Extrait du Journal du Front de
Pierre Heine
Caporal au
54° Régiment d'Infanterie
du 12 Août au
Présenté par Michel, son arrière petit
fils.
Merci à lui.
Pierre HEINE (né le 16.3.1883 – Paris) a fait son service militaire en 1901 au 134e Régiment d’infanterie jusqu’en 1904.
Puis il a été bonnetier à St
André les Vergers (Aube) puis, rédacteur au Petit Troyen, rédacteur en Chef à
l'Avenir du Plateau Provençal et rédacteur au Journal de
Quant à son carnet, je n'ai eu droit qu'à une retranscription de la part de mon frère, sans jamais avoir l'original.
Je suppose qu'une pour une aussi petite période, il y a du avoir d'autres carnets, mais je n'en ai pas eu connaissance...
Michel ; février 2005
12 août
1914
: Je pars de Meaux à midi 51. Arrivée à Paris à 2 heures 1/2. Je pars de la
Gare du Nord à 6h44 et j'arrive à Compiègne vers 10 heures du soir. Je couche à
l'hôtel Jeanne d'Arc.
13 août : Je me rends à la caserne
du Royallieu. Pas d'effets ni d'armes pour moi pendant 3 jours.
23 août : Une permission de 24
heures me permet de me rendre à Meaux avec une bicyclette d'emprunt. Voyage de
nuit par Crépis-en-Valois, où je me couche quelques heures, Betz et Barey.
J'arrive à Meaux à 6 heures du matin. J'en repars à 6 heures du soir, par la route.
Randonnée dure et triste, dans la campagne déserte. J'arrive à Compiègne à 4 h
du matin, exténué par ces 126 kilomètres de route.
25 août : A 3 h et 1/2 du matin, le
clairon sonne aux sergents de semaine. Tout le monde comprend que le moment de
partir est venu.
Il faut 125 hommes par compagnie, avec les gradés
nécessaires. Je ne suis pas désigné.
Vers 3 heures, je demande à faire partie du détachement
qui doit, m'a-t-on dit, aller à Troyes.
A 5 heures, sous une pluie battante, on nous rassemble
dans la cour. On nous distribue des fleurs, des cigares.
Départ à 5 h 1/2. Fusils fleuris, foule énorme,
acclamations. On porte les armes en passant devant la statue de Jeanne d'Arc.
Embarquement dans la gare aux
marchandises.
Départ du train vers
26 août : Voyage interminable.
Nous sommes passés par Vié-sur-Aisne, Soissons, Reims, Châlons-sur-Marne, Arcis, Troyes (où nous ne nous n'arrêtons que 20
minutes), Brienne (grand halte sur les quais extérieurs),
Vitry-le-François, Bar-le-Duc, Lérouville, Saint-Mihiel.
Arrivons en gare de Verdun
à
On entend le canon. Les projecteurs des
forts balaient le ciel.
Le train repart bientôt en arrière et
nous amène, vers
Nous sommes fourbus. Assez bon
cantonnement dans le village.
27 août : Départ à
Malancourt : de nombreuses voitures
emportent des paysans fuyant devant l'invasion.
A
28 août : A
Le régiment se porte à 800 mètres au sud
du village et se déploie en lignes de sections, face à l'est.
Cannonade et fusillade à l'est.
A
Grand'halte. Je suis versé à la 5ème
Compagnie. Journée dure, grande fatigue.
Le soir nous creusons des tranchées. Bon
cantonnement à Gercourt où l'on distribue des vivres.
29 août : Départ de Gercourt à
Nous allons réoccuper nos tranchées.
Beau temps. Repos complet jusqu'à la soupe du soir. A ce moment commence un
duel d'artillerie entre les batteries françaises de 75 et de 120 court, et les
batterie allemandes installées à 4 km, sur la rive droite de
30 août (dimanche) : Sommes au repos toute la journée comme réserve des
avant-postes. Canonnade incessante sur l'artillerie française qui est à 200
mètres sur notre gauche, dans les bois. A plusieurs reprises obus et shrapnells
éclatent dans la clairière où nous sommes. Pas de blessés. Nous couchons sur
place, comme la veille.
31 août : On nous informe que 4 divisions françaises viennent de passer
1er septembre : Vers
L'artillerie française tire par-dessus
nous. Toute la matinée, sommes au repos dans notre tranchée. La canonnade ne
cesse pas une minute. La fusillade se rapproche. Les allemands ont réussi au
cours de la nuit à passer
Vers
Vers
A notre gauche, le long des bois, une
charge à la baïonnette, partie de trop loin [ ] les allemands couchés. []lés
font faire demi-tour aux [ ]. A notre droite, dans Gercourt, une charge d'infanterie (54ème) est balayée par les
mitrailleuses allemandes.
Mon régiment a perdu 600 hommes, me
dit-on. Ma compagnie est très éprouvée. Nombreux tués, blessés et disparus.
La nuit vient.
Je tente en vain d'aller chercher un
blessé au bord du ruisseau, que je ne puis traverser.
2 septembre : Nous nous replions au matin sur Montfaucon, où grand'halte. Nous sommes en réserve à la lisière des
bois. Recevons rien.
Le soir à
A
3 septembre : Marche forcée vers le sud. Cantonnons à [ ].
Journée très dure, à Jubécourt 22 km de J [ ] début de
mouvement [ ] semble-t-il [ ]rière.
4 septembre : Départ [ ]
6 septembre : [ ] vais en patrouille [ ] ne [ ] le
village de [ ] une bataille [ ] effroyable [ ].
Je me trouve sous le feu des
mitrailleuses allemandes. Je [ ] sur un ordre qui me parvient au milieu
des hommes du 155ème. Je reçois un éclat d'obus qui me
blesse légèrement à la tête.
On [ ] repli. Nous redescendons
le plateau de Baunne (?) couvert de morts. Journée terrible.
Souvenirs vagues que je ne puis
consigner.
7 septembre : Nous mouvons sur le plateau de Baujée (Beauzée), couvert de morts de la veille. Visions affreuses. Nous
allons occuper un élément de tranchée étalée le long d'une ligne de chemin de
fer, à hauteur de [ ]. Fusillade intermittente. Dans cette tranchée,
nous avons trouvé un chasseur à pied du 29ème
bataillon. Il a le ventre
ouvert et gémit douloureusement.
Sa blessure, affreuse, laisse voir ses
entrailles d'où il retire à chaque instant des brins de paille que le vent y
apporte. Le Lieutenant Brizou, qui nous commande, nous interdit d'emmener ce
malheureux.
8 septembre : Le chasseur est toujours vivant. Nous exécutons, dans la
matinée, un feu assez heureux sur des groupes ennemis qui apparaissent au loin.
Le Lieutenant Brizou, qui s'avance imprudemment pour observer l'ennemi, reçoit
une balle qui lui brise le fémur.
Trois hommes lui font un pansement et
l'emportent. Le chasseur à pied gémit toujours.
9 septembre : Nous sommes relevés et allons prendre position sur le
plateau situé à l'ouest de Marat-la-Grande, en arrière du village de Rembercourt (Rembercourt aux Pots).
L'artillerie allemande nous arrose.
Notre compagnie est abritée derrière une forte haie, le long de laquelle nous
construisons des abris en branchages. Nous faisons la soupe, à la nuit, au
milieu des tas de pierre. Le bois manque.
11 septembre : Il tombe une pluie froide et pénétrante.
Les obus allemands pleuvent toujours sur
nous.
L'un d'eux tombe dans une de nos
tranchées et tue plusieurs hommes, parmi lesquels le Sergent Letellier, un de
mes camarades de Compiègne. Un sous-officier allemand vient se faire
prisonnier. Il parle parfaitement le français et supplie ceux qui
l'appréhendent de ne pas lui faire de mal.
Aussitôt, le Lieutenant Adelaine, qui
commande la compagnie, envoie une forte patrouille dont je fais partie, piquer
à coup de baïonnette les gerbes de paille derrière lesquelles, croit-il, se
cachent d'autres allemands.
Les gerbes ne recèlent rien mais notre
patrouille, aussitôt repérée par l'artillerie française, reçoit quelques obus.
Nos signaux avertissent nos artilleurs de leur erreur. Nous n'avons pas de
blessés.
Le soir, des mouvements, très fatiguants
dans la terre détrempée, nous rapprochent de Rembercourt.
Je converse avec un blessé allemand. Distribution de vivres en pleine nuit sous
une pluie battante.
Journée très dure et très meurtrière.
12 septembre : Souffrant de fièvres, je me suis fait porter malade et
suis descendu à Marat-la-Grande, où a lieu la visite.
Le village, dévasté et pillé, est plein
de blessés.
Le Major m'autorise avec 4 camarades,
Baffy (Sergent), Denoyette, Miserey et Fourgaud à me reposer dans le vallon. Le
soir, nous construisons des abris avec des planches et des portes enlevées dans
le village. Nous avons fait cuire des pommes de terre arrachées dans les champs
voisins et mangé quantité de fruits.
Au milieu de la nuit, une pluie
diluvienne se met à tomber. Bientôt transpercés malgré nos abris, nous sommes
obligés de fuir.
A une heure, je gagne avec Denoyelle, au
milieu des flaques d'eau et des mares, le village de Marat.
Dans une maison abandonnée, nous allumons un grand feu avec tout ce qui nous
tombe sous la main.
Je m'endors et laisse brûler une de mes
chaussures. Je me réveille à temps...
13 septembre : Au matin, nous remontons sur le plateau.
Nos camarades ont passé une nuit
terrible.
Ils ont dû rester presque constamment
debout, sous un véritable déluge. Ils grelottent presque tous de fièvre. