Henri GUIBERT, 19 ans, durant ses classes au 154e
régiment d’infanterie.
Entre avril 1915 et début 1916.
Francis, un
membre de la famille, nous dit en septembre 2021 :
« Henri Eugène David GUIBERT (né le
14 janvier 1896 à Charly-sur-Marne, Aisne) était clerc de notaire à
Charly/Marne (02), avant d’être appelé à faire son service militaire en avril
1915 en Bretagne au 154e
régiment d’infanterie, à St Brieuc (22). Il a continué à étudier son
droit pendant son service dans l’espoir de devenir notaire.
Ce journal n’est pas continu. Il commence
en mars 1916 quand il monte au front au sein du 354e régiment d’infanterie (régiment de réserve du 154e
RI), en Champagne, en
tant que soldat, puis comme signaleur à
Verdun en mai 1916 et téléphoniste en juin 1916.
Son régiment est dissous mi-juin 1916 et il
se retrouve comme musicien (c’est un flûtiste) et brancardier-auxiliaire au
sein du 355e RI, sur
plusieurs fronts, en Champagne de
nouveau, à la bataille de la Somme,
de l’Aisne au Chemin des Dames, les Vosges, puis dans la Somme face à la percée allemande
du printemps 1918.
Sa nièce, Henriette GUIBERT-CONNE a bien
voulu me confier les différents feuillets de son journal, pour les transcrire,
ainsi que sa correspondance avec son frère, sa mère et sa fiancée.
Les précisions en bleu ont été
ajoutées par mes soins, ainsi que quelques cartes, pour une meilleure
compréhension du texte et sa localisation. »
Francis
BLAISE-FONDER.
Ajouté
volontairement pour une meilleure recherche
Première montée au front dans la Marne : mars-mai
1916
Sur le front de Verdun : mai 1916
Deuxième séjour sur le front de la Marne :
juin-septembre 1916
Bataille de la Somme : fin 1916
Au front dans la vallée de l’Aisne
Dans la Somme après la percée allemande : printemps 1918
Mes premières impressions de
départ :
Henri GUIBERT : La première
page de son carnet de guerre
15 h : On a désigné, avant-hier,
60 hommes par compagnie pour partir en renfort aux 354e RI, 355e
RI et 361e RI. Je fais partie du 2ème renfort allant
rejoindre le 354 RI au repos,
dit-on, du côté de Souain (Marne).
Nous avons touché 1 jour de vivres de
voyage et 2 jours de vivres de débarquement depuis 2 jours, le sac est monté.
Nous sommes prêts à partir à la
première alerte. Nous avons pesé hier avec M Potier, l’équipement complet, y
compris sac et fusil ; le tout pèse 30 kg soit 15 kg pour le sac.
Ce départ nous laisse à peu près
indifférents, nous partons de bon cœur car nous commençons à nous considérer
comme un peu embusqués, depuis 1 an que nous sommes au régiment. Notre
lieutenant commandant de compagnie, nous impose depuis quelques temps une
discipline de fer, étant toujours de mauvaise humeur, et l’adjudant fait trop
de service. Nous allons être avec des hommes âgés qui nous traiteront plutôt
paternellement, qu’en camarades. Avec ces vieux soldats qui ne sont plus lestes
et agiles, le service sera moins dur, notamment au tirailleur.
Enfin, nous verrons du nouveau, on
aime changer de place, de vie.
Mon seul souci, c’est de penser qu’à
la nouvelle de mon départ, ma fiancée et toute ma famille, tous ceux qui me
sont chers, vont être en peine pour moi. Tout en disant la vérité, j’ai tâché
d’adoucir les expressions en annonçant mon départ, mais l’idée du front est
toujours là.
Moi-même, je ne me fais pas
d’illusions, certainement que dans quelques jours, je serai dans les tranchées
comme simple soldat quoique partant comme téléphoniste. Je n’exercerai mon
emploi que lorsqu’il y aura une place de libre.
Nous sommes allés prendre le train à Vertus. Nous étions entassés comme des
moutons dans des wagons. Heureusement que le voyage ne fut pas long.
Arrivée à Suippes, nous fîmes le café dans un terrain sur le bord de la
route, puis à 20 h, nous sommes partis coucher.
Entre temps, j’ai rencontré M
BEAUJEAN et AUTEREAU en passant dans la rue.
Extrait du journal du 354e régiment
d’infanterie qui relate l’arrivée de renfort
A minuit, nous partons pour les
tranchées de 1ère ligne.
Deux éclaireurs à cheval nous
conduisent jusqu’à la ferme des Wacques (*), à travers champ,
puis un officier vient nous chercher et nous nous acheminons sous la pluie
battante à travers les champs criblés d’entonnoirs. On voit de place en place
quelques fusées descendre lentement, on entend quelques coups de feu.
Enfin, au jour naissant, nous entrons
dans les boyaux et c’est la marche interminable dans les boyaux tortueux. Le
front est absolument calme.
Dans la journée, les Allemands
bombardent les tranchées mais les vieux n’ont pas peur et je suis rassuré.
Mais ce qui m’a fait mauvaise
impression, c’est un pied de soldat émergeant du parapet. Ce poilu avait été
enterré par un bombardement lors d’une attaque récente.
Tantôt, ce sont les 75 qui bombardent
les tranchées ennemies et le sifflement des obus me devient familier, je
commence à m’y habituer.
(*) :
Entre St Hilaire-le-Grand et Souain
J’ai pris la garde hier soir à 18 h
au parapet, jusqu’à minuit. Au commencement de ma faction, j’entendais les
boches frapper sur des piquets et poser des fils de fer barbelés et je n’en menais
pas large et je fixais l’endroit, mon fusil chargé, prêt à faire feu, car
j’avais à chaque instant, l’illusion qu’ils avançaient vers la tranchée. Puis,
rassuré par l’éloignement constant du bruit, je surveillais sans avoir peur.
Les fusées montaient souvent en l’air
et de temps en temps, une série d’éclairs apparaissaient suivie d’un
grondement, de sifflements d’obus et d’éclatements : c’était l’artillerie
lourde qui tirait sur des ravitaillements allemands.
J’ai pris encore la faction ce matin
de 7 h à midi. On est venu m’apporter le jus (froid), de la viande et du rata.
Les Allemands n’étaient pas méchants, au contraire, nos grosses pièces les
canardent et ils ne répondent pas. C’était même intéressant de voir ces
marmites exploser dans les tranchées ennemies. Mais il a plu toute la matinée
et les tranchées se détériorent, il faut les nettoyer, rectifier celles
écroulées.
Hier
soir, à 18 h, j’ai encore pris la garde au parapet.
Il n’y faisait pas chaud et la grande
fatigue ajoutée au froid étaient pour moi la cause d’une espèce de malaise qui
me rendait la digestion difficile. La nuit a été très calme. L’artillerie
lourde ne s’est presque pas fait entendre.
Ce
matin, je suis resté couché (sur la terre du gourbi) jusqu’à 10
h, cela m’a un peu remis. On entend quelques coups de canon par ci par là.
Hier, on a découvert dans un
pare-éclat un français dont le crâne apparait encore. Les cheveux commencent à
tomber, ce n’est pas beau à voir.
Hier, j’ai pris le guet de midi à
minuit. A la fin, je commençais à m’impatienter surtout que les boches
manifestaient une certaine effervescence sur la droite (fusillade, grenades)
J’ai appris aujourd’hui que les pionniers de la 22ème compagnie, avaient posés
des fils de fer et que 2 avaient été tués par les balles. (*)
Par contre, le tantôt avait été
plutôt intéressant : après un bombardement où une marmite éclate à 5 m ou
6 m de moi, m’envoyant un éclat tout près de moi, les avions français et boches
apparaissent dans le ciel et la canonnade reprit, tachant le ciel d’éclairs
suivis d’un petit flocon noir et d’une détonation.
(*) :
Il s’agit du caporal BOUFFÉ Constant (sa
fiche) et du soldat BUTEUX Jean-Baptiste (sa
fiche) de la 22e compagnie (JMO)
Hier, journée à peu près calme. J’ai
pris le guet de midi à 18 h, au poste d’écoute (nous avons été un peu
bombardés : un éclat de 77, tombé dans le poste, était brulant lorsque je
l’ai ramassé) et de 18 h à minuit, à l’escalier de départ.
Là, redoutant une attaque à la
grenade, on nous a fait mettre baïonnette au canon ; le premier moment
d’émotion passé, je me suis mis à surveiller très attentivement, mais sans
avoir peur ayant toujours mes grenades à portée de main. L’attaque redoutée
s’est produite sur la droite, dans le secteur 271e RI et cela chauffait.
Ce matin, je suis encore allé au
poste d’écoute. L’artillerie n’a pas donné, mais il a plu toute la matinée.
J’étais étendu dans l’abri et me
reposais tranquillement lorsqu’un 105 tombe devant un abri à côté, puis les
hommes qui étaient dans cet abri arrivent en disant « LATHUILLERE est
tué (*) » et l’un d’eux avait
la jambe pleine de sang : un éclat d’obus lui avait traversé le mollet. Il
s’est assis à ma place et le sang coulait toujours. On lui a fait un pansement
et les infirmiers sont venus le chercher avec le brancard.
Quelques minutes après, je suis passé
devant l’abri fatal : le mort avait un grand trou au nœud vital, et une
déchirure à la tête. Il a été tué sur le coup et n’a pas bougé de la marche sur
laquelle il était assis. C’est un auxiliaire rappelé, il a une petite fille de
11 ans.
Nous avons fait disparaitre le sang
du blessé, coulé sur le sol et sur mes couvertures, mais il m’en reste après
les mains.
(*) :
Il s’agit du soldat LATHUILLIERE Jean de la 23e compagnie (JMO). Voir
sa fiche. Le blessé à la jambe est Félix LACOURT, tous deux de la 23e
Cie.
Nous avons été relevés cette nuit (*) et nous sommes dans une sape ayant 2 étages de lits
grillagés et de la paille au rez-de-chaussée. Je couche tout en haut.
(*) : Le
JMO indique une relève du 6e bataillon par le 5e le 28 mars (probablement nuit
du 28 au 29). Henri serait donc au 6e bataillon (cohérent avec les 2 soldats
tués le 25 mars à la 23e Cie
Un obus vient de tomber non loin de
l’entrée de l’abri, ne touchant personne. Je construits des pare-éclats avec
AYOT et le caporal.
Il fait beau temps, je me nettoie et
me rase ; ça fait du bien car il n’y a que deux gros tonneaux d’eau par
jour pour le régiment et on ne peut en avoir pour la toilette qu’en réserve.
Le lieutenant téléphoniste me dit
qu’il a suffisamment de personnel au téléphone, mais il sait maintenant que je suis téléphoniste (le seul
à la compagnie) et à la première occasion, j’entrerai au téléphone.
Nous avons changé de sape. Il n’y a
que deux étages de lit sans rez-de-chaussée.
Un obus éclate au matin sur le bord
du boyau, le bouchant à moitié, faisant voler de la terre dans la sape et
soufflant toutes nos bougies. Cela sent la poudre. Personne n’est touché.
A
minuit, réveil pour la relève. Il pleut et les boyaux sont
pleins d’eau.
A
2h, nous nous installons en ligne 1 bis.
A 3 mètres de note abri, un cadavre est
à moitié enterré. On lui voit une partie de la tête et tout près un 105 est
tombé sur le talus sans éclater. Nous habillons des chevaux de frise tout
l’après-midi et à la brume nous les portons sur le parapet, près de l’endroit
où il faut les poser. A deux endroits de la tranchée de 1ère ligne,
s’exhale l’odeur nauséabonde d’un cadavre en décomposition : je me retiens de
respirer en passant.
A
22 h, nous montons sur le parapet, précédés d’une patrouille,
pour poser des fils de fer barbelés. Le premier moment d’émotion passé, nous
nous avançons sans bruit jusqu’à l’avant du poste d’écoute. Le bruit des fils
de fer et des pas, ont donné l’éveil à Fritz et de nombreux coups de fusil sont
tirés dans notre direction sans nous atteindre.
A chaque fusée, il fallait s’aplatir
et je crois que je me suis couché sur un cadavre ou tout près, car parfois, je
sentais une odeur de chair en décomposition.
A
minuit, nous redescendons pour faire relever la patrouille, puis
nous remontons pour des réseaux Brun.
Enfin, à minuit 45, nous redescendons
et nous allons nous coucher. (Le bonnet d’évêque : 2.5 km au sud de St Marie à Py, les hautes charmilles sur la carte 1/25000 actuelle)
Peu de temps après, on nous
réveille : il y a une alerte (un exercice, seulement). La demi-section va
prendre ses positions en première ligne bis, mais croyant suivre des poilus de
mon escouade, j’ai suivi deux cuistots puis reconnaissant mon erreur, je
reviens sur mes pas, je rencontre mes camarades qui reviennent et je rentre
avec eux finir la nuit dans nos couvertures.
Le tantôt, nous avons fait des
chevaux de frise et le soir à 9h ½, (21h 30) nous sommes montés sur le parapet
pour poser des fils de fer barbelés.
A 23h 30, trois patrouilles allemandes
lancent des grenades devant. Elles nous ont obligé à
regagner les tranchées.
A minuit, nous sommes remontés et à 1
h, nous sommes redescendus après avoir essuyé quelques coups de feu, puis nous
sommes rentrés à l’abri.
Les Boches viennent d’envoyer des
torpilles (minen) dont 5 sont tombées non loin de
notre abri faisant un déplacement d’air formidable mais notre artillerie est en
train de les bombarder.
Le tantôt, nous avons habillé des
chevaux de frise et le soir à 9h ½, nous montons sur le parapet toujours pour
les fils de fer.
A 23 h, la fusillade nous fait
rentrer dans la tranchée, à 23h 30 nous remontons, à 0h 30 nous allons chercher
des réseaux Brun que nous posons et à 1h, nous descendons pour gagner notre
abri.
Je commence à m’habituer à monter sur
le parapet. Cela me fait maintenant si peu de chose que ce matin, au moment de
partir, je suis allé chercher les bobines vides, seul, assez loin de nos
lignes, pour faire du feu dans le brasero de l’abri.
