Carnet de guerre d’Henri GUIBERT

Soldat, puis musicien-brancardier, signaleur, téléphoniste

aux 354, puis 355e régiments d’infanterie

 

 

 

Titre : Henri GUIBERT durant ses classes au 154e régiment d’infanterie - Description : Henri GUIBERT durant ses classes au 154e régiment d’infanterie

 

Henri GUIBERT, 19 ans, durant ses classes au 154e régiment d’infanterie.

Entre avril 1915 et début 1916.

 

 

 

Francis, un membre de la famille, nous dit en septembre 2021 :

« Henri Eugène David GUIBERT (né le 14 janvier 1896 à Charly-sur-Marne, Aisne) était clerc de notaire à Charly/Marne (02), avant d’être appelé à faire son service militaire en avril 1915 en Bretagne au 154e régiment d’infanterie, à St Brieuc (22). Il a continué à étudier son droit pendant son service dans l’espoir de devenir notaire.

 

Ce journal n’est pas continu. Il commence en mars 1916 quand il monte au front au sein du 354e régiment d’infanterie (régiment de réserve du 154e RI), en Champagne, en tant que soldat, puis comme signaleur à Verdun en mai 1916 et téléphoniste en juin 1916.

Son régiment est dissous mi-juin 1916 et il se retrouve comme musicien (c’est un flûtiste) et brancardier-auxiliaire au sein du 355e RI, sur plusieurs fronts, en Champagne de nouveau, à la bataille de la Somme, de l’Aisne au Chemin des Dames, les Vosges, puis dans la Somme face à la percée allemande du printemps 1918.

Sa nièce, Henriette GUIBERT-CONNE a bien voulu me confier les différents feuillets de son journal, pour les transcrire, ainsi que sa correspondance avec son frère, sa mère et sa fiancée.

 

Les précisions en bleu ont été ajoutées par mes soins, ainsi que quelques cartes, pour une meilleure compréhension du texte et sa localisation. »

Francis BLAISE-FONDER.

 

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Sommaire :

Ajouté volontairement pour une meilleure recherche

 

Première montée au front dans la Marne : mars-mai 1916

Sur le front de Verdun : mai 1916

Deuxième séjour sur le front de la Marne : juin-septembre 1916

Bataille de la Somme : fin 1916

Au front dans la vallée de l’Aisne

Le Chemin des Dames : 1917

Les Vosges : Fin 1917

Dans la Somme après la percée allemande : printemps 1918

 

 

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Début de son journal :

Première montée au front dans la Marne : mars-mai 1916

 

 

Mes premières impressions de départ :

 

Titre : carnet de guerre d'Henri GUIBERT du 354 et 355e régiment d'infanterie - Description : carnet de guerre d'Henri GUIBERT du 354 et 355 e régiment d'infanterie

 

Henri GUIBERT : La première page de son carnet de guerre

 

Mardi 21 mars 1916

15 h : On a désigné, avant-hier, 60 hommes par compagnie pour partir en renfort aux 354e RI, 355e RI et 361e RI. Je fais partie du 2ème renfort allant rejoindre le 354 RI au repos, dit-on, du côté de Souain (Marne).

Nous avons touché 1 jour de vivres de voyage et 2 jours de vivres de débarquement depuis 2 jours, le sac est monté.

Nous sommes prêts à partir à la première alerte. Nous avons pesé hier avec M Potier, l’équipement complet, y compris sac et fusil ; le tout pèse 30 kg soit 15 kg pour le sac.

Ce départ nous laisse à peu près indifférents, nous partons de bon cœur car nous commençons à nous considérer comme un peu embusqués, depuis 1 an que nous sommes au régiment. Notre lieutenant commandant de compagnie, nous impose depuis quelques temps une discipline de fer, étant toujours de mauvaise humeur, et l’adjudant fait trop de service. Nous allons être avec des hommes âgés qui nous traiteront plutôt paternellement, qu’en camarades. Avec ces vieux soldats qui ne sont plus lestes et agiles, le service sera moins dur, notamment au tirailleur.

Enfin, nous verrons du nouveau, on aime changer de place, de vie.

Mon seul souci, c’est de penser qu’à la nouvelle de mon départ, ma fiancée et toute ma famille, tous ceux qui me sont chers, vont être en peine pour moi. Tout en disant la vérité, j’ai tâché d’adoucir les expressions en annonçant mon départ, mais l’idée du front est toujours là.

Moi-même, je ne me fais pas d’illusions, certainement que dans quelques jours, je serai dans les tranchées comme simple soldat quoique partant comme téléphoniste. Je n’exercerai mon emploi que lorsqu’il y aura une place de libre.

Jeudi 23 mars 1916 :

Nous sommes allés prendre le train à Vertus. Nous étions entassés comme des moutons dans des wagons. Heureusement que le voyage ne fut pas long.

Arrivée à Suippes, nous fîmes le café dans un terrain sur le bord de la route, puis à 20 h, nous sommes partis coucher.

Entre temps, j’ai rencontré M BEAUJEAN et AUTEREAU en passant dans la rue.

 

 

 

Extrait du journal du 354e régiment d’infanterie qui relate l’arrivée de renfort

 

 

A minuit, nous partons pour les tranchées de 1ère ligne.

Deux éclaireurs à cheval nous conduisent jusqu’à la ferme des Wacques (*), à travers champ, puis un officier vient nous chercher et nous nous acheminons sous la pluie battante à travers les champs criblés d’entonnoirs. On voit de place en place quelques fusées descendre lentement, on entend quelques coups de feu.

Enfin, au jour naissant, nous entrons dans les boyaux et c’est la marche interminable dans les boyaux tortueux. Le front est absolument calme.

Dans la journée, les Allemands bombardent les tranchées mais les vieux n’ont pas peur et je suis rassuré.

Mais ce qui m’a fait mauvaise impression, c’est un pied de soldat émergeant du parapet. Ce poilu avait été enterré par un bombardement lors d’une attaque récente.

Tantôt, ce sont les 75 qui bombardent les tranchées ennemies et le sifflement des obus me devient familier, je commence à m’y habituer.

 

(*) : Entre St Hilaire-le-Grand et Souain

Vendredi 24 mars 1916 :

J’ai pris la garde hier soir à 18 h au parapet, jusqu’à minuit. Au commencement de ma faction, j’entendais les boches frapper sur des piquets et poser des fils de fer barbelés et je n’en menais pas large et je fixais l’endroit, mon fusil chargé, prêt à faire feu, car j’avais à chaque instant, l’illusion qu’ils avançaient vers la tranchée. Puis, rassuré par l’éloignement constant du bruit, je surveillais sans avoir peur.

Les fusées montaient souvent en l’air et de temps en temps, une série d’éclairs apparaissaient suivie d’un grondement, de sifflements d’obus et d’éclatements : c’était l’artillerie lourde qui tirait sur des ravitaillements allemands.

 

J’ai pris encore la faction ce matin de 7 h à midi. On est venu m’apporter le jus (froid), de la viande et du rata. Les Allemands n’étaient pas méchants, au contraire, nos grosses pièces les canardent et ils ne répondent pas. C’était même intéressant de voir ces marmites exploser dans les tranchées ennemies. Mais il a plu toute la matinée et les tranchées se détériorent, il faut les nettoyer, rectifier celles écroulées.

Samedi 25 mars 1916 :

Hier soir, à 18 h, j’ai encore pris la garde au parapet.

Il n’y faisait pas chaud et la grande fatigue ajoutée au froid étaient pour moi la cause d’une espèce de malaise qui me rendait la digestion difficile. La nuit a été très calme. L’artillerie lourde ne s’est presque pas fait entendre.

Ce matin, je suis resté couché (sur la terre du gourbi) jusqu’à 10 h, cela m’a un peu remis. On entend quelques coups de canon par ci par là.

Hier, on a découvert dans un pare-éclat un français dont le crâne apparait encore. Les cheveux commencent à tomber, ce n’est pas beau à voir.

Dimanche 26 mars 1916 :

Hier, j’ai pris le guet de midi à minuit. A la fin, je commençais à m’impatienter surtout que les boches manifestaient une certaine effervescence sur la droite (fusillade, grenades) J’ai appris aujourd’hui que les pionniers de la 22ème compagnie, avaient posés des fils de fer et que 2 avaient été tués par les balles. (*)

Par contre, le tantôt avait été plutôt intéressant : après un bombardement où une marmite éclate à 5 m ou 6 m de moi, m’envoyant un éclat tout près de moi, les avions français et boches apparaissent dans le ciel et la canonnade reprit, tachant le ciel d’éclairs suivis d’un petit flocon noir et d’une détonation.

 

(*) : Il s’agit du caporal BOUFFÉ Constant (sa fiche) et du soldat BUTEUX Jean-Baptiste (sa fiche) de la 22e compagnie (JMO)

Lundi 27 mars 1916 :

Hier, journée à peu près calme. J’ai pris le guet de midi à 18 h, au poste d’écoute (nous avons été un peu bombardés : un éclat de 77, tombé dans le poste, était brulant lorsque je l’ai ramassé) et de 18 h à minuit, à l’escalier de départ.

Là, redoutant une attaque à la grenade, on nous a fait mettre baïonnette au canon ; le premier moment d’émotion passé, je me suis mis à surveiller très attentivement, mais sans avoir peur ayant toujours mes grenades à portée de main. L’attaque redoutée s’est produite sur la droite, dans le secteur 271e RI et cela chauffait.

Ce matin, je suis encore allé au poste d’écoute. L’artillerie n’a pas donné, mais il a plu toute la matinée.

Mercredi 29 mars 1916 :

J’étais étendu dans l’abri et me reposais tranquillement lorsqu’un 105 tombe devant un abri à côté, puis les hommes qui étaient dans cet abri arrivent en disant « LATHUILLERE est tué (*) » et l’un d’eux avait la jambe pleine de sang : un éclat d’obus lui avait traversé le mollet. Il s’est assis à ma place et le sang coulait toujours. On lui a fait un pansement et les infirmiers sont venus le chercher avec le brancard.

Quelques minutes après, je suis passé devant l’abri fatal : le mort avait un grand trou au nœud vital, et une déchirure à la tête. Il a été tué sur le coup et n’a pas bougé de la marche sur laquelle il était assis. C’est un auxiliaire rappelé, il a une petite fille de 11 ans.

Nous avons fait disparaitre le sang du blessé, coulé sur le sol et sur mes couvertures, mais il m’en reste après les mains.

 

(*) : Il s’agit du soldat LATHUILLIERE Jean de la 23e compagnie (JMO). Voir sa fiche. Le blessé à la jambe est Félix LACOURT, tous deux de la 23e Cie.

Jeudi 30 mars 1916 :

Nous avons été relevés cette nuit (*) et nous sommes dans une sape ayant 2 étages de lits grillagés et de la paille au rez-de-chaussée. Je couche tout en haut.

 

(*) : Le JMO indique une relève du 6e bataillon par le 5e le 28 mars (probablement nuit du 28 au 29). Henri serait donc au 6e bataillon (cohérent avec les 2 soldats tués le 25 mars à la 23e Cie

Vendredi 31 mars 1916 au matin :

Un obus vient de tomber non loin de l’entrée de l’abri, ne touchant personne. Je construits des pare-éclats avec AYOT et le caporal.

Samedi 1 avril 1916 :

Il fait beau temps, je me nettoie et me rase ; ça fait du bien car il n’y a que deux gros tonneaux d’eau par jour pour le régiment et on ne peut en avoir pour la toilette qu’en réserve.

Dimanche 2 avril 1916 :

Le lieutenant téléphoniste me dit qu’il a suffisamment de personnel au téléphone, mais il sait maintenant que je suis téléphoniste (le seul à la compagnie) et à la première occasion, j’entrerai au téléphone.

Nous avons changé de sape. Il n’y a que deux étages de lit sans rez-de-chaussée.

Lundi 3 avril 1916 :

Un obus éclate au matin sur le bord du boyau, le bouchant à moitié, faisant voler de la terre dans la sape et soufflant toutes nos bougies. Cela sent la poudre. Personne n’est touché.

Mardi 4 avril 1916 :

A minuit, réveil pour la relève. Il pleut et les boyaux sont pleins d’eau.

 

 

 

Mercredi 5 avril 1916 :

A 2h, nous nous installons en ligne 1 bis.

A 3 mètres de note abri, un cadavre est à moitié enterré. On lui voit une partie de la tête et tout près un 105 est tombé sur le talus sans éclater. Nous habillons des chevaux de frise tout l’après-midi et à la brume nous les portons sur le parapet, près de l’endroit où il faut les poser. A deux endroits de la tranchée de 1ère ligne, s’exhale l’odeur nauséabonde d’un cadavre en décomposition : je me retiens de respirer en passant.

 

A 22 h, nous montons sur le parapet, précédés d’une patrouille, pour poser des fils de fer barbelés. Le premier moment d’émotion passé, nous nous avançons sans bruit jusqu’à l’avant du poste d’écoute. Le bruit des fils de fer et des pas, ont donné l’éveil à Fritz et de nombreux coups de fusil sont tirés dans notre direction sans nous atteindre.

A chaque fusée, il fallait s’aplatir et je crois que je me suis couché sur un cadavre ou tout près, car parfois, je sentais une odeur de chair en décomposition.

 

A minuit, nous redescendons pour faire relever la patrouille, puis nous remontons pour des réseaux Brun.

Enfin, à minuit 45, nous redescendons et nous allons nous coucher.  (Le bonnet d’évêque : 2.5 km au sud de St Marie à Py, les hautes charmilles sur la carte 1/25000 actuelle)

Peu de temps après, on nous réveille : il y a une alerte (un exercice, seulement). La demi-section va prendre ses positions en première ligne bis, mais croyant suivre des poilus de mon escouade, j’ai suivi deux cuistots puis reconnaissant mon erreur, je reviens sur mes pas, je rencontre mes camarades qui reviennent et je rentre avec eux finir la nuit dans nos couvertures.

Jeudi 6 avril 1916 :

Le tantôt, nous avons fait des chevaux de frise et le soir à 9h ½, (21h 30) nous sommes montés sur le parapet pour poser des fils de fer barbelés.

A 23h 30, trois patrouilles allemandes lancent des grenades devant. Elles nous ont obligé à regagner les tranchées.

A minuit, nous sommes remontés et à 1 h, nous sommes redescendus après avoir essuyé quelques coups de feu, puis nous sommes rentrés à l’abri.

Vendredi 7 avril 1916 :

Les Boches viennent d’envoyer des torpilles (minen) dont 5 sont tombées non loin de notre abri faisant un déplacement d’air formidable mais notre artillerie est en train de les bombarder.

Le tantôt, nous avons habillé des chevaux de frise et le soir à 9h ½, nous montons sur le parapet toujours pour les fils de fer.

A 23 h, la fusillade nous fait rentrer dans la tranchée, à 23h 30 nous remontons, à 0h 30 nous allons chercher des réseaux Brun que nous posons et à 1h, nous descendons pour gagner notre abri.

