge sur l’ordre du roi Léopold III a capitulé en rase campagne sans avoir prévenu à l’avance les armées française et anglaise qui combattaient à ses côtés.

Voilà une nouvelle trahison à laquelle on était loin de s’attendre.

 

Certes ce Léopold III était bien connu pour ses sentiments germanophiles mais de là à se rendre coupable d’une pareille félonie, il y a loin.

Quel salaud tout de même !

Il renouvelle à peu près la trahison des Saxons sur le champ de bataille de Leipzig. Il n’y a pas mot assez fort pour flétrir un tel acte.

Maintenant que vont devenir les troupes françaises et anglaises qui combattaient aux côtés des belges. Les voilà placées dans une bien mauvaise situation et il est à craindre que la plupart de ces troupes ne soit faites prisonnières, car comment pourront-elles se réembarquer alors que par la trahison de leur roi, les belges ouvrent aux Allemands la route de Dunkerque.

De plus une grande partie du matériel dont elles étaient dotées va tomber aux mains de nos ennemis.

Le père de Léopold III avait été appelé le roi chevalier, lui méritera le surnom de roi félon.

 

Dans son allocution P. Reynaud mentionne que maintenant le front français va s’étendre de la Somme à l’Aisne. Puissions-nous ne pas reculer d’avantage ?

Mercredi 29 mai

À Spincourt

 

Ce matin encore violente canonnade du côté de Montmédy. Il y a fort à présumer que les Allemands qui tâtent le terrain tenteront quelque chose d’ici peu. Pourvu qu’alors nous puissions les arrêter !!

Dans la matinée, 2 sections vont travailler à la carrière et une équipe décharge un wagon de munitions.

 

Cet après-midi, j’ai la visite du commandant Lecacheur et du lieutenant Le Cann. Le commandant vient me trouver pour que je propose quelques hommes pour ce qui s’est passé à Damvillers, afin qu’une récompense leur soit attribuée.

J’estime que ce qu’ils ont fait n’est pas suffisant pour mériter la croix de guerre qui ne devrait pas être distribuée aussi généreusement car cela lui enlève alors toute valeur ; aussi je ne propose personne.

Il paraîtrait qu’au 2ème bataillon il y aurait de nombreuses propositions (5ème Cie et 8ème).

Vraiment il était tout de même plus difficile pendant l’autre guerre d’obtenir une citation. Enfin c’est probablement pour relever le moral des hommes.

 

Dans la soirée, arrive un 6ème train de munitions dont le déchargement va commencer à 2h ½ demain matin. D’après le train auto il en viendrait encore un après et ce serait la fin.

Dans ces conditions, il est fort possible que nous ne restions plus longtemps ici, d’autant plus que nous sommes dans le secteur de la 3ème armée.

Jeudi 30 mai

À Spincourt

 

Le 441ème Pionniers a commencé le déchargement du train à 4h ce matin, mais le travail n’avance pas vite car les camions ne sont pas en nombre suffisant.

Le 446ème relaie le 441ème à 8h ½ mais je me demande bien si le travail va être terminé pour ce soir.

Ce matin vaccination antitétanique pour 20 hommes. Le major Provost m’apprend que les 3ème, 4ème et 1ère Cie du 446ème sont encore félicitées par le général de la 3ème armée pour le travail accompli.

 

Cette nuit et jusqu’à 7h ce matin, le roulement de la canonnade n’a pas cessé du côté de Montmédy. Une action de ce côté est à prévoir à brève échéance.

Dans la journée, la Cie est occupé à la manutention des munitions d’un 6ème train, mais les camions étant en nombre réduit le travail n’avance pas très vite et n’est pas tout à fait terminé ce soir.

Le train auto qui transporte ces munitions dans la forêt de Spincourt attend l’ordre de départ d’un moment à l’autre.

On rapporte en ce moment à la gare les caisses de 75 vides et les douilles des obus tirés. Tout ce matériel s’entasse sur le quai en attendant qu’on les charge dans les wagons. Ce sera très probablement le travail de la Cie pour demain.

 

À Spincourt malgré la proximité du front, les gens travaillent aux jardins et j’admire leur belle confiance. Ils ont, à mon avis, parfaitement raison, d’abord ce travail les occupe et d’autre part il est possible qu’ils puissent bénéficier du fruit de leur labeur.

Nouvelles félicitations, cette fois de la 3ème armée aux : 1ère, 3ème, 4ème, 9ème, 10ème, 11ème Cie du 446ème R.P.

Vendredi 31 mai – Les salauds de politiciens !

À Spincourt

Violents tirs de barrage hier soir et au début de la nuit.

 

Ce matin, j’apprends que le 4ème quart de la classe 1939 et le 1er quart de la classe 1940 vont être incorporés les 8 et 9 juin. Mon cher petit Alphonse va donc recevoir son ordre d’appel dans 2 ou 3 jours. C’était bien la peine de nous dire à nous anciens combattants de 14-18 que nous faisions la guerre pour que nos enfants ne revoient pas les horreurs que nous avions vues !!

 

Ah ! Salauds de politiciens de Laval à Blum en passant par Flandin et Briand à qui nous devons d’être obligés de remettre ça avec nos enfants.

Tous devraient être alignés contre un mur et fusillés.

Leur politique de faiblesse vis-à-vis de l’Allemagne et de l’Italie a fait le malheur de la France. Et pendant que le peuple de France (celui des campagnes surtout) est en danger, ils restent bien à l’abri et continuent à nous emmerder de leurs discours.

 

IIIème Armée : Félicitations.  Q.G. le 23 mai 1940. État-major.   4ème Bureau.  Notre 13378/40 :

« La IIIème Armée assure depuis plusieurs jours les ravitaillements (vivres et munitions) d’une Armée voisine engagée dans de durs combats.

À cette occasion, les 1ère, 3ème, 4ème, 9ème, 10ème et 11ème Compagnies du 446ème  Régiments de Pionniers et les 3ème et 4ème Cie du 441ème Régiment de Pionniers stationnées dans la zone ouest de l’Armée, ont mené à bien, sans interruption, de jour et de nuit de dur et importants travaux de manutention.

Le général d’Armée Condé, commandant la IIIème Armée. »

Notes de mai

Ø  10          En caisse au 10 mai 2700fs  

Ø  11                      

Ø  12          Je rentre de permission     

Ø  13                     

Ø  14                     

Ø  15                     

Ø  16          Payé popote avec le 65ème régional 88fs, 00

Ø  17          Même chose 1 jour    32fs, 00

Ø  18                     

Ø  19                     

Ø  20                    

Ø  21          Payé popote F.M. bataillon à Étain 3 jours 50fs, 00

Ø  22                    

Ø  23          Journaux 2fs, 50

Ø  24          Journal 0f, 50

Ø  25          Journal 0f, 50

Ø  26          Vin blanc au foyer du soldat 2fs, 50 – journal 0f, 50 =     3fs, 00

Ø  27          Payé popote depuis le 21- 6 jours    168fs, 00

Ø  28          Verres avec le toubib 14fs, 00 – Journaux 1f =     15fs, 00

Ø  29          Lavage linge et pourboire Chereau 50fs, 00

Ø  30          Journaux 1f, 00

Ø  31          6fs - Journaux 1f – Pinceau 5fs – Brosse 11fs – Acide picrique 2fs =  25fs, 00

 

TOTAL 435fs, 50

Juin 1940 : La récupération du vin – Le pillage par des Français - A-t-on perdu la guerre à cause de l'alcoolisme des soldats ? - Déclaration de guerre de l'Italie - La déficience du matériel français – Départ pour Ornes – La fuite – Lemmes - L'attaque de Lemmes – Troyon - Pillage de Saint-Mihiel par les soldats français – La retraite – Secteur de Toul – Favières, Saulxerotte - Combat de Selaincourt – La 5ème colonne -  Prisonnier ! – Église de Vaucouleurs - – Les officiers de salon ! - Les clochent sonnent la fin de la guerre - Il faut fusiller les dirigeants – Nancy - Les conditions de l'armistice - Les salopards de Français

Samedi 1er juin

Les nouvelles de la bataille des Flandres ne sont pas très bonnes on laisse à entendre qu’une partie de l’armée Prioux ne peut atteindre Dunkerque (il fallait bien s’y attendre).

Le nombre de prisonniers français et le butin fait par les Allemands doivent être considérables.

Lorsque les Allemands en auront terminé avec cette bataille, que feront-ils ?

Tenteront-ils d’opérer une descente en Angleterre ou essaieront-ils d’enfoncer de nouveau le front français, probablement cette fois entre la Meuse & l’Aisne pour remonter le long de la rive gauche de la Meuse et prendre à revers notre ligne Maginot ?

 

Ce midi, le communiqué allemand a annoncé que le Général Prioux, Cdt les armées françaises de Flandres serait prisonnier, mais évidemment, il faut accueillir toutes ces nouvelles sous réserves. (*)

Mais il est certain que nous allons avoir bon nombre de troupe faites prisonnières. Ah salaud de Léopold III.

 

(*) : Il a été fait prisonnier le 29 mai

Dimanche 2 juin - Récupération du vin – Le pillage par des Français

À Spincourt

 

Hier soir et cette nuit, nous avons eu la visite d’avions allemands qui doivent chercher à repérer la pièce de marine qui sur la voie ferrée doit les ennuyer par ses tirs.

Les Allemands n’occupent pas Longuyon, ils se trouvent au moins à 500m au N de la crête qui domine la rive droite de la Chiers.

Longuyon est occupé par des éléments du 310e et l’intendance est occupée à récupérer une partie des marchandises se trouvant dans la ville. Il y a en effet parait-il plus de 300 000 litres de vin.

Malheureusement la plupart des magasins sont déjà pillés par la troupe.

Chez un gros négociant : Collette, il parait que c’est vraiment du vandalisme, les parquets sont recouverts de chocolat, bonbons qui nagent dans du rhum et du vin. Dans les rues sont semées des paires de chaussures toutes neuves. Dans les magasins de lingerie, d’habillement, linge & vêtements trainent par terre dans un désordre sans nom.

Pour se rendre coupable de tels actes il faut vraiment avoir une drôle de mentalité. Que le soldat prenne ce qui peut lui être de quelque utilité, soit, mais qu’il respecte le reste.

 

Aujourd’hui la Cie a repos.

Maintenant nous n’avons plus de trains de munitions à décharger aussi il est fort probable que notre séjour à Spincourt s’abrège sérieusement.

 

Dans la soirée vers 20h, nous avons la visite quotidienne d’avions allemands.

Lundi 3 juin

À Spincourt

 

Le temps est toujours magnifique. Les communiqués ne nous apprennent pas grand nouveau.

L’embarquement des troupes françaises & anglaises se poursuit hâtivement à Dunkerque. Malgré tout je pense que nous allons laisser un nombre assez considérable de prisonniers.

Par ici, secteur toujours calme. Maintenant que va faire l’Italie ?

Il faut attendre le discours que Mussolini doit prononcer demain, je doute fort qu’il nous soit favorable.

 

Depuis 2 jours, comme il n’y a pas de train de munitions, la Cie n’a pas de travail.

Aujourd’hui plusieurs factions de subsistants que nous avions à la Cie quittent Spincourt.

Il en est ainsi pour les artificiers, pour les hommes du train auto et il va en être très probablement de même pour les 2 sections du 441e RP qui étaient venues à Spincourt pour nous aider.

 

Cet après-midi, j’ai la visite de Cdt Lecacheur et de Le Cann. Le Cdt m’annonce que Poirrier n’est plus officier de détails du bataillon, il passe à la 7e Cie et est remplacé par le lieutenant Corsin.

Hier Poirrier est allé diner à Verdun avec les hommes qui s’occupent du ravitaillement.

À 22h, comme il n’était pas encore rentré le Cdt a dû envoyer un motocycliste le chercher. Ce motocycliste l’aurait trouvé ivre mort dans un café consigné à la troupe à Eix.

Quel drôle de type que ce Poirrier ! Les femmes et l’alcool lui font faire bien des bêtises et c’est à se demander où il prenait l’argent qu’il dépensait aussi bêtement.

Mardi 4 juin – A-t-on perdu la guerre à cause de l'alcoolisme des soldats ?

La Cie fait mouvement. Départ de Spincourt 21h ½. Arrivée à Étain le 5 juin 1h ½

 

Hier soir, la Cie a tout de même touché une bicyclette neuve (*) (marque Terrot). Ce n’est certainement pas du luxe car les 2 vélos que nous avions reçus à Granville sont complètements inutilisables.

Dans le jardin de la maison où je mange avec des officiers du 403e RP, j’ai trouvé des plantes comme celle dont j’ai rapporté un bulbe de Murvaux aussi j’en profite pour arracher quelques-uns de ces bulbes et les mettre dans ma cantine.

Comme hier la Cie a repos, mais je commence à avoir hâte que la vie d’oisiveté que mènent les hommes en ce moment cesse le plus tôt possible, car pour eux, un travail régulier serait beaucoup plus à désirer.

 

D’après les bruits qui courent l’ordre d’évacuation serait arrivé pour les communes de Mangiennes, Damvillers, Pillon.

Je crois qu’on, craint une attaque allemande entre la Meuse & l’Aisne, maintenant que leurs divisions qui opéraient contre l’armée des Flandres se trouvent libres. Jusqu’ici l’initiative des opérations leur appartient sans contestation possible, nous ne faisons que subir leurs attaques, ce qui est assez décourageant à constater.

 

Ah oui ! Je le redis avec de plus en plus de conviction, le soldat français de 1940 est loin de valoir celui de 1914. Le Français a eu trop l’habitude de la vie facile et n’est plus capable de souffrir.

J’ai d’ailleurs appris avec tristesse que si le front français a craqué dès le 12 mai du côté de Sedan, les Allemands le doivent certainement à leur aviation & à leurs tanks, mais plus encore peut-être à l’état d’ivresse d’une partie des hommes des divisions en ligne & même d’un grand nombre de leurs officiers.

 

(*) : Il est grand temps ! Maintenant qu'ils ont quasiment perdu la guerre !

Mercredi 5 juin

À Étain 

 

Reçu renfort de 27 h. de nouveau la Cie fait mouvement. Départ d’Étain le 5 juin à 21h ½. Arrivée bois du Gd Chenas 6 juin 2h.

 

Hier soir vers 18h ½, la Cie reçoit l’ordre de faire mouvement aujourd’hui même avec départ de Spincourt à 21h pour aller cantonner le reste de la nuit à Étain dans les locaux actuellement occupés par la 2e Cie qui doit quitter Étain également à 21h pour aller bivouaquer dans les bois au Sud de Bezonvaux où nous irons la rejoindre la nuit prochaine.

 

Aussi faut-il faire immédiatement les préparatifs de départ.

Par malheur la Cie a vendu aujourd’hui aux hommes du vin remboursable aussi une bonne quinzaine d’entre eux sont-ils encore saouls et le départ de Spincourt ne nous fait pas honneur. Maintenant tant pis pour ceux qui se mettront dans un état pareil, ils récolteront 8 jours de prison de ma part.

 

Arrivée à Étain le 5 juin à 1h ½.

Repos toute la journée.

Je profite de mon passage à Étain pour aller faire un tour à la ferme du Haut Bois où nous étions cantonnés à la mi-octobre.

Les deux fermes contigües qui s’y trouvent ont été bombardées, une bombe est tombée en plein sur la grange de la ferme où était catonnée la 4e Cie, ne laissant plus de tuiles sur le toit, d’autres bombes sont tombées dans la cour et les champs voisins ainsi que tout près de la voie ferrée, près de la maisonnette du passage à niveau.

À la ferme je retrouve Mr Joseph, le Polonais gérant et je rencontre le propriétaire Mr ??? boucher à Homécourt.

Un renfort de 19h arrive à la Cie venant de ???.

À 21h, départ d’Étain pour aller à Dieppe-devant-Douaumont (13 km). La marche est pénible pour quelques hommes qui ont les pieds en sang.

Arrivée à Dieppe à 2h.

Jeudi 6 juin

Le bois du Gd Chenas où nous devons bivouaquer est marécageux dans le secteur qui nous est attribué et rempli de moustiques. Nous finissons la nuit dans un layon du bois couchés sur un terrain très humide.

Aujourd’hui repos pour la Cie, aménagement du bivouac ; les hommes se construisent quelques huttes de branchage de part & d’autre du 2e layon. Qui est tout de même moins humide que le 1er.

Nous sommes ici dans la zone rouge de Verdun. Le bois où nous bivouaquons est criblé de trous d’obus au fond desquels se trouve encore de la vase, c’est ce qui fait que les moustiques sont aussi nombreux.

Dans ce bois, nous avons retrouvé la 2e Cie, arrivé hier, ainsi que la 4e arrivée le même jour.

Nous allons être occupés ainsi que le 2e Bon à organiser une position de résistance dans la région d’Ornes (pose d’un réseau de barbelés).

 

Le village de Dieppe a été entièrement reconstruit, il est de nouveau en partie évacué.

Sur la route venant de Maucourt ce n’est qu’une file de charrettes d’évacués venant du canton de Damvillers, quel triste spectacle ! Comme ces gens sont à plaindre !

Le communiqué mentionne une grande attaque allemande le long de la Somme jusqu’à Laon. Pourvu (que) (*) cette fois nous puissions tenir !

 

(*) : « Que » n’existe pas dans le récit.

Vendredi 7 juin

Bivouac Bois du Gd Chenas

 

Ce matin de bonne heure (6h), la Cie part pour aller au travail du côté d’Ornes. Nous prenons à travers le bois du Grand Chenas, puis à travers champs, pour rejoindre la route de Bezonvaux, par où nous passons (nous y étions déjà passés lors de notre départ de Damvillers) puis nous arrivons au carrefour d’Ornes, où nous tournons à gauche pour aller sur le chantier à plus de 3km de là.

Ce qui fait au moins 9km de marche.

Cie remplace la 4e dans son travail qui est la pose de barbelés (réseau de 5m de large) à environ 2 à 3 m de la lisière du bois de la Chaume. La 4e Cie travaille à des emplacements d’armes automatiques (FM et mitrailleuses).

 

Une voiture de Cie vient nous apporter le repas de midi.

La chaleur est accablante et le pis c’est qu’il faut descendre à plus de 2km de là pour aller chercher de l’eau à une fontaine du côté d’Ornes.

 

Le travail cesse à 5h et nous revenons au bois à 19h. Je couche toujours sur le sol, mais ce qui est le plus ennuyeux ce sont les piqûres de moustiques qui pullulent dans le bois. Ces piqûres sont très douloureuses et bien gênantes. Quelques hommes ont déjà la figure complètement soufflée et les yeux presque fermés.

Pour moi, les piqûres ne produisent pas d’enflures, mais provoquent des démangeaisons bien désagréables.

Je vais avec les capitaines Labbé et Mongodin manger à la popote à Dieppe.

Samedi 8 juin

Bois du Grand Chenas

 

Alphonse (*) est mobilisé au génie à Angers

Les piqûres de moustiques sont de plus en plus insupportables. Cette quantité d’insectes est due certainement à tous les trous d’obus qui se trouvent dans le bois et dont le fond est encore vaseux.

 

Pendant la journée, 2 hommes de la Cie, Quesnot & Philippe que j’ai laissés au bivouac, me construisent un petit abri avec des claies. Cet abri est recouvert d’une tôle qui me préservera de la pluie et à l’intérieur une claie supportée par des pieux me servira de couchette.

Pour aller au travail, nous changeons d’itinéraire et allons par Maucourt. La distance à parcourir est ainsi raccourcie d’au moins 1 km et la route est meilleure.

La chaleur est toujours accablante et les hommes souffrent de la soif. Le travail consiste toujours à poser des barbelés dans le bois de la Chaume, voisin du bois des Caurières.

À un km plus haut de la Baraque, je vais voir le monument qui marque la place où étaient les Allemands à la signature de l’Armistice.

 

Au retour, nous apprenons que les habitants de Maucourt, ainsi que ceux de Dieppe ont été prévenus par la municipalité qu’ils devaient se préparer à être évacués, aussi les préparatifs commencent à se faire dans les villages.

Quelle misère tout de même d’être obligé de tout quitter pour aller vers l’inconnu.

Ah ! Ces populations de l’Est, comme elles sont à plaindre et je pense qu’après la guerre, il est probable que beaucoup hésiteront à revenir.

 

(*) : Il s’agit de son fils.

Dimanche 9 juin

Bois du Grand Chenas

 

La Cie continue son travail dans le Bois de Chaume (pose de barbelés, montage de chevaux de frise, etc.).

La chaleur est de plus en plus accablante et les hommes en souffrent.

Nous rentrons au bivouac, le soir, complètement fourbus.

Le travail que nous sommes en train de faire est parait-il très pressé. Il faut au plus tôt boucher routes & layons.

 

D’après le communiqué les Allemands ont attaqué de nouveau en élargissant encore leur front d’attaque qui maintenant s’étend de la mer à l’Argonne et qui d’après une allocution de P. Reynaud s’étendra demain jusqu’à Bâle.

Peut-être prévoit-on pour demain une attaque allemande par la Suisse ?

Les voilà maintenant arrivés à Soissons et sur les hauteurs au sud de l’Aisne. On peut se rendre compte davantage tous les jours de leur force insoupçonnée en France.

Quelle responsabilité pour nos dirigeants, pour tous ceux qui ont détenu le pouvoir depuis 1919 !

 

Ce soir, je reçois une lettre de ma Berthe m’avisant qu’Alphonse a dû arriver à Picauville le 7 dans l’après-midi pour repartir quelques heures après pour Angers.

Pauvre petit, il n’aura guère eu de répit avant son incorporation.

D’après les bruits qui courent ce soir, le Havre serait évacué, aussi il est fort probable que la famille d’Émile aille à Picauville. Peut-être en sera-t-il de même pour la fiancée d’Alphonse !!

Cherbourg doit être également sur le point d’être évacué.

Lundi 10 juin : Bois du Grand Chenas – Déclaration de guerre de l'Italie

L’Italie nous déclare la guerre.

Hostilités commencent à 24h.

 

La nuit a été loin d’être calme. De nombreux avions ennemis ont survolé le bois et des bombes ont été lancées à peu de distance. Je crois qu’on arrive à un moment décisif pour la guerre. Il parait qu’on s’emploie activement à faire de Paris un camp retranché, car je crois qu’on a perdu maintenant l’espoir d’arrêter la ruée allemande avant la Seine.

Quelle tristesse tout de même !!

La Cie va de nouveau au Bois de Chaume continuer le travail d’hier.

Il fait toujours excessivement chaud et où nous travaillons les hommes souffrent de la soif.

 

Les nouvelles sont loin d’être bonnes.

Ce matin nous apprenons que des éléments motorisés allemands sont à Rouen et à Pont de l’Arche (il était grand temps d’évacuer le Havre). Il faut espérer que la Seine va offrir un sérieux obstacle à l’avance allemande, si on a soin de faire sauter les ponts. Il faut maintenant s’attendre à voir nos ennemis arriver à Paris.

Voilà maintenant la France dans une situation beaucoup plus grave qu’en 1914.

 

Et c’est à ce moment que l’Italie nous déclare la guerre. Une allocution de P. Reynaud nous l’apprend ce soir.

Quel salaud que ce Mussolini !!

Quel félon !

J’espère que l’Italie paiera cher sa traîtrise car même en cas de succès de l’Allemagne, il est fort à prévoir que dans un avenir assez récent, l’Italie deviendra vassale de l’Allemagne.

Qu’allons-nous devenir maintenant et pourtant comme Reynaud a terminé son allocution : La France ne peut pas mourir !

Mardi 11 juin : Bois du Grand Chenas – La déficience du matériel français

Bois du Grand Chenas

 

Le 446ème RP passe unité combattante

Le communiqué de ce matin ne mentionne aucune hostilité entre la France et l’Italie, mais je crois que la marine anglaise va en mettre un bon coup en Méditerranée.

Cette matinée la compagnie continue le travail d’hier (pose de barbelés et tranchées barrant les layons dans le bois).

 

Vers 10h ½, j’ai la visite du commandant Lecacheur et de Le Cam qui m’annoncent que le 446ème RP passe unité combattante et que nous devons nous attendre à occuper  les positions que nous sommes en train d’organiser (un repli de la ligne française du coté de Montmédy étant prévu à brève échéance).

Nous devons être prêts à faire mouvement à partir de 19h.

 

L’après-midi est employé à délimiter les secteurs des compagnies et des sections.

Le 1er bataillon doit avoir 2 compagnies (2 et 3) en 1ère ligne, la 1ère restant à Abancourt et la 4ème en soutien dans le bois du Grand Chenas.

Le secteur de la 3ème compagnie commence au carrefour d’Ornes et finit route d’Ornes à la Baraque, au chemin allant à l’ancien cimetière (environ 1 km de front).

Je vais y placer 2 sections en 1ère ligne et 2 sections en arrière.

Le fait de passer combattant ne m’inquiète pas, ce qui me gêne tout de même un peu c’est la faiblesse de notre armement. Dire que nous n’avons ni F.M. (*), ni mitrailleuses et que nos F.M. 15 ne marchent pas.

 

Départ du bois à 20h ½ pour aller occuper les positions de combat à Ornes.

 

(*) : Fusil-mitrailleur.

Mercredi 12 juin – Le départ – la débâcle

Départ du colonel Redasse, colonel Cassagnac.

 

J’ai reçu hier soir une lettre de ma Berthe m’annonçant qu’Alphonse est parti pour Angers après être resté seulement quelques heures à Picauville.

Je suis heureux que mon cher petit soit affecté au génie.

Là, il pourra exercer son métier et sera tout de même moins en danger que dans l’Infanterie.

 

Départ des 2ème et 3ème compagnies à 8h ½, ce soir pour aller à Ornes occuper les positions de combat. Le repli des troupes qui se trouvaient entre Longuyon et Montmédy étant en cours d’exécution.

Nous passons par Mancourt. Des troupeaux nombreux de vaches se trouvent dans les champs. Ces malheureuses bêtes qui n’ont pas été traitées depuis plusieurs jours ne font que meugler.

 

J’arrive à Ornes à 22h et après avoir réparti l’emplacement des sections, je cherche à me mettre en liaison avec la 7ème compagnie qui doit se trouver à ma gauche. Pour ce faire je vais en bicyclette jusqu’à la baraque où est couché le capitaine Borris de la 8ème, mais je cherche en vain la 7ème aussi je reviens trempé de sueur à l’église d’Ornes.

Le train de la compagnie qui devait stationner dans le petit chemin creux près des Bezonvaux où déjà nous avions ont passé une journée après notre départ de Damvillers nous rejoint à Ornes et s’installe autour de l’église tant bien que mal.

Pour comble de malheur, la pluie se met à tomber.

 

Je passe le reste de la nuit dans la chapelle d’Ornes dont un angle a été abattu par une bombe.

Les Allemands ont passé la Seine et sont à Vernon.

Toute la nuit sur la route GremillyOrnesBezonvaux, ce n’est qu’un défilé ininterrompu de troupes de toutes armes qui se replient en toute hâte (infanterie, artillerie…)

On sent que c’est la débâcle ; c’est à qui fuira le plus vite.

 

(*) : Nulle part dans les carnets, il est mentionné la profession de son fils Alphonse.

Jeudi 13 juin - Ornes

Ce matin, le fourrier Sicot va du côté de Bezonvaux reconnaître un emplacement pour le train de combat qui ne peut rester à Ornes. Il en trouve un au sud de Bezonvaux à plus de 4 km d’ici.

 

Aussitôt après le repas du midi, le train de combat gagne cet emplacement (ce sont les voitures du bataillon qui ont pris la place prévue primitivement).

La journée est employée à l’installation des positions de combat de la compagnie.

 

Dès la pointe du jour, je retourne à La Baraque où je réveille les capitaines Bonis et Delarue, c’est ce dernier qui doit être en liaison avec moi à ma gauche, près de l’ancien cimetière d’Ornes.

Lui au moins ne s’enfuit pas, il couche tranquillement à la Baraque lors que sa compagnie est à plus de 1,5km de là. Vu le lieutenant Poirrier qui établit la liaison avec moi.

Le génie s’occupe hâtivement à miner la route à 200m en avant du carrefour d’Ornes.

 

Dans la soirée, le repli des troupes s’accélère encore c’est la fuite précipitée, la débâcle. Il paraîtrait que les Allemands se trouvent à moins de 5km d’ici. Nous allons donc nous trouver demain matin en 1ère ligne et cela à peu près sans armement.

Quelle honte !

Comme le commandement de l’armée s’est montré incapable. !

Vendredi 14 juin : Lemmes – La fuite

Départ d’Ornes 4h, arrivée bois Baleycourt 11h1/2

 

Départ de Baleycourt 21h, arrivée à Lemmes le 15 à 5h.

Toute la nuit la route est pleine de troupes qui se replient.

Quelle fuite éperdue !!!

 

À 3h du matin, le motocycliste vient me prévenir que la compagnie doit se replier au sud de Verdun, départ d’Ornes à 4h, j’envoie le cycliste Magne prévenir le train de combat et fait venir à Ornes une voiture de compagnie chercher les outils. Je suis heureux de voir cette voiture arrivée à 3h45 car avec la circulation sur les routes, il est bien difficile de remonter le courant.

 

Départ de la compagnie à 4h ½, la 3ème compagnie est suivie par la 2ème. Il faut marcher en colonne par un tant l’encombrement est grand. Passage par Bezonvaux, puis au carrefour de Dieppe-devant-Douaumont prendre la route de Verdun.

Dans les champs, on peut voir de nombreux troupeaux de bêtes à cornes qui avaient été rassemblées pour être évacuées vers l’arrière, mais l’avance allemande est rapide que nous avons été contraints de les abandonner.

Quelle aubaine pour les Allemands !

Les habitants des villages n’ont pas eu eux non plus le temps de partir ; dans les cours des fermes on peut voir les chariots chargés, mais vu l’encombrement des routes il est bien impossible de les mettre en route.

Passage par la Chapelle-sainte-Fine puis par le Faubourg Pavé de Verdun.

Passage de la Meuse puis nous empruntons la voie sacrée. Arrivée à Baleycourt vers 11h ½.

 

Nous bivouaquons dans un bois. Le train de combat nous y avait précédés. La 4ème compagnie établit un bouchon sur la route.

Ordre de départ à 20h, départ 21h.

 

Arrivée à Lemmes vers 5h du matin. Les 2ème et 3ème compagnies doivent organiser la position de résistance. La 4ème compagnie et le train de combat de toutes les compagnies vont dans le village un peu plus loin.

Avant d’arriver à Lemmes, long arrêt dans un bois.

Samedi 15 juin – L'attaque de Lemmes - Troyon

Arrivée à Lemmes 5h, départ 14h, passage de la Meuse

 

Arrivée à Troyon 21h départ 24h

Surville et Jamet ne rejoignent pas.

 

À peine arrivés à Lemmes, il faut organiser la position.

Les Allemands paraît-il sont à Verdun et sont arrivés à 3 ou 4 km d’ici. Si vite que nous allons, l’ennemi va encore plus vite.

Toute la matinée des éléments des troupes en contact avec l’ennemi viennent à Lemmes puis repartent vers l’arrière.

La fuite des habitants de Lemmes a dû être fort précipitée, des repas prêts sont restés sur les tables. Dans les cours les volailles circulent, ainsi que les lapins et les porcs.

Des avions allemands viennent nous bombarder et nous mitrailler. Les bombes tombent tout près du village. Elles tuent dans les champs une dizaine de vaches et génisses mais ne nous  causent pas de dégâts.

À tout moment, on s’attend à voir les Allemands apparaître mais ce ne sera pas encore pour aujourd’hui car à 14h nous recevons l’ordre de nous replier par le bois de….

 

Après une halte près du train de combat pour permettre aux hommes de manger, nous reprenons notre route vers Villers-sur-Meuse (15 à 16 km). Après une première pause, on nous prévient qu’il faut nous presser, le pont sur la Meuse devant sauter d’un moment à l’autre.

Passage de la Meuse où nous attendait notre colonel.

Pause dans…… puis nous prenons la route de Saint-Mihiel et nous nous arrêtons à Troyon. La compagnie bivouaque dans un bois voisin. Les habitants de Troyon sont très aimables et nous pouvons nous procurer un peu de boisson.

 

Arrivée à Troyon à 21h.

Repas, puis repos.

 

À 23h ½, on vient nous prévenir qu’il faut de nouveau partir à 24h.

Quelle cohue dans la route !

La fuite continue. Quelle triste chose que cette débâcle !....

Dimanche 16 juin - Pillage de Saint-Mihiel par les soldats français.

Arrivée à Lavignéville 4h ½, départ 9h.

 

Arrivée forêt d’Âprement 12h ½, départ 18h ½.

 

En pleine nuit (24h) la compagnie quitte Troyon. Le train de combat a eu bien de la peine à prendre place dans la longue file à sens unique des unités qui se repliaient en désordre vers Saint-Mihiel. La roulante se trouve séparée des autres voitures et la compagnie est scindée en plusieurs tronçons.

Pour aller à Lavignéville, il faut à Lacroix-sur-Meuse, tourner à gauche mais malgré les appels « le 446ème tournez à gauche » de nombreux éléments emportés par le flot continuent leur route vers Saint-Mihiel.

 

La compagnie arrive à Lavignéville à 4h ½.

Les hommes n’en peuvent plus et je suis bien fatigué.

Malgré cela, à peine arrivé, j’enfourche la bicyclette de la compagnie et avec le sergent Vincent, je vais à Saint-Mihiel à la recherche de la roulante qui elle aussi a dû prendre cette direction.

 

À Saint-Mihiel de l’autre côté de la Meuse, nous la retrouvons avec plusieurs hommes de la compagnie : Lebreton, Rivière, Benoist et quelques-uns du renfort dernier.

 

Au retour, nous trouvons de nombreux égarés : Molton, Lesueur, Montfort, Monrocq, l’ordonnance du capitaine Labbé auxquels je donne l’indication des emplacements des compagnies.

 

Retour à Lavignéville 7h  ½.

Je suis écœuré par le pillage systématique de Saint-Mihiel par les soldats français. Quelle honte !

Vu à Lavignéville, capitaines Lhuillier et Bodenan du 132ème que j’ai connus à Vezon.

 

Départ de Lavignéville à 9h.

La roulante vient de rejoindre. Les Allemands sont tout près, à moins de 2 km. Le 132ème prend position pour l’accrochage.

Arrivée forêt d’Aprement 12h ½. Suis bien fatigué. Village voisin [ill.].

Départ 18h ½.

Lundi 17 juin

Arrivée bivouac bois entre Jouy et Aulnois : 4 h.

Départ 9h ½, arrivée Bulligny : 23h ½

Mancel absent à l’arrivée

 

Après le départ de la forêt d’Âprement nous empruntons la grande route de (*) à (*) route encombrée par les troupes qui fuient et les habitants des localités voisines qui abandonnent leurs demeures.

 

En pleine nuit, les hommes doivent se faufiler entre les voitures qui par suite de l’encombrement sont sans cesse dans l’obligation d’arrêter. Quand il est possible, nous marchons à travers champs. Je me demande comment le convoi hippo va pouvoir se dépêtrer dans une telle cohue.

Arrivée au bivouac (bois entre Jouy et Aulnois) à 4h après être restés 3h couchés dans un champ sous la pluie.

Altercation entre Provost et moi.

 

Départ à 9h ½ pour Bulligny.

Difficulté pour les voitures hippo de faire demi-tour pour prendre la route de Crézilles. Altercation avec un capitaine qui, au croisement de la route voulait empêcher les voitures hippo de passer.

Passage par Borey puis par Trondes-de-Borey, à Trondes la route est très accidentée et non goudronnée, la poussière des pierres calcaires qui empierrent la route nous brûle les yeux.

Nous passons par Laneuveville puis traversons un bois (route très accidentée) passons par Foug, charmante localité où nous faisons la pause. Gens très aimables. Une dame nous offre de la limonade.

Passage par Choloy-Ménillot  (colline dont les flancs sud est sont couverts de vignes) puis par Blénod-lès-Toul. Arrivée à Bulligny à 23h.

C’est la plus longue étape faite jusqu’à ici, au moins 35 km.

 

À Bulligny, je passe le reste de la nuit dans un lit et ai l’occasion de m’entretenir quelques minutes avec une dame évacuée de Maney qui déplore les évènements actuels en attribuant une part de responsabilité aux jeunes officiers de l’armée qui ne pensent qu’amuser ainsi que trop souvent elle a pu s’en rendre compte à Nancy et à Toul.

 

(*) : Laissé blanc par Ferdinand

Mardi 18 juin – La retraite - Favières

Départ de Bulligny 16h ½

Arrivée bivouac entre Colombey-les-Belles et Favières 21h ½

 

Au matin, les 2ème et 3ème compagnies vont prendre position sur la crête qui domine Bulligny et là nous restons jusqu’à 16h, heure à laquelle nous recevons l’ordre de départ.

Toujours en colonne par un nous prenons la route de (*) puis de Colombey-les-Belles (localité assez importante où les bombardements des avions ennemis ont causé de nombreux dégâts (bon nombre de maisons ayant été incendiées et démolies.

Pause à la sortie du village, puis nous continuons notre route pour le bois de Colombey en direction de Favières. Il faut de nouveau se faufiler entre 2 colonnes d’artillerie se croisant et cela pendant plus de 4 km.

Comme le long des routes suivies les jours précédents, le chemin est jonché de matériel abandonné, sacs d’hommes avec leur contenu éparpillé, fusils même, voitures d’artillerie, etc…. C’est la retraite !!!!....

 

Pour nous on espère paraît-il pouvoir passer par Mirecourt.

Arrivée au bivouac (bois de Colombey) 3km au nord de Favières à 21h ½. Le train de combat qui n’a pas emprunté le raccourci à Colombey et qui a été embouteillé le long de la grande route n’arrive qu’à 23h.

 

(*) : Laissé blanc par Ferdinand

Mercredi 19 juin

Départ de Favières 14h.

Arrivée bois voisin de Vitrey 21h, départ 24h.

Au 19 juin matin, il ne manque à la compagnie que 10 hommes qui n’ont pas rejoint, alors qu’il en manque 15 à la 2ème compagnie et plus de 30 à la 4ème.

 

Nous restons dans le bois jusqu’à 14h, heure à laquelle les 2ème et 3ème compagnies s’en vont à travers bois rejoindre plus à l’est le bois de la Grande Feuillée, alors que la 4ème va à Favières. Je suis chargé de diriger la marche des 2 compagnies à travers bois et ce n’est pas une petite charge car il est bien facile de se perdre dans un bois (trouvé un tract lancé par un avion allemand).

 

Arrivés au bois de la Grande Feuillée, je retourne en bicyclette à Favières où j’ai la chance de trouver le colonel pour lui demander des ordres. Nous devons aller dans un bois près de Vitrey.

Chaleur accablante.

 

Nous attendons 17h pour partir.

Passage du 2ème bataillon sur ces entrefaites. Nous le suivons. Passage par (*) puis par Vitrey où se trouve l’E.M. de la division.

Vu à Vitrey, les 2 dames qui à Étain tenaient le débit où j’ai couché une nuit.

Évacuées d’Étain, elles n’ont pu aller à Épinal ainsi qu’elles en avaient l’intention, les Allemands y étant. La ligne Maginot a été percée par les Allemands à Neuf-Brisach si bien que nous sommes maintenant encerclés.

 

Arrivés au bivouac, bois sud-ouest d’Ognéville à 21h.

Réunion des officiers par le colonel qui nous renseigne sur la situation des 2ème et 3ème armées qui sont encerclées. Des pourparlers pour la signature de l’armistice sont en cours, il nous demande de tenir encore 24 heures afin que l’armistice précède notre capture.

Provost qui veut prendre la parole se fait vertement remettre à sa place.

 

(*) : Laissé blanc par Ferdinand

Jeudi 20 juin – Favières, Saulxerotte

Arrivée à Favières 3h ½, départ 17h. Arrivée voie ferrée à 2 km de Saulxerotte

 

Départ du bois à 21h. Nous passons par   (*)    et arrivons à Favières au petit jour.

Ma compagnie qui d’abord est de réserve s’établit dans un verger près de l’église qui déjà a été endommagée par les bombardements.

La 2ème compagnie s’établit route de Colombey et la 4ème route de Saulxerotte mais une heure après je dois partir avec 2 sections organiser la résistance à l’extrémité du village au-delà du passage à niveau plus loin que la route de Saulxerotte, car c’est paraît-il de ce côté que l’on craint le plus.

Les civils de Favières nous voient d’un mauvais œil organiser la résistance, car ils craignent que si on défend la localité elle ne soit marmitée et bombardée.

Installation des 2 sections sur la position que je dois défendre. Nous y passons la matinée. Des civils distribuent gratuitement aux hommes des bidons de vin, ce qui est regrettable car plusieurs d’entre eux s’enivrent (Montfort, Daniel, Martin, Thenon, etc…)

 

Aucun fait à signaler jusqu’à 15 h, heure à laquelle je reçois l’ordre de faire mouvement. Le régiment doit aller bivouaquer à l’ouest du bois de Colombey en passant par Saulxerotte.

Mais arrivés à 2 km de ce pays, le colonel apprend que l’endroit où nous devions aller est aux mains des Allemands, aussi le régiment fait demi-tour sauf la 3ème compagnie qui doit rester sur les lieux où elle va être à la disposition du G.R.D.I.

Les 4 sections vont tenir un front de plus de 1,5km avec seulement 2 F.M. et 3 mitrailleuses du G.R.D. Nous sommes dans un bois au nord-est de la voie ferrée, la 2ème section se trouve de l’autre côté de la dite voie.

 

(*) : Laissé blanc par Ferdinand

Vendredi 21 juin – Combat de Selaincourt

Départ 10h ½ Arrivée à Selaincourt 12h ½

 

À peine sommes-nous installés que les Allemands attaquent par le S.O., l’accrochage a lieu et l’avance allemande est arrêtée. Toute la nuit ce ne sont que des tirs (fusil, FM & mitrailleuses). Par une chance inouïe il n’y a aucun tué ni blessé à la Cie.

À la pointe du jour, 1 FM et une mitrailleuse se replient, puis une heure après une 2e mitrailleuse, il ne nous reste donc plus comme arme automatique qu’un FM à notre droite & une mitrailleuse à notre gauche.

L’attaque allemande que nous prévoyions pour 4h ne se produit pas, seule la fusillade continue à crépiter.

 

À 8h ½, j’envoie un coureur (Barbier) porter un compte-rendu au Cdt et leur demander des ordres. Je fais ensuite replier ma 2e section qui se trouvait en mauvaise posture.

 

À 10h ¼, retour du coureur qui m’apporte l’ordre de rejoindre le bataillon par le layon du bois de Dolcourt, que d’ailleurs Barbier avait emprunté.

 

Départ de la Cie à 10h45 après avoir prévenu les FM de notre départ. Ce groupe de 5 FM va donc se trouver complètement isolé et en bien mauvaise posture.

 

Arrivée à Selaincourt où je retrouve le Cdt à 12h ½. Les 2e & 4e Cie sont au bord de la route nationale. Crépitement de la fusillade.

Des balles allemandes nous sifflent aux oreilles. Très fort orage qui nous trempe jusqu’à la peau.

Repli dans le village.

Le Lt Corsin nous fait une avance sur notre solde pour le mois de juin.

Ceci pour se débarrasser d’une partie de ses fonds. Je reçois pour ma part 4000F plus 200F pour payer une partie de la solde aux hommes.

Hier soir, de la position que nous occupions, nous avons pu assister au bombardement de Favières.

Samedi 22 juin – La 5ème colonne

Je suis fait prisonnier à Selaincourt.

1er jour

 

Réveil à 4h, je finis de distribuer aux hommes de ma Cie les 2000F que m’a donnés l’officier de détail Corsin. Je peux donner 25F à chaque caporal et 15F à chaque soldat et ainsi il reste juste 20F.

À l’extrémité du village en direction du bois de Goviller, les soldats du 132e RIF, ont parait-il tendu des drapeaux blancs.

 

À 8h, alors que je suis dans la rue, j’aperçois un attroupement à l’extrémité de cette rue, ce sont des soldats de la 2e Cie qui avec la 4e se sont repliés au cours de la nuit qui se rendent à un soldat allemand.

Devant cette situation il nous est bien impossible de nous défendre car le moindre coup de feu amènerait aussitôt le tir des mitrailleuses et mitraillettes allemandes braquées sur les rues remplies de soldats et de civils.

Ce serait un civil de Selaincourt qui dès la pointe du jour serait allé chercher les Allemands (toujours la 5e colonne !!).

Les soldats allemands arrivent de plus en plus nombreux et un feldwebel qui vient parler au Cdt Lecacheur.

 

Nous nous rendons (9h).

Les 3 Cie du 446, une du 132e RIF et divers éléments escortées de sentinelles allemandes prennent la route de Favières, où nous pouvons constater en passant les effets du bombardement d’hier soir, de nombreuses maisons sont incendiées ou démolies. Nous allons à Saulxerotte.

Vu sur la route une dizaine de tués et un cheval décapité par un obus.

À Saulxerotte les officiers sont séparés de la troupe et nous sommes gardés dans la mairie (je garde Dauphin pour ordonnance).

 

Départ de Saulxerotte à 16h.

Long arrêt en route. Dauphin reste à Saulxerotte. Arrivée sous la pluie dans un camp en pleine campagne près de Vaucouleurs.

 

Là nous sommes obligés de passer la nuit couchés sur la terre détrempée n’ayant qu’une couverture pour abri, aussi nous nous réveillons trempés.

Ce camp a été établi en hâte par les Allemands et ce matin ils travaillent encore à le clore avec du fil barbelé.

Dimanche 23 juin - Vaucouleurs

Nuit passée dans un camp. Au matin départ à pied pour l’église de Vaucouleurs.

Arrivée à 8h.

 

Après avoir bu le « jus » à la roulante installée dans le camp les officiers arrivés hier soir au camp sont mis en route à pied escortés de sentinelles allemandes pour aller à Vaucouleurs où nous devons cantonner dans l’église.

Vaucouleurs est une localité assez importante qui n’a que peu souffert de la guerre. L’église est vaste et tous les 7, le Cdt Labbé, Mongodin, La Cann, Corsin et Maigney nous occupons 2 bancs.

Les repas sont préparés par des personnes charitables du pays, les denrées étant fournies parait-il par la municipalité.

 

Nous sommes environ 200 dans l’église, il parait qu’il y également d’autres officiers cantonnés à la mairie. Je retrouve dans l’église les capitaines Lhuillier et Bodenan du 132e RIF, ainsi que les capitaines Huez & Rey, les lieutenants Dorbécourt, Besnier, Forget du 403e RP que j’ai connus à Spincourt.

La population civile de Vaucouleurs se montre très aimable pour nous. Par son intermédiaire nous pouvons nous procurer bon nombre de choses, conserves, pain, chocolat et du linge, serviettes, lames de rasoir, brosses à dents etc..

Je me procure ainsi une brosse à dents avec un tube de pâte dentifrice, un quart et une serviette de toilette.

Lundi 24 juin – Les officiers de salon !

Église de Vaucouleurs  .

3e jour

 

Nous passons la nuit allongés sur les bancs et cela manque un peu de confort.

Les sentinelles allemandes qui nous gardent n’arrivent pas à empêcher les enfants à apporter aux prisonniers un peu de ravitaillement et en premier lieu : du pain.

Un officier du 2e bataillon, Lelièvre, officier de détails qui a été fait prisonnier le 20 au soir à Saulxerotte et qui se trouvait à la mairie de Vaucouleurs avec d’autres officiers français, vient, escorté d’une sentinelle, à l’église pour voir s’il n’y trouverait pas d’autres officiers du 446e.

 

Après notre rencontre, il réussit, de retour à la mairie, à obtenir de venir cantonner avec nous.

Ce lieutenant Lelièvre ne sait pas quand le 2e bataillon a été fait prisonnier puisqu’il n’a pas réussi à le rejoindre dans le bois de Goviller.

 

La journée s’écoule bien lentement.

Nous sommes ici environ 150, appartenant à des unités très différentes. Avec nous se trouvent un intendant militaire qui a dû être bien surpris d’être ainsi capturé, alors que son emploi était un véritable filon. Il y a également un capitaine de gendarmerie de la prévôté.

Lui qui mettait les types en prison s’y trouve à son tour ; des vétérinaires, des juges aux tribunaux militaires etcetc

La plupart de ces officiers qui se trouvaient bien embusqués la trouvent bien mauvaise, et généralement ils restent fiers, hautains et ne fréquentent pas les autres officiers.

Ce sont bien des officiers de salon qui sont bien surpris d’avoir été ainsi faits prisonniers.

Mardi 25 juin – Les clochent sonnent la fin de la guerre – il faut fusiller les dirigeants.

Église de Vaucouleurs.

 

Cloches sonnent à 11h la fin de la guerre.

 

De nouveau la nuit se passe, allongés sur les bancs dans une position peu confortable.

Par les civils, nous réussissons encore à nous procurer un peu de pain et quelques boîtes de conserve. Nous en avons besoin car malgré la générosité du comité qui s’occupe de subvenir à notre existence, notre nourriture reste insuffisante.

D’après les bruits qui courent, la guerre avec l’Italie aurait cessé à 1h ce matin.

 

À 11 heures, les Allemands font sonner les cloches des églises (fin des hostilités).

Ah ! Ce sont des cloches qui sonnent le glas de la France, comme il est pénible à entendre !!...

Je crois que dans l’histoire du monde jamais un peuple n’avait subi une défaite aussi humiliante. Quelle tristesse et quelle honte pour notre pauvre pays !! Nous voilà maintenant à la « merci » de ces peuples avides d’espace vital.

De quelles régions la France sera-t-elle amputée ?

Quelles colonies perdrons-nous ?

 

Voilà la France à bas pour longtemps et je crains bien que jamais nous n’assisterons à son relèvement.

Ah les salauds de dirigeants qui nous ont conduits au point où nous en sommes. Comme on devrait les fusiller : Ah ! À l’heure actuelle ce n’est plus une gloire d’être Français !

Il faut tout de même que nous ayons été vendus, trahis aussi bien dans nos états-majors que par nos gouvernants pour avoir été battus aussi rapidement et aussi complètement.

Mercredi 26 juin

Église de Vaucouleurs  .

5e jour

Départ pour Nancy 1h. Logés à l’Université. Jeanne m’apprend la perte de ma cantine.

 

Aucun nouveau ce matin, mais à 10h on nous prévient que nous partons à 13h.

Après le repas attente jusqu’à 14h, l’heure à laquelle nous nous mettons en route pour la place de la mairie où nous montons dans des camions ainsi que les officiers qui se trouvaient cantonnés à la mairie.

Nous sommes dans un camion découvert et alors que nous attendons le départ nous subissons une averse torrentielle qui traverse ma tunique (je n’ai pas de capote, la mienne étant restée au train de combat).

 

Départ de Vaucouleurs à 14h ½.

Nous passons par espace libre où le pont ayant sauté, les Allemands ont construit un pont en bois. La localité a été aussi bien endommagée par les bombardements.

Nous passons par Toul qui a assez souffert en particulier la cathédrale qui a été incendiée. Le pont sur la Moselle dont une arche avait sauté a été en partie réparé.

Dans toutes les localités traversées même les plus petites nous pouvons voir de nombreux soldats allemands.

À quelques km de Nancy, le convoi s’arrête juste devant un camp de prisonniers français où nous reconnaissons quelques hommes du 446e 2e bataillon qui nous apprennent que le 2e bataillon et le colonel ont été fait prisonniers dans le bois de Goviller le 21 juin dans la soirée. Ils ont donc été pris avant nous et cela nous fait plaisir.

 

Dans l’après-midi du 21, le bois a été marmité par les Allemands et il y a eu quelques victimes à la 5e Cie (7 morts et une vingtaine de blessés). J’espère que Jean-Baptiste Thouroude n’est pas du nombre.

Dans ce camp de prisonniers se trouvent aussi les sections de commandement des Cie du 1er bataillon je peux même échanger avec Jeanne, le chef comptable de ma Cie quelques paroles.

J’apprends par lui que les fonds de la Cie sont en lieu sûr, qu’un obus est tombé sur le train de combat de la Cie tuant 4 chevaux. Vu également Le Touche & Versal. Ils sont à ce camp 21 de la Cie.

Touzé est absent, on ne l’a pas revu depuis le 21 midi.

 

Arrivée à Nancy à 19h ½.

Nous sommes logés à l’université où nous passons la nuit couchés sur le plancher d’un grenier.

Jeudi 27 juin – Nancy – Les conditions de l'armistice

Départ de l’Université pour la Maison mère des Sœurs St Charles.

 

Le 27 au matin, rassemblement de tous les officiers dans la cour de l’université pour affectation rationnelle des locaux. Les 7 officiers du 446e avec 8 du 332e sont logés dans une pièce au rez-de-chaussée où nous nous installons.

On affiche dans la cour les conditions imposées par l’Allemagne à la France pour la conclusion du l’armistice.

 

Conditions très dures.

La France sera au 2/3 occupée. La ligne limite part de Genève passe par Lyon pour aller à 20km à l’est de Tours et gagner ensuite Bordeaux, & Bayonne. Toutes les côtes de France, sauf celles de Méditerranée, seront donc occupées et en particulier toute la Normandie et toute la Bretagne.

D’autre part la libération des prisonniers français n’aura lieu qu’après la signature de la paix alors que les prisonniers allemands seront libérés immédiatement.

 

C’est un armistice honteux pour notre malheureux pays, mais dans les circonstances actuelles ce Maréchal PÉTAIN était bien forcé de se soumettre, Pauvre France !

Quelle chute !

Adieu le prestige de notre pays dans le monde !

La France va être réduite à l’état de pays secondaire. Ah ! si nos dirigeants ont une conscience, quel remords ils doivent avoir !!

Ce sont nos maudits politiciens qui ont ainsi conduit la France à sa ruine. Quelle responsabilité !

 

Dans l’après-midi les colonels, les commandants et les plus vieux capitaines dont je fais partie avec Labbé & Mongodin sont désignés pour aller cantonner dans un couvent de Nancy (maison mère des Sœurs St Charles).

 

Départ en camion à 16h & arrivée à 16h ½ après traversée d’une partie de la ville de Nancy.

Je loge en compagnie des capitaines & de quelques commandants dans un dortoir.

Si ce n’est l’absence de couvertures nous ne serions pas trop mal. Le local est très propre le plancher est ciré mais l’espace est très restreint.

D’autre part la cour est très petite pour les 150 que nous sommes.

Vendredi 28 juin – Les salopards de Français

St Charles, Nancy. 7e jour

 

Commandes d’effets par les officiers.

C’est que la plupart d’entre nous ont perdu leur cantine.

La nôtre (446) qui était au train de combat (Bois de Goviller) a été pillée non pas, parait-il par des soldats allemands, mais des salopards de Français.

Je perds ainsi un pantalon et une culotte complètement neufs, mon képi, 3 chemises, 2 caleçons, 2 serviettes de toilette, une paire de chaussures à peu près neuves etc…etc.

C’est une perte de plus de 3000F.

Samedi 29 juin

St Charles, Nancy

 

Rien de nouveau.

Les heures passent bien lentement. Il faudrait pouvoir dormir pendant 1 mois et se réveiller au bout de ce temps. J’espère qu’alors ce serait la liberté.

Nous sommes ici dans une inaction déprimante. Il n’y a rien qui puisse nous distraire un peu. Par comble de malchance nous avons laissé nos deux jeux de cartes à nos camarades qui sont restés à l’université. Je regrette maintenant leur avoir laissé mon bidon qui pourrait à l’avenir m’être très utile.

 

Dans l’après-midi, la distribution des achats faits pour le groupe a lieu. Le 4e groupe est plutôt mal servi et la majorité des commandes faites par les officiers du groupe n’ont pas eu satisfaction. Pour moi j’ai simplement 2 jours de chaussettes, un caleçon court et une paire d’espadrille.

 

Bon nombre d’officiers qui se trouvent avec nous ont la chance d’être en possession de leurs cantines si bien qu’ils ne manquent de rien. Tel n’est pas notre cas, car pour tout bagage nous avons une musette. Heureusement que depuis quelques jours avant d’être fait prisonnier j’avais garni un peu ma musette achetée à Paris ; j’ai aussi la chance d’avoir une chemise de rechange ainsi qu’une flanelle.

Un coiffeur civil vient au couvent cet après-midi et reviendra demain matin ; je lui commande un jeu de cartes.

Dimanche 30 juin

St Charles, Nancy. 9e jour

 

Rien de nouveau ce matin. Dans la matinée je me fais couper les cheveux par le coiffeur qui contrairement à ce que j’attendais ne m’apporte pas le jeu de cartes demandé hier.

Dans la situation où nous sommes un jeu de cartes nous aiderait pourtant à tuer le temps qui pour nous s’écoule bien lentement.

 

Ici nous ne sommes pas trop à plaindre.

Le dortoir où nous sommes couchés est très propre. D’autre part nous n’avons pas à nous plaindre au sujet de la nourriture qui est préparée par les Sœurs de la Communauté.

Notre ravitaillement est assuré par la ville de Nancy moyennant 10F par jour pour les officiers supérieurs, 7F pour les capitaines et 5F pour les autres officiers. Mais si ce ravitaillement est nettement insuffisant, il nous est possible de l’améliorer par des achats faits par les Sœurs à Nancy.

Pour ce complément de nourriture nous versons chacun une provision de 50F. Aussi nous avons suffisamment à manger, et à peu près à tous les repas nous avons salade et fruits (fraises ou cerises).

 

Malheureusement il est à présumer que nous ne profiterons pas longtemps de ces avantages car on parle déjà d’un départ prochain.

Pourvu que les Allemands ne nous expédient pas en Allemagne !!

Car j’aime mieux encore rester en France, mais malheureusement on ne nous demandera pas notre avis.

La journée se passe sans rien de particulier.

Notes de juin

 

Ø  1            Envoi colis 5fs, 60 – Brosse chiendent 6fs = 11fs, 60

Ø  2            Apéritifs avec Poirrier     30fs, 00

Ø  3           Apéritifs 10fs – Popote (1 semaine) 210fs = 220fs, 00

Ø  4           Popote 2 jours 50fs – 2 bouteilles Bourgogne 22fs – Pourboires 20fs = 92fs, 00

Ø  5            Apéritifs 25fs – Élixir parégorique 5fs – Dîner 17fs – Souper 16fs =  63fs, 00

Ø  6            Popote Spincourt 24fs + 40fs = 64fs, 00

Ø  7                       

Ø  8            Donné à Quesnot et à Philippe pour abri 20fs = 20fs, 00

Ø  9            1 L de rhum =  35fs, 00

Ø  10          Donné Lépeni 15fs – Payé popote 4 jours à 20fs + 150fs d’avance = 245fs, 00

Ø  11           Consommations = 15fs, 00

Juillet 1940 – Prisonnier à la chartreuse de Bosserville - Commentaires sur la mentalité de la France - Causes de la défaite, vues par Ferdinand - Les bruits qui circulent – Le manque de nourriture – Le débarquement en Angleterre

Lundi 1er juillet

Nous quittons St Charles pour Bosserville : 10ème jour.

 

Rien de nouveau ce matin, mais à onze heures, nous apprenons que nous devons quitter St Charles cet après-midi pour aller cantonner au séminaire situé à une distance d’environ 5 km d’ici. Aussi avant le repas, il faut préparer sa musette.

Nous allons sûrement regretter St Charles, surtout au point de vue nourriture, qui était ici préparée par les sœurs.

Les capitaines devaient partir à 14h à pied, mais à 15h nous sommes encore dans la cour.

 

Départ en camion à 16h ¼. Nous traversons une grande partie de la ville de Nancy et arrivons vers 17h à Bosserville (ancienne chartreuse, maintenant à l’usage de séminaire). (*)

 

Les bâtiments sont immenses, semblables à ceux d’une trappe, mais ils sont totalement dépourvus de confort.

En chemin nous avons dépassé la colonne d’officiers qui était restée à l’université et à Bosserville nous retrouvons Le Cann, Lelièvre, Copoin et Pergrun.

Notre installation prend plus de 2 heures. Je loge dans un dortoir avec le commandant Lecacheur, Labbé  et Mongodin et 45 autres commandants et capitaines.

À peine arrivés ici de nouveaux tuyaux circulent. À la T.S.F., Hitler aurait dit :

« Mères françaises, épouses françaises vos fils, vos maris vous seront rendus avant le 16 juillet. »

Ce renseignement puisse-t-il être vrai !! Je n’ose y croire.

 

(*) : La chartreuse de Bosserville existe toujours. Elle est située dans la banlieue est de Nancy.

Mardi 2 juillet

Chartreuse de Bosserville : 11ème jour.

 

Les bruits les plus invraisemblables circulent.

L’Angleterre aurait adressé un ultimatum à l’Allemagne, lui donnant 72h pour évacuer la France. La Russie aurait déclaré la guerre à l’Italie. L’Amérique l’aurait déclarée à l’Allemagne. Berlin serait en flammes et Venise serait presque détruite. De tous ces bobards, qu’y a-t-il de vrai ?

Rien peut-être. (*)

 

Un autre tuyau serait que les officiers de réserve seraient rapidement démobilisés, alors que ceux d’active seraient maintenus prisonniers.

 

Dans la matinée, un état est fait par groupe mentionnant pour chaque officier l’âge, la situation de famille, s’il est de l’active ou de la réserve. Si on commence à renvoyer les officiers les plus âgés, je serai certainement des premiers à partir.

Mais hélas il n’y a rien d’officiel en ce qui concerne notre libération et j’ai bien peur qu’elle ne se fasse attendre longtemps.

 

Dans la soirée, l’évêque de Nancy vient à Bosserville et par Lelièvre qui est en rapport avec les séminaristes d’ici, ainsi qu’avec les prêtres qui se trouvent encore à la chartreuse, nous apprenons qu’il n’y aurait pas d’espoir pour une libération prochaine.

D’autre part, l’autorité allemande aurait menacé de faire fermer les églises si on continuait dans les églises de prier pour la France.

Je trouve à acheter un jeu de bridge : 32fs.

 

(*) : Il a raison, tout est faux

Mercredi 3 juillet

Chartreuse de Bosserville : 12ème jour.

 

Lever à 7h.

Appel dans le verger à 9h.

Le commandant du camp est le colonel Leclerc, ancien colonel de Spahis.

La matinée se passe à faire un bridge avec Le Cann, le commandant Lecacheur et Mongodin.

 

Ce midi, après le repas on nous demande le prix de notre nourriture. La ville de Nancy ayant accepté de nous ravitailler moyennant une redevance de 10fs par officier supérieur, 7fs par capitaine, 5fs par lieutenant, sous-lieutenant ou aspirant ; aussi pour 7 jours je verse 49fs.

Les 50fs versés à St Charles ayant pour but l’amélioration de l’ordinaire.

À l’état préparé hier concernant tous les officiers du camp, il faut ajouter le recrutement de la localité où on doit se retirer en cas de libération, mais ceci est tout simplement une initiative du colonel commandant le camp et ne vient pas de l’autorité allemande.

 

Dans la matinée, un nouveau tuyau circule : les toubibs doivent être libérés demain matin.

Je passe l’après-midi à jouer au bridge et à faire une partie de boules.

Que les journées sont longues !! Qu’il est difficile de tuer le temps. De plus cette absence de nouvelles de nos familles est vraiment déprimante, aussi le moral est plutôt mauvais.

Nous ne savons rien des évènements qui se passent, les bruits les plus fantaisistes circulent, exemple : une armée canadienne serait débarquée en France.

Jeudi 4 juillet

À Bosserville : 13ème jour.

 

Aucun tuyau sensationnel ce matin.

Cette nuit il a plu mais malgré cela la température reste orageuse.

 

Le camp s’organise comme si nous devions rester plusieurs années ici.

Une commission des ordinaires est créée pour le ravitaillement. C’est en ce moment une question de première importance, car il est fort probable que d’ici peu de temps les denrées vont se faire rares.

 

Cet après-midi, nouveau tuyau. La liberté ne nous serait rendue qu’après le 14 juillet, date choisie par le Führer pour une revue triomphale et un défilé sous l’arc de triomphe et l’avenue des Champs Élysées par l’armée allemande.

Après le 14 juillet, les prisonniers seraient envoyés dans le territoire français non occupé et de là démobilisés.

Si cela pouvait être vrai, ce serait maintenant une question d’une vingtaine de jours.

Puisse ce tuyau être vrai !!

D’après les journaux allemands, le général Noguès au Maroc aurait accepté les conditions de l’armistice.

D’autre part Weygand serait parti en avion en Syrie pour obliger le général Mittelhauser à accepter les dites conditions. Ce serait alors la fin de la guerre entre la France et l’Allemagne et rien ne s’opposerait plus à notre libération.

Mais tout cela est-il vrai ?

Car il faut être sceptique, il y a tant de faux bruits qui courent.

Vendredi 5 juillet – Commentaires sur la mentalité de la France

À Bosserville : 14ème jour.

 

Rassemblement habituel à 9h.

Comme il n’est pas certain que les cartes que nous écrivons arrivent à destination, une demande va être adressée à la Croix Rouge et au ministre de la guerre français pour que les familles des officiers prisonniers au camp soient prévenues.

 

Ce soir, par des renseignements venus du supérieur du Séminaire, il paraît que les allemands sont en train de piller Nancy.

Des femmes nazies venues en camion s’emparent des bijoux (2 bijouteries de Nancy auraient été ainsi complètement dévalisées), il en serait de même des papeteries. D’autre part les sacs de blé, de farine sont chargés en camion et expédiés en Allemagne.

Par ailleurs la ville de Nancy avait rassemblé un troupeau de 120 bêtes à cornes pour nourrir les prisonniers.

Les Allemands ont réquisitionné ce troupeau et le revendent à la ville.

 

Nous n’avons toujours aucun tuyau sur ce qui se passe en France et à l’étranger.

Pauvre France !

Jamais dans le cours de l’histoire elle n’a subi une pareille défaite. Quelle humiliation pour tous ceux qui ont encore dans le cœur l’amour de la Patrie.

Ah ! Cet amour de la Patrie, comme il s’est peu à peu effacé chez la majorité des Français !!

Maintenant, depuis 1919, c’est le règne complet de l’égoïsme. On ne pense plus qu’à soi, qu’à s’enrichir par n’importe quels moyens.

Ce changement de mentalité en France depuis l’autre guerre est dû pour une grande part, d’abord à la famille et ensuite à l’école. Bon nombre de maîtres antimilitaristes avaient, en effet, supprimé de leur enseignement les leçons concernant la patrie et les devoirs du soldat. Voilà l’œuvre du Front populaire en partie responsable du désastre actuel.

Samedi 6 juillet – Causes de la défaite

À Bosserville : 15ème jour.

 

Ce matin, rassemblement habituel après lequel j’assiste à une leçon d’allemand pour les débutants (professeur : capitaine Wilt).

Au rapport de ce midi, il y a un nouvel état à faire (il y en a en moyenne au moins un par jour).

Cette fois il s’agit de faire la liste des officiers de réserve avec leur classe de mobilisation et leur situation de famille. Si cet état pouvait avoir une relation avec notre libération !!

Mais hélas ! Rien ne peut l’assurer. Il est cependant fort possible que les officiers de réserve soient libérés avant les officiers d’active.

Dans ce cas je serais certes un des premiers à partir.

 

D’après les journaux allemands, les anglais auraient coulé le Dunkerque et plusieurs autres cuirassés français dans le port d’Oran.

Il paraîtrait qu’il y aurait 1.900.000 prisonniers français, c'est-à-dire à peu près la moitié de l’armée française et environ 20.000 officiers. Au camp où nous sommes il y en a plus de 600.

Quel désastre ! Quel honte pour l’armée française et pour la France !!

 

Quelles sont les causes de cette défaite sans précédent dans l’histoire.

Elles sont nombreuses et complexes :

a) Causes matérielles.

Au 10 mai, lors de l’attaque allemande, la France disposait d’environ 700 avions en état de vol alors que l’Allemagne en avait 12.500. Conséquence : dès les premiers jours de la guerre, les allemands avaient la complète maîtrise de l’air. Tous les combattants sont unanimes à dire que sur le front on ne voyait jamais d’appareils français, alors que les allemands venaient en toute tranquillité bombarder et mitrailler nos lignes et les arrières, démoralisant ainsi nos troupes.

Même chose pour les tanks.

 

b) Incapacité de l’E.M. français qui préparait la guerre pour 1941, accumulant le matériel dans les dépôts à l’arrière sans le livrer aux unités combattantes.

On peut dire que dans cette guerre l’E.M. s’est montré au-dessous de tout.

 

c) Causes morales.

Le soldat de 1940, élevé dans des idées internationalistes n’avait plus le culte de la Patrie et par suite aucun esprit de sacrifice ne l’animait. Maintenant c’est le règne de l’égoïsme. Habitué à bien vivre sans beaucoup travailler, le français n’a plus qu’une idée, sauver sa peau, peu lui importe le résultat de la guerre, je dirais même qu’il se désintéresse de sa nationalité, ce qui compte pour lui c’est la facilité de vivre.

De cet état d’esprit, quels sont les responsables ? D’abord la famille, où les enfants trop gâtés deviennent naturellement égoïstes, ensuite l’école, il faut bien l’avouer, où trop souvent les maîtres ont fait preuve de plus d’internationalisme que de patriotisme.

Depuis la fin de l’autre guerre, il était de bon ton de prêcher contre la guerre, de laisser de côté tout ce qui concerne la Patrie et les devoirs du soldat.

 

(*) : Nous ne savons pas si ce sont les pensées de Ferdinand, mais cela "colle" curieusement aux réponses apportées après-guerre.

Lundi 8 juillet – Les bruits qui circulent

À Bosserville : 17ème jour.

 

Hier matin, à l’appel il y a eu je crois 4 officiers portés absents. Le colonel Leclerc qui commande le camp en a profité pour faire quelques réflexions. Si quelques-unes de ces réflexions peuvent être justifiées, malheureusement, elles ont été énoncées dans une forme brutale qui aurait pu être admissible dans la bouche d’un officier allemand mais qui pour le moins sont déplacées de la part d’un officier français.

 

Le midi, un nouveau bruit circule, il serait probable qu’on nous enlève tout notre avoir en espèces et cela m’inquiète un peu. Le soir le bruit se confirme.

Matin rassemblement habituel à 9h. Le colonel Leclerc nous annonce que contrairement aux bruits qui ont couru hier soir, nos cartes écrites hier sont parties.

D’autre part, il nous sera possible de recevoir des colis, des mandats, comme il nous sera possible d’expédier des mandats. Nous pourrons être détenteurs d’une somme de 4000fs, ou 200 marks. Tout cela n’est pas très agréable car ces mesures laissent à penser que nous ne sommes pas près de recouvrer la liberté.

Dans la matinée, j’assiste à la 2ème leçon d’allemand, leçon assez compliquée, car il s’agit des déclinaisons.

 

Ce midi, autre nouveau, les lieutenants qui se trouvaient à la 3ème Cie sont mutés dans d’autres compagnies. De plus la nourriture de la 3ème Cie sera maintenant préparée à l’aide d’une roulante.

Nous devons cela paraît-il au commandant Boixeda de la 2ème Cie. Ce commandant à la barbe fleurie est bien le type du Marseillais, aussi l’a-t-on surnommé aussitôt Marius. C’est lui qui, alors que nous étions dans l’église de Vaucouleurs disait à un camarade :

« Je n’entends plus rien. Que c’est bon ! J’ai la vie sauve. C’est une satisfaction qui compte. »

 

Paroles qui marquent son égoïsme et son absence de patriotisme. Hélas, nombreux ceux qui le pensent sans le dire !!

Et cela est une cause de notre désastre.

Mardi 9 juillet

À Bosserville : 18ème jour.

 

Ce matin au rassemblement, le commandant du camp fait sortir des rangs les vétérinaires mais il n’inscrit que ceux qui ont moins de 45 ans. Ce serait pour donner des soins aux chevaux restés dans la région.

Le bruit circule que les médecins vont d’ici très peu de temps être libérés, qu’il serait question de libérer les officiers de plus de 45 ans et les hommes de plus de 35 ans.

Qu’y-a-t-il de vrai ?

L’avenir le dira. Mais j’ai grand hâte de partir et s’il me fallait passer de longs mois en captivité je crois bien que je ne tiendrais pas le coup.

 

À partir du 15 juillet les capitaines ne pourront plus prendre leurs repas avec les officiers supérieurs (décision du colonel Leclerc).

La vie continue ici avec une monotonie habituelle aussi j’ai grand peine à penser à chasser le cafard qui m’envahit peu à peu.

Quand donc viendra le jour béni de la liberté !!

Être prisonnier deux fois dans sa vie cela compte mais à mon âge c’est cette fois plus pénible et je me demande bien si je pourrai résister longtemps.

Le commandant Lecacheur qui va avoir 61 ans le 5 août a fait une demande pour être libéré à la date où il est dégagé de toute obligation militaire, il avait adressé à l’autorité allemande, cette demande lui est revenue afin de l’adresser au ministère de la guerre français.

Mercredi 10 juillet

Ce matin, d’après les tuyaux qui circulent, les Allemands auraient libéré tous les Alsaciens-Lorrains en captivité.

Cette mesure se comprend. L’autorité allemande veut certainement amadouer la population alsacienne et lorraine avant que les clauses de la paix réunissent des provinces au Reich.

Les journaux allemands parlent des revendications territoriales de l’Allemagne (Alsace, Lorraine, anciennes colonies allemandes et peut-être le bassin de Briey).

Ces revendications sont relativement modestes car dans l’état où est la France, le Reich peut lui imposer n’importe quelles conditions.

 

L’Italie demanderait la Tunisie, la Corse (peut-être) et Djibouti.

Il semblerait que l’Allemagne essaie un rapprochement avec la France.

Si la paix était signée d’ici quelques jours il est fort probable que la libération des prisonniers commencerait à brève échéance.

Toutes les commandes qui avaient été faites à Saint Charles sont annulées et on nous rembourse les sommes avancées.

 

Cette nuit, une sentinelle allemande a tiré 2 coups de feu sur un officier qui paraît-il tentait de s’évader de la cellule T. Au rapport quotidien on nous prévient que la nuit les sentinelles tireront sans sommation préalable.

Ce matin le capitaine Labbé s’est plaint d’étourdissements et reste au lit. Ce malaise ne dure pas et ce midi, il n’y parait plus.

Jeudi 11 juillet

Au rassemblement de ce matin, le vœu est exprimé que le foyer du soldat de Nancy géré par une dame de la Croix Rouge pense établir ici une cantine où nous pourrions nous procurer l’indispensable.

En attendant nous faisons une nouvelle commande.

Pour ma part je demande un savon de Marseille, une boite de cirage rouge et une brosse double à chaussures.

 

Le temps aujourd’hui s’est mis à la pluie qui ne cesse pas de tomber aussi ne pouvant sortir les heures paraissent encore beaucoup plus longues.

Que ces jours de captivité sont pénibles, d’abord au point de vue moral l’absence de nouvelles des siens donne peu à peu le cafard. Voilà plus d’un mois que j’ai eu la dernière lettre de Picauville et il ne faut pas s’attendre à en recevoir de sitôt. (*) : Nous

 

D’autre part au point de vue matériel nous n’avons ici aucun confort ; nous sommes mal couchés et la nourriture laisse sérieusement à désirer quand donc viendra ce jour béni de la libération.

Il nous est possible de nous procurer de temps à autre un journal édité à Metz, mi-allemand, mi-français, mais ce journal ne nous apporte encore aujourd’hui aucune nouvelle intéressante.

La lutte entre l’Angleterre et l’Allemagne continue. Le résultat de cette guerre m’apparaît bien incertain, cependant je crois que les Anglais auront bien du mal  à résister à une attaque allemande si une descente peut avoir lieu sur leurs côtes.

 

(*) : Nous : en effet, Ferdinand va attendre longtemps…

Vendredi 12 juillet

Le temps ce matin s’est remis au beau et le rassemblement habituel de 9h peut avoir lieu dans le verger.

Aujourd’hui 7 capitaines quittent la chambrée où nous étions par trop serrés. Nous allons y rester 39 ce qui est déjà beaucoup.

 

Le journal allemand de ce soir annonce la démission de Lebrun comme président de la république. Cette démission aurait été demandée par Pétain qui devient chef d’état et chef du gouvernement. Il sera assisté de 12 ministres.

D’autre part les provinces renaitront et le pouvoir sera ainsi décentralisé.

 

Une fois le gouvernement constitué, j’espère que la paix ne tardera pas à être signée et que notre libération suivra à brève échéance. Il est très compréhensible qu’Hitler ne veuille traiter avec la France que lorsque celle-ci aura un véritable gouvernement.

En attendant, la guerre continue avec l’Angleterre et à ce sujet les nouvelles les plus contradictoires circulent.

À en croire le journal allemand, la France serait plutôt en désaccord avec l’Angleterre et nous aurions tendance à nous rapprocher de l’Allemagne.

 

Au rassemblement de ce soir, on prévient les médecins qu’en vertu de la Convention de Genève croyant à une libération prochaine, qu’ils devaient rester dans les camps de prisonniers pour soigner leurs compatriotes. Quelle déception pour eux !!...

Samedi 13 juillet

Il y a ce matin 3 semaines que je suis prisonnier et toujours rien de nouveau.

Vivement la paix et la libération. Il y aurait en France changement de Constitution et la nouvelle serait soumise à un plébiscite du pays.

 

Ce midi, on nous apprend comme nouvelle sûre la révolte de l’Éthiopie. Si cette nouvelle est vraie cela ne me surprend pas, car parait-il les Italiens sont très mal vus dans leur conquête où ils n’occupent que les principaux centres d’où ils ne peuvent s’écarter sans danger.

Toujours aucune nouvelle des familles.

 

Cet après-midi, le commandant du camp nous fait donner une série de renseignements (nom, prénom, date et lieu de naissance, prénom du père, nom de famille de la mère, n° matricule, religion, date et lieu de la capture, taille, couleur des cheveux, signes particuliers, en bonne santé, malade ou blessé).

Tous ces renseignements doivent leur servir à établir une fiche par officier.

 

La nourriture devient de plus en plus insuffisante, ce soir nous avons tout juste un peu de bouillon et des lentilles. L’économat du séminaire ne peut plus rien nous acheter aussi parle-t-on de nous rendre les sommes que nous avions avancées pour améliorer l’ordinaire.

Il paraitrait que dans les autres camps d’officiers, il y a une cantine où les officiers peuvent acheter bière, limonade et bon nombre de marchandises.

S’il n’y en a pas ici, ce n’est donc certainement pas l’autorité allemande qui s’y oppose mais bien le commandement français du camp.

Dimanche 14 juillet – Le manque de nourriture

Temps toujours maussade.

Le journal allemand de ce matin annonce en gros caractères :

« La 3ème République n’existe plus ».

Le chef de l’état Pétain a choisi ses ministres : Laval, Baudouin, Weygand, Ybarnégaray, etc… Ce dernier n’a pas l’air de plaire aux Allemands qui se montrent mécontents de ce choix.

Mandel parait-il aurait tenté un coup d’état qui n’aurait pas réussi et il serait passé en Espagne.

Le Führer a interdit qu’aujourd’hui 14 juillet on célèbre dans les églises un service en mémoire des morts de la guerre.

 

Ce matin, un commandant de notre dortoir qui fait les cartes à ses moments perdus me les tire. Si je croyais ce que disent les cartes, je partirai d’ici 3 jours pour rejoindre ma famille.

Si cela pouvait être vrai !!!

 

La journée se passe sans qu’aucun tuyau ne circule et cela est bien ainsi car tous ceux qui ont été lancés jusqu’à ce jour se sont avérés faux.

La vie ici est de plus en plus déprimant, la nourriture est tout à fait insuffisante, nous n’avons un tout petit morceau de viande qu’une fois tous les 2 jours, par ailleurs les aliments gras manquent à peu près complètement aussi les forces s’épuisent peu à peu. La tête s’alourdit et je ne me sens aucun courage même pas celui de marcher dans le verger du séminaire.

Lundi 15 juillet

Rien de nouveau ce matin.

Toujours pas de nouvelles et c’est cela peut-être qui est le plus déprimant dans la vie que nous menons.

Depuis quelques jours les trains ont recommencé à circuler et pour la liaison avec Paris, il faut emprunter le Dijonnais car la voie Paris-Nancy n’est pas encore remise en état.

 

Ce soir, nouveau tuyau, d’après le journal de Lisieux !!

Du 3 juillet dont un exemplaire serait parvenu jusqu’ici, je ne sais comment et qui relate les conditions de l’armistice, l’article 24 mentionne que les prisonniers français sont classés en 2 catégories.

Ceux qui se trouvent actuellement en Allemagne et dont le rapatriement n’aurait lieu qu’après la signature de la paix.

Ceux qui se trouvent dans la zone française occupée (catégorie à laquelle nous appartenons) et qui seraient dirigés dès que possible dans la zone non occupée, pour y être ensuite démobilisés.

Mais maintenant, j’accueille avec un grand scepticisme tous les bruits concernant notre libération et ne croirai à cette libération que le jour où nous partirons.

 

Au séminaire où nous sommes, il y a environ 520 officiers dont plus de la moitié appartient à l’infanterie coloniale. D’autres officiers français sont cantonnés dans la ville de Nancy, à l’université, à l’école normale, au grand séminaire, etc….

À Nancy, la population civile est en grande partie rentrée et la vie reprend peu à peu, d’autre part les troupes d’occupation y sont moins nombreuses.

Mardi 16 juillet – Le débarquement en Angleterre

Nous n’avons toujours pas de nouvelles. Voilà maintenant plus de 5 semaines que j’ai reçu la dernière lettre de Picauville.

 

Le journal allemand d’aujourd’hui nous apprend la composition du gouvernement dont font partie avec Pétain, Laval, Baudouin, Marquet, Piétri, Ybarnégaray et d’autres dont je n’avais point encore entendu parler : Alibert, Carot, etc

Il faut espérer que maintenant que le gouvernement est constitué, la paix ne va pas tarder à être signée et que notre libération suivra cette signature.

 

Ce matin après le rassemblement habituel un commandant de la coloniale de la chambrée où je me trouve étant au bureau du camp se voit proposer par l’officier allemand, commandant le camp, d’aller avec lui en ville pour faire des achats en particulier pour se commander une tenue en drap car il n’avait qu’une veste en toile.

En ville l’officier allemand s’est montré excessivement correct et il est à présumer que si nous n’avions affaire qu’à cet officier cela irait beaucoup mieux.

 

Il paraît qu’à Nancy, les Allemands volent les beaux meubles pour les expédier en Allemagne. Ils ont d’abord commencé à opérer dans les maisons évacuées mais opèrent maintenant même dans les maisons habitées, aussi la population voudrait bien les voir partir.

 

Aujourd’hui nouveaux tuyaux :

1 – Il paraîtrait que le camp où nous nous trouvons doit être vide pour le 1er août, les départs devant s’effectuer du 19 juillet au 1er août

2 – Des révoltes auraient lieu en ce moment en Italie et les Allemands y enverraient des divisions pour rétablir l’ordre.

3 – Les Allemands auraient tenté un débarquement en Angleterre, opération qui aurait complètement échoué et qui leur aurait couté les uns disent 35 000, les autres 60 000 noyés.

Mercredi 17 juillet

Au rassemblement de ce matin, nous apprenons que plusieurs officiers français se sont évadés d’un autre camp de Nancy. Conséquemment, les visites au camp sont interdites aux familles des prisonniers ce qui était autorisé avant.

Les sorties en ville même pour consultations médicales ou dentaires sont supprimées.

 

Dans le courant de l’après-midi, le bureau du camp à la visite de Mme la Maréchale Lyautey qui habite un château près de Nancy.

Cette dame apporte 2 nouvelles, une bonne et une mauvaise.

D’abord elle nous apporte la certitude que nos familles sont prévenues. Pour ce faire elle a fait envoyer une carte aux familles des officiers prisonniers et en a fait envoyer une 2ème par le Ministère de la Guerre.

L’autre nouvelle est beaucoup moins bonne, elle a l’impression toute personnelle d’ailleurs que notre libération n’est pas proche, elle pense que nous ne serons libérés qu’après la paix d’Hitler, c'est-à-dire après la paix générale et cette paix n’apparaît pas proche.

 

Ce soir, les Allemands commencent à nous prendre nos empreintes digitales, en débutant par la 1ère compagnie. Pour la 3ème compagnie à laquelle j’appartiens, cette formalité aura lieu demain matin.

Alors que nous sommes couchés de nouveau nous entendons un coup de feu, c’est probablement une sentinelle allemande qui a tiré sur quelqu’un qui cherche à s’évader.

 

La nuit, les sentinelles tirent sans sommation.

Il paraît qu’il y a 2 jours, un jeune ouvrier boulanger de Nancy qui se rendait à son travail à 2 heures du matin a été ainsi tué par une sentinelle allemande.

jeudi 18 juillet

À Bosserville

 

Ce matin, 3 camarades de la chambrée reçoivent des lettres de leurs familles mais ces familles auraient été prévenues de leur captivité indirectement et le 16 juillet lorsque les lettres ont été écrites, elles n’avaient encore reçues aucune lettre ou carte en provenance du camp.

Il est donc à peu près certain que toutes les cartes que nous avons écrites n’ont pas été expédiées.

 

À 10 heures, dans la chapelle du séminaire, service religieux à la mémoire des soldats morts à la guerre.

Aussitôt après les Allemands nous prennent nos empreintes digitales. Ils ont établi une fiche pour chaque officier (nom, prénom, date et lieu de naissance, recrutement, matricule, grade, unité et compagnie, profession, personne à prévenir, etc…) et sur cette fiche l’empreinte digitale de l’index droit. Si cette formalité était faite en vue de notre libération, j’y applaudirais, mais je n’ai pas confiance.

 

Un commandant sorti en ville ce matin pour acheter une tenue nous apporte un nouveau tuyau.

Notre libération n’aurait lieu qu’au fur et à mesure du paiement des nombreux milliards que la France devra payer comme indemnité de guerre.

Vendredi 19 juillet

À Bosserville, 28ème jour.

 

Hier soir, le bruit circulait que l’Espagne, dans le but de s’emparer de Gibraltar avait déclaré la guerre à l’Angleterre, ce qui peut sembler vraisemblable, mais d’autre part la France, elle aussi aurait déclenché la guerre à son ancienne alliée.

Qu’elle ait rompu avec elle les relations diplomatiques, c’est possible mais de là à déclarer la guerre, il y a loin, car la France en ce moment doit être loin d’être en état de faire la guerre.

 

Au rapport de ce matin, on nous apprend que nous avons seulement droit à 2 cartes par semaine ce que nous savions mais sur les 2 cartes que nous enverrons nous ne devons pas indiquer notre adresse, ce qui empêchera les familles de nous répondre.

Pour toute correspondance nous ne pouvons écrire :

« Je suis prisonnier de guerre en bonne santé, je ne puis vous donner d’autres nouvelles pour l’instant ».

 

Tout cela indique bien que tout ce que nous avons écrit jusqu’ici n’a pas été envoyé. C’est  à croire que les Allemands veulent complètement nous démoraliser.

Quant à la libération, je crois qu’il faudra encore l’attendre longtemps car on prend toutes les mesures nécessaires pour nous faire passer l’hiver ici.

Je crois que le gouvernement français nous laisse lui aussi complètement tombé.

 

Il paraît qu’un camp de prisonnier de Nancy a été évacué sur la Moselle et un autre sur le camp de Chalons. Pour ma part, je préférerais cette seconde destination au moins, je me rapprocherais un peu du centre de la France.

Samedi 20 juillet

À Bosserville

 

Hier soir à 23h10, alors que nous étions couchés, un coup de feu tiré dans le couloir en bas par une sentinelle allemande nous a fait sursauter.

