Sommaire :
Ø II--Pour mémoire quant à son « journal »
Ø III--Journal de route de Paul Gross
Bruno nous dit de son grand-père :
« Âgé de 22 ans en août 1914, Paul Gross, depuis le champ de bataille de
l’Argonne, écrit à sa fiancée, Louise Follenfant,
demeurant à Paris (tous les 2 nos futurs grands-parents maternels) et lui fait parvenir
son « journal de route ».
Pages écrites durant ses 3 premiers mois de guerre : août,
septembre et premières semaines d’octobre 1914.
Journal qui énumère au jour le jour ce qu’il a fait et
s’est produit depuis son départ d’Orléans.
C’est écrit de façon – clinique - , sans aucune
fioriture. »
« Paul
Gross est polytechnicien.
Après sa 2ème année d’études effectuée en 1913/1914 –la 1ère l’avait été en 1912/1913 au 36è
RAC- il se préparait à effectuer sa 3è
année de l’X et déjà prêt moralement à vivre une guerre entre la France et
l’Allemagne dont on pressentait depuis longtemps l’arrivée.
Guerre attendue avec beaucoup de craintes dans le pays,
guerre vivement souhaitée par certains milieux, guerre que l’on savait venir,
tout l’annonçait. »
« Paul
Gross est alsacien, issu
d’une famille de Brumath dans le
Bas-Rhin, éprouvée durement lors de la guerre de 1870 qui s’est expatriée en
partie vers l’intérieur –les plus âgés étant restés sur place pour conserver la
propriété des biens, tout en restant français-
et aux USA à Baltimore (Md), pour d’autres.
Famille détruite dans son unité par l’annexion de 1871.
Famille déracinée. »
« La récupération de l’Alsace et de la Lorraine est
pourtant bien dans les cœurs et les espoirs des Français, idée très entretenue
via la presse et des groupes politiques animés d’un esprit de revanche légitime politiquement.
C’est comme une nourriture morale, psychologique, une
réparation à effectuer, une insulte à effacer, une injustice à faire payer. Une
mémoire sans cesse vivifiée par des
groupes politiques et militaires, au centre de toute la propagande.
Voilà qui ne se discutait pas ou ne se critiquait que de
façon mesurée, même si une perspective guerrière ne plaisait pas, mais la
puissance décrite ou démontrée de nos armées et l’armement moral donnaient le
sentiment à tout un chacun, ou presque, que ça se passerait vite si cela venait
à arriver. Pour ceux issus des provinces annexées ça ne se contestait pas.
De surcroît l’Allemagne était menaçante en permanence et
depuis plus de 20 ans, son espace vital déjà, les alliances nouées entre de
nombreux pays et des rivalités industrielles, commerciales et militaires en Europe et dans le monde.
Enfermée dans ses frontières, sans colonies ni vraie
puissance maritime. Tout cela ne pouvait que faire monter les indiscutables
tensions. »
« Paul Gross est issu d’un milieu comme
modeste, son père contrôleur-interprète
des wagons-lits sur l’Orient Express meurt d’une chute de train à 30 ans,
laissant sa jeune femme et son fils âgé de 8 ans, en 1900.
Sa mère travaillait chez son propre père à elle, dans un
commerce de café, vins, bois, charbons, face à une des portes du cimetière du
Père Lachaise. Elle a, dés lors, assuré seule l’éducation de son fils, soutenue
moralement par les deux familles sans leur accorder cependant aucun droit de
regard sur l’avenir de son fils.
Sa mère, femme très solide, ne savait lors de son mariage à
l’âge de 19 ans, ni lire ni écrire et signait d’une croix. Pourtant tout au
long des études de son garçon, de l’école primaire au lycée Chaptal, jusqu’à la
préparation à Polytechnique et l’entrée avec succès en 1912, elle est là, le
soutient, lui fait faire, défaire et refaire ses « devoirs » sans d’ailleurs
savoir si c’était à tort ou à raison.
Pour le principe et afin que rien ne soit laissé au
hasard. »
« Pas de nourriture abondante non plus, ni riche en
toutes choses comme cela est de nos jours.
Souvent du pain et du café au lait avec quelque maigre
complément ordinaire de saison faisait un repas le soir. Une lampe à pétrole
éclairait la pièce principale. »
« C’est grâce à une bourse obtenue au Lycée Chaptal
que Paul Gross a pu poursuivre et
atteindre un niveau d’études et de réussite incontestables.
Une éducation sérieuse donnée dans le respect de valeurs
rigoureuses:
« Ça se fait ! Ça ne se fait pas ! La parole, la morale, la
tolérance, le savoir, le partage, les autres, la famille, l’empathie, le
travail et l’endurance, sans oublier un seul jour le patriotisme »
Entre autres valeurs quotidiennes !
Voilà qui ne souffrait pas de laisser aller.
Il a eu ainsi l’habitude de dire ensuite dans la vie que «
l’on n'est jamais vaincu tant que l’on ne s’est pas battu jusqu’au bout »
Mobilisé, il est Parti de Paris pour Orléans au
cantonnement d’artillerie du 30è RAC, alors qu’il devait entrer en 3è année de
Polytechnique.
Il est déjà sous-lieutenant, ayant fait sa 1ère année au
36è RAC, nommé aspirant fin 1912.
Il avait préféré commencer par cette étape et ne pas
attendre la fin de ses études à l’X pour le faire. Ce fut un choix qu’il a
apprécié par la suite lorsque la guerre a été déclarée. Il a ainsi, comme il
l’a dit souvent, pu « faire son devoir » tout de suite.
Il est alors au départ d’Orléans, pour la Meuse, nommé à une batterie du 13è RAC, régiment
jumeau du 30è, partis pour combattre en Argonne, les deux divisions
d’infanterie dont ils faisaient partie, la 10è DI et la 9è DI, occupant le même
territoire de batailles durant les années de guerre.
Rappelons aussi,
quant aux courriers et journaux, que nombre de militaires dans les grades
d’officiers, subalternes en tout cas, n’avaient pas le temps d’écrire beaucoup
ou longuement en raison des problèmes d’organisation liés aux déplacements des
régiments, de leurs unités et des localisations ; mouvements souvent sans répit
aucun, épuisants, harassants et éreintants pour les hommes, sans omettre le
sort difficile des bêtes de somme associées à leurs destins.
Des dépêches étaient expédiées aux leurs, via le service
postal des armées, des cartes formatées,
des lettres rapides aussi.
Mon grand-père expédia autant qu’il l’a pu, durant 52 mois
de combats incessants, des dépêches, des télégrammes ou des courriers sans
détails. L’important était de ne pas rater le passage et le dépôt de ceux-ci
aux vaguemestres ou à la poste militaire pour donner des signes de vie aux
leurs. Les leurs, parents, fiancées, épouses, enfants, familles dont ils
attendaient des nouvelles également pour les soutenir.
Au fur et à mesure, les hommes et les structures
s’installant dans une guerre longue, un grand nombre d’entre eux, de tous les
grades prirent le temps, entre les assauts et les attaques, durant les pauses,
en position de réserve et/ou de repos, d’écrire un journal.
Les Français savaient tous écrire, lire et compter à cette
époque. La république avait réussi à éduquer les siens de par tout le
territoire national, villes et campagnes, avec ses hussards noirs, depuis
l’instauration de l’éducation obligatoire.
Beaucoup de soldats arrivèrent jusqu’au bout de la guerre
avec leurs carnets. D’autres, blessés gravement, ou tués, n’avaient pas eu ou
pu continuer. De nombreuses lettres et cartes sont parvenues et restées chez
les destinataires ; d’autres bloquées par la censure sont dans les archives. On en retrouve de plus en plus qui
racontent tant et tant… l’indicible si l’on peut dire.
Des journaux détaillés – quant au moral, aux vécus, aux
réflexions et émois, peurs, angoisses, dépressions et espoirs, désespérances et
misères physiques et morales – ont réussi à passer les décennies et se trouver
pouvoir être lus, avec émotion, recul surpris ou interrogatif, curieux ou froid
de nos jours, 98 ans après le début de cet horrible destruction de l’humanité
et de ses valeurs. Quelle gigantesque fresque humaine !
Les officiers, détenteurs d’ordres, d’informations, de
plans d’actions reçus de leurs supérieurs quant aux mouvements, destinations ou
nature des attaques, succès ou échecs, aux pertes et états des positions du
moment etc. ne pouvaient écrire au-delà des sujets personnels, car rien dans
les correspondances risquant d’être lues, en tombant entre des mains ennemies,
ne devait y figurer.
Toutes les informations qui pouvaient nuire au moral du
pays, favoriser des opinions contraires à celles admises officiellement et aux
assurances positives données à l’arrière, étaient surveillées, coupées ou
bloquées.
D’où une censure puissante, omniprésente et de nombreux
avertissements donnés à tous les militaires et en particulier aux gradés – plus
au courant que d’autres-.
Un général en 1914
ou 1915 (le fait est connu) ayant communiqué avec imprudence ou, a-t-on dit
aussi, afin de faire mettre de côté ses impressions et récits personnels de
guerre (souvent pour les publier après le conflit), avait confié à l’un de ses
amis personnels, civil parisien, des commentaires sur une bataille et des
objectifs. Ceux-ci s’étant trouvés rendus publics, ce général a été démis ipso
facto de toutes ses fonctions par le général Joffre
et mis aux arrêts. Il y avait en vigueur des instructions permanentes, des
vérifications, des rappels à l’ordre.
Paul Gross en fait état quand il écrit dans
ce courrier qu’il ne peut plus, à partir de cette fin d’octobre 14, tenir un
journal de route et le faire parvenir, ceci pour ne pas délivrer un quelconque
renseignement sur ses localisations, les mouvements et les unités engagées.
Il faut savoir que lorsque les généraux (et les colonels
exerçant des grands commandements) décédaient durant ces années de guerre et
ensuite jusque tard dans les années 20, les services de l’armée et la
gendarmerie perquisitionnaient immédiatement au domicile de ces officiers.
Ils saisissaient tous leurs papiers pour en extraire ce qui
pouvait concerner la guerre et des secrets de défense nationale, empêchant de
plus le risque de publications. Le tout était remis aux services militaires
spécialisés.
Ils ont été interdits de consultation et donc invisibles
jusqu’à nos jours.
Aujourd’hui 17 octobre,
je commence à t’écrire mon odyssée depuis le départ d’Orléans.
D’abord
apprends que la première lettre que tu m’as adressée, sans mon adresse exacte,
je ne l’ai jamais reçue, de même celle qui a du rester à St Pierre le Moutier et que tu pourrais réclamer.
Je suis parti le 10
août à 10h56 de la gare des Aubrais
par Malesherbes, Macquigny (?), Troyes, Bar le
Duc, St Mihiel.
Je suis arrivé le 12 à 4h du matin à Bannoncourt où nous avons débarqué à 4h30.
A 8h30, nous arrivons à Thillombois
d’où tu as reçu une lettre. J’étais logé dans le château avec tous les
officiers, et le propriétaire avait mis gracieusement à notre disposition cave
et cuisine ainsi que salle à manger et vaisselle.
Nous sommes partis le 14 (août) à 6h du matin pour les Monthairons, au bord de la Meuse, entre St Mihiel et Verdun.
J’étais logé chez une brave femme dont le mari était dans
un fort. Il pleuvait averse à cette époque.
Le 16 à 6h30, nous sommes partis pour aller à Haudainville, sur la rive droite de la Meuse, à côté de Verdun. J’étais
chez la femme d’un garde forestier, magnifiquement logé, et cette brave dame
mettant tout à notre disposition.
Il pleuvait tellement que les chevaux étaient dans la boue
jusqu’au ventre, et le lendemain il fallait les arracher avec des cordes, du reste
on en a perdu un.
De là je t’envoyais une dépêche le 17, car depuis le 8
j’étais sans nouvelles de toi, toutes tes lettres je ne les ai reçues que bien
plus tard. Elle était mise à Verdun et une lettre le 18 de Vaux-devant-Damloup, que j’ai mise à Étain avec un timbre dessus.
Je ne sais si tu l’as reçue.
A Vaux-devant-Dambuy,
nous étions logés dans une maison abandonnée. J’ai commencé à souffrir de
l’estomac et à me mettre aux œufs et lait, à cette époque il y en avait encore.
Enfin le 21 à 7h, nous partons paraît-il pour faire 4 kilomètres, mais Ornes, Azannes, Maugiennes, défilent
devant nous sans arrêt et enfin, à 6h du soir nous arrivons à Noers prés Longuyon, ayant fait 35 kms,
et s’arrêtant parce que les chevaux étaient à bout.
Nous y cantonnons, les Allemands étaient partis de deux
jours et y étaient restés 3 heures seulement. Nous étions logés chez l’adjoint
au maire, M. Simon.
Très bien reçus, mais hélas le lendemain 22 à 2h de l’après-midi, après une canonnade
épouvantable entendue toute la nuit et tout le jour, nous partions vivement et
nous continuions à St Laurent-sur-Othain,
pensant n’y rester que quelques heures.
J’ai couché chez une brave femme où j’ai laissé mes
chaussons car le lendemain à 6h nous partîmes rapidement nous placer sur la
route entre Azannes et Mangiennes.
C’est à Mangiennes
qu’avait eu lieu le premier combat quelques jours avant et nous y avons
rencontré les premières tombes que la guerre avait creusées. De cet endroit
nous sommes allés coucher à Villers-les-Mangiennes.
Ce fut une nuit atroce, un mélange de toutes les armes avec
un continuel défilé de blessés. Tout alentour les villages brûlaient, Longuyon, Noers où nous avions couché,
et nous nous attendions à pis encore.
Le matin du 24 à 5 heures, nous partîmes à Merles tout prés à 2 km, de là à 9h nous retournions à St Laurent s/Thain pour ravitailler.
C’était le baptême du feu, peu violent du reste car la
lutte n’était pas ardente. Dans la matinée nos troupes se repliaient en ordre
et nous allions à Moiry au sud de Damvillers puis à Réville, où nous arrivions à 9h du soir absolument éreintés.
Nous partions pour Sivry-sur-Meuse
où nous passons l’après-midi et à 6h du soir pour Dannevoux où nous couchons.
A quatre heures le matin départ pour Avocourt, d’où je t’ai envoyé une dépêche, c’était le 26 août.
La Meuse était franchie par nos troupes, les ponts
sautaient et sans doute Longwy était prêt de se rendre après une défense
héroïque : un bataillon de chasseurs et quelques artilleurs avaient tenu
pendant 16 jours sous une pluie d’obus.
La moitié de la garnison était hors de combat. Te dépeindre
notre angoisse, après l’espérance que nous avions eue en voyant nos succès en
Alsace, c’est impossible.
Le 21, nous étions à 8 kms de la Belgique espérant franchir la
frontière le lendemain, hélas le 26 nous
avions repassé la Meuse, et les pays que nous quittions étaient brûlés ou
pillés par les Allemands.
De Dannevoux, le 27 à 7h du
matin, nous partions pour Vienne-le-Château,
en passant par
Varennes où fut arrêté Louis XVI et traversant la magnifique forêt
d’Argonne.
A Vienne ce fut
pendant deux jours et demi une vie agréable dans le château de M. Legrand dont le gendre est capitaine
d’état-major.
Hélas à ces gens nous assurons que les Allemands n’iraient
jamais à Vienne, qui aujourd’hui est
en ruines.
De là je te télégraphiais encore et pour la première fois
j’avais de tes nouvelles depuis mon départ. Tu t’expliqueras maintenant la
teneur de mes cartes et ma lettre à Olga.
Je ne vivais pour ainsi dire plus.
Le 30 à 9h du matin, nous allions à Aubréville
en passant par les Solettes dans un
défilé magnifique et Clermont-en-Argonne,
nous y cantonnons.
Le 31, dés le matin nous allons à Epinonville où nous ne trouvons pas de vin, l’eau n’est pas
potable, et mon estomac recommence à m’embêter.
Pour comble de bonheur je couche dans la paille et il fait
une chaleur atroce.
Voilà ma chérie ma vie au mois d’août.
Comme dans un feuilleton, j’écris la suite au prochain
numéro.
Si cette lettre te parvient, une autre suivra pour une
partie du mois de septembre car je ne peux donner aucun renseignement
susceptible de faire connaître ma position actuelle.