Samedi 8 avril 1916 :

Je commence à m’habituer à monter sur le parapet. Cela me fait maintenant si peu de chose que ce matin, au moment de partir, je suis allé chercher les bobines vides, seul, assez loin de nos lignes, pour faire du feu dans le brasero de l’abri.

Tous les cadavres restés dans les talus et sur les parapets proviennent d’une attaque infructueuse qui a été faite, il y a un mois. Le 294e RI occupait alors notre secteur.

Dimanche 9 avril 1916 :

Hier, à 14h, nous étions en train de préparer du fil de fer barbelé pour poser le soir, lorsque tout à coup, le sergent dit :

« Attention ! Planquez-vous !  Une torpille Boche ! »

 

Je regarde en l’air et en effet, une grosse torpille tourne lentement dans l’air en décrivant une grande trajectoire. Nous nous plaquons dans le fond du boyau et presque aussitôt, une détonation formidable retentit non loin de nous faisant trembler le sol et une énorme fumée noire s’élève dans l’air à 20 mètres en l’air et le vent la poussant sur nous, des myriades de petites flammèches noires viennent nous cingler le visage.

Nous regagnons notre abri pendant que d’autres torpilles éclatent derrière nous.

Puis les canons se mettent de la partie, toute notre artillerie répond, l’action s’échauffe, et bientôt ce n’est plus qu’un roulement de tonnerre souligné par l’éclatement des torpilles.

La bataille d’abord engagée sur la droite, gagne sur nous et à 15 h, on vient dire « la liaison » au lieutenant. Les hommes de liaisons s’équipent en vitesse et s’élancent au dehors. Quelques minutes après, l’un d’eux vient donner l’ordre de s’équiper, d’être prêts au combat, mais de rester dans les sapes. Les choses prennent une mauvaise tournure.

 

A 15h 30, on vient dire à l’adjudant qui est avec nous :

« Tout le monde au parapet, la compagnie sur ses positions de combat ».

 

Nous nous précipitons dehors et nous montons sur les banquettes de tir, à nous assignées, dans la ligne 1bis, qui est la ligne de première résistance. La mitraille fait un vacarme assourdissant et le sifflement des obus sillonne l’air dans tous les sens. La fumée de la poudre obscurcit le temps et noircit la craie. Tous les soldats sont planqués contre le parapet de la tranchée. Moi-même, pour être mieux protégé, j’ai mis un genou à terre. Nous préparons des grenades et des cartouches en supplément ; les Boches vont sûrement attaquer, mais ils seront reçus comme ils ne s’y attendent certainement pas.

On me fait changer de place et je suis maintenant avec deux camarades de la classe 16 et mon caporal, à la chicane du boyau d’Oger. Notre mission est de faire tomber les chevaux de frise dans le boyau pour l’obstruer, et de canarder les Boches qui s’avanceraient de derrière le mur de sacs, afin de les obliger à passer sur le parapet où ils seront fauchés par les mitrailleuses et les fusils.

Tout à coup, les 75 redoublent le bombardement. Les Boches sortent de leur tranchée dit-on, pour attaquer la première ligne, et nos canons leur font un feu de barrage. Au bout de quelques instants, le bombardement diminue un peu d’intensité, puis vers 17 heures, les coups de canon s’espaçant, nous rentrons dans les abris, mais il faut rester équipé.

 

A 19 h, on nous donne l’ordre de nouveau, de reprendre nos positions de combat, puis, présumant que des boches avaient réussi à se glisser dans un petit poste, nous allons l’attaquer à 8, avec des grenades, mais on nous dit en arrivant qu’un caporal y avant fait une reconnaissance, n’y a rien trouvé ; nous revenons donc sur nos pas.

Quelques instants après, on donne l’ordre à tout le monde d’aller réparer en première ligne, les dégâts causés par la mitraille. Je suis désigné pour boucher quelques brèches avec des réseaux Brun ainsi qu’une dizaine de camarades. La pause est coupée par beaucoup de fusées et les 75 lancent quelques obus qui tombent non loin de nous. Nous évitons les éclats en nous mettant à plat ventre.

 

A 0h 30, nous allons nous reposer mais à 3 h du matin, il faut que tout le monde soit au parapet.

A 4 h, nous allons déblayer les tranchées : un obus avait déterré la tête d’un mort. On distinguait bien les oreilles et le nez, mais elle était noire verdâtre, horrible à voir surtout qu’un lambeau de chair de 50 cm était encore au cou.

La matinée est calme et nous rentrons du travail pour la soupe à 10h. Nous avons bien gagné le repos de l’après-midi.

Lundi 10 avril 1916 :

Le 9, à 23h, le 69ème chasseur à pied vient nous relever. (*)

Nous restons au parapet jusqu’à minuit et la compagnie se met enfin en marche dans les boyaux.

A 3 km de la 1ére ligne, nous montons à l’air libre, nous faisons une petite pause et nous repartons par un petit clair de lune dans la direction de Suippes, parmi les trous d’obus. De nombreuses tranchées creusées lors de l’attaque de Champagne, sillonnent la plaine, et nous passons entre les réseaux de fils de fer. Au bout de quelques km, nous arrivons sur une route, et un peu avant le jour, nous entrons dans Suippes et nous nous installons au cantonnement.

 

Dans la matinée, je me réveille, change de linge, me rase, me nettoie.

Le tantôt, je me promène avec HARPILLARD qui fait un stage de mitrailleur. (**)

 

(*) : Confirmé par le JMO ; Henri était bien au 6e bataillon.

(**) : S’agit-il du soldat 1ère classe Marcel HARBILLARD du 355e régiment d’infanterie ? Qui sera tué dans la Somme près de Morval en octobre 1916.

Mardi 11 avril 1916 :

J’ai lavé mon linge ce matin et tantôt, je fais un peu de correspondance. Je suis logé dans une petite chambre parquetée, au premier étage d’une boucherie. Le toit est en partie effondré par un obus, et réparé avec du papier goudronné. Je ne suis pas du tout à plaindre.

Mercredi 12 avril 1916 :

Ce matin, je suis désigné pour aller lancer des grenades, mais cela ne me va pas, je le dis au lieutenant et le tantôt, au lieu d’y retourner, je vais avec le bataillon voir des lancements de liquide enflammé. Cela doit être terrifiant lorsque ces jets de feu arrivent dans une tranchée, produisant d’énormes tourbillons de flammes et de fumée noire.

Pour revenir, nous avons la pluie, et arrivés au cantonnement, nous constatons que la pluie, perçant le plafond, vient tomber sur notre « lit ». Nous déménageons notre fourbi, et nous nous installons du côté de la pièce où il ne pleut pas.

 

Mais la nuit, pour éviter une inondation, il nous a fallu faire une brèche dans le parquet.

Jeudi 13 avril 1916 :

Le matin, nous allons aux douches ce qui nous fait beaucoup de bien. Le tantôt, nous nous préparons à remonter aux tranchées, certainement en 2ème ligne.

Nous partons à 18 h, à la tombée de la nuit, la pluie nous prend pendant ½ h. Nous suivons une route bordée de grands baraquements pour les artilleurs et leurs chevaux et des rangées de caissons, mais les canons sont invisibles, ils sont enterrés.

 

A 20 h, nous arrivons à la ferme des Wacques par un beau clair de lune, nous suivons un peu la route de Souain, puis nous descendons dans les boyaux pour arriver au Bois Noir, à nos anciennes sapes de réserve, vers 22h.

14 et samedi 15 avril 1916 :

Nous avons été tranquilles depuis notre arrivée, mais tantôt, il nous faut aller chercher des gabions au magasin du génie à 1km en arrière. Nous passons au cimetière du 294e RI : des rangées de petits tertres bordent la voie du Décauville ; certaines ont des croix de bois et d’autres n’en n’ont pas. Cela fait l’effet de planches de pois nouvellement plantées.

Quelques tombes de 1 mètre de profondeur sont creusées d’avance…

Dimanche 16 avril 1916 :

Aujourd’hui, jour des Rameaux le soleil cherche à égayer ce coin de terre où tant d’homme souffrent. Il n’y parvient pas. On sent que ce devrait être la fête mais c’est la guerre le devoir implacable qui commande de rester là.

Le front est très calme en ce moment : un avion français se promène au-dessus des lignes, salué de temps en temps par les mitrailleuses allemandes. Parfois, une marmite explose aux alentours, un obus français siffle en passant au-dessus de nous. On entend parfois en première ligne un coup de fusil ou l’éclatement d’une grenade. Quelques corbeaux planent au-dessus de la plaine, et au loin, la saucisse française inspecte le lointain.

Mardi 18 avril 1916 :

Nous sommes retournés chercher des matériaux au magasin du génie.

Les tombes du 294 RI sont maintenant toutes surmontées d’une petite croix de bois. (*)

Auprès de ce cimetière, un rectangle bordé de petites branches de sapin plantées en terre est surmonté d’une croix. Une ancre et un croissant dessinés avec des petits morceaux de craie au milieu du rectangle, indiquent que ce sont des marsouins et des arabes qui reposent là.

De place en place, au milieu des matériaux, se dresse une croix de bois au pied de laquelle est plantée une bouteille contenant un papier.

Dans un bout de tranchée à moitié creusée, un peu de terre surmontée d’une petite croix formée de deux branches de sapin, indique qu’un corps reste là.

Plus loin, dans un énorme entonnoir de 3 mètres de profondeur où sont pêlemêle des débris d’obus et de grenades allemandes. Tout autour, de grands entonnoirs de 210 français (obus) font présumer que c’est un de nos gros obus qui, en tombant sur le dépôt de munitions allemand l’a fait sauter lors de l’attaque de Champagne. (**)

 

(*) : Ce régiment a essayé de reprendre le secteur du Bonnet d’Evêque et le bec de Canard sans succès en février 1916.

(**) : L’attaque a eu lieu fin septembre 1915.

Mercredi 19 avril 1916 :

Tantôt, en transportant des claies aux tranchées de 3ème ligne, nous regardons par-dessus le boyau pour nous rendre compte de l’effet des bombardements dans la campagne et j’aperçois à 30 m du boyau une masse informe. Etant un peu sur le revers de la crête, j’escalade le boyau et m’avance en me baissant, d’entonnoir en entonnoir jusqu’à cette masse que je reconnais alors pour être un cadavre allemand. Je m’approche tout près et l’examine avec curiosité ; il est couché sur le côté droit, moitié sur le dos, une jambe est raidie et l’autre pliée, le pied à hauteur du genou et la poitrine est bombée, on voit qu’il s’est tordu dans les souffrances de l’agonie. Il est chaussé de grandes bottes, son pantalon fendu aux deux jambes, laisse apparaitre la chair noirâtre, séchée au soleil. La chemise seule cache la poitrine car la veste rabattue sur la tête lui cache entièrement le visage.

Je n’y touche pas par respect de la mort et de peur de multiplier l’intensité de l’exhalation de l’odeur désagréable qui s’en dégage.

Enfin je reviens au boyau toujours en me baissant et continue ma corvée.

Ce soir, je pose des fils de fer en 3ème ligne. On entend des fusillades en première ligne. On entend des fusillades (500m) mais ce n’est pas sur nous que l’on tire. Je rentre à minuit ½.

(Partie manquante…)

27 avril 1916 :

Un caporal risque tout (ayant déjà passé au falot) ayant voulu poser des fils de fer, je me suis retiré de l’équipe et comme les officiers ne savent rien de la mutation, je suis exempt de corvée et de garde.

En conséquence, je peux roupiller à mon aise toute la nuit. Cela semble bon.

28 avril 1916 :

Le tantôt, je confectionnais des boules, lorsque l’un des agents de liaison vient me dire :

« GUIBERT ! Au lieutenant de suite ! »

Vite, je mets mon équipement, prends mon fusil et file avec joie au poste de commandement. Ce ne peut être que pour le téléphone ou la musique.

En effet, c’était pour me donner une permission afin d’aller chercher mon instrument et entrer ensuite dans la musique. Quel bonheur ! Revoir tous ceux qui me sont chers, faire mes Pâques à Charly.

Toutefois, une ombre voile ce bonheur : la famille en deuil... (*)

Mais je pourrai les consoler, ces chères âmes éplorées. Je puis dormir toute la nuit pour la même cause qu’hier.

 

Permission à Charly-sur-Marne jusqu’au 2 mai 1916.

 

(*) : Mort du père de sa fiancée le 13/04/16 à Verdun. Georges MAURY, recrutement de Soissons né en juillet 1873 à Paris, était conducteur automobile au 8e escadron du train des équipages militaires.

Mercredi 3 mai 1916 :

Je prends le train de permissionnaires à 16h 17, descend à Suippes à 23 h1/2. Il pleut un peu et la nuit est noire. Au train régimentaire tout est déménagé, j’y passe la nuit avec quelques camarades et le 4 mai au matin, nous partons à pied au camp Berthelot. (*)

Nous trouvons 2 occasions de voiture et arrivons à 16h.

 

(*) : Le camp Berthelot se situe entre Mourmelon et St-Hilaire-le-Grand (51)

Du 5 au 8 mai 1916 inclus :

Nous allons un peu à l’exercice car le chef n’est pas revenu de perm. Quelques obus tombent un jour et tuent 2 chevaux, le lendemain d’autres marmites blessent 5 hommes de la 21ème. (*) 

 

(*) : Il s’agit bien d’hommes de la 21e compagnie : Ernest HAMELIN, Pierre HOUSSIN, Noël VIGNEUX, Florent BEL et le capitaine FERRARI (JMO)

8 mai 1916 20h 30 :

Le régiment se rassemble pour partir à 21h à travers le camp, par un faible clair de lune. Nous arrivons au camp de la Noblette à minuit ½. (*)

 

(*) : Proximité de Cuperly (51)

9 mai 1916 :

Musique toute la journée.

10 mai 1916 :

Même emploi du temps, mais le soir on parle de départ.

11 mai 1916 :

Cela ne traîne pas.

A 7 h du matin, nous embarquons dans des camions automobiles : nous sommes 20 par voiture et le convoi à plusieurs kilomètres de longueur. Nous passons à la Cheppe, Nettancourt et nous descendons à 13 h, avant d’arriver à Brabant-le-Roi. Nous nous reposons sur l’herbe au soleil pendant que passent en camions le 294 RI et le 355 RI. Ces régiments venaient de plus loin que nous et les soldats étaient tout blanc de poussière.

 

Vers 14h, tout le régiment met sac au dos et nous entrons dans le pays. Quelques civils sont restés dans les maisons non bombardées mais il y a surtout des soldats. Nous logeons à une compagnie ½ dans une vaste grange dont l’aire est en crottin de cheval. Toutefois, qu’il n’y ait pas de trou dans la toiture, nous ne nous déplaisons pas.

Nous sommes à 16 km à l’est de Bar-le-Duc. Certains disent que nous allons à Verdun, mais je crois que comme divisions volante, nous allons à l’arrière des places faibles du front.

 

20h : Après être allé faire un petit tour comme chaque jour à l’église qui est très coquette, je suis allé avec 2 copains à Revigny, petite ville située à 2 km de Brabant. La ville devait être très jolie avant la guerre à en juger par le pourtour épargné par les obus, et ses promenades très ombragées entre les deux bras de la rivière. Mais le clocher, l’hôtel de ville et le plus riche quartier ne sont qu’un amas de décombres. En revenant de la visite de la gare, nous voyons un embarquement de prisonniers allemands. Nous avons rencontré plusieurs auto-ambulances contenant des blessés français et allemands. Cela a dû chauffer ces jours-ci.

Le lieutenant téléphoniste m’a fait appeler tout à l’heure pour me demander si j’accepte d’être signaleur. Comme je vois que nous allons là où cela chauffe, je me suis empressé d’accepter. Je n’attaquerai toujours pas, et il fait meilleur avec les officiers que dans une charge à la baïonnette.

12 mai 1916 :

Je suis de réserve.

Le soir, nous avons une revue de vivres et de munitions et le chef m’annonce que je passe en subsistance à la CHR à la date du lendemain matin. (*)

 

(*) : Compagnie Hors Rang : La CHR est une entité sous le commandement direct de l’état-major du régiment. Elle réunit le personnel de : l’approvisionnement, des liaisons téléphoniques, les sapeurs-bombardiers, l’armurier, le vétérinaire, vaguemestre, cuisiniers, musiciens-brancardiers, tailleurs, cordonniers…

13 mai 1916 :

Le matin, j’arrive avec tout mon barda au cantonnement des signaleurs. C’est une grange où l’on couche sur un tas de foin. Dans la journée, nous faisons quelques exercices. Cela va tout à fait bien.

14 mai 1916 :

Le matin nous avons répétition de musique et le tantôt, concert. Notre auditoire est composé exclusivement de soldats. Pas une seule dame, pas une seule demoiselle ; cela n’a pas le charme de de la Fraternelle, au temps où nous étions heureux. Mais chacun est content tout de même, car la musique anime les sentiments et fait voir la vie du bon côté.

Aussitôt le concert terminé, le caporal-fourrier nous photographie.

Sur le front de Verdun : 1916

Lundi 15 mai 1916 :

A 7 h du matin, nous embarquons en auto-camions sur la route de Bar-le-Duc. Il tombe quelques gouttes et le temps est incertain. Aussitôt partis, la pluie se met à tomber. Nous traversons Bar-le-Duc, ville très ordinaire, puis Souilly et quelques petites villes plus ou moins ravagées par le bombardement. Nous débarquons sous la pluie battante à Nixeville, près d’un bois à quelques km de Verdun.

 

Un régiment descendant des tranchées attend son embarquement de l’autre côté de la route. Les hommes sont couverts de boue et paraissent fatiguée, déprimés, ils nous regardent sans bouger, sans causer. Lorsque les camions viennent se ranger pour leur embarquement, un cri de joie s’élève et tous courent à leurs faisceaux. Ils sont heureux de s’éloigner de ce coin maudit.

Au loin, on entend un bombardement continuel mais aucune marmite ne vient nous trouver car nous sommes paraît-il à 18 km des lignes.

 

Après une demi-heure d’attente, nous entrons dans le bois. La pluie redouble et le taillis est transformé en marécage.

Enfin nous arrivons devant une baraque, nous y formons les faisceaux, nous déséquipons et le colonel donne l’ordre de monter les tentes. Nous entrons les appareils à l’abri et le lieutenant FRÉMONT (téléphoniste) me dit de rester sous la baraque comme planton aux appareils et au drapeau. Je n’en suis pas fâché car il pleut toujours.

Au bout de quelque temps, le colonel me dit :

« Tu peux disposer de ta personne, il y a assez d’officiers ici, pour remplacer un planton. »

Je vais donc rejoindre mes camarades signaleurs.

La pluie a cessé et le lieutenant FRÉMONT nous a trouvé une place dans le baraquement. Nous y transportons des panneaux de planches que nous disposons à terre pour ne pas coucher dans l’eau, et nous nous installons à douze, nous ne tenons pas beaucoup de place.

 

17h : je ne suis pas percé par la pluie et mes chaussures n’ont pas pris l’eau, mais mes bandes sont traversées, je les retire ainsi que mes brodequins et m’étend sur la planche. Cela fait du bien de se reposer et d’avoir chaud aux pieds.

Je suis privilégié, car mes camarades de la compagnie sont sous les tentes.

Mardi 16 mai 1916 :

Je fais la grâce matinée puis je sors me réchauffer au bon soleil.

 

A 18h, nous partons pour Verdun en suivant toujours la ligne de chemin de fer meusien qui longe la route. Il fait lourd et au bout d’un kilomètre, nous nous dérangeons pour ne pas marcher sur un homme étendu par terre qui, pris de congestion, saignait de la bouche. En avançant, nous voyons distinctement au loin, la flamme des shrapnells qui arrivent sur Verdun.

 

A la nuit complète, nous entrons dans la ville maudite.

Comme la CHR est à la fin du régiment, la compagnie de tête est déjà à la citadelle. Nous ne sommes pas plutôt à la hauteur d’un panneau lumineux où se lit « zone dangereuse, passez vite » que 4 ou 5 obus sifflent et éclatent devant nous. Un recul se produit dans la colonne. Certainement, il y en a de touchés. Enfin la rafale s’arrête et nous avançons. Des brancardiers viennent de panser un blessé dans une petite maison mais ils nous disent :

« Il doit y en avoir d’autres plus loin car nous avons entendus des cris ».

Nous avançons encore en pressant l’allure et que vois-je ? Au carrefour d’une voie descendant de la droite ? Des masses sombres sont éparses sur la route… ce sont des hommes. Puis ces masses forment comme une circonférence… Certains sont immobiles.

Je fais un effort pour ne pas mette le pied sur un soldat tombé, sac au dos, la face contre terre, presque en travers de la route. De l’autre côté, un blessé agite les bras en criant :

« Oh ! Ma jambe, les gars, ma jambe ».

Plus loin, un autre appelle :

« Au secours, il y en a à côté de moi qui n’a plus de jambe ».

De toutes parts, on entend des plaintes. De chacun de ces corps étendus, coule une mare plus sombre : c’est du sang. L’air est imprégné d’une forte odeur de poudre, un obus a dû tomber en plein milieu de la colonne. Plus loin, on aperçoit sur la route des traces de sang : des blessés ont pu marcher et sont partis avec les autres.

Tout le monde se met à courir, je suis le mouvement. Quoique fatigué par la marche, je retrouve toutes mes forces et file comme un zèbre sur la route en remblai et criblée de trous d’obus. C’est une pagaille sans pareille. Je m’arrête après le panneau indiquant la fin de la zone dangereuse où sont déjà les mitrailleurs.

Nous nous reformons et montons à la citadelle où est notre cantonnement.

Mercredi 17 mai 1616 :

J’ai passé une bonne nuit sur la paille, car l’aventure d’hier soir ne m’avait pas trop émotionné. Nous avons des détails sur l’incident. Il y a en tout 32 blessés et 14 tués dont 6 tués de ma compagnie et 5 brancardiers blessés (3 de ma section). (*)

Nous montons ce soir aux tranchées ; la route est dangereuse, mais je ne m’en fais pas de bile : à la grâce de Dieu, la divine Providence gardera mes pas…

J’aurais bien voulu aller faire un tour dans les cimetières militaires pour trouver la place où est Monsieur MAURY (le père de sa fiancée) mais nous n’avons pas le droit de sortir de la citadelle à cause du bombardement.

 

Nous partons pour les tranchées à 20 h, en longeant les maisons, traversons une rivière, la suivons un peu, puis prenons la campagne. Nous gravissons péniblement un coteau et prenons le boyau pour descendre l’autre versant.

Plusieurs fois, des tirs de barrage nous obligent à faire demi-tour. Des grosses pièces françaises tirent continuellement autour de nous. (Abri des 4 cheminées, le poste du colonel).

 

 

Localisation exacte de l’abri et du boyau des 4 cheminées.

Les cheminées sont représentées par 4 petits carrés

 

Nous traversons un ravin, remontons une côte, suivons une ligne de chemin de fer et arrivons haletant, tendant des cous de girafe et trempés de sueur, à une redoute profonde et maçonnée, pleine de soldats. (**)

Nous passons le reste de la nuit dehors, assis sur nos sacs.

Pour passer le temps, je m’amuse à grignoter un biscuit.

 

(*) : Le JMO signale 14 tués et 33 blessés. Liste nominatives ici. Henri était donc bien à la 23e compagnie qui a eu 8 tués.

(**) : Cette « redoute », s’agit-il de l’ouvrage de Thiaumont ? Le récit du parcours fait plus penser à l’ouvrage de Thiaumont, l’ouvrage de Froideterre étant en arrière des 4 cheminées (abri du colonel), et c’était de plus conforme au fait de suivre une voie ferrée  (le Meusien de Verdun à Bezonvaux passant à Fleury et bifurquant vers Vaux peu avant Thiaumont). Cet ouvrage n’était plus utilisé que comme abri des troupes chargées de la défense.

Jeudi 18 mai 1916 :

Vers 3 heure du matin, une dizaine de prisonniers arrivent des 1ères lignes : ils sont grands et maigres et apparemment du 6ème régiment de garde.

Au jour naissant, je cherche une place dans le gourbi et je trouve un petit coin où je m’installe de mon mieux. Les signaleurs n’ont rien à faire tandis que les compagnies en ligne sont sans abri, derrière un talus.

 

A midi, j’apprends qu’il y a 3 téléphonistes de tués ce matin et qu’hier soir il y a 3 blessés à la relève.

Vendredi 19 mai 1916 :

A minuit, je vais au ravitaillement qui se fait en face de la redoute. Comme nous avons mangé du singe et des conserves et bu de l’eau jusqu’ici, le bœuf, les lentilles et le vin nous emblent bon, et nous nous mettons aussitôt à manger.

 

A 3 heures, je prends la garde à l’observatoire au-dessus de la redoute, presque à la crête. (*)

Le jour apparaît et les petits oiseaux commencent à chanter dans la verdure des buissons. Sur la crête à ma droite éclatent à chaque instant les gros noirs allemands. Ils tirent sur Fleury, un gros village en ruines.

Mais notre artillerie, comme en tout temps, tire bien plus que l’artillerie allemande, et c’est dans le ravin  un bruit d’enfer. (**)

 

A 6 h, je descends me reposer. Peu après, nous avons une alerte avec gaz ; je prépare mon masque pour le remettre dans sa boite une heure après ; ce n’était qu’une fausse alerte. Enfin, je m’endors au bruit du canon.

En me réveillant, j’entends dire qu’il vient d’avoir un tir de barrage ; je ne l’ai pas entendu.

 

A 16h 30, je monte à l’observatoire et vers 19 h, nous partons pour 2 jours à Vadelaincourt, pour faire des essais de télégraphie optique avec avions.

Une automobile vient nous chercher à 22 h et nous filons vers l’arrière. Nous couchons sur un bon lit de paille, tout allongés.

 

(*) : Les 2 postes d’observation de Thiaumont étant alors détruits en mars 1916 (source fortiffsere), il devait donc être à Froideterre.

(**) : Ravin des Vignes ou Ravin de Froideterre … ?.

Samedi 20 mai 1916 :

Nous ne faisons pas beaucoup d’exercice, car nous connaissons la théorie d’avance.

A chaque instant, des avions chasseurs et observateurs s’envolent et atterrissent tout près de nous. Le tantôt, je lave mon linge, car il fait chaud, ce sera vite sec. On est content d’échapper un peu à l’enfer de Verdun.

Dimanche 21 mai 1916 :

Il fait toujours beau temps mais le canon tonne sur Verdun. On dit que les chasseurs attaquent aujourd’hui et toute la division demain.

 

A 19 h, des automobiles nous emmènent à Verdun et nous laissent au pied du fort de St Michel.

Nous gravissons la côte ; au magasin du génie, un agent de liaison nous conduit, et nous repartons dans le boyau pour « les Quatre cheminées ». Les Boches lancent des obus à gaz lacrymogènes qui nous piquent fortement aux yeux.

Nous arrivons à destination vers 23 h.

Lundi 22 mai 1916 :

Vers 1 heure du matin, je suis désigné pour aller au 6ème bataillon avec mon camarade ; c’est notre tour. Nous mangeons un peu et un agent de liaison nous conduit à travers la plaine jusqu’au petit poste de commandement du 6ème bataillon. (*)

Peu après notre arrivée, le commandant va s’installer de l’autre côté du ravin. Nous descendons le boyau et remontons l’autre versant pour prendre un boyau à mi-côte sur la gauche qui s’en va dans la direction des Boches.

Le bombardement est presque nul, mais on voit que la bataille à fait rage dans ce ravin surnommé le ravin de la Mort (*) car tous les arbres sont déchiquetés et couchés à terre et le sol est retourné par les marmites. Ce n’est qu’un chaos de branches, de pierres, d’entonnoirs, de débris de toutes sortes.

Nous nous couchons dans des petits trous de la longueur d’un homme creusés dans le parapet de la tranchée. L’attaque doit avoir lieu dans la matinée et notre artillerie commence à arroser les lignes ennemies.

 

Vers 10 h, le bombardement fait rage car les Boches se doutant sans doute de quelque chose, répondent avec de grosses marmites. Les grenadiers passent pour partir les premiers à l’attaque et le commandant nous dit de mettre la toile de tente en bandoulière pour monter avec lui. Mais le bombardement devient de plus en plus terrible. Les blessés défilent dans la tranchée. Les mitrailleurs s’apprêtent à partir avec leurs pièces, en même temps que les vagues. L’un d’eux revient en tombant à chaque pas : l’émotion et l’effroi le terrassent, il est blanc, prêt à défaillir.

L’heure de l’attaque arrive, mais le bombardement est si violent que le commandement commande : en arrière, car il y a la moitié du monde hors de combat. Je m’occupe alors de ma sécurité et cherche vivement un petit abri. A plusieurs reprises, des marmites éclataient tout près, me couvrant de terre et je suis obligé de changer d’abri.

Enfin, je m’allonge dans un trou assez creux et me garantis avec 2 ou 3 sacs. Je puis à peine me retourner. Les blessés passent toujours et les tués ne se comptent plus. Je ne perds pas confiance, car j’ai foi en ma bonne étoile.

Tout l’après-midi, je reste terré dans mon trou.

 

Le soir, deux compagnies du 294 RI viennent renforcer le bataillon.

Quelques hommes s’arrêtent en face de mon abri et dans la nuit, un obus éclate de l’autre côté du parapet me couvrant de terre et brisant un bras et une jambe d’un poilu qui se trouve là. Je fais des efforts pour me déterrer, mais impossible. Je m’accroche alors désespérément à une racine et tire de toutes mes forces. Je sors du trou, emporte deux sacs et me sauve en courant pour trouver un autre abri. Je passe en face de l’abri du commandant où 2 ou 3 morts ont été étendus par une marmite. L’un à la jambe coupée.

Enfin la compagnie des renforts arrive et je me fourre dans un abri assez confortable. Je mobilise tous les sacs que je trouve autour de moi pour m’en faire un mur de protection contre les éclats.

A plusieurs reprises, les obus viennent éclater en face de moi sur le parapet, envoyant des éclats dans les sacs sans me toucher.

Mardi 23 mai 1916 :

Au matin, je m’occupe de savoir si le commandant est toujours dans son abri près de moi, mais effrayé par les marmites, il est parti sans me prévenir ; on me dit qu’il est retourné en 2ème ligne. Comme il est impossible d’y aller dans le jour, je me décide à rester là.

Je retrouve mon camarade signaleur : un éclat lui est arrivé dans le bras hier, sans entrer, il est allé au poste de secours, puis voyant que de nombreux blessés y étaient bousillés, il a préféré revenir. Il me dit que nos sacs sont enterrés ; je ne me fais pas de bile et retourne dans mon trou pour attendre la nuit.

J’ai les membres et surtout les genoux douloureux d’être resté dans les trous. Je n’ai ni mangé, ni bu depuis deux jours, mais je n’ai pas faim, l’odeur du sang et de la poudre m’emplissent l’estomac. A chaque instant, les grosses marmites éclatent tout près, font trembler la terre, le vacarme est assourdissant.

 

Ce n’est que vers midi que le bombardement s’atténue. Je prends un peu de pain et du beurre (car je n’ai pas quitté ma musette) et me force à manger. Puis je me mets à lire les lettres que le sergent m’avait données Aux Quatre Cheminées.

Mais une dépression nerveuse s’opère en moi à la lecture de ces phrases sentimentales et je vais pleurer comme un enfant. Pourvu qu’on soit relevé ce soir, car je ne suis pas le seul qui soit démoralisé. J’ai vu de vieux soldats s’affaisser dans la tranchée, terrassés par la peur.

Je vais chercher mon sac que l’on vient de déterrer et remplace ma toile de tente qui a été déchirée. Nous avons décidé de remonter aux Quatre Cheminées ce soir, car mes phares (pour la signalisation) sont brisés par des éclats d’obus.

 

A la tombée de la nuit, le bombardement reprend et nous partons que vers 22 h. Il y a des blessés plein la redoute et avec un soupir de soulagement nous apprenons que le 6ème bataillon est relevé ce soir ainsi que la CHR.

Cette dernière arrive sur ces entrefaites, nous sommes contents de nous revoir. Mes camarades sont surpris de me retrouver sain et sauf, car on m’avait dit blessé grièvement… Le lieutenant était en peine pour moi et m’exprime sa joie de me retrouver intact. Je n’ai qu’une petite égratignure au nez, à la base du front. Nous prenons le chemin de Verdun et traversons des nuages de gaz lacrymogènes qui transforment le nez de nos braves poilus en vraie fontaine. Nous rencontrons des ambulances pleines de blessés et le 355 RI qui vient nous relever. Nous entrons au petit jour à Verdun où nous cantonnons dans une caserne.

Mercredi 24 mai 1916 :

Nous partons le 24 au soir à destination du bois de Nixéville. Nous passons dans Verdun par la zone défilée et marchons une grande partie de la nuit. Nous nous installons dans des baraquements.

Mais le lendemain, il faut monter les tentes pour laisser les baraquements au 5ème bataillon qui arrive dans la nuit.

Nous apprenons qu’i y a un signaleur de tué pour cause d’imprudence de sa part.

Jeudi 25, vendredi 26 mai 1916 :

Nous embarquons à midi dans des autobus qui viennent d’amener le 410 RI et sa division, retraversons Bar-le-Duc et descendons de voiture à 6 ou 7 km de cette dernière ville. Nous allons à pied jusqu’à Chardogne (1km1/2) où nous cantonnons dans une ferme.

Nous sommes tranquilles car nous ne sommes que les 13 signaleurs, et nous pouvons avoir du lait à volonté de sorte que nous nous sommes associés à 5 pour faire du chocolat. C’est moi le cuisinier, et ma foi, mon fricot avait bon goût, et il était meilleur que celui que je m’étais fait avec de l’eau du bois de Nixéville.

Samedi 27 mai 1916 :

Nous jouons de la musique toute la journée.

Dimanche 28 mai 1916 :

C’est la 1ère communion. L’église est bien ornée et cette cérémonie me rappelle de doux souvenir et toutes les mères pleurent aux paroles émouvantes du prêtre.

Lundi 29 mai 1916 :

Musique.

Mardi 30 mai 1916 :

Nous partons à 5 h du matin, à pied, pour Ville-sur-Saulx, musique en tête, sac à la voiture. Nous arrivons vers 2 h de l’après-midi. La musique est à part.

Mercredi 31 mai 1916 :

Nous donnons un concert, le soir, au château où est le colonel. (Château de Trèves)

Jeudi 1 juin 1916 :

Jour de l’Ascension, messe en musique, concert à 18 h.

Je revois avec plaisir HARPILLARD (Marcel) et plusieurs copains du 355 RI.

Samedi 3 juin 1916 :

Répétition toute la journée.

Dimanche 4 juin 1916 :

La musique joue à la grande messe et je joue à l’orgue avec un violon et les bois. Je suis nommé téléphoniste et passe définitivement à la CHR.

Lundi 5 juin 1916 :

Je touche mon équipement de téléphoniste et mon révolver. Concert le soir au château. Nous jouons notre petit morceau avec le violon.

Félicitations du colonel.

Mardi 6 juin 1916 :

Départ à 5 h1/2, musique en tête pour Saint-Eulien, la gare d’embarquement. Nous passons dans les faubourgs de Saint-Dizier en suivant le canal et arrivons à destination vers 14 h après avoir reçu quelques giboulées sur le dos.

La CHR et la musique sont cantonnées dans une vaste grange où la paille est en abondance.

Mercredi 7 juin 1916 :

Nous prenons le train à la gare de St-Eulien à 10 h du matin et débarquons à Epernay. Nous cantonnons le soir à Damery et repartons le 8 au matin pour Oeuilly (rive gauche, Marne). La musique loge à part et je mange avec les téléphonistes.

9 au 13 juin 1916 inclus :

Musique.

14 juin 1916 :

Le régiment (354 RI) est dissous. (*)

La moitié des téléphonistes est affectée au 294 RI et l’autre moitié au 355 RI. Nous faisons le soir une petite ribouldingue au téléphone, avant de nous quitter.

 

(*) : Le JMO du 354e mentionne le 9 juin mais l’historique du 354e et le JMO du 355e (pour réorganisation des réserves) indiquent le 15 juin.

15 juin 1916 :

Ceux du 294 RI partent le matin, rejoindre leur régiment.

16 juin 1916 :

Nous rejoignons notre nouveau régiment, le 355 RI, à Port-à-Binson. (51)

17 juin 1916 :

Nous avons couché cette nuit sur le parquet sans paille, mais j’ai bien dormi, j’ai même fait de beaux rêves. La musique est formée officiellement et passe à la CHR. Je quitte mon emploi de téléphoniste pour passer musicien et brancardier-auxiliaire. Mon nouveau cantonnement est au bord de la Marne, agréablement situé.

Le soir, je demande un sauf conduit pour Trélou (02). (Son oncle et tante BOUCHARD y demeurent)

Dimanche 18 juin 1916 :

Après bien des démarches, j’obtiens mon sauf conduit et prends le train de 8h ¼. J’arrive à Trélou vers 9h.

Lundi 19 juin 1916 :

Je passe une journée très agréable, on se sent bien dans un bon lit, mais il est difficile de dormir.

Mardi 20 juin 1916 :

Je reprends le train de 5 h 45 pour arriver à Port à Binson à 6h. Mes camarades dorment encore.

Mercredi 21 juin 1916 :

Aussitôt la soupe du matin, je me promène avec un camarade lorsque j’aperçois Maman sur la route. Quel bonheur !...

Le tantôt, nous allons faire un concert au 6ème bataillon, et à 18 h, nous déjeunons sur l’herbe au bord de la Marne. C’est charmant, mais notre bonheur est de courte durée, car le soir nous apprenons que le régiment doit partir le lendemain matin.

Deuxième séjour sur le front de la Marne : juin-septembre 1916

Jeudi 22 juin 1916 :

En effet, il y a alerte à 2h ½ et nous partons vers 4h, mais j’ai le temps de dire au revoir à Maman.

Il y a des arbres le long de la route jusqu’à Damery, mais le soleil est chaud et la côte est longue pour arriver à Hautvillers surtout que nous avons le sac.

Vendredi 23 juin 1916 :

Nous partons d’Hautvillers à 5 h1/2, traversons beaucoup de bois, passons notamment à Germaine. Les côtes sont longues mais cette fois, nous n’avons pas les sacs. Nous faisons grande halte près de Ville-en-Selves, dans les bois d’où nous voyons les saucisses françaises. Nous entendons quelques coups de canon, le secteur est calme.

Nous repartons à la nuit tombante pour passer la crête, descendons la formidable côte de Ludes et cantonnons dans le patelin. Je vais chercher mon sac sur le soir au poste de police, mais il vient d’éclater un orage formidable, on ne voit pas à deux pas devant soi. Ce n’est pas si peu de chose qui peut faire reculer des poilus.

Samedi 24 et dimanche 25 juin 1916 :

Musique toute la journée ; nous couchons sur le parquet ce qui ne m’empêche pas de bien dormir.

Lundi 26 juin 1916 :

Nous changeons de cantonnement, car le 174 RI part dans la Somme, et nous prenons la place de la musique.

Nous avons de la paille.

Mardi 27 juin 1916 :

Musique toute la journée.

Mercredi 28 juin 1916 :

Le soir à 20h 30, nous partons à 8 pour Sillery (51) où est l’infirmerie régimentaire.

Nous arrivons vers 22h où, après avoir bien cherché dans le patelin à moitié démoli, nous trouvons notre cantonnement.

Jeudi 29 juin 1916 :

Le matin, je vais balayer, essuyer les meubles, laver à l’infirmerie.

Le tantôt, je n’ai rien à faire.

Vendredi 30 juin 1916 :

Je fais fonctionner les douches toute la journée.

Samedi 1 juillet 1916 :

Je fais le ménage à l’infirmerie.

Dimanche 2 juillet 1916 :

Même emploi du temps.

Le soir, nous sommes relevés. Les Allemands répondent à peine aux rares coups de canon que nous leur envoyons.

Du 3 au 9 juillet 1916 inclus :

Musique toute la journée. Le 9/7 au soir, nous repartons pour Sillery pour 3 jours.

Le 10 juillet 1916 :

Nos batteries tirent un peu le tantôt sans recevoir de réponse.

11 juillet 1916 :

Nos canons tirent beaucoup le tantôt, nous lançons un assez grand nombre de torpilles.

Le soir, à 20h 30, je pars avec 4 camarades brancardiers auxiliaires, un brancard roulant et un major pour le poste de secours de 2ème ligne. Il doit y avoir un coup de main cette nuit contre les tranchées Boches.

Nous nous reposons dans un petit abri en attendant l’attaque vers minuit 1 heure du matin, je suis soudain tiré de ma somnolence par une vive fusillade. Les balles sifflent dehors et se plantent dans les arbres ; il ne ferait pas bon sortir en ce moment.

Pourtant il arrive des blessés, il faudra tout de même les évacuer aussitôt leur pansement effectué. Je ne m’effraie pas pour si peu, ce n’est pas la première fois que j’entends les balles. La fusillade se prolonge, le coup est manqué et les nôtres regagnent prudemment leur tranchée.

Puis le 75 envoie quelques pruneaux dans la première ligne Boche. La fusillade diminue et finit par cesser. On ne nous a pas acconduit de blessé, c’est presque incroyable.

Enfin, le calme se rétablit et on vient nous dire de rentrer car tout est fini et il n’y a pas eu de blessé à l’attaque. Nous regagnons alors notre cantonnement de Sillery, il est 1h ½ du matin.

12 juillet 1916 :

Nous apprenons qu’un lieutenant de crapouillot a été tué au cours de la nuit, d’une balle au front. Deux assaillants ne sont pas revenus, on ne sait pas ce qu’ils sont devenus.

Deux blessés légèrement, l’un à la tête, l’autre à la main, sont arrivés ce matin à l’infirmerie, un autre dont une balle avait traversé les deux jambes alors qu’il travaillait cette nuit, a été amené ce matin à l’infirmerie.

Aujourd’hui, pas un coup de canon, c’est le calme absolu.

23 juillet 1916 :

Après avoir passé 6 jours de délices à Charly(-sur-Marne), je prends le train à 16h 17et arrive à Germaine à 19h 1/2 avec un musicien du 294 RI, je commence à gravir la côte de Germaine, mais au bout d’un kilomètre, nous entrons dans une ferme où nous ingurgitons chacun un bon litre de lait froid.

Puis nous continuons notre route et arrivons vers 21h 30 à Ludes. Quelques camarades causent encore à la lueur d’une bougie. Je me couche sur un bon lit de paille et me réveille que le lendemain pour boire le jus.

24 juillet 1916 :

Je compare ma situation actuelle, avec les heures de bonheur passées en permission, et le cafard veut me prendre, mais aussitôt ma toilette faite, j’entends le chef de musique dire « En place dans le parc ». Je monte ma flûte et la musique disperse les idées noires.

Aussitôt le repas de midi, je sors ma bouteille de gnole ce qui enchante les copains, mais j’ai soin d’en garder 1/3 de la bouteille pour moi.

 

Le tantôt, nous faisons concert sur la place, à l’issue duquel le maire de Ludes nous offre 8 bouteilles de champagne de sa fabrication.

 

Le soir, je pars à Sillery avec 7 camarades. Le secteur est toujours d’un calme absolu.

25 juillet 1916 :

Je fais fonctionner les douches toute la journée.

26 juillet 1916 :

Je n’ai absolument rien à faire comme service. Nous nous faisons de bonnes salades.

Le matin, je fais le ménage à l’infirmerie, le secteur est calme devant nous, mais sur la droite, on entend des éclatements de torpilles ; ce sont les Boches qui nous ménagent une mauvaise surprise.

 

Vers 16h, je venais de terminer une lettre lorsqu’on nous dit qu’il y avait un blessé à aller chercher. Vivement, je range mes papiers coiffe mon casque, et prends ma boite à gaz à la ceinture et je cours avec 3 camarades chercher un brancard roulant à l’infirmerie. De là, nous filons au poste de secours du bataillon.

Il fait chaud et la craie blanche rend encore plus brulant les rayons du soleil. Un groupe de poilus entourent curieusement la porte du poste de secours. Ils se rangent à l’arrivée des brancardiers, et je pose mon brancard près de la porte. Quelques brancardiers de compagnies sont là : l’un est couvert de sang des pieds à la tête. On nous dit que le blessé a reçu une balle dans la tête alors qu’il était en 1ère ligne. Sans doute une imprudence.

Je m’approche de la porte et reconnais le malheureux. C’est un copain de la classe 16, ayant été à mon escouade à Pontrieux (22) ; il est de Hautvillers. Le brancard est maculé de sang. (*)

Enfin le médecin qui achevait de lui faire son pansement nous fait signe de venir. J’entre vivement et soulève le brancard sans trembler. La vue de ce camarade sanglant, décoloré, haletant, ne m’impressionne pas du tout. Nous le déposons à terre dehors et le changeons de brancard, nous le suspendons à la voiture et nous voilà parti pour Sillery.

Notre blessé ne parle pas, ne bouge pas. Sa respiration entre coupée fait claquer ses lèvres noires et mousser la salive. Au fur et à mesure que nous avançons, son visage devient de plus en plus jaune, ses yeux se retournent et ses mains se refroidissent.

Enfin nous arrivons à l’infirmerie. Nous le déposons dans la salle de visite. Le médecin-chef le regarde et s’en va en hochant la tête. Nous avons compris que le malheureux n’en a plus pour longtemps.

Nous retournons au cantonnement. On apporte la soupe et je mange d’un aussi bon cœur qu’à l’ordinaire, sans même prendre le temps de laver le sang qui m’est resté après la main.

Aussitôt la soupe, je me remets à écrire, mais un infirmier vient chercher un musicien pour reconnaître l’emplacement de la tombe à creuser, car le blessé est mort. Etant resté seul, j’y vais moi-même.

 

Ce soir, vers 20 h, le bombardement s’accentue sur la droite, les mitrailleuses crépitent. Enfin, nos batteries crachent aussi et les allemands leur répondent. Cela nous met la puce à l’oreille car nous devons être relevés ce soir.

 

Vers 10h, nos remplaçants arrivent alors que nous sommes dans la cave. Nous y restons encore une heure, puis le bombardement ayant un peu diminué, nous prenons le chemin de Ludes.

Nous passons par des chemins défilés car les Boches tirent toujours sur nos batteries et nous arrivons à destination vers une heure du matin.

 

(*) : LEMAIRE Gilbert, Alfred, Adolphe 2ème classe du 355 RI, 20 ans, mort au nord de Sillery, né à Hautvillers 51. Voir sa fiche.

27 juillet 1916 :

Nous faisons un peu de musique.

28 juillet 1916 :

Le matin, je fais le boueur dans les rues de Ludes avec trois copains.

Le tantôt, musique.

29 juillet 1916 :

Musique.

Nous nous faisons photographier dans le parc par un copain du 294 RI, mais il en manque la moitié.

30 juillet 1916 :

Concert le tantôt. Le maire de Ludes nous offre le champagne.

31 juillet au 2 août 1916 :

Musique.

Le 3 août au soir, nous repartons pour Sillery où le secteur et redevenu calme.

3 août 1916 :

Je fais fonctionner les douches.

4 août 1916 :

Rien à faire.

5 août 1916 :

Je vais dans les cantonnements et sous les abris des compagnies en réserve, semer de la mort aux rats.

 

Vers 20 h, les Boches se mettent à torpiller et bombarder les tranchées, il s’en suit un duel d’artillerie, puis on entend une sirène en 1ère ligne et la cloche sonne sur la place : alerte aux gaz. Tout le monde prépare son masque et nous nous disposons à combattre la nappe gazeuse.

 

Enfin vers 21 h, un chasseur cycliste nous dit qu’un territorial en 1ère ligne, prenant la fusée d’une torpille pour un commencement d’émission de gaz, a donné une fausse alarme. Nous remettons nos masques dans leur boîte et allons-nous coucher.

Mais le bombardement continue et nous nous attendons à être réveillés la nuit pour aller chercher les blessés.

6 août 1916 :

Heureusement, il n’y a pas eu de blessé cette nuit et nous avons pu dormir à notre aise.

A 5 h, 6 musiciens partent à Ludes pour faire répétition, ce matin et je reste avec un autre jusqu’à 10 h pour faire fonctionner les douches.

Le tantôt, concert.

7 août 1916 :

Musique.

8 août 1916 :

Quelques-uns de mes camarades se font vacciner contre la typhoïde.

9 août 1916 :

En conséquence, le nombre des valides est très restreint et je monte ce soir à Sillery.

10 août 1916 :

Je m’occupe des douches.

11 août 1916 :

Je n’ai rien à faire comme service.

12 août 1916 :

Je fais le ménage à l’infirmerie le matin et le tantôt vers 15h 30, le caporal infirmier vient nous chercher pour porter de la mort aux rats en 1ère ligne. Par curiosité, j’y vais avec un camarade. Nous prenons la soupe à distribuer dans un seau en passant à l’infirmerie, et nous voilà partis vers les lignes avancées.

Le soleil est chaud et le secteur absolument calme. Le caporal brancardier du poste de secours avancé, nous conduit dans les boyaux bien taillés, bien balayés, bordés au niveau du sol de touffes de luzerne et de coquelicots qui, penchés au-dessus des bords, donne un petit ombrage bien faisant. Jusqu’en ligne 1 bis, pas de trace d’obus.

 

En première ligne, quelques poilus reconstruisent le bord de la tranchée avec des sacs à terre, d’autres rectifient la banquette de tir. Mais la plus forte partie se reposent dans les abris pour travailler la nuit.

Un fusil mitrailleur est braqué, puis un fusil lance grenade, plus loin une mitrailleuse. Une petite torpille allemande non éclatée est dans le parapet disposée de façon à ce qu’on n’y touche pas. De place en place, les sentinelles jettent un coup d’œil prudent sur l’herbe haute et touffue et les réseaux de fil de fer qui sont en avant. Tout en distribuant ma soupe aux rats sur le bord du parapet, je me garde bien de me lever trop haut, car c’est ainsi qu’a été tué mon camarade (Gilbert) LEMAIRE.

Enfin nous descendons à l’arrière par le boyau de droite du secteur. La verdure pousse non seulement au niveau du sol mais aussi dans les boyaux et les feuilles des petites pousses d’arbre effleurent le visage des soldats qui passent.

Nous passons sous une route bordée d’arbres qui serpente à travers les lignes françaises, disparaissant sous une couche de verdure. Puis nous regagnons le canal par un petit bois en rase campagne.

13 août 1916 :

Nous partons pour Ludes à 5h ½ du matin et y faisons le concert le tantôt.

14 août 1916 :

Je fais les fonctions de cantonnier.

15 août 1916 :

Répétition le matin, repos le tantôt.

16 au 19 août 1916 inclus :

Musique.

21 août 1916 :

Concert le tantôt dans le parc.

Le soir, nous partons à Sillery.

21 au 23 inclus août 1916 :

Je fais le ménage tous les matins à l’infirmerie. Pas un coup de canon.

Le 23 au soir, nous redescendons à Ludes.

24 au 26 août 1916 :

Musique.

27 août 1916 :

Concert.

28 au 1er septembre :

Musique.

2 septembre 1916 :

Nous allons, 8 musiciens donner une petite soirée musicale à Chigny-les-Roses à l’occasion de la nomination du nouveau commandant du 6ème bataillon. Nous sommes dans une salle de château éclairée à l’électricité. (*)

Le commandant nous offre cigarettes, limonade, bière, champagne, gâteaux, café, sans compter les compliments. Nous repartons à 23 h, heureux d’avoir fait apprécier l’utilité de la musique aux officiers, cela ne peut nous faire que du bien. Le même jour, j’avais eu la grande joie de recevoir la photographie de ma petite Fernande.

 

(*) : Probablement le chalet de la veuve Pommery

3 septembre 1916 :

Concert le tantôt à Chigny-les-Roses dans le kiosque.

Le soir, je monte à Sillery mais il court des bruits de départ.

4 septembre 1916 :

Les Allemands font un petit bombardement sur des batteries situées non loin de nous, vers 10h auquel non répondons à 10h ½.

Nous partons à 18 h pour Ludes et arrivons à 19h ½.

La musique est déjà partie à Rilly-la-Montagne. Nous montons nos sacs.

 

A 20h ½ la musique du 329 RI arrive dans notre cantonnement et nous partons à 21 h par la nuit noire, passons à Chigny où il y a aussi un mouvement de troupes formidable et nous nous arrêtons au centre de Rilly.

Le chef de la CHR qui passe en vélo, nous indique le cantonnement de la musique : 3 maisons à l’entrée du pays. Nous revenons sur nos pas, trouvons la porte, et montons au 1er étage où les musiciens ronflent déjà sur la paille.

Nous cassons la croûte et nous nous étendons avec plaisir sur un lit de paille fraiche.

5 septembre 1916 :

J’ai bien roupillé cette nuit.

Le temps est pluvieux, mais entre deux ondées, je vais faire un petit tour dans Rilly qui est très agréable et compte environ 2000 habitants.

6 septembre 1916 :

Réveil à 1h ½, nous partons à 2h ½ et arrivons à 10h à Venteuil, non loin de la Marne. (*)

Nous avons la soupe à 19h.

 

(*) : Plus de 20km à pied…

7 septembre 1916 :

Concert le tantôt.

Le soir nous faisons une petite Nouba avec le billet bleu que nous a donné le général de brigade à l’issue du concert.

8 septembre 1916 :

Concert le tantôt.

9 septembre 1916 :

Nous partons à 6h du matin, suivons la Marne jusque près de Port-à-Binson et obliquons vers le nord.

Nous quittons alors les vignes pour traverser des champs de blé sous un soleil brûlant, passons à Romigny presque entièrement démoli et arrivons à Lagery où sont montés des baraquements dans lesquels entrent les compagnies. La musique est cantonnée dans un moulin à 1 km de Lagery (moulin de Lhéry), au milieu des près et des champs de blé et d’avoine.

Je m’aperçois que j’ai attrapé des totos à Venteuil, je change de linge et le fait bouillir.

Dimanche 10 septembre 1916 :

Nous jouons à la messe et nous faisons un concert le tantôt. Mes parasites ont disparu.

11 septembre 1916 :

Musique, école de brancardiers.

12 septembre 1916 :

Repos du régiment.

Concert le tantôt.

13 septembre 1916 :

Musique.

Ecole des brancardiers.

14 septembre 1916 :

Musique.

Je fais les fonctions d’infirmier le matin à la visite, le tantôt école des brancardiers.

15 septembre 1916 :

Musique.

Ecole des brancardiers.

16 septembre 1916 :

Je remplis les fonctions d’infirmier le matin, le tantôt musique et école de brancardiers.

17 septembre 1916 :

Repos du régiment.

18 septembre 1916 :

Manœuvre de brigade le matin sous la pluie.

19 septembre 1916 :

Concert le tantôt.

20 septembre 1916 :

Musique.

21 septembre 1916 :

Manœuvre de division.

22 septembre 1916 :

Manœuvre de division.

23 septembre 1916 :

Musique. Concert le tantôt.

24 septembre 1916 :

Départ à 6h ½ de Lagery après honneurs rendus au drapeau. Nous jouons dans Jonchery-sur-Vesle et arrivons à Magneux à midi. Le tantôt, nous touchons, tricot, 2ème couverture, gants et linge de corps. Je ne prends que le strict nécessaire, et mon sac me semble encore trop lourd. Je balance mon ancienne couverture (la plus petite) et mes souliers de repos.

Nous touchons un jour de vivres.

Les compagnies partent dans la soirée, nous avons réveil à 1h du matin et partons embarquer à Fismes (3 km).

Bataille de la Somme

25 septembre 1916 :

Avant de monter dans le train, on nous donne encore 3 jours de vivres. Le sac est surchargé. Nous entrons à une dizaine dans un wagon à bestiaux que nous transformons avec de la paille que nous touchons en wagon-lit. Le train part au petit jour. Nous passons à Neuilly-St-Front, Fère-en-Tardenois (*), la Ferté-Milon et entrons dans l’Oise.

Le train file au milieu des plaines à peine ondulées, dépassent au loin, des rangées de saucisses indiquant l’emplacement d’un front agité.

Nous arrêtons quelques instants à … (Compiègne ?): des Boches travaillent dans la gare, un train de chevaux évacués, manœuvre et l’une des malheureuses bêtes, morte sans doute de ses blessures laisse pendre sa tête inerte en dehors du wagon.

Puis nous continuons notre voyage et débarquons à la fin du jour à Longueau (80) après avoir bu un bon jus fait avec de l’eau chaude d’une locomotive.

 

Nous mettons sac au dos et partons dans la nuit pour une destination inconnue. Nous traversons la ville et faisons la pause en pleine campagne. Le canon gronde au loin, les éclairs se succèdent, des fusées montent et s’éteignent. Nous repartons, rencontrons deux énormes canons de 155 longs, traversons Amiens, et suivons une avenue interminable bordée d’une double rangée d’arbres abritant une file sans fin d’auto-camions.

Mais tout à coup, des éclatements de bombes craquent derrière nous. Ce sont des avions Boches qui bombardent Amiens et la gare de Longueau. Aussitôt, les phares sillonnent la nuit, des coups de canons partent de tous côtés, des éclatements trouent la nuit. Ce feu d’artifice se prolonge jusqu’à 22 h.

Nous arrivons enfin vers minuit à Pont-de-Metz (6 km sud-ouest d’Amiens) où je me couche sur un tas de seigle non battu, dans un grenier. Je ne me plains pas car il y en a qui dorment sur un tas de pommes de terre.

 

(*) : Venant de Fismes, Neuilly est après Fère.

26 septembre 1916 :

Réveil à 7 h.

Je vais prendre un café au bistrot. J’en bois un autre à la roulante et nous partons à 8 h.

A la première pause, un petit saignement de nez me prend, j’en profite pour mette mon sac à la voiture ; un conducteur complaisant m’offre une place à côté de lui.

Je ne refuse pas et j’arrive à Bovelles en voiture. Nous logeons au premier étage dans la ferme du château.

27 septembre 1916 :

Rassemblement à 9h ½.

Nous embarquons en auto, repassons à Amiens et débarquons à la ferme de Bray-sur-Somme au milieu d’un camp anglo-français. Le 150 RI est là, et comme nous arrivons à l’emplacement du bivouac, je vois Eugène (*) à peine reconnaissable à cause de ses longues moustaches. Il y a si longtemps que nous nous sommes vus !

Pendant que les copains montent la tente dans le bois, je traverse le ravin avec Eugène et monte au bivouac du 150 RI où les tentes se démontaient, l’ordre est donné de partir à 19h30. Nous visitons ensemble les pièces de 400 et de 305, puis le 240 qui tire, puis Eugène retourne à son bivouac et moi à ma tente.

Je m’endors au roulement du canon.

 

(*) : Eugène BOUCHARD, son cousin, musicien flûtiste comme lui, au 150e régiment d’infanterie, de la classe 12)

28 septembre 1916 :

Départ à 11h45 pour les lignes.

Nous attendons la nuit dans un bois près de Maricourt. Je suis affecté au 6ème bataillon.

Comme j’allais voir le caporal infirmier, un 150 arrive dans un boyau, à 10 m de moi. Je me couche. Personne de touché.

Nous partons le soir, traversons des villages complètement rasés où il ne reste plus une pierre debout ….. (passage illisible) et arrivons sans marmitage à l’emplacement du poste de secours se trouvant dans une grande excavation à côté de la ligne de chemin de fer.