À ce coup de feu succédera une galopade effrénée dans l’escalier et une bruyante conversation dans le dortoir en dessous du nôtre. Ce matin nous avons l’explication de cet incident.

Un lieutenant français était allé aux WC. Lorsqu’il voulut en sortir, il trouva devant lui une sentinelle allemande qui croisait la baïonnette.

 

Après quelques paroles dites par l’un et l’autre sans se comprendre, le Français avec un camarade réussit à soulever le fusil de la sentinelle et à passer, mais à peine avait-il fait quelques pas dans le couloir conduisant à son dortoir que la sentinelle arma son fusil et tira, le canon heureusement dirigé vers le sol.

La balle atteignit l’officier français au talon gauche déchirant la chaussure et causant une légère blessure. Cette façon de procéder est vraiment inexcusable.

Le coupable s’est d’ailleurs fait vertement engueuler par le lieutenant allemand, commandant le camp, et est maintenant, parait-il, en prison.

 

Au rapport de ce midi, on nous annonce que toutes les familles des officiers prisonniers à Bosserville sont maintenant prévenues par l’intermédiaire de la Croix Rouge. C’est une bonne nouvelle à enregistrer.

Les bonnes nouvelles sont si rares !!....

 

Ce soir, un capitaine (Barbot) qui est sorti en permission de 2 heures raconte toutes sortes de nouvelles plus invraisemblables les unes que les autres.

D’après lui tous les officiers français se trouvant à Bosserville seraient dirigés vers l’Allemagne avant 3 jours, ceci pour faire de la place par ici à des familles allemandes qui évacueraient les régions bombardées par les avions anglais.

Ce serait alors probablement pour nous cantonner dans les dites régions. Un peu plus tard il dit que seuls les officiers d’active y seraient envoyés, si bien qu’on ne peut avoir aucune confiance dans ce qu’il raconte.

Dimanche 21 juillet

À Bosserville. 30ème jour.

 

Cette nuit après 3h, la pluie est tombée jusqu’à ce matin en averses diluviennes mais le temps se remet au beau après 9h.

À partir d’aujourd’hui notre ravitaillement est assuré par les Allemands aussi, à midi, le pain que nous recevons est du pain KK pour la confection duquel entre une notable proportion de farine de pommes de terre.

 

Chose surprenante aujourd’hui aucun nouveau tuyau ne circule. Pour moi je préfèrerais rester à Nancy plutôt que d’aller en Allemagne. Ici au moins on se sent encore en France, dans cette pauvre France, tant aimée malgré tout.

Les soldats qui nous gardent en ce moment sont des Autrichiens, il est fort probable qu’une grande partie des forces allemandes ait été dirigée vers le Nord de la France pour tenter encore un débarquement en Angleterre.

Dans son discours au Reichstag, Hitler fait encore appel au bon sens de l’Angleterre pour que la guerre prenne fin. Il est fort probable que cet appel ne sera pas entendu et que Churchill ne voudra pas traiter avec Hitler.

Lundi 22 juillet

À Bosserville

 

Il y a ce matin un mois que je suis prisonnier et il n’y a toujours rien de nouveau au sujet de notre libération qui est peut-être encore bien lointaine. Si encore nous recevions des nouvelles de nos familles, le temps moins semblerait moins long mais comme Sœur Anne, nous attendons tous les jours vainement.

 

De nouveaux tuyaux circulent aujourd’hui. Il paraîtrait que dans certains camps les cultivateurs seraient libérés, mais tout cela prête à caution.

Par ailleurs on dit que les bombardements des avions anglais à Berlin auraient fait 30 000 victimes. La Ruhr serait à feu et à sang, enfin les Allemands lors d’une tentative de débarquement en Angleterre auraient perdu 120 000 hommes.

Mais pour moi, je doute un peu de la véracité de ces nouvelles toutes plus sensationnelles les unes que les autres.

Aujourd’hui, on nous distribue des sacs de couchage qui vont nous apporter un peu de bien-être.

 

Ce soir autre tuyau : les médecins, pharmaciens, gendarmes et postiers doivent quitter très prochainement le camp et aller au moins pour les postiers et les gendarmes dans la zone occupée pour la réorganisation de la police et du service des postes.

Ce sont des veinards car au moins ils jouiront d’une liberté beaucoup plus grande, auront une meilleure nourriture et ne seront pas, comme nous, réduits à ne boire que de l’eau.

Mardi 23 juillet

À Bosserville. 32ème jour.

 

Au rapport ce matin on demande le nom des officiers d’origine bretonne, polonaise, tchèque et juive. Le capitaine Labbé étant breton d’origine se fait inscrire.

Toujours d’après des tuyaux qui crèvent les uns après les autres, on a demandé aux Bretons d’origine parce que la libération s’effectuerait par région. Puisse, enfin, ce tuyau ne pas faire comme les autres.

 

Ce midi, alors que nous sommes à manger, le camp a la visite d’un général allemand commandant les camps de prisonniers.

Ce général ne reste que quelques instants au réfectoire. Le lieutenant allemand qui commande le camp est un homme excessivement correct et d’une nature foncièrement bonne, il serait à souhaiter que tous ses compatriotes soient de même.

 

Le temps est toujours maussade et cet après-midi la pluie se remet à tomber. Si ces pluies continuent les récoltes vont se faire très difficilement ; car nous voilà arrivés à peu près au moment de la maturité des blés.

Le journal de Metz annonce aujourd’hui qu’une grande offensive allemande se prépare contre l’Angleterre qui à l’air de faire la sourde oreille aux propositions du Führer.

De nouveau les nouvelles plus contradictoires circulent. Les officiers d’active seraient envoyés en Allemagne tandis que ceux de réserve partiraient pour la zone non occupée pour y  être démobilisés, ce qui serait terminé pour la fin août.

Mercredi 24 juillet

À Bosserville. 33ème jour. 1er prisonnier libéré. Aumônier Delanotte.

 

Au rapport ce matin, l’aumônier de la 6ème DIC est avisé qu’il doit se tenir prêt à partir pour 10h, étant libéré.

Cet aumônier nommé Delanotte originaire de Bretagne (Dinan) exerce à Beauvais comme missionnaire.

Il est âgé de 55 ans.

Beaucoup d’entre nous lui donnent l’adresse de leurs familles qu’il veut bien se charger de prévenir.

Tel est mon cas.

 

Ce matin, le capitaine Mongodin a reçu une carte de sa femme d’Avranches mais cette carte lui est parvenue indirectement par le Comité d’entraide aux prisonniers de guerre de Nancy. Mme Mongodin a du être prévenue par l’intermédiaire de Mr Gesmier de Granville que son fils ancien chef comptable de la 4ème compagnie a trouvé moyen de faire prévenir.

Le docteur Provost du 1er bataillon qui est à l’hôpital central de Nancy nous fait parvenir un mot ce matin par l’intermédiaire d’un malade qui est allé à la visite à l’hôpital.

 

Cet après-midi, un commandant qui est allé à Nancy rapporte qu’il a vu un convoi de 1 500 prisonniers français qui partent pour l’Allemagne pour y être employés aux récoltes. Cette nouvelle est peu encourageante pour nous car elle ne laisserait pas supposer une libération prochaine.

Et pourtant que compte faire l’Allemagne de ces 2 millions de prisonniers qui sont une charge pour elle.

 

Le journal d’hier a annoncé plusieurs décrets.

En premier lieu les démobilisés recevront une prime de démobilisation de 1 000 F (200 F payables à la démobilisation, le reste plus tard).

En second lieu le gouvernement peut supprimer des fonctionnaires. Les fonctionnaires ayant moins de 15 ans de service recevront autant de mois de traitement qu’ils ont d’années de service, ceux qui ont plus de 15 ans de service recevront une retraite proportionnelle.

Jeudi 25 juillet

À Bosserville. 34ème jour.

 

Ce matin au rapport, on nous prévient qu’aucune lettre ne peut partir de ce camp, ni par l’intermédiaire de l’autorité allemande, ni par celle de la Croix Rouge. Nous ne sommes pas près de recevoir de nouvelles.

Je n’arrive pas à comprendre la raison qui fait ainsi agir l’autorité allemande, à moins que prévoyant un changement prochain de camp soit une libération à brève échéance elle juge que la création du service nécessaire à assurer ces correspondances n’est pas nécessaire pour une courte durée.

 

D’après certains renseignements, il se confirmerait que les Allemands auraient tenté un débarquement en Angleterre et auraient eu 40 000 victimes.

Par ailleurs, la flotte italienne en Méditerranée serait dispersée et aurait éprouvé de grosses pertes. Le Négus serait rentré dans sa capitale et 30 000 Italiens auraient été massacrés en Éthiopie.

D’autre part les bombardements par l’aviation anglaise en Allemagne seraient de plus en plus terribles à tel point que les populations fuient les grosses villes et qu’on aurait vu des officiers allemands pleurer à chaudes larmes au reçu de nouvelles de leur pays, l’un d’eux se serait même suicidé après avoir appris que toute sa famille avait péri.

Vendredi 26 juillet

À Bosserville. 35ème jour. 3 interprètes alsaciens-lorrains libérés.

 

Il se confirme que de nombreux prisonniers français (300 000) paraît-il sont envoyés en Allemagne pour participer à la moisson, aussi il est possible qu’un de ces jours nous y partions nous aussi, ce qui ne me sourit guère.

 

Ce matin, trois officiers interprètes du camp sont libérés, mais ce sont des Alsaciens-Lorrains pour qui l’autorité allemande a des égards particuliers.

La vie au camp est toujours aussi déprimante. Quelques camarades ont enfin eu par voie détournée des nouvelles de leurs familles.

Pour moi, je n’ai encore rien reçu et suis encore à me demander si ma famille a été avisée de mon sort. Aussi le moral laisse à désirer, ainsi d’ailleurs que le physique.

 

Depuis au moins 8 jours, je ressens une douleur assez vive au foie. Avec la nourriture que nous avons ce n’est d’ailleurs pas étonnant.

À la fin du mois de juillet les Allemands doivent nous payer la solde du mois qui s’élèvera à 96 marks pour le capitaine soit 1 920 F puisque le cours forcé du mark est de 20 F.

Aujourd’hui, le temps est toujours aussi mauvais ; la pluie ne cesse de tomber toute la journée et cela porte encor à la neurasthénie.

 

Ce soir,  le bruit court que le mouvement autonomiste breton reprend de plus belle, encouragé par les Allemands ; il serait question d’y créer 3 zones indépendantes.

Aucune nouvelle au sujet de notre libération qui s’avère encore bien lointaine.

Samedi 27 juillet

À Bosserville. 36ème jour.

 

Le temps ce matin semble s’être remis au beau et le soleil fait sa réapparition.

Cette nuit, beaucoup d’officiers dont je suis ont souffert de violentes coliques dues semble-t-il à des haricots qui nous ont été servis hier, haricots qui devaient avoir fermenté.

Le journal allemand de ce jour annonce en gros caractères le mouvement séparatiste breton. C’est certainement en prévision de ce mouvement qu’on a demandé il y a quelques jours, les noms des officiers prisonniers d’origine bretonne.

Il paraîtrait que dans le bassin de Briey, les Allemands ayant prévu la reprise du travail pour lundi prochain, des avions anglais ont survolé la région en y lançant des tracts disant qu’au cas où il y aurait reprise du travail, les usines seraient aussitôt pulvérisées.

Je pense qu’en ce moment l’aviation anglaise affirme une nette supériorité sur l’aviation allemande. En tout cas les Allemands n’ont pas encore réussi leur fameux débarquement et je pense qu’ils auront bien du mal à le réussir.

 

Ce soir, il paraîtrait que d’après la radio suisse, la paix entre la France et l’Allemagne devrait être signée après-demain 29 juillet mais que Pétain aurait demandé à ce que cette signature soit retardée d’un mois.

Je doute fort que de tuyau soit vrai car Hitler peut imposer à la France la signature de cette paix quand il lui plaira.

 Dimanche 28 juillet

À Bosserville. 37ème jour.

 

Dans la soirée d’hier, la pluie s’est remise à tomber et cette nuit il a fait assez froid.

Ce matin, quelques camarades reçoivent des lettres, leurs familles ayant eu connaissance de leur adresse par l’intermédiaire de la Croix Rouge, mais plus des 9/10ème d’entre nous, et c’est mon cas sont encore sans nouvelles des leurs.

 

Aucun tuyau ce matin nous concernant mais il paraîtrait que le moral des soldats et surtout des marins allemands est assez bas. Plusieurs tentatives parties de Dunkerque pour descendre en Angleterre auraient complètement échoué, les Allemands auraient subi de lourdes pertes et ce serait sans enthousiasme que les marins allemands prennent la mer.

Mais qu’y a-t-il de fondé dans tous ces bruits qui circulent ?..........

 

Ce soir, nouveaux tuyaux : tous les officiers français se trouvant à Nancy et dans les environs partiraient à bref délai pour la Westphalie. Pareil bruit avait déjà couru il y a quelques temps.

Dans les circonstances actuelles il n’y a qu’à attendre.

D’après les civils on aurait fait battre à son de tambour que toutes les lumières devaient être camouflées ou éteintes dès 21 heures ; ici nous n’en avons pas encore reçu l’ordre.

Il paraîtrait que des avions anglais ont lancé des tracts du côté de Bar-le-Duc disant :

« Français, prenez patience, l’heure de la délivrance approche ».

Lundi 29 juillet

À Bosserville. 38ème jour.

 

Toujours pas de nouvelles des miens. Seuls une trentaine de favorisés du sort en ont reçu. Il est fort à présumer que presque toutes les correspondances adressées aux prisonniers sont arrêtées par l’autorité allemande.

Le bruit court que seuls les officiers d’active partiraient pour l’Allemagne, ce serait déjà chose faite pour plusieurs camps, les officiers de réserve restant par ici.

 

Avec le beau temps de ces derniers jours il est à présumer que la tentative de débarquement des Allemands en Angleterre ne va pas tarder. Il paraîtrait que dans toute la zone occupée, toutes les voies de communication sont actuellement réservées à l’autorité allemande. Aucun véhicule français n’y peut circuler.

Si cette tentative échoue, je crois que l’échec portera un rude coup au moral des soldats allemands qui semble déjà assez bas.

 

Le bruit court aussi que l’Amérique serait sur le point d’entrer en guerre.

Je n’y crois guère, car il semble que maintenant elle a bien tardé.

 

Ce soir, on reparle de nouveau du départ de 1 300 officiers français prisonniers à Nancy, active et réserve qui seraient partis aujourd’hui pour l’Allemagne.

Le temps est toujours au beau et le bruit court qu’une grande bataille aéro-navale serait engagée dans la mer de la Manche.

Il n’est pas douteux que les Allemands ne cherchent à profiter des beaux jours de juillet et août pour jouer leur va-tout, et tenter un débarquement en Angleterre.

Mardi 30 juillet

À Bosserville : 39ème jour de captivité.

 

Le ciel ce matin est couvert mais sec, aussi il fait bon se promener dans le verger du séminaire.

Nouveau tuyau. Il y aurait eu au Lycée Poincaré de Nancy un début de mutinerie parmi les officiers prisonniers et ce serait pour cette raison que 300 officiers, surtout d’active, quelques-uns de réserve auraient été envoyés en représailles en Allemagne (Westphalie).

 

Ce matin, une cinquantaine de camarades reçoivent des nouvelles de leur famille, parmi ces correspondances, certaines viennent du département normand, pour moi je n’ai toujours rien et c’est ce qui est le plus déprimant.

Des 80 officiers du 446, il y a tout juste le capitaine Mougodin qui ait reçu une carte. Il faut tout de même arriver à croire soit que les familles ne sont pas encore prévenues, soit que les lettres qui nous sont envoyées sont arrêtées quelque part.

 

Depuis une huitaine, le journal de Metz qui parvenait au camp ne paraît plus, si bien qu’au camp nous sommes absolument sans aucune nouvelle de ce qui se passe en France, tant au point de vue de la politique intérieure que de la politique extérieure. Il est vrai que le journal de Metz était un journal tendancieux, contrôlé par l’autorité allemande et qui par suite déformait complètement les faits.

Aujourd’hui aucun nouveau tuyau sensationnel.

Cela semble drôle, car les journées pareilles sont rares.

Mercredi 31 juillet

À Bosserville : 40ème jour de captivité.

 

Temps toujours maussade, gris et couvert qui porte encore davantage aux idées noires, d’autant plus que ce matin encore je n’ai pas de nouvelle et il est vrai que la majorité est encore dans mon cas.

Sur ces notes, je mentionne au fur et à mesure que je les entends tous les tuyaux qui circulent dans le camp et cela sans attacher plus d’importance aux uns qu’aux autres, car s’il en est quelques-uns qui peuvent être vrais, la plus grande partie est invraisemblable.

 

Cet après-midi, le camp reçoit la visite de la maréchale Lyautey.

Le commandant La Prairie lui ayant fait part que la grande majorité des officiers du camp n’avaient pas encore reçu de nouvelles de leurs familles, lesquelles la croix Rouge n’avait sans doute pas encore touchées. Elle se fait donner l’adresse de ces familles pour qu’une seconde carte leur soit envoyée.

 

Ce soir, nouveau tuyau, les majors qui déjà devaient partir il y a une bonne quinzaine, partiraient à la fin de la semaine. Si c’est vrai, tant mieux, car ce serait peut-être le commencement de la libération de la foule des prisonniers.

Au point de vue de la situation extérieure, il paraîtrait que l’Espagne serait sur le point d’entrer en guerre contre l’Angleterre, toujours la question de Gibraltar !!!

Les bombardements anglais en Allemagne doivent être terribles – Hambourg – Brême seraient presque complètement détruits.

En France occupée, l’autorité allemande ferait venir un grand nombre d’enfants d’Allemagne pour les soustraire aux bombardements.

Notes de juillet

 

              8800fs, 00

 

Ø  1           

Ø  2            Jeux de bridge 32fs – Perte au jeu 5fs 25            37fs, 25

Ø  3            Versé pour nourriture          49fs, 00

Ø  4                       

Ø  5                       

Ø  6            Versé pour nourriture 3 jours à 7fs = 21fs + 10fs pour amélioration  31fs, 00

Ø  7            Donné pour amélioration ordinaire  100fs, 00

Ø  8                       

Ø  9            Versé pour ordinaire 4 jours (7-8-9-10)    28fs, 00

Ø  10                     

Ø  11           Chocolat 12fs – Paire de chaussettes 15fs 27fs, 00

Ø  12                     

Ø  13          Chocolat         4fs, 60

Ø  14                     

Ø  15          Chocolat         4fs, 00

Ø  16          Payé pour 7 jours l’ordinaire – du 11 au 17 inclus    49fs, 00

Ø  17                     

Ø  18          Brosse à chaussures, cirage, fil kaki           11fs, 00

Ø  19                     

Ø  20                    

Ø  21                     

Ø  22                    

Ø  23          Versé pour amélioration ordinaire – 7 jours du 25 au 1er/8 à 4fs  28fs, 00

Ø  24                    

Ø  25          Achat chocolat 5fs, 25 – lait condensé 1f, 75        7fs, 00

Ø  26                    

Ø  27                    

Ø  28          Versé popote Le Cann, Corsin   55fs, 00

Ø  29                    

Ø  30                    

Ø  31                     

Ø  TOTAL : 430fs, 85

Août 1940 – Hospice de Bosserville – La chance de la canaille - L'évasion des 30 officiers – Le départ pour l'Allemagne - Réflexions sur le voyage en Allemagne – Munster - Le couple Ferdinand/Berthe se gâte - Le menu de tous les jours – Le régime de faveur des Bretons

Jeudi 1er août – La chance de la canaille

À Bosserville : 41ème jour de captivité.

 

Voilà le mois de juillet terminé, sans avoir apporté aucune modification à notre triste situation. Puisse août ne pas faire de même et être pour chacun de nous le mois de la libération, le mois de la liberté.

Temps toujours brumeux, mais sans pluie.

 

Au rapport, ce matin, un camarade, le commandant Chermat apprend avec plaisir qu’il est libéré à la date de demain parce que dans le civil il est inspecteur des Postes et qu’il est réclamé par son administration.

Hier ce commandant avait eu la visite de sa dame qui n’était pas encore au courant de cette bonne nouvelle. Par contre elle lui avait dit que les Allemands faisaient maintenant des prélèvements sur la poste civile et que les prisonniers qui confient des lettres au civils pour les mettre à la poste étaient sévèrement punis (cachot, pain sec).

 

Ce midi, on demande les noms des gendarmes, garde-mobiles, gardes municipaux, employés des chemins de fer, des ponts et chaussées, mais seulement ceux qui avant la guerre résidaient en territoire occupé.

Il est fort probable que ces gens-là vont être libérés à bref délai.

 

Dans la matinée, le capitaine Labbé est allé à l’hôpital pour la visite, il y a vu le major Provost du bataillon qui y exerce son métier et n’est pas malheureux, il est bien logé, ayant une belle chambre pour lui et Josseran ; il est aussi bien nourri et peut se procurer en ville tout ce qu’il veut par l’intermédiaire des infirmières civiles.

Depuis longtemps il a des nouvelles de sa famille.

Décidément il n’y a de la chance que pour la canaille !!!

Vendredi 2 août

À Bosserville : 42ème jour de captivité.

 

Temps toujours très beau avec un peu plus de vent.

Ce matin quelques camarades : Labbé, Lelièvre, Corsin, l’adjudant-chef Peignen reçoivent de bonnes nouvelles de leur famille. Des officiers du 446ème au camp, il ne reste plus que le commandant Lecacheur, Le Cann et moi qui restons sans nouvelle.

Ce qui donne le plus le cafard ce n’est pas tant le fait de ne rien recevoir, mais celui de voir les camarades en avoir.

 

Quelques tuyaux qui ont circulé ces jours derniers :

a) Les États-Unis auraient adressé un ultimatum à l’Allemagne pour que cette dernière évacue la France !!!

b) Le pape se serait nettement prononcé contre l’occupation militaire de la Hollande, de la Belgique et de la France !!!

c) D’après le directeur des usines Solvey, les Allemands auraient bien tenté un débarquement en Angleterre ; ils auraient débarqué sur une plage entièrement minée que les anglais auraient fait sauter, seuls quelques allemands auraient réussi à réembarquer !!!

d) Les Italiens lors de leur offensive contre la France auraient franchi le Petit St Bernard puis auraient reçu dans les montagnes une telle raclée qu’ils auraient fui à toute vitesse, abandonnant tout leur matériel !!!

Enfin dernier tuyau, les anglais auraient lancé des tracts disant :

« Patience, les allemands mangent vos groseilles mais ne mangeront pas vos raisins. »

Samedi 3 août

À Bosserville : 43ème jour de captivité.

 

Temps toujours superbe, favorable certes à une opération contre l’Angleterre. Mais ce débarquement tant annoncé par la presse allemande serait-il seulement tenté à nouveau ?

 

Ce matin quelques camarades reçoivent encore des nouvelles de leurs familles pour la 1ère fois.

Pour moi, je suis toujours dans la catégorie des délaissés, je n’y comprends rien et finis par me demander si la Croix Rouge a bien prévenu ma famille. Ce qui me coûte le plus c’est d’être sans nouvelle d’Alphonse. J’espère néanmoins qu’il se trouve dans la zone non occupée, mais j’ai hâte d’être renseigné à son sujet !!

 

Les camarades de la Manche ont reçu ces jours des nouvelles (cartes, lettres) des leurs, aussi je me demande bien ce qui se passe à Picauville pour que je n’ai encore rien reçu.

Le commandant Chermat qui devait être mis en permission à dater d’hier est toujours là, les papiers de sortie n’étant pas en règle.

Ah ! Combien de temps faudra-t-il encore rester captif ?

Mon existence n’aura pas été enviable et je n’aurai guère à regretter la vie.

 

Cet après-midi, vers 14h ½, je reçois la 1ère carte de Picauville venue par l’intermédiaire de la Croix Rouge de Nancy. Ma famille a été prévenue par une carte de ladite croix rouge le 25 juillet.

Je suis bien heureux d’apprendre qu’à Picauville tout le monde va bien et qu’Alphonse se trouve en bonne santé dans la zone non occupée (Orange).

Je suis tout de même un peu déçu par la breveté de la carte reçue alors que les camarades reçoivent de longues lettres.

Dimanche 4 août

À Bosserville : 44ème jour de captivité.

Le commandant Chermat et un lieutenant sont libérés.

 

Temps toujours superbe. On serait si bien chez soi par un temps pareil !!

Ce matin à l’appel, le commandant Chermat et un lieutenant reçoivent leur titre de permission, car ils ne sont pas libérés et étant chez eux ils doivent se présenter 2 fois par semaine à la Kommandantur. Malgré tout leur sort est plutôt enviable. Chermat a été rappelé par l’administration des postes et le lieutenant par les usines Citroën.

Il est tout de même un peu bizarre que des prisonniers puissent être renvoyés chez eux après avoir été rappelé par leurs employeurs.

Ce n’est pas là encore la justice, car tous les prisonniers devraient être égaux dans le malheur et la libération quand elle aura lieu devrait se faire par classes.

 

Bien peu de lettres ce matin.

Depuis 2 jours les tuyaux qui circulent se font de plus en plus rares : l’imagination de ceux qui les lançaient commence peut-être à tarir.

Le lieutenant Le Cann reçoit aujourd’hui les premières nouvelles de sa famille qui se trouve à Rennes.

Mme Le Cann lui apprend que Launay, qui commandait la 1ère Cie, est démobilisé et de retour à Bréhal depuis le 16 juillet.

Le veinard !

 

La 1ère Cie a eu la chance d’être embarquée par camions et de pouvoir passer en zone non occupée ; il en est probablement de même pour tout le 3ème bataillon embarqué le même jour alors que le reste du régiment a dû rester dans la région Verdun – Toul, et a été fait prisonnier.

Il est dit que je n’aurai jamais de chance.

Lundi 5 août

À Bosserville : 45ème jour de captivité.

 

Le temps continue d’être lourd et très orageux mais la pluie ne vient pas.

Je ne reçois toujours pas de lettre et je me demande ce qui empêche ma Berthe de m’écrire longuement, car sa simple carte reçue par l’intermédiaire de la Croix Rouge de Nancy ne me donne aucun renseignement sur ce qui se passe à Picauville.

 

Ce matin, dans notre dortoir le commandant Guélot s’aperçoit qu’il a des totos, ce qui ne nous fait pas plaisir car d’ici que nous soyons tous infestés de poux, il n’y a pas bien loin.

 

Dans la matinée, alors que quelques officiers étaient allés à la visite médicale à Nancy, l’un d’entre eux, un jeune lieutenant : Nollet je crois, s’est évadé de l’hôpital.

Il est probable qu’à l’hôpital il était attendu par des parents qui ont pu lui procurer des vêtements civils et les ayant endossés il lui a été très facile de sortir dans la rue et de partir probablement en auto.

Les conséquences de cette évasion ne se font pas attendre, car dès ce soir on nous prévient que toutes les sorties en ville, pour la visite ou pour le ravitaillement sont suspendues jusqu’à nouvel ordre.

 

Le Cann qui était également allé ce matin à l’hôpital y a vu Provost et Josseran.

Provost lui a dit que l’hôpital central où il se trouve allait être évacué, étant réquisitionné par l’autorité allemande et que lui allait partir d’ici 1 ou 2 jours pour Château-Salins, dans la Lorraine qui va faire retour au Reich.

Mardi 6 août

À Bosserville : 46ème jour de captivité.

Nous touchons la solde de juillet et du 20 au 30 juin : 128 marks.

 

Temps toujours orageux et très lourd. Une petite averse tombe ce matin sans rafraîchir la température.

Au rapport ce matin, deux officiers sont encore appelés pour être envoyé en permission, l’un comme minotier pour aller travailler à la minoterie de Nancy qui manque de personnel et par laquelle il s’est fait demander, l’autre comme inspecteur de police.

Dans la matinée je parle avec 2 instituteurs, l’un de la Meuse (Combrexel) l’autre de Paris qui me disent que les autorités académiques et préfectorales de leur département vont les réclamer auprès des autorités allemandes.

 

J’espère que ma Berthe, dès le reçu de ma lettre d’hier, fera le nécessaire à St Lô pour que mon séjour ici ne s’éternise pas. Je compte bien être à Picauville pour la rentrée des classes.

Je trouve d’ailleurs cette façon d’agir de l’autorité allemande absolument injuste envers les prisonniers, qui à mon avis devraient être libérés selon leur classe ; leur libération ne devant pas dépendre de telle ou telle demande.

 

Ce midi, nous touchons la solde pour la période du 20 juin au 1er août.

Pour les capitaines la solde s’élève à 96 marks par mois ce qui fait pour la période en question 96 marks + 96/3 = 96 + 32 = 128 marks que nous touchons en billet de 5 marks valant 100fs français, car l’autorité allemande a fixé la valeur du mark à 20fs français. Je crois qu’à ce tarif là les allemands ont intérêt à écouler leur monnaie.

Mercredi 7 août – L'évasion des 30 officiers

À Bosserville : 47ème jour de captivité.

2 lieutenants partent en permission.

 

À l’appel ce matin, le lieutenant Derbécourt reçoit son titre de permission pour aller à la minoterie de Nancy et il en est de même pour un autre lieutenant qui est voyageur chez Citroën.

Les heureux !!

Quand donc mon tour viendra-t-il ?

Si ma Berthe fait le nécessaire auprès de l’inspecteur d’académie, j’espère qu’avant 1 mois ½ je serai à Picauville. Que c’est triste de se trouver dans une pareille situation à mon âge.

Je suis loin d’avoir la résistance tant physique que morale suffisante pour me permettre de subir un long internement. J’ai un mal de tête fou qui ne me quitte pas de toute la journée : c’est un rhume qui commence et je ne suis pas près d’en être quitte.

 

Au camp, il y a eu aujourd’hui 30 officiers qui se sont évadés, aussi il est fort probable que des représailles vont suivre ; il paraîtrait que ces représailles seraient exercées même contre les familles des évadés ; des membres de ces familles seraient même emprisonnés et devraient payer une forte rançon.

Si réellement nous devons être libérés d’ici peu de temps, je trouve qu’il vaut mieux se tenir tranquille plutôt que d’exposer ainsi sa famille.

Ici la nourriture qui laisse beaucoup à désirer au point de vue qualité, est à peu près suffisante comme quantité.

 

Ce soir, nous avons une assiettée d’une sorte de gruau qui n’est guère appétissant pour beaucoup d’entre nous habitués chez eux à des mets fins, mais pour ma part je m’en contente et ne me plains pas. Depuis longtemps déjà nous sommes au pain K.K., au jus fait de chicorée et d’orge grillée, au fromage frais allemand, etc.

Jeudi 8 août

48ème jour de captivité – À Bosserville.

 

Cette nuit, j’ai toujours bien mal dormi, je n’ai cessé de souffrir de la tête malgré le comprimé d’aspirine pris hier soir, aussi ce matin, je suis bien mal en train.

À l’appel ce matin aucun officier n’est appelé en vue d’un départ prochain, mais j’espère que dans une quinzaine de jours, ces départs en permission vont s’intensifier car beaucoup parmi les officiers de réserve vont être demandés par leurs administrations de leurs employeurs.

 

Après l’appel, je vais à l’infirmerie chercher quelques comprimés d’aspirine et me faire badigeonner la poitrine avec de la teinture d’iode.

Je n’ai toujours pas de nouvelles de Picauville et je trouve cela plutôt surprenant, car je ne peux tout de même pas penser que ma Berthe reste sans m’écrire quand bien même elle en aurait reçu le conseil par la Croix Rouge.

Les tuyaux qui faisaient un peu défaut depuis quelques jours sont nombreux ce soir.

D’abord au sujet des opérations militaires : les Allemands auraient essuyé un nouvel échec au cours d’exercices d’embarquement et de débarquement le long des côtes bretonnes.

Le général Hutsinger serait de retour d’Allemagne où l’accord se serait fait sur les conditions de paix qui seraient moins dures pour la France qu’on aurait pu le supposer. Évidemment, l’Alsace-Lorraine ferait retour au Reich mais après un plébiscite qui ne fait pas doute quant au résultat. Nous garderons nos colonies même le Maroc mais devrions payer une forte indemnité de guerre.

 

Il faut espérer que la signature de la paix ne va pas tarder et qu’immédiatement après commencera la libération des prisonniers.

Le bruit court que cette libération commencera au plus tard le 15 août et aurait lieu par classes et par catégories.

Vendredi 9 août

49ème jour de captivité – À Bosserville.

 

Ce matin, les bons tuyaux d’hier soir crèvent à qui mieux mieux.

Le lieutenant Wolf qui commande le camp n’aurait jamais tenu les propos qu’on lui prêtait hier soir, à savoir que le camp serait vide d’ici une quinzaine, aussi la déception est grande, la liberté entrevue à brève échéance fuit de nouveau.

 

Toujours pas de nouvelles de Picauville, je ne suis pas parmi les favorisés qui presque tous les jours reçoivent lettres et colis, je ne pense pas tout de même être oublié à ce point par les miens mais je ne comprends pas !!...

Dans la soirée nouveau tuyau qui viendrait de Nancy : la signature de la paix entre la France et l’Allemagne serait imminente, la libération des prisonniers commencerait incessamment, la 1ère lettre à partir serait la lettre F. Voilà encore un bobart qui certainement a la même valeur que les autres.

 

Dans la matinée, le lieutenant du 446ème reçoit la visite de son fils venu en droite ligne de Coutances (1 jour de voyage). La Manche paraît-il est très occupée même les plus petits villages.

Des combats entre arrière–garde anglaises et allemandes ont eu lieu à Saint Nicolas de ( ?) le 15 juin ; la population a été très surprise par l’arrivée des Allemands car la veille on les croyait encore à Laigle. Il y aurait bien eu une tentative de débarquement allemand en Angleterre qui aurait échoué et le moral des troupes allemandes serait assez bas.

Samedi 10 août

50ème jour de captivité. À Bosserville.

 

J’ai passé une assez mauvaise nuit, mon rhume de cerveau étant descendu sur la poitrine et je souffre dans les côtés.

 

Au rapport ce matin, on demande les noms des officiers pères de 5 enfants et plus, leur profession et leur résidence. Le capitaine Mongodin qui a 7 enfants peut ainsi espérer une libération prochaine.

Le fils Lelièvre qui a passé la nuit au Séminaire doit repartir ce soir pour Coutances ; je lui confie une lettre qu’il mettra en gare de Lison, j’espère ainsi qu’elle arrivera plus tôt à Picauville et que les démarches faites en vue de ma libération en seront avancées.

Le fils Lelièvre nous explique les raisons pour lesquelles Launay est maintenant à Bréhal. Pour ma part je n’aurais pas pour avoir la liberté, fait de qu’il a fait. Question de conscience, de mentalité !!...

 

Il paraît que ce matin, plus de 600 lettres sont arrivées au camp, mais elles ne vont être distribuées que ce soir, le lieutenant allemand étant absent. Puissè-je en avoir une !!...

Mon souhait est réalisé.

 

Cet après-midi je reçois une carte de Leneveu qui a donc reçu le mot que je lui avais envoyé le 29 juillet.

 

Dans la soirée, je reçois une lettre de ma Berthe.

Contrairement à mon attente cette lettre ne me donne aucun détail sur leur vie à Picauville, sur l’occupation allemande, j’aurais pourtant bien aimé être renseigné sur ce point, enfin ce sera peut-être pour la prochaine fois.

 

Ce soir, un instituteur reçoit une lettre de sa femme à laquelle est jointe une demande de l’Inspection Académique de son département, approuvée par le préfet et accordée par la Feldkommandatur. Il présentera demain ce papier au lieutenant Wolf et espère ainsi être bientôt envoyé en permission.

Dimanche 11 août

51ème jour de captivité. À Bosserville. Fils Lelièvre.

 

Ce matin, je reçois la carte que ma Berthe m’annonçait dans sa lettre reçue hier soir.

Par un moyen détourné je vais encore essayer de faire parvenir à ma Berthe une lettre pour que l’Inspection Académique me réclame à l’autorité allemande. Si le nécessaire est vite fait, j’espère bien être parti avant un mois.

D’autre part, il est fort possible que la grande libération ait lieu même avant cette date, car je pense que la signature de la paix est proche.

 

Ce soir, on signale qu’il y a eu aujourd’hui une grande bataille aérienne au-dessus des côtes sud de l’Angleterre. Est-ce le prélude à une grande attaque allemande ?

En tout cas, si les Allemands veulent en finir cette année il va être temps que leur offensive se déclenche.

 

Cet après-midi, le fils Lelièvre repart pour la Manche, je lui confie une lettre pour Picauville.

Par son intermédiaire, nous apprenons les raisons pour lesquelles Launay est rentré si tôt à Bréhal. Il paraitrait que dans la région il n’a pas très bonne presse en ce moment.

Ceci se confirme d’autre part par une lettre de Mme Mongodin à son mari.

Lundi 12 août

52ème jour de captivité. À Bosserville.

3 officiers du camp sont libérés.

 

La nuit n’a pas été bonne, j’ai bien été 2 heures à tousser et j’ai mal dans les côtes, enfin espérons que je réussirai à tenir le coup jusqu’à la libération.

 

À l’appel ce matin, 3 officiers sont appelés par le colonel Leclerc et apprennent avec satisfaction qu’ils sont libérés. Parmi eux se trouve un nommé Luz, dont le père est un gros richard, marchand de nouveautés à Avranches.

Le fils Luz dans le civil passe à peu près tout son temps à faire du cheval. Son père est venu le voir hier au camp et il a du apporter avec lui les pièces nécessaires à la libération de son fils.

Il est tout de même triste de voir de pareilles injustices !

À mon avis toutes ces mesures d’exception sont totalement injustes et permettent encore au piston de jouer un grand rôle.

Pourquoi donc ne prend-on pas des mesures générales ? La libération par classe par exemple ; ce serait tout de même beaucoup plus juste.

 

Un 4ème officier aspirant interprète est libéré cet après-midi.

J’apprends que le père Luz qui est venu à Nancy chercher son fils, doit aller avec ce dernier à Dijon chercher son 2ème fils également prisonnier.

Quelle honte !

Et on nous dira que l’argent n’a plus de pouvoir !!

J’espère qu’actuellement ma Berthe est en train de faire des démarches pour que moi aussi je parte en permission. Deux maitres d’internat de Verdun internés en Allemagne sont libérés depuis au moins une quinzaine.

À quand mon tour ??

Si ma Berthe se débrouille un peu, j’espère qu’il ne tardera pas trop, j’espère en tout cas être à Picauville avant octobre.

Mardi 13 août

53ème jour de captivité. À Bosserville.

 

Mauvaise nuit avec fièvre.

Il paraitrait que les Anglais s’attendent d’ici très peu de temps à la grande attaque allemande. Des centaines d’avions allemands ont survolé cette nuit l’Angleterre du sud, mais malgré l’imminence probable de l’attaque, les Anglais envoient de fortes escadrilles bombarder les villes allemandes, ce qui montre qu’ils ne manquent pas d’avions.

 

Aujourd’hui, il y a encore plusieurs évasions aussi il est fort possible que nous changions de camp à bref délai.

Ce matin, le commandant de compagnie, vu les évasions et ne voulant pas rendre un appel faux refusent de rendre cet appel au colonel Leclerc. Altercation assez vive entre ce colonel et le colonel du Paty de Clam qui commande notre compagnie.

 

Après le rapport, nous apprenons que le colonel Leclerc a donné sa démission de commandant du camp (il n’aurait d’ailleurs pas dû prendre ce titre) et n’avait nullement à se faire rendre l’appel par les chefs de groupe, car c’est aux Allemands de faire l’appel et non à des officiers français.

 

J’ai tout de même reçu hier soir une longue lettre de ma Berthe me donnant quelques détails de ce qui s’est passé depuis 2 mois à Picauville. J’apprends ainsi que les écoles ont été occupées par les Allemands, que la salle à manger servait de dortoir à une demi-douzaine de sous-officiers allemands.

Je suis surtout heureux d’apprendre qu’Alphonse se trouve à Orange, en zone non occupée, au moins lui ne souffrira pas de la faim dans ce camp de prisonniers !!...

Mercredi 14 août

54ème jour de captivité. À Bosserville.

1 officier part en permission.

 

À l’appel de ce matin (9 h), l’officier allemand fait séparer les officiers d’active de ceux de réserve. Il fait ensuite l’appel nominatif des officiers d’active puis des Bretons, cette séparation des officiers d’active de ceux de réserve ait-elle en relation avec les récentes évasions ?

C’est possible.

Cette nuit a été franchement mauvaise. J’ai eu de longues quintes de toux et de la fièvre.

Ce matin je tousse encore pas mal et j’ai mal dans le dos. Je commence à être mal en point et si la captivité devait durer de longs mois je crois bien que je n’en verrais pas la fin.

 

Ce midi, le bruit court avec insistance que les Bretons (active et réserve) partent par le train de 6 heures ce soir pour Rennes où ils seront immédiatement libérés. Du 445ème partiraient Le Cam et Labbé. Il serait également probable que les officiers d’active partiraient pour un autre camp et il en serait peut-être de même pour la réserve.

 

Cet après-midi, à 17 h nouvel appel, les officiers d’active sont appelés nominativement.

 

À 20 h, 3ème appel, c’est à notre tour d’être appelés nominativement. Les aspirants et adjudants sont mis à part ainsi que les Bretons, les toubibs, les Juifs et les Martiniquais.

Le départ est fixé à demain matin 6 heures pour les officiers d’active et à 7 heures pour la réserve.

Où irons-nous ?

Question que chacun se pose et à laquelle nul ne peut répondre. Mais cette séparation des officiers d’active de ceux de réserve est un assez bon indice.

Pourvu que nous ne quittions pas la France !!!

Jeudi 15 août – Le départ

55ème jour de captivité. Départ de Bosserville.

 

Rassemblement des officiers d’active à 6 heures et départ à 6 h ½ en camions pour la gare. Rassemblement des officiers de réserve à 7 h, départ à 8 h car il faut attendre le retour des camions pour embarquer.

Dans le train où nous montons se trouvent aussi les officiers de réserve des autres camps de Nancy.

Il paraitrait que ce matin au moment du départ du train emportant les officiers d’active il y aurait eu 7 évasions, l’un des 7 évadés aurait été blessé par une sentinelle et repris.

 

Départ du train à 8 h ½. Nous prenons la ligne de Paris et passons par Toul mais à Lérouville, changement de direction, au lieu de continuer vers Chalons, ainsi que nous l’espérions nous allons vers le Nord, vers Sedan.

Où nous arrêterons-nous ?

Le train avance très lentement car la voie a été coupée en de nombreux endroits, les Français ayant fait sauter  presque tous les ponts. Les dégâts sont considérables, des villages entiers, particulièrement dans la région de Sedan sont entièrement détruits. Quel triste sort pour les populations de ces pays !

Quel désastre pour la France !!

C’est à ne pas y croire !!

 

Le train passe par Verdun, Dun, Stencay, Mouzon, Sedan.

Du train nous pouvons admirer la beauté du paysage de la vallée de la Meuse.

 

Le temps passe, la nuit arrive alors que nous sommes encore en gare de Sedan, en une journée nous n’avons pas fait un parcours de 150 km.

Les arrêts sont très nombreux, le train va à la vitesse d’un homme au pas pour passer les ponts qui ont été réaménagés provisoirement par les Allemands.

Vendredi 16 août - Arrivée en Allemagne

56ème jour de captivité. Dans le train.

 

Le train s’est remis en marche vers minuit. Vers quelle direction ?

Le bruit court que nous irions vers Constance dans une petite localité à une trentaine de km de cette ville. Nous pensons avoir pris la voie de Sedan à Montmédy, mais au jour, nous devons hélas constater que nous ne sommes plus en France mais en Belgique.

Le train passe par Munod ( ?), Sainte Cécile, Bertin qui est une ville assez importante où le train s’arrête de 9 h à 10 h ½, puis par Virloz, Arloz.

 

Comme en France, les ponts pour la plupart ont été coupés. Nous entrons ensuite dans le Luxembourg qui, au point de vue touristique doit être très agréable à visiter du moins parce que qu’on peut en juger du train.

Arrêt à Luxembourg de 14 à 16 h.

 

Le train entre en Allemagne à 18h50. Cette frontière entre le Luxembourg et l’Allemagne présente un aspect très pittoresque, mais la beauté du paysage nous procure une impression qui est bien atténuée du fait de notre situation.

Aussi donc, contre toute attente de notre part, nous voilà arrivés en territoire allemand. Quel est notre point de destination ?

Nous l’ignorons toujours quoique le bruit court que de serait toujours une localité voisine de Constance.

 

Arrivée du train à Trèves à 19h ¼.

Là pour la 1ère fois de la journée nous recevons un peu de nourriture (soupe à l’orge).

Il va falloir de nouveau passer la nuit dans le train, perspective peu agréable, car notre position est peu favorable pour dormir.

Samedi 17 août - Réflexions sur le voyage en Allemagne - Munster

57ème  jour de captivité. Arrivée à Munster (Rhénanie du Nord).

 

À partir de 21h, le train roule à bonne vitesse. Arrêt à Coblence à 4h. La ville doit être alors survolée par des avions anglais, car la DCA ne cesse de tirer à vive cadence.

 

Arrivée à Cologne à 8h ¼.

Après Cologne, il nous faut abandonner l’espoir d’aller du coté de Constance car en longeant le Rhin sur la rive droite nous nous rendons compte que nous le descendons et par suite que nous allons vers le nord.

 

Arrêt à Dusseldorf de 9h10 à 10h et nous entrons dans le bassin de la Ruhr.

Arrêt à Vamje-Eikal ( ?) de 14 à 15h.

Arrivée à Münster à 18h. Après être descendu du train, nous traversons la ville et gagnons à pied le camp qui se trouve à environ 3 km de la ville.

Au camp nous sommes d’abord logés dans un baraquement d’attente. Puis on appelle les officiers supérieurs et les capitaines de plus de 50 ans. Nous sommes conduits dans un autre local où nos bagages sont fouillés on nous enlève le papier blanc, lampes électriques etcetc….

 

Réflexions que le voyage en Allemagne m’a suggérées.

Ce voyage en Allemagne m’a suggéré maintes réflexions qui sont tout à l’opposé de ce qu’on a voulu nous faire croire en France.

1 – L’Allemagne semble être bien loin de la situation critique telle qu’on nous la dépeignait en France, les champs sont bien cultivés, les vignobles de la vallée du Rhin parfaitement entretenus, la moisson à laquelle coopère des prisonniers français (nous en avons aperçus de place en place) semble se faire normalement.

2 – Au point de vue industriel, les usines de la Ruhr fonctionnent à plein rendement, toutes les cheminées d’usines fument. La Ruhr est une vraie ruche au travail.

On avait fait courir le bruit, que les avions anglais avaient par leurs bombardements répétés mis la Ruhr à feu et à sang, or nous avons traversé le bassin dans toute sa longueur et nous n’avons aperçu aucun dégât, aucune maison, aucune usine n’a été démolie.

Où sont donc les terribles effets des bombes anglaises ?

Ah ! On nous a bien bourré le crâne !!!

 

Autre chose.

Partout où nous sommes passés, que ce soit en ville ou dans les campagnes, les maisons semblent toutes à peu près neuves, elles sont toutes coquettes, abondamment fleuries.

Quel travail formidable a été accompli en Allemagne depuis l’autre guerre.

Le sort du peuple a été nettement amélioré au moins du point de vue logement. Nous sommes loin des taudis que nous trouvons encore malheureusement trop souvent en France.

 

À Munster, lors de la traversée de la ville, beaucoup de curieux nous regardaient passer, mais tous ont fait preuve de la plus grande correction, aucun geste de haine, d’animosité contre nous.

Tous sont très bien habillés et je n’ai pas aperçu un seul loqueteux comme nous en avons souvent la vue dans nos petites villes françaises.

Le peuple respire en quelque sorte le bien-être, la santé et la France sur beaucoup de points pourrait imiter l’Allemagne.

 

Après avoir été fouillés samedi soir, nous sommes allés Bongodin et moi au bloc IV – 2ème étage où nous avons passé la nuit dans une chambre avec le capitaine du Brémond d’Ars.

Le commandant Lecacheur occupant au même étage une petite chambre destinée à recevoir 5 prisonniers.

Dimanche 18 août

À Munster : 58ème jour de captivité.

 

Le temps est au beau.

Ce matin, les allemands font repasser à la fouille tous les officiers qui y étaient passés hier soir. Une trentaine y passe ainsi ce matin, mais cette fouille est arrêtée cet après-midi, si bien que pour ma part je n’y repasse pas.

 

Cet après-midi, nous allons dans le local réservé pour la fouille et devons déposer aux mains des Allemands les fonds en notre possession.

Les sommes livrées sont inscrites sur un registre où l’officier français signe ainsi que l’officier allemand qui reçoit cet argent, qui nous sera rendu lorsque nous en aurons besoin.

 

À la fin de l’après-midi, nous touchons chacun un drap, une couverture, une taie d’oreiller et une enveloppe de couverture.

Peu à peu, ceux qui étaient restés dans le hangar d’attente passent à la fouille et viennent nous rejoindre, aussi notre chambre se garnit peu à peu et nous nous trouvons 5 à y coucher ce soir.

Aucun autre officier du 446ème n’y est encore passé.

 

Dans le camp destiné à recevoir 1600 officiers (4 blocs de 400 chacun), se trouvent aussi des soldats qui travaillent sous la direction des Allemands à l’aménagement du camp. Beaucoup d’entre eux ont déjà un aspect bien misérable et ont l’air d’avoir déjà bien souffert.

Un d’entre eux est amputé d’un bras et plusieurs ont un œil crevé.

 

À l’arrivée au camp samedi soir, un lieutenant du génie, par suite probablement de la fatigue de la marche et du poids des paquets qu’il avait emportés, est mort frappé d’une embolie.

Voilà déjà un décès parmi nous. (*)

Revenant à traverser de Munster par notre convoi, les curieux ont dû être édifiés par notre accoutrement et notre chargement tout à fait hétéroclite.

Aujourd’hui dimanche, la route qui longe le camp est sillonnée de promeneurs, de curieux qui viennent jeter un coup d’œil sur le camp.

 

(*) : Il s’agit du lieutenant PICARD

Lundi 19 août – Le couple Ferdinand-Berthe se gâte

À Munster : 59ème jour de captivité.

 

Aujourd’hui encore aucun autre officier du 446 ne passe à la fouille.

Mongodin et moi, nous changeons de local et allons au bloc 2 commandé par le colonel du Pary qui commandait déjà la Cie à Bosserville.

Ce colonel sur notre demande nous réserve une chambre de 12 pour le 446.

Ce soir nous nous y trouvons juste à 2 (Mongodin et moi), aussi nous y passons la nuit bien tranquille.

 

Aujourd’hui, le temps s’est remis à la pluie, aussi le camp est-il rempli de boue dans laquelle nous devons patauger.

Ce camp est formé de belles constructions qui étaient paraît-il destinées à loger un régiment motorisé, mais ces construction ne sont pas encore achevées, des ouvriers y travaillent tous les jours (menuisiers, peintres, etc.)

Le camp comprend 4 grands bâtiments ou blocs destinés à recevoir chacun 400 officiers ; d’autres bâtiments sont réservés aux cuisines, au logement des soldats allemands, etc.

Nourriture. Le matin un quart d’une tisane faite avec je ne sais quoi (orge, glands, etc.)

 

Le midi, nous allons aux cuisines où chacun reçoit à tour de rôle une louche d’un mélange de pommes de terre, carottes, macaroni, mou de vache, etc. Pour ma part, c’est ce mou de vache qui me répugne le plus.

 

Le soir nous recevons une boule de pain KK pour 6 avec soit un peu de confiture, soit du saindoux. (*)

J’ai bien du mal à encaisser le saindoux.

Ah ! Quelle triste vie que la nôtre. Combien de temps durera-t-elle ?

 

Pourquoi Berthe ne m’a-t-elle pas envoyé un colis.

Vraiment il faut qu’elle ne pense pas à grand-chose ; elle doit pourtant savoir que les colis sont toujours attendus impatiemment par les prisonniers !!

Décidément je n’aurai jamais de chance et malgré que j’aie beaucoup souffert, je n’ai jamais été plaint. Je n’ai jamais été heureux et même dans ma famille je n’ai pas trouvé le bonheur auquel j’étais en droit d’attendre. (**) 

Berthe avec toutes ses belles paroles est une véritable égoïste qui n’a rien fait pour me rendre heureux.

Si cette fois encore je suis dans le malheur, c’est à elle que je le dois, car si j’avais eu une vie heureuse en famille, j’aurais à 48 ans lorsqu’on m’a demandé si je voulais être rayé des cadres ou rester officier, j’aurais opté pour la 1ère solution et je serais en ce moment tranquille à Picauville. (***) 

Je ne l’ai encore jamais dit à Berthe mais, elle a une grosse part de responsabilité en ce qui concerne ma détresse actuelle, aussi j’aurai bien du mal à le lui pardonner.

 

(*) : En 1918, Quand Ferdinand était aussi prisonnier en Allemagne, il avait eu comme repas du chien et du phoque…

(**) : Aie ! Le couple semble beaucoup moins "heureux" quand 1915-1918 !

(***) : Ferdinand semble dire qu'il n’a pas choisi de continuer d'être officier de réserve.

Mardi 20 août

À Munster : 60ème jour de captivité.

 

Aujourd’hui nous recevons dans notre chambre les lieutenants : Lelièvre, Leconte, Corson, Poirrier et les capitaines : Delarue et Reboul, ainsi que 4 autres officiers. Notre chambre est donc maintenant complète (12 occupants). Nos couchettes sont par 2 superposées.

Ce n’est pas le couchage qui laisse le plus à désirer, mais la nourriture.

Mercredi 21 août

À Munster : 61ème jour de captivité.

 

Le temps est très froid pour la saison, le vent est presque glacial et aux rassemblements qui ont lieu dans la cour, il ne fait pas chaud. Pour ma part je ressens particulièrement la rigueur de la température car je n’ai pas de capote, je me demande ce que je deviendrai cet hiver.

 

Cet après-midi, je souffre dans le dos, surtout du côté droit en arrière de l’omoplate et quand je tousse ou respire je ressens une assez forte douleur, j’ai d’ailleurs un peu de fièvre.

52 ans, ce n’est plus un âge à être prisonnier.

Jeudi 22 août

À Munster : 62ème jour de captivité.

 

Le temps est meilleur mais le vent reste froid.

Appel à 10 h. Il faut fournir par chambre une série d’états : états des Corses, Flamands, Bretons, Légionnaires, médecins auxiliaires, dentistes, pharmaciens auxiliaires.

Dans quel but, nous l’ignorons ; peut-être que ceux qui rentrent dans ces catégories seront libérés plus vite.

Pour moi, je crains bien que cette libération ne se fasse attendre encore bien longtemps, plusieurs mois, un an, peut-être davantage, car la guerre avec l’Angleterre n’est pas finie.

Quel triste sort !!

Connaître deux fois dans son existence les misères de la captivité, ce n’est pas vraiment être chanceux.

 

Cette nuit, le pays a été de nouveau survolé par des avions anglais et les batteries allemandes ont tiré quelques centaine d’obus. Nous n’avons pas entendu d’éclatements de bombes.

Vendredi 23 août

À Munster : 63ème jour de captivité.

 

Aujourd’hui le temps est très mauvais et le vent glacial. Nous n’avons pas chaud au rassemblement de 10h, moi particulièrement car je n’ai pas de capote et n’ai que ma vareuse qui est très légère.

Nous avons quelques renseignements concernant notre correspondance qui sera contrôlée ainsi que les colis, par les Allemands. Il nous est interdit de donner des indications sur le camp où nous nous trouvons.

 

Les jours où nous pourrons écrire seront indiqués par l’autorité allemande. J’ai l’intention d’adresser ma première carte à Fernande en lui demandant de m’envoyer le plus rapidement possible des colis de vivres et de vêtements chauds.

 

Ici le temps va passer encore plus lentement qu’à Bosserville et les heures vont être bien difficiles à tuer.

Enfin il faut absolument tenir et pour cela ne pas se laisser aller au découragement qui deviendrait rapidement mortel, et je n’ai pas l’intention de laisser mes os en Allemagne.

Depuis que nous sommes ici, nous n’avons pas encore eu l’autorisation d’écrire.

Samedi 24 août - Le menu de tous les jours

À Munster : 64ème jour de captivité.

 

Cette nuit de nouveau, il y a eu alerte mais la D.C.A. n’a que très peu tiré.

Le temps est toujours froid et les rassemblements pour les appels de 10h et de 18h sont vraiment pénibles.

 

Après l’appel de ce matin, le colonel allemand du camp passe l’inspection des chambres, aussi malgré la pluie et le vent glacial, nous devons rester au dehors. Heureusement que le commandant du 2ème bataillon de D. Mangou me laisse provisoirement son imperméable qui me garantit un peu, car je n’ai pas de capote.

Hier comme casse-croûte, nous avons eu avec une boule pour 5 un peu de saindoux. J’aurais certainement beaucoup de mal à m’habituer à cette nourriture.

 

Voilà le menu de tous les jours :

Matin 7h : jus fait avec toute autre chose que du café.

11h ½ : chacun de nous reçoit une louche d’un mélange de légume dont la plus grande partie est constituée par des pommes de terre avec du chou, quelques carottes et des bribes de viande ou de mou de vache. Ce mou de vache surtout me répugne et je ne réussis pas à l’avaler.

À 17h : un quart de tisane avec une boule de pain pour 4 avec soit du fromage, soit des confitures, soit du saindoux ou du saucisson.

Aujourd’hui les chefs de chambre doivent fournir pour chaque officier de la chambre, l’adresse de la personne à prévenir en cas d’incident.

Dimanche 25 août

À Munster : 65ème jour de captivité.

 

Malgré le temps brumeux, des avions anglais sont encore venus cette nuit survoler la région vers 3h du matin. Les batteries de D.C.A. ont tiré pendant plus d’une demi-heure.

Une batterie doit se trouver très près d’ici (à moins de 300m) car le bruit suit à peine à une seconde d’intervalle les lueurs des départs.

 

Nouvel état à fournir ce jour.

Indication du camp de provenance des officiers, ceci afin, paraît-il, de permettre l’acheminement ici des lettres et colis qui sont restés en souffrance à Bosserville.

Vivement au moins que je reçoive quelques colis qui pourront améliorer l’ordinaire. Dans la 1ère carte que j’enverrai, je demanderai des effets chauds car je souffre plutôt du froid.

Je ne comprends pas que ma Berthe ne m’ait pas envoyé un colis sitôt qu’elle a su mon adresse à Bosserville, elle sait pourtant que tous les prisonniers attendent impatiemment l’arrivée de ces colis ; il faut vraiment peu se soucier de moi ou être d’une bien grande naïveté.

Si je n’ai rien reçu avant que nous ayons l’autorisation d’écrire, j’adresserai ma carte à Fernande et à ??, leur demandant de m’envoyer un colis de 5 kg par semaine.

On vient justement de faire paraître une note indiquant tout ce que l’autorité allemande ne peut nous fournir : vêtements chauds, chemises, caleçons, mouchoirs, serviettes, puis conserves, confitures, chocolat, savon, etc.

Et que dans ces conditions nous devons nous adresser à nos familles pour qu’elles nous les envoient dans des colis.

Lundi 26 août

À Munster : 66ème jour de captivité.

 

Le temps aujourd’hui est beaucoup plus doux. La brume qui couvrait la campagne s’éclaircit peu à peu et cet après-midi nous voyons un peu de soleil. Cela fait plaisir car la température pour un mois d’août était vraiment basse et on se serait facilement cru au mois de novembre.

Dans les champs voisins du camp, les cultivateurs rentrent leurs avoines.

Le sol, dans cette région, est sablonneux et je crois peu fertile. Malgré cela nous pouvons apercevoir de beaux carrés de betteraves, mais je pense que les Allemands emploient plus d’engrais que les français. Dans le champ voisin du camp, nous avons aperçu aujourd’hui deux jolis chevreuils qui gambadaient à une centaine de m de nous.

N’étant pas chassés, ces animaux sont peu sauvages.

 

Le bruit court que des lettres seraient arrivées au camp ce matin, ce seraient des lettres de Nancy qui auraient été acheminées ici, mais ce bruit est-il fondé ? Il est fort probable que non.

Autre bruit : les classes les plus anciennes seraient libérées avant l’hiver. Malgré que l’on sache que ce canard n’est pas réellement fondé, on apprend avec joie ces bruits favorables qui courent dans le camp. Puisse enfin ce tuyau ne pas faire comme les autres et s’avérer vrai dans l’avenir !!

 

Ce soir, le bruit court que la libération des vieilles classes commencerait le 15 septembre : la paix entre la France et l’Allemagne étant imminente. Ce serait paraît-il la radio allemande qui aurait annoncé ce bon « tuyau ».

Hélas ! Il ne faut pas trop y compter, car la déception pourrait être brutale.

Mardi 27 août

À Munster : 67ème jour de captivité.

 

Cette nuit grande activité de l’aviation anglaise et de la D.C.A. allemande, nous en avons eu au moins pour 2 heures à ne pas dormir.

 

Ce matin, le temps est brumeux, mais il s’éclaircit dans l’après-midi.

Dans la matinée, nous devons remplir chacun une fiche de renseignements et cet après-midi on nous donne une carte à remplir pour être expédiée à nos familles avec le simple renseignement suivant :

« Je suis prisonnier de guerre en Allemagne, en bonne santé. »

 

Quand donc pourrons-nous demander qu’on nous envoie des colis pour améliorer un peu nos conditions d’existence !!

Maintenant nous pouvons espérer en recevoir avant le mois d’octobre, si ceux qui ont été expédiés à Bosserville ne parviennent pas jusqu’ici.

Aujourd’hui, aucun nouveau tuyau ne circule dans le camp, il est vrai qu’ici nous n’avons aucune relation avec l’extérieur !!

Quelle triste vie que d’être prisonnier à 52 ans.

Vrai, la destinée n’aura guère été clémente envers moi.

Ah ! Si j’ai le bonheur, comme j’en conserve l’espoir, de voir la fin de cette captivité, comme je me tiendrai à l’écart de toute politique, je voudrai vivre retiré du monde, de cette société où l’égoïsme est roi.

Mercredi 28 août – Le régime de faveur des Bretons

À Münster, 68e jour de captivité

 

Cette nuit bien que le temps fût idéal pour des raids d’aviation, il n’y en a eu aucune alerte dans la région et nous avons pu dormir tranquillement.

Les officiers qui voudraient continuer à s’instruire peuvent faire venir par l’intermédiaire de l’autorité allemande tous les livres d’études qui leur seraient nécessaire. Ce n’est pas là l’indice d’une libération prochaine !!

Malgré tout, j’ai toujours confiance que cette libération tant souhaitée viendra avant Noël.

Je ne me sens toujours pas bien solide. Je souffre un peu du foie qui s’habitue difficilement à la nourriture qu’on nous donne ; de plus je suis toujours enrhumé et ai les reins en mauvais état.

La ville de Münster qu’on aperçoit du camp compte environ 150 000 habitants et possède 26 églises. La population de la Westphalie est en effet très catholique.

 

Les cartes que certains officiers expédiaient en Bretagne et où ils avaient mentionné comme pays : France ont dû être recommencées et les officiers ont dû remplacer ce mot France par : Bretagne ce qui montre bien que l’autorité allemande a l’intention de séparer la Bretagne du reste de la France.

Je ne pense pourtant pas que la majorité des Bretons soit partisan de l’autonomie de leur pays. Ceci explique bien pourquoi les officiers bretons sont l’objet d’un régime de faveur.

Jeudi 29 août

69e jour de captivité, à Münster

 

La nuit a été assez calme, cependant vers 2h du matin le passage de quelques avions anglais a déclenché quelques tirs de DCA.

Ce matin, le temps est très brumeux.

Vers 9h, un avion anglais que nous pouvions apercevoir facilement a occasionné un tir serré de DCA. Les obus allemands quoique nous paraissant éclater un peu bas encadraient bien l’avion, mais celui-ci a rapidement disparu dans les nuages.

 

Une demi-heure plus tard un autre avion anglais, si ce n’est le même, a provoqué de nouveaux tirs qui, bien qu’étant bien réglés ne l’ont pas atteint.

Nous ne savons encore si les cartes écrites avant-hier sont parties et nous nous demandons bien quand nous pourrons avertir nos familles qu’elles nous envoient des colis. À Bosserville nous n’avons rien pu nous procurer, si bien que nous sommes arrivés ici sans aucune réserve, tandis que les officiers qui se trouvaient à la Malgrange à Nancy ont pu se procurer tout ce qu’ils voulaient. Ils avaient créé une coopérative où ils pouvaient s’approvisionner en conserves de toute sorte, même des commerçants de Nancy étaient autorisés à venir vendre à la Malgrange des chaussons, vêtements, lainages etc….aussi sont-ils actuellement moins à plaindre que nous.

 

Vers 10h, le temps s’est mis à la pluie qui tombe drue et glacée, aussi je n’ai pas chaud. Le temps maussade continue toute la journée.

Rien de nouveau

Vendredi 30 août

70e jour de captivité, à Münster

 

La nuit a été assez calme, cependant des camarades disent avoir entendu au loin une longue canonnade.

Le temps ce matin est sec et froid, le vent qui souffle assez fort est loin d’être chaud.

 

Après l’appel ce matin, les officiers du Block 4 sont photographiés avec leur numéro matricule inscrit sur une pancarte suspendue à leur cou par une ficelle.

Décidemment l’autorité allemande prend des précautions pour notre identification le cas échéant. La fiche concernant chacun de nous sera ainsi je l’espère, complète.

 

Ce midi, Combrexelle, instituteur dans la Meuse, me donne comme tuyau que les fonctionnaires et en particulier les instituteurs seraient libérés pour le début d’octobre afin d’être présents à leur poste au moment de la rentrée des classes. Pour moi je n’y crois guère, car depuis le début de la captivité nous avons eu déjà pas mal de déceptions.

Enfin il faut attendre à peu près un mois pour savoir si ce tuyau doit se confirmer.

 

Ah ! Être prisonnier est un bien triste sort surtout à mon âge, alors qu’on était en droit d’escompter passer quelques années tranquilles, il faut vieillir dans la captivité.

Quand je retrouverai la liberté, je serai bien vieilli aussi bien moralement que physiquement et je crains bien ne pouvoir profiter des quelques années de paix auxquelles je pensais pouvoir avoir droit.

Samedi 31 août

71e jour de captivité, à Münster

 

La nuit a été très mouvementée, et le passage d’avions anglais n’a guère cessé, ainsi d’ailleurs que les tirs de la DCA.

Le temps est beaucoup plus doux et il fait bon se promener dehors. J’assiste ainsi à la finale d’un concours de boules qui a été organisé dans le camp.

 

Ce midi, le Block II est servi le dernier et de cette façon nous avons droit au rabiot. Pour une fois je suis bien servi et mange tout mon content, ce qui va me permettre d’économiser un peu ma ration de pain.

Près de Munster il doit y avoir une école d’aviation, car tous les jours de nombreux appareils tant de chasse que de bombardement circulent au-dessus de nos têtes.

 

Ce soir un nouveau tuyau circule.

À partir de la 3e semaine de septembre les Allemands libéreraient les fonctionnaires civils et ensuite les prisonniers disposant de moyens d’existence suffisants. Seraient retenus prisonniers ceux qui n’auraient pas les moyens d’existence suffisants pour vivre, ceci afin de ne pas encombrer le pays de chômeurs, ce qui serait en l’occurrence assez plausible.

Ce seraient des s/s officiers qui chaque jour vont travailler à Munster qui auraient rapporté ce tuyau qui correspondrait bien à celui de Combrexelles d’hier.

Attendons donc la mi-septembre pour voir si ce tuyau s’avérera exact.

 

Notes d’août

1 mot illisible touché  128 marks = 2560 F                                       8400F

Solde juillet et du 20 au 30 juin

 

 

J1

V2          Lavage linge   10F                                                                             10F

S3         cheveux 7F                                                                                       7F

D4

L5

M6

M7         Versé 5 marks pour amélioration ordinaire (10j à 5,50)               100F

  le surplus restant en compte

J8

V9          Versé pour tabac                                                                             20F

S10        versé pour amélioration ordinaire (2e décade)                              10F50

D11

L12        Achat 2 petits blocs papier à 3F50 l’un                                         7F

M13       Achat d’un bloc grand format                                                         10F

M14       Versé pour plaquette « Camp de Bosserville »                              60F

J15

Plus rien pour les autres jours : je ne les ai pas retranscrits

                                                                                                             224F50

Septembre 1940 : Allemagne, Münster – La faim - Le règlement du camp – La note concerne la libération des prisonniers

Dimanche 1er septembre

72e jour de captivité, à Münster

 

Nuit assez calme et nous avons pu reposer tranquillement. Une seule fois j’ai entendu les tirs assez lointains de la DCA.

Il paraîtrait que le Maréchal Pétain se serait montré disposé à conclure une paix séparée avec l’Allemagne mais que les conditions imposées à la France ne pouvaient être acceptées.

La France devait en effet céder à l’Allemagne la valeur de 7 départements (Haut-Rhin, Bas-Rhin, Moselle, Meurthe et Moselle, une partie de la Meuse, Ardennes, Nord & une partie du Pas de Calais) et à l’Italie 5 autres départements.

Pauvre France !!

En quel triste état t’ont menée vingt ans de vie sans moralité, sans discipline. Et dire que pas un des responsables n’a encore été fusillé !! Cette chute, les Français l’ont certes en partie méritée, mais tout de même on ne peut s’empêcher de plaindre notre malheureux pays qui va être réduit à environ vingt-cinq millions d’habitants.

Aucun gouvernement français ne voudra certes pas signer de semblables conditions, aussi il est fort possible que la paix avec la France ne viendra que lors de la paix générale.

S’il faut que nous restions prisonniers d’ici là, nous pouvons nous attendre à plusieurs années de captivité ; cependant après mûre réflexion je ne pense pas que les autorités allemandes nous gardent si longtemps, car 2 millions de prisonniers, c’est un nombre considérable, si considérable qu’il est permis de supposer qu’un certain nombre les vieilles classes tout au moins seront libérées avant la signature de la paix.

 

À partir d’aujourd’hui nous mangeons dans les chambres.

       Lundi 2 septembre

73e jour de captivité, à Münster

 

Cette nuit comme de coutume, plusieurs avions anglais sont venus survoler la région et la DCA est entrée en action.

D’après d’autres bruits il paraitrait que la commission de l’armistice se serait réunie il y a 5 à 6 jours, et que les représentants français ont obtenu la modification de l’article concernant les prisonniers français qui d’après cet article ne devaient être libérés qu’après la signature de la paix et que la libération de ces prisonniers, tout au moins de ceux qui ont les moyens d’existence suffisants ne tarderait pas à commencer.

Ces bruits concorderaient bien avec ceux entendus avant-hier soir. Puissent-ils enfin être vrais !!

 

D’après les règlements du camp affichés dans les chambres, c’est aujourd’hui que l’on devrait nous payer notre solde, mais je crains bien que ce dit paiement ne soit remis à une date ultérieure ; d’ailleurs à quoi nous serviraient les marks que nous pourrions recevoir puisque la cantine n’est pas encore ouverte.

Nous ne pouvons toujours pas envoyer de nos nouvelles à nos familles, ce qui peut paraître d’autant plus bizarre que des soldats qui travaillent au camp où ils sont depuis un peu plus d’un mois reçoivent des lettres de chez eux.

Faut-il voir là un indice favorable ?

Les autorités allemandes auraient-elles jugé inutile de créer les services nécessaires au contrôle de ces correspondances, si notre libération est proche !!

 

Ce soir le temps est sec mais froid. J’appréhende à passer ici l’hiver, moi qui n’ai pas de capote.

Mardi 3 septembre – La faim

74e jour de captivité, à Münster

1e demande de colis

 

Très beau temps ce matin.

Cette nuit comme de coutume des avions anglais sont venus survoler la région. Comme le temps passe lentement. Comme je voudrais, tel une marmotte m’endormir pendant tout l’hiver, ne me réveiller qu’au printemps et me trouver alors à l’endroit où je serai à ce moment.

Car que c’est pénible d’être prisonnier à mon âge, de sentir sans arrête les affres de la faim. Car nous sommes loin de manger à note appétit.

Je sens peu à peu les forces s’en aller et quand j’ai marché pendant vingt minutes, j’ai les jambes complètement folles et ma tête tourne.

 

Après la soupe de ce midi, chacun de nous reçoit une carte pour écrire à sa famille. Il y a seulement 7 lignes réservées à la correspondance. C’est presque suffisant car quoi dire si ce n’est de demander l’envoi le plus tôt possible de colis pour améliorer un peu notre ordinaire.

Cet envoi de carte ne laisse pas présager une libération prochaine, car je pense que les Allemands n’auraient pas créé les services nécessaires à la correspondance pour un temps relativement court. Pour ma part s’il me faut passer plusieurs années dans ce camp, je crains bien de ne jamais revoir la France.

Malgré tout, je veux toujours espérer et jusqu’à la fin de septembre, j’attendrai chaque jour la libération.

La solde qui devait être payée le 1er ne l’est pas encore, la cantine n’est pas encore ouverte aussi nous ne pouvons rien nous procurer.

Encore une journée qui ne nous a rien apporté de nouveau.

Mercredi 4 septembre

75e jour de captivité, à Münster

Solde : 32 marks

 

Temps superbe et septembre s’annonce plus ensoleillé qu’août. Le soleil est très chaud mais la chambrée où nous logeons reste fraîche.

Comme de coutume, les avions anglais sont venus cette nuit survoler la région.

D’après un journal allemand, une tentative de débarquement en Angleterre aurait eu lieu le 25 ou le 26 juillet, mais d’après ce journal cette tentative n’aurait pas donné les résultats escomptés ce qui signifia évidemment qu’elle a échoué, on parle de 150 000 victimes. L’opération ne serait recommencée qu’au printemps.

 

Par ailleurs la Roumanie qui après la trahison du Roi des Belges se serait rapprochée de l’Allemagne est en partie dépecée : la Bessarabie aurait été annexée par la Russie, la Transylvanie par la Hongrie, et enfin la Dobroudja par la Bulgarie. La Roumanie n’a peut-être même plus accès à la Mer Noire.

Enfin le bruit court qu’à la suite de ce partage des révoltes auraient éclaté en Roumanie. Il en serait de même en Tchéco-Slovaquie mais à mon avis, ces révoltes n’ont aucune chance d’aboutir : la puissance militaire allemande étant par trop formidable.

 

Cette matinée les Allemands nous paient notre solde. Je touche ainsi 52 marks mais ce sont des marks qui n’ont pas cours à l’intérieur de l’Allemagne ; c’est seulement de la monnaie de camp.

Les lieutenants touchent 27 marks. Il faut attendre maintenant l’ouverture de la cantine.

Jeudi 5 septembre

75e jour de captivité, à Munster

Photographie

 

Cette nuit, visite habituelle des avions anglais.

Le temps continue d’être au beau fixe et dans la journée la chaleur est accablante.

 

Ce matin, afin de compléter nos fiches d’identité, nous sommes photographiés. Cette formalité est loin de nous être agréable, mais il faut bien l’accepter.

Par ces jours de beau temps, nombreux sont les promeneurs le long de la route longeant le camp, ce sont peut-être surtout des curieux, venant par là en promeneurs surtout pour voir les prisonniers. Ce qui frappe à la vue de ces Allemands, c’est le grand nombre d’enfants ; enfants qui ont d’ailleurs l’air d’être en parfaite santé. Tous à peu près ont les cheveux blonds.

Sur presque toutes les bicyclettes est fixée une petite chaise d’osier où est assis un bébé.

 

La cantine du camp doit ouvrir cet après-midi.

Son ouverture a lieu en effet vers 16h mais comme c’est la bousculade pour se faire servir je préfère attendre quelques jours, alors que l’afflux des acquéreurs aura un peu diminué.

D’ailleurs on ne vend que très peu de chose à cette cantine et à des prix vraiment exorbitants. La bouteille de bière (2 verres à peu près) est vendue 45 pfennigs soit au cours du mark 9F50. On y trouve encore de la pâte dentifrice, de la crème Simon, mais on y vend encore ni brosses à chaussures, ni crayons, ni lames pour rasoirs mécaniques.

 

Cet après-midi, avec notre ration de pain, nous touchons du fromage fondu qui ne vaut pas cher et je me couche avec la faim.

Vendredi 6 septembre

77ème jour de captivité, à Münster

 

Comme de coutume, visite cette nuit des avions anglais, les coups de départ de centaines de pièces de D.C.A. font trembler la caserne.

Le colonel du Paty de Clam qui commande le block II parait assez mal en point.

Depuis quelques jours, il semble s’affaiblir sérieusement et je ne pense pas qu’il puisse supporter une longue captivité.

La cantine qui n’est ouverte le matin que de 10h ½ à 12h et le soir de 15h30 à 17h30 débite en quantité de bouteilles de bière si bien qu’à 11h 1/2 il n’en reste plus.

Aujourd’hui le block IV reçoit à 11h des lettres pour envoyer aux familles, notre tour va probablement venir cet après-midi.

 

Les prisonniers peuvent également envoyer de l’argent à leurs familles. Le modèle de demande est affiché. Nous pouvons envoyer l’argent que nous ont laissé les Allemands lors de la fouille.

Pour ma part je n’enverrai rien, au moins présentement.

 

Cet après-midi, je fais l’achat d’une bouteille de bière 45 pfennings, soit 9F. La bière est bonne, mais je préfèrerais comme goût du vin ou même du cidre.

Au rassemblement de ce matin, 2 officiers du block IV se sont trouvés mal (prêts à tomber en défaillance). Ceci montre bien que la nourriture est nettement insuffisante. Il est facile de s’en rendre compte, les tailles s’amincissent, les visages s’émacient, pâlissent.

Avec un an de ce régime, nous ne serons pas costauds.

Samedi 7 septembre

78ème jour de captivité. À Munster.

Envoi d’une 1ère lettre.

 

Cette nuit, les avions anglais sont venus sur la Ruhr et on pouvait entendre au loin les fortes détonations des bombes.

Je passe ½ heure à écrire la lettre qui doit partir aujourd’hui, je l’adresse à Fernande et dans cette lettre je ne cache pas ma surprise de n’avoir reçu aucun colis à Nancy.

Berthe dans la lettre que j’ai reçue s’est en effet simplement bornée à me demander si je voulais qu’on m’envoie des colis.

Question vraiment bien naïve car demander à un prisonnier s’il veut des colis c’est comme si on demandait à un poisson s’il veut de l’eau pour vivre.

Décidemment il est écrit que je n’aurai jamais de chance !!...

 

D’après les journaux allemands, Hitler aurait déclaré que la guerre avec l’Angleterre serait terminée dans un mois.

D’autre part, l’Angleterre aurait concédé aux États-Unis pour un bail de 99 ans, les îles Bermudes dans le Pacifique, ceci moyennant la livraison de 50 destroyers. Ces îles Bermudes sont évidemment très importantes pour les États-Unis pour leur servir de base en cas de conflit avec le Japon.

De plus, les États-Unis se substituent à l’Angleterre à Chang-Hai (encore une mesure dirigée évidemment contre le Japon).

Les journaux allemands annoncent encore qu’un règlement définitif est intervenu dans les Balkans à la satisfaction de tous les pays !!

Je doute tout de même que cette satisfaction générale soit partagée par la Roumanie !!

 

Le temps ce soir se rafraichit sérieusement et j’ai hâte de recevoir des effets chauds.

Dimanche 8 septembre

79ème jour de captivité. À Munster.

 

Bien que les avions anglais soient encore venus cette nuit, il y au moins de bruit que les nuits dernières.

 

Ce matin, le brouillard est intense et il ne fait pas chaud au rassemblement (rassemblement qui dura au moins 20 minutes).

 

Parmi les officiers prisonniers se trouve un député de la Creuse qui ce soir en parlant avec des camarades nous renseigne un peu sur les dessous de la politique.

D’après lui, en septembre 1938, c’est le général Vuillemin, ministre de l’Air qui en menaçant de donner sa démission a empêché la guerre (il n’y avait pas à ce moment dix appareils de chasse et dix appareils de bombardement modernes).

En septembre 1939, la France disposait seulement de 200 appareils de chasse et de 53 appareils de bombardement de classe moderne, c’est dire assez notre infériorité en aviation sur l’Allemagne ; mais on comptait sur la livraison des appareils américains.

Jusqu’au 10 mai 1940, très peu parmi les parlementaires croyaient à la guerre véritable.

Malgré l’exemple de la Pologne, Daladier, Gamelin, Reynaud croyaient que l’Allemagne n’oserait jamais attaquer la France. Ils n’étaient vraiment guère psychologues.

Le général Georges était un des seuls qui y croyait.

C’est à cause de cette opinion presque générale qu’on n’a presque rien fait pendant l’hiver, qu’on s’occupait surtout des jardins, des foyers du soldat etc., etc. …

Quelle tristesse !!

Daladier, Gamelin sont coupables et devraient payer de leur vie la débâcle.

Lundi 9 septembre

80ème jour de captivité. À Munster.

 

D’après le député en question, l’accord n’existait pas au sein du cabinet. Daladier était en très mauvais terme avec Reynaud et Mandel et même en pleine guerre, Daladier intriguait pour faire tomber le ministre Reynaud.

 

Aujourd’hui à la cantine j’achète 2 bouteilles de limonade à 0,3 mark, 1 bloc de papier hygiénique à 0,25 mark et deux paquets de lames de rasoir à 0,3 mark l’un. J’avais l’intention d’acheter 1 boite de pastilles contre la toux mais il n’y en avait plus.

Le journal allemand de ce jour mentionne la chute du ministère français. Le maréchal Pétain reste toujours Président du Conseil mais tous les parlementaires qui faisaient partie de l’ancien ministère sont mis à la porte (Piétri, Ybanégaray, etc …)

Le ministère comprend toujours l’amiral Darlan, Hutsinger, Weygand, Baudouin, etc

D’autre part, le journal annonce que Gamelin, Daladier, Reynaud sont emprisonnés près de Riom ; Pierre Coty et Guy La Chambre doivent être jugés les premiers.

Ce nouveau ministère va certainement plaire davantage aux Allemands. Espérons par suite que la signature de la paix sera rapprochée et par voie de conséquence notre libération avancée.

 

Le journal allemand annonce encore que l’aviation du Reich s’est livrée à une attaque de grande envergure sur l’Angleterre dans la journée d’hier : les villes ouvertes n’ont pas été épargnées et Londres serait en flammes. Il est toujours certain que cette nuit nous n’avons pas eu la visite d’avions anglais !

Enfin la marine italienne aurait remporté un succès en Méditerranée.

Mardi 10 septembre

81ème jour de captivité. À Munster.

 

Cette nuit a été calme et les aviateurs anglais ne sont pas venus nous rendre visite. L’Angleterre doit préparer la riposte à l’attaque allemande d’avant-hier.

Le temps ce matin est au beau et l’aviation va pouvoir s’en donnent à cœur joie.

 

Dans la matinée nous recevons une nouvelle carte où il est simplement indiqué que nous sommes maintenant dans un camp fixe en Allemagne et que nous avons la permission de recevoir du courrier.

Nous avons simplement à écrire d’un côté l’adresse du destinataire et de l’autre côté notre adresse. Cette carte qui est la 1ère qui aurait dû partir d’ici est certainement arrivée en retard mais il est permis de supposer que la 1ère carte ainsi que la 1ère lettre que nous avons déjà écrites n’ont pas été expédiées par l’autorité allemande.

 

Hier nous devions être vaccinés contre la variole, cette formalité avait été remise à aujourd’hui et elle est de nouveau remise à un autre jour.

 

Cet après-midi à partir de 15 h, paiement de la solde pour la 2ème décade d’août, je reçois ainsi 32 marks. En même temps on nous remet le reçu des sommes versées lors de la fouille à notre arrivée au camp (j’avais versé 46 marks et 146,50 F d’argent français).

 

Cet après-midi, j’achète à la cantine un crayon encre 0,25 mark soit au cours du mark 5 F. C’est vraiment un peu cher, ainsi d’ailleurs que tout ce qui se vend à cette cantine.

Mercredi 11 septembre - Le règlement du camp

82ème jour de captivité. À Munster.

 

Temps assez beau.

Cette nuit nous n’avons pas encore eu la visite des aviateurs anglais. Serait-ce l’indication que de nombreux aérodromes anglais ont été bombardés ?!!...

Sur ce carnet je copierai chaque jour une partie du règlement du camp. Je vais commencer par l’avertissement qui termine ledit règlement ; avertissement qui ne manquera pas de sel.

 

Avertissement : il strictement interdit aux prisonniers de guerre de s’approcher des femmes et des filles allemandes ou d’entrer en relations quelconques avec elles.

Les contreventions seront punis par la peine de travaux forcés jusqu’à 10 ans, dans les cas sévères même par la peine de mort.

Les prisonniers de guerre reconnaissent par leur signature qu’on a dument attiré leur attention sur cette interdiction.

Le commandant du camp, Von Karlden

 

La cantine du camp fait un commerce monstre particulièrement en bière. Tout y est au moins 4 fois plus cher qu’en France (1 bouteille de bière 9 F, un crayon encre 5 F, un rasoir 90 F, etc….)

Malgré ces prix vraiment trop excessifs, les prisonniers achètent, achètent…. Et une bonne partie de la solde retournera ainsi aux Allemands.

Le camp où nous sommes est une grande caserne en construction, destiné parait-il à une école d’artillerie. Les travaux auxquels participent près de 200 prisonniers français sont loin d’être achevés.

En ce moment des paveurs commencent à paver les rues. Ce travail est long et il faudra au moins 6 mois avant qu’il soit terminé.

 

Ce soir, 25 toubibs sont encore arrivés au camp. Ils doivent passer la nuit dans le hangar d’attente.

Jeudi 12 septembre

83ème jour de captivité. À Munster.

 

Cette nuit nous avons réentendu les avions anglais et les tirs de la DCA, mais ces bruits étaient assez lointains.

 

Ce matin lever 6h ½ pour me permettre de laver tranquillement mon linge. C’est un travail qui est loin de me plaire dont le résultat ne me donne d’ailleurs pas entière satisfaction. Pour comble de malchance pendant que mon linge est à sécher on me barbote une paire de chaussettes.

Le bruit circule aujourd’hui que le départ des médecins du camp est imminent, il aurait lieu probablement lundi. Si ce bruit se confirme les médecins peuvent s’estimer vraiment chanceux !

D’autre part il paraitrait également que les plus de 50 ans partiraient d’ici peu.

 

Aujourd’hui, la nourriture est particulièrement insuffisante (un peu de morue cuite à l’eau avec la valeur de 2 pommes de terre moyennes), aussi tout l’après-midi la faim ne cesse de me tirailler l’estomac. Si un tel régime dure encore quelques mois je ne serai pas costaud à la fin de ma captivité.

Enfin il faut vivre avec l’espoir !

 

Cet après-midi, les officiers du block II sont vaccinés contre la typhoïde (1ère piqure qui est nous est faite au-dessous du sein gauche).

Les journaux allemands du camp annoncent que Berlin a été bombardé et que les Allemands ont à déplorer un assez grand nombre de victimes.

Par ailleurs, ils indiquent qu’il y a en France, 3 millions de chômeurs et ils pensent que ce nombre augmentera par suite de la libération des prisonniers (c’est donc que l’on pense tout de même à notre libération !...).

Il y a plus d’un million de chômeurs dans la région parisienne, ce sont pour la plupart les affectés spéciaux travaillant dans les usines de guerre. Si tous ces gens-là pouvaient souffrir un peu, cela ne leur ferait pas de mal !!...

Vendredi 13 septembre : La faim

84ème jour de captivité. À Munster.

 

Ce matin la faim se fait diablement sentir et j’ai grand hâte de voir arriver la soupe de ce midi. Que c’est triste une vie comme la mienne !! Connaître de nouveau la torture de la faim à 52 ans !!...

 

Aujourd’hui le temps est à la pluie et le camp est plein de boue. Depuis hier après-midi, l’eau fait défaut aux blocks I, II et III aussi il faut aller au block IV pour se laver et se servir des waters.

On nous donne connaissance de tous les objets qu’il nous est permis de faire venir de France, ainsi que de tous ceux qu’il est interdit de nous envoyer. Ces 2 listes sont d’ailleurs assez longues. D’une façon générale, il nous est interdit de faire venir tous les objets que nous pouvons nous procurer à la cantine du camp.

Bon nombre de camarades ont eu cette nuit un peu de fièvre à la suite de la piqure reçue hier après-midi. Pour ma part, la dite piqure ne m’a pas empêché de dormir, seul l’endroit où a été faite cette piqure reste douloureuse au contact.

Cette 1ère vaccination n’est probablement que le début d’une série de piqures (3 contre la typhoïde puis contre la variole, contre le typhus, etc, … etc, si bien que nous sommes loin d’être quitte.

 Samedi 14 septembre : Note concerne la libération des prisonniers

85ème captivité. À Munster.

 

Cette nuit le vent a encore soufflé en tempête. Il ne doit pas faire bon en ce moment sur la mer du Nord !!

Et a être assez difficile aux Allemands de tenter à nouveau un débarquement en Angleterre. Les journaux allemands annoncent le bombardement de Berlin par les Anglais. Des rues entières sont démolies (les maisons encore debout, étant crevassées et devant être évacuées).

L’Angleterre parait il a fait une commande de 18 000 avions à l’Amérique. Ce n’est en effet que par une supériorité écrasante de l’aviation que l’Angleterre peut opérer s’assurer la victoire.

 

Une note du commandant du camp a été affichée ce midi. Cette note concerne la libération des prisonniers. Voici d’ailleurs le libellé de cette note. La dite note fait suite à quelques réponses à des demandes d’officiers prisonniers :

 

" Pour le reste, je ferai remarquer que les officiers français sont encore prisonniers de guerre, étant donné qu’il n’existe pas entre la France et l’Allemagne de traité de paix, mais seulement un armistice. Quant à la cessation de la captivité, il ne peut en être question qu’après la signature de la paix.

Je me permets de faire remarquer qu’après la guerre de 14 – 18, le gouvernement français a retenu certains de nos prisonniers contrairement à la Convention de Genève jusqu’en 1920, voire même 1922 ou 1924, ce qui ne veut pas dire toutefois que l’Allemagne fera de même. "

 

Ce soir, de nombreux bobards circulent. D’abord un convoi partirait prochainement pour la France. Ce convoi comprendrait les toubibs et autres officiers du service de santé, les prêtres et un certain nombre d’officiers dont les dossiers de demande de permission sont complets.

Un autre tuyau indique que les hommes, cultivateurs de profession, résidant dans la zone occupée peuvent être renvoyés en permission sur simple certificat du maire de leur résidence attestant qu’ils exploitent une certaine superficie de terre, certificat visé ensuite par la kommandantur du lieu.

D’après le même tuyau, les officiers prisonniers résidant dans la zone occupée seraient envoyés en permission d’ici peu. Tous ces bons tuyaux sont probablement destinés à crever comme tous les précédents.

Dimanche 15 septembre

86ème jour de captivité. À Munster.

 

Cette nuit encore, les avions anglais sont venus survoler la région (il ne se passe guère de nuit sans que nous ayons leur visite).

Le temps ce matin est toujours maussade. Ce camp est boueux et il ne fait pas bon sortir de la chambrée. La journée va encore être bien longue !

 

Ce matin, nous avons à écrire à la fois une carte et une lettre. Je répète à peu près ce que j’ai dit dans les précédentes, car je ne suis pas sûr que celles-ci soient arrivées à destination.

Voilà aujourd’hui un mois que nous avons quitté Bosserville et la France !!!

Le temps malgré l’ennui passe tout de même lentement… lentement….

Encore combien de mois à passer loin de sa famille !!!!

Lundi 16 septembre

À Munster : 87ème jour de captivité.  4ème carte et 2ème lettre.

 

Cette nuit, nouvelle visite des avions anglais et nous avons nettement perçu l’éclatement de bombes à quelques km d’ici.

Les toubibs qui espéraient partir aujourd’hui doivent déchanter. Maintenant je ne crois plus à une libération prochaine, tout ce qu’on nous raconte à ce sujet n’est qu’une suite de bobards nés de l’imagination de pauvres bougres qui prennent leurs désirs pour des réalités…

 

D’après les journaux allemands, il paraîtrait que l’Amérique tout en n’entrant pas en guerre contre l’Allemagne a permis à ses aviateurs de s’engager dans l’aviation anglaise.

À mon avis, il n’est pas possible que les États-Unis se désintéressent du résultat de la guerre en Europe, car en cas de victoire allemande tout le continent européen serait fermé au commerce américain et ce serait rapidement la ruine pour les États-Unis. Je suis sûr que déjà en ce moment le nombre de chômeurs sur le nouveau continent augmente de façon considérable sauf dans les usines travaillant pour l’aviation et la guerre.

 

Cet après-midi, j’achète à la cantine un paquet de 10 lames de rasoir et un porte-mine. Coût 1M25. J’avais l’intention d’acheter une mallette, mais contrairement à la promesse allemande de samedi soir, il n’y en a pas encore à la cantine.

Depuis 2 jours je souffre d’un fort mal de tête, aussi les nuits sont longues car je ne peux pas dormir. J’espère que cette nuit cela ira un peu mieux.

Mardi 17 septembre

À Munster : 88ème jour de captivité.

 

Cette nuit, le vent souffle en tempête, aussi nous n’avons pas eu la visite des avions anglais.

 

Ce matin, le mauvais temps continue et une pluie froide tombe par rafales.

Dans le journal allemand de Cologne, il y a paraît-il des photographies de maison démolies à Berlin et aussi à Munster par les bombes anglaises.

Dans la nuit du 15 au 16, des bombes sont tombées sur Munster (une dizaine), trois grosses bombes (celles dont nous avons perçu nettement l’éclatement) sont tombées dans un champ de pommes de terre à proximité de la voie ferrée mais sans l’atteindre.

Dans le journal de Munster de ce jour, on peut lire plusieurs avis de décès avec cette mention « noyé contre l’Angleterre ». Ce qui montre bien que les Allemands ont fait une sérieuse tentative de débarquement en Angleterre, tentative qui a échoué.

 

Cet après-midi, on nous paie la 3ème décade d’août (reçu 32 marks).

Nouveau tuyau ce soir venu d’un travailleur du camp. Ce soldat a entendu hier un caporal allemand dire que la paix entre la France et l’Allemagne était imminente.

Aujourd’hui ce caporal lui aurait dit que cette paix était signée depuis quelques heures ou qu’elle allait l’être dans quelques heures. Pour nous, nous attendons impatiemment cette signature, car pour ma part j’ai perdu tout espoir d’être libéré avant.

Je pense que l’Allemagne est loin d’en avoir fini avec l’Angleterre. Le temps travaille en effet en faveur des Britanniques dont l’aviation au printemps prochain sera certainement supérieure à celle de l’Allemagne, surtout si aux États-Unis le président Roosevelt est réélu comme tout le fait prévoir.

Mercredi 18 septembre

À Munster : 89ème jour de captivité.

 

Cette nuit, l’alerte a encore été donnée à Munster mais nous n’avons pas entendu d’avions passer.

Hier j’ai très mal dormi. J’ai sur la main et le poignet gauches des boutons qui provoquent des démangeaisons et des sensations de brûlures bien désagréables. Quelle en est la cause ?

Peut-être un début d’empoisonnement, ce qui ne serait pas extraordinaire avec la nourriture qu’on nous donne.

 

Aujourd’hui (11h), je réussis à acheter à la cantine une livre de prunes 0 mark 15 et 3 tubes de cachou 1 mark 50. Cela n’a pas lieu sans une forte bousculade et à ce sujet les officiers ne sont pas plus raisonnables que les hommes.

Après le vent de cette nuit, je m’attendais à une journée pluvieuse et c’est le contraire, car le temps est superbe.

 

Depuis plusieurs jours, je ne suis pas solide et je me demande anxieusement si je réussirai à tenir jusqu’à la libération, libération que l’on n’entrevoit pas encore malheureusement.

Nouveau tuyau que je donne sans aucun commentaire, ce que je ferai chaque fois maintenant, car je n’y attache plus aucune importance. :

« Les propositions de paix faites par l’Allemagne à la France seraient très honorables pour notre pays, ce qui permettrait d’entrevoir une paix proche ».

Jeudi 19 septembre

À Munster : 90ème jour de captivité.

 

Cette nuit, le survol de la région par des avions anglais a de nouveau amené l’intervention de la D.C.A. et d’autre part nous avons pu voir dans l’espace les balles traceuses lancées par des mitrailleuses, le spectacle était assez beau (gerbes de balles de couleur rouge qui sillonnaient l’air.)

Ces balles d’ailleurs ne paraissaient pas atteindre une grande hauteur.

 

Certains camarades ont déjà des lettres en réponse à la 1ère carte que nous avons envoyée. Ces lettres nous apprennent d’ailleurs une bien mauvaise nouvelle : il n’est pas permis par les autorités allemandes d’occupation, aux habitants de la zone occupée d’envoyer des colis de vivres aux prisonniers, ceci afin de permettre le ravitaillement en vivres des armées d’occupation.

Il nous faut donc dire adieu à l’espoir que nous avions de recevoir à brève échéance des colis qui nous auraient permis de suppléer à l’insuffisance de la nourriture qu’on nous octroie.

Si nous restons un an, prisonniers à ce régime, je me demande dans quel état nous partirons d’ici. En ce qui me concerne je vais essayer de m’en faire envoyer par Alphonse. Sitôt que j’aurai son adresse je lui écrirai pour m’en adresse.

 

Cet après-midi, le major allemand nous fait au-dessus du sein droit la seconde injection contre la typhoïde.

 

Ce soir, un assez grand nombre de camarades, dont 4 (Lelièvre, Ratrau, Gemin et Delaru) dans notre chambrée de 12, reçoivent des correspondances de leurs familles. Pour ma part, je suis comme d’habitude, parmi les déshérités ; enfin j’espère que cela ne tardera pas beaucoup.

Vendredi 20 septembre

À Munster : 91ème jour de captivité. Tabac.

 

Cette nuit, nous avons encore entendu les sirènes annoncer l’alerte mais nous n’avons pas entendu la D.C.A.

Plusieurs camarades ont eu de la fièvre pendant le cours de la nuit (suite de la piqûre d’hier après-midi). Pour moi ce matin j’ai la tête lourde et ai la migraine.

 

Au rassemblement de ce matin, le lieutenant allemand qui commande notre block remet à plusieurs d’entre nous des lettres et cartes écrites il y a 5 jours et arrêtées par la censure du camp. À ce propos il nous informe que si nous avons des privations, nous ne sommes pas les seuls et qu’en tout cas nous sommes bien traités.

Si en effet, on ne nous brutalise pas, il n’en est pas moins certain que nous souffrons de la faim et je me demande quand ce cauchemar se terminera, d’autant plus que je continue à souffrir du foie.

 

Cet après-midi, j’assiste à une 2ème leçon d’allemand.

Aujourd’hui nous touchons des biscuits à la place de pain. Pour ma part je préfère beaucoup les biscuits au pain ; ces petits biscuits sont agréables au goût et comme ils sont très durs ils nous occupent beaucoup plus longtemps.

Ils sont assez semblables comme forme et comme grosseur à des dominos.

 

Dans la soirée, on nous distribue du tabac (7 paquets de cigarettes belges par type), prix 3 marks 40 soit en monnaie française 68 f. Le paquet de cigarettes revient donc à 9f.

C’est cher ! Mais malgré tout, les fumeurs sont bien heureux, car la privation de tabac est terrible pour certains ! Voilà une privation dont je ne souffre pas.

Samedi 21 septembre

À Munster : 92ème jour de captivité.

 

La soirée d’hier a été féconde en bobards de toute sorte. Je vais simplement les énumérer sans aucun commentaire :

 

1. Les bretons prisonniers seraient libérés et rentrés maintenant chez eux.

2. Les journaux allemands annoncent eux-mêmes que les États-Unis auraient mobilisé 18 millions d’hommes ; les journaux allemands veulent faire croire au peuple que cet effort des Américains est fait dans le but d’obliger l’Angleterre à traiter avec l’Allemagne (je crois que sur ce point ils font une grosse erreur).

3. D’après certains bruits, le camp où nous sommes devrait être libre pour le 1er novembre afin de permettre aux autorités militaires allemandes d’y loger des troupes pour l’hiver. D’après d’autres bruits, il devrait être libre pour le 6 octobre afin que les aménagements nécessaires soient terminés pour le 1er novembre.

4. Von Ribbentrop serait parti pour l’Italie (conversation avec Mussolini, ayant probablement pour but d’amener l’Italie à diminuer ses exigences vis-à-vis de la France, ce qui permettrait la signature de la paix. Ceci serait probablement intéressant pour nous. Ce tuyau concorderait bien avec celui annonçant que notre sort devrait se jouer dans les quelques jours à venir.

5. Enfin le commandant du camp serait parti à Berlin pour avoir des instructions pour notre départ du camp, car en cas de départ, partirons-nous vers la France ou pour aller dans un autre camp en Allemagne.

 

Aujourd’hui on nous réclame 0 m, 11 (*) pour payer le tabac des ordonnances et 0 m 40 pour le paiement de ces ordonnances.

 

(*) : 0,11 mark

Dimanche 22 septembre

À Munster : 93ème jour de captivité.

 

Aujourd’hui il y a 3 mois que je suis prisonnier !!

Dire que le 22 juin nous pensions en avoir pour quinze jours au maximum et qu’au bout de 3 mois il ne nous est pas encore donné d’entrevoir une libération prochaine !! C’est à désespérer !!!

 

Cette nuit a été calme, il est vrai qu’un épais brouillard couvrait la région.

 

Après l’appel de ce matin, il y a réunion des membres de l’enseignement. Nous nous trouvons ainsi une centaine, dont environ 80 instituteurs. Cette réunion a pour but de demander au commandant du camp de permettre que l’on prévienne, soit les inspecteurs d’académie, soit les recteurs, de la situation où nous sommes afin de leur permettre de faire le nécessaire pour notre rappel, si toutefois le régime des punitions n’est pas supprimé.

Déjà pour les mêmes motifs, plusieurs réunions corporatives ont eu lieu ; telles celles des notaires, celles des agents de change, etc.

Il est toujours question du départ des médecins et du service de santé, mais le tuyau de leur départ a déjà crevé si souvent !!

 

Je suis toujours souffrant, je ressens presque continuellement une douleur au foie (ce n’est guère étonnant avec la nourriture qu’on nous donne.) J’ai hâte de recevoir quelques colis de vivres et de vêtements chauds, car s’il nous faut passer l’hiver ici, n’ayant même pas de capote, je suis certainement destiné à souffrir du froid qui dans ces régions du Nord de l’Allemagne est beaucoup plus rigoureux qu’en France.

Lundi 23 septembre

À Munster : 94ème jour de captivité.

 

Cette nuit il y a de nouveau eu alerte dans la région, mais les tirs de la D.C.A. étant lointains, nous n’avons pu les entendre que très faiblement.

Il est toujours question d’un départ prochain des officiers du service de santé, ce départ aurait lieu samedi prochain 28 juin et ils rentreraient en France par la Suisse.

 

Après le rassemblement de ce matin, le commandant Lecacheur nous fait appeler (Mougodin, Corsin et moi) pour lui servir, le cas échéant, de témoins dans une affaire de  calomnie dont il a été victime.

Un lieutenant du camp, journaliste dans le civil, nommé Thomas et signant ses articles Margueritte, a dit au commandant de Mangou que le 21 juin dans la soirée, à Sélaincourt, il a vu un drapeau blanc auprès du P.C. d’un chef de bataillon du 446ème R.P.

Or, comme il n’y avait dans Sélaincourt que le 1er bataillon du 446ème R.P., il ne pouvait s’agir que du commandant Lecacheur, que le lieutenant en question aurait d’ailleurs « engueulé » d’une belle façon.

Le commandant Lecacheur ayant appris ces propos diffamatoires, a porté plainte auprès du colonel Fauchon, commandant le camp, et c’est ce matin que la confrontation a lieu.

 

Après explication, ce Thomas n’aurait pas vu le drapeau blanc en question, ni même le commandant qui serait d’ailleurs, non pas le commandant Lecacheur du 446ème, mais le commandant Rigault du 132ème R.I.T. qui se trouvait avec 2 Cie du 132 à l’extrémité opposée du village à celle où nous étions.

En tout cas le colonel Fauchon lui demande d’être plus circonspect dans ses affirmations, d’autant plus qu’il avait mentionné cette calomnie sur son journal de marche.

Je n’ai toujours pas de lettre.

Mardi 24 septembre

A Munster : 95ème jour de captivité.

 

Cette nuit, nouveau survol de la région par des avions anglais.

 

Ce matin, je me lève de bonne heure pour laver mon linge (chemise flanelle, caleçon, serviette de toilette, bas, mouchoir.)

J’ai la chance que la journée s’annonce belle et je vais pouvoir le sécher, mais aujourd’hui je vais le surveiller constamment afin de n’être pas victime d’une mésaventure analogue à celle de la dernière fois.

Hier, conformément à une note vue dans un journal allemand, indiquant que les officiers nés aux colonies seraient dirigés vers des camps situés dans des régions plus clémentes au point de vue climat, un lieutenant algérien a quitté le camp pour Dortmund, point de rassemblement des officiers se trouvant dans le même cas que lui.

 

Les journaux allemands qui avaient annoncé, il y a 2 jours, une forte avance des italiens du côté de l’Egypte n’en parlent plus. Serait-ce que cette avance aurait été stoppée net ?

Ils annoncent aussi que l’autorité allemande n’exerce aucune pression sur le gouvernement Pétain, gouvernement qui cette fois-ci a l’air de leur convenir. Puisse ceci être vrai et la signature de la paix proche !!

 

Je souffre toujours dans le côté droit et l’abdomen, je crois que mes intestins commencent à être plutôt mal en point.

Alors que la grande majorité des camarades ont des nouvelles de leurs familles, je n’ai toujours rien. Je suis toujours parmi les déshérités.

Aujourd’hui, 3 ou 4 camarades reçoivent des colis.

Mercredi 25 septembre

A Munster : 96ème jour de captivité.

 

Cette nuit, grande activité de l’aviation anglaise et de la D.C.A. dans la région.

 

Ce matin,  5 à 6 camarades du block reçoivent des colis. Les heureux veinards ! Puisse mon tour venir bientôt !!

Les journaux allemands annoncent qu’il va y avoir en France de grandes restrictions au point de vue alimentaire : pain (350g par jour), viande (360g par semaine), graisse, sucre (500g par mois).

Toutes ces restrictions auront malheureusement une grande conséquence sur la composition des colis qui nous seront envoyés.

 

Ces journaux annoncent également une grande réforme de l’enseignement en France. Les Ecoles Normales sont supprimées et les jeunes gens se destinant à l’enseignement devront passer par le secondaire.

Suppression également des E.P.S. et des C.C. tels qu’ils sont actuellement.

Le bruit court que tous les agents des postes vont être rappelés à brefs délais.

 

Ce soir, le lieutenant Staub reçoit une lettre de sa femme qui lui mentionne qu’en France le bruit court que les anciens combattants de 14-18 pourraient bien être libérés d’ici peu.

Un autre officier a eu un renseignement plus précis ; d’après une lettre reçue par lui, une commission d’anciens combattants a dû aller trouver le maréchal Pétain, afin que ce dernier tente d’obtenir de l’Allemagne la libération anticipée des anciens combattants.

Puisse-t-il réussir !!

 

Au camp, il paraît qu’on attende l’arrivée de 600 nouveaux officiers qui rempliront le block III et achèveront de remplir le block I.

Aujourd’hui encore je n’ai aucune nouvelle de Picauville, je vais encore être un des derniers à en avoir.

Jeudi 26 septembre

À Munster : 97ème jour de captivité. 3 piqûres contre la typhoïde.

 

Cette nuit, activité habituelle de l’aviation anglaise.

La température s’est refroidie considérablement et très probablement les gelées blanches ne tarderont pas. Je crois que je vais avoir à souffrir de cet abaissement de la température, moi qui n’ai même pas de capote.

J’espère qu’on va tout de même nous distribuer une 2ème couverture.

Encore aucune lettre de chez moi ce matin. Espérons que cela va être pour ce soir !!

 

D’après un nouveau tuyau, un officier aurait vu à Munster la carte de la France telle que l’Allemagne a l’intention de la laisser. Bien entendu, la France serait amputée de l’Alsace-Lorraine, mais par contre la Wallonie et la Suisse française lui seraient adjointes.

Je crains bien que cela ne soit pas une réalité malheureusement !!

 

Cet après-midi à 15h, 3ème piqûre contre la typhoïde. Pourvu qu’elle ne nous rende pas aussi malade que la 2ème !! Voilà donc maintenant cette série de 3 piqûres terminée, il est probable que dans les semaines à venir on nous vaccinera contre le choléra, le typhus, la variole, etc.

 

Ce soir environ 200 lettres sont encore distribuées pour le block, mais de nouveau il n’y a rien pour moi. Quelques camarades reçoivent même des colis, mais à la livraison de ces colis, les Allemands ouvrent les boîtes de conserve et les vident, mélangeant le tout.

Aussi à ma prochaine lettre je demanderai seulement du pain, du beurre, avec un très petit nombre de boîtes de conserves.

Vendredi 27 septembre

À Munster : 98ème jour de captivité.

Touché 32 marks. Reçu 1ère lettre de Picauville.

 

Activité habituelle de l’aviation anglaise pendant la nuit.

Cette nuit a été mauvaise pour moi, car la piqûre d’hier après-midi m’a donné pas mal de fièvre, ainsi d’ailleurs qu’aux camarades, parmi lesquels Reboul et Mongodin sont les plus malades.

De plus le froid commence à se faire sentir et j’ai eu bien du mal à me réchauffer.

 

Ce matin à 8h ½, on nous paie notre solde, mais cette fois la paie est faite par des officiers français. Je touche 32 marks comme pour chaque décade précédente. Aujourd’hui nous sommes payés pour la 1ère décade de septembre.

Au rassemblement de ce matin, aucune lettre n’est distribuée.

 

Cet après-midi, le camp reçoit la visite d’une commission américaine à laquelle les chefs de block exposent leurs doléances.

C’est également cet après-midi qu’environ 500 officiers français prisonniers venant du camp d’Osnabrück, à une cinquantaine de km d’ici, viennent nous rejoindre ici.

Ces officiers ont été faits prisonniers dans les Vosges.

Dans le camp il y a ici quelques grands blessés, amputés d’un bras, d’un œil et one se comprend pas la raison qui les fait garder par les Allemands.

J’apprends par le lieutenant Staub que le lieutenant Guillain qui avait été renvoyé à l’intérieur alors que nous étions à Vezin est rentré chez lui à Caen, venant de la zone non occupée, il doit en être de même pour Henry.

 

Ce soir, j’ai le bonheur de recevoir la 1ère lettre de ma Berthe : je suis heureux d’apprendre qu’à Picauville tout va aussi bien que possible ; mais qu’on n’a pas de nouvelles d’Alphonse depuis la fin juillet.

Samedi 28 septembre

À Munster : 99ème jour de captivité.

Reçu 1ère carte de Picauville.

 

Pour une fois la nuit a été calme et il n’y a pas eu d’alerte dans la région. Il paraîtrait qu’un avion anglais a été abattu hier la nuit à 5 km d’ici.

Lors de la visite au camp par une commission américaine, les chefs de blocks ont formulé divers vieux concernant :

1. La nourriture qui est nettement insuffisante,

2. La correspondance (voilà aujourd’hui 13 jours que nous avons envoyée notre dernière carte),

3. Les colis dont l’envoi n’est pas encore autorisé dans la zone occupée,

4. La libération de certaines catégories de prisonniers, on a demandé en particulier la libération des officiers subalternes de plus de 45 ans et celle des officiers supérieurs de plus de 60 ans.

 

Mais tout cela n’est qu’une série de vœux et je doute fort qu’Hitler en tienne le moindre compte.

Hier ce sont 540 officiers qui sont arrivés au camp et sont logés dans les blocks I et II. D’après eux ils étaient beaucoup mieux à Osnabrück que nous à Munster, ils auraient en particulier 2 soupes chaudes par jour, alors que nous n’en avons qu’une, de plus ils pouvaient se procurer à la cantine beaucoup plus qu’ici (choucroute, vin, etc.)

 

D’après les journaux allemands nous avons quelques tuyaux sur les opérations ; ils mentionnent en particulier un communiqué qui indique qu’une nouvelle tentative de débarquement en Angleterre a coûté 60 000 victimes à l’Allemagne, et en une seule journée 180 avions, mais les autorités allemandes ajoutent que ces pistes sont exagérées, il n’en reste pas moins qu’ils avoient ainsi un insuccès.

 

Ce soir, je reçois la 1ère carte écrite par ma Berthe.

Dimanche 29 septembre

À Munster : 100ème jour de captivité.

 

Nuit assez calme ; la D.C.A. a donné mais assez loin.

Le temps ce matin est assez beau et il est permis d’espérer que la journée sera meilleure que les 2 précédentes.

La commission américaine venue avant-hier a dû dire que les pourparlers de paix entre la France et l’Allemagne n’étaient même pas engagés, aussi dans de telles conditions il est malheureusement probable que notre captivité n’est pas près de toucher à sa fin.

Je n’ai plus qu’un seul espoir : c’est qu’une mesure spéciale soit prise envers les vieux prisonniers, anciens combattants, mais cet espoir est bien léger.

 

Le temps se maintient au beau toute la journée.

Pour la 1ère fois nous touchons comme nourriture un peu de singe allemand qui ma foi est excellent, mais malheureusement en trop petite quantité ; nous recevons également un peu de beurre qui me semble bien bon.

D’après les officiers arrivés avant-hier, le député de Paris, Scapini, aveugle de guerre, serait parti à Berlin, tenter de négocier au sujet des prisonniers de guerre.

Puissent ces négociations aboutir à quelque chose !

Malheureusement je n’ai que bien peu d’espoir et je me demande avec anxiété si je pourrai supporter une longue captivité, car je suis toujours mal en point, souffrant toujours dans le côté droit du ventre, sans compter mon rhum et mes douleurs dans les reins et les hanches.

 

Cet après-midi, j’assiste à une causerie faite par le lieutenant Hornez, chansonnier dans le civil, sur la chanson moderne. Ce camarade est l’auteur de plusieurs chansons : « tant qu’il y aura des étoiles – ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine – c’était un tout petit bateau…. »

Cela nous fait passer 2 heures.

Lundi 30 septembre

À Munster : 101ème jour de captivité.

 

Nuit assez calme mais le froid commence à sévir et ce matin les champs sont couverts de gelée blanche. L’hiver approche à grands pas et je crains bien maintenant avoir à souffrir souvent de la température, d’autant plus que je n’ai ni capote, ni effets chauds.

Vivement l’arrivée des premiers colis. À ce propos, leur envois serait, paraît-il, maintenant autorisé dans la zone occupée depuis le 19 septembre.

 

Les journaux allemands annoncent une alliance de 10 ans entre l’Italie et le Japon. Il est fort probable que cette alliance hâtera l’intervention des États-Unis dont la lenteur à se décider ne se comprend pas.

 

Toute la journée, le temps reste sec et froid, même au soleil il ne fait pas chaud.

Aujourd’hui les Allemands demandent les noms des officiers n’ayant pas de manteau ; je me fais inscrire avec empressement, car si je n’avais l’imperméable du commandant de Mangoux je me demande bien ce que je deviendrais. Ces capotes que l’on va nous distribuer doivent être des capotes françaises ramassées par les Allemands qu’ils vont maintenant nous vendre.

 

D’après certains tuyaux venant de camarades ayant reçu des lettres, il n’y aurait plus maintenant de permissionnaires, les prisonniers seraient libérés suivant leur âge et leur grade, mais on ne dit rien en ce qui concerne la date à laquelle commencera la libération.

Je suis toujours souffrant.

 

Dépenses de septembre

 

D.   1                 

L.    2                

M.  3                 

M.  4      Touché 32 marks      

J.    5               

V.   6      1 bouteille de bière   0, 55 M

S.   7                

D.  8                 

L.   9      2 paquets de lame rasoir 0,60 – 1 papier closet 0,25 – 2 bouteilles jus de pomme 0,60.         1, 45 M

M.10      Touché 32 marks      

M. 11      2 bouteilles de bière 1,10 – 1 crayon encre 0,25 – versé pour ordonnance 0,30.          1, 65 M

J.   12               

V.  13                

S.  14     2 bouteilles de bière 1 M

D. 15                 

L.  16     Porte-mine 0,75 – lames de rasoir 0,50      1, 25 M

M.17      Touché 32 Marks – 2 bouteilles de bière   1, 20 M

M.18      Acheté 3 cachou 1,50 – 1 livre de prunes 0,25       1, 75 M

J.  19     Versé pour ordonnances 0,50 – 2 bières    1, 50 M

V. 20     Tabac  3, 40 M

S.  21     1 petite brosse 0,35 – versé supplément tabac 0,11 – et pour ordonnance 0,40           0, 86 M

D. 22                

L.  23     2 bouteilles de bière 0,90 – bouteille de limonade 0,25   1, 15 M

M.24      2 bouteilles de Kola 0,40      0, 40 M

M.25      1 jeu de carte 1,50 – 2 kola 0,60      2, 10 M

J.  26    Prunes et poires        0, 24 M

V. 27     Touché 32 Marks     

S. 28     Prunes 0,11 – kola 0,75          0, 86 M

D.29                 

L. 30      3 kolas            1, 05 M

TOTAL  20, 41 M

Octobre 1940 : Münster - Les femmes et filles allemandes - Amélioration de la nourriture - Remarques sur les ouvriers des villes et sur les Anglais – Le torchon brûle avec Berthe : "Je n’ai pas eu décidemment de chance en me mariant…" -

Mardi 1e octobre

102ème jour de captivité. À Munster.

Reçu une carte de Picauville.

 

Je me lève ce matin avec un mal de gorge assez fort et je souffre à avaler ma salive.

Cette nuit, les camarades de la chambrée avaient laissé un vasistas ouvert, conséquence : ce matin plusieurs d’entre nous ont la gorge malade. Si le vasistas a été laissé ouvert c’est à cause  de la fumée de tabac.

L’un d’entre nous fume même la nuit. Il serait indispensable que l’on ne fume plus dans la chambre après 7 heures du soir. En tout cas pour ma part, j’aurai soin avant de me coucher de fermer fenêtres et vasistas.

Le temps reste sec mais froid ; la bise qui souffle du N.E. est vraiment très froide et aux rassemblements nous n’attrapons pas chaud.

 

Rien de nouveau aujourd’hui. Maintenant je pense qu’il nous faut abandonner l’espoir d’être libérés dans un avenir prochain. Nous devons être environ 25 000 officiers prisonniers en Allemagne et il est probable que nous y resterons jusqu’à la signature de la paix.

Ce qui doit retarder notre libération c’est que la France est impuissante à mettre en application les différentes clauses de l’armistice, particulièrement en ce qui concerne l’Armée de Syrie et celle de l’Afrique du Nord.

 

Ce soir, j’ai le plaisir de recevoir une carte de Picauville où tout le monde à l’air d’être en bonne santé, mais où on est toujours sans nouvelles d’Alphonse.

Je ne suis pas encore sur le point de recevoir un colis car il n’est pas encore possible d’en envoyer de la zone occupée, malgré qu’il en arrive de Paris.

Mercredi 2 octobre

103ème jour de captivité. À Munster.

 

La nuit a été particulièrement mouvementée au point de vue aviation. Les Anglais sont venus nombreux cette nuit et la D.C.A. allemande a tiré violemment à diverses reprises.

Cette nuit, la gorge m’a fait souffrir et j’ai bien du mal à avaler ma salive ; me voilà une nouvelle fois bien pris et je commence à craindre sérieusement de ne pouvoir supporter les rigueurs de la captivité qui ne s’annonce pas d’être finie.

Aujourd’hui le chauffage central commence à fonctionner dans le Block II aussi j’espère que maintenant j’aurai moins à souffrir du froid.

La décision du colonel du Paty d’aujourd’hui mentionne que nous pouvons dorénavant indiquer dans notre correspondance à nos familles l’endroit où nous sommes prisonniers : (Münster, Westphalie), mais le malheur est que nous ne pouvons pas écrire ; voilà en effet maintenant près de 3 semaines que notre dernière lettre est partie !...

 

Dans la soirée, un nouveau tuyau ayant probablement germé dans la cervelle d’un camarade circule dans le camp.

D’après ce bobard, le député Scapini avec Pichot qui l’accompagnait seraient rentrés à Paris après avoir obtenu d’Hitler la promesse de la libération prochaine des anciens combattants qui sont d’après les nouvelles lois militaires françaises dégagés de toute obligation militaire.

Ce serait mon cas puisque maintenant les officiers subalternes sont libérés de toute obligation militaire à 50 ans. Puisse enfin ce tuyau ne pas faire comme tant d’autres.

Jeudi 3 octobre

104ème jour de captivité. À Munster.

Reçu cartes Fernande et Simonne. Lettre de Berthe.

 

Grâce aux radiateurs de la chambrée, j’ai moins souffert du froid cette nuit que les nuits précédentes ; il est vrai que la température extérieure s’est radoucie.

Aujourd’hui le temps est sombre, gris et triste, c’est un vrai temps de Toussaint.

 

Hier soir, une trentaine de nouveaux camarades sont arrivés au camp.

Depuis 3 jours les grands mutilés qui se trouvaient au camp se sont embarqués pour aller dans un centre de rassemblement en vue de  leur rapatriement.

D’après un nouveau tuyau, les familles n’auraient droit comme envois aux prisonniers qu’à 1 colis de 1 kg par mois et 1 colis de 5 kg tous les 2 mois, mais je crois bien que tout cela sort de l’imagination d’un camarade en verve de bobards.

 

Ce soir, j’ai le grand bonheur de recevoir 2 cartes de Fernande et Simonne du 22 septembre et une lettre de ma Berthe du 24.

À Picauville, on est toujours sans nouvelles d’Alphonse depuis le 26 juillet, les relations postales entre zones occupée et non occupée n’étant pas encore reprise, j’espère cependant que notre cher petit est toujours en bonne santé.

J’apprends avec joie qu’un colis m’a été expédié par l’intermédiaire de la Croix Rouge le 24 septembre, il sera le bienvenu à son arrivée ici !! Depuis le temps que je l’attends.

 

Ce soir, enfin on nous distribue une carte à écrire qui partira demain. Cette fois je vais l’adresser à Alphonse et espère ainsi avoir de ses nouvelles.

Vendredi 4 octobre

105ème jour de captivité. À Munster.

Envoi d’une carte à Alphonse.

 

J’ai toujours un fort mal de gorge et la chaleur sèche du radiateur n’est pas faite pour le guérir. Le temps ce matin est humide et froid et laisse présager la pluie.

À 8 heures, je vais au block II me faire inscrire pour les soins dentaires, le plombage d’une de mes grosses molaires étant à peu près complètement usé et aussitôt après l’appel de 10 h ½ je vais à la visite.

Il y a maintenant un dentiste affecté au camp, alors qu’au début de notre séjour ici les officiers devaient aller à Munster se faire soigner les dents, les soins (arrachage, plombage) se donnent maintenant au camp.

Il me faut attendre près de 2 heures dans le couloir et le dentiste allemand me fait un nouveau plombage qu’à priori me semble plutôt mal réussi et la confirmation de mon impression ne tarde pas à se réaliser, après manger, le plombage craque et la moitié à peu près se détache.

 

Aussi à 15 h ½, je retourne voir le dentiste qui me fait à nouveau le plombage de ma dents, j’espère que cette fois il tiendra un peu mieux.

Nouveau tuyau cet après-midi, d’après lequel dans les 48 heures qui vont suivre un grand évènement va se produire, évènement qui va réjouir Allemands et Français.

Quel est cet évènement ?

À mon avis il ne peut y en avoir qu’un seul : la signature de la paix qui amènerait pour nous la fin de ce cauchemar qu’est la captivité.

D’après un autre bobard, Churchill donnerait sa démission et Chamberlain reprendrait le pouvoir, cela signifierait probablement l’ouverture prochaine de négociations.

Samedi 5 octobre

106ème jour de captivité. À Munster.

 

La température s’est sensiblement radoucie, le temps est brumeux mais pas trop froid. Dans le camp on parle de plus en plus d’une libération prochaine tout au moins en ce qui concerne les anciens combattants et particulièrement parmi ceux-là, ceux qui du fait de leur âge se trouvent dégagés de toute obligation militaire ; aussi j’espère pour Noël, être rentré à Picauville, car je serais sûrement un des premiers à partir.

D’après un camarade, un officier aurait reçu une lettre de sa femme lui disant que vu sa libération prochaine elle ne jugeait pas utile de lui envoyer de colis.

Le bruit court dans le camp de la démission de Churchill en Angleterre et de Pétain en France. Si cela est vrai la signature de la Paix n’est certainement pas encore proche, car il est évident que l’Allemagne ne voudra traiter qu’avec un gouvernement stable.

Dans la chambrée un seul d’entre nous a reçu un colis, c’est le capitaine Richoul et le colis vient de Toulouse (zone non occupée). Vivement que les colis en provenance de la zone occupée parviennent également.

 

Hier, j’ai adressé la carte que nous avons pu écrire à mon cher petit Alphonse qui est sans nouvelles de sa famille depuis la fin juillet, mais depuis le 15 septembre je n’ai rien pu envoyer à Picauville où on va se trouver dans l’inquiétude. Au pont de vue des correspondances (départ du camp) les Allemands pourraient se montrer plus chevaleresques !!

Dimanche 6 octobre : Les femmes et filles allemandes

107ème jour de captivité. À Munster.

 

Cette nuit, bien que l’activité de l’aviation anglaise ait été très restreinte, j’ai bien mal dormi, il est vrai qu’étant couché de 8 h du soir à 7 h du matin, il nous est bien impossible de dormir toute la nuit.

Mais pour ma part, mon rhume est pour une bonne part dans mon insomnie.

 

Ce matin, le ciel est couvert et le temps pas très froid mais le vent souffle avec violence.

On nous vend à midi du vin de la [?] à titre remboursable, une bouteille coûte 2,20 marks soit 44 francs ; c’est cher mais boire un peu de vin cause un tel plaisir que bien peu ne se laissent pas tenter.

 

Cet après-midi 14 h, j’assiste à une conférence sur la compagnie générale transatlantique, conférence intéressante qui est ensuite suivie de quelques intermèdes de chants, ce qui fait passer assez rapidement l’après-midi.

 

Aujourd’hui, dans les chambres l’avertissement donné aux prisonniers concernant les femmes et les filles allemandes. Nous devons émarger le dit avertissement ce qui stipule que nous en avons pris connaissance.

Cet avertissement est pourtant bien inutile pour nous en ce moment car je ne vois pas bien comment nous pourrions faire pour entrer en relation quelconque avec les femmes et les filles allemandes à travers les barbelés qui entourent le camp.

Mais peut-être que dans un délai plus ou moins rapproché il nous sera autorisé d’aller à Munster !!....

 

Que les heures sont longues lorsqu’il faut le passer ainsi dans l’inaction la plus complète.

Lundi 7 octobre

108ème jour de captivité. À Munster.

 

Nuit calme en ce qui concerne l’aviation mais par contre tourmentée au point de vue atmosphérique car le vent souffle en tempête et la pluie tombe avec rage aussi ce matin le camp est un véritable lac de boue gluante dans laquelle il n’est pas agréable de patauger.

La journée ne nous apporte aucun tuyau sensationnel mais l’évènement qui devrait remplir de joie Français et Allemands ne se produit pas. Voilà encore un tuyau qui a crevé comme les autres.

 

Ce soir, nous apprenons que le tuyau concernant les anciens combattants vient du député Scapini après sa rentrée à Paris. Au cours de ses entrevues à Berlin avec les dirigeants du Reich, Scapini aurait obtenu des promesses relatives à la libération des anciens combattants mais il ne précise pas quelles sont ces promesses de telle sorte qu’on ne sait toujours rien ; espérons que les jours qui vont suivre vont nous apporter quelques éclaircissements.

 

Dans la soirée, je ressens une douleur dans les 2 côtés du dos à la base de la poitrine, douleur qui à l’inspiration est assez vive et je me couche avec un peu de fièvre. Je crains toujours d’attraper une maladie grave en captivité et de ne pas avoir le bonheur de revoir la France aussi le moral s’en ressent et influe probablement sur le physique.

Quand donc verrons-nous la fin de ce cauchemar !!

Quelle triste chose que la captivité !!...

Surtout à mon âge où la résistance physique est déjà sérieusement amoindrie.

Mardi 8 octobre

109ème captivité. À Munster.

Touché solde : 32 marks. Touché tabac : 6 paquets de cigarettes pour 3,36 marks.

 

Nuit assez calme bien qu’il y ait eu alerte à Munster. Je ressens toujours comme hier une douleur assez forte dans le dos (côté droit) à la base des poumons ; je tousse assez souvent et chaque fois la douleur est assez vive.

 

Ce matin, je me lève de bon matin pour laver mon linge (1 chemise, un caleçon, une flanelle, une paire de chaussettes, une serviette de toilette et un mouchoir) je suis au lavoir à 7 heures, alors qu’il fait à peine jour, mais c’est le moment où on y est le plus tranquille, car à cette heure matinale les amateurs sont rares.

Je suis quitte à 8 h ½, le temps s’annonce beau et je vais encore avoir la chance de sécher aujourd’hui.

 

D’après les journaux allemands d’aujourd’hui, il semble bien que l’Allemagne craint l’entrée prochaine en guerre des États-Unis ; c’est que ces derniers se sont nettement sentis visés par l’accord tripartite (Allemagne, Italie, Japon) et ils ont voté immédiatement 100 milliards pour leur aviation.

D’autre part la Russie vient de demander à l’Allemagne des explications au sujet du dit accord car elle aussi se sent visée. Enfin la Turquie, la Grèce et l’Égypte mobilisent, mobilisation qui inquiète l’Italie.

Par ailleurs, le Trait d’Union édité en français pour les prisonniers indique que la paix entre la France et l’Allemagne serait signée d’ici quelques mois mais que les conditions de paix seraient très dures pour la France, ce dont on se doute bien, et que la France ne serait plus une grande nation indépendante mais patience, la guerre n’est pas encore gagnée pour l’Allemagne.

Mercredi 9 octobre

110ème jour de captivité. À Munster.

 

Nuit calme et j’ai mieux reposé que la nuit dernière, j’ai moins de fièvre et la douleur que je ressens à l’inspiration est moins forte.

 

Hier, de nouveaux camarades (une trentaine) sont arrivés au camp ; ce sont des blessés, dont au moins 3 amputés d’une jambe.

Aujourd’hui des nouveaux tuyaux circulent (l’imagination de certains camarades est d’une fécondité sans bornes). D’abord le camp aurait à établir avant le 20 octobre la liste des officiers par centre de mobilisation et par classe.

2ème tuyau. Un camarade aurait reçu une lettre lui mentionnant que la libération des anciens combattants serait faite pour le 28 octobre.

Les journaux allemands annoncent aujourd’hui que la constitution en France serait promulguée d’ici quelques jours qu’à l’avenir la France serait surtout une puissance coloniale et agricole mais qu’au point de vue industriel elle resterait sous la dépendance de l’Allemagne qu’elle s’engageait à conclure une paix loyale avec l’Allemagne.

Les journaux annoncent aussi la condamnation de Pierre Cot et Jean Zay à la dégradation militaire et aux travaux forcés à perpétuité pour désertion devant l’ennemi.

Certains camarades arrivés hier annoncent que les Allemands ont par 2 fois tenté vainement un débarquement en Angleterre et qu’à la suite de ces échecs très meurtriers, il y aurait eu des mutineries assez sérieuses dans l’armée allemande, mutineries qui d’ailleurs auraient été durement réprimées.

Jeudi 10 octobre

111ème jour de captivité. À Munster.

 

La pluie se remet à tomber et il faut de nouveau piétiner dans la boue.

Cette nuit, il parait qu’au loin la D.C.A. a donné fortement, mais pour ma part je n’ai rien entendu.

Aucun nouveau tuyau sensationnel ce matin, si ce n’est que les toubibs s’attendent toujours à partir et que les prisonniers appartenant à des services publics seraient libérés prochainement. Parmi les hommes, le recensement des cheminots a parait-il déjà été fait.

 

Ce soir, j’ai le bonheur de recevoir une lettre de ma Berthe (la 3ème). Cela faisait 8 jours que je n’avais rien reçu et le temps me paraissait bien long.

Le colis annoncé dans sa lettre précédente n’a pu être envoyé mais elle m’en annonce l’envoi d’un autre d’un poids plus restreint 1,5 kg, je regrette cependant que dans ce colis on n’ait pas fait figurer un morceau de savon et une livre de beurre ainsi qu’une paire de chaussettes.

Vivement que les colis de vêtements chauds arrivent car je n’ai pas toujours bien chaud, n’ayant pas de capote et ne disposant que d’une seule couverture.

 

Ah ! Cette distribution des correspondances comme nous l’attendons chaque jour avec impatience ! Quel plaisir pour celui à qui le vaguemestre remet une lettre. Le temps qu’on lit les quelques lignes qui nous sont adressées, il semble qu’on est moins seul, à sentir que là-bas, bien loin d’ici, il y a quelqu’un qui a pensé à vous.

La pluie ne cesse de tomber de tout l’après-midi mais le temps n’est pas très froid et je préfère cela à un froid rigoureux.

Vendredi 11 octobre : Amélioration de la nourriture

112e jour de captivité. À Münster

 

Nuit mouvementée.

 

Dès 10h, des avions anglais survolent la région et la DCA est très active.

  Au rassemblement de ce matin, on demande la liste des vétérinaires de réserve, des employés du gaz et de l’électricité, et enfin des employés des usines (mineurs, ingénieurs…).

Ets-ce en vue d’une libération ? Nous l’ignorons !....

 

Remarques : depuis environ un mois la nourriture s’est sensiblement améliorée.

D’abord on ne met plus dans nos aliments cet infâme mou de vache dont l'odeur et le goût me répugnaient

2e ensuite généralement 2 fois par semaine on nous sert une soupe le soir

3e à la place du saindoux comme dessert on nous donne généralement du beurre qui comme goût me paraît excellent

4e enfin de temps en temps on nous donne à titre remboursable certaines denrées : betteraves rouges, cornichons, fromage blanc et même vin.

Aussi je souffre beaucoup moins de la faim.

 

À lire le Trait d’union (journal collaborationniste distribué gratuitement dans les camps de prisonniers) on dirait qu’un rapprochement entre la France et l’Allemagne serait un des buts de la politique du Reich.

Pour ma part, ayant au cours de l’autre guerre appris à estimer les Allemands qui comme soldats faisaient mon admiration, j’ai toujours été depuis partisan d’un accord loyal entre les 2 peuples, accord d’égale à égal.

Je suis toujours partisan d’un tel accord mais je désirerais que la France soit traitée par l’Allemagne sur un pied d’égalité et non comme puissance vassale.

 

Ce soir, je reçois une carte de ma Berthe en date du 26 septembre. Cela fait plaisir de savoir qu’on n’est pas tout à fait oublié !

Samedi 12 octobre

113e jour de captivité. À Münster

Touché solde 32 marks

 

Nuit calme, le temps d’ailleurs est entièrement couvert et peu propice aux raids aériens.

Aujourd’hui 12 octobre, mon 52e anniversaire. C’est le 2e que je passe en captivité, à 22 ans d’intervalle. Tristes anniversaires !

Mais en 1918, on sentait à cette époque de l’année la victoire venir à grands pas et la libération prochaine, tandis que cette fois-ci, nous sommes vaincus et ne pouvons entrevoir quand aura lieu notre libération.

 

Hier soir, 2 bons tuyaux circulaient.

1e Par une lettre reçue par un camarade, l’envoi des colis aux prisonniers serait autorisé dans la zone occupée depuis le 2 octobre. Si cela est vrai l’arrivée des premiers colis autorisés ne tardera pas et ils vont affluer en grand nombre au camp.

2e Un autre camarade aurait reçu hier soir une lettre de sa famille qui se trouve à Vichy, cette lettre mentionne que les autorités françaises font tout leur possible auprès des autorités allemandes pour obtenir la libération de prisonniers, qu’en ce moment les autorités allemandes seraient disposés à libérer les officiers subalternes de réserve mais veulent garder en captivité tous les officiers d’active ainsi que les officiers supérieurs.

Voilà un bobard de plus !

 

Ce matin, au Block II une messe a été célébrée pour le repos de l’âme du Duc de Guise, inutile de dire que je n’y ai pas assisté.

Les toubibs n’ont pas encore perdu l’espoir d’être libéré dans un avenir assez rapproché.

Pour moi, j’ai perdu tout l’espoir d’une libération comme instituteur, je n’attends plus qu’après une mesure générale et à ce point de vue je suis assez bien placé (officier subalterne, classe 1908, ancien combattant)

Dimanche 13 octobre – Remarques sur les ouvriers des villes et sur les Anglais

114e jour de captivité. À Münster

 

Nuit aussi mouvementée que la précédente au point de vue aviation.

 

Hier soir, les lettres ne nous ont pas été distribuées. Elles le sont ce matin, mais je ne suis pas parmi les privilégiés.

 

Au pays les restrictions doivent se faire de plus en plus sévères, j’espère que le peuple français finira par comprendre mais nous n’avons pas tout volé, en particulier les ouvriers des villes qui par leurs votes ont une grosse part de responsabilité dans notre défaite.

 

Il est vrai que l’occupation par les Anglais n’est pas davantage désirable car les Allemands ont du moins le grand mérite d’être toujours très corrects envers la population civile tandis que les Anglais bien que n’étant pas en pays conquis se conduisent toujours en maîtres.

Pour ma part, je n’ai jamais aimé les Anglais qui une fois de plus auront fait le malheur de la France, car si notre pauvre pays n’avait pas été toujours à la remorque de l’Angleterre nous ne serions pas au point où nous en sommes aujourd’hui. Quelle responsabilité pour ceux qui ont eu entre leurs mains les destinées de notre pays.

  Le châtiment pour eux sera toujours trop doux et plusieurs centaines devraient déjà avoir payé de leur vie soit leur incapacité, soit leur trahison.

 

Cet après-midi à 14h, conférence par le capitaine Michaut sur la chanson fse, les auditeurs sont nombreux et dès 13h ½ la salle est comble. La conférence est d’ailleurs excessivement intéressante, elle est agrémentée de nombreuses chansons chantées par Michaut et de plusieurs chœurs chantés par une chorale dirigée par l’abbé Grenet. Malheureusement la conférence est interrompue par l’appel qui a lieu à 16h.

Aujourd’hui le temps est froid et j’ai bien du mal à réchauffer mes pieds.

Lundi 14 octobre

115e jour de captivité. À Münster

 

Le temps ce matin est très brumeux et c’est à peine si on y voit à une trentaine de mètres. Malgré la brume les avions anglais sont encore venus au cours de la nuit et la DCA a tiré, mais assez loin d’ici.

 

Le soleil vers midi arrive à percer la brume et cet après-midi le temps est splendide. Belle journée d’automne, dommage de la passer en captivité !!

 

Le bruit relatif aux mesures de faveur envers les anciens combattants circule toujours dans le camp. D’après certains, Radio Strasbourg aurait annoncé que la libération des anciens combattants aurait lieu d’ici peu de temps ; pareille nouvelle aurait été affichée en gare du Havre, mais maintenant je suis bien sceptique et ne crois plus à rien, nous avons été déçus un si grand nombre de fois qu’il est sage de ne pas trop espérer.

 

Au rassemblement de ce soir, un de nos camarades tombe sans connaissance ce qui devrait bien faire voir aux Allemands que la nourriture qu’on nous donne est insuffisante.

Aujourd’hui pas de lettres, j’espère en avoir une demain car le temps parait encore plus long lorsqu’on n’a pas de nouvelles des siens.

Mardi 15 octobre

116e jour de captivité. À Münster

Versé 1110F + 70 marks

 

Temps toujours superbe et la brume de ce matin est encore plus vite dissipée qu’hier matin. La nuit a été plus calme quoi qu’il y ait eu encore alerte.

 

Au rassemblement de ce matin, on nous prévient que ceux d’entre nous qui seraient encore détenteurs de marks et de francs français doivent en faire le versement avant 15 heures faute de quoi en cas de fouille cet argent leur sera confisqué et ne leur sera pas rendu. Dans ces conditions je me débarrasse de 1110F et de 70 marks qui me restaient (*), aussi maintenant je serai plus tranquille.

Cette mesure a été prise par les autorités allemandes à la suite d’achats faits par des officiers français par l’intermédiaire des travailleurs du camp, achats dont les Allemands ont eu connaissance.

 

Les journaux allemands donnent ces jours des passages d’un discours du maréchal Pétain et semblent mécontents de ce discours. Je pense que Pétain voudrait la signature d’une paix loyale alors que les dirigeants du Reich désirent attendre. Il est vrai que nous, pauvres prisonniers, ignorons tout ce qui se passe dans notre pays et même dans le monde.

Les médecins de nouveau s’attendent à une libération prochaine (dans quelques jours). Ils seraient rapatriés en passant par Constance et iraient ainsi probablement d’abord dans la zone inoccupée.

 

(*) Contrairement à ce que j’ai indiqué, j’avais gardé un billet de 500F que je camoufle sous les galons de ma vareuse reste la phrase illisible

Mercredi 16 octobre

117e jour de captivité. À Münster

 

Cette nuit grande activité de l’aviation anglaise et de la DCA allemande, il est vrai que le beau clair de lune actuel favorise les raids aériens.

Après les versements d’argent d’hier, ce matin il y a fouille générale à la fois dans le Block et sur les prisonniers. Les Allemands chargés de la fouille trouvent encore dans les bagages de quelques camarades sifflets, stylos, ampoules de lampes électriques qu’ils emportent (mon encre est confisquée).

Pour permettre cette fouille, le rassemblement de ce matin a lieu à 9h eu lieu de 10 et de 9h à 12h45, il nous faut rester debout dans le camp sans pouvoir rentrer dans la chambre. Aussi quand enfin nous pouvons y rentrer je suis bien fatigué, c’est à peine si les jambes veulent me porter et en plus je souffre d’un fort mal de tête.

 

L’après-midi me semble bien long et je me sens de plus en plus fatigué. Je commence à désespérer avec le régime auquel nous sommes soumis, les forces déclinent rapidement et depuis notre arrivée ici j’ai maigri considérablement.

Aujourd’hui le temps est magnifique, c’est une superbe journée d’automne.

 

Une fois de plus je n’ai ni lettre ni colis. Décidemment cela met du temps à venir.

Si Berthe avant tant soit de peu d’idée, elle aurait déjà demandé à Leneveu, à Émile de faire leur possible de leur côté pour me faire parvenir un peu de ravitaillement.

Mais non, on ne s’occupe de moi qu’en paroles.

Jeudi 17 octobre – Berthe…

118e jour de captivité. À Münster

 

Au rassemblement de ce matin, on nous prévient que nos familles ne pourront nous envoyer qu’un colis de 5 kg tous les 2 mois avec en plus soit 2 colis de 500gr soit un colis de 1kg tous les mois.

Ce sera vraiment bien peu, car le colis de 5kg sera pris par les vêtements chauds dont nous avons le plus grand besoin.

 

Ce matin, j’ai un cafard monstre, tel que je n’en ai encore jamais eu de pareil, je me sens la tête creuse, et le moral est bien bas aussi dans ces conditions je crains bien ne pas avoir le bonheur de revoir la France.

 

Ce midi, je reçois la 4e carte de Picauville qui me confirme bien l’envoi d’un petit colis mais ne m’en annonce pas l’envoi d’un 2e.

Ah ! Berthe se montrera toujours prolixe en belles paroles, prêchera toujours aux autres la morale mais comme actes, zéro.

N’aurait-elle pas dû sitôt après avoir appris mon adresse à Nancy, m’envoyer un colis et au besoin venir me voir, mais non, elle se contente seulement de me demander si je désirerais qu’elle m’envoie un colis comme s’il existait un prisonnier qui n’ait pas ce désir !

 

Cet après-midi, je dois payer 3 marks 50 pour avoir fait refaire le plombage de ma dent. Les tarifs en Allemagne sont vraiment élevés, 70F pour avoir fait remettre un plombage, sans aucun soin à la dent, c’est un peu cher !

Jeudi 18 octobre - Je n’ai pas eu décidemment de chance en me mariant

119e jour de captivité. À Münster

 

La nuit a été très calme et je ne pense pas qu’il y ait eu alerte cette nuit.

Le temps assez couvert ce matin, s’éclaircit rapidement et la journée est magnifique. Bel automne que celui dont nous jouissons en ce moment.

 

Le bobard concernant les anciens combattants court toujours, ce qui accroche est parait-il que les autorités allemandes ne veulent pas comprendre parmi les anciens combattants les hommes des classes 17 & 18, mais pour le reste l’accord serait intervenu.

D’ailleurs dans beaucoup de lettres reçues par des prisonniers, les familles disent « courage, à bientôt ».

Hélas, si cela pouvait être vrai, mais pour ma part je suis bien sceptique et ne croirai à la libération que lorsqu’elle sera arrivée.

 

Le mal de tête et le cafard que j’avais hier se sont un peu dissipés au cours de la nuit, mais je sens parfaitement que je maigris et que mes forces s’en vont, et toujours pas de colis alors que certains camarades en reçoivent un ou deux par foyer, mais je n’ai rien.

Il est vrai que cette fois-ci je n’ai plus mon pauvre père pour m’en envoyer et comme l’autre fois d’ailleurs, Berthe ne se gêne guère pour m’envoyer quelque nourriture.

Ah ! Je n’ai pas eu décidemment de chance en me mariant et pendant notre union Berthe se sera toujours montrée mauvaise épouse, elle n’aura eu que le mérite d’aimer nos enfants, mais par contre aura fait de ma vie un véritable calvaire.

Ah ! Quelle vie aura été la mienne !!!!

Vendredi 19 octobre : Le torchon brûle

120e jour de captivité. À Münster

Touche 32 marks

 

Cette nuit il y a eu alerte, mais ce n’est que fort loin que la DCA a donné.

Le temps est toujours superbe nous profitons en ce moment d’un automne vraiment splendide, mais malheureusement nous ne pouvons en jouir comme si nous étions en liberté !!

 

La nourriture est toujours nettement insuffisante aussi j’envie ceux dont la famille se débrouille pour envoyer des colis, pour moi je n’ai pas cette chance ; comme à l’autre guerre ma femme se borne à m’écrire de bons mots qui malheureusement ne nourrissent pas. Je sens mes forces décliner chaque jour et le cafard commence à avoir sérieusement prise sur moi.

Il faut vraiment qu’on ne pense guère à moi pour ne pas avoir songé à s’adresser à des amis pour qu’ils me fassent parvenir quelque chose, mais tant pis, advienne que pourra je n’écrirai plus à ma femme, j’enverrai mes lettres et cartes à des amis et à mes enfants pour qu’ils m’envoient quelque nourriture.

Je réserve seulement à Berthe ma carte de demain et lui laisserai entendre ce que je pense. Si je ne laisse pas mes os en Allemagne, je ne sais pas ce que je ferai à mon retour, mais je crois que cela ira mal.

 

Cet après-midi, nous touchons notre solde de la 1e décade d’octobre. 32 marks.

Au rassemblement de ce matin, on demande aux médecins leurs cartes de la Croix Rouge pour contrôle, cela indique je crois, un départ prochain.

Dimanche 20 octobre

121e jour de captivité. À Münster

 

Temps toujours magnifique. Nuit calme bien qu’il y ait eu alerte à Münster.

Je suis toujours plutôt mal en point, je tousse et crache pas mal. Je n’ai pas encore reçu de lettre hier, il faut maintenant compter au moins 2 semaines entre le départ de correspondance et leur arrivée.

Nous sommes toujours mal nourris et à ce point de vue je crois bien que le dimanche est le jour qui tient le record !

Les forces s’en vont peu à peu et s’il faut rester un an en captivité j’aurai bien du mal à en voir la fin.

Les colis arrivent toujours nombreux de la zone non occupée mais rares encore sont ceux qui parviennent de la zone occupée. Il parait cependant que les familles ont l’autorisation d’envoyer maintenant des colis de 5 kg.

 

Le bruit concernant le départ prochain des anciens combattants circule toujours mais malheureusement je le crois dénué de tout fondement. À en croire certains Xavier VIALLAT aurait écrit au député lui disant : Scapini a bien travaillé pour vous et a obtenu gain de cause jusqu’à la classe 17.

Tout cela est-il vrai ? Car tous les bruits qui courent sont bien sujets à caution.

 

Cet après-midi, conférence intéressante sur les catacombes de Paris, conférence suivie d’une partie musicale et ensuite d’une petite comédie. Cela a au moins le grand avantage de nous faire passer une partie de l’après-midi qui le dimanche parait particulièrement long.

Lundi 21 octobre

122e jour de captivité. À Münster

 

Temps toujours magnifique.

Le mois d’octobre aura été vraiment superbe, nous profitons certainement d’une période exceptionnelle.

J’attends toujours impatiemment lettres et colis et ne vois rien venir.

Sous le rapport des correspondances, la Manche n’est pas bien favorisée, MOUGODEN en particulier n’a rien reçu de chez lui depuis au moins 3 semaines, LECOMTE n’en a pas eu depuis 10 jours, LELIÈVRE depuis 8 jours.

 

Cet après-midi, je me fais couper les cheveux et crains par suite d’attraper un nouveau rhume.

Les journaux allemands de ce jour annoncent que l’aviation anglaise survolant la Suisse est allée bombarder des villes italiennes notamment Vérone.

Ah ! Pour les Italiens, ils peuvent encaisser les coups les plus durs sans être plaint par aucun Français.

Pour ma part, si j’ai de l’estime pour les Allemands qui sont de braves soldats, je n’éprouve que haine et mépris pour les Italiens qui ont attendu que la France soit à l’agonie pour se jeter sur elle et aider à l’achever. Je pense que tous les peuples du monde ont durement jugé l’entrée en guerre de l’Italie.

Toujours pas de lettre ni de colis, c’est à se demander si j’aurai un jour la chance de ré avoir quelque chose de Picauville.

Mardi 22 octobre

123e jour de captivité. À Münster

 

Voilà aujourd’hui 4 mois exactement que je suis prisonnier.

Dire que je pensais rester à peine un mois en captivité et qu’au bout de 4 mois je n’en entrevois pas la fin ! C’est dur tout de même à mon âge et je commence par moments à désespérer de retourner en France.

Le temps se maintient toujours au beau, mais la température s’abaisse peu à peu.

 

Depuis quelques jours, peu de nouveaux tuyaux cependant il est toujours fort question dans ??? entre prisonniers des anciens combattants.

2 camarades de la chambre, LELIÈVRE de Coutances et RATEAU de Trois-Vèvres (Nièvre) ont reçu des lettres de leurs familles leur disant que le Président de la Fédération des anciens combattants de leur département respectif avait demandé à leur épouse de nombreux renseignements les concernant, il est donc vraisemblable qu’à l’intérieur on s’occupe un peu de nous.

Puisse-t-on arriver à un bon résultat dans un avenir prochain !! Mais je suis maintenant bien sceptique et ne croirai vraiment à la libération que lorsqu’elle sera arrivée.

 

Ce soir, je n’ai toujours pas de lettre, il paraitrait que lorsque les lettres sont jugées trop longues par les Allemands chargés de la censure, ils se bornent à les retourner à l’envoyeur, avec la mention « message trop long ».

Aussi il est fort possible que pareille mésaventure soit arrivée à la lettre écrite par Berthe qui devrait maintenant m’être parvenue.

Mercredi 23 octobre

124e jour de captivité. À Münster

 

Ce matin, je me lève de bonne heure afin de pouvoir laver mon linge tranquillement au lavoir où pour tout le camp, il n’y a que 4 places. Je lave ainsi tant bien que mal ma chemise, un caleçon, une flanelle, une paire de bas et une serviette de toilette.

 

Le temps aujourd’hui tout en restant très sec s’est mis au froid. Le vent qui souffle du Nord pique les joues et les oreilles, et moi qui n’ai pas de capote, n’ai pas chaud dans ma vareuse de coton.

Au rassemblement de ce matin, nouvel appel des médecins et des dentistes qui sont véritablement soumis à une guerre des nerfs peu ordinaire, il n’est pas de semaine en effet ou quelque fait ne leur donne de l’espoir.

 

Aujourd’hui jour de correspondance, nous avons chacun une lettre à écrire et j’adresse la mienne particulièrement à Fernande, je lui fais part de mon découragement et lui adresse quelques recommandations.

Mon moral qui jusqu’alors était resté assez bon baisse de plus en plus au fur et à mesure que les forces s’en vont. Et dire que je ne reçois toujours pas de colis.

Certains camarades en reçoivent régulièrement un par jour. Le Cdt LECACHEUR à la date de ce jour en a déjà reçu 10, mais ceux qui ont la chance d’en avoir n’en font part à personne.

L’égoïsme chez les officiers ne le cède en rien à celui qui existe dans la troupe.

Jeudi 24 octobre

125e jour de captivité. À Münster

Touché solde 32 marks

 

Nuit assez mouvementée et il est à prévoir que l’hiver n’arrêtera pas les raids anglais.

Aujourd’hui un peintre teinte nos vitres des chambres en vert foncé. Est-ce pour nous permettre d’avoir de l’électricité ?

Le froid se fait sentir de plus en plus et ce matin la bise transperce ma vareuse et me glace les os.

Que sera-ce en plein hiver ?

 

Au rassemblement de ce matin, on fait appeler les pharmaciens ; ils sont maintenant tout joyeux, car depuis qu’on avait fait appeler médecins et dentistes, les malheureux se morfondaient, maintenant l’espoir renaît en eux et tout le service de santé attend impatiemment un départ toujours retardé.

D’après les journaux allemands, le Führer aurait rencontré Laval lors du passage à Paris du chef d’état allemand ; malheureusement ils restent muets sur le résultat des conversations qui ont eu lieu.

 

D’après les bruits qui courent, si la paix n’est pas encore signée ce serait à cause des exigences vraiment inacceptables de l’Allemagne, la France devant céder 12 de ses départements tant à l’Allemagne qu’à l’Italie.

Les journaux allemands font encore mention des préparatifs formidables de l’Amérique pour la guerre, surtout au point de vue aviation, ainsi que d’un discours de Churchill s’adressant à la France qu’il promet de rétablir dans ses frontières.

Vendredi 25 octobre

126ème jour de captivité. À Munster.

 

Cette nuit, a été excessivement mouvementée, de nombreuses vagues d’avions anglais passent et repassent. La D.C.A. allemande donne à plein. Ce matin il parait que 3 bombes sont tombées à Munster.

Le froid cette nuit s’est largement accentuée et ce matin l’eau est couverte de glace. Sur le matin j’ai souffert du froid n’ayant qu’une couverture et quelques camarades ayant voulu voir les tirs de D.C.A. ayant laissé ouvertes les doubles croisées.

Si pareil fait se reproduit je me lèverai pour les fermer.

 

À la décision de ce jour nous apprenons :

1 - que l’envoi de fonds français en territoire occupé ou non est maintenant autorisé mais le modèle de demande n’est pas encore paru, de plus l’autorité allemande dégage toute responsabilité sur la bonne arrivée du mandat à destination.

2 – que les prisonniers doivent renvoyer en France tout leur matériel superflu ; en cas de départ du camp soit pour le rapatriement soit pour un autre camp les prisonniers ne pourront comporter comme bagages que leur charge. L’autorité allemande ne se chargera pas du transport du supplément.

 

Aujourd’hui le bruit circule de plus en plus d’un départ très proche des officiers  du service de santé, des Bretons, des Corses et des prêtres, d’autre part les aménagements pour permettre à ces casernes de recevoir de la troupe se font de plus en plus hâtivement aussi il est fort probable que nous ne passerons pas l’hiver ici.

Samedi 26 octobre

127ème jour de captivité. À Munster.

 

Nuit un peu plus calme que la nuit dernière.

Ce matin le temps est toujours froid mais la bise est moins forte.

Dans le camp on parle beaucoup de représailles qui seraient exercées à la suite de la lacération d’affiches de propagande qui avaient été apposées dans les blocks par l’autorité allemande.

Ces affiches représentaient un marin français se noyant tenant un drapeau français d’une main, le front couvert de sang, à l’horizon des navires de guerre et comme inscription « souvenez-vous d’Oran ». Il est ridicule d’avoir découpé cette affiche. Chacun peut en penser ce qu’il veut mais nous ne devons pas oublier que nous sommes prisonniers et que par suite nous devons nous abstenir de tout acte susceptible de mécontenter nos vainqueurs.

 

Après le rapport, 2 majors de l’active qui se trouvaient au camp (un commandant et un lieutenant) nous quittent pour aller dit-on dans un stalag pour soigner les hommes.

Il est de plus en plus question des départs des toubibs, des Bretons, des Corses et des  prêtres ; le bruit court que ce serait pour lundi. Avec eux partiraient les grands blessés arrivés au camp il y a environ 3 semaines. Mais tout cela est encore le domaine des probabilités et non des réalités.

 

Ce soir, je n’ai pas encore aucune nouvelle de Picauville, cela fait déjà 10 jours que j’ai reçu la dernière carte – par contre, je reçois une lettre de Leneveu.

À Cherbourg, tout est calme et les collègues rentrent peu à peu de la zone non occupée.

Dimanche 27 octobre

128ème jour de captivité. À Munster.

 

Temps toujours sec et froid et la nuit je n’ai pas chaud, moi qui n’ai qu’une couverture et ne possède plus ni manteau ni imperméable.

L’affiche placardée par l’autorité allemande dont la suscription était « souvenez-vous d’Oran » et qui était disparue s’est retrouvée au cours de la nuit et a été remise en place.

 

Hier soir, sont arrivés au camp 2 majors de réserve qui étaient dans un stalag et qui sur leur demande ont été remplacés par 2 médecins d’active partis hier matin.

Le stalag en question se trouve presqu’à la frontière hollandaise ; les toubibs y étaient très bien, la nourriture pour 4 était préparée par un cuisinier spécial, ils avaient de jolies chambres avec salle de bain à coté et ils jouissaient d’une assez grande liberté.

Ici ils vont trouver un sérieux changement à leur désavantage ; mais ils ont demandé à rejoindre leurs camarades de réserve dans l’espoir d’être rapatriés prochainement avec eux.

 

Cet après-midi quelques artistes donnent un spectacle de music-hall assez intéressant. Nous avons parmi nous un nommé Michant qui en particulier est un véritable artiste. Cela aide à passer la journée car on ne sait comment tuer le temps.

Je continue toujours à souffrir dans le côté droit de l’abdomen, ce n’est pas une douleur continue mais par moment assez vive.

Lundi 28 octobre

129ème jour de captivité. À Munster.

 

Le temps continue d’être froid et ce matin la terre est bien dure et l’eau est recouverte de glace.

Cette nuit, il y a de nouveau eu alerte mais ce n’est qu’assez loin que la D.C.A. tire. Malgré leur espoir qui une fois encore est déçu, les médecins ne partent pas encore aujourd’hui, ce sera pour « morgen » comme disent si souvent les Allemands quand on leur demande quelque chose.

 

Ce soir, je suis favorisé. Je reçois 3 correspondances : d’abord la 4ème lettre de ma Berthe. Je suis heureux de savoir qu’à Picauville tout va aussi bien que possible, mais vraiment ma pauvre petite ne manque pas de travail avec la classe, le ménage avec en plus le soin du jardin, etc

J’ai avec cette lettre une carte de Fernande envoyée pour mon 52ème anniversaire. C’est de nouveau un triste anniversaire que j’ai passé le 12 octobre ; espérons que le 53ème se passera dans de meilleures conditions.

La 3ème est une lettre de la fiancée d’Alphonse, Renée Carnier.

 

Aucun nouveau tuyau aujourd’hui, les journaux allemands parlent toujours de la rencontre du maréchal Pétain et du Führer. Si cette rencontre pouvait être le prélude à la signature de la paix !!

Mais hélas il n’y faut pas encore compter pour le moment.

Toujours rien de nouveau.

Mardi 29 octobre

130ème jour de captivité. À Munster.

 

Temps gris et froid, le sol est gelé et la bise pique les joues et les oreilles, aussi je passe la plus grande partie de mon temps dans la chambre où la température est tout de même plus clémente.

Ce qui me fait le plus défaut c’est ma capote et n’ayant qu’une couverture je n’ai pas trop chaud dans le lit surtout sur le matin.

 

À partir de midi, c’est moi qui suis de jour, cela consiste en quelques petites corvées : siffler le rassemblement, veiller à ce que l’éclairage du block soit bien camouflé pendant la nuit, prendre le matin le nom des malades, assister au rapport du colonel, etc

Il paraitrait que le fameux lieutenant Thomas du 4ème block aurait l’intention de faire une conférence sur la presse, samedi prochain. Ce journaliste qui avant la guerre écrivait dans le « Cri du Jour » n’est sympathique à personne et je pense que beaucoup de camarades feront comme moi, c'est-à-dire n’assisteront pas à sa conférence.

C’est ce fameux lieutenant qui a eu l’histoire mentionnée il y a quelques temps avec le commandant Lecacheur.

 

Peu de tuyaux aujourd’hui cependant un ultimatum adressé par l’Italie à la Grèce. L’Italie veut occuper les îles grecques de la mer Égée. La Grèce doit s’attendre à un sort prochain semblable à celui de la Roumanie.

À quand le tour de la Yougoslavie ?!!...

Mercredi 30 octobre

131ème jour de captivité. À Munster.

 

Temps toujours sec et froid.

Cette nuit, l’activité aérienne a été plutôt faible.

Je dois me lever de bonne heure car étant de jour, je dois dès 7 h ½  passer dans toutes les chambres des 3 étages pour recueillir le nom des malades.

 

À 9 h, il me faut assister au rapport du colonel commandant le block et à 10 h veiller au rassemblement pour l’appel. Somme toute, le travail du capitaine de jour est tout à fait réduit et comme on est de jour seulement environ tous les 3 mois, c’est bien peu de chose.

Toujours rien de nouveau au sujet des médecins qui il y a de fortes chances ne sont encore pas sur le point de nous quitter.

Dans la matinée quelques flocons de neige tourbillonnent dans l’air glacé et il faut s’attendre à en voir bientôt la terre recouverte. C’est l’hiver qui arrive à grand pas, en avance certaine sur l’hiver de France.

Le commandant du camp colonel Fauchez quitte ses fonctions aujourd’hui et l’autorité allemande reconnaît maintenant comme commandant de camp le lieutenant-colonel Le MOUËL du block III.

 

Hier j’ai reçu la 5ème carte de ma Berthe ainsi qu’une carte de madame Calmé qui me demande bien gentiment si j’ai besoin de quelque chose, ils sont vraiment très aimables et dans une prochaine carte je leur demanderai de m’envoyer quelques colis de pain biscuité, avec un sac de couchage de soldat.

Jeudi 31 octobre

132ème jour de captivité. À Munster.

 

Ce matin, bien que la terre soit couverte de grésil, la température s’est bien radoucie et la terre commence à dégeler, il est probable que la pluie ne va pas tarder à tomber mais pour moi qui n’ai pas de capote je préfèrerais la pluie au froid.

 

La nuit de nouveau a été calme il est probable que les Anglais sont occupés par ailleurs surtout en Italie. Au sujet de ce pays félon, les journaux allemands annoncent que les troupes italiennes sont entrées en Grèce à la suite de l’ultimatum adressé à ce pays et les Italiens sont en contact avec les arrières gardes grecques.

Il est fort probable que cet hiver l’effort allemand va se porter du coté des Balkans, peut-être le Führer a-t-il l’intention d’arriver au canal de Suez par l’Asie Mineure. !!! …

 

Ce soir, un nouveau bobard circule dans le camp : la libération des prisonniers de guerre commencerait le 4 décembre. Pourquoi cette date du 4 décembre ? Mystère.

Mais pour ma part je n’attache pas plus d’importance à ce bobard qu’aux autres.

Les médecins dentistes, pharmaciens ne sont toujours pas partis. Attend-on un départ général du camp ? C’est possible mais nous n’en savons rien.

Je n’ai toujours reçu aucun colis. Voilà 1 mois et 5 jours que le 1er est parti et il n’est pas encore arrivé.

 

 

M. 1

Eau de Cologne ; pastille pour la gorge

1,35

M. 2

Versé pour les ordonnances 0,3 + 0,5

0,80

J. 3

Papier blanc, 5 feuilles 0,05

0,005

V.4

…………………………………………………

……..

S. 5

Caillé remboursable

0,08

D. 6

2 Kola

0,60

L. 7

Vin remboursable

1,50

M. 8

Touché 32 marks, 2 Kola

0,60

M. 9

Tabac, 6 paquets

3,36

V. 10

…………………………………………………

……..

S. 11

Touché 32 marks, 2 Kola

0,50

D. 12

…………………………………………………

……..

D. 13

…………………………………………………

……..

L. 14

4 Kola

1,00

M. 15

1 cidre

0,35

M. 16

Versé pour ordonnances 0,30, savon liquide 1

1,30

J. 17

Payé plombage dent

3,50

V. 18

Betteraves et fromage blanc remboursable

0,29

S. 19

3 Kola……touché 32 marks

0,75

D. 20

Abonnement journal 0,37

0,37

L. 21

Cheveux 0,30……3 kola

1,05

M. 22

Salade russe remboursable  0,36

0,36

M. 23

………………………………………………..

…….

J. 24

Touché 32 marks – 3 kola 1,05 ; fromage 0,14

1,19

V. 25

………………………………………………….

…….

S. 26

………………………………………………….

……..

D. 27

Fromage blanc remboursable  0,12

0,12

L. 28

Savon liquide 1

1,00

M. 29

3 kola 0,75 ; fromage blanc 0,09

0,84

M. 30

………………………………………………….

……..

J. 31

Tabac

2,00

 

 

22,96

 

Novembre 1940 : Münster - La commission de la Croix Rouge - Le premier libéré

Vendredi 1e novembre

133ème jour de captivité. À Munster.

 

Voilà encore un mois de terminé et notre sort n’est toujours pas réglé.

Aujourd’hui, jour du souvenir du culte des morts et je pense en ce jour à mon père qui a eu une toute de labeur, à mon frère travailleur incomparable qui a combattu et est mort en héros, à ma mère, à ma sœur enlevées trop tôt à la vie.

 

À 8 h 45, je vais à la messe qui est dite par un chanoine lieutenant-colonel PASSAGET dans le militaire et à 14 h ½ j’assiste aux vêpres qui sont suivis des vêpres des morts.

Le temps s’est encore radouci. Aujourd’hui il n’y a pas de repos pour les travailleurs allemands et dans le camp, les travaux continuent avec semble-t-il une hâte de plus en plus fébrile. Il est fort probable que notre séjour ici ne durera plus très longtemps car des casernes ne nous étaient pas destinées.

Les journaux allemands parlent parait-il d’une paix éclair entre l’Allemagne et la France, ils disent beaucoup de bien de Laval qui est aux affaires étrangères et de Pétain (homme capable de comprendre la situation actuelle). Puisse cette paix se faire le plus rapidement possible, la France n’a aucun intérêt à la retarder et pour nous, nous avons tous hâte de la voir signée.

 

Ce soir le bruit court que Laval serait en ce moment à Berlin où il aurait divers entretiens avec Hitler. Peut-être enfin s’occupera-t-on un peu de nous ?!

Ce ne sera pas trop tôt.

Samedi 2 novembre

134ème jour de captivité. À Munster.

 

Cette nuit, les avions anglais sont revenus survoler la région et i y a eu alerte à Munster. La température est redevenue très douce et cette nuit j’ai même eu trop chaud.

 

Ce matin, le camp est à l’optimisme, divers tuyaux tous plus optimistes les uns que les autres circulent. Je vais simplement les énumérer.

Combrexelle a eu une lettre de sa femme lui disant qu’elle espère bien qu’il sera rentré chez lui pour Noël.

 

Il serait exact que Laval serait en ce moment à Berlin et d’après un travailleur qui le tiendrait de son patron civil allemand, un accord serait intervenu entre eux au sujet des prisonniers de guerre et le patron leur aurait dit :

« Vous partir bientôt ».

 

D’après les lettres reçues par nos camarades, certains camps de prisonniers en France seraient libérés.

Aujourd’hui 4 camarades de la chambre reçoivent des colis, Génin (3), Ray, Mongadin, Poirrier.

Staub et Guérin de leur côté en reçoivent également. Voilà enfin les colis de Normandie qui commencent à arriver aussi j’espère que mon tour ne tardera pas et que la semaine prochaine ne se passera pas sans que j’en reçoive.

 

Le journal allemand de ce jour donne des extraits d’un discours du maréchal Pétain qui termine à peu près par ces mots :

« L’Allemagne propose à la France de collaborer ensemble, ainsi qu’une paix presque honorable, faites-moi confiance ».

Je suis toujours souffrant de la gorge, des fosses nasales, de l’abdomen, aussi j’ai grande hâte de voir arriver la libération.

 

Ce soir j’ai le bonheur de recevoir une lettre de Picauville.

Comme elles sont attendues avec impatience ces nouvelles des êtres chers !!....

 Dimanche 3 novembre

135ème jour de captivité. À Munster.

 

La nuit a été épouvantable, la pluie et le vent n’ont pas cessé de faire rage et ce matin l’eau continue à tomber à verse. Dans ces conditions il nous est impossible de mettre les pieds dehors. Heureusement l’appel a lieu dans les couloirs.

Comme Poirrier et Mongadin ont reçu un colis, notre menu habituel est amélioré par une boite de sardines et un peu de pain d’épices.

Cela me semble bien bon !!.

 

D’après certains bruits les officiers qui auraient abandonné leurs unités pour fuir et n’auraient ainsi pas été faits prisonniers ne partageant pas le sort de leurs hommes seraient rassemblés maintenant au camp de la Courtine où ils devraient rester jusqu’à ce qu’il soit statué sur leur sort.

Si cela est vrai, je me demande bien ce qui arrivera à Launay qui se trouve à l’heure actuelle à Bréhal, ainsi d’ailleurs qu’à Letondot et Camus qui eux aussi sont parait-il rentrés chez eux.

Il est évident que nous ne pouvons pas juger leur conduite ne sachant rien sur les circonstances dans lesquelles ils sont partis du front ; mais aussi, comme beaucoup d’autres, hélas !

Ils ont abandonné leurs compagnies ils méritent certes une dure punition et si dure soit-elle, ils ne seraient pas à plaindre.

Je passe une heure cet après-midi à écrire la lettre qui doit partir le 5.

Lundi 4 novembre

136ème jour de captivité. À Munster.

 

La pluie qui n’a pas cessé hier a continué toute la nuit et dure encore toute la journée d’aujourd’hui, nous condamnant à rester dans les chambres ce qui est bien désagréable car avec la chaleur du radiateur et la fumée du tabac, j’attrape chaque jour un fort mal de tête.

Je souffre également du pharynx, j’ai certainement de la pharyngite et de la laryngite car je me sens toujours le fond de la gorge obstrué par des mucosités, j’ai hâte de voir arriver le cache-nez qu’on m’a envoyé dans le colis de 5 kg.

 

Toute la journée, comme hier, la pluie ne cesse pas de tomber, aussi les heures sont-elles encore plus longues que de coutume, il faut rester enfermé dans la chambre et respirer un air vicié par notre haleine et par la fumée de tabac aussi ce n’est pas surprenant si le mal de tête ne me quitte pas.

Ah ! Que les jours sont longs ! Que la captivité pèse lourd sur mes 52 ans !

Ah ! Que maudite soit la guerre !!.

Quand nous sera-t-il permis de respirer un air libre ?

Aujourd’hui absence totale de tuyaux, aussi l’atmosphère est au pessimisme.

Je n’ai pas encore la chance de recevoir de coli, cela fait plus d’un mois que le 1er est parti, je n’ai pas non plus de lettre.

Mardi 5 novembre

137ème jour de captivité. À Munster.

 

Nuit calme.

Ce matin, il pleut encore mais le ciel présente des éclaircies et vers 10 heures le temps se met au beau, aussi quoique le camp soit bien fangeux je vais pouvoir sortir un peu et la journée va paraître moins longue.

 

Ce matin, il nous faut rendre le drap que nous avions touché, drap qui a besoin d’être lavé mais malheureusement on parle fort de ne pas nous le rendre.

Alors qu’hier aucun tuyau ne circulait il y en a aujourd’hui une forte recrudescence :

1. Un camarade Lhuillier du 132ème a reçu hier une lettre de son père qui est à Paris lui disant qu’on parle beaucoup en ce moment de la libération très prochaine des A.C.

2. D’après certains travailleurs, la libération commencerait vers la mi-novembre.

3. La paix entre la France et l’Allemagne  serait signée très prochainement et ensuite entre le 1er et le 4 décembre la libération des prisonniers aurait lieu à la cadence de 50 000 par jour.

 

Les conditions de la paix ne seraient pas excessivement dures pour la France.

a) Cession à l’Allemagne de l’Alsace-Lorraine, du Togo et du Cameroun ; cession à l’Italie de la Corse

b) La Suisse serait partagée entre l’Allemagne, l’Italie et la France ; de plus nous recevrions la Wallonie belge, mais la Flandre flamande arrondissement de Dunkerque irait à la Belgique.

Le Congo belge irait à l’Allemagne. La France n’aurait pas à payer de dommages de guerre pendant mais 15 départements français seraient occupés pendant 15 ans et tous les ports français le seraient jusqu’à la conclusion de la paix avec l’Angleterre.

Mercredi 6 novembre

138ème jour de captivité. À Munster.

 

Nuit assez calme (une seule alerte de courte durée).

Le temps, cette nuit s’est remis à la pluie et toute la journée, elle ne cesse pas de tomber.

 

La matinée se passe sans nouvelles mais l’après-midi nous en apporte pas mal.

D’abord les journaux allemands de ce jour démentent un désastre subit par le corps expéditionnaire italien en Grèce dont la moitié de l’effectif aurait été fait prisonnier et le reste en pleine retraite, ils démentent également que les aviateurs italiens font immédiatement demi-tour lorsqu’ils aperçoivent un chasseur anglais ou qu’ils se trouvent devant un tir de D.C.A. et que les aviateurs allemands sont obligés de suppléer à l’insuffisance des as italiens.

Malgré ces démentis, il semble bien que tout ne va pas pour le mieux du côté italien en Grèce.

 

Si l’Italie pouvait recevoir une bonne raclée en Grèce, je crois que personne ne la plaindrait même pas les Allemands qui n’ont que dédain pour le peu de qualité guerrière de leurs alliés.

D’après le même journal allemand, il semblerait bien que l’élection de Roosevelt serait assurée et l’Allemagne semble craindre l’entrée en guerre des États-Unis.

 

Dans la soirée les bruits concernant la libération prochaine des prisonniers circulent de nouveau, cette libération débuterait vers le 4 décembre et commencerait par les officiers ; si cela est vrai, nous serons rentrés chez nous certainement avant Noël.

Mais hélas ! Les bruits se confirmeront-ils ?

Ni lettre, ni colis aujourd’hui.

Jeudi 7 novembre

139ème jour de captivité. À Munster.

 

Nuit assez mouvementée au point de vue aérien et la D.C.A. a fait preuve d’activité.

À 8 h ½ j’assiste à une réunion d’instituteurs (causerie par le capitaine Leroy, dans le civil il est inspecteur primaire au Puy) sur les postes déshérités.

 

Après cette conférence, je vais à la salle de la cantine voir les listes des colis.

Aujourd’hui ils sont particulièrement nombreux et je constate avec plaisir que le n° 54 y figure par 2 fois. J’en touche un (le 1er envoyé) immédiatement et je touche le 2ème après l’appel (11 h ½).

Cet arrivage de colis remplit le camp d’une atmosphère de bonne humeur. En recevant quelque chose de chez soi, on se reporte par la pensée vers les êtres chers qui loin de nous, pensent à nous pauvres malheureux exilés.

Mes 2 colis me parviennent intacts, mais j’ai hâte de recevoir un peu de pain avec le 3ème colis qui maintenant ne saurait tarder.

 

À partir d’aujourd’hui les officiers français participent à la distribution des colis ; c’est que la kommandantur était embouteillée par l’arrivée massive des colis et des lettres et se trouvait par suite très en retard.

Il parait que 600 colis se trouvent ainsi non distribués et il en serait de même pour les lettres. Dans ces conditions, il est fort possible que mes 2 colis reçus ce matin soient arrivés au camp depuis déjà un certain temps.

Aujourd’hui le temps est sensiblement meilleur, la pluie ayant enfin cessé, il nous est possible de sortir un peu de nos chambres.

Vendredi 8 novembre

140ème jour de captivité. À Munster.

 

Cette nuit, peu d’activité aérienne malgré le beau clair de lune.

Beau temps, doux et ensoleillé qui permet de se promener un peu dans le camp.

La distribution des colis en souffrance se poursuit hâtivement.

 

Hier j’ai reçu 2 cartes une d’Alphonse du 16 octobre et une de ma Berthe également du 16.

Depuis 15 jours on est à Picauville sans nouvelles de ma part et on s’inquiète un peu, cela correspond aux 3 semaines pendant lesquelles nous n’avons pu écrire, faute de papier.

Dans la chambre nous avons un camarade nommé Génin qui en est à son 32ème colis, il doit en toucher seulement 7 demain !

Il reçut ainsi 6 ou 7 tricots, du tabac en quantité, si la cadence dure un peu, je me demande bien comment il pourra emporter tout son matériel à son départ de Munster.

 

Le bruit court que l’Allemagne ne libère pas les prisonniers, c’est par mesure de sécurité pour elle, craignant que plus tard la France ne se retourne contre elle. Si cela est vrai, ce dont je doute fort car la France en a pour longtemps à opérer son redressement.

Hitler pourrait tout au moins libérés les vieilles classes qui ne sont plus mobilisables.

 

Ce soir, il n’y a que très peu de lettre, pour ma part je n’ai rien ; de même mon numéro ne figure pas parmi les bénéficiaires de colis pour demain. J’espère que celui de 5 kg me parviendra la semaine prochaine.

Samedi 9 novembre

Nuit calme, temps toujours beau, mais assez froid. Il est probable que pendant l’hiver, l’effort aérien de l’Angleterre va se tourner surtout contre l’Italie qui est certainement plus vulnérable que l’Allemagne.

J’ai omis de dire ces derniers jours que Roosevelt a été réélu Président des États-Unis à une très grosse majorité. Cette élection bien que prévue va être un appoint pour l’Angleterre. Les journaux allemands se sont d’ailleurs bornés à mentionner le résultat de l’élection ne le faisant suivre d’aucun commentaire ; ils ont simplement déclaré que l’Amérique ne fournirait aucun homme à l’Angleterre et se bornerait à lui livrer tout le matériel qu’elle voudrait bien commander.

 

Aujourd’hui un lieutenant vétérinaire du camp nous quitte pour être dirigé vers un autre camp en vue parait-il de sa libération. C’est le 1er officier qui nous quitte ainsi.

 

Ce soir, j’ai le bonheur de recevoir une lettre qui nous parviennent, elle laisse percer un espoir de libération prochaine. Je crois qu’à l’intérieur de la France des bobards semblables à ceux qui circulent dans le camp ont également cours.

La vie à l’intérieur devient de plus en plus dure et le spectre de la famine commence à paraître.

Dimanche 10 novembre

142ème jour de captivité. À Munster.

Nuit encore assez calme, bien qu’il y ait eu alerte.

Temps toujours assez beau.

 

Je suis toujours enrhumé et ai certainement sinusite et pharyngite. Je souffre toujours aussi et quelquefois assez violemment dans le côté droit de l’abdomen.

Dans le camp, à partir de mercredi la cantine sera tenue par des Français ; espérons que nous pourrons y trouver bon nombre d’objets qui jusqu’à là y ont fait défaut.

Cette cantine réalise de forts bénéfices le commandant français du camp a demandé que ces bénéfices soient attribués aux Français, les Allemands ont d’abord refusé puis il paraît que ces derniers jours, on a remis au lieutenant-colonel Le Mouel une somme de 3 000 marks.

 

Cet après-midi, il paraît que des troubles auraient éclaté en France et qu’à Paris un millier de communistes auraient été arrêtés. La police serait maintenant aidée par les A.C. réunis en légions et à ce titre notre libération serait prochaine. Voilà encore un tuyau qui aura certainement le sort des autres.

Ce tuyau aurait pour origine une lettre soi-disant reçue par le député Souriou.

 

Journée très calme. Rien à signaler.

Quand donc verrons-nous les barrières du camp s’ouvrir pour nous livrer passage ? !!

Hélas je ne peux pas que cela soit de sitôt.

Lundi 11 novembre

143ème jour de captivité. À Munster.

 

Cette nuit, il y a eu plusieurs alertes et les tirs de la D.C.A. ont été assez nourris.

 

Hier, j’ai omis de dire que j’ai passé une grande partie de la journée à recopier, pour le commandant Lecacheur, le journal du 1er bataillon depuis le 1er avril 1940 – date de prise de commandement du bataillon par le commandant Lecacheur.

Le  temps est toujours beau.

 

Aujourd’hui 22ème anniversaire de l’armistice.

Ah ! Ce 11 novembre ne pourra plus être pour nous une fête car la victoire si chèrement acquise en 1918 a fait place à une défaite honteuse, telle que la France n’en avait jamais, au cours de son histoire, subi de pareille.

Quelle chute pour notre pays !!...

Ah ! La France n’est pas près de se relever.

 

Ce matin, j’assiste à une messe célébrée pour le repos des morts de cette guerre et de l’autre guerre. Je pense en particulier à mon frère chéri tombé le 20 avril 1915 à Laurent-Blangy. (*)

 

Le bobard qui courait hier soir s’avère déjà faux.

Le député Souriou aurait bien reçu une lettre mais il n’y est pas du tout question de la libération des A.C. (**)

Seulement à l’avenir tous les A.C. seraient groupés en une seule légion dont le président serait désigné par le ministre de l’intérieur et la lettre que Souriou aurait reçue l’avertissait simplement qu’il avait été choisi comme président.

Comme anniversaire de l’armistice, les Allemands ont tenu à nous le faire fêter en nous donnant le plus mauvais menu de la semaine.

Reçu une carte et un lettre de Simone.

 

(*) : Il s’agit de son frère, Alphonse GILLETTE, mort pour la France. Son corps n'a pas été retrouvé.

(**) : Anciens combattants

Mardi 12 novembre

144ème jour de captivité. À Munster.

 

La nuit a été très calme mais je n’ai que fort peu dormi ayant un violent mal de tête qui ne me quitte pas de toute la journée.

Le temps est mauvais, la pluie et le vent font rage.

De nouveaux bobards courent dans le camp, tuyaux venus parait-il de Munster. Le dentiste qui soigne plusieurs officiers leur aurait assuré que la paix entre la France et l’Allemagne serait imminente, paix provisoire en attendant un règlement général de la situation qui aurait lieu lors de la paix définitive.

D’autre part un camarade aurait reçu de chez lui une lettre lui annonçant que le général Dufieux aurait assuré que la libération de prisonniers aurait lieu d’ici peu de temps.

Hélas ! Peut-on ajouter foi à tous ces bobards ? Maintenant je suis devenu bien sceptique et ne croirait à la libération que lorsque nous rentrerons chez nous.

 

Ce soir, reçu une carte de ma Berthe, mais sa lettre du jeudi précédent ne m’est pas encore parvenue ? Je crois qu’en France la vie devient de plus en plus difficile, la plupart des produits alimentaires étant réquisitionnés par les Allemands.

Les journaux allemands annoncent le décès de Sir Neuville Chamberlain (*) et d’autre part un débarquement des troupes du général de Gaulle au Congo français où des combats se livrent entre partisans de de Gaulle et partisans de Pétain.

Quelle tristesse !!

 

(*) : Décédé le 9 novembre, à 71 ans.

Mercredi 13 novembre

À Münster : 145ème jour de captivité.

 

La nuit a été très mauvaise, vent et pluie, ce qui n’a pas empêché l’activité aérienne et il y a eu plusieurs alertes.

Si les tuyaux étaient bons hier, il n’en est pas de même aujourd’hui.

Sur le Francfürter Zeitung se trouve un article traitant de la répartition de la main d’œuvre des prisonniers pour l’année 1941. Les prisonniers qui avaient été affectés un peu au petit bonheur aux divers travaux en Allemagne seront triés et leur affectation à l’agriculture, à l’industrie, aux usines, dépendra de leur profession dans le civil.

Ceci ne permet pas d’envisager une libération prochaine.

 

Aujourd’hui les grands mutilés (officiers et hommes de troupe) qui se trouvaient au camp, nous quittent pour être dirigés sur l’intérieur. L’espoir que nous caressions de partir avec eux s’évanouit avec leur départ.

 

Cet après-midi, nous touchons la solde pour la 1ère décade de novembre 32 mark, il paraîtrait que la 3ème décade d’octobre nous est retenue pour être jointe à notre compte.

Nous touchons également un savon chacun.

 

Ce soir, alors que j’espérais recevoir une lettre de ma Berthe, je n’ai rien ; je n’ai pas non plus la chance de toucher le colis de 5 kg qui est en route depuis le 16 octobre, il ne devrait tout de même pas tarder à me parvenir.

Certains camarades : Gérin, Leroy, ont à ce jour touché chacun plus de 40 colis.

Jeudi 14 novembre

À Münster : 146ème jour de captivité.

 

Cette nuit, la tempête a redoublé de violence et le vent hurle lugubrement. Les dégâts dans le camp sont énormes. De très nombreuses ardoises sont arrachées aux divers bâtiments du camp et cela malgré que les toitures soient entièrement neuves.

Le local servant aux cuisines a particulièrement souffert, des pans entiers de toiture avec les gouttières ont été enlevés, plusieurs baraques en planches à l’entrée du camp, soufflées par le vent se sont affaissées.

Les dégâts dans la campagne sont aussi considérables ; comme la chute des feuilles, nous permet de voir beaucoup plus loin, il nous est possible de voir de grands trous dans les toitures en tuiles.

Malgré la tempête qui dès hier soir faisait rage, il y a eu alerte.

 

Je passe une partie de mon après-midi à écrire la lettre à ma Berthe, lettre qui doit partir demain.

C’est paraît-il sur la demande du colonel Le Moud que les Allemands nous retiendront une décade chaque mois ; je me demande bien quelle en peut-être la raison ; serait-ce qu’on aurait peur que nous ne gaspillions entièrement notre solde ?

Contrairement aux autres jours, aucun tuyau ne court le camp aujourd’hui.

D’après les journaux allemands, les Italiens ne verraient pas leur agression en Grèce progresser avec la rapidité qu’ils auraient voulue, ils en seraient réduits en ce moment à repousser les attaques grecques.

Vendredi 15 novembre

À Münster : 147ème jour de captivité.

 

Ah ! S’ils pouvaient recevoir là-bas une bonne raclée, ils ne l’auraient certes pas volé.

Le général commandant le corps expéditionnaire a été remplacé, signe que tout ne va pas pour le mieux pour eux. Je suis persuadé que les allemands ont également bien peu d’estime pour les qualités militaires de leurs alliés.

La R.A.F. est encore venue cette nuit, mais ainsi que l’annoncent les journaux allemands, il faut s’attendre à voir, au cours de l’hiver, s’intensifier l’action de l’Angleterre contre l’Italie qui est beaucoup plus vulnérable que l’Allemagne.

 

Aujourd’hui nouveaux bobards.

D’après une lettre reçue par un camarade, on organiserait en ce moment en France des centres d’accueil pour les prisonniers. Si c’était vrai, notre libération serait prochaine.

D’autre part il serait question de libérer les prisonniers âgés de 35 ans et plus. Les travailleurs ainsi libérés seraient remplacés en France par les hommes des jeunes classes qui seraient affectés à des camps de travail.

Si cela était, je préfèrerais rester prisonnier plutôt que de voir mon cher petit Alphonse venir prendre ma place.

 

Toute la journée je souffre d’un fort mal de tête et de douleurs assez vives dans l’abdomen ; je crois que ces douleurs proviennent de la mauvaise qualité de la nourriture qui nous est attribuée.

À Münster : 148ème jour de captivité.

Samedi 16 novembre

Nuit très calme, l’aviation anglaise doit maintenant s’occuper du côté de l’Italie.

 

Le temps aujourd’hui est beaucoup plus froid qu’hier ; l’été de la Saint-Martin est probablement terminé et il faut s’attendre à voir apparaître l’hiver si long, si rigoureux dans cette région.

D’après une lettre reçue par Leconte, Lemière de Saussey et Lepetit de Coutances seraient actuellement prisonniers à Dantzig. (Ils sont encore plus loin de la France que nous)

 

Ce soir, les toubibs reçoivent l’avis d’avoir à présenter avant demain matin 9 heures leurs cartes de la Croix Rouge. Les voilà une nouvelle fois sur la sellette car l’espoir d’un départ prochain ne les a toujours pas abandonnés. Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ??

Il est arrivé au block toute une collection d’effets pour l’hiver (capotes et vareuses bleu horizon, calots, bandes molletières, chemises, caleçons, tricots, chaussettes, etc.) dont la distribution doit avoir lieu lundi. J’ai l’intention de rendre l’affreuse capote belge que j’ai reçue il y a quelques jours et de prendre une capote bleu horizon, qui au moins si elle est usagée, sera très propre ; je demanderai également une chemise, un caleçon et une paire de bas.

Ce soir, je n’ai encore ni lettre, ni colis. Je suis loin d’être parmi les favorisés du camp. Enfin espérons que la semaine prochaine je serai plus heureux.

Dimanche 17 novembre

À Münster : 149ème jour de captivité.

 

Le temps reste le même, gris et assez froid quoiqu’il ne gèle pas.

Depuis quelques jours la R.A.F. ne vient plus pendant la nuit, sans doute est-elle occupée ailleurs ; en Italie vraisemblablement.

 

Autre bruit qui circulait dès hier soir : d’après une lettre reçue par un camarade, l’envoi de colis aux prisonniers serait suspendu le 24 novembre. Serait-ce que l’autorité allemande envisagerait la libération de certaines catégories d’entre nous pendant le mois de décembre ?!! Je n’ose l’espérer bien que de nombreuses  lettres reçues ici fassent allusion à une libération prochaine.

Dans notre potée de ce midi se trouvent quelques morceaux de viande de cheval et ce soir avec les 375 g de pain nous touchons de la fameuse saucisse phosphorescente. Il est d’ailleurs à remarquer que c’est le dimanche que nous sommes le plus mal nourris.

 

Cet après-midi, il y a une petite représentation théâtrale, organisée par les artistes du camp, mais ayant le cafard je n’y vais pas. D’ailleurs c’est une vraie bousculade à l’entrée de la salle qui est trop exiguë pour contenir l’effectif du camp.

 

Ce soir, dès 20h, des avions anglais survolent la région et les tirs de la D.C.A. allemande illuminent le ciel. Un avion anglais laisse tomber une fusée éclairante qui pendant au moins 5 minutes projette sa clarté sur le sol.

Lundi 18 novembre : La commission de la Croix Rouge

À Münster : 150ème jour de captivité.

Visite du camp par une commission suisse.

 

Le temps continue d’être assez doux et jusqu’ici nous n’avons pas eu à souffrir du froid.

 

Dans la matinée, le camp reçoit la visite d’une commission de la Croix Rouge de Genève. Le commandant français du camp, colonel Le Mouel lui fait part de diverses doléances concernant principalement la nourriture (insuffisance de la quantité de pain allouée), la correspondance (lettres et colis) qui mettent un temps infini à nous parvenir, etc. etc.

Il paraîtrait que cette commission aurait déclaré que le rapatriement des grands blessés se ferait très prochainement et serait suivi à bref intervalle du service de santé.

À propos de ce service, il paraît que les médecins qui étaient restés prisonniers en France sont maintenant libérés.

Il est triste de voir de tous jeunes toubibs libérés alors que nous les vieux devons rester là.

Nous ne regretterons pas tous ces jeunes médecins qui laisseront parmi nous un bien triste souvenir, car à peu près tous n’ont aucune conscience et font preuve du plus pur égoïsme.

 

Cet après-midi, je reçois une capote bleue horizon, usagée sans doute, mais propre et qui me rendra service comme couverture ; je touche aussi un caleçon, un tricot et une paire de bas, d’autres touchent des chandails, mouchoirs, souliers, bandes molletières, culottes, etc.

Mardi 19 novembre

À Münster : 151ème jour de captivité.

 

De nouveau, il y a eu alerte hier soir.

Les journaux allemands d’hier annonçaient que 500 de leurs appareils de bombardement avaient presque anéanti la ville de Coventry en Angleterre qui n’était plus qu’une mer de flammes.

 

Je n’ai encore reçu hier ni lettres, ni colis, je n’y comprends rien, car le colis de 5 kg expédié par ma Berthe le 16 octobre devrait bien tout de même être arrivé ; il en est de même des premiers qu’Alphonse a dû m’envoyer ; de même la dernière lettre reçue de Picauville date du 24 octobre et la dernière carte d’Alphonse du 16 octobre.

La décision d’aujourd’hui fait allusion au prochain départ des grands mutilés, ainsi que du service de santé.

 

Ce matin, 70 travailleurs dont un des 2 ordonnances de la chambre quittent le camp pour retourner à Dortmund ; ils doivent, conformément à ce que les journaux allemands avaient mentionné, être affectés à divers travaux en concordance avec leur métier.

 

Aujourd’hui, 2 officiers venant d’un camp voisin sont arrivés ici, ce sont des Alsaciens-Lorrains venus de l’Oflag VI D pour être soi-disant envoyés en Alsace où ils auraient à opter pour ou contre l’Allemagne, je crains bien pour eux qu’ils ne fassent un long séjour ici.

Il paraîtrait qu’en Alsace l’exode des populations vers la France est considérable ; les habitants de villages entiers, maire en tête, ceint de l’écharpe tricolore quittent leur province.

Mercredi 20 novembre

À Münster : 152ème jour de captivité.

 

Quelques alertes au cours de la nuit.

Hier soir, encore je n’ai reçu ni lettre, ni colis, cela commence à devenir inquiétant et je me demande en particulier ce que devient mon cher petit Alphonse dont je n’ai pas de nouvelles depuis sa carte du 16 octobre.

Les journaux allemands d’aujourd’hui donneraient des extraits d’un discours de Mussolini.

D’après ce discours les revendications italiennes envers la France seraient beaucoup moins dures, l’Italie n’exigeant plus que la Corse et une partie de la Tunisie. Si cela est, il serait possible d’envisager une paix prochaine, car je crois bien que l’accrochage venait de l’exagération des demandes de notre voisine du Sud-est.

Mussolini disait encore que l’Italie aurait encore des moments difficiles à passer, et a fait en particulier allusion au bombardement de Tarente par l’aviation anglaise qui aurait été très meurtrier.

 

Ce soir, nouvelle importante, un officier, le capitaine Glandy doit quitter le camp après demain matin pour aller en France, cette bonne nouvelle lui a été annoncée ce soir à l’appel par l’officier allemand du block.

Cet heureux veinard est dans le civil, entrepreneur de carrière à Poitiers et il est à présumer que sa présence sera utile là-bas pour la fourniture des matériaux devant servir à la reconstruction des ponts.

C’est le premier officier qui quitte le camp pour être libéré ; cela nous montre au moins que tout espoir d’un sort semblable ne doit pas être perdu.

Jeudi 21 novembre

À Münster : 153ème jour de captivité.

 

Plusieurs alertes cette nuit.

Nouveaux tuyaux ce matin, d’après le journal de Münster, 30 000 soldats français internés en Suisse seraient rapatriés en France et libérés, cela avec le consentement de l’Allemagne.

Ces troupes étaient probablement le long de la frontière du Jura et seraient passés en Suisse au mois de juin pour ne pas être faites prisonnières. Ceci est plutôt une bonne nouvelle.

 

Ce midi, autre nouvelle, les aspirants qui se trouvent avec nous au camp doivent nous quitter pour aller dans un Stalag. Voilà 5 mois qu’ils se trouvaient parmi les officiers, aussi ils vont plutôt la trouver mauvaise.

 

Ce soir, je reçois enfin une carte de ma Berthe partie de Picauville le 2 novembre ; quelques cartes et lettres doivent être certainement restées en souffrance. Ce qui commence à m’inquiéter, c’est de ne rien recevoir d’Alphonse, je me demande ce qu’il devient et s’il est toujours à Donzère.

 

Le temps continue d’être doux et c’est vraiment un beau mois de novembre. Dommage qu’il faille le passer en captivité.

Ah ! Quand pourrai-je donc recouvrer cette liberté si chère ? !!

Ceux qui n’en ont pas été privés ne peuvent imaginer les tortures morales que nous endurons. Et je suis certain que nous ne sommes guère plaints par tous ceux qui se sont débinés.

Vendredi 22 novembre – le premier libéré

À Münster : 154ème jour de captivité.  Le 1er libéré, capitaine Glandy quitte le camp.

 

Voilà aujourd’hui 5 mois que je suis prisonnier et toujours rien au sujet de la libération tant attendue. Combien de mois encore faudra-t-il passer loin de sa famille !!!

Encore aucun colis aujourd’hui, c’est à se demander si ceux qui me sont adressés me parviendront un jour.

Les journaux allemands de ce jour donnent des extraits du discours prononcé par Pétain à Lyon ; il a surtout parlé de la division de la France en 20 régions ayant une certaine unité économique ; les préfets n’auront plus qu’un rôle administratif…

Dans chaque région il y aurait comme des conseils provinciaux qui fourniraient des délégués à un conseil suprême pour le pays ; Pétain termine en disant qu’il espère que la nouvelle constitution sera en vigueur même avant l’ouverture des négociations de paix ; cette phrase n’est pas pour nous faire plaisir car si cela est, la paix n’est pas encore proche.

 

Ce matin à 6h45, le capitaine Glandy, l’heureux libéré du camp, nous a quittés pour faire route vers la France, l’heureux veinard !!

 

Ce soir, nouveau bobard, il paraîtrait qu’une partie de la France occupée serait libérée et que la ligne de démarcation entre les 2 zones partirait maintenant de St Nazaire pour gagner Mantes, Laon et redescendre ensuite vers le Sud, vers la Suisse.

De cette façon Paris serait libéré et le gouvernement pourrait y rentrer, il ne ferait pas mal maintenant de s’occuper un peu de nous.

Samedi 23 novembre

155ème jour de captivité. À Munster.

 

Courte alerte au cours de la nuit au cours de laquelle nous n’avons guère pu dormir à cause du chahut fait par les aspirants qui habitent la chambre voisine de la nôtre et qui doivent partir ce matin.

 

Rassemblement des 68 aspirants du camp ce matin à 8h½ et départ à 9 h pour un autre camp distant parait-il de 80 km d’ici.

Comme dans les autres camps, les aspirants sont séparés des officiers ; ce qui parait bizarre c’est que 2 d’entre eux qui sont mutilés (l’un est amputé de la cuisse gauche) partent avec eux puisque les amputés doivent être rapatriés dans un délai assez bref.

 

Il paraitrait que le journal de Munster d’hier aurait annoncé que les Italiens auraient subi de nouvelles défaites en Grèce, ils auraient dû repasser la frontière gréco-albanaise et avoueraient eux-mêmes de grosses pertes. (*)

D’autre part des navires anglais auraient pénétré dans le port de Tarente et y auraient coulé 3 cuirassés italiens. (**)

 

À l’appel ce matin, nous restons plus d’une ½ heure sur les rangs (1 officier manquerait au block 1).

Nouvel appel dans les chambres à 11 h, nous apprenons qu’un officier du block 1 se serait évadé hier soir à 8 h mais qu’il aurait été repris à 20 km d’ici.

Le commandant allemand du camp en aurait été avisé avant l’appel et il a voulu se rendre compte si d’autres officiers ne s’étaient pas également enfuis.

 

À mon avis, il est bien difficile sinon impossible de réussir une évasion d’ici car une fois sorti du camp, où aller ? De plus si l’officier est domicilié dans la zone occupée il risque fort d’être repris à son domicile ou de voir des représailles prises contre sa famille aussi je pense qu’il vaut mieux s’abstenir.

 

Ce soir, je n’ai toujours pas de nouvelles d’Alphonse et je me demande bien qu’elle peut en être la cause.

Une longue liste de colis à distribuer lundi est affichée ce soir, mais le n° 54 n’y figure pas encore, c’est à désespérer d’en recevoir. Je suis certainement sur les 1 600 officiers l’un de ceux et peut-être celui qui, au point de vue réception de colis est le plus défavorisé. Nombreux sont les camarades qui en ont reçus 10, 20, 30 voire même 40 et jusqu’à 50 et 60.

Leconte de Cherbourg en a reçu 4 dont 2 de 5 kg, moi j’en ai tout juste reçu 2 de 1 kg chacun. Suis-je donc maudit pour être toujours plus malheureux que les autres.

Ah la vie qui ne m’aura guère apporté de satisfaction !!!!..

Si cette semaine je ne reçois encore rien, je ne ferai pas de compliments à ma Berthe dans ma carte du 1er décembre.

 

(*) : La bataille de Grèce est la suite de la guerre italo-grecque commencée à l'automne 1940. Fin octobre 1940, l'Italie envahit la Grèce à partir de l'Albanie qu'elle occupe déjà depuis avril 1939. Cependant, l'armée grecque prouve qu'elle peut résister et contre-attaque, forçant l'armée italienne à battre en retraite.

Vers la mi-décembre, les Grecs occupent à leur tour un quart du territoire albanais. En mars 1941, une nouvelle offensive italienne échoue, mettant fin aux prétentions italiennes en Grèce, et obligeant l'Allemagne à intervenir pour venir en aide à son allié.

 

(**) : La bataille de Tarente est une opération aérienne qui a eu lieu la nuit du 11 au 12 novembre 1940.

 Lors de cette nuit, connue sous le nom de « nuit de Tarente », la flotte de la Regia Marina italienne, mouillée dans le port de Tarente, subit de grosses pertes suite à un torpillage massif par l'aéronavale de la Royal Navy britannique (21 avions torpilleur). Les Italiens perdent 1 navire de ligne qui est coulé et 3 autres navires endommagés (dont un croiseur)

Dimanche 24 novembre

Hier soir de 8 h à 10 h de nombreux avions anglais ont survolé la région et les tirs de D.C.A. ont été particulièrement violents assez loin au sud de Munster, dans la Ruhr probablement.

 

Cette nuit vers 3 h ½, contre-appel dans la chambre par un officier allemand (conséquence de l’évasion d’avant-hier).

Toute la journée le ciel est brumeux, bas, triste et le vent qui souffle du sud-ouest est beaucoup plus froid.

Lundi 25 novembre

157ème jour de captivité.

À Munster.

 

Hier soir, de nouveau, la D.C.A. allemande a fort tiré au sud de Munster.

Aujourd’hui les camarades possesseurs d’imperméable doivent les déposer entre les mains de l’autorité allemande du camp. Dans ces conditions je suis bien aise d’avoir rendu celui du commandant de Mangeux qui d’ailleurs l’avait réclamé : il va, lui aussi, être forcé de s’en débarrasser.

Ce que je regrette c’est d’avoir demandé à ma Berthe de m’envoyer dans un prochain colis mon vieux que j’avais acheté lors d’une période à Cherbourg.

 

D’après une nouvelle d’un journal allemand, le vice-consul américain de Hanoï aurait été arrêté par les Japonais, ceci montrerait que les Japonais exerceraient la police dans nos colonies d’Extrême Orient.

Ah ! Pauvre France !

Quel triste sort est le tien !!

Après ta défaite, les autres peuples se disputent tes possessions, ce sont de véritables chiens à la curée !

Les représailles que l’on pourra exercer contre les coupables seront si terribles soient-elles, beaucoup trop douces.

Mardi 26 novembre

158ème jour de captivité. À Munster.

 

Ce matin, j’ai le plaisir d’apprendre que le n° 54 a un colis à retirer à 8 h 45.

C’est qui a été expédié le 16 octobre, il a donc mis à peu près 1 mois ½ à parvenir au camp, c’est vraiment un peu long. La composition de ce colis me fait plaisir [pain, biscottes, petits beurres, chocolat, savon (que je ne comptais pas y trouver), beurre] correspondent bien à mes désirs.

Aujourd’hui les détenteurs de canadiennes doivent les déposer entre les mains de l’autorité allemande, ces vêtements étant susceptibles de pouvoir faciliter les évasions.

Les journaux allemands annoncent que les Italiens se sont retirés sur des positions préparées à l’avance. Il est probable que nos alliés de l’autre guerre, ainsi qu’en 1917 sur les bords de la Piave se font copieusement rosser par les Grecs ; si cela est vrai, ils ne seront guère plaints même pas par leurs alliés actuels qui sont depuis longtemps fixés sur leurs qualités guerrières.

À partir d’aujourd’hui, l’appel du soir aura lieu à 6 h dans les chambres. Pour nous c’est beaucoup plus intéressant car de cette façon nous ne resterons (pas) une ½ heure à geler sur place, à l’extérieur.

 

Ce soir, je reçois une lettre de Fernande (*) expédiée le 1er novembre. Cela fait plaisir de recevoir quelques nouvelles de sa famille malheureusement je ne reçois rien d’Alphonse.

 

(*) : Sa fille, née en 1915. Quelques cheveux sont encore collés dans le carnet de 1916. Voir ici

Mercredi 27 novembre

159ème jour de captivité. À Munster.

 

Nuit calme ; ce matin le temps est assez doux mais la température au cours de la journée s’abaisse sensiblement et cet après-midi il fait vraiment froid.

L’officier allemand qui commande le block II et qui était allé conduire le capitaine Glandy, rentre ce matin, il a d’après certains renseignements accompagné l’officier français jusqu’à Strasbourg. Là un laissez-passer aurait été délivré à notre camarade ainsi qu’un brassard blanc et il aurait pris librement le train pour son domicile ! Pour la liberté !!!

À la kommandantur du camp on lui aurait échangé ses bons de camp contre des francs français.

 

Aujourd’hui, ceux qui ont des bottes en caoutchouc doivent les déposer entre les mains des Allemands à moins qu’ils s’engagent par écrit

1. À ne pas sortir du camp ayant ces bottes aux pieds

2. À ne pas les prêter à un camarade qui voudrait s’évader.

 

Décidemment il semble que depuis la tentative d’évasion qui a eu lieu récemment au camp, l’autorité allemande du camp soit encore plus méfiante.

Je n’ai toujours pas de nouvelles d’Alphonse et cela commence à m’inquiéter sérieusement, car je me demande s’il est toujours à Donzère.

Avec la politique actuelle de la France, il serait possible en effet qu’on envoie les jeunes aux Colonies.

Jeudi 28 novembre

160ème jour de captivité. À Munster.

 

Ce matin, le temps est moins froid mais la pluie commence à tomber. D’après des renseignements fournis par les journaux allemands, les 10 francs français ne seraient plus cotés que 8,65 en Suisse même, on achète des francs suisses à raison de 5 F les 100 F français ce qui montre bien la chute du franc.

 

Dans cette dépréciation de la monnaie, ce sera encore nous fonctionnaires qui serons les plus lésés. Dans ma prochaine lettre, je demanderai qu’on utilise les quelques milliers de francs qui me restent à acheter des valeurs industrielles qui sûrement doivent monter en ce moment.

De nouveau il nous est expressément défendu d’adresser la parole aux travailleurs du camp.

D’après un nouveau bobard qui a pris son vol après parait-il, réception d’une lettre par un camarade, un accord serait pris entre les gouvernements allemands et français concernant le rapatriement de 400 000 prisonniers. Dans ce lot entreraient les anciens combattants, les fonctionnaires, les cultivateurs, etc….. !!!!

 

Aujourd’hui j’adresse la carte à laquelle j’ai droit à Leneveu.

 

J’ai omis de mentionner qu’hier, le camp a reçu la visite d’un consul américain qui a interrogé plusieurs officiers et hommes de troupe. Il a vu les ordonnances au moment du repas et ne voyant pas de viande dans les gamelles leur a dit « alors, on vous sert la viande à part ».

Il s’est montré très étonné lorsqu’on lui a répondu que la viande faisait défaut.

Vendredi 29 novembre

161ème jour de captivité. À Munster.

 

Nuit calme.

D’après d’autres tuyaux circulant dans le camp, tuyaux ayant pour origine des lettres reçues par des camarades, les plus de 50 ans seraient bientôt libérés, ceci aurait été annoncé par des journaux français, il serait également question de libérer les anciens combattants fonctionnaires, chefs de famille.

Les journaux allemands d’hier parlent de l’attitude des États-Unis dont l’opinion s’étonne de voir la France adopter une attitude  qu’ils jugent trop pro-allemande. Il est certain qu’un tel revirement de la part de notre pays me surprend un peu, mais à qui la faute, si ce n’est pas aux Anglais et aux États-Unis qui ont bien tardé à prendre position.

L’escadre anglaise qui bloquait la Martinique a été remplacée par une escadre américaine. D’autre part De Gaulle (*) est maître de l’A.E.F. (**)

Pauvre France !!!

 

Le lieutenant qui il y a quelques jours a tenté de s’enfuir a été condamné à 10 jours de prison.

Le bobard concernant une libération prochaine des vieilles classes se précise, plusieurs officiers en ayant été avisés par leurs familles et les plus de 50 ans auraient bientôt la joie de quitter le camp.

 

Ce soir, encore aucune nouvelle ni d’Alphonse, ni de Picauville. Cette absence de lettre surtout d’Alphonse commence à m’inquiéter.

Est-il toujours à Donzère

 

(*) : C’est la première fois que le nom de DE GAULLE est écrit.

(**) : Afrique Équatoriale Française

Samedi 30 novembre

162ème jour de captivité.

À Munster.

 

De nouveau le tuyau relatif à la libération prochaine des anciens combattants de plus de 50 ans a fait long feu. Un camarade a en effet reçu une lettre hier soir indiquant que l’accord envisagé entre les 2 gouvernements allemand et français à ce sujet n’avait pu aboutir.

 

Cette nuit, activité aérienne sur la Ruhr qui parait-il a déjà été copieusement bombardée. Les Anglais paraissent vouloir se venger de la destruction partielle de Coventry.

 

Le temps s’est mis cette nuit au froid sec. Le vent vient du nord et il a gelé assez fortement.

Dans la matinée, le block I est l’objet d’une nouvelle fouille : canadiennes, manteaux de cuir, briquets à essence, stylos, etc… sont retirés aux officiers, de plus on leur ouvre leurs boites de conserve ou on les leur retire pour leur rendre ouvertes au fur et à mesure de leurs besoins.

Cette fouille est encore certainement une conséquence de la tentative d’évasion qui a eu lieu.

Maintenant à quand le tour du block II ?!!

 

Voilà un nouveau mois de terminé qui ne nous a rien apporté de positif en ce qui concerne notre libération.

 

Ce soir, pas de lettres, les interprètes allemands n’ayant pas travaillé aujourd’hui.

La correspondance va décidemment de plus en plus mal ; et il faut compter au minimum 2 mois pour avoir une réponse à une question posée.

 

Dépenses du mois de novembre

V1         

S2        

D3        

L4          Versé pour ordonnances 0,50 – 2 bières 1 – fromage 0,07 - total 1,57

M5         3 kolas 0,75 - total 0,75

M6         1 salade russe remboursable 0,32 - total 0,32

J7         

V8          3 kolas  0,75 - total 0,75

S9        

D10       

L11        

M12       2 cidres 0,70 0,70

M13       Touché 32 marks – touché 1 savon  

J14        Versé pour ordonnances 0,9 - total 0,9

V15        2 cidres          0,70

S16       

D17       

L18        3 Kolas     0,75

M19      

M20      

J21        1 ouvre boite  0,80

V22       1 cahier 0,25 - total 0,25

S23       Tabac 1,07betterave remboursable 0,39 - total 1,46

D24      

L25        1 flacon savon 1 – 2 aiguilles 0,06 - total 1,06

M26       tabac

M27       3 kolas 0,75 – salade russe et moutarde 0,41 - total 1,16

J28       Touché 32 marks – salade russe (betterave) 0,23 – 3 kolas 0,75 - total 0,98

V29       1 bière 0,50 – aiguilles 0,30 – versé pour ordonnances 0,90 - total 1,70

S30       Versé pour ordonnance de la chambre        0,50

              14,35

Décembre 1940 : Les colis - Les fausses rumeurs

Dimanche 1e décembre : Münster -

163ème jour de captivité. À Munster.

 

Voilà un nouveau mois de commencé, je doute encore que ce soit celui de la libération, bien que le tuyau relatif aux plus de 50 ans circule toujours.

 

Cette nuit, la gelée s’est accentuée et la terre est bien prise par le gel.

 

Hier soir, on nous a payé la solde pour la 3ème décade de novembre, cette fois les Allemands ne sont pas en retard mais en avance d’un jour puisque cette solde n’aurait dû nous être payée que le 1er.

D’après des renseignements parvenus au camp, les aspirants qui nous ont quittés il y a une quinzaine auraient sérieusement perdu au change, ils se trouvent dans un camp de 20 000 prisonniers où la discipline est encore beaucoup plus dure qu’ici, les hommes sont traités à la schlague et leur nourriture qui est comme quantité analogue à celle d’ici est encore beaucoup moins bien préparée.

Au sujet de la libération tant attendue, des camarades, tels le capitaine de Brémond et Ars ont reçu des lettres leur annonçant que des journaux de Paris avaient indiqué la libération prochaine des plus de 50 ans.

Puisse ce tuyau enfin se réaliser !!

Mais pour ma part je n’y crois encore guère, nous avons été si souvent déçus.

Lundi 2 décembre

Münster : 164ème jour de captivité.

 

Le gel s’accentue et le froid commence à piquer sérieusement. Le ciel est gris et annoncerait bien une chute prochaine de neige.

D’après certaines lettres reçues par des camarades, il paraît que des troupes allemandes traversent la région non occupée de France pour aller en Italie. Est-ce en vue d’aller aider leurs alliés en Albanie, ou est-ce en prévision de troubles qui pourraient éclater dans la péninsule.

Les tuyaux concernant la libération prochaine de certaines catégories de prisonniers semblent vouloir se confirmer.

En tout cas plusieurs de mes camarades ont reçu des lettres leur indiquant que la libération des plus de 50  ans serait décidée, il en serait de même pour les pères de familles nombreuses. Si tout cela est vrai, mon séjour en Allemagne s’abrégerait rapidement.

 

Les journaux allemands mentionnent les nombreuses difficultés qui assaillent le gouvernement Pétain. (Difficultés relatives à la situation monétaire, au chômage, au ravitaillement en vivres et combustibles de la population.)

Le cours des rentes a sensiblement monté depuis 1 mois, ce qui indique bien la chute du franc.

 

Ce soir, j’ai le bonheur de recevoir une carte d’Alphonse qui se trouve toujours à Donzère, cela me tranquillise un peu.

Mardi 3 décembre

A Münster : 165ème jour de captivité.

 

Changement de temps ce matin, la terre est enveloppée d’un épais brouillard, mais il ne gèle pas, aussi la température est elle plus clémente.

Les journaux allemands annoncent ce matin la mort de l’ex-préfet de police Jean Chiappe, nommé par le gouvernement Pétain, Haut Commissaire en Syrie. L’avion Air-France qui le transportait aurait été attaqué au large de la Sicile par un avion anglais et serait tombé en flammes.

 

4 camarades doivent quitter le camp demain matin.

Ce changement équivaut pour eux à des mesures de représailles. Deux d’entre eux doivent cette mesure à une tentative d’évasion (un qui a tenté, il y a une quinzaine, de s’enfuir d’ici et qui a été arrêté à une vingtaine de km d’ici, le 2ème qui avait tenté de s’évader d’un autre camp a été arrêté à quelques mètres de la frontière suisse) ; pour le 3ème, le capitaine Montaudain, il est coupable d’avoir écrit dans sa correspondance des choses désagréables pour les Allemands et à ce sujet il avait été interrogé, il y a une quinzaine à la Kommandantur par un officier allemand.

A mon avis, certains camarades ne doivent pas encore bien réaliser combien notre défaite est grande et que nous sommes prisonniers et qu’en conséquence, il vaut mieux s’abstenir de toute parole susceptible de blesser nos vainqueurs qui au moins ont eu la magnanimité d’épargner les vies humaines lors de notre trop fameuse retraite.

 

(*) : L’avion de Jean CHIAPPE a effectivement été abattu soir par l’aviation anglaise ou italienne.

Mercredi 4 décembre

A Münster : 166ème jour de captivité.

 

Ce matin, quoiqu’il ne gèle pas, le temps est humide et froid. Je reçois une lettre de ma Berthe du 13 novembre qui m’est remise en retard parce que sur l’adresse on n’a pas indiqué mon numéro. Plusieurs correspondances antérieures ne me sont pas encore parvenues.

 

Dans les journaux allemands de ce matin, certains articles sont pleins de menaces envers la Suisse, dont les journalistes, au dire de leurs confrères allemands, s’apitoient un peu trop sur les bombardements des populations civils en Angleterre.

 Ces menaces semblent être un sérieux avertissement à la Suisse dont l’attitude devra changer si elle veut rester libre.

Je passe une partie de la journée à écrire ma lettre qui doit partir demain pour Picauville.

 

Cet après-midi, je vais toucher un colis, le 4ème expédié par ma Berthe, il contient : 1 paire de chaussons (j’espère que la 2ème paire que Fernande est allée acheter à Valognes ne me sera pas envoyée), une paire de chaussettes kaki (je crains que la jambe ne soit pas assez large pour qu’elle puisse me servir de molletières) et enfin un pot de beurre.

Dans un colis de 1 kg il y a vraiment bien peu de chose et il n’y a que ceux de 5 kg qui soient vraiment intéressants.

 

Rien de bien nouveau aujourd’hui, les ?? annoncés subsistent toujours ; dans une lettre reçue ce soir par Lecomte, sa femme lui fait part que Cherbourg-éclair annonce la libération probable de différentes catégories de prisonniers, mais qu’il ne rentre pas dans les catégories indiquées.

En ce qui me concerne il est probable que j’y rentre (+ de 50 ans), mais malheureusement le journal dit « libération probable » et non pas « certaine ».

 

Un autre camarade a également reçu une lettre de sa femme lui indiquant les différentes catégories dont la libération est probable :

1.            Mutilés, grands blessés et malades

2.           Plus de 50 ans

3.           Pères de 4 enfants mineurs

4.           Ainés d’au moins 4 enfants.

Dans ces conditions il faut bien espérer un retour assez proche en France.

 

Les journaux allemands publient encore divers articles qui doivent donner à réfléchir aux Suisses.

Il paraîtrait que les mutilés qui se trouvent au camp partiraient demain.

Un tel départ ne peut que nous réjouir car ce serait la première mesure générale prise à l’égard des prisonniers et après eux il est probable que ce serait le tour des plus de 50 ans dont je fais partie.

Jeudi 5 décembre

A Münster : 167ème jour de captivité.

 

Le temps est froid bien qu’il ne gèle pas et dans le courant de la matinée la neige commence à tomber en flocons serrés, mais elle ne tient pas.

Toujours pas de lettre ce soir, cela tient certainement au censeur 4 à 2 (n° de 1 à 200) car depuis une quinzaine rares sont ceux parmi les camarades qui ont ces numéros, qui ont reçue des nouvelles.

Vendredi 6 décembre

A Münster : 168ème jour de captivité. Départ des mutilés.

 

Ce matin chute de grêle.

Les journaux allemands annoncent que le gouvernement Pétain a encore dissous 34 conseils municipaux dont celui de Perpignan ; ils annoncent aussi que Pétain est allé à Marseille où il a été reçu avec un enthousiasme par les anciens combattants.

Tout cela est évidemment très bien, mais à mon avis le gouvernement ferait aussi bien de s’occuper un peu de nous car nous commençons à croire qu’on nous laisse tomber. Il est un peu triste pour nous de savoir, qu’alors que 1 500 000 prisonniers aspirent après la libération,  les cinémas, les théâtres dans les grandes villes, voient une grande affluence de monde.

Ah ! On se soucie bien peu de nous et de notre triste sort.

 

Aujourd’hui, premier départ du camp pour la libération.

Ce départ concerne les officiers grands blessés et mutilés venus d’Osnabrück. C’est le premier départ collectif (ils étaient une demi- douzaine ici.)

Puisse ce départ être le précurseur d’autres plus importants !!

 

Ce soir, je reçois une lettre de ma Berthe, mais d’après cette lettre il y en aurait plusieurs qui ne me seraient pas parvenues.

Nous touchons cet après-midi 1 savon de toilette et 1 savon à barbe pour 4.

Temps très mauvais toute la journée.

Samedi 7 décembre

A Münster : 169ème jour de captivité.

 

Temps très mauvais, la neige, toute la matinée tombe, chassée par le vent.

Les journaux allemands d’aujourd’hui publient des articles pour expliquer la lenteur de l’avance italienne en Albanie, comme en Egypte.

Pour moi je crains qu’aux deux endroits les Italiens ont été bel et bien rossés et si les Allemands ne viennent pas à leur aide il est fort probable qu’ils seront avant peu chassés d’Albanie.

 

Un autre fait qui indique bien l’échec de l’offensive Italienne, c’est que leur maréchal Badoglio vient d’être mis à la retraite et remplacé par Cavallero, fait semblable à celui qui s’est produit pour nous lorsque Gamelin a été limogé et remplacé par Weygand.

 

Ce soir, nous apprenons que les vétérinaires de réserve de la zone occupée vont être libérés : il est probable que les Allemands ont besoin d’eux pour soigner le cheptel dans la zone occupée car ils sont les premiers intéressés au bon rendement de ce cheptel

 Les vétérinaires de la zone libre vont rester à nous tenir compagnie.

 

Ce soir, je reçois 6 cartes ou lettres (2 de ma Berthe, 1 de Fernande, 1 de ?? et 2 d’Alphonse qui m’annonce l’envoi d’un colis de 5 kg.

Dimanche 8 décembre

A Münster : 170ème jour de captivité.

 

Temps toujours assez doux. Depuis quelque temps, nous ne recevons plus la visite de la R.A.F., il est probable que les Anglais s’occupent en ce moment du côté de l’Italie qui, semble-t-il, se trouve assez mal en point dans sa lutte contre la Grèce.

 

Au rassemblement de ce matin, on prévient les vétérinaires d’avoir à se présenter au bureau du commandant du camp aussitôt après l’appel. Nous apprenons ensuite que 12 camarades, vétérinaires dans le civil, établis dans la zone occupée quittent le camp après demain ; demain ils doivent aller porter leurs bagages dans le bâtiment où nous avons été reçus à l’arrivée afin qu’ils soient fouillés.

 

Cette journée, comme tous les dimanches, me paraît excessivement longue ; c’est que le dimanche on ne peut avoir ni lettres, ni colis et l’après-midi est vraiment mortelle.

Dans les lettres reçues hier soir par des camarades, il est fort question de la libération prochaine des pères de 4 enfants mineurs, qui formeraient la première catégorie de prisonniers qui seraient rendus à la liberté.

 

Cet après-midi, il y a une représentation théâtrale montée par le camarade Michaut, mais j’ai trop le cafard pour y aller. D’après ceux qui y sont allés, le spectacle n’en valait guère la peine et pour une fois Michaut n’a pas fait honneur à sa réputation d’artiste.

Lundi 9 décembre

A Münster : 171ème jour de captivité.

 

Cette nuit, il a légèrement gelé.

D’après une lettre reçue par le camarade Bimiere, dans le civil, curé à Angers, les catégories libérables seraient dans l’ordre :

1.            Les pères de 4 enfants mineurs.

2.           Les + de 50 ans.

3.           Le service de santé.

4.           Les aînés de familles nombreuses dont le père a été tué à la guerre (14-18).

5.           Les chefs d’exploitation ou d’entreprise.

 

Parmi les camarades du 446 prisonniers, nous avons le lieutenant Guérin d’Argences qui se demande anxieusement s’il rentre dans la 1ère catégorie.

D’un 1er mariage il a eu 2 enfants, puis étant veuf, il s’est remarié pendant le cours de cette guerre avec une veuve ayant elle 4 enfants, aussi il se demande bien si ces 4 enfants entreront ligne de compte.

Les journaux allemands d’aujourd’hui annoncent de grands changements dans les états-majors italiens ; d’abord l’amiral en chef Cavagnari est mis à la retraite, d’autre part le gouverneur général du Dodécanèse, De Vecchi est relevé de ses fonctions ; ces changements indiquent bien qu’en Italie tout ne tourne pas rond en ce moment.

 

D’après un nouveau tuyau, on préparerait en ce moment le château de Versailles pour recevoir les plénipotentiaires allemands et français qui seraient chargés de négocier les conditions de la paix.

Les dites négociations commenceraient vers le 25 décembre.

.

Mardi 10 décembre

A Münster : 172ème jour de captivité. Départ de 12 vétérinaires

 

Temps toujours assez doux.

C’est aujourd’hui que 12 camarades vétérinaires dans le civil nous quittent pour être libérés. C’est le 1er départ groupé du camp.

D’après certains tuyaux, de nombreux vides se produiraient bientôt dans le camp.

 

A l’appel ce matin, on a averti les officiers du service de santé de vouloir bien faire venir, s’ils ne les ont pas en leur possession, des pièces attestant leur profession, cela laisserait enfin prévoir un départ prochain du service de santé.

Pour les pères de 4 enfants mineurs, il paraîtrait que la réunion des différents dossiers demanderait un certain temps.

D’après certains bruits, des manifestations d’étudiants auraient eu lieu à Paris à l’occasion du 11 novembre.

Malgré l’interdiction qui leur aurait été faite, des groupes d’étudiants seraient allés manifester à l’Arc de Triomphe. Conséquence : les grandes écoles seraient fermées pour 1 mois.

 

Dans la soirée, abondance de tuyaux, tous plus sensationnels les uns que les autres. D’abord la radio allemande aurait soi-disant annoncé que les pères de 4 enfants mineurs et plus seraient chez eux pour Noël.

D’autre part les préliminaires de paix seraient signés avant la fin de l’année et tous les prisonniers seraient libérés avant le printemps prochain.

 

A 19h, nous avons une conférence sur l’Islande et le Spitzberg par le lieutenant allemand chef de block, conférence intéressante accompagnée de projection de vues de ces pays. Il a terminé à peu près par ces mots :

« Si les peuples voyageaient davantage, ils apprendraient en se connaissant mieux à s’estimer davantage, il y aurait par suite moins de haine entre eux et par suite moins de guerres. »

 

Dans l’après-midi, on nous a distribué une boîte ½ de singe par homme, plus des biscuits de troupe français, ces vivres nous ont été envoyés par la Croix Rouge française.

Malheureusement les boîtes de singe ont été ouvertes par les allemands pour ne pas qu’on puisse les emporter en cas d’évasion, si bien qu’il est impossible de les conserver.

Mercredi 11 décembre

A Münster : 173ème jour de captivité.

 

Temps toujours doux.

La journée se passe, sans nous apporter rien de nouveau.

Quelle triste monotonie qu’est notre vie de prisonnier !

Ah ! Je préfèrerais de beaucoup travailler,  au moins le temps paraîtrait moins long, les après-midis surtout me paraissent interminables et pendant ces longues heures le cafard m’assaille.

Reverrai-je la France ?

Hélas je n’en suis pas certain. Je souffre toujours du côté du foie.

Jeudi 12 décembre

174ème jour de captivité. À Munster.

 

Temps toujours doux et on ne se dirait pas à la mi-décembre. Espérons que l’hiver ne sera pas trop rude !

Dans la journée, nous apprenons que le trop célèbre lieutenant Thomas, celui qui avait calomnié  le [ill.] et à ce propos avait eu un différend avec le commandant Lecacheur, doit être libéré après demain, ainsi qu’un camarade malade, atteint de dysenterie amibienne.

Le même jour, 2 toubibs quitteraient le camp pour aller dans un stalag soigner les prisonniers français et ils espèrent aller dans un stalag en France.

 

Ce soir, je reçois une carte de ma Berthe, notre camarade Lelièvre [ill] reçoit divers correspondances de chez lui, lui disant qu’on attend son retour prochain, retour consécutif à un accord intervenu entre Scapini et Hitler par lequel les pères ou soutiens de 4 enfants mineurs et plus seraient envoyés en congé.

J’espère qu’après le départ de cette catégorie, il sera question des plus de 50 ans. La famille de Lelièvre croit tellement à une libération prochaine de ce camarade qu’elle le prévient qu’elle lui enverra plus de colis.

On se fait en France des illusions sur l’administration allemande qui est très méthodique mais aussi très lente, aussi le départ des gens de cette catégorie peut encore très bien se faire attendre 1 mois.

Vendredi 13 décembre

175ème jour de captivité. À Munster.

 

D’après une lettre reçue hier soir par Lelièvre, le gouvernement français enverrait 52 trains de vivres pour l’amélioration de l’ordinaire des prisonniers pour les fêtes de Noël ; il est probable que les biscuits et le singe que nous avons touchés font partie de cette amélioration.

 

Après l’appel ce matin, on nous rend les stylos que nous avions déposés, il y a une dizaine de jours au bureau du colonel.

Il paraitrait que dans quelques jours, la cantine vendrait de l’encre et à partir de ce moment nous aurions le droit d’écrire à l’encre.

 

Cette nuit, pour la 4ème fois il y a eu contre appel dans les chambres.

Aujourd’hui une quinzaine d’officiers venant du camp de Nuremberg arrivent ici.

Au camp d’où ils viennent se trouvent environ 8 000 officiers qui au point de vue logement sont encore plus à plaindre qu’ici, ils habitent en effet des cabanes en bois, cabanes qui servent aux logements des nazis lors du congrès nazi de septembre, mais si au mois de septembre la température extérieure rend ces logements acceptables, il n’en est pas de même en hiver et il y fait plutôt froid.

 

Pour quelle raison cette quinzaine d’officiers est-elle venue ici ? Ils n’en savent rien eux-mêmes…..

Samedi 14 décembre

176ème jour de captivité. À Munster.

 

Cette nuit changement de température et le gel fait de nouveau son apparition, mais dans nos chambres, nous ne souffrons pas du froid.

 

Aujourd’hui nous sommes prévenus qu’à partir de janvier, nous n’aurons plus que 2 cartes et 2 lettres à écrire par mois, donc suppression de 2 cartes et 1 lettre. Nous n’écrirons plus que les 1er, 8, 15 et 24 de chaque mois.

Amélioration du sort des prisonniers !!...

On nous dit cependant que ce n’est pas là une brimade, mais cette restriction aurait pour but l’accélération des correspondances.

 

Aujourd’hui nous avons une lettre à écrire, je pense que d’après cette lettre, on se rendra compte à Picauville que je ne suis pas très satisfait de la quantité par trop restreinte des colis que l’on m’envoie.

Vraiment on a par trop l’air de se désintéresser de mon sort et de cela je saurai m’en souvenir. Je suis certainement l’un de ceux peut-être celui qui est le plus défavorisé à ce point de vue.

Quand je pense que des camarades en ont reçu jusqu’à 150, que Leconte qui m’a remplacé au Hommet (*) en a eu au moins 4 fois plus que moi, que sa femme lui en annonce l’envoi de 4 dans la même semaine, il faut vraiment que je sois maudit des dieux.

Comme à l’ordinaire Berthe est prodigue de belles paroles mais ses actes sont bien loin de correspondre à ses paroles.

 

(*) : Comme instituteur

Dimanche 15 décembre

177ème jour de captivité. À Munster.

 

Le temps est maintenant au froid sec et cette nuit il a gelé assez fortement.

Dans la journée les camps d’aviation situés non loin d’ici sont actifs et nombreux sont les appareils qui cet après-midi survolent le camp.

 

Aujourd’hui, 15 décembre, les toubibs et autres officiers du service de santé devraient être rapatriés alors qu’ils se trouvent toujours avec nous, cela montre bien le peu de foi que l’on peut avoir dans tous les bobards qui circulent dans le camp, pour ma part je ne crois plus à rien, même plus à une prochaine libération des pères ou soutiens de 4 enfants mineurs, ainsi que des vieux de plus de 50 ans, et j’ai bien peur d’être encore là dans un an, si je ne suis pas mort avant.

Je souffre de plus en plus dans le côté droit de l’abdomen, j’éprouve comme des brûlures sur au moins 10 cm2, et je me demande bien ce que j’ai.

 

Comme tous les dimanches, la journée me parait sans fin.

Ah ! Combien de semaines devrons nous encore passer en captivité, je crains fort que nous n’en ayons encore pour longtemps. Dans quel état la plupart d’entre nous rentreront-ils ?

Lundi 16 décembre

178ème jour de captivité. À Munster.

Avis mandat 300 F Alphonse envoyé. Touché 32 marks.

 

Temps toujours froid et sec, la température est certainement inférieure à -7 ou -8.

Dans la matinée, l’autorité allemande du camp donne la liste des mandats qui ont été envoyés dans la zone occupée.

J’apprends avec plaisir que le mandat de 300 F dont j’avais fait la demande pour l’Alphonse est parti, j’espère qu’il parviendra rapidement au destinataire.

 

Dans l’après-midi, on nous paye la solde de la 1ère décade de décembre soit 32 marks.

 

Dans la soirée, divers tuyaux circulent, d’abord il paraitrait que Laval serait démissionnaire et remplacé par Flandin. Peut-être qu’avec ce nouveau ministère la conclusion de la paix se fera-t-elle plus rapidement.

D’autre part, le bruit court qu’il y aurait des désordres en Italie. Cette nouvelle est à mon avis tout à fait plausible, car les Italiens éprouvent en ce moment de sérieux revers tant en Albanie qu’en Lybie.

 

J’apprends ce soir que j’aurai demain 2 colis à toucher, peut-être parmi ces deux, y-a-t-il celui expédié par Alphonse le 19.

Dans l’après-midi, le grésil se met à tomber et la terre en est couverte.

Mardi 17 décembre

179ème jour de captivité. À Munster.

 

Le temps est un peu plus doux, mais il gèle toujours.

Quelques tuyaux circulent concernant les émeutes qui ont eu lieu le 11 novembre à Paris. Il paraitrait que les meneurs de l’émeute auraient été des Corses qui renouvelant une manifestation antérieure auraient défilé avec des pancartes portant ces mots « l’Italie à la Corse ».

Ces émeutes auraient été réprimées par les Allemands et il y aurait eu une vingtaine de victimes. Ensuite les manifestants auraient été fusillés et 500 autres déportés. Si cela est vrai, les Parisiens vont peut-être commencer à comprendre. Maintenant il leur faut dire adieu aux beaux jours où ils pouvaient manifester sans aucune sanction.

 

Ce matin, je touche 1 colis de 1 kg de pain que m’ont envoyé M et Mme Calmé et cet après-midi je reçois un 2ème colis d’un kg de la même provenance (sac de couchage, ½ livre de pain et 125 g de chocolat). Voilà au moins des amis qui comprennent mieux l’envoi de colis aux prisonniers qu’à Picauville.

 

Je reçois ce soir une carte d’Alphonse du 27 novembre dans laquelle il me dit avoir un peu de bronchite et également subir des restrictions au point de vue nourriture.

Je crois que le ravitaillement aussi bien en zone non occupée qu’en zone occupée commence à devenir assez difficile, les vivres doivent se faire de plus en plus rares.  

Mercredi 18 décembre

180ème jour de captivité. À Munster.

 

La terre est toujours couverte de givre et le temps est toujours froid.

Dans l’après-midi, on affiche les termes de l’accord qui est intervenu entre le Führer et Scapini.

D’après cet accord seuls seraient envoyés en congé les pères ou soutiens de 4 enfants mineurs dont la présence au foyer est nécessaire. Ce n’est donc pas là une mesure générale ainsi qu’on l’espérait.

Seraient également envoyés en congé les officiers du service de santé qui ne seraient pas désignés pour aller dans un stalag pour donner leurs soins aux prisonniers malades.

Il n’est nullement question dans cet accord des vieux officiers de plus de 50 ans. Les journalistes français ont été bien mal inspirés en inscrivant des articles qui ont donné espoir aux familles alors que ce qu’ils avançaient n’était pas réalisé.

Malgré tout il ne faut pas perdre tout espoir de voir un jour cette question sur le tapis, mais pour l’instant il n’y a rien de fait.

D’après le dit accord, 3 trains de 52 wagons seraient de vivres envoyés par le gouvernement français pour améliorer le sort des prisonniers.

 

Les journaux allemands parlent du grand geste du Führer qui aurait remis à la France les cendres du fils de Napoléon, le duc de Reichstadt.

Jeudi 19 décembre

181ème jour de captivité. À Munster.

 

Ce matin, il neige et la terre est entièrement blanche.

Dans les journaux allemands on a l’air de se préoccuper avec un peu d’anxiété de l’attitude que vont prendre en définitive les États-Unis. Si l’Amérique entre en guerre, je crois que le moral du peuple allemand subirait un rude coup.

 

Les Italiens subissent également de grands revers en Lybie et si Grazioni qui commande leurs troupes là-bas ne réussit pas à arrêter l’avance anglaise, je pense que le moral italien sera bien bas.

 

À l’appel ce matin, on nous annonce que 2 mallettes vont être tirées au sort pour l’étage aussitôt après l’appel. Comme toujours je n’ai pas de chance et les 2 mallettes vont aux capitaines Verjus et Albertini.

D’après les bruits qui courent dans le camp, les émeutes du 11 novembre à Paris auraient été assez graves ; une quinzaine de jeunes gens y auraient trouvé la mort.

De plus, la répression aurait été rigoureuse (une dizaine de fusillés et 500 déportés). (*)

Si cela est vrai, on peut-être enfin commencer à comprendre à Paris. Puisque nous sommes vaincus nous devons nous incliner et bien nous mettre dans la tête qu’il est maintenant trop tard de se rebeller. Puisque le peuple n’a pas voulu faire la guerre, il n’a plus qu’à se soumettre.

 

(*) : Plusieurs milliers de jeunes avaient protesté contre l'occupation allemande. Ils s'étaient rassemblés sur les Champs-Élysées et à l'Arc de triomphe en chantant la Marseillaise ou criant "Vive de Gaulle".

Ce rassemblement sera fortement réprimé par la Wehrmacht et la police française faisant un bilan de quinze blessés, deux disparus et quelque 1000 interpellations. Leur action est considérée comme l'un des premiers actes de résistance de la seconde guerre mondiale

Vendredi 20 décembre

182ème jour de captivité. À Munster.

 

Le froid s’accentue. C’est bien l’hiver avec ses rigueurs. Ce qui m’inquiète le plus c’est que la douleur de l’estomac (côté droit) ne fait que s’aggraver, j’éprouve une sensation de brûlure, de piqûres qui me laissent à croire que je dois avoir un ulcère.

S’il faut que la captivité dure encore longtemps, je crains bien ne pas voir la fin.

Que c’est triste à mon âge de penser que probablement il me faudrait mourir loin de sa famille, sans avoir revu mes chers enfants, sans leur avoir donné le suprême baiser.

Oh ! Mes chers petits : Fernande, Simone et toi mon cher petit Alphonse qui as aussi à souffrir de cette triste guerre !!...

 

Que les dirigeants de notre malheureux pays qui l’ont conduit à une telle catastrophe soient maudits !

Ils devraient déjà être fusillés s’il y avait une justice ; mais non, ils auront une petite condamnation et dans 2 ou 3 ans ils seront amnistiés et quelques années plus tard, le pays les verra revenir sur l’échiquier politique.

Que c’est triste !!...

J’apprends ce soir que demain j’aurai 2 colis à toucher.

Enfin on a donc compris que je pouvais recevoir davantage de colis. On y a mis le temps, mais j’espère maintenant être moins défavorisé.

Samedi 21 décembre

183ème jour de captivité. À Munster.

 

Le temps est très froid et il fait au moins -15°.

Par malchance, le chauffage fonctionne mal et il fait froid dans la chambre.

 

Ce matin 9h je reçois un 1er colis de 5 kg qui a dû m’être envoyé par Émile (3 pains, ½ livre de chocolat)

 

À 10 h, j’en reçois un 2ème expédié par mon cher Alphonse (biscuits, figues et 125 g de chocolat).

Nous n’avons toujours aucun renseignement concernant la libération des pères de 4 enfants et je commence à croire que le fameux accord Scapini-Hitler ne nous accorde que fort peu de chose.

Comme Briand, Scapini s’est bien fait rouler, mais il n’aurait pas dû apposer sa signature au bas d’un accord qui ne donne rien. Par ailleurs, le bruit court que ce fameux accord aurait été dénoncé après les émeutes qu’il y a eu à Paris le 11 novembre. Que croire ? Ici nous n’avons que de bien vagues informations.

 

Nous apprenons aujourd’hui que le fameux Thomas, journaliste parti du camp il y a une quinzaine de jours est maintenant à Paris où il écrit dans « Le Matin » et « Paris Soir » et par ses articles travaille au rapprochement franco-allemand.

Ce soir, je reçois 2 cartes d’Alphonse.

Dimanche 22 décembre

184e  jour de captivité. À Munster.

 

Temps toujours très froid. Cette nuit il y a eu plusieurs alertes à Münster. Des avions anglais sont venus de nouveau lâcher quelques bombes dans la région.

  Hier, nous avons touché venant du gouvernement français 7 biscuits et une savonnette « Palmolive ». Cette savonnette surtout me fait plaisir. Avec tous les biscuits touchés cette semaine et les 3 colis reçus, je ne sais plus où loger pain et biscuits. Si encore j’avais une mallette !!....mais je n’espère pas recevoir celle que j’ai demandée avant le début février.

Un camarade « Verjus » nous apprend que dernièrement les Anglais ont bombardé Verdun.

 

Nous apprenons aujourd’hui un fait regrettable qui a eu pour auteur un officier du Block IV. Il y a 3 jours alors que cet officier circulait dans le camp, il aurait reçu une pelletée de terre d’un civil allemand travaillant ici, alors ils auraient échangé des coups, et le civil allemand aurait été assez sérieusement malmené.

Conséquence de cet incident regrettable, notre camarade risque de passer en conseil de guerre où il peut attraper 2 ou 3 ans de prison.

 

Cet après-midi, distribution de suc envoyé par le gouvernement français, nous recevons environ chacun ½ verre de sucre cristallisé.

Lundi 23 décembre

185e jour de captivité. À Munster.

 

J’ai passé une partie de mon après-midi d’hier à écrire une lettre à ma Berthe et une carte à mon cher petit Alphonse.

Le soir, j’apprends que demain, j’ai encore 2 colis à toucher. Cette fois je ne vais plus savoir où mettre mon ravitaillement (pain & biscuits).

Nuit assez calme. Le temps reste au froid.

 

Ce matin, je reçois un premier colis (colis de 1 kg expédié par ma Berthe et contenant exclusivement des effets : flanelle, musette, chandail, main de toilette & savonnette). J’en ai un 2e à toucher cet après-midi c’est le colis de 5kg envoyé par Berthe.

L’arrivée de ces colis me fait bien plaisir et me prouve que là-bas, bien loin, à Picauville on ne m’oublie pas.

Dans ma prochaine carte, il faudra que je lui dise de ne pas se priver pour moi. Pauvres chéries, leur existence à elles non plus ne doit pas être agréable.

Ah vivement la fin de cette triste guerre que nous soyons tous réunis sans oublier, bien, entendu, notre cher petit Alphonse.

J’apprends ce soir par Mr Leconte qui a reçu une lettre de sa femme que les institutrices seront mises à la retraite à 50 ans et les instituteurs à 53 ans ; si cela est vrai comme c’est probable lorsque je rentrerai en France, en supposant que cette rentrée ait lieu d’ici peu de temps, je n’aurai plus que bien peu de temps à faire la classe.

Mardi 24 décembre

186e jour de captivité. À Munster.

 

Temps toujours pareil, froid sec.

Aujourd’hui, on nous paie le solde de la 2e décade de décembre soit 32 mark.

Depuis quelques jours, nous recevons quelques vivres supplémentaires envoyés par le gouvernement à l’occasion des fêtes de Noël. Nous recevons chacun un petit morceau de fromage de gruyère, un peu de compote de pommes, environ 1 cuillerée à soupe de confiture, la valeur de 2 petits Kub, c’est dire que c’est bien peu.

Les journaux allemands parlent toujours de l’avance anglaise en Cyrénaïque où les Italiens de trouvent en bien mauvaise posture. Les dits journaux parlent également beaucoup d’Amérique, on dirait que les dirigeants allemands craignent fort leur intervention.

 

Ce soir, je suis comblé au point de vue correspondance.

Je reçois en tout 8 (4 de ma Berthe, 2 d’Alphonse, 1 de Simone et enfin une de Leneveu). C’est pour moi une douce consolation de penser que là-bas on ne m’oublie pas, que souvent on pense à moi.

Pauvres chéris !!!

Pourvu que ma captivité ne soit pas trop longue que nous nous retrouvions tous en bonne santé !!

Demain Noël, c’est le 2e que je passerai en captivité, pourvu que ce soit le dernier !!

À l’occasion de Noël, nous avons une messe de minuit dans le Block précédée d’un petit spectacle (pastorale).

 

(*) : Le premier c’était le 25 décembre 1918.

Mercredi 25 décembre

187e jour de captivité. À Munster.

 

Après la messe de minuit, nous nous couchons vers 1h, aussi la nuit est plutôt courte.

Le temps est toujours semblable.

Dans la journée, de légers flocons de neige ne cessent de tomber et la terre en est couverte.

Par le « Trait d’union », journal des camps de prisonniers, nous apprenons quelques mauvaises nouvelles concernant les correspondances et les colis.

 

À dater du 1er janvier, non seulement nous n’aurons plus droit qu’à 2 cartes et 2 lettres par mois, mais il en sera de même pour nos familles ; les cartes et lettres qu’elles nous enverront leur seront transmises par nos soins.

Pour les colis, c’est encore plus grave.

À partir de la même date, ce sera le commandant du camp qui fixera le poids total des colis auxquels nous aurons droit par mois, aussi il est fort probable que ce poids ne dépassera pas 5kg. Nous enverrons nous même à nos familles les vignettes nécessaires à leur expédition, c’est dire que maintenant il faut dire adieu au système D.

dans de telles conditions il est certain que nous ne sommes pas quittes de souffrir de la faim, le plus dur n’est probablement pas passé, et ceux d’entre nous qui ont touché 120, 150 colis et qui ne mangeaient presque plus à la gamelle du camp vont être obligés d’en revenir.

Jeudi 26 décembre

188e jour de captivité. À Munster.

 

Temps toujours semblable. Dans la journée, la neige tombe en légers flocons et ce soir, une couche de 3 à 4 cm cache le sol.

D’après un nouveau tuyau, les Allemands seraient entrés en Suisse, si cela est vrai, cela expliquerait le bombardement de Zurich et Berne par l’aviation anglaise.

Aujourd’hui, le temps parait particulièrement long, car comme hier, les Allemands ne travaillent pas et il n’y a ni lettres ni colis. L’existence du prisonnier consiste à attendre en effet des nouvelles de France.

 

Un camarade du camp, le Lieutenant Combuxelle, dans le civil instituteur dans la Meuse, qui était avec nous à Bosserville, a reçu une lettre de Le Cann.

Ce dernier ayant été reformé (perte à peu près complète de la vision d’un œil) se trouve maintenant chez lui à Rennes où il a repris sa place aux usines Shell. Qu’est devenu le capitaine Labbé, que nous avions laissé avec lui, en tant que Breton à Bosserville ???

S’il lui a fallu prendre le chemin de l’Allemagne, il a dû se faire sérieusement de la bile, car dès à Nancy il avait déjà bien mauvais moral.

Avec les radiateurs la température de notre chambre dans la soirée est par trop élevée et ce soir j’ai bien du mal à m’endormir, d’ailleurs notre paillasse est si dure qu’il me faut à tout moment changer de position.

Vendredi 27 décembre

189e jour de captivité. À Munster.

 

Ce matin, le temps est moins froid et il dégèle un peu, mais les allées du camp sont si glissantes qu’il n’est guère possible de s’y aventurer sans risquer la chute.

Un nouveau bobard court dans le camp, d’après lequel 600 d’entre nous pris parmi les plus jeunes quitteraient prochainement le camp et y seraient remplacés par 600 camarades choisis parmi les plus âgés. Comme le camp est certainement un des mieux installés, il est fort possible que les Allemands y fassent venir les plus vieux officiers.

D’autres camarades voient là un rassemblement de vieilles classes pour un départ éventuel.

 

Les journaux allemands ont publié le rapport adressé par le Général Graziani, commandant en chef des forces italiennes en Lybie, au Duce. D’après ce rapport qui avoue l’échec des forces italiennes, il semble bien que le corps expéditionnaire de notre sœur latine ait subi là-bas un très grave échec.

Contrairement à notre espoir, nous n’avons pas encore de correspondance ce soir, les censeurs n’ayant pas encore travaillé aujourd’hui. Par contre, nous avons à écrire la dernière carte du régime actuel, carte qui doit partir demain.

À partir du 1er janvier nous n’aurons plus à notre disposition que 2 cartes 2 lettres par mois et ce qui est encore plus grave, c’est qu’il en sera de même pour nos familles.

Samedi 28 décembre

190e jour de captivité. À Munster.

 

Ce matin, le terrain est toujours glissant et il n’est guère possible de sortir. Pourtant rester toute la journée dans la chambre à respirer un air vicié par nos respirations et la fumée de tabac est plutôt à appréhender.

À l’appel ce matin, on nous annonce que le camp doit recevoir aujourd’hui la visite d’officiers français venus en Allemagne visiter les camps de prisonniers et se renseigner un peu sur la vie que nous y menons.

 

Cette visite a lieu cet après-midi sous la forme d’un officier français en civil, cet officier s’est borné simplement à visiter les diverses installations du camp, cuisines, douches, théâtre. Il est probable qu’il n’a même pas interrogé un seul camarade pour recevoir nos doléances.

D’après certains bruits, des départs du camp pour rentrer en France auraient lieu à partir du 15 janvier, en commençant par les grands blessés, suivis par le service de santé et par les pères de 4 enfants mineurs.

 

D’après certains bruits les Allemands craindraient dès les premiers beaux jours, un bombardement massif par l’aviation anglaise de la région de la Ruhr.

En conséquence, les élèves des grandes écoles, lycées, collèges partiraient d’ici très peu de temps pour l’Autriche.

 La ville de Dortsmund serait particulièrement visée.

Dimanche 29 décembre

191e jour de captivité. À Munster.

 

Par des camarades j’ai appris hier soir les prix exorbitants atteints par le bétail. Une bonne vache vaut de 12 à 13000 F. Un cheval de 25 à 30 000F, c’est assez dire combien vaut en ce moment notre franc.

Et qui va encore supporter tout le poids de cette dévaluation ?

Les petits fonctionnaires vont de nouveau être les premiers victimes, car eux, faisant confiance à l’Etat, ont pour la plupart placé leurs économies en rentes dur l’État. Pour moi je vais perdre dans cette histoire les ¾ de ce que je possède.

S’être restreint toute une vie pour faire quelques économies et les voir ainsi disparaître, ce n’est pas gai.

 

Nous avons aujourd’hui quelques tuyaux relatifs à la visite du camp par le capitaine Lombard. Ce capitaine venu de Lyon est chargé d’établir la liaison entre le gouvernement Pétain et la commission Scapini à Berlin.

L’Allemagne ne nous considérerait pas comme prisonniers mais plutôt comme otages vis-à-vis du gouvernement français.

D’autre part la libération des toubibs ne saurait tarder. Enfin en ce moment la commission Scapini s’occupe spécialement des pères de 4 enfants et des plus de 50 ans ; Les deux questions étant traitées de pair.

 

De nouveau j’ai attrapé un fort rhume, je tousse et je crache. Le rein droit me fait aussi très souffrir.

Ah ! C’est dur à mon âge de subir toutes les privations que nous impose la captivité.

Lundi 30 décembre

192e jour de captivité. À Munster.

 

Ce matin, la terre la terre est couverte d’une couche d’au moins 10 cm de neige et le froid est très vif.

On affiche aujourd’hui dans les blocks les réponses de la commission militaire faise qui est venue il y a deux jours visiter le camp, à une série de questions qui leur ont été posés. Voici quelques questions et la réponse qui y a été faite :

1° Libération des pères de 4 enfants & plus

---> R- Rien d’officiel, à l’étude

2° Libération des prisonniers âgés de plus de 50 ans

---> R- Rien d’officiel

 

Donc en ce qui concerne ceux qui sont dans mon cas, rien n’est encore fait. Espérons qu’en janvier on s’occupera un peu de nous.

Ah ! Pauvres prisonniers que nous sommes, l’Allemagne nous considère comme des otages et pour elle notre libération doit se monnayer. Il faudra que la France achète notre liberté.

Voilà une semaine que nous n’avons pas de correspondance ou si peu qu’il vaut mieux ne pas en parler, et il ne faut pas en attendre avant le 3 janvier, car avec ces fêtes de Noël et du jour de l’an les censeurs se reposent.

Mardi 31 décembre

193e jour de captivité. À Munster.

 

Temps très froid. L’hiver commence à se faire sentir.

Enfin voilà l’année arrivée à sa fin.

Ah ! Cette année sera de bien triste mémoire, elle aura vu la défaite honteuse de notre pays, défaite telle qu’aucune honte semblable n’a affligé notre pauvre France qui dans cette triste guerre aura perdu tout son honneur et tout son prestige dans le monde.

Ah ! Quelle responsabilité pour ceux qui nous ont menés à la catastrophe. Espérons que pour eux le châtiment sera exemplaire, malheureusement je n’y crois guère, car depuis plusieurs mois déjà les plus grands coupables auraient dû payer de leur vie le mal qu’ils ont fait.

En cette fin d’année 1940, souhaitons que 1941 soit plus clémente pour nous. Que l’année qui va commencer voie d’abord notre libération, qu’elle voie aussi un changement de moralité parmi les Français, surtout parmi la jeune génération, celle qui a fait suite à la grande guerre qui pour une bonne part a été la cause de notre défaite.

 

Aussi est ce sans regret que nous voyons finir cette année 1940 qui dans l’histoire de notre malheureux pays pourra être marquée d’une pierre noire.

Jamais la France n’a été si bas qu’en ce moment, et je pense que son redressement demandera de longues années, il y a tellement de choses à changer.

Le régime était bien pourri, particulièrement par la tête.

 

 

NOTES DE DECEMBRE

 

D1

…………………………………………………………………………………

…….

L2

…………………………………………………………………………………

…….

M3

3 Kola 0,75 ; 1 [ill] 0,50 ; cheveux 1

2,25

M4

…………………………………………………………………………………

…….

J5

Saccharine 1 ; remboursable (cornichons, fromage blanc 0,41)

1,41

V6

Clous 1…………….savon…………………………………………………….

1,00

S7

Pour pied de fer 0,30

0,30

D8

…………………………………………………………………………………

…….

L9

…………………………………………………………………………………

…….

M10

…………………………………………………………………………………

…….

M11

…………………………………………………………………………………

…….

J12

Crayon 0,15

0,15

V13

1 bière, 3 kolas 1,25 ; pierre à aiguiser 0,15

1,40

S14

1 porteplume 0,10

0,10

D15

…………………………………………………………………………………

…….

L16

Touché 32 marks

 

M17

Etui à cigarettes 2,30

2,30

M18

Versé pour ordonnance 0,80 ; agenda 1,30

2,10

J19

Remboursable 0,83

0,83

V20

Tabac 6,60

6,60

S21

…………………………………………………………………………………

…….

D22

…………………………………………………………………………………

…….

L23

…………………………………………………………………………………

…….

M24

3 kolas 0,75. Reçu 32 marks

0,75

M25

…………………………………………………………………………………

…….

J26

…………………………………………………………………………………

…….

V27

…………………………………………………………………………………

…….

S28

…………………………………………………………………………………

…….

D29

…………………………………………………………………………………

…….

L30

Tabac 0,32

0,32

M31

Versé pour ordonnance 1 ; 3 kolas, 1 bière 1,10

4,10

 

[ill.] 2

1,19

 

 

Comptes. Laissé à Picauville (portefeuille) 20 500 F.

Janvier 1940

Vendredi 19

Apéritifs

20 F

Samedi 20

Tournée popote 132ème R.I.F (pourboires cuisiniers)

10 F

Dimanche 21

 

 

Lundi 22

 

 

Mardi 23

Payé popote Montmédy (5 repas)

90 F

Mercredi 24

 

 

Jeudi 25

Journal

0,50 F

Vendredi 26

1 litre d’essence de térébenthine

8 F

Samedi 27

 

 

Dimanche 28

Payé pour 10 paquets de cigarettes

10 F

Lundi 29

 

 

Mardi 30

1 couteau 11 F, 1 kg de sucre 6,5 F

17,50 F

Mercredi 31

Lavage linge 10 F, pourboire Quesnot 20 F

30 F

 

Total

186 F

 

En caisse au 1er : 6 683 F

Février 1940

Dépenses

Jeudi 1er

 

 

Vendredi 2

 

 

Samedi 3

Payé popote

260 F

Dimanche 4

1 bouteille Raphaël Manville ( ?)

25 F

Lundi 5

 

 

Mardi 6

Donné pour Morin Marcel

10 F

Mercredi 7

Journal 0,50 F ; 2 boites cirage 5F ; 5 litres de rhum 45 F

50,50 F

Jeudi 8

 

 

Vendredi 9

 

 

Samedi 10

1 [ill.] belge 8 F ; 1 [ill.] belge 5,50 F ; 1 paquet tabac belge 4,50 F

18 F

Dimanche 11

Apéritifs 12 F ; partie bridge 6 F ; popote 282 F ; pourboires Coblin 10 F ; popote Vazin 20 F

330 F

Lundi 12

 

 

Mardi 13

 

 

Mercredi 14

 

 

Jeudi 15

Apéritifs 10 F

10 F

Vendredi 16

Journal 0,50 F

0,50 F

Samedi 17

Mandat 300 F ; [ill.] bottes + 110 F ; popote 48 F

458 F

 

1 162 F

 

Février suite

 

 

Report

1 162 F

Dimanche 18

Apéritifs

9,25 F

 

Lundi 19

Apéritifs mess sous off

12 F

Mardi 20

Achat tabac belge (carte)

110 F

Mercredi 21

[ill.] 5 F; aperitifs 12 F

17 F

Jeudi 22

 

 

Vendredi 23

Payé paille avoine pour chevaux

20 F

Samedi 24

Versé pour verres pris à la popote 47 F ; frais mandat de 300 F pour Emile 4F

12,25 F

Dimanche 25

Apéritifs avec J. B. [ill.] 9,25 F ; popote (amendes) 3 F

12,25 F

Lundi 26

Frais envoi colis chaussures

8,25 F

Mardi 27

Payé lavage linge 2 semaines 10 F ; donné pourboire à [ill.] 20 F

30 F

Mercredi 28

Apéritifs

15 F

Jeudi 29

Pourboire Chéreau

25 F

 

Total

1 472,75 F

 

Mars 1940

En caisse au 1er : 9 580,85 F

Dépense : 1 407,00 F

Reste : 8 073,85 F

+ Solde mars : 4 113,60 F

En caisse au 1er avril : 12 187,45 F

15 Air Liquide +8 +10      32 000 F

66 Courrières

43 Lens

10 Nickel

8 Rhône Poulenc

7 Gaz et Eaux

7 Rali

27 [ill.]

1 ch. Du Tonkin

6 Longroy

2 [ill.]

 

 

Avril 1940

En caisse au 1er avril : 12 187,45 F

Dépenses avril : 1 533,10 F

Reste : 10 654,35 F

Solde avril : 4 547 F

En caisse au 1er mai : 15 201,35 F

 

Mai 1940

En caisse à ma rentrée de permission le 12 mai : 2 700 F

Dépenses fin mai : 430 F

Reste : 2 270 F

Solde mai : 4 459,60 F

En caisse au 1er juin : 6 729,60 F

 

Juin 1940

En caisse au 1er juin : 6 729,60 F

 

Septembre 1940

Reçu 4 septembre : 32 marks

11 septembre : 32 marks

17 septembre : 32 marks

27 septembre : 32 marks

128 marks

Dépenses : 20,36 marks

Reste : 107,64 marks

 

Octobre 1940

Recettes 8 octobre : 32 marks : 107,64

1 octobre : 32 marks :128

19 octobre : 32 marks :235,64

24 octobre : 32 marks dépenses : 26,64

Total : 128 marks ; reste : 209

 

Novembre

En caisse au 1er : 209 marks

Reçu 13 nov. : 32 marks

Reçu 27 nov. : 32 marks

Total : 273 marks

Dépenses : 14,35

Reste : 258,65

 

Décembre

En caisse au 1er : 258,65

Reçu 30 nov. solde 3ème décade : 32

16 déc. – 1ère décade de décembre : 32

24 déc. – 2ème décade de décembre : 32

Total : 354,65

Dépenses : 25,80

Reste : 328,85

 

Janvier

En caisse au 1er : 328,85

Reçu le 2 janvier (3ème décade de décembre) : 32

 

                                Secret

Ordre de réquisition individuelle

En exécution des prescriptions de l’article 14 de la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation générale de la Nation pour le temps de guerre, par ordre du ministre du Travail.

M. Gillette Alphonse

Demeurant 69 rue Fontaine la Mallet, Le Havre, Graville se présentera le 26 février 1940 à ... heures à la Société Française de Travaux Routiers, rue Démidoff au Havre où il sera employé en qualité de mécanicien jusqu’à nouvel ordre.

En vertu de cet ordre, l’intéressé a droit à un traitement où un salaire calculé dans les conditions fixées à l’article 15 de la loi du 11 juillet 1938.

L’inexécution des présentes dispositions entrainerait les sanctions prévues à l’article 31 de la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation de la nation pour le temps de guerre.

Rouen le 23 février 1940

Pour le préfet et par délégation,

L’inspecteur du travail, chef de service de la mobilisation individuelle.

(Cachet)                                               signé illisible

 

Papillon collé : dans le cas où le titulaire du présent ordre de réquisition ne répondait pas à la convocation, il serait poursuivi devant le tribunal compétent et s’exposerait de ce fait à être condamné à une peine pouvant atteindre de 6 jours à 5 ans d’emprisonnement et à une amende dont le minimum est fixé à 50 F par l’article 31 de la loi du 11 juillet 1938.

 

Fin du 7ème carnet.

 

Il n’existe pas de suite. Nous ne saurons donc pas ce qu’est devenu Ferdinand. Quand fut-il libéré ?

Pourquoi ces 7 carnets se sont retrouvés dans une vente aux enchères ?

Existe-t-il un 8eme carnet ?

 

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