Hier 31 août nous étions à Aubréville prés de Clermont.
Ce matin à 6heures, départ pour Epinonville prés de Montfaucon.
Pas d’eau potable.
Chaleur terrible, en arrivant je m’étends sur l’herbe et je
dors sans songer à déjeuner.
La nuit je me couche sur du foin dans une grange
7heures du matin, je pars avec 6 caissons de munitions en
avant de ma section pour aller au sud de Romagne-sous-Montfaucon
ravitailler.
Là je suis embouteillé dans le village. Toute l’artillerie
recule et je vais moi-même au quartier général chercher des ordres.
Vers 11 heures du
matin, je sors du village, et je reviens
de nouveau pour aller au nord-est de Currel
ravitailler des échelons dans un bois.
Je suis guidé par un s/lieutenant et j’entends des
explosions dans le bois.
« Ce sont nos pièces
? » que je demande.
« Non, me répond-t’il,
ce sont des marmites boches qui tombent ».
J’étais renseigné, effectivement un instant après, dans le
bois où se trouvaient les échelons, je percevais distinctement le sifflement de
l’obus, le bruit des branches cassées et l’éclatement.
Je vis revenir un capitaine d’infanterie blessé, qu’on fut
obligé de mettre sur un brancard pour le transporter.
Je rejoignais à travers champ ma section qui était à la
sortie sud de Romagne.
Enfin, à 2h de
l’après-midi, départ.
Arrivé à Eglisefontaine,
nous recevons l’ordre d’aller nous ravitailler en obus en convoi automobile, en
route à la sortie sud de Varennes.
Je souffrais atrocement de ma conjonctivite, mon cheval
était éreinté et je fis le reste de l’étape à pied. La chaleur était terrible.
Enfin à 5h30 nous arrivons à ce fameux convoi.
A 9h du soir seulement, nous avons fini, aveuglés par toute
l’artillerie automobile qui passait, fourgon, autobus, cyclistes ; une
poussière épouvantable et à chaque instant le risque d’être écrasé.
L’armée entière battait en retraite, après avoir maintenu
l’ennemi quatre jours sur la Meuse. Nous allâmes contourner à Aubréville, où nous arrivons à 11h30 du
soir, sans rien pour nous loger que la belle étoile.
Un de mes brigadiers, ne voulant pas que je couche, ni dehors,
ni sur la paille, frappe à une fenêtre et me trouve une chambre avec un
matelas.
Je m’endormis comme une souche.
Réveil à 4h30 par mon ordonnance, on part pour Parois à 2km
de là. Le major me prête une paire de conserves (?) jaunes pour mes yeux. Je me
couche dans un bon lit chez de bonnes gens, mais le pays est infect.
4h du matin, réveil et départ pour Villote-devant-Louppy où nous arrivons à 3h de l’après-midi, mais à
9h du soir, nous recevons l’ordre d’aller à Chardogne.
Nous partons à 11h du soir et nous arrivons à 4h du matin.
Je dormais à cheval tellement j’étais éreinté, il faisait une chaleur terrible
et mon dolman était dans un bel état.
Nous nous reposons toute la journée.
La foule des émigrés continue à passer devant nous et les
habitants du pays s’apprêtent eux à partir. J’arrive à me loger, mais de 10h du
soir à 2h du matin, je ne fais que vomir et d’avoir la diarrhée.
Le major vient et me donne du calmant.
4h du matin, j’apprends le départ de la section pour Louppy-le-Petit, mais mon capitaine,
(celui de la 11ème) refuse de me faire prendre par un fourgon.
Je me lève à 7 heures, et donnant mon sac au lieutenant Cornu je pars à pied pour rejoindre ma
section.
Mon malaise est passé ; je suis seulement bien fatigué.
A 8h30 j’arrive à Louppy
et mon capitaine est terriblement vexé de me voir, il est alors charmant pour
moi.
Ma section reçoit l’ordre d’aller à Laimont ravitailler, quant à moi impossible de tenir à cheval. Je reste
dans la fourragère que je dirige sur Fains
prés de Bar-le-Duc.
J’ai raté là une belle bataille.
Le général Roques
fut tué devant Villers-au-Vent en
ralliant des fuyards du 89è, et le général Micheler
en tua un de sa main.
Le soir à Fains, nous partons
pour Veel où nous arrivons à 9h. Je
me couche dans un château à moitié abandonné et pillé, avec un révolver sous ma
tête, car la maison ne m’inspire pas confiance.
A 11h réveil, nous partons nous remplir en obus à minuit
pour aller à Velaines au sud de Bar-le-Duc.
Arrivé à midi 30 à Vélaisnes,
tout le 15e corps qui vient nous renforcer a défilé devant nous. Nous avons bu
de la bière avec plaisir, et traversé une ville.
Nous ne connaissions plus que d’ignobles patelins. Nous
revenons le soir à Fains. En
repassant à Bar j’achète une potion
pour mes yeux qui me font toujours souffrir.
Là un monsieur et une dame dont le fils était tué à Longuyon m’offrent de la bière.
Les habitants en donnent aux soldats avec du tabac, des
fleurs.
Le soir, je me couche sur la terre avec un bandeau sur les yeux.
7h du matin, je pars avec 6 caissons de ravitaillement
pendant que le reste de la section avec le capitaine va à Rambercourt-aux-Pots.
Je vais à côté de Mouilly
pendant que les marmites explosent dans les champs qui bordent notre route. Les
allemands cherchent à détruire le pont du canal de la Marne au Rhin que nous
traversons.
A midi mes caissons vides je rentre à Fains amenant un canon hors d’usage.
Nous partons alors immédiatement pour Longeville, où nous formons le parc (*) et continuons.
Mon capitaine ne rentre qu’à 11h du soir, et j’ai tout
préparé pour la section, mais il est furieux et hurle comme un possédé, ce qui
ne m’empêche pas de dormir.
La bataille de la Marne (**) commence
et un ordre du général Joffre
nous enjoint à tous de faire tout notre devoir.
Nous savons que les allemands sont à Senlis et tu peux croire, ma Louise, que c’est de tout cœur que je
vais accomplir le mien.
(*) : Il s’agit du parc d’artillerie
(**) : À la date du 8
septembre, on ne savait pas encore que cette bataille allait être décisive et
qu’elle s’appellerait « bataille de la Marne ». On peut donc
logiquement penser que le texte a été écrit quelques jours après cette date.
Nous sommes à Longeville
depuis hier.
Nous nous ravitaillons au convoi automobile. Il pleut
averse.
Le soir à cinq heures départ pour Marat-la-Petite à 25 km de là au nord.
Arrivée à 10 heures
du soir.
Nous formons le parc attelé au milieu des batteries du 30e
également attelées. Les avant-postes sont à 2km. Nous nous couchons sur la
terre, avec le ciel pour plafond.
A minuit pluie diluvienne, et toutes les minutes sifflement d’une
marmite allemande qui tombe au-delà de la crête qui est devant nous. Impossible
de dormir et de se coucher. J’attends le jour avec impatience.
Vers 3 heures du
matin, attaque d’infanterie ennemie, mon
régiment part au feu.
Les batteries s’en vont prendre leurs positions, mais un
canon tombe dans le fossé et nous aidons à le relever. A cinq heures je
ravitaille les batteries qui ………t.
La canonnade se rapproche, notre artillerie commence à
battre en retraite. Mon capitaine part avec cinq caissons vides et je reste
avec quinze caissons pleins au milieu de l’encombrement.
Nous voyons passer un officier et 2 soldats allemands qui
viennent d’être faits prisonniers.
L’unique route qui sort de Marat est encombrée d’artillerie.
Tout d’un coup un déchirement de l’air nous fait tous courber la tête, c’est
un pot de fleurs qui est venu éclater au dessus de ma section. Je trouve
l’endroit malsain pour des gens qui ne peuvent riposter et, à la suite de
l’artillerie, je fais partir douze caissons sous les ordres de l’adjudant,
tandis que je reste avec trois caissons pour ravitailler une batterie qui a
besoin de munitions.
Finalement, ceci fait, je pars à travers champs pour
rejoindre ma section.
Nous sommes au milieu de l’infanterie qui bat en retraite,
et du reste des batteries qui font de même.
Enfin après quelques tribulations je rattrape la route de Marat à Vautecourt et je rejoins mon unité au moment où elle repartait
encore.
Tout c’était bien passé malgré les pots de fleurs -ils sont
généreux les boches- qui accompagnaient notre retraite.
Nous nous arrêtons au coin d’un bois, où une batterie de 75
était cachée et tirait sans arrêt sur les Allemands. Ce n’était qu’un
sifflement ininterrompu des obus.
Nous étions sur un plateau et nous avions devant nous un
magnifique coin du champ de bataille. On n’apercevait ni un canon ni un homme,
seulement des éclatements de projectiles et le bruit qu’ils faisaient.
En sortant de Marat
je suis passé à côté du général qui commandait la division engagée là et son
état-major. J’y ai vu un lieutenant dormir la tête sur les genoux d’un
camarade, lequel actuellement a une jambe en moins, ayant eu la cuisse brisée
par un obus.
Nous rentrons à Longeville
à 3h de l’après-midi, harassés de
fatigue, couverts de boue mais contents tout de même.
En arrivant mon capitaine se couche, tandis que je prends
les ordres pour le ravitaillement de la section. Il pleut averse.
Je demande au commandant à 9h du soir de faire coucher mes
hommes en attendant le train de munitions. Moi-même je m’étends tout habillé
sur mon lit.
A 10h30 réveil. Le lendemain matin à 7h nous finissons seulement notre
approvisionnement.
Les gens chez qui je logeais se demandaient comment nous
pouvions rester ainsi. Ils étaient charmants pour moi et ne savaient quelle
gentillesse me faire.
Ce que j’appréciais le plus c’était un café au lait et 2
heures de sommeil.
La suite à demain.
Cette période est fertile en incidents et longue à décrire.
…Je continue mon journal de route où je l’avais laissé.
7h. Le ravitaillement de nuit est terminé ; je prends un peu
de repos jusqu’à 11h, tout habillé.
Puis après déjeuner, nous sommes « section d’alerte ».
A 5h, nous recevons l’ordre de nous tenir prêts à partir. Il pleut
averse et le parc est un véritable cloaque.
A 8h du soir, ordre d’aller à Fains,
à côté de la ferme de Venise
ravitailler les échelons de combats. Nous sortons tant bien que mal, dans une
nuit noire.
Enfin vers 10h la pluie cesse. Nous arrivons à Venise (pas celle de l’Adriatique
malheureusement) et nous réveillons les échelons qui sont furieux d’être
dérangés quand ils somnolent un peu.
Enfin qu’importe nous ravitaillons et nous repartons à
Longueville la pluie a cessé ; il fait clair de lune, c’est presque une
promenade.
Le canon s’est tu. Demain il reprendra avec intensité.
Nous partons à 4h du matin.
7h du matin. Après 2heures de repos, ordre d’aller remplir
nos caissons à la gare de Longeville.
Les hommes sont harassés, et si je n’étais pas là au milieu d’eux, partageant
leurs fatigues, il n’y aurait pas beaucoup d’entrain.
Nous ne verrons pas le capitaine avant déjeuner, il dort.
Le ravitaillement se termine.
Le 12 à l’aller et au retour nous avons traversé Bar-le-Duc endormi, et le roulement des
caissons sur les pavés a quelque chose de sinistre
En cours nous apprenons que les Allemands sont en retraite.
La dépêche du général Joffre est
arrivée. C’est une joie sans bornes, personne ne songe aux fatigues passées et
présentes.
Tous sont prêts à continuer avec joie.
Je rencontre mon camarade Le
Besmerais de l’X, c’est le premier de ma promotion.
Le soir après dîner, il viendra prendre le champagne avec
nous pour fêter la victoire.
Mon hôte sort de sa cave, qu’il avait murée par précaution,
quelques bonnes bouteilles. Il couche avec moi, car il est isolé avec quelques
caissons qu’il a fait remplir et n’a pas de cantonnement.
Après une bonne nuit, la première complète depuis une
semaine, nous partons à 7h pour Fains.
Je vais en avant et j’achète une potion pour mes yeux, dans
une pharmacie de Bar-le-Duc, à côté
du café de la Rochelle.
Un monsieur et une dame m’apportent une bouteille de bière,
car tout Bar-le-Duc acclame les
artilleurs et leur donnent toutes sortes de choses.
A Fains le
lieutenant Clapisson nous
rejoint, car blessé à Orléans d’un coup de pied de cheval, il n’avait pu partir
avec nous. Je me couche dans un lit le soir, après une toilette nécessaire
après une pareille semaine.
Minuit. Réveil et départ.
Où allons-nous ?
On n’en sait rien. Les Allemands sont en pleine retraite.
Le soir après une journée sur route sous pluie battante,
nous arrivons à Vassincourt à 7h. Nous avons vu en passant Laimont, Villers-aux-Vents devant lequel fut tué le général Roques le 6 sept, et où le général Micheler tua d’un coup de révolver un
soldat qui fuyait, Fontenoy, Louppy-le-Château, Vaubecourt qui ne sont plus que ruines.
Des cadavres de chevaux, de fantassins allemands, des
nôtres aussi malheureusement, jalonnent la route. L’air est empesté par l’odeur
horrible qui s’en dégage, mais à la fin on s’y fait.
Des tombes allemandes aussi sont sur les côtés de la route.
A Vassincourt, des
maisons sont victimes du bombardement, ainsi que de nombreuses personnes, entre
autres l’oncle d’Olga, comme tu sais.
Un quartier est détruit par l’incendie.
Le reste n’a dû d’être épargné qu’aux supplications d’une
femme qui fut très courageuse. Ici trois femmes furent fusillées pour avoir
protégé une jeune fille contre les brutes allemandes. Pendant l’incendie ils
tiraient sur tout ce qui se rencontrait.
Dans l’église de Vassincourt
Lorsque arrivent nos fantassins, il y avait des blessés français au nombre de
200 environs qui se mirent à chanter la Marseillaise. Ce devait être une scène
très émotionnante (?).
Is ont abandonné quantités de fusils et d’équipements. Ils
fuyaient comme un troupeau. J’ai passé la nuit dans une chambre située dans une
maison alors inhabitée, après avoir bien fouillé la boîte car il y avait encore
quelques prussiens cachés dans les caves, et il fallait être sur ses gardes.
Mon capitaine est malade depuis le 13, il se trimballe dans
une petite voiture, et c’est moi qui en fait commande la section. Le lieutenant
Clapisson qui vient d’arriver
n’étant pas au courant encore.
Le lendemain à 8h nous partons pour Waly.
Là nous trouvons des blessés allemands, environ 200, dans
l’église et beaucoup de granges.
Une douzaine de français sont dans une grange sur de la
paille qui est presque du fumier. Ils sont restés 3 jours sur le champ de
bataille avant d’être ramassés par les allemands qui les ont soignés. Mais
leurs plaies sont infectées. Il y a un chasseur à pied, qui a une balle dans le
ventre et qui demande à boire, et il nous maudit pour que je lui donne à boire
avec un peu d’alcool de menthe. Je lui apporte tout ce que j’ai à boire, et
finalement nous pouvons le transporter dans le château de la famille de Benoît
qui a été pillé par les prussiens mais qui est au moins propre.
Il y a un sous-lieutenant qui est de Toulon, il me donne
une dépêche pour sa femme, que j’ai donnée à un conducteur de train de
munitions avec celle que je t’ai envoyée à cette époque. Vraiment tout cela
était bien triste, et plus tard quand je te le raconterai tu comprendras encore
mieux l’horreur de la guerre.
J’ai vu sortir des granges où étaient les blessés allemands
des cadavres en putréfaction.
C’était ignoble.
Les blessés que nous avons soignés avaient leurs armes sur
la paille et il est fort heureux qu’aucun de nous ne soit entré seul dans
l’église. Il y en avait qui n’avaient pas mangé ni bu depuis deux jours.
Toutes leurs blessures étaient causées par nos obus qui
étaient terribles à les entendre.
Nous avons aussi trouvé quantités de munitions
d’artillerie, des paniers à obus et des caisses abandonnées. Les paniers ont
servi à nous chauffer.