Tous les cadavres restés dans les
talus et sur les parapets proviennent d’une attaque infructueuse qui a été
faite, il y a un mois. Le 294e RI
occupait alors notre secteur.
Hier,
à 14h, nous étions en train de préparer du fil de fer barbelé
pour poser le soir, lorsque tout à coup, le sergent dit :
« Attention ! Planquez-vous ! Une torpille Boche ! »
Je regarde en l’air et en effet, une
grosse torpille tourne lentement dans l’air en décrivant une grande
trajectoire. Nous nous plaquons dans le fond du boyau et presque aussitôt, une
détonation formidable retentit non loin de nous faisant trembler le sol et une
énorme fumée noire s’élève dans l’air à 20 mètres en l’air et le vent la
poussant sur nous, des myriades de petites flammèches noires viennent nous
cingler le visage.
Nous regagnons notre abri pendant que
d’autres torpilles éclatent derrière nous.
Puis les canons se mettent de la
partie, toute notre artillerie répond, l’action s’échauffe, et bientôt ce n’est
plus qu’un roulement de tonnerre souligné par l’éclatement des torpilles.
La bataille d’abord engagée sur la
droite, gagne sur nous et à 15 h, on
vient dire « la liaison » au lieutenant. Les hommes de liaisons
s’équipent en vitesse et s’élancent au dehors. Quelques minutes après, l’un
d’eux vient donner l’ordre de s’équiper, d’être prêts au combat, mais de rester
dans les sapes. Les choses prennent une mauvaise tournure.
A
15h 30, on vient dire à l’adjudant qui est avec nous :
« Tout le monde au parapet, la compagnie sur ses positions de combat ».
Nous nous précipitons dehors et nous
montons sur les banquettes de tir, à nous assignées, dans la ligne 1bis, qui
est la ligne de première résistance. La mitraille fait un vacarme assourdissant
et le sifflement des obus sillonne l’air dans tous les sens. La fumée de la
poudre obscurcit le temps et noircit la craie. Tous les soldats sont planqués
contre le parapet de la tranchée. Moi-même, pour être mieux protégé, j’ai mis
un genou à terre. Nous préparons des grenades et des cartouches en
supplément ; les Boches vont sûrement attaquer, mais ils seront reçus
comme ils ne s’y attendent certainement pas.
On me fait changer de place et je
suis maintenant avec deux camarades de la classe 16 et mon caporal, à la
chicane du boyau d’Oger. Notre mission est de faire tomber les chevaux de frise
dans le boyau pour l’obstruer, et de canarder les Boches qui s’avanceraient de
derrière le mur de sacs, afin de les obliger à passer sur le parapet où ils
seront fauchés par les mitrailleuses et les fusils.
Tout à coup, les 75 redoublent le
bombardement. Les Boches sortent de leur tranchée dit-on,
pour attaquer la première ligne, et nos canons leur font un feu de barrage. Au
bout de quelques instants, le bombardement diminue un peu d’intensité, puis
vers 17 heures, les coups de canon s’espaçant, nous rentrons dans les abris,
mais il faut rester équipé.
A
19 h, on nous donne l’ordre de nouveau, de reprendre nos
positions de combat, puis, présumant que des boches avaient réussi à se glisser
dans un petit poste, nous allons l’attaquer à 8, avec des grenades, mais on
nous dit en arrivant qu’un caporal y avant fait une reconnaissance, n’y a rien
trouvé ; nous revenons donc sur nos pas.
Quelques instants après, on donne
l’ordre à tout le monde d’aller réparer en première ligne, les dégâts causés
par la mitraille. Je suis désigné pour boucher quelques brèches avec des
réseaux Brun ainsi qu’une dizaine de camarades. La pause est coupée par
beaucoup de fusées et les 75 lancent quelques obus qui tombent non loin de
nous. Nous évitons les éclats en nous mettant à plat ventre.
A
0h 30, nous allons nous reposer mais à 3 h du matin, il faut
que tout le monde soit au parapet.
A
4 h, nous allons déblayer les tranchées : un obus avait déterré
la tête d’un mort. On distinguait bien les oreilles et le nez, mais elle était
noire verdâtre, horrible à voir surtout qu’un lambeau de chair de 50 cm était
encore au cou.
La matinée est calme et nous rentrons
du travail pour la soupe à 10h. Nous avons bien gagné le repos de l’après-midi.
Le 9, à 23h, le 69ème
chasseur à pied vient nous relever. (*)
Nous restons au parapet jusqu’à
minuit et la compagnie se met enfin en marche dans les boyaux.
A 3 km de la 1ére ligne, nous montons
à l’air libre, nous faisons une petite pause et nous repartons par un petit
clair de lune dans la direction de Suippes, parmi les trous d’obus. De
nombreuses tranchées creusées lors de l’attaque de Champagne, sillonnent la
plaine, et nous passons entre les réseaux de fils de fer. Au bout de quelques
km, nous arrivons sur une route, et un peu avant le jour, nous entrons dans
Suippes et nous nous installons au cantonnement.
Dans la matinée, je me réveille,
change de linge, me rase, me nettoie.
Le tantôt, je me promène avec HARPILLARD qui fait un stage de
mitrailleur. (**)
(*) :
Confirmé par le JMO ; Henri était bien au 6e bataillon.
(**) :
S’agit-il du soldat 1ère classe Marcel HARBILLARD du 355e régiment
d’infanterie ? Qui sera tué dans la Somme près de Morval
en octobre 1916.
J’ai lavé mon linge ce matin et tantôt,
je fais un peu de correspondance. Je suis logé dans une petite chambre
parquetée, au premier étage d’une boucherie. Le toit est en partie effondré par
un obus, et réparé avec du papier goudronné. Je ne suis pas du tout à plaindre.
Ce
matin, je suis désigné pour aller lancer des grenades, mais
cela ne me va pas, je le dis au lieutenant et le tantôt, au lieu d’y retourner,
je vais avec le bataillon voir des lancements de liquide enflammé. Cela doit
être terrifiant lorsque ces jets de feu arrivent dans une tranchée, produisant
d’énormes tourbillons de flammes et de fumée noire.
Pour revenir, nous avons la pluie, et
arrivés au cantonnement, nous constatons que la pluie, perçant le plafond,
vient tomber sur notre « lit ». Nous déménageons notre fourbi, et
nous nous installons du côté de la pièce où il ne pleut pas.
Mais
la nuit, pour éviter une inondation, il nous a fallu faire une
brèche dans le parquet.
Le
matin, nous allons aux douches ce qui nous fait beaucoup de
bien. Le tantôt, nous nous préparons à remonter aux tranchées, certainement en
2ème ligne.
Nous partons à 18 h, à la tombée de
la nuit, la pluie nous prend pendant ½ h. Nous suivons une route bordée de
grands baraquements pour les artilleurs et leurs chevaux et des rangées de
caissons, mais les canons sont invisibles, ils sont enterrés.
A
20 h, nous arrivons à la ferme des Wacques
par un beau clair de lune, nous suivons un peu la route de Souain,
puis nous descendons dans les boyaux pour arriver au Bois Noir, à nos anciennes sapes de réserve, vers 22h.
Nous avons été tranquilles depuis
notre arrivée, mais tantôt, il nous faut aller chercher des gabions au magasin
du génie à 1km en arrière. Nous passons au cimetière du 294e RI : des
rangées de petits tertres bordent la voie du Décauville
; certaines ont des croix de bois et d’autres n’en n’ont pas. Cela fait l’effet
de planches de pois nouvellement plantées.
Quelques tombes de 1 mètre de
profondeur sont creusées d’avance…
Aujourd’hui, jour des Rameaux le
soleil cherche à égayer ce coin de terre où tant d’homme souffrent. Il n’y
parvient pas. On sent que ce devrait être la fête mais c’est la guerre le
devoir implacable qui commande de rester là.
Le front est très calme en ce
moment : un avion français se promène au-dessus des lignes, salué de temps
en temps par les mitrailleuses allemandes. Parfois, une marmite explose aux
alentours, un obus français siffle en passant au-dessus de nous. On entend
parfois en première ligne un coup de fusil ou l’éclatement d’une grenade.
Quelques corbeaux planent au-dessus de la plaine, et au loin, la saucisse
française inspecte le lointain.
Nous sommes retournés chercher des
matériaux au magasin du génie.
Les tombes du 294 RI sont maintenant
toutes surmontées d’une petite croix de bois. (*)
Auprès de ce cimetière, un rectangle
bordé de petites branches de sapin plantées en terre est surmonté d’une croix.
Une ancre et un croissant dessinés avec des petits morceaux de craie au milieu
du rectangle, indiquent que ce sont des marsouins et des arabes qui reposent
là.
De place en place, au milieu des
matériaux, se dresse une croix de bois au pied de laquelle est plantée une
bouteille contenant un papier.
Dans un bout de tranchée à moitié
creusée, un peu de terre surmontée d’une petite croix formée de deux branches
de sapin, indique qu’un corps reste là.
Plus loin, dans un énorme entonnoir
de 3 mètres de profondeur où sont pêlemêle des débris d’obus et de grenades
allemandes. Tout autour, de grands entonnoirs de 210 français (obus) font
présumer que c’est un de nos gros obus qui, en tombant sur le dépôt de
munitions allemand l’a fait sauter lors de l’attaque de Champagne. (**)
(*) : Ce régiment a essayé de reprendre le secteur du
Bonnet d’Evêque et le bec de Canard sans succès en février 1916.
(**) :
L’attaque a eu lieu fin septembre 1915.
Tantôt, en transportant des claies
aux tranchées de 3ème ligne, nous regardons par-dessus le boyau pour
nous rendre compte de l’effet des bombardements dans la campagne et j’aperçois
à 30 m du boyau une masse informe. Etant un peu sur le revers de la crête,
j’escalade le boyau et m’avance en me baissant, d’entonnoir en entonnoir
jusqu’à cette masse que je reconnais alors pour être un cadavre allemand. Je
m’approche tout près et l’examine avec curiosité ; il est couché sur le
côté droit, moitié sur le dos, une jambe est raidie et l’autre pliée, le pied à
hauteur du genou et la poitrine est bombée, on voit qu’il s’est tordu dans les
souffrances de l’agonie. Il est chaussé de grandes bottes, son pantalon fendu
aux deux jambes, laisse apparaitre la chair noirâtre, séchée au soleil. La
chemise seule cache la poitrine car la veste rabattue sur la tête lui cache
entièrement le visage.
Je n’y touche pas par respect de la
mort et de peur de multiplier l’intensité de l’exhalation de l’odeur
désagréable qui s’en dégage.
Enfin je reviens au boyau toujours en
me baissant et continue ma corvée.
Ce soir, je pose des fils de fer en
3ème ligne. On entend des fusillades en première ligne. On entend des
fusillades (500m) mais ce n’est pas sur nous que l’on tire. Je rentre à minuit
½.
(Partie manquante…)
Un caporal risque tout (ayant déjà
passé au falot) ayant voulu poser des fils de fer, je me suis retiré de
l’équipe et comme les officiers ne savent rien de la mutation, je suis exempt
de corvée et de garde.
En conséquence, je peux roupiller à
mon aise toute la nuit. Cela semble bon.
Le tantôt, je confectionnais des
boules, lorsque l’un des agents de liaison vient me dire :
« GUIBERT ! Au lieutenant de suite ! »
Vite, je mets mon équipement, prends
mon fusil et file avec joie au poste de commandement. Ce ne peut être que pour
le téléphone ou la musique.
En effet, c’était pour me donner une
permission afin d’aller chercher mon instrument et entrer ensuite dans la
musique. Quel bonheur ! Revoir tous ceux qui me sont chers, faire mes
Pâques à Charly.
Toutefois, une ombre voile ce
bonheur : la famille en deuil... (*)
Mais je pourrai les consoler, ces
chères âmes éplorées. Je puis dormir toute la nuit pour la même cause qu’hier.
Permission à Charly-sur-Marne
jusqu’au 2 mai 1916.
(*) : Mort du père de sa fiancée le 13/04/16 à Verdun.
Georges MAURY, recrutement de Soissons né en juillet 1873 à Paris, était
conducteur automobile au 8e escadron du train des équipages
militaires.
Je prends le train de
permissionnaires à 16h 17, descend à Suippes à 23 h1/2. Il pleut un peu et la
nuit est noire. Au train régimentaire tout est déménagé, j’y passe la nuit avec
quelques camarades et le 4 mai au matin, nous partons à pied au camp Berthelot. (*)
Nous trouvons 2 occasions de voiture
et arrivons à 16h.
(*) : Le camp Berthelot se situe entre Mourmelon et St-Hilaire-le-Grand (51)
Nous allons un peu à l’exercice car
le chef n’est pas revenu de perm. Quelques obus tombent un jour et tuent 2
chevaux, le lendemain d’autres marmites blessent 5 hommes de la 21ème. (*)
(*) : Il s’agit bien d’hommes de la 21e
compagnie : Ernest HAMELIN, Pierre HOUSSIN, Noël VIGNEUX, Florent BEL et
le capitaine FERRARI (JMO)
Le régiment se rassemble pour partir
à 21h à travers le camp, par un faible clair de lune. Nous arrivons au camp de
la Noblette à minuit ½. (*)
(*) : Proximité de Cuperly
(51)
Musique
toute la journée.
Même emploi du temps, mais le soir on
parle de départ.
Cela ne traîne pas.
A
7 h du matin, nous embarquons dans des camions automobiles : nous
sommes 20 par voiture et le convoi à plusieurs kilomètres de longueur. Nous
passons à la Cheppe,
Nettancourt et nous descendons à 13 h, avant
d’arriver à Brabant-le-Roi. Nous
nous reposons sur l’herbe au soleil pendant que passent en camions le 294 RI et
le 355 RI. Ces régiments venaient de plus loin que nous et les soldats étaient
tout blanc de poussière.
Vers
14h, tout le régiment met sac au dos et nous entrons dans le
pays. Quelques civils sont restés dans les maisons non bombardées mais il y a
surtout des soldats. Nous logeons à une compagnie ½ dans une vaste grange dont
l’aire est en crottin de cheval. Toutefois, qu’il n’y ait pas de trou dans la
toiture, nous ne nous déplaisons pas.