Nous nous reposons sous un abri de tôle, mais dans la matinée, comme il pleuvait, un blessé nous arrive conduit par un brancardier. Je vais reconnaître avec le cycliste le chemin conduisant au poste central. Ce n’est que trous d’obus dans beaucoup desquels se trouvent des Anglais et des Boches verts et immobiles. Au milieu du champ de bataille, une énorme machine anglaise sans roues est défoncée par les obus.

 

Après avoir longé dans toute sa longueur le bois des bouleaux, nous arrivons sur la route défoncée aussi par les obus et trouvons le poste central à 200 m, à gauche.

Nous revenons par le même chemin vers midi, je conduis le blessé qui marche difficilement, appuyé sur mon épaule. Un camarade m’accompagne. En revenant, je suis obligé de me planquer plusieurs fois dans des trous de marmites, car les Boches arrosent de 77.

 

Vers le soir, j’apprends que le régiment a occupé une tranchée abandonnée à 400 m en avant. Il y a un tué et quelques blessés dont un est apporté sur un brancard. Les médecins et infirmiers le pansent et nous l’emportons dans la nuit. Plusieurs fois nous glissons dans les trous. Nous arrivons avec beaucoup de fatigue au poste central et repartons au plus vite.

C’est toujours moi qui conduis, nous arrivons sans trop de marmitage et nous nous reposons dans une petite sape en attendant notre relève.

30 septembre 1916 :

Nous partons au petit jour et rejoignons le bataillon en réserve dans un boyau.

En arrivant, nous avons de l’ouvrage, car une marmite vient de faire 6 blessés et 3 tués. Les blessés sont évacués, je creuse la fosse du lieutenant tué et transporte les 2 autres près de leur tombe. (*)

 

(*) : Il doit s’agir du sous-lieutenant Jean Auguste TOUCHAIS (voir sa fiche) ; 5 autres soldats ont été tués ce jour

1er octobre 1916 :

Les nuits ne sont pas chaudes, on grelotte plus qu’on ne dort, mais nous ne recevons pas d’obus.

Je couche sur la dernière marche d’une sape.

2 octobre 1916 :

Il se met à pleuvoir.

Nous installons nos toiles de tente dans le boyau pour nous mettre à l’abri. Je passe moitié de la nuit dans le boyau, l’autre moitié dans l’escalier d’une sape.

3 octobre 1916 :

Il pleut toujours.

Nous sommes dans un état lamentable, couvert de boue, les pieds trempés. Les chevaux trainant les munitions s’embourbent dans les trous d’obus et se couchent.

4 octobre 1916 :

Même temps, même vie.

5 octobre 1916 :

Le soleil reparaît, la terre sèche un peu.

Nous remontons le soir, mais en arrivant à la route, un soldat tombe évanoui. Nous le transportons sur la route et le major me désigne pour l’accompagner dans une voiture d’artillerie, jusqu’à l’ambulance de Bray, les postes de secours n’étant pas aménagés. Nous chargeons le malade en voiture sur son brancard, j’étends une couverture sur lui, je monte et nous partons sur la route défoncée, sous la pluie fine qui commence à tomber.

Un peu avant d’arriver, mon malade se réveille sous l’influence de la pluie et des cahots et je le questionne. C’est un séminariste de la classe 15, originaire du Rhône.

 

En arrivant, je m’adresse à une tente très éclairée où sortent des médecins en blouse blanche, lesquels me disent de m’adresser au triage des blessés. Là, j’explique l’aventure au major qui me rend mon malade.

Des territoriaux m’offrent du thé bien chaud et des couvertures et je m’étends sur un brancard.

6 octobre 1916 :

A 6 h du matin, je me réveille, m’équipe, replie mon brancard et pars à la recherche du train régimentaire où sont les cuisines qui doivent me ramener en ligne. Je le trouve enfin parmi l’immense camp garni de voitures. Je mange, bois le jus et la gnole avec les cuistots, et nous repartons vers midi dans la direction des lignes. Je suis juché sur la roulante et me cramponne après la cheminée pour ne pas être renversé par les cahots.

 

Nous traversons le camp anglais où les roues enfoncent jusqu’aux moyeux, passons auprès d’innombrable batteries lourdes anglaises qui ne cessent de tirer et nous nous arrêtons à 3 km des lignes sur une route que répare les territoriaux, à l’emplacement d’un village où il ne reste qu’une grille debout et un christ dans le cimetière.

Soudain un obus arrive à 100 m en avant de nous, puis un autre à 100 m en arrière. Enfin un troisième vient éclater tout près de nous, à 1 m de la route, un territorial est blessé au bras. Le coin devient dangereux, et comme le jour baisse, nous avançons jusqu’à l’emplacement du ravitaillement. Après 3 ou 4 heures d’attente, les brancardiers du 6ème bataillon viennent au ravitaillement. Je pars avec eux et arrive au poste de secours du 6ème bataillon à la tranchée Lesbœufs.

 

Localisation exacte de la tranchée Lesboeufs.

Carte tirée du JMO de la 112e brigade d’infanterie

 

7 octobre 1916 :

Dans la matinée, on amène un blessé, le médecin le panse et nous l’emportons au poste central, mais quel chemin ! En descendant au ravin, les trous d’obus sont garnis d’Anglais morts et pour remonter, il faut marcher sur les Boches à moitié enterrés dans la boue du chemin et que les roues des engins ont déshabillés à force de passer dessus.

Après avoir déposé notre blessé, nous regagnons notre poste de secours.

 

Peu de temps après, la préparation d’artillerie se déclenche en vue de l’attaque ; ce n’est qu’un pétillement, un bourdonnement, un sifflement continu qui durent deux heures. L’attaque a réussi mais nous avons des pertes. On installe un poste de secours avancé en avant de Morval où je me rends à la tombée de la nuit avec d’autres brancardiers. Il y a beaucoup de blessés, je fais un premier voyage lorsque le bombardement est un peu calmé. Il y a beaucoup de trous d’obus mais il fait clair de lune.

Nous revenons et repartons. Cette fois, il nous faut attendre au central, jusqu’au jour car les brancards manquent.

8 octobre 1916 :

Je regagne le poste avancé en courant à travers le bombardement et passe la journée dans une sape.

Le soir, nous avons beaucoup de renfort de brancardiers ; je vais en première ligne avec 3 musiciens du 294 pour voir s’il reste des blessés. Il n’en reste pas, nous revenons au poste de secours et faisons trois voyages dans la nuit.

9 octobre 1916 :

Les Boches, sans doute en colère de notre attaque d’avant-hier et de notre petite avance d’hier nous sonnent un bombardement terrible : la sape tremble sous les explosions, une entrée est bouchée.

Le soir, ils se calment, nous sommes relevés, et c’est avec un soupir de soulagement que j’emporte en vitesse mon dernier blessé. Nous partons ensemble par un chemin creux obstrué par quatre cadavres de chevaux. Nous passons prendre nos sacs et continuons notre chemin sous le clair de lune pour arriver entre Bray et Maricourt au petit jour.

10 octobre 1916 :

Le soir, nous embarquons en auto, roulons toute la nuit et arrivons le 11 octobre au petit jour, près de Glatigny (15 km au nord-ouest de Beauvais) Nous cantonnons dans le pays.

12 octobre 1916 :

Il y a un tué à la musique et 6 blessés par un obus qui est arrivé au central. Je me suis bien reposé cette nuit, mais j’ai comme le choléra sans doute, occasionné par les odeurs cadavériques au milieu desquels je ne cessais de voyager sur le champ de bataille.

13 au 20 octobre 1916 :

Nous menons une vie de gargantuas : chocolat au lait, oie, lapin, biftecks etc. défilent à tour de bras dans ma gamelle. Je me promène dans les villages environnants pour acheter des lapins.

21 octobre 1916 :

A 5h, nous embarquons les caisses à musique au train régimentaire qui part à 6h1/2.

22 octobre 1916 :

Deux concerts le tantôt.

23 octobre 1916 :

Départ à 9h en auto-camions ; après avoir été secoués toute la journée, à faire tourner du lait en beurre, nous débarquons vers 23 h du soir près de Suzanne où nous passons la nuit dans des baraquements.

24 octobre 1916 :

Nous partons en ligne à 17h.

Je suis au central et notre brancard et le panier médical sont attachés sur une voiturette de mitrailleuse que nous suivons. La nuit est noire comme de l’encre et la pluie tombe ce qui ne nous empêche pas de marcher vite.

Arrivés à la brigade, nous portons panier et brancard sur notre dos et nous engageons dans un boyau pour arriver sans marmitage à 22h au poste de secours.

Nous entrons dans une sape, à 3h du matin dans une autre.

25 octobre 1916 :

Un caporal-fourrier est blessé. Je le conduis au central, puis nous changeons de sape pour aller avec d’autres musiciens. Je vais à l’eau à la Somme qui coule à 150 m de notre sape et sur laquelle pullule une fourmilière de canards que les obus font sauter en l’air en explosant dans l’eau.

Je vais le soir au ravitaillement.

26 octobre 1916 :

Je travaille le soir à l’abri du médecin-chef.

27 octobre 1916 :

Même travail au petit jour.

Le soir, je vais chercher un blessé à la jambe, le long de la Somme après être allé au ravitaillement.

28 octobre 1916 :

Au petit jour, continuation du travail de consolidement de la sape du médecin-chef.

29 octobre 1916 :

Même travail à 3h du matin.

30 octobre 1916 :

Jusqu’à ce jour, le temps a été humide, et il ne se passait pas une journée sans qu’il tombe quelques gouttes et les boyaux étaient encore praticables, mais aujourd’hui, il a plu à torrents toute la journée.

 

A la tombée de la nuit, nous transportons le panier médical en passant par Cléry. La route est assez bonne, mais souvent marmité ; nous passons vite au milieu de décombres de toutes sortes, de pans de mur troués par les obus ; s’il avait fait complétement nuit, plus d’un serait certainement dégringolé dans les trous d’obus plein d’eau, car nous marchons au niveau et tout près de la Somme. Nous remettons panier et brancard au cuisto, prenons notre ravitaillement, et revenons par le boyau. Nous avons de l’eau par-dessus les chevilles et tous les vingt mètres, nous nous enlisons dans les paquets de terre éboulés, il faut s’aider des coudes.

 

En descendant le ravin des Berlingots, j’enfonce tout à coup dans la boue jusqu’aux genoux et après 100 mètres de cette marche, je remonte dans le boyau conduisant à notre sape où j’arrive couvert de terre des pieds à la tête, les souliers, les bandes et les bas du pantalon recouverts d’une épaisse couche de boue luisante. Nous mangeons et couchons sur nos planches.

31 octobre 1916 :

Nous sommes relevés le soir, et comme il fait un peu de soleil dans la journée, nous prenons le boyau à la brume, les Boches marmitent Cléry.

Nous attrapons la route et aussitôt Feuillères, nous montons dans une auto de ravitaillement qui nous débarque à Eclusier, et remontons au camp 18. Notre baraque est remplie de lit de grillage à 2 étages. Plusieurs fois, on fait souffler les bougies à cause des aéros boches qui lancent des bombes.

1er novembre 1916 :

Je me nettoie à la Somme où l’on accède en passant dans des marais, je gratte mes bandes mais il y a trop d’ouvrage à ma capote, je renonce à la nettoyer, il faudrait la nettoyer à grand eau.

2 novembre 1916 :

Aussitôt la soupe de 10h, je pars au train de combat chercher mon linge propre. La route est couverte d’une épaisse couche de boue liquide qui éclabousse au passage des nombreuses autos et chevaux.

Nous passons dans Suzanne à moitié démoli et arrivons à destination. Nous allons boire un coup de pinard à Cappy et revenons à Eclusier pour prendre une douche.

3 novembre 1916 :

Le matin, je lave mon linge dans le canal à Eclusier, près des boches qui déchargent des pierres.

5 novembre 1916 :

Répétition le matin, concert le tantôt.

6 novembre 1916 :

Remballage des instruments.

7 novembre 1916 :

Départ pour les lignes par un clair de lune caché par les nuages.

8 novembre 1916 :

Repas dans la sape.

9 novembre 1916 :

Le matin, travail au poste de secours.

10 novembre 1916 :

Idem.

11 novembre 1916 :

Nous creusons un boyau près de Cléry pour faire une entrée de sape.

Le soir, je vais chercher un mitrailleur tué dans le boyau conduisant en 1ère ligne et je le porte au cimetière. Il y en a déjà trois qui attendent depuis le matin.

12 novembre 1916 :

A 5 h du matin, nous creusons deux fosses de trois, car il y en a deux autres de la nuit. Nous montons les morts sur le talus et les alignons dans les trous, nous nous découvrons, le prêtre lit la messe et nous rebouchons les trous.

13 novembre 1916 :

Le soir, nous allons commencer un poste de secours, mais on vient nous dire de ne pas continuer.

14 novembre 1916 :

Le soir, aussitôt le repas, nous allons chercher un mort au 5ème bataillon et le portons au cimetière.

15 novembre 1916 :

Nous restons dans notre sape et le colonel et le médecin s’en vont plus à l’arrière.

16 au 21 novembre 1916 :

Nous travaillons à la sape du poste de secours près de Cléry (au colonel) de 11h à 17h1/2 et revenons dans notre sape au ravin des Berlingots.

22 au 24 novembre 1916 :

Nous travaillons cette fois de 5h à 11h du matin.

25 novembre 1916 :

En arrivant au poste de secours, on nous apprend qu’il y a 2 blessés sur la route au-dessus. Nous prenons les brancards et partons avec 4 divisionnaires (*) à la recherche des malheureux. Nous prenons le premier qui se plaint faiblement, couché dans la boue, et les divisionnaires emportent le deuxième qui crie à pleins poumons. Je l’entends de la route.

Deux chevaux sont tués, deux autres sont tombés dans la boue et s’agitent encore. Nous ramenons notre blessé par le boyau au poste de secours où il est pansé par le médecin chef ; c’est un conducteur du 54 RI, il faudra lui couper la jambe et le poignet. L’autre, du même régiment à une jambe coupée et l’autre cassée.

Nous nous mettons au travail. A 100 m dans le boyau, un mulet blessé de la nuit agite faiblement les trois jambes sont cassées ; sur le boyau un territorial est tué, le nez dans la terre, à côté d’un cadavre de mulet.

 

(*) : 4 divisionnaires : 4 brancardiers rattachés à la division d’infanterie.

Il existait des brancardiers dans chaque régiment, plus un groupe de brancardiers dans chaque division d’infanterie qui pouvaient être en renfort pour les unités en premières lignes de cette division.

26 novembre 1916 :

Travail au poste de secours.

27 novembre 1916 :

Idem.

Le tantôt, les musiciens de service étant absents, je vais transporter un blessé à la tête et dans le dos de la classe 16, touché pendant la rafale du ravin des Berlingots.

28 et 29 novembre 1916 :

Travail habituel sans incident.

30 novembre 1916 :

Même travail, je prête la main pour enterrer un cheval tué à la brigade.

1er-2 décembre 1916 :

Travail habituel.

3 décembre 1916 :

Repos. Messe dans la sape du commandant.