Nous passons la nuit dans la paille dans une ferme
ignoblement ravagée par les allemands. Quant à moi j’en ai gardé quelques
souvenirs : une lanterne, un sifflet pris dans la cantine abandonnée d’un
officier allemand.
J’avais ramassé aussi : fusil, casque, sac, mais j’ai tout
jeté car cela m’encombrait par la suite.
la suite à demain…
Le 16 au matin nous quittons Waly et nous allons à Rarécourt
cantonner. Nous trouvons un pays encore à moitié abandonné par les habitants et
nous nous installons dans un café ayant à notre disposition chambres, cuisines,
salle à manger puisque nous sommes seuls.
Le soir à cinq heures nous partons pour Aubréville où se trouve le quartier
général. Nous y arrivons vers dix heures du soir et nous cantonnons.
La nuit se passe dans la paille, je prends froid et le
lendemain je ne suis pas très bien.
Il pleut à verse.
La journée se passe sans ordre. Le soir je me couche après
avoir pris un cachet et du thé chaud.
Le lendemain matin, je suis remis.
Nous partons vers huit heures du matin ravitailler du côté
de Boureuilles et Vauquois.
L’opération se passe sans incidents à part un obus, une
marmite qui tombe juste à un endroit de Breuilles
que je venais de quitter quelques minutes auparavant.
Nous allons vers 2 h de l’après-midi remplir un caisson à
la gare de Clermont et nous rentrons
à Rarécourt cantonner dans le même
endroit.
Avec plaisir je me couche dans un lit.
La journée se passe à Rarécourt
dans le plus grand calme. Je déjeune dans la demeure de campagne du
sous-préfet.
Des vieux numéros du Magazine Pittoresque que je lis avec
plaisir car ils rappellent mes vacances en Alsace chez ma grand-mère qui en
possède quelques numéros aussi.
Vers 3 heures de l’après-midi, départ de nouveau pour Aubréville où nous arrivons vers 6h du
soir pour cantonner. C’est un véritable cloaque et nouvelle nuit dans la
paille.
J’ai retrouvé un de mes camarades de salle à l’X, Arvengas. C’est un véritable plaisir de
nous revoir. Il vient de Briançon où
il a exécuté des écoles à feu, avant d’être envoyé dans une batterie du 30è.
Le jour où il voyait le feu pour la première fois son
lieutenant a été tué par un obus.
Vers cinq heures, après avoir trouvé un lit au presbytère
dans l’espoir d’y passer la nuit avec le lieutenant Clapisson, nous recevons l’ordre d’aller la passer au coin
des routes Avocourt – Vauquois et Aubréville – Avocourt
pour ravitailler les batteries.
Nous partons, c’est un temps de chien, nous nous arrêtons à
la droite de la route à l’endroit indiqué. Je vais au quartier général, à la
ferme de la Fonderie, prendre des ordres et on m’invite à aller reconnaître les
batteries du côté de la ferme de la
Cigalerie en me prévenant qu’elles ne doivent pas avoir besoin de munitions,
n’ayant pas tiré de la journée.
J’y vais seul, la nuit est noire, les marmites sifflaient,
aussi, vu qu’il n’y avait pas urgence, je ne m’engage pas dans le bois que je
ne connais pas et je retourne à la section.
J’ai passé la nuit la plus dure de la campagne. Nous étions
4, le capitaine, le lieutenant, le cycliste et moi, accroupis dans une petite
voiture, gelés et courbaturés.
Pendant ce temps on entendait le sifflement des marmites
qui arrosaient le terrain, sans jamais savoir si celle qui suivait n’était pas
pour nous.
De temps à autre, une de nos batteries de 120 riposte en
faisant un ravage infernal sur notre droite.
Je m’étais assoupi sur les genoux du lieutenant, qui
n’avait pas bougé pour ne pas me réveiller, lorsqu’une rumeur nous fit sortir de
la voiture, une marmite attirée par un feu que nos hommes avaient allumé pour
se réchauffer avait éclaté à moins de 100m de la colonne, dans le bois.
Vraiment cette nuit là j’ai eu peur, peur d’une mort
inutile et idiote, peur d’être tué par un de ces projectiles qui sifflaient
sans cesse, sans pouvoir répondre, sans pouvoir l’éviter.
Enfin le jour vint, et le soleil nous réchauffant nous
fîmes un peu de café qui fut le bienvenu.
Jusqu’à quatre heures du soir nous restâmes en parc dans un
champ sans avoir à tirer un obus.
Dans le bois devant nous, devant Montfaucon crépitait une fusillade intense.
Alors vers 4 heures du soir éclate sur notre gauche le plus
formidable feu d’artillerie que j’aie jamais entendu. 12 de nos 75 tiraient
sans interruption, on entendait un sifflement continu.
Une contre attaque allemande était arrêtée.
Cheppy, que dans la nuit ils nous avaient repris, était en
flammes. Sur une heure nos 2400 obus étaient donnés. Alors nous rentrons à Rarécourt où nous arrivons vers minuit,
exténués.
Heureusement pour moi je trouve un lit et je me repose
bien.
Après une série d’ordres et de contre-ordres je vais à Dombasle remplir 12 caissons d’obus que
nous aurions du aller prendre pendant la nuit.
Je pars à 11h du matin, et ce n’est qu’à 7h du soir que je
retrouve à Auzeville, l’échelon qui avait quitté Rarécourt pendant mon absence.
Je mange à la hâte, et j’espère pouvoir dormir, mais il
faut rester au bivouac à se geler sur la terre jusqu’à une heure du matin avant
d’aller se mettre à l’abri dans une maison bien chaude.
Nous allons de nouveau ravitailler à Aubréville et à Neuvilly.
Le lieutenant Clapisson,
parti avec 12 caissons nous rejoint le soir à Auzeville avec 6 seulement, les autres il ne sait pas où ils sont.
Il a été encadré par plusieurs salves de marmites, et des conducteurs ont coupé
les traits pour aller plus vite et se sauver.
Enfin le lendemain matin, tout le monde était présent. Il
ne manquait qu’un caisson que nous n’avons plus revu. On voit qu’il n’avait pas
l’habitude.
A midi nous allons attendre un train d’Hennemont pour nous remplir, il n’arrive qu’à 10h du soir.
Nous repartons pensant nous coucher vers 1heure du matin,
mais il faut bivouaquer, les pieds au feu et le dos gelé.
Nous saluons le jour avec plaisir car au moins on se
réchauffe. Puis nous allons au sud de Clermont
attendre que les batteries veuillent bien nous vider à nouveau.
Il n’en est rien.
Nous revenons coucher à Aubréville,
cette fois dans un lit.
Nous retournons à Clermont
jusqu’à midi, puis en route pour Brizeaux
et de là à Eclaires, où nous nous
sommes depuis si longtemps dans l’inaction.
Ici s’arrête mon journal, écrit pour toi uniquement, pour te faire
connaître ce que furent deux mois de guerre.
Conserve le, en réunissant tous les feuillets qui le composent, n’en ayant
pas de double, ce pourra m’être utile plus tard.
Je te joins une petite carte qui t’indique les localités traversées. Je
la fais moi-même.
Paul Gross
Paul Gross a
terminé la guerre de 14-18, à l’âge de 26 ans, avec le grade de capitaine,
croix de guerre avec 3 citations et demande d’attribution de la Légion
d’honneur par le Lt- colonel chef de corps du 13è RAC pour sa conduite au feu
lors de la 3è citation.
Malgré une blessure par éclats d’obus, il avait aussi
refusé, ne s’estimant pas handicapé, d’être envoyé à l’arrière.
Il réintègre Polytechnique en 3è année, en tant
qu’officier-élève, en février 1919, d’où
il sort en 1920, ingénieur militaire de 1ère classe (capitaine) au Service des
Poudres (une des branches industrielles militaires de l’Armement).
C’est dans ce grand Service des Poudres qu’il organise et
met en œuvre, désigné par l’ingénieur militaire général Patard, le « Service
des Essences ».
Des besoins très important et des défauts constatés dans
les ravitaillements sur les zones des combats, et de logistique générale,
(l’artillerie et l’intendance géraient ensemble les approvisionnements, la gestion
et la distribution selon un règlement établi) ont conduit dirigeants militaires
et politiques à structurer autrement les problèmes essentiels des essences aux
armées.
Mais encore et beaucoup aussi en raison du besoin de
centraliser et rationaliser les
approvisionnements et la distribution aux unités militaires.
Ce Service des Essences deviendra plus tard le « Service
des Essences des Armées » et prendra la forme d’un corps militaire spécifique
et interarmes, à la fois composé d’ingénieurs militaires, d’officiers
techniciens et de gestion, de sous-officiers et d’hommes de troupes
spécialisés.
Le « S.E.A » est depuis sa grande émergence présent dans
toutes les régions militaires, sur tous les fronts, au service des unités et
des structures de combats.Le « SEA » a été distingué à plusieurs reprises
depuis sa création par des citations avec croix et palmes gagnées sur tous les
fronts de combat, dont ceux du moyen orient, de la France libre, d’Indochine,
d’Algérie comme de plus récents en Europe et sur d’autres théâtres d’opérations
extérieures.
C’est à cette même époque des années 20 que la France
organise et prend en main ses approvisionnements en pétrole par la « Compagnie française des Pétroles ».
Paul Gross y est impliqué auprès
de Paul Painlevé, Ministre de la guerre et Président du conseil.
Paul Gross
reçoit la Légion d’honneur en 1921
avec effet rétroactif, pour sa conduite durant la guerre, avec pension. Il a 29
ans, est marié et père d’une petite-fille. Nôtre mère.
En 1927, à 35 ans, il quitte la Défense Nationale avec le grade
d’Ingénieur militaire en chef (5 galons panachés) et est coopté dans
l’industrie de l’énergie à la « Lyonnaise de l’eau et de l’éclairage » au poste
de directeur de la région de Toulouse.
La guerre de 39-45 le voit mobilisé sur place à la tête
d’une des grandes usines stratégiques du sud-ouest.
Son action clandestine dans la résistance au service de la
France libre et des alliés parachutés et/ou se trouvant sur le sol français,
cachés et transportés vers l’Espagne est importante au sein du réseau «
Françoise ».
Il reçoit la croix de combattant volontaire de la
résistance, une promotion au grade d’officier de la Légion d’honneur, le rare
brevet officiel britannique de reconnaissance des forces alliées anglaises et
américaines, avec la King’s Medal for Courage.
Il est dans la réserve ingénieur en chef militaire de
1èreclasse des Poudres (5 galons
pleins).
En 1945, lors de la nationalisation de toutes les sociétés privées
du secteur de l’énergie, il est nommé, à Gaz de France, Directeur général des
cokeries et Inspecteur général en charge de la remise en route des
installations de production, de distribution et des usines à Gaz détériorées ou
détruites.
Il quitte Gaz de France à 65 ans en 1957.
Il décède à 78 ans d’un a.v.c. chez lui à Toulouse.
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