Nous sommes à 16 km à l’est de
Bar-le-Duc. Certains disent que nous allons à Verdun, mais je crois que comme
divisions volante, nous allons à l’arrière des places faibles du front.
20h : Après
être allé faire un petit tour comme chaque jour à l’église qui est très
coquette, je suis allé avec 2 copains à Revigny, petite ville située à
2 km de Brabant. La ville devait
être très jolie avant la guerre à en juger par le pourtour épargné par les
obus, et ses promenades très ombragées entre les deux bras de la rivière. Mais
le clocher, l’hôtel de ville et le plus riche quartier ne sont qu’un amas de
décombres. En revenant de la visite de la gare, nous voyons un embarquement de
prisonniers allemands. Nous avons rencontré plusieurs auto-ambulances contenant
des blessés français et allemands. Cela a dû chauffer ces jours-ci.
Le lieutenant téléphoniste m’a fait
appeler tout à l’heure pour
me demander si j’accepte d’être signaleur. Comme je vois que nous allons
là où cela chauffe, je me suis empressé d’accepter. Je n’attaquerai toujours
pas, et il fait meilleur avec les officiers que dans une charge à la
baïonnette.
Je suis de réserve.
Le soir, nous avons une revue de
vivres et de munitions et le chef m’annonce que je passe en subsistance à la
CHR à la date du lendemain matin. (*)
(*) :
Compagnie Hors Rang : La CHR est une entité sous le commandement direct de
l’état-major du régiment. Elle réunit le personnel de : l’approvisionnement,
des liaisons téléphoniques, les sapeurs-bombardiers, l’armurier, le
vétérinaire, vaguemestre, cuisiniers, musiciens-brancardiers, tailleurs,
cordonniers…
Le matin, j’arrive avec tout mon
barda au cantonnement des signaleurs. C’est une grange où l’on couche sur un
tas de foin. Dans la journée, nous faisons quelques exercices. Cela va tout à
fait bien.
Le matin nous avons répétition de
musique et le tantôt, concert. Notre auditoire est composé exclusivement de soldats.
Pas une seule dame, pas une seule demoiselle ; cela n’a pas le charme de
de la Fraternelle, au temps où nous étions heureux. Mais chacun est content
tout de même, car la musique anime les sentiments et fait voir la vie du bon
côté.
Aussitôt le concert terminé, le
caporal-fourrier nous photographie.
A 7 h du matin, nous embarquons en
auto-camions sur la route de Bar-le-Duc. Il tombe quelques gouttes et le temps
est incertain. Aussitôt partis, la pluie se met à tomber. Nous traversons
Bar-le-Duc, ville très ordinaire, puis Souilly et quelques petites villes plus
ou moins ravagées par le bombardement. Nous débarquons sous la pluie battante à
Nixeville, près d’un bois à quelques km de Verdun.
Un régiment descendant des tranchées
attend son embarquement de l’autre côté de la route. Les hommes sont couverts
de boue et paraissent fatiguée, déprimés, ils nous regardent sans bouger, sans
causer. Lorsque les camions viennent se ranger pour leur embarquement, un cri
de joie s’élève et tous courent à leurs faisceaux. Ils sont heureux de
s’éloigner de ce coin maudit.
Au loin, on entend un bombardement
continuel mais aucune marmite ne vient nous trouver car nous sommes paraît-il à
18 km des lignes.
Après une demi-heure d’attente, nous
entrons dans le bois. La pluie redouble et le taillis est transformé en
marécage.
Enfin nous arrivons devant une
baraque, nous y formons les faisceaux, nous déséquipons et le colonel donne
l’ordre de monter les tentes. Nous entrons les appareils à l’abri et le
lieutenant FRÉMONT (téléphoniste) me dit de rester sous la baraque comme
planton aux appareils et au drapeau. Je n’en suis pas fâché car il pleut
toujours.
Au bout de quelque temps, le colonel
me dit :
« Tu peux disposer de ta personne, il y a assez d’officiers ici, pour remplacer un planton. »
Je vais donc rejoindre mes camarades
signaleurs.
La pluie a cessé et le lieutenant
FRÉMONT nous a trouvé une place dans le baraquement. Nous y transportons des
panneaux de planches que nous disposons à terre pour ne pas coucher dans l’eau,
et nous nous installons à douze, nous ne tenons pas beaucoup de place.
17h :
je ne suis pas percé par la pluie et mes chaussures n’ont pas pris l’eau, mais mes
bandes sont traversées, je les retire ainsi que mes brodequins et m’étend sur
la planche. Cela fait du bien de se reposer et d’avoir chaud aux pieds.
Je suis privilégié, car mes camarades
de la compagnie sont sous les tentes.
Je fais la grâce matinée puis je sors
me réchauffer au bon soleil.
A
18h, nous partons pour Verdun en suivant toujours la ligne de
chemin de fer meusien qui longe la route. Il fait lourd et au bout d’un
kilomètre, nous nous dérangeons pour ne pas marcher sur un homme étendu par
terre qui, pris de congestion, saignait de la bouche. En avançant, nous voyons
distinctement au loin, la flamme des shrapnells qui arrivent sur Verdun.
A
la nuit complète, nous entrons dans la ville maudite.
Comme la CHR est à la fin du régiment,
la compagnie de tête est déjà à la
citadelle. Nous ne sommes pas plutôt à la hauteur d’un panneau lumineux
où se lit « zone dangereuse,
passez vite » que 4 ou 5 obus sifflent et éclatent devant nous. Un
recul se produit dans la colonne. Certainement, il y en a de touchés. Enfin la
rafale s’arrête et nous avançons. Des brancardiers viennent de panser un blessé
dans une petite maison mais ils nous disent :
« Il doit y en avoir d’autres plus loin car nous avons entendus des cris ».
Nous avançons encore en pressant
l’allure et que vois-je ? Au carrefour d’une voie descendant de la
droite ? Des masses sombres sont éparses sur la route… ce sont des hommes.
Puis ces masses forment comme une circonférence… Certains sont immobiles.
Je fais un effort pour ne pas mette
le pied sur un soldat tombé, sac au dos, la face contre terre, presque en
travers de la route. De l’autre côté, un blessé agite les bras en criant :
« Oh ! Ma jambe, les gars, ma jambe ».
Plus loin, un autre appelle :
« Au secours, il y en a à côté de moi qui n’a plus de jambe ».
De toutes parts, on entend des
plaintes. De chacun de ces corps étendus, coule une mare plus sombre :
c’est du sang. L’air est imprégné d’une forte odeur de poudre, un obus a dû
tomber en plein milieu de la colonne. Plus loin, on aperçoit sur la route des
traces de sang : des blessés ont pu marcher et sont partis avec les
autres.
Tout le monde se met à courir, je
suis le mouvement. Quoique fatigué par la marche, je retrouve toutes mes forces
et file comme un zèbre sur la route en remblai et criblée de trous d’obus.
C’est une pagaille sans pareille. Je m’arrête après le panneau indiquant la fin
de la zone dangereuse où sont déjà les mitrailleurs.
Nous nous reformons et montons à la
citadelle où est notre cantonnement.
J’ai passé une bonne nuit sur la
paille, car l’aventure d’hier soir ne m’avait pas trop émotionné. Nous avons
des détails sur l’incident. Il y a en tout 32 blessés et 14 tués dont 6 tués de
ma compagnie et 5 brancardiers blessés (3 de ma section). (*)
Nous montons ce soir aux
tranchées ; la route est dangereuse, mais je ne m’en fais pas de
bile : à la grâce de Dieu, la divine Providence gardera mes pas…
J’aurais bien voulu aller faire un
tour dans les cimetières militaires pour trouver la place où est Monsieur MAURY
(le père de sa fiancée) mais nous n’avons pas le droit de sortir de la
citadelle à cause du bombardement.
Nous partons pour les tranchées à 20
h, en longeant les maisons, traversons une rivière, la suivons un peu, puis
prenons la campagne. Nous gravissons péniblement un coteau et prenons le boyau
pour descendre l’autre versant.
Plusieurs fois, des tirs de barrage
nous obligent à faire demi-tour. Des grosses pièces françaises tirent
continuellement autour de nous. (Abri des 4 cheminées, le poste du colonel).
Localisation exacte
de l’abri et du boyau des 4 cheminées.
Les cheminées sont
représentées par 4 petits carrés
Nous traversons un ravin, remontons une
côte, suivons une ligne de chemin de fer et arrivons haletant, tendant des cous
de girafe et trempés de sueur, à une redoute profonde et maçonnée, pleine de
soldats. (**)
Nous passons le reste de la nuit
dehors, assis sur nos sacs.
Pour passer le temps, je m’amuse à
grignoter un biscuit.
(*) : Le JMO signale 14 tués et 33 blessés. Liste
nominatives ici.
Henri était donc bien à la 23e compagnie qui a eu 8 tués.
(**) :
Cette « redoute », s’agit-il de l’ouvrage de Thiaumont ? Le récit du parcours fait plus penser à l’ouvrage de Thiaumont, l’ouvrage de Froideterre
étant en arrière des 4 cheminées (abri du colonel), et c’était de plus conforme
au fait de suivre une voie ferrée (le
Meusien de Verdun à Bezonvaux passant à Fleury et
bifurquant vers Vaux peu avant Thiaumont). Cet
ouvrage n’était plus utilisé que comme abri des troupes chargées de la défense.
Vers
3 heure du matin, une dizaine de prisonniers arrivent des 1ères
lignes : ils sont grands et maigres et apparemment du 6ème
régiment de garde.
Au jour naissant, je cherche une
place dans le gourbi et je trouve un petit coin où je m’installe de mon mieux.
Les signaleurs n’ont rien à faire tandis que les compagnies en ligne sont sans
abri, derrière un talus.
A
midi, j’apprends qu’il y a 3 téléphonistes de tués ce matin et
qu’hier soir il y a 3 blessés à la relève.
A
minuit, je vais au ravitaillement qui se fait en face de la
redoute. Comme nous avons mangé du singe et des conserves et bu de l’eau
jusqu’ici, le bœuf, les lentilles et le vin nous emblent bon, et nous nous mettons
aussitôt à manger.
A
3 heures, je prends la garde à l’observatoire au-dessus de la
redoute, presque à la crête. (*)
Le jour apparaît et les petits
oiseaux commencent à chanter dans la verdure des buissons. Sur la crête à ma
droite éclatent à chaque instant les gros noirs allemands. Ils tirent sur Fleury, un gros village en ruines.
Mais notre artillerie, comme en tout
temps, tire bien plus que l’artillerie allemande, et c’est dans le ravin un
bruit d’enfer. (**)
A
6 h, je descends me reposer. Peu après, nous avons une alerte
avec gaz ; je prépare mon masque pour le remettre dans sa boite une heure
après ; ce n’était qu’une fausse alerte. Enfin, je m’endors au bruit du
canon.
En me réveillant, j’entends dire
qu’il vient d’avoir un tir de barrage ; je ne l’ai pas entendu.
A
16h 30, je monte à l’observatoire et vers 19 h, nous partons
pour 2 jours à Vadelaincourt, pour faire des essais
de télégraphie optique avec avions.
Une automobile vient nous chercher à
22 h et nous filons vers l’arrière. Nous couchons sur un bon lit de paille,
tout allongés.
(*) : Les
2 postes d’observation de Thiaumont étant alors
détruits en mars 1916 (source fortiffsere), il devait donc être à Froideterre.
(**) :
Ravin des Vignes ou Ravin de Froideterre … ?.
Nous ne faisons pas beaucoup
d’exercice, car nous connaissons la théorie d’avance.
A chaque instant, des avions
chasseurs et observateurs s’envolent et atterrissent tout près de nous. Le
tantôt, je lave mon linge, car il fait chaud, ce sera vite sec. On est content
d’échapper un peu à l’enfer de Verdun.
Il fait toujours beau temps mais le
canon tonne sur Verdun. On dit que les chasseurs attaquent aujourd’hui et toute
la division demain.
A
19 h, des automobiles nous emmènent à Verdun et nous laissent
au pied du fort de St Michel.
Nous gravissons la côte ; au
magasin du génie, un agent de liaison nous conduit, et nous repartons dans le
boyau pour « les Quatre cheminées ». Les Boches lancent des obus à
gaz lacrymogènes qui nous piquent fortement aux yeux.
Nous arrivons à destination vers 23
h.
Vers
1 heure du matin, je suis désigné pour aller au 6ème bataillon avec mon
camarade ; c’est notre tour. Nous mangeons un peu et un agent de liaison
nous conduit à travers la plaine jusqu’au petit poste de commandement du 6ème
bataillon. (*)
Peu après notre arrivée, le
commandant va s’installer de l’autre côté du ravin. Nous descendons le boyau et
remontons l’autre versant pour prendre un boyau à mi-côte sur la gauche qui
s’en va dans la direction des Boches.
Le bombardement est presque nul, mais
on voit que la bataille à fait rage dans ce ravin surnommé le ravin de la
Mort (*) car tous les arbres sont déchiquetés
et couchés à terre et le sol est retourné par les marmites. Ce n’est qu’un
chaos de branches, de pierres, d’entonnoirs, de débris de toutes sortes.
Nous nous couchons dans des petits
trous de la longueur d’un homme creusés dans le parapet de la tranchée.
L’attaque doit avoir lieu dans la matinée et notre artillerie commence à
arroser les lignes ennemies.
Vers
10 h, le bombardement fait rage car les Boches se doutant sans
doute de quelque chose, répondent avec de grosses marmites. Les grenadiers
passent pour partir les premiers à l’attaque et le commandant nous dit de
mettre la toile de tente en bandoulière pour monter avec lui. Mais le
bombardement devient de plus en plus terrible. Les blessés défilent dans la
tranchée. Les mitrailleurs s’apprêtent à partir avec leurs pièces, en même
temps que les vagues. L’un d’eux revient en tombant à chaque pas :
l’émotion et l’effroi le terrassent, il est blanc, prêt à défaillir.
L’heure de l’attaque arrive, mais le
bombardement est si violent que le commandement commande : en arrière, car
il y a la moitié du monde hors de combat. Je m’occupe alors de ma sécurité et
cherche vivement un petit abri. A plusieurs reprises, des marmites éclataient
tout près, me couvrant de terre et je suis obligé de changer d’abri.
Enfin, je m’allonge dans un trou
assez creux et me garantis avec 2 ou 3 sacs. Je puis à peine me retourner. Les
blessés passent toujours et les tués ne se comptent plus. Je ne perds pas
confiance, car j’ai foi en ma bonne étoile.
Tout l’après-midi, je reste terré
dans mon trou.
Le
soir, deux compagnies du 294 RI viennent renforcer le
bataillon.
Quelques hommes s’arrêtent en face de
mon abri et dans la nuit, un obus éclate de l’autre côté du parapet me couvrant
de terre et brisant un bras et une jambe d’un poilu qui se trouve là. Je fais
des efforts pour me déterrer, mais impossible. Je m’accroche alors
désespérément à une racine et tire de toutes mes forces. Je sors du trou,
emporte deux sacs et me sauve en courant pour trouver un autre abri. Je passe
en face de l’abri du commandant où 2 ou 3 morts ont été étendus par une
marmite. L’un à la jambe coupée.
Enfin la compagnie des renforts
arrive et je me fourre dans un abri assez confortable. Je mobilise tous les sacs
que je trouve autour de moi pour m’en faire un mur de protection contre les
éclats.
A plusieurs reprises, les obus
viennent éclater en face de moi sur le parapet, envoyant des éclats dans les
sacs sans me toucher.
Au
matin, je m’occupe de savoir si le commandant est toujours dans
son abri près de moi, mais effrayé par les marmites, il est parti sans me
prévenir ; on me dit qu’il est retourné en 2ème ligne. Comme il
est impossible d’y aller dans le jour, je me décide à rester là.
Je retrouve mon camarade
signaleur : un éclat lui est arrivé dans le bras hier, sans entrer, il est
allé au poste de secours, puis voyant que de nombreux blessés y étaient
bousillés, il a préféré revenir. Il me dit que nos sacs sont enterrés ; je
ne me fais pas de bile et retourne dans mon trou pour attendre la nuit.
J’ai les membres et surtout les
genoux douloureux d’être resté dans les trous. Je n’ai ni mangé, ni bu depuis
deux jours, mais je n’ai pas faim, l’odeur du sang et de la poudre m’emplissent
l’estomac. A chaque instant, les grosses marmites éclatent tout près, font
trembler la terre, le vacarme est assourdissant.
Ce
n’est que vers midi que le bombardement s’atténue. Je
prends un peu de pain et du beurre (car je n’ai pas quitté ma musette) et me
force à manger. Puis je me mets à lire les lettres que le sergent m’avait
données Aux Quatre Cheminées.
Mais une dépression nerveuse s’opère
en moi à la lecture de ces phrases sentimentales et je vais pleurer comme un
enfant. Pourvu qu’on soit relevé ce soir, car je ne suis pas le seul qui soit
démoralisé. J’ai vu de vieux soldats s’affaisser dans la tranchée, terrassés
par la peur.
Je vais chercher mon sac que l’on
vient de déterrer et remplace ma toile de tente qui a été déchirée. Nous avons
décidé de remonter aux Quatre Cheminées
ce soir, car mes phares (pour la
signalisation) sont brisés par des éclats d’obus.
A
la tombée de la nuit, le bombardement reprend et nous
partons que vers 22 h. Il y a des blessés plein la redoute et avec un soupir de
soulagement nous apprenons que le 6ème bataillon est relevé ce soir ainsi que
la CHR.
Cette dernière arrive sur ces
entrefaites, nous sommes contents de nous revoir. Mes camarades sont surpris de
me retrouver sain et sauf, car on m’avait dit blessé grièvement… Le lieutenant
était en peine pour moi et m’exprime sa joie de me retrouver intact. Je n’ai
qu’une petite égratignure au nez, à la base du front. Nous prenons le chemin de
Verdun et traversons des nuages de gaz lacrymogènes qui transforment le nez de
nos braves poilus en vraie fontaine. Nous rencontrons des ambulances pleines de
blessés et le 355 RI qui vient nous relever. Nous entrons au petit jour à
Verdun où nous cantonnons dans une caserne.
Nous partons le 24 au soir à destination
du bois de Nixéville. Nous passons dans Verdun par la
zone défilée et marchons une grande partie de la nuit. Nous nous installons
dans des baraquements.
Mais le lendemain, il faut monter les
tentes pour laisser les baraquements au 5ème bataillon qui arrive dans la nuit.
Nous apprenons qu’i y a un signaleur
de tué pour cause d’imprudence de sa part.
Nous embarquons à midi dans des
autobus qui viennent d’amener le 410 RI et sa division, retraversons Bar-le-Duc
et descendons de voiture à 6 ou 7 km de cette dernière ville. Nous allons à
pied jusqu’à Chardogne (1km1/2) où nous cantonnons
dans une ferme.
Nous sommes tranquilles car nous ne
sommes que les 13 signaleurs, et nous pouvons avoir du lait à volonté de sorte
que nous nous sommes associés à 5 pour faire du chocolat. C’est moi le
cuisinier, et ma foi, mon fricot avait bon goût, et il était meilleur que celui
que je m’étais fait avec de l’eau du bois de Nixéville.
Nous jouons de la musique toute la journée.
C’est la 1ère communion. L’église est
bien ornée et cette cérémonie me rappelle de doux souvenir et toutes les mères
pleurent aux paroles émouvantes du prêtre.
Musique.
Nous partons à 5 h du matin, à pied,
pour Ville-sur-Saulx, musique en tête, sac à la
voiture. Nous arrivons vers 2 h de l’après-midi. La musique est à part.
Nous donnons un concert, le soir, au
château où est le colonel. (Château de Trèves)
Jour de l’Ascension, messe en
musique, concert à 18 h.
Je revois avec plaisir HARPILLARD (Marcel) et plusieurs copains du 355 RI.
Répétition toute la journée.
La musique joue à la grande messe et
je joue à l’orgue avec un violon et les bois. Je suis nommé téléphoniste et passe définitivement
à la CHR.
Je touche mon équipement de
téléphoniste et mon révolver. Concert le soir au château. Nous jouons notre
petit morceau avec le violon.
Félicitations du colonel.
Départ à 5 h1/2, musique en tête pour
Saint-Eulien, la gare d’embarquement. Nous passons
dans les faubourgs de Saint-Dizier en suivant le canal et arrivons à
destination vers 14 h après avoir reçu quelques giboulées sur le dos.
La CHR et la musique sont cantonnées
dans une vaste grange où la paille est en abondance.
Nous prenons le train à la gare de
St-Eulien à 10 h du matin et débarquons à Epernay.
Nous cantonnons le soir à Damery et repartons le 8 au
matin pour Oeuilly (rive gauche, Marne). La musique
loge à part et je mange avec les téléphonistes.
Musique.
Le régiment (354 RI) est dissous. (*)
La moitié des téléphonistes est
affectée au 294 RI et l’autre moitié au 355 RI. Nous faisons le soir une petite
ribouldingue au téléphone, avant de nous quitter.
(*) : Le JMO du 354e mentionne le 9 juin mais
l’historique du 354e et le JMO du 355e (pour réorganisation des réserves) indiquent
le 15 juin.
Ceux du 294 RI partent le matin,
rejoindre leur régiment.
Nous rejoignons notre nouveau
régiment, le 355 RI, à Port-à-Binson. (51)
Nous avons couché cette nuit sur le
parquet sans paille, mais j’ai bien dormi, j’ai même fait de beaux rêves. La
musique est formée officiellement et passe à la CHR. Je quitte mon emploi de téléphoniste pour passer
musicien et brancardier-auxiliaire. Mon nouveau cantonnement est au bord
de la Marne, agréablement situé.
Le soir, je demande un sauf conduit
pour Trélou (02). (Son
oncle et tante BOUCHARD y demeurent)
Après bien des démarches, j’obtiens
mon sauf conduit et prends le train de 8h ¼. J’arrive à Trélou
vers 9h.
Je passe une journée très agréable,
on se sent bien dans un bon lit, mais il est difficile de dormir.
Je reprends le train de 5 h 45 pour
arriver à Port à Binson à 6h. Mes camarades dorment
encore.
Aussitôt la soupe du matin, je me
promène avec un camarade lorsque j’aperçois Maman sur la route. Quel
bonheur !...
Le tantôt, nous allons faire un
concert au 6ème bataillon, et à 18 h, nous déjeunons sur l’herbe au bord de la
Marne. C’est charmant, mais notre bonheur est de courte durée, car le soir nous
apprenons que le régiment doit partir le lendemain matin.
En effet, il y a alerte à 2h ½ et
nous partons vers 4h, mais j’ai le temps de dire au revoir à Maman.
Il y a des arbres le long de la route
jusqu’à Damery, mais le soleil est chaud et la côte
est longue pour arriver à Hautvillers
surtout que nous avons le sac.
Nous partons d’Hautvillers à 5 h1/2,
traversons beaucoup de bois, passons notamment à Germaine. Les côtes sont longues mais cette fois, nous n’avons pas
les sacs. Nous faisons grande halte près de Ville-en-Selves, dans les bois d’où nous voyons les saucisses
françaises. Nous entendons quelques coups de canon, le secteur est calme.
Nous repartons à la nuit tombante
pour passer la crête, descendons la formidable côte de Ludes
et cantonnons dans le patelin. Je vais chercher mon sac sur le soir au poste de
police, mais il vient d’éclater un orage formidable, on ne voit pas à deux pas
devant soi. Ce n’est pas si peu de chose qui peut faire reculer des poilus.
Musique toute la journée ; nous
couchons sur le parquet ce qui ne m’empêche pas de bien dormir.
Nous changeons de cantonnement, car
le 174 RI part dans la Somme, et
nous prenons la place de la musique.
Nous avons de la paille.
Musique toute la journée.
Le soir à 20h 30, nous partons à 8
pour Sillery (51) où est
l’infirmerie régimentaire.
Nous arrivons vers 22h où, après
avoir bien cherché dans le patelin à moitié démoli, nous trouvons notre
cantonnement.
Le matin, je vais balayer, essuyer
les meubles, laver à l’infirmerie.
Le tantôt, je n’ai rien à faire.
Je fais fonctionner les douches toute
la journée.
Je fais le ménage à l’infirmerie.
Même emploi du temps.
Le soir, nous sommes relevés. Les
Allemands répondent à peine aux rares coups de canon que nous leur envoyons.
Musique toute la journée. Le 9/7 au
soir, nous repartons pour Sillery
pour 3 jours.
Nos batteries tirent un peu le tantôt
sans recevoir de réponse.
Nos canons tirent beaucoup le tantôt,
nous lançons un assez grand nombre de torpilles.
Le soir, à 20h 30, je pars avec 4
camarades brancardiers auxiliaires, un brancard roulant et un major pour le
poste de secours de 2ème ligne. Il doit y avoir un coup de main
cette nuit contre les tranchées Boches.
Nous nous reposons dans un petit abri
en attendant l’attaque vers minuit 1 heure du matin, je suis soudain tiré de ma
somnolence par une vive fusillade. Les balles sifflent dehors et se plantent
dans les arbres ; il ne ferait pas bon sortir en ce moment.
Pourtant il arrive des blessés, il
faudra tout de même les évacuer aussitôt leur pansement effectué. Je ne
m’effraie pas pour si peu, ce n’est pas la première fois que j’entends les
balles. La fusillade se prolonge, le coup est manqué et les nôtres regagnent
prudemment leur tranchée.
Puis le 75 envoie quelques pruneaux
dans la première ligne Boche. La fusillade diminue et finit par cesser. On ne
nous a pas acconduit de blessé, c’est presque incroyable.
Enfin, le calme se rétablit et on
vient nous dire de rentrer car tout est fini et il n’y a pas eu de blessé à
l’attaque. Nous regagnons alors notre cantonnement de Sillery, il est 1h ½ du matin.
Nous apprenons qu’un lieutenant de
crapouillot a été tué au cours de la nuit, d’une balle au front. Deux
assaillants ne sont pas revenus, on ne sait pas ce qu’ils sont devenus.
Deux blessés légèrement, l’un à la
tête, l’autre à la main, sont arrivés ce matin à l’infirmerie, un autre dont
une balle avait traversé les deux jambes alors qu’il travaillait cette nuit, a
été amené ce matin à l’infirmerie.
Aujourd’hui, pas un coup de canon,
c’est le calme absolu.
Après avoir passé 6 jours de délices
à Charly(-sur-Marne),
je prends le train à 16h 17et arrive à Germaine
à 19h 1/2 avec un musicien du 294 RI, je commence à gravir la côte de Germaine,
mais au bout d’un kilomètre, nous entrons dans une ferme où nous ingurgitons
chacun un bon litre de lait froid.
Puis nous continuons notre route et
arrivons vers 21h 30 à Ludes. Quelques camarades causent encore à la lueur
d’une bougie. Je me couche sur un bon lit de paille et me réveille que le
lendemain pour boire le jus.
Je compare ma situation actuelle,
avec les heures de bonheur passées en permission, et le cafard veut me prendre,
mais aussitôt ma toilette faite, j’entends le chef de musique dire « En
place dans le parc ». Je monte ma flûte et la musique disperse les idées
noires.
Aussitôt le repas de midi, je sors ma
bouteille de gnole ce qui enchante les copains, mais j’ai soin d’en garder 1/3
de la bouteille pour moi.
Le
tantôt, nous faisons concert sur la place, à l’issue duquel le
maire de Ludes nous offre 8 bouteilles de champagne
de sa fabrication.
Le
soir, je pars à Sillery avec 7 camarades. Le secteur est
toujours d’un calme absolu.
Je fais fonctionner les douches toute
la journée.
Je n’ai absolument rien à faire comme
service. Nous nous faisons de bonnes salades.
Le
matin, je fais le ménage à l’infirmerie, le secteur est calme
devant nous, mais sur la droite, on entend des éclatements de torpilles ;
ce sont les Boches qui nous ménagent une mauvaise surprise.
Vers
16h, je venais de terminer une lettre lorsqu’on nous dit
qu’il y avait un blessé à aller chercher. Vivement, je range mes papiers coiffe
mon casque, et prends ma boite à gaz à la ceinture et je cours avec 3 camarades
chercher un brancard roulant à l’infirmerie. De là, nous filons au poste de
secours du bataillon.
Il fait chaud et la craie blanche
rend encore plus brulant les rayons du soleil. Un groupe de poilus entourent
curieusement la porte du poste de secours. Ils se rangent à l’arrivée des
brancardiers, et je pose mon brancard près de la porte. Quelques brancardiers
de compagnies sont là : l’un est couvert de sang des pieds à la tête. On nous
dit que le blessé a reçu une balle dans la tête alors qu’il était en 1ère
ligne. Sans doute une imprudence.
Je m’approche de la porte et
reconnais le malheureux. C’est un copain de la classe 16, ayant été à mon
escouade à Pontrieux (22) ; il est de Hautvillers. Le brancard est maculé de sang. (*)
Enfin le médecin qui achevait de lui
faire son pansement nous fait signe de venir. J’entre vivement et soulève le
brancard sans trembler. La vue de ce camarade sanglant, décoloré, haletant, ne
m’impressionne pas du tout. Nous le déposons à terre dehors et le changeons de
brancard, nous le suspendons à la voiture et nous voilà parti pour Sillery.
Notre blessé ne parle pas, ne bouge
pas. Sa respiration entre coupée fait claquer ses lèvres noires et mousser la
salive. Au fur et à mesure que nous avançons, son visage devient de plus en
plus jaune, ses yeux se retournent et ses mains se refroidissent.
Enfin nous arrivons à l’infirmerie.
Nous le déposons dans la salle de visite. Le médecin-chef le regarde et s’en va
en hochant la tête. Nous avons compris que le malheureux n’en a plus pour
longtemps.
Nous retournons au cantonnement. On
apporte la soupe et je mange d’un aussi bon cœur qu’à l’ordinaire, sans même
prendre le temps de laver le sang qui m’est resté après la main.
Aussitôt la soupe, je me remets à
écrire, mais un infirmier vient chercher un musicien pour reconnaître
l’emplacement de la tombe à creuser, car le blessé est mort. Etant resté seul,
j’y vais moi-même.
Ce
soir, vers 20 h, le bombardement s’accentue sur la droite, les
mitrailleuses crépitent. Enfin, nos batteries crachent aussi et les allemands
leur répondent. Cela nous met la puce à l’oreille car nous devons être relevés
ce soir.
Vers
10h, nos remplaçants arrivent alors que nous sommes dans la
cave. Nous y restons encore une heure, puis le bombardement ayant un peu
diminué, nous prenons le chemin de Ludes.
Nous passons par des chemins défilés
car les Boches tirent toujours sur nos batteries et nous arrivons à destination
vers une heure du matin.
(*) : LEMAIRE Gilbert, Alfred, Adolphe 2ème classe du
355 RI, 20 ans, mort au nord de Sillery, né à Hautvillers 51. Voir
sa fiche.
Nous faisons un peu de musique.
Le matin, je fais le boueur dans les
rues de Ludes avec trois copains.
Le tantôt, musique.
Musique.
Nous nous faisons photographier dans
le parc par un copain du 294 RI, mais il en manque la moitié.
Concert le tantôt. Le maire de Ludes nous offre le champagne.
Musique.
Le 3 août au soir, nous repartons
pour Sillery où le secteur et redevenu calme.
Je fais fonctionner les douches.
Rien à faire.
Je vais dans les cantonnements et
sous les abris des compagnies en réserve, semer de la mort aux rats.
Vers
20 h, les Boches se mettent à torpiller et bombarder les
tranchées, il s’en suit un duel d’artillerie, puis on entend une sirène en 1ère
ligne et la cloche sonne sur la place : alerte aux gaz. Tout le monde
prépare son masque et nous nous disposons à combattre la nappe gazeuse.
Enfin
vers 21 h, un chasseur cycliste nous dit qu’un territorial en 1ère
ligne, prenant la fusée d’une torpille pour un commencement d’émission de gaz,
a donné une fausse alarme. Nous remettons nos masques dans leur boîte et
allons-nous coucher.
Mais le bombardement continue et nous
nous attendons à être réveillés la nuit pour aller chercher les blessés.
Heureusement, il n’y a pas eu de
blessé cette nuit et nous avons pu dormir à notre aise.
A 5 h, 6 musiciens partent à Ludes pour faire répétition, ce matin et je reste avec un
autre jusqu’à 10 h pour faire fonctionner les douches.
Le tantôt, concert.
Musique.
Quelques-uns de mes camarades se font
vacciner contre la typhoïde.
En conséquence, le nombre des valides
est très restreint et je monte ce soir à Sillery.
Je m’occupe des douches.
Je n’ai rien à faire comme service.
Je fais le ménage à l’infirmerie le
matin et le tantôt vers 15h 30, le caporal infirmier vient nous chercher pour
porter de la mort aux rats en 1ère ligne. Par curiosité, j’y vais avec
un camarade. Nous prenons la soupe à distribuer dans un seau en passant à
l’infirmerie, et nous voilà partis vers les lignes avancées.
Le soleil est chaud et le secteur
absolument calme. Le caporal brancardier du poste de secours avancé, nous
conduit dans les boyaux bien taillés, bien balayés, bordés au niveau du sol de
touffes de luzerne et de coquelicots qui, penchés au-dessus des bords, donne un
petit ombrage bien faisant. Jusqu’en ligne 1 bis, pas de trace d’obus.
En première ligne, quelques poilus
reconstruisent le bord de la tranchée avec des sacs à terre, d’autres
rectifient la banquette de tir. Mais la plus forte partie se reposent
dans les abris pour travailler la nuit.
Un fusil mitrailleur est braqué, puis
un fusil lance grenade, plus loin une mitrailleuse. Une petite torpille
allemande non éclatée est dans le parapet disposée de façon à ce qu’on n’y
touche pas. De place en place, les sentinelles jettent un coup d’œil prudent
sur l’herbe haute et touffue et les réseaux de fil de fer qui sont en avant.
Tout en distribuant ma soupe aux rats sur le bord du parapet, je me garde bien
de me lever trop haut, car c’est ainsi qu’a été tué mon camarade (Gilbert) LEMAIRE.
Enfin nous descendons à l’arrière par
le boyau de droite du secteur. La verdure pousse non seulement au niveau du sol
mais aussi dans les boyaux et les feuilles des petites pousses d’arbre
effleurent le visage des soldats qui passent.
Nous passons sous une route bordée
d’arbres qui serpente à travers les lignes françaises, disparaissant sous une
couche de verdure. Puis nous regagnons le canal par un petit bois en rase
campagne.
Nous partons pour Ludes
à 5h ½ du matin et y faisons le concert le tantôt.
Je fais les fonctions de cantonnier.
Répétition le matin, repos le tantôt.
Musique.
Concert le tantôt dans le parc.
Le soir, nous partons à Sillery.
Je fais le ménage tous les matins à
l’infirmerie. Pas un coup de canon.
Le 23 au soir, nous redescendons à Ludes.
Musique.
Concert.
Musique.
Nous allons, 8 musiciens donner une
petite soirée musicale à Chigny-les-Roses
à l’occasion de la nomination du nouveau commandant du 6ème
bataillon. Nous sommes dans une salle de château éclairée à l’électricité. (*)
Le commandant nous offre cigarettes,
limonade, bière, champagne, gâteaux, café, sans compter les compliments. Nous
repartons à 23 h, heureux d’avoir fait apprécier l’utilité de la musique aux
officiers, cela ne peut nous faire que du bien. Le même jour, j’avais eu la
grande joie de recevoir la photographie de ma petite Fernande.
(*) :
Probablement le chalet de la veuve Pommery
Concert le tantôt à Chigny-les-Roses dans le kiosque.
Le soir, je monte à Sillery mais il
court des bruits de départ.
Les Allemands font un petit
bombardement sur des batteries situées non loin de nous, vers 10h auquel non
répondons à 10h ½.
Nous partons à 18 h pour Ludes et arrivons à 19h ½.
La musique est déjà partie à Rilly-la-Montagne. Nous montons nos sacs.
A
20h ½ la musique du 329 RI arrive dans notre cantonnement et
nous partons à 21 h par la nuit noire, passons à Chigny
où il y a aussi un mouvement de troupes formidable et nous nous arrêtons au
centre de Rilly.
Le chef de la CHR qui passe en vélo,
nous indique le cantonnement de la musique : 3 maisons à l’entrée du pays.
Nous revenons sur nos pas, trouvons la porte, et montons au 1er
étage où les musiciens ronflent déjà sur la paille.
Nous cassons la croûte et nous nous
étendons avec plaisir sur un lit de paille fraiche.
J’ai bien roupillé cette nuit.
Le temps est pluvieux, mais entre
deux ondées, je vais faire un petit tour dans Rilly
qui est très agréable et compte environ 2000 habitants.
Réveil à 1h ½, nous partons à 2h ½ et
arrivons à 10h à Venteuil,
non loin de la Marne. (*)
Nous avons la soupe à 19h.
(*) : Plus
de 20km à pied…
Concert le tantôt.
Le soir nous faisons une petite Nouba
avec le billet bleu que nous a donné le général de brigade à l’issue du
concert.
Concert le tantôt.
Nous partons à 6h du matin, suivons la
Marne jusque près de Port-à-Binson et obliquons vers
le nord.
Nous quittons alors les vignes pour
traverser des champs de blé sous un soleil brûlant, passons à Romigny presque entièrement démoli et
arrivons à Lagery où sont montés des baraquements dans
lesquels entrent les compagnies. La musique est cantonnée dans un moulin à 1 km
de Lagery (moulin de Lhéry), au milieu des près et des champs de
blé et d’avoine.
Je m’aperçois que j’ai attrapé des
totos à Venteuil, je change de linge et le fait
bouillir.
Nous jouons à la messe et nous
faisons un concert le tantôt. Mes parasites ont disparu.
Musique, école de brancardiers.
Repos du régiment.
Concert le tantôt.
Musique.
Ecole des brancardiers.
Musique.
Je fais les fonctions d’infirmier le
matin à la visite, le tantôt école des brancardiers.
Musique.
Ecole des brancardiers.
Je remplis les fonctions d’infirmier
le matin, le tantôt musique et école de brancardiers.
Repos du régiment.
Manœuvre de brigade le matin sous la
pluie.
Concert le tantôt.
Musique.
Manœuvre de division.
Manœuvre de division.
Musique. Concert le tantôt.
Départ à 6h ½ de Lagery
après honneurs rendus au drapeau. Nous jouons dans Jonchery-sur-Vesle et arrivons à Magneux à midi. Le tantôt, nous
touchons, tricot, 2ème couverture, gants et linge de corps. Je ne
prends que le strict nécessaire, et mon sac me semble encore trop lourd. Je
balance mon ancienne couverture (la plus petite) et mes souliers de repos.
Nous touchons un jour de vivres.
Les compagnies partent dans la
soirée, nous avons réveil à 1h du matin et partons embarquer à Fismes (3 km).
Avant de monter dans le train, on
nous donne encore 3 jours de vivres. Le sac est surchargé. Nous entrons à une
dizaine dans un wagon à bestiaux que nous transformons avec de la paille que
nous touchons en wagon-lit. Le train part au petit jour. Nous passons à
Neuilly-St-Front, Fère-en-Tardenois (*),
la Ferté-Milon et entrons dans l’Oise.
Le train file au milieu des plaines à
peine ondulées, dépassent au loin, des rangées de saucisses indiquant
l’emplacement d’un front agité.
Nous arrêtons quelques instants à … (Compiègne ?): des
Boches travaillent dans la gare, un train de chevaux évacués, manœuvre et l’une
des malheureuses bêtes, morte sans doute de ses blessures laisse pendre sa tête
inerte en dehors du wagon.
Puis nous continuons notre voyage et
débarquons à la fin du jour à Longueau (80) après avoir bu un bon jus fait avec
de l’eau chaude d’une locomotive.
Nous mettons sac au dos et partons
dans la nuit pour une destination inconnue. Nous traversons la ville et faisons
la pause en pleine campagne. Le canon gronde au loin, les éclairs se succèdent,
des fusées montent et s’éteignent. Nous repartons, rencontrons deux énormes
canons de 155 longs, traversons Amiens, et suivons une avenue interminable
bordée d’une double rangée d’arbres abritant une file sans fin d’auto-camions.
Mais tout à coup, des éclatements de
bombes craquent derrière nous. Ce sont des avions Boches qui bombardent Amiens
et la gare de Longueau. Aussitôt, les phares sillonnent la nuit, des coups de
canons partent de tous côtés, des éclatements trouent la nuit. Ce feu
d’artifice se prolonge jusqu’à 22 h.
Nous arrivons enfin vers minuit à Pont-de-Metz (6 km sud-ouest d’Amiens) où
je me couche sur un tas de seigle non battu, dans un grenier. Je ne me plains
pas car il y en a qui dorment sur un tas de pommes de terre.
(*) : Venant
de Fismes, Neuilly est après Fère.
Réveil à 7 h.
Je vais prendre un café au bistrot.
J’en bois un autre à la roulante et nous partons à 8 h.
A la première pause, un petit
saignement de nez me prend, j’en profite pour mette mon sac à la voiture ;
un conducteur complaisant m’offre une place à côté de lui.
Je ne refuse pas et j’arrive à Bovelles en
voiture. Nous logeons au premier étage dans la ferme du château.
Rassemblement à 9h ½.
Nous embarquons en auto, repassons à
Amiens et débarquons à la ferme de Bray-sur-Somme
au milieu d’un camp anglo-français. Le 150 RI est là, et comme nous arrivons à
l’emplacement du bivouac, je vois Eugène (*) à
peine reconnaissable à cause de ses longues moustaches. Il y a si longtemps que
nous nous sommes vus !
Pendant que les copains montent la
tente dans le bois, je traverse le ravin avec Eugène et monte au bivouac du 150
RI où les tentes se démontaient, l’ordre est donné de partir à 19h30. Nous
visitons ensemble les pièces de 400 et de 305, puis le 240 qui tire, puis
Eugène retourne à son bivouac et moi à ma tente.
Je m’endors au roulement du canon.
(*) :
Eugène BOUCHARD, son cousin, musicien flûtiste comme lui, au 150e
régiment d’infanterie, de la classe 12)
Départ
à 11h45 pour les lignes.
Nous attendons la nuit dans un bois
près de Maricourt.
Je suis affecté au 6ème
bataillon.
Comme j’allais voir le caporal
infirmier, un 150 arrive dans un boyau, à 10 m de moi.
Je me couche. Personne de touché.
Nous partons le soir, traversons des
villages complètement rasés où il ne reste plus une pierre debout ….. (passage
illisible) et
arrivons sans marmitage à l’emplacement du poste de secours se trouvant dans
une grande excavation à côté de la ligne de chemin de fer.
Nous nous reposons sous un abri de
tôle, mais dans la matinée, comme il pleuvait, un blessé nous arrive conduit
par un brancardier. Je vais reconnaître avec le cycliste le chemin conduisant
au poste central. Ce n’est que trous d’obus dans beaucoup desquels se trouvent
des Anglais et des Boches verts et immobiles. Au milieu du champ de bataille,
une énorme machine anglaise sans roues est défoncée par les obus.
Après avoir longé dans toute sa
longueur le bois des bouleaux, nous arrivons sur la route défoncée aussi par
les obus et trouvons le poste central à 200 m, à gauche.
Nous revenons par le même chemin vers
midi, je conduis le blessé qui marche difficilement, appuyé sur mon épaule. Un
camarade m’accompagne. En revenant, je suis obligé de me planquer plusieurs
fois dans des trous de marmites, car les Boches arrosent de 77.
Vers
le soir, j’apprends que le régiment a occupé une tranchée
abandonnée à 400 m en avant. Il y a un tué et quelques blessés dont un est
apporté sur un brancard. Les médecins et infirmiers le pansent et nous
l’emportons dans la nuit. Plusieurs fois nous glissons dans les trous. Nous
arrivons avec beaucoup de fatigue au poste central et repartons au plus vite.
C’est toujours moi qui conduis, nous arrivons
sans trop de marmitage et nous nous reposons dans une petite sape en attendant
notre relève.
Nous partons au petit jour et
rejoignons le bataillon en réserve dans un boyau.
En arrivant, nous avons de l’ouvrage,
car une marmite vient de faire 6 blessés et 3 tués. Les blessés sont évacués,
je creuse la fosse du lieutenant tué et transporte les 2 autres près de leur
tombe. (*)
(*) : Il
doit s’agir du sous-lieutenant Jean Auguste TOUCHAIS (voir
sa fiche) ; 5 autres soldats ont été tués ce jour
Les nuits ne sont pas chaudes, on
grelotte plus qu’on ne dort, mais nous ne recevons pas d’obus.
Je couche sur la dernière marche
d’une sape.
Il se met à pleuvoir.
Nous installons nos toiles de tente
dans le boyau pour nous mettre à l’abri. Je passe moitié de la nuit dans le
boyau, l’autre moitié dans l’escalier d’une sape.
Il pleut toujours.
Nous sommes dans un état lamentable,
couvert de boue, les pieds trempés. Les chevaux trainant les munitions
s’embourbent dans les trous d’obus et se couchent.
Même temps, même vie.
Le soleil reparaît, la terre sèche un
peu.
Nous remontons le soir, mais en
arrivant à la route, un soldat tombe évanoui. Nous le transportons sur la route
et le major me désigne pour l’accompagner dans une voiture d’artillerie,
jusqu’à l’ambulance de Bray, les postes de secours n’étant pas aménagés. Nous
chargeons le malade en voiture sur son brancard, j’étends une couverture sur
lui, je monte et nous partons sur la route défoncée, sous la pluie fine qui
commence à tomber.
Un peu avant d’arriver, mon malade se
réveille sous l’influence de la pluie et des cahots et je le questionne. C’est
un séminariste de la classe 15, originaire du Rhône.
En arrivant, je m’adresse à une tente
très éclairée où sortent des médecins en blouse blanche, lesquels me disent de
m’adresser au triage des blessés. Là, j’explique l’aventure au major qui me
rend mon malade.
Des territoriaux m’offrent du thé
bien chaud et des couvertures et je m’étends sur un brancard.
A 6 h du matin, je me réveille, m’équipe,
replie mon brancard et pars à la recherche du train régimentaire où sont les
cuisines qui doivent me ramener en ligne. Je le trouve enfin parmi l’immense
camp garni de voitures. Je mange, bois le jus et la gnole avec les cuistots, et
nous repartons vers midi dans la direction des lignes. Je suis juché sur la
roulante et me cramponne après la cheminée pour ne pas être renversé par les
cahots.
Nous traversons le camp anglais où
les roues enfoncent jusqu’aux moyeux, passons auprès d’innombrable batteries
lourdes anglaises qui ne cessent de tirer et nous nous arrêtons à 3 km des
lignes sur une route que répare les territoriaux, à l’emplacement d’un village
où il ne reste qu’une grille debout et un christ dans le cimetière.
Soudain un obus arrive à 100 m en
avant de nous, puis un autre à 100 m en arrière. Enfin un troisième vient
éclater tout près de nous, à 1 m de la route, un territorial est blessé au
bras. Le coin devient dangereux, et comme le jour baisse, nous avançons jusqu’à
l’emplacement du ravitaillement. Après 3 ou 4 heures d’attente, les
brancardiers du 6ème bataillon viennent au ravitaillement. Je pars
avec eux et arrive au poste de secours du 6ème bataillon à la tranchée Lesbœufs.
Localisation exacte
de la tranchée Lesboeufs.
Carte tirée du JMO
de la 112e brigade d’infanterie
Dans la matinée, on amène un blessé, le
médecin le panse et nous l’emportons au poste central, mais quel chemin !
En descendant au ravin, les trous d’obus sont garnis d’Anglais morts et pour
remonter, il faut marcher sur les Boches à moitié enterrés dans la boue du
chemin et que les roues des engins ont déshabillés à force de passer dessus.
Après avoir déposé notre blessé, nous
regagnons notre poste de secours.
Peu de temps après, la préparation
d’artillerie se déclenche en vue de l’attaque ; ce n’est qu’un
pétillement, un bourdonnement, un sifflement continu qui durent deux heures.
L’attaque a réussi mais nous avons des pertes. On installe un poste de secours
avancé en avant de Morval
où je me rends à la tombée de la nuit avec d’autres brancardiers. Il y a
beaucoup de blessés, je fais un premier voyage lorsque le bombardement est un
peu calmé. Il y a beaucoup de trous d’obus mais il fait clair de lune.
Nous revenons et repartons. Cette
fois, il nous faut attendre au central, jusqu’au jour car les brancards
manquent.
Je regagne le poste avancé en courant
à travers le bombardement et passe la journée dans une sape.
Le soir, nous avons beaucoup de
renfort de brancardiers ; je vais en première ligne avec 3 musiciens du
294 pour voir s’il reste des blessés. Il n’en reste pas, nous revenons au poste
de secours et faisons trois voyages dans la nuit.
Les Boches, sans doute en colère de
notre attaque d’avant-hier et de notre petite avance d’hier nous sonnent un
bombardement terrible : la sape tremble sous les explosions, une entrée
est bouchée.
Le soir, ils se calment, nous sommes
relevés, et c’est avec un soupir de soulagement que j’emporte en vitesse mon
dernier blessé. Nous partons ensemble par un chemin creux obstrué par quatre
cadavres de chevaux. Nous passons prendre nos sacs et continuons notre chemin
sous le clair de lune pour arriver entre Bray et Maricourt
au petit jour.
Le soir, nous embarquons en auto,
roulons toute la nuit et arrivons le 11 octobre au petit jour, près de Glatigny (15
km au nord-ouest de Beauvais) Nous cantonnons dans le pays.
Il y a un tué à la musique et 6
blessés par un obus qui est arrivé au central. Je me suis bien reposé cette
nuit, mais j’ai comme le choléra sans doute, occasionné par les odeurs cadavériques
au milieu desquels je ne cessais de voyager sur le champ de bataille.
Nous
menons une vie de gargantuas : chocolat au lait, oie, lapin, biftecks etc.
défilent à tour de bras dans ma gamelle. Je me promène dans les villages
environnants pour acheter des lapins.
A 5h, nous embarquons les caisses à
musique au train régimentaire qui part à 6h1/2.
Deux concerts le tantôt.
Départ à 9h en auto-camions ; après
avoir été secoués toute la journée, à faire tourner du lait en beurre, nous
débarquons vers 23 h du soir près de Suzanne
où nous passons la nuit dans des baraquements.
Nous partons en ligne à 17h.
Je suis au central et notre brancard
et le panier médical sont attachés sur une voiturette de mitrailleuse que nous
suivons. La nuit est noire comme de l’encre et la pluie tombe ce qui ne nous
empêche pas de marcher vite.
Arrivés à la brigade, nous portons
panier et brancard sur notre dos et nous engageons dans un boyau pour arriver
sans marmitage à 22h au poste de secours.
Nous entrons dans une sape, à 3h du
matin dans une autre.
Un caporal-fourrier est blessé. Je le
conduis au central, puis nous changeons de sape pour aller avec d’autres
musiciens. Je vais à l’eau à la Somme qui coule à 150 m de notre sape et sur
laquelle pullule une fourmilière de canards que les obus font sauter en l’air
en explosant dans l’eau.
Je vais le soir au ravitaillement.
Je travaille le soir à l’abri du
médecin-chef.
Même travail au petit jour.
Le soir, je vais chercher un blessé à
la jambe, le long de la Somme après être allé au ravitaillement.
Au petit jour, continuation du
travail de consolidement de la sape du médecin-chef.
Même travail à 3h du matin.
Jusqu’à ce jour, le temps a été
humide, et il ne se passait pas une journée sans qu’il tombe quelques gouttes et
les boyaux étaient encore praticables, mais aujourd’hui, il a plu à torrents
toute la journée.
A la tombée de la nuit, nous
transportons le panier médical en passant par Cléry. La route est assez bonne, mais souvent marmité ; nous
passons vite au milieu de décombres de toutes sortes, de pans de mur troués par
les obus ; s’il avait fait complétement nuit, plus d’un serait
certainement dégringolé dans les trous d’obus plein d’eau, car nous marchons au
niveau et tout près de la Somme. Nous remettons panier et brancard au cuisto, prenons notre ravitaillement, et revenons par le
boyau. Nous avons de l’eau par-dessus les chevilles et tous les vingt mètres,
nous nous enlisons dans les paquets de terre éboulés, il faut s’aider des
coudes.
En descendant le ravin des Berlingots, j’enfonce tout à coup dans la boue
jusqu’aux genoux et après 100 mètres de cette marche, je remonte dans le boyau
conduisant à notre sape où j’arrive couvert de terre des pieds à la tête, les
souliers, les bandes et les bas du pantalon recouverts d’une épaisse couche de
boue luisante. Nous mangeons et couchons sur nos planches.
Nous sommes relevés le soir, et comme
il fait un peu de soleil dans la journée, nous prenons le boyau à la brume, les
Boches marmitent Cléry.
Nous attrapons la route et aussitôt Feuillères,
nous montons dans une auto de ravitaillement qui nous débarque à Eclusier, et remontons au camp 18.
Notre baraque est remplie de lit de grillage à 2 étages. Plusieurs fois, on
fait souffler les bougies à cause des aéros boches
qui lancent des bombes.
Je me nettoie à la Somme où l’on
accède en passant dans des marais, je gratte mes bandes mais il y a trop
d’ouvrage à ma capote, je renonce à la nettoyer, il faudrait la nettoyer à
grand eau.
Aussitôt la soupe de 10h, je pars au
train de combat chercher mon linge propre. La route est couverte d’une épaisse
couche de boue liquide qui éclabousse au passage des nombreuses autos et
chevaux.
Nous passons dans Suzanne à moitié
démoli et arrivons à destination. Nous allons boire un coup de pinard à Cappy et revenons à Eclusier pour prendre une douche.
Le matin, je lave mon linge dans le
canal à Eclusier, près des boches qui déchargent des pierres.
Répétition le matin, concert le
tantôt.
Remballage des instruments.
Départ pour les lignes par un clair
de lune caché par les nuages.
Repas dans la sape.
Le matin, travail au poste de
secours.
Idem.
Nous creusons un boyau près de Cléry pour faire une entrée de sape.
Le soir, je vais chercher un
mitrailleur tué dans le boyau conduisant en 1ère ligne et je le
porte au cimetière. Il y en a déjà trois qui attendent depuis le matin.
A 5 h du matin, nous creusons deux
fosses de trois, car il y en a deux autres de la nuit. Nous montons les morts
sur le talus et les alignons dans les trous, nous nous découvrons, le prêtre
lit la messe et nous rebouchons les trous.
Le soir, nous allons commencer un
poste de secours, mais on vient nous dire de ne pas continuer.
Le soir, aussitôt le repas, nous
allons chercher un mort au 5ème bataillon et le portons au
cimetière.
Nous restons dans notre sape et le
colonel et le médecin s’en vont plus à l’arrière.
Nous travaillons à la sape du poste de
secours près de Cléry (au colonel) de 11h à 17h1/2 et revenons dans notre sape
au ravin des Berlingots.
Nous travaillons cette fois de 5h à
11h du matin.
En
arrivant au poste de secours, on nous apprend qu’il y a 2 blessés sur la route
au-dessus. Nous prenons les brancards et partons avec 4 divisionnaires (*) à la recherche des
malheureux. Nous prenons le premier qui se plaint faiblement, couché dans la
boue, et les divisionnaires emportent le deuxième qui crie à pleins poumons. Je
l’entends de la route.
Deux chevaux sont tués, deux autres
sont tombés dans la boue et s’agitent encore. Nous ramenons notre blessé par le
boyau au poste de secours où il est pansé par le médecin chef ; c’est un
conducteur du 54 RI, il faudra lui couper la jambe et le poignet. L’autre, du
même régiment à une jambe coupée et l’autre cassée.
Nous nous mettons au travail. A 100 m
dans le boyau, un mulet blessé de la nuit agite faiblement les trois jambes
sont cassées ; sur le boyau un territorial est tué, le nez dans la terre,
à côté d’un cadavre de mulet.
(*) : 4 divisionnaires : 4 brancardiers rattachés à
la division d’infanterie.
Il existait des brancardiers dans chaque régiment, plus
un groupe de brancardiers dans chaque division d’infanterie qui pouvaient être
en renfort pour les unités en premières lignes de cette division.
Travail au poste de secours.
Idem.
Le tantôt, les musiciens de service
étant absents, je vais transporter un blessé à la tête et dans le dos de la
classe 16, touché pendant la rafale du ravin des Berlingots.
Travail habituel sans incident.
Même travail, je prête la main pour
enterrer un cheval tué à la brigade.
Travail habituel.
Repos. Messe dans la sape du
commandant.
Nous sommes relevés par 69ème
régiment de chasseurs et partons à 5h du matin pendant une accalmie, entrons
dans Feuillères
un peu bombardé, par une longue passerelle au milieu des marécages, traversons
le village en vitesse, et arrivons à Suzanne où nous prenons des autos à midi
qui nous conduisent par un froid terrible au camp 5 près de Méricourt.
Nous sommes logés dans des baraquements
comme au camp 18, sur la hauteur, et dans le bas s’étend le camp du 54 RI au
repos. Le tantôt, je vais surprendre H. DUBOIS en écriture, à peine
reconnaissable à cause de ses traits durcis.
Je vois aussi Jules SAJAT.
Nettoyage.
Paul ROMELOT, qui passait, vient me
surprendre dans mon baraquement. Je l’accompagne dans sa tournée à Morcourt, nous déjeunons ensemble.
Répétition.
Je vais dire au revoir à H. DUBOIS.
Jules SAJAT est absent car le 54 RI remonte en ligne.
Je vois encore Paul ROMELOT.
Répétition. Lessive et lavage à la
Somme de mon linge.
Concert le tantôt dans notre baraque.
Répétition.
Le tantôt, les Boches bombardent la
côte voisine ; les obus arrivent avec un beuglement effroyable et éclatent
à 800 m de notre baraque.
Répétitions.
Concert dans la boue, entre deux baraques
par un temps sombre et froid.
Répétitions.
Préparatifs de départ, nous sommes
relevés. Enterrement de chevaux à Morcourt.
Nous embarquons en auto vers 8 h, passons
à Amiens et débarquons à la nuit à Avrechy (Oise)
et remontons à pied à Argenlieu
(2km).
Répétition.
Après avoir fait un petit réveillon,
nous descendons à la messe de minuit à Avrechy. Nous
devons partir en perm l’après-demain.
La journée se finit bien tristement à
la musique car aucun musicien ne part, en vue des marches.
Cafard général et préparatifs de
départ.
Départ avant le jour. Nous passons à Clermont et cantonnons à Laigneville.
Nous faisons défiler le régiment dans
Creil et Senlis et cantonnons à Mont l’Evêque.
Nous passons musique en tête dans Baron et Nanteuil-le-Haudouin et cantonnons à Boissy-Fresnoy. Concert d’une
demi-heure le soir, devant la mare.
Séjour à Boissy.
Cantonnement à Marolles (60).
Cantonnement à Brumetz.
Cantonnement à Beuvardes.
Cantonnement à Lhéry près de Lagery.
(Marne). (27 km à
pied…)
Départ en perm.
A 23 h, je débarque à Romigny et je rejoins avec beaucoup de
permissionnaires du 355 RI par un temps de neige, la grange hôtel de la musique.
Quelques copains, notamment le chef de musique viennent d’arriver. Nous nous
endormons dans la paille après avoir bu quelques gnoles.
Journée bien monotone, temps gris, plaine
blanche de neige. Je nourris un léger cafard mêlé de souvenirs bien doux.
Préparatif de départ à pied.
Départ le matin. Cantonnement dans
les baraquements de Chéry-Chartreuve,
au milieu de la neige.
Départ le matin.
Cantonnement dans un moulin près de Courcelles-sur-Vesle (12 km du front),
toujours au milieu de la neige.
Départ à la fin du jour pour les
lignes avec le brancard roulant (je suis affecté au 6ème bataillon).
Nous passons une ferme, puis nous descendons à…. (Probablement Viel-Arcy).
Traversons les marécages de l’Aisne
sur une interminable passerelle, allons vers l’ouest, longeons le mur du Château de Soupir où s’arrête la
centrale de secours, dans une des innombrables cagnas bordant la route. Nous
continuons sur la route toute blanche de neige et bordée de grands arbres.
Au bout d’un kilomètre, nous tournons
à droite, nous passons un réseau de fil de barbelés et arrêtons au près d’une
côte, dans le poste de secours bétonné par les soins du génie.
Nous passons la nuit sur une
paillasse dépourvue de totos (à notre grande joie).
Je me promène un peu autour du poste
pour connaître le secteur : les Boches sont sur le flanc d’un autre
vallonnement de notre colline. Les premières lignes sont à cent mètres devant
nous et les marais de l’Aisne nous couperaient la retraite en cas d’attaque
ennemie.
Mais comme les boches sont très
sages, nous ne craignons rien et dormons en paix.
Le
tantôt, quelques obus arrivent sur l’artillerie, quelques
shrapnels éclatent au-dessus des routes et une dizaine de torpilles craquent
sur la droite.
Vers
16 h, un blessé nous arrive, la figure et les mains
ensanglantées ; c’est un mitrailleur qui s’amusait à faire un briquet et
qui s’est fait sauter un détonateur de grenade dans les mains. Le major arrive,
et le panse, je tiens un récipient destiné à recevoir l’ouate imprégnée de
sang. La figure et la main droite n’ont que des petites blessures, mais la main
gauche à 3 doigts de moins, et l’on voit les bouts d’os ressortir et les chairs
se recroqueviller autour.
Aussitôt le pansement fini, je vais
avec un musicien conduire notre blessé et un évacué pour maladie au poste
central par le boyau et rapportons un brancard par la route.
Rien d’extraordinaire ; nous
faisons une descente pour pouvoir porter un brancard à quatre.
Secteur très calme, pas de blessé. Une
incursion des boches dans les tranchées de la 15ème compagnie :
6 prisonniers, 1 tué et quelques blessés.
Voyage à Bourg-et-Comin qui est intact et où il
existe un peu de civils pour corvée de pinard.
Rien à signaler.
Je vais le soir avec un musicien
porter une lettre au major du 5ème bataillon à Cys-la-Commune. Il nous faut traverser l’Aisne et le canal sur des
passerelles en face du château de
Soupir, et suivre le canal gelé entièrement, jusqu’à Cys-la-Commune entièrement détruit où il existe encore des civils.
En revenant, je m’amuse à glisser sur
la glace, tout en faisant attention de ne pas dégringoler dans les trous et la
glace, trous faits par les obus.
Voyage à Bourg-et-Comin.
Relève.
1 mois de repos à Crouy-sur-Ourcq (Seine et Marne) pendant lequel je vais 2 fois à Charly(-sur-Marne)
pour 24 h et une fois pour une permission de 7 jours.
En revenant de cette dernière,
j’apprends à Meaux, par les
poilus du 172 RI que la division est en déplacement à Neuilly-St-Front. Là, pas d’ordre pour nous, nous nous couchons
dans la gare et prenons le lendemain matin, le train pour La Ferté-Milon ; en descendant, un
vaguemestre du 355 RI nous indique le cantonnement du jour, du régiment.
Nous partons à pied à Villers-Cotterêts, et prenons le train
pour Longpont
et je rejoins la musique dans un grenier.
Départ le lendemain pour Chacrise où habitent les parents d’un camarade de Vertus
maintenant prisonnier. Je vais demander de ses nouvelles et suis reçu à bras
ouverts. On m’invite à dîner. On m’offre un lit, on me donne le chocolat au
lait le lendemain matin et on m’invite à déjeuner à midi avec deux copains.
Bien entendu, je ne refuse rien.
Départ le soir, 11 mars 1917, pour Serches. Le pays est
derrière une crête et jamais bombardé. Nous cantonnons dans une maison
inhabitée.
Quatre musiciens montent occuper un
poste de brancardiers, et 4 autres vont tenir deux autres postes en arrière des
lignes. La relève aura lieu tous les 5 jours.
Au
matin : Nous partons en ligne : je vais avec 3
copains au poste de Ru-Preux en prenant par Acy-et-Jury.
Après avoir traversé un jardin
sillonné de vieilles tranchées, nous traversons la route pavée de Soissons à
Reims et descendons dans la cave d’une ferme à moitié détruite, constituant le
poste de secours. Une table ronde est au milieu et sur les côtés sont les lits
des brancardiers.
Je couche dans un lit de fer garni
d’un sommier.
Le
soir, je vais chercher du bois sec : des branches coupées
par des éclats d’obus, et en revenant, je constate des feux multiples dans un
village (*) à 1 km occupé par les
Boches, car leurs premières lignes sont à 80 m de la ligne de chemin de fer
(400 m d’ici).
L’Aisne est derrière eux, et ce
village est de l’autre côté de l’Aisne.
Nous allumons un bon feu et nous nous
couchons.
(*) :
Probablement Missy-sur-Aisne
Au matin, nous apprenons que le 172
RI (de notre division), devant Soissons, a avancé cette nuit de 2 km, ne
trouvant aucune résistance. Pas un coup de canon. Peut-être que la nuit
prochaine, les poilus du 355 RI vont traverser l’Aisne au lieu de se contenter
de monter la garde la nuit dans les trous d’obus avec leurs grandes bottes de caoutchouc.
Le soir nous sommes relevés et
arrivons à Soissons à 2 h du matin où je dors sur une paillasse.
Départ à 6 h du matin.
Nous passons à Crouy
et arrêtons à Bucy-le-Long,
bombardé, saccagé, retourné. Tous les arbres fruitiers, sans exception, sont
coupés ou sciés à 1 m du sol, l’église et la sacristie sont saccagées. (*)
Le
soir, je vais à la soupe à Venizel
en passant sur le pont de bateaux ; un tué par balle à la sortie du
village. Je me couche sur une paillasse de boche, auprès de l’aumônier, et je
ne me réveille pas de la nuit.
(*) :
C’est le recul volontaire des allemands en Picardie, à la mi-mars 1917, avec
saccage systématique avant leur départ.
A
6 h, 5 blessés arrivent dont un couché. Je le porte avec les
copains à la centrale qui l’évacue sur Soissons. On nous apporte le mort
d’hier, et au moment de le porter au cimetière, on s’aperçoit qu’il respire
encore. Les musiciens l’évacuent.
Nous nettoyons un abri pour blessés
incendiés par les Boches. Le canon tonne un peu à 3h, attaque.
On avance. Nous nous portons au Moncel (1 km à
l’est de Bucy-le-Long)
dans une grande cave garnie de lits.
A
4 h, ordre de départ.
Nous arrêtons à St Marguerite où j’enterre 2 morts
dans la matinée.
Le
tantôt, je transporte un chasseur blessé. Puis les Boches
attaquent. Le poste de secours recule pendant que je suis parti à la soupe,
puis on revient et les blessés affluent au poste de secours : jambes
coupées, trous dans le ventre, le sang coule partout. Les râles et les cris de
douleur s’entremêlent dans la cave.
Je conduis, en le soutenant, un grand
boche maigre.
Il parle français, je le
questionne : il a 37 ans et provient de Francfort sur le Mein. La vue de
mon brassard le rassure un peu, mais il répond toujours que très timidement. Il
n’ose rien dire de Guillaume, car sous-officier allemand non blessé, marche
devant nous. Il ne connait pas l’expression de « totos », mais avoue
qu’il en a eu, il y a quelque temps.
Nous demandons du renfort de musiciens.
Je transporte un blessé ayant d’horribles plaies au ventre et qui certainement
n’ira pas loin. J’évacue ensuite un brancardier ayant une jambe cassée en
plusieurs endroits et l’autre coupée au-dessus du genou, qui meurt en chemin.
Ce n’est qu’à 3 h du matin que nous nous étendons sur une paillasse, tombant de
fatigue, je n’ai pas la force de me couvrir et m’endort avec ma capote et mon
casque.
Je me réveille à 9 h. Il vient de
neiger.
Pas de blessés, le secteur est calme.
Le
soir, les blessés arrivent car nous avons attaqué. Je fais
surtout office d’infirmier, éclairant le major, soulevant les membres cassés,
examinant les blessures, préparent les pansements.
Je transporte le dernier blessé à
minuit.
LUCHEL creuse deux tombes pendant que
je lave un brancard couvert de sang.
J’enterre des morts et prépare une
chapelle avec l’aumônier, dans une grange auprès de l’église en ruine.
Je transporte un sergent s’étant
foulé le pied au cours de la reconnaissance d’hier soir.
Les chasseurs attaquent cette nuit,
nous avons 3 blessés le soir que nous conduisons aux auto-ambulances en station
non loin du PS.
J’enterre un malheureux ayant la tête
en morceaux, un bras presque coupé et la poitrine ouverte.
Auparavant, je le fouille ce qui
n’est pas une besogne agréable car il faut manipuler les lambeaux de chair
sanglants et comme le poilu est tué d’hier soir, le sang commence à se
décomposer et par conséquence à dégager une odeur cadavérique. Je lave ensuite
le brancard d’où dégoutte le sang et des morceaux de
cervelle.
Relève à 20 h par le 62 RI. Nous
cantonnons à Septmonts
jusqu’au 4 avril 1917.
A 20 h, nous partons par la neige
fondue et la grêle, passons à …. et à Braine
et arrivons à Brenelle à 3h du matin.
Repos en attendant les ordres.
Messe au matin dans l’église, chemin de
croix le tantôt, pendant lequel un artilleur tué, attend dans un coin de
l’église, étendu sur un brancard que sa fosse soit creusée. Un homme en arme la
veille.
Le soir à 19h, nous partons 6
musiciens pour porter, avec le roulant, du matériel à l’infirmerie centrale
(poste Zette).
La route de Braine est défoncée, nous attendons la fin d’une rafale de 150
avant d’entrer dans Viel Arcy. Pont d’Arcy est en ruine. Je conduis l’infirmerie au
poste que j’ai déjà occupé, en passant par la route car les boyaux sont noyés.
En revenant, nous nous accrochons à
une voiture de ravitaillement, puis nous grimpons dans une fourragère et avant
de rentrer au cantonnement nous nous ingurgitons un quart de jus à une cuisine
d’artilleurs. Nous nous couchons à 4h1/2.
Bombardement continuel.
Toutes les pièces crachent sans
discontinuer. Nous montons en ligne par la nuit noire et là plusieurs morts par
éclats d’obus. Nous nous entassons dans un abri, sur nos sacs.
Au petit jour, l’atmosphère est
trouble de fumée, la terre tremble sous un roulement de détonations.
A 6 h, attaque.
Neuf prisonniers passent plus morts
que vifs.
Puis le 172 RI ainsi que les nègres
pour la 2ème vague. Les boches résistent, les mitrailleuses
crépitent. Je vais avec 2 équipes, avec les pionniers pour installer un poste
de secours en cas d’avance. Le Mont
Sapin est pris, mais à Chavonne, les Boches contre-attaquent et encercle une
compagnie qui se dégage dans l’après-midi le long de l’Aisne.
J’aide à sortir un mort du poste de
secours du 6ème bataillon et en le retirant de sur le brancard, mes mains
s’enfoncent dans des plaies béantes et en ressortent toutes rouge de sang.
Comme nous n’avançons pas, je
retourne le soir au poste de secours pour évacuer les blessés la nuit, mais une
heure après, on demande une équipe de musiciens pour aller en ligne. J’y vais
avec trois copains et un brancard. Je passe à côté d’un poilu qui vient d’être
tué par un 77, 1 minute auparavant.
Nous partons avec M. FRADIN vers Chavonne, suivons l’Aisne sur la route barrée de murs de
sacs de terre, de fils de fer barbelés,
de chevaux de frise. La nuit est noire, il se met à pleuvoir de l’eau et
surtout des obus. Nous nous engageons dans les premières maisons de Chavonne qui ne sont plus que des d’obus et arrivons au
pont (sauté) où nous ramassons un malheureux qui a la jambe presque arrachée.
Nous retournons avec notre fardeau,
mais nous ne retrouvons pas la route et marchons entre les lignes. Les boches
nous ayant vus, se mettent à tirer du flanc de la côte, puis ils demandent
l’artillerie et les 77 se mettent à pleuvoir. Nous posons le blessé à terre et
nous planquons dans un trou d’obus. Les obus éclatent d tous côtés, les éclats
et les balles sifflent, nous attendons la mort d’une seconde à l’autre. Les
mitrailleuses boches crépitent plus près, les Boches s’avancent, nous allons
être fait prisonniers.
Enfin, au bout de 20 minutes qui
m’ont paru des heures entières, l’orage se calme. Je vais voir à quatre pattes
si les autres sont touchés ; il n’y a pas de mal. Je les emmène en vitesse
au brancard, nous prenons notre blessé et filons presque au pas de gymnastique
dans la direction de l’Aisne.
Nous descendons sur la route que nous
suivons, et après avoir franchi les pires obstacles, nous remontons au poste de
secours. La tête me tourne alors, et je me repose une heure.
Puis nous repartons dans la première
direction sous une pluie battante, cette fois. Nous glissons dans les trous de
marmites et remontons péniblement car les jambes s’enfoncent jusqu’aux genoux,
la terre étant détrempée.
Nous prenons le 2ème
blessé auprès du pont et revenons par le bord de l’Aisne. Je m’accroche dans
des barbelés et m’aplatit la tête dans un trou d’obus. Nous avons un mal de
forçat pour franchir les trous d’obus qui nous séparent de la route, suivons
cette dernière et arrivons couverts de boue des pieds à la tête, au poste de
secours.
Comme le jour est proche, nous
retournons à l’abri des musiciens.
Je fais l’évacuation des blessés
jusqu’au château de Soupir avec les autres musiciens. Notre premier blessé a une balle dans le ventre ; les boyaux sortaient au
fur et à mesure qu’on lui desserre l’abdomen. Les Boches prisonniers nous
aident beaucoup.
Le soir, des équipes de Boches
viennent nous renforcer avec les divisionnaires. Une vingtaine de morts sont
étalés devant le poste central.
A midi, ordre de s’équiper et de
partir en avant car les allemands battent en retraite. Nous nous installons
dans une cave de Chavonne.
Des territoriaux refont la route, une passerelle est jetée non loin, sur
l’Aisne.
Nous faisons du café que nous avons
trouvé dans la cave. Je vais faire une incursion dans la cagna des Boches.
A 15 h, nous partons pour Vailly,
puis pour les carrières au-dessus. Nous couchons dans une grande grotte.
Nous avançons dans une grotte plus
loin, puis à la Rouge Maison. Je
vais chercher des brancards roulants à Vailly, puis je transporte un blessé. Le soir, le régiment est relevé.
Nous partons au petit jour, passons
dans Vailly où sur une place, un boche tué est étendu
au bord de sa fosse.
Nous arrivons à Couvrelles vers midi.
Repos et nettoyage.
Concert à Couvrelles.
Concert à Couvrelles.
Nous partons en ligne vers 18h et je
suis au 4ème bataillon, embouteillage au pont de Vailly-sur-Aisne.
Nous sommes sonnés avant d’entrer à Aizy (02) et nous nous planquons le
long d’un talus ; nous recevons de la terre d’un 150 qui éclate tout près
de la route et nous nous décidons à entrer dans le patelin. Nous passons en
vitesse entre un homme et un cheval mort et nous arrivons au poste de secours
du 294 RI. Un blessé du 355 RI est déjà là, nous nous installons et faisons un
voyage : aucune marmite.
Les deux autres musiciens
transportent ensuite un autre blessé du 294 RI et nous passons une nuit
tranquille.
Un crapouilloteur
nous arrive et est conduit par ses brancardiers aux divisionnaires, un autre
meurt au poste de secours, nous transportons un troisième. Nous passons la nuit
dans une cave à côté.
Nous aménageons un poste de secours à
Jouy, presque entièrement
détruit.
Un blessé sur le matin, deux autres
dans la matinée. Le médecin-chef m’annonce l’acceptation de ma citation, par le
colonel, pour l’affaire de Chavonne.
Sa citation.
Extrait de sa fiche matriculaire
Plusieurs blessés dans la matinée
dont 3 couchés. On a attaqué de chaque côté du régiment et l’avance paraît-il
est assez importante. La canonnade est très vive de part et d’autre.
Calme.
Deux blessés couchés dans la nuit.
Bombardement par les gaz. C’est en
pleurant que nous sortons le matin de l’abri.
Calme.
Relève à minuit. Nous bivouaquons au
coin d’un bois, non loin de la route Vailly-Chavonne.
155 malades à la visite ce matin… Le
54 RI monte ce soir.
Nota :
Forme de mutinerie… dans une lettre à son frère
Edouard du 17 mai 1917, Henri Guibert précise : « après 15 jours
en première ligne, nous sommes venus camper sous nos tentes dans un bois, sous la
pluie à quelques kilomètres à l’arrière et nous montons demain dans un sale
coin ! ... ils abusent. Au 6ème corps aussi, les compagnies parlent
de refuser de monter. Le 106 R, les chasseurs à pied refusent également de
monter, le 29ème chasseur s’est rendu. La 1ère compagnie
et les autres reviennent par groupe sans être relevés ; cela va faire du
beau travail… Il y a 155 malades ce matin au bataillon. Si on te demande le nom
de l’expéditeur, ne le dis pas car je serais peut-être puni pour dire la
vérité.
Les boches bombardent un peu le matin
la route et la passerelle. Nous devons remonter en ligne du côté d’Ostel. La
1ère compagnie part bien, mais à contre cœur.
Nous sommes relevés demain et ne
montons pas en 1ère ligne. Soupir de soulagement.
Départ à 17h.
Nous passons à Oeuilly sans marmitage et
montons les tentes au PC près de Chassemy.
Départ au petit jour, grande halte à Septmonts. Arrivée à Berzy-le-Sec au cantonnement de la musique vers midi.
Nettoyage.
Départ formidable des
permissionnaires.
Je constate avec satisfaction que je
suis le 5ème à partir.
Repos.
Départ au petit jour, grande halte et
arrivée à midi.
Nous devons partir d’heure en heure,
mais ne bougeons pas.
Départ au matin en auto, passons à la
ferme Paris où l’idée d’être près de Charly(-sur-Marne)
m’impressionne un peu.
Nous traversons la Ferté-sous-Jouarre, Coulommiers, Nangis, débarquons
au soir à la Chapelle-Rablais et cantonnons à la Ferme de Tourneboeuf où l’on voit paons
et charrues à vapeur. Nous couchons dans un grand bâtiment garni de paille.
Partie manquante …Permission…
Retour de perm.
Cafard
consolant après mes fiançailles.
Coup de main par nous (2 morts, 12
blessés) auquel je ne suis pas mêlé.
Montée à la Grenouille le dimanche. 2 blessés.
Descente au R des G. Montée à la Chapelle (Chapelle Sainte Claire, probablement), puis au Pré de
Raves (1 tué) (sur la route des Crêtes au nord du
col du Bonhomme : col du Pré des Raves 1009 m).
Relève par le 174 RI dans la neige,
le givre et sur le verglas.
Départ de Plainfaing (88), musique en tête (2 côtes).
Montée à Ban-sur-Meurthe-Clefcy.
Cantonnement à Le Tholy.
Noël sur la route neigeuse du Tholy à Remiremont (1 grande côte glissante).
Cantonnement à Pont près de Dommartin-les-Remiremont.
Départ par la neige pour Plombières.
Lits d’hôtel et toilette dans l’eau thermale…
Départ pour Fougerolles (70) par -22°C… Ecole libre de jeunes filles.
Départ pour Dambenoît-lès-Colombe (70). Réception à bras
ouverts.
Diner le soir. Séjour à Pommiers.
Départ pour Borey (Haute Saône), premier déjeuner à 16 h. Clocher en dôme. Neiges
continuelles. 1 concert par la musique.
Départ par dégel et pluie.
Cantonnement à Cubry (25) dans une salle de patronage.
Départ par la gelée. Cantonnement à Fontaine-lés-Clarval (25).
Départ par la pluie et verglas.
Cantonnement à….
Concert.
Départ par le beau temps. 30 km.
Cantonnement à Blamont (25) sur
un plateau d’où l’on aperçoit à gauche, au lointain les Vosges neigeuses, à 2
km les montagnes de la Suisse et à droite, une chaine du Jura.
Journée splendide qui me fait beaucoup
rêver à ma permission toute proche.
Arrivé de perm sans trop de cafard.
Aussitôt, concert d’adieu sur la place.
Préparatifs de départ.
Départ à 14h, à pied pour Villars-sous-Dampjoux
(25), embarquement dans le train, départ à 22 h.
Débarquement à 14 h à Darney (88). Cantonnement dans une
jolie salle parquetée et chauffée, garnie de lits.
Répétition dans notre salle.
Concert sur la place. Nous touchons
des sacs de couchage.
Répétition.
Embarquement à Darney à 7h en départ
à 14h. Les américains se font huer au passage à Chaumont, Langres.
Au petit jour, arrêt du train de 40
minutes à Château-Thierry. Passage à Charly. Heureuse impression en approchant
qui se transforme en amertume au fur et à mesure de l’éloignement.
Débarquement à midi par la pluie à Moyenneville (Somme).
Des obus à longue portée sifflent de
¼ h en ¼ h et vont s’écraser sur le pays. Attente près de la gare déserte dans
les baraquements d’un camp de prisonniers. Embarquement à 9h en camions-autos
pour Beauvais.
A
7h, départ à pied pour Esclainvillers (80) évacué par les civils. Nous
mangeons lapins, poules, veaux.
A
16h, départ à 4 pour le 4ème bataillon en ligne.
Secteur pas trop agité. Le bataillon se déploie et avance sans relever
personne.
Le
soir, départ par la droite (4ou 5 km). Poste provisoire dans
une cave, à l’entrée de Le Plessier (80).
A
1h du matin, nous prenons la place de la 13ème qui monte
en ligne.
Bombardement intermittent par des
150. Une automitrailleuse se fait presque détruire. Un motocycliste se fait couper
en deux. Nous portons nos blessés au poste central du 67 RI.
Le soir je vois BEAUJEAN, à ce poste
mais DELAPLACE est dans un poste de bataillon.
Dans la journée, comme le
ravitaillement nous fait défaut, j’avais vu avec un copain, un mouton et plusieurs
poules.
A
21h, nous somme relevés, car les boches ont attaqué plusieurs
fois. Nous venons par erreur au château de …, y passons la nuit puis revenons
les 2, au petit jour au château de Coullemelle où nous faisons la cuisine avec le mouton, du beurre
trouvé etc.
Au soir, nous sommes ravitaillés. On
nous apporte un mort que nous enterrons le 3 avril au matin.
Il a été tué dans la nuit du 5 au 6 avril 1918 sur la route entre Septoutre et Grivesnes (Somme)
alors qu’il transporté un soldat anglais blessé, aidé de 3 autres
musiciens-brancardiers. Deux furent blessés les deux autres morts sur le coup,
dont Henri Guibert. Voir
sa fiche.
Renseignements donnés le 22/04/1918 par
l’aumônier-brancardier A. FRADIN du 6ème bataillon du 355e
régiment d’infanterie par lettre à sa fiancée.
Le livret du soldat anglais a été
retrouvé sur lui : il s’agit de William Georges GOODYEAR n° 9357 Régiment Eart Surrey. Il aurait survécu à ses blessures et à
l’explosion de l’obus.
Internet fera-t-il
un miracle de retrouvailles de trace de cet Anglais?
La sépulture
militaire d’Henri ne semble pas exister. Est-il dans un caveau
familial ? Ou encore sur place ?
Je désire
contacter le propriétaire du carnet d'Henri GUIBERT
Voir
des photos des 354e et 355e régiments d’infanterie
Suivre sur Twitter la publication en instantané de photos de
soldats 14/18
Vers d’autres
témoignages de guerre 14/18