4 décembre 1916 :

Nous sommes relevés par 69ème régiment de chasseurs et partons à 5h du matin pendant une accalmie, entrons dans Feuillères un peu bombardé, par une longue passerelle au milieu des marécages, traversons le village en vitesse, et arrivons à Suzanne où nous prenons des autos à midi qui nous conduisent par un froid terrible au camp 5 près de Méricourt.

Nous sommes logés dans des baraquements comme au camp 18, sur la hauteur, et dans le bas s’étend le camp du 54 RI au repos. Le tantôt, je vais surprendre H. DUBOIS en écriture, à peine reconnaissable à cause de ses traits durcis.

Je vois aussi Jules SAJAT.

5 décembre 1916 :

Nettoyage.

6 décembre 1916 :

Paul ROMELOT, qui passait, vient me surprendre dans mon baraquement. Je l’accompagne dans sa tournée à Morcourt, nous déjeunons ensemble.

7 décembre 1916 :

Répétition.

8 décembre 1916 :

Je vais dire au revoir à H. DUBOIS. Jules SAJAT est absent car le 54 RI remonte en ligne. Je vois encore Paul ROMELOT.

9 décembre 1916 :

Répétition. Lessive et lavage à la Somme de mon linge.

10 décembre 1916 :

Concert le tantôt dans notre baraque.

11 décembre 1916 :

Répétition.

12 décembre 1916 :

Le tantôt, les Boches bombardent la côte voisine ; les obus arrivent avec un beuglement effroyable et éclatent à 800 m de notre baraque. 

13 au 16 inclus décembre 1916 :

Répétitions.

17 décembre 1916 :

Concert dans la boue, entre deux baraques par un temps sombre et froid.

18, 19 décembre 1916 :

Répétitions.

20 décembre 1916 :

Préparatifs de départ, nous sommes relevés. Enterrement de chevaux à Morcourt.

21 décembre 1916 :

Nous embarquons en auto vers 8 h, passons à Amiens et débarquons à la nuit à Avrechy (Oise) et remontons à pied à Argenlieu (2km).

22-23 décembre 1916 :

Répétition.

24 décembre 1916 :

Après avoir fait un petit réveillon, nous descendons à la messe de minuit à Avrechy. Nous devons partir en perm l’après-demain.

25 décembre 1916 :

La journée se finit bien tristement à la musique car aucun musicien ne part, en vue des marches.

26 décembre 1916 :

Cafard général et préparatifs de départ.

27 décembre 1916 :

Départ avant le jour. Nous passons à Clermont et cantonnons à Laigneville.

28 décembre 1916 :

Nous faisons défiler le régiment dans Creil et Senlis et cantonnons à Mont l’Evêque. 

29 décembre 1916 :

Nous passons musique en tête dans Baron et Nanteuil-le-Haudouin et cantonnons à Boissy-Fresnoy. Concert d’une demi-heure le soir, devant la mare.

30 décembre 1916 :

Séjour à Boissy.

31 décembre 1916 :

Cantonnement à Marolles (60).

1er janvier 1917 :

Cantonnement à Brumetz.

2 janvier 1917 :

Cantonnement à Beuvardes.

3 janvier 1917 :

Cantonnement à Lhéry près de Lagery. (Marne). (27 km à pied…)

4 janvier 1917 :

Départ en perm.

13 janvier 1917 :

A 23 h, je débarque à Romigny et je rejoins avec beaucoup de permissionnaires du 355 RI par un temps de neige, la grange hôtel de la musique. Quelques copains, notamment le chef de musique viennent d’arriver. Nous nous endormons dans la paille après avoir bu quelques gnoles.

14 janvier 1917 :

Journée bien monotone, temps gris, plaine blanche de neige. Je nourris un léger cafard mêlé de souvenirs bien doux.

15 janvier 1917 :

Préparatif de départ à pied.

16 janvier 1917 :

Départ le matin. Cantonnement dans les baraquements de Chéry-Chartreuve, au milieu de la neige.

17 janvier 1917 :

Départ le matin.

Cantonnement dans un moulin près de Courcelles-sur-Vesle (12 km du front), toujours au milieu de la neige.

Au front dans la vallée de l’Aisne

18 janvier 1917 :

Départ à la fin du jour pour les lignes avec le brancard roulant (je suis affecté au 6ème bataillon). Nous passons une ferme, puis nous descendons à…. (Probablement Viel-Arcy).

Traversons les marécages de l’Aisne sur une interminable passerelle, allons vers l’ouest, longeons le mur du Château de Soupir où s’arrête la centrale de secours, dans une des innombrables cagnas bordant la route. Nous continuons sur la route toute blanche de neige et bordée de grands arbres.

 

Au bout d’un kilomètre, nous tournons à droite, nous passons un réseau de fil de barbelés et arrêtons au près d’une côte, dans le poste de secours bétonné par les soins du génie.

Nous passons la nuit sur une paillasse dépourvue de totos (à notre grande joie).

19 janvier 1917 :

Je me promène un peu autour du poste pour connaître le secteur : les Boches sont sur le flanc d’un autre vallonnement de notre colline. Les premières lignes sont à cent mètres devant nous et les marais de l’Aisne nous couperaient la retraite en cas d’attaque ennemie.

Mais comme les boches sont très sages, nous ne craignons rien et dormons en paix.

 

Le tantôt, quelques obus arrivent sur l’artillerie, quelques shrapnels éclatent au-dessus des routes et une dizaine de torpilles craquent sur la droite.

 

Vers 16 h, un blessé nous arrive, la figure et les mains ensanglantées ; c’est un mitrailleur qui s’amusait à faire un briquet et qui s’est fait sauter un détonateur de grenade dans les mains. Le major arrive, et le panse, je tiens un récipient destiné à recevoir l’ouate imprégnée de sang. La figure et la main droite n’ont que des petites blessures, mais la main gauche à 3 doigts de moins, et l’on voit les bouts d’os ressortir et les chairs se recroqueviller autour.

Aussitôt le pansement fini, je vais avec un musicien conduire notre blessé et un évacué pour maladie au poste central par le boyau et rapportons un brancard par la route.

20 janvier 1917 :

Rien d’extraordinaire ; nous faisons une descente pour pouvoir porter un brancard à quatre.

22 au 29 janvier 1917 :

Secteur très calme, pas de blessé. Une incursion des boches dans les tranchées de la 15ème compagnie : 6 prisonniers, 1 tué et quelques blessés.

30 janvier 1917 :

Voyage à Bourg-et-Comin qui est intact et où il existe un peu de civils pour corvée de pinard.

31 décembre 1917 :

Rien à signaler.

2 janvier 1917 :

Je vais le soir avec un musicien porter une lettre au major du 5ème bataillon à Cys-la-Commune. Il nous faut traverser l’Aisne et le canal sur des passerelles en face du château de Soupir, et suivre le canal gelé entièrement, jusqu’à Cys-la-Commune entièrement détruit où il existe encore des civils.

 

En revenant, je m’amuse à glisser sur la glace, tout en faisant attention de ne pas dégringoler dans les trous et la glace, trous faits par les obus.

4 janvier 1917 :

Voyage à Bourg-et-Comin.

5 janvier 1917 :

Relève.

 

1 mois de repos à Crouy-sur-Ourcq (Seine et Marne) pendant lequel je vais 2 fois à Charly(-sur-Marne) pour 24 h et une fois pour une permission de 7 jours.

 

En revenant de cette dernière, j’apprends à Meaux, par les poilus du 172 RI que la division est en déplacement à Neuilly-St-Front. Là, pas d’ordre pour nous, nous nous couchons dans la gare et prenons le lendemain matin, le train pour La Ferté-Milon ; en descendant, un vaguemestre du 355 RI nous indique le cantonnement du jour, du régiment.

Nous partons à pied à Villers-Cotterêts, et prenons le train pour Longpont et je rejoins la musique dans un grenier.

 

Départ le lendemain pour Chacrise où habitent les parents d’un camarade de Vertus maintenant prisonnier. Je vais demander de ses nouvelles et suis reçu à bras ouverts. On m’invite à dîner. On m’offre un lit, on me donne le chocolat au lait le lendemain matin et on m’invite à déjeuner à midi avec deux copains.

Bien entendu, je ne refuse rien.

 

Départ le soir, 11 mars 1917, pour Serches. Le pays est derrière une crête et jamais bombardé. Nous cantonnons dans une maison inhabitée.

12 mars 1917 :

Quatre musiciens montent occuper un poste de brancardiers, et 4 autres vont tenir deux autres postes en arrière des lignes. La relève aura lieu tous les 5 jours.

17 mars 1917 :

Au matin : Nous partons en ligne : je vais avec 3 copains au poste de Ru-Preux en prenant par Acy-et-Jury.

Après avoir traversé un jardin sillonné de vieilles tranchées, nous traversons la route pavée de Soissons à Reims et descendons dans la cave d’une ferme à moitié détruite, constituant le poste de secours. Une table ronde est au milieu et sur les côtés sont les lits des brancardiers.

Je couche dans un lit de fer garni d’un sommier.

 

Le soir, je vais chercher du bois sec : des branches coupées par des éclats d’obus, et en revenant, je constate des feux multiples dans un village (*) à 1 km occupé par les Boches, car leurs premières lignes sont à 80 m de la ligne de chemin de fer (400 m d’ici).

L’Aisne est derrière eux, et ce village est de l’autre côté de l’Aisne.

Nous allumons un bon feu et nous nous couchons.

 

(*) : Probablement Missy-sur-Aisne

18 mars 1917 :

Au matin, nous apprenons que le 172 RI (de notre division), devant Soissons, a avancé cette nuit de 2 km, ne trouvant aucune résistance. Pas un coup de canon. Peut-être que la nuit prochaine, les poilus du 355 RI vont traverser l’Aisne au lieu de se contenter de monter la garde la nuit dans les trous d’obus avec leurs grandes bottes de caoutchouc.

Le soir nous sommes relevés et arrivons à Soissons à 2 h du matin où je dors sur une paillasse.

19 mars 1917 :

Départ à 6 h du matin.

Nous passons à Crouy et arrêtons à Bucy-le-Long, bombardé, saccagé, retourné. Tous les arbres fruitiers, sans exception, sont coupés ou sciés à 1 m du sol, l’église et la sacristie sont saccagées. (*)

 

Le soir, je vais à la soupe à Venizel en passant sur le pont de bateaux ; un tué par balle à la sortie du village. Je me couche sur une paillasse de boche, auprès de l’aumônier, et je ne me réveille pas de la nuit.

 

(*) : C’est le recul volontaire des allemands en Picardie, à la mi-mars 1917, avec saccage systématique avant leur départ.

20 mars 1917 :

A 6 h, 5 blessés arrivent dont un couché. Je le porte avec les copains à la centrale qui l’évacue sur Soissons. On nous apporte le mort d’hier, et au moment de le porter au cimetière, on s’aperçoit qu’il respire encore. Les musiciens l’évacuent.

Nous nettoyons un abri pour blessés incendiés par les Boches. Le canon tonne un peu à 3h, attaque.

On avance. Nous nous portons au Moncel (1 km à l’est de Bucy-le-Long) dans une grande cave garnie de lits.

21 mars 1917 :

A 4 h, ordre de départ.

Nous arrêtons à St Marguerite où j’enterre 2 morts dans la matinée.

 

Le tantôt, je transporte un chasseur blessé. Puis les Boches attaquent. Le poste de secours recule pendant que je suis parti à la soupe, puis on revient et les blessés affluent au poste de secours : jambes coupées, trous dans le ventre, le sang coule partout. Les râles et les cris de douleur s’entremêlent dans la cave.

Je conduis, en le soutenant, un grand boche maigre.

Il parle français, je le questionne : il a 37 ans et provient de Francfort sur le Mein. La vue de mon brassard le rassure un peu, mais il répond toujours que très timidement. Il n’ose rien dire de Guillaume, car sous-officier allemand non blessé, marche devant nous. Il ne connait pas l’expression de « totos », mais avoue qu’il en a eu, il y a quelque temps.

 

Nous demandons du renfort de musiciens. Je transporte un blessé ayant d’horribles plaies au ventre et qui certainement n’ira pas loin. J’évacue ensuite un brancardier ayant une jambe cassée en plusieurs endroits et l’autre coupée au-dessus du genou, qui meurt en chemin.

 

Ce n’est qu’à 3 h du matin que nous nous étendons sur une paillasse, tombant de fatigue, je n’ai pas la force de me couvrir et m’endort avec ma capote et mon casque.

22 mars 1917 :

Je me réveille à 9 h. Il vient de neiger.

Pas de blessés, le secteur est calme.

 

Le soir, les blessés arrivent car nous avons attaqué. Je fais surtout office d’infirmier, éclairant le major, soulevant les membres cassés, examinant les blessures, préparent les pansements.

Je transporte le dernier blessé à minuit.

23 mars 1917 :

LUCHEL creuse deux tombes pendant que je lave un brancard couvert de sang.

24 mars 1917 :

J’enterre des morts et prépare une chapelle avec l’aumônier, dans une grange auprès de l’église en ruine.

25 mars 1917 :

Je transporte un sergent s’étant foulé le pied au cours de la reconnaissance d’hier soir.

26 mars 1917 :

Les chasseurs attaquent cette nuit, nous avons 3 blessés le soir que nous conduisons aux auto-ambulances en station non loin du PS.

27 mars 1917 :

J’enterre un malheureux ayant la tête en morceaux, un bras presque coupé et la poitrine ouverte.

Auparavant, je le fouille ce qui n’est pas une besogne agréable car il faut manipuler les lambeaux de chair sanglants et comme le poilu est tué d’hier soir, le sang commence à se décomposer et par conséquence à dégager une odeur cadavérique. Je lave ensuite le brancard d’où dégoutte le sang et des morceaux de cervelle.

28 mars 1917 :

Relève à 20 h par le 62 RI. Nous cantonnons à Septmonts jusqu’au 4 avril 1917.

5 avril 1917 :

A 20 h, nous partons par la neige fondue et la grêle, passons à ….  et à Braine et arrivons à Brenelle à 3h du matin.

6 avril 1917 :

Repos en attendant les ordres.

7 avril 1917 :

Messe au matin dans l’église, chemin de croix le tantôt, pendant lequel un artilleur tué, attend dans un coin de l’église, étendu sur un brancard que sa fosse soit creusée. Un homme en arme la veille.

Le soir à 19h, nous partons 6 musiciens pour porter, avec le roulant, du matériel à l’infirmerie centrale (poste Zette).

La route de Braine est défoncée, nous attendons la fin d’une rafale de 150 avant d’entrer dans Viel Arcy. Pont d’Arcy est en ruine. Je conduis l’infirmerie au poste que j’ai déjà occupé, en passant par la route car les boyaux sont noyés.

 

En revenant, nous nous accrochons à une voiture de ravitaillement, puis nous grimpons dans une fourragère et avant de rentrer au cantonnement nous nous ingurgitons un quart de jus à une cuisine d’artilleurs. Nous nous couchons à 4h1/2.

9 au 15 avril 1917 :

Bombardement continuel.

Le Chemin des Dames : 1917

15 avril 1917 :

Toutes les pièces crachent sans discontinuer. Nous montons en ligne par la nuit noire et là plusieurs morts par éclats d’obus. Nous nous entassons dans un abri, sur nos sacs.

16 avril 1917 :

Au petit jour, l’atmosphère est trouble de fumée, la terre tremble sous un roulement de détonations.

A 6 h, attaque.

Neuf prisonniers passent plus morts que vifs.

Puis le 172 RI ainsi que les nègres pour la 2ème vague. Les boches résistent, les mitrailleuses crépitent. Je vais avec 2 équipes, avec les pionniers pour installer un poste de secours en cas d’avance. Le Mont Sapin est pris, mais à Chavonne, les Boches contre-attaquent et encercle une compagnie qui se dégage dans l’après-midi le long de l’Aisne.

 

 

 

J’aide à sortir un mort du poste de secours du 6ème bataillon et en le retirant de sur le brancard, mes mains s’enfoncent dans des plaies béantes et en ressortent toutes rouge de sang.

Comme nous n’avançons pas, je retourne le soir au poste de secours pour évacuer les blessés la nuit, mais une heure après, on demande une équipe de musiciens pour aller en ligne. J’y vais avec trois copains et un brancard. Je passe à côté d’un poilu qui vient d’être tué par un 77, 1 minute auparavant.

 

Nous partons avec M. FRADIN vers Chavonne, suivons l’Aisne sur la route barrée de murs de sacs  de terre, de fils de fer barbelés, de chevaux de frise. La nuit est noire, il se met à pleuvoir de l’eau et surtout des obus. Nous nous engageons dans les premières maisons de Chavonne qui ne sont plus que des d’obus et arrivons au pont (sauté) où nous ramassons un malheureux qui a la jambe presque arrachée.

Nous retournons avec notre fardeau, mais nous ne retrouvons pas la route et marchons entre les lignes. Les boches nous ayant vus, se mettent à tirer du flanc de la côte, puis ils demandent l’artillerie et les 77 se mettent à pleuvoir. Nous posons le blessé à terre et nous planquons dans un trou d’obus. Les obus éclatent d tous côtés, les éclats et les balles sifflent, nous attendons la mort d’une seconde à l’autre. Les mitrailleuses boches crépitent plus près, les Boches s’avancent, nous allons être fait prisonniers.

 

Enfin, au bout de 20 minutes qui m’ont paru des heures entières, l’orage se calme. Je vais voir à quatre pattes si les autres sont touchés ; il n’y a pas de mal. Je les emmène en vitesse au brancard, nous prenons notre blessé et filons presque au pas de gymnastique dans la direction de l’Aisne.

Nous descendons sur la route que nous suivons, et après avoir franchi les pires obstacles, nous remontons au poste de secours. La tête me tourne alors, et je me repose une heure.

 

Puis nous repartons dans la première direction sous une pluie battante, cette fois. Nous glissons dans les trous de marmites et remontons péniblement car les jambes s’enfoncent jusqu’aux genoux, la terre étant détrempée.

Nous prenons le 2ème blessé auprès du pont et revenons par le bord de l’Aisne. Je m’accroche dans des barbelés et m’aplatit la tête dans un trou d’obus. Nous avons un mal de forçat pour franchir les trous d’obus qui nous séparent de la route, suivons cette dernière et arrivons couverts de boue des pieds à la tête, au poste de secours.

Comme le jour est proche, nous retournons à l’abri des musiciens.

17 avril 1917 :

Je fais l’évacuation des blessés jusqu’au château de Soupir avec les autres musiciens. Notre premier blessé a une balle dans le ventre ; les boyaux sortaient au fur et à mesure qu’on lui desserre l’abdomen. Les Boches prisonniers nous aident beaucoup.

Le soir, des équipes de Boches viennent nous renforcer avec les divisionnaires. Une vingtaine de morts sont étalés devant le poste central.

18 avril 1917 :

A midi, ordre de s’équiper et de partir en avant car les allemands battent en retraite. Nous nous installons dans une cave de Chavonne. Des territoriaux refont la route, une passerelle est jetée non loin, sur l’Aisne.

19 avril 1917 :

Nous faisons du café que nous avons trouvé dans la cave. Je vais faire une incursion dans la cagna des Boches.

A 15 h, nous partons pour Vailly, puis pour les carrières au-dessus. Nous couchons dans une grande grotte.

20 avril 1917 :

 

 

Nous avançons dans une grotte plus loin, puis à la Rouge Maison. Je vais chercher des brancards roulants à Vailly, puis je transporte un blessé. Le soir, le régiment est relevé.

21 avril 1917 :

Nous partons au petit jour, passons dans Vailly où sur une place, un boche tué est étendu au bord de sa fosse.

Nous arrivons à Couvrelles vers midi.

22 avril 1917 :

Repos et nettoyage.

26 avril 1917 :

Concert à Couvrelles.

29 avril 1917 :

Concert à Couvrelles.

1er mai 1917 :

Nous partons en ligne vers 18h et je suis au 4ème bataillon, embouteillage au pont de Vailly-sur-Aisne.

Nous sommes sonnés avant d’entrer à Aizy (02) et nous nous planquons le long d’un talus ; nous recevons de la terre d’un 150 qui éclate tout près de la route et nous nous décidons à entrer dans le patelin. Nous passons en vitesse entre un homme et un cheval mort et nous arrivons au poste de secours du 294 RI. Un blessé du 355 RI est déjà là, nous nous installons et faisons un voyage : aucune marmite.

Les deux autres musiciens transportent ensuite un autre blessé du 294 RI et nous passons une nuit tranquille.

2 mai 1917 :

Un crapouilloteur nous arrive et est conduit par ses brancardiers aux divisionnaires, un autre meurt au poste de secours, nous transportons un troisième. Nous passons la nuit dans une cave à côté.

3 mai 1917 :

Nous aménageons un poste de secours à Jouy, presque entièrement détruit.

4 mai 1917 :

Un blessé sur le matin, deux autres dans la matinée. Le médecin-chef m’annonce l’acceptation de ma citation, par le colonel, pour l’affaire de Chavonne.

 

 

Sa citation. Extrait de sa fiche matriculaire

 

5 mai 1917 :

Plusieurs blessés dans la matinée dont 3 couchés. On a attaqué de chaque côté du régiment et l’avance paraît-il est assez importante. La canonnade est très vive de part et d’autre.

6, 7 ,8 ,9 mai 1917 :

Calme.

10 mai 1917 :

Deux blessés couchés dans la nuit.

11 mai 1917 :

Bombardement par les gaz. C’est en pleurant que nous sortons le matin de l’abri.

12, 13, 14 mai 1917 :

Calme.

Relève à minuit. Nous bivouaquons au coin d’un bois, non loin de la route Vailly-Chavonne.

17 mai 1917 :

155 malades à la visite ce matin… Le 54 RI monte ce soir.

 

Nota :

Forme de mutinerie… dans une lettre à son frère Edouard du 17 mai 1917, Henri Guibert précise : « après 15 jours en première ligne, nous sommes venus camper sous nos tentes dans un bois, sous la pluie à quelques kilomètres à l’arrière et nous montons demain dans un sale coin ! ... ils abusent. Au 6ème corps aussi, les compagnies parlent de refuser de monter. Le 106 R, les chasseurs à pied refusent également de monter, le 29ème chasseur s’est rendu. La 1ère compagnie et les autres reviennent par groupe sans être relevés ; cela va faire du beau travail… Il y a 155 malades ce matin au bataillon. Si on te demande le nom de l’expéditeur, ne le dis pas car je serais peut-être puni pour dire la vérité.

 

18 mai 1917 :

Les boches bombardent un peu le matin la route et la passerelle. Nous devons remonter en ligne du côté d’Ostel. La 1ère compagnie part bien, mais à contre cœur.

19 mai 1917 :

Nous sommes relevés demain et ne montons pas en 1ère ligne. Soupir de soulagement.

20 mai 1917 :

Départ à 17h.

Nous passons à Oeuilly sans marmitage et montons les tentes au PC près de Chassemy.

21 mai 1917 :

Départ au petit jour, grande halte à Septmonts. Arrivée à Berzy-le-Sec au cantonnement de la musique vers midi.

22 mai 1917 :

Nettoyage.

23 mai 1917 :

Départ formidable des permissionnaires.

Je constate avec satisfaction que je suis le 5ème à partir.

24 25 mai 1917 :

Repos.

26 mai 1917 :

Départ au petit jour, grande halte et arrivée à midi.

27 mai 1917 :

Nous devons partir d’heure en heure, mais ne bougeons pas.

28 mai 1917 :

Départ au matin en auto, passons à la ferme Paris où l’idée d’être près de Charly(-sur-Marne) m’impressionne un peu.

Nous traversons la Ferté-sous-Jouarre, Coulommiers, Nangis, débarquons au soir à la Chapelle-Rablais et cantonnons à la Ferme de Tourneboeuf où l’on voit paons et charrues à vapeur. Nous couchons dans un grand bâtiment garni de paille.

 

Partie manquante …Permission…

Les Vosges : Fin 1917

6 novembre 1917 :

Retour de perm.

Cafard consolant après mes fiançailles.

Coup de main par nous (2 morts, 12 blessés) auquel je ne suis pas mêlé.

Montée à la Grenouille le dimanche. 2 blessés.

Descente au R des G. Montée à la Chapelle (Chapelle Sainte Claire, probablement), puis au Pré de Raves (1 tué) (sur la route des Crêtes au nord du col du Bonhomme : col du Pré des Raves 1009 m).

22 décembre 1917 :

Relève par le 174 RI dans la neige, le givre et sur le verglas.

23 décembre 1917 :

Départ de Plainfaing (88), musique en tête (2 côtes). Montée à Ban-sur-Meurthe-Clefcy.

24 décembre 1917 :

Cantonnement à Le Tholy.

25 décembre 1917 :

Noël sur la route neigeuse du Tholy à Remiremont (1 grande côte glissante).

Cantonnement à Pont près de Dommartin-les-Remiremont.

28 décembre 1917 :

Départ par la neige pour Plombières. Lits d’hôtel et toilette dans l’eau thermale…

29 décembre 1917 :

Départ pour Fougerolles (70) par -22°C… Ecole libre de jeunes filles.

30 décembre 1917 :

Départ pour Dambenoît-lès-Colombe (70). Réception à bras ouverts.

Diner le soir. Séjour à Pommiers.

1er janvier 1918 :

Départ pour Borey (Haute Saône), premier déjeuner à 16 h. Clocher en dôme. Neiges continuelles. 1 concert par la musique.

13 janvier 1918 :

Départ par dégel et pluie. Cantonnement à Cubry (25) dans une salle de patronage.

14 janvier 1918 :

Départ par la gelée. Cantonnement à Fontaine-lés-Clarval (25).

15 janvier 1918 :

Départ par la pluie et verglas. Cantonnement à….

17 janvier 1918 :

Concert.

18 janvier 1918 :

Départ par le beau temps. 30 km. Cantonnement à Blamont (25) sur un plateau d’où l’on aperçoit à gauche, au lointain les Vosges neigeuses, à 2 km les montagnes de la Suisse et à droite, une chaine du Jura.

19 janvier 1918 :

Journée splendide qui me fait beaucoup rêver à ma permission toute proche.

14 février 1918 :

Arrivé de perm sans trop de cafard. Aussitôt, concert d’adieu sur la place.

15 février 1918 :

Préparatifs de départ.

16 février 1918 :

Départ à 14h, à pied pour Villars-sous-Dampjoux (25), embarquement dans le train, départ à 22 h.

17 février 1918 :

Débarquement à 14 h à Darney (88). Cantonnement dans une jolie salle parquetée et chauffée, garnie de lits.

18 février 1918 :

Répétition dans notre salle.

19 février 1918 :

Concert sur la place. Nous touchons des sacs de couchage.

20 février 1918 :

Répétition.

29 mars 1918 :

Embarquement à Darney à 7h en départ à 14h. Les américains se font huer au passage à Chaumont, Langres.

30 mars 1918 :

Au petit jour, arrêt du train de 40 minutes à Château-Thierry. Passage à Charly. Heureuse impression en approchant qui se transforme en amertume au fur et à mesure de l’éloignement.

Dans la Somme après la percée allemande : printemps 1918

Débarquement à midi par la pluie à Moyenneville (Somme).

Des obus à longue portée sifflent de ¼ h en ¼ h et vont s’écraser sur le pays. Attente près de la gare déserte dans les baraquements d’un camp de prisonniers. Embarquement à 9h en camions-autos pour Beauvais.

31 mars 1918 :

A 7h, départ à pied pour Esclainvillers (80) évacué par les civils. Nous mangeons lapins, poules, veaux.

 

A 16h, départ à 4 pour le 4ème bataillon en ligne. Secteur pas trop agité. Le bataillon se déploie et avance sans relever personne.

 

Le soir, départ par la droite (4ou 5 km). Poste provisoire dans une cave, à l’entrée de Le Plessier (80).

 

A 1h du matin, nous prenons la place de la 13ème qui monte en ligne.

1er avril 1918 :

Bombardement intermittent par des 150. Une automitrailleuse se fait presque détruire. Un motocycliste se fait couper en deux. Nous portons nos blessés au poste central du 67 RI.

Le soir je vois BEAUJEAN, à ce poste mais DELAPLACE est dans un poste de bataillon.

 

Dans la journée, comme le ravitaillement nous fait défaut, j’avais vu avec un copain, un mouton et plusieurs poules.

 

A 21h, nous somme relevés, car les boches ont attaqué plusieurs fois. Nous venons par erreur au château de …, y passons la nuit puis revenons les 2, au petit jour au château de Coullemelle où nous faisons la cuisine avec le mouton, du beurre trouvé etc.

Au soir, nous sommes ravitaillés. On nous apporte un mort que nous enterrons le 3 avril au matin.

 

Fin du journal d’Henri GUIBERT

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Il a été tué dans la nuit du 5 au 6 avril 1918 sur la route entre Septoutre et Grivesnes (Somme) alors qu’il transporté un soldat anglais blessé, aidé de 3 autres musiciens-brancardiers. Deux furent blessés les deux autres morts sur le coup, dont Henri Guibert. Voir sa fiche.

Renseignements donnés le 22/04/1918 par l’aumônier-brancardier A. FRADIN du 6ème bataillon du 355e régiment d’infanterie par lettre à sa fiancée.

Le livret du soldat anglais a été retrouvé sur lui : il s’agit de William Georges GOODYEAR n° 9357 Régiment Eart Surrey. Il aurait survécu à ses blessures et à l’explosion de l’obus.

Internet fera-t-il un miracle de retrouvailles de trace de cet Anglais?

La sépulture militaire d’Henri ne semble pas exister. Est-il dans un caveau familial ? Ou encore sur place ?

 

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Je désire contacter le propriétaire du carnet d'Henri GUIBERT

 

Voir sa fiche matriculaire

 

Voir des photos des 354e et 355e régiments d’infanterie

 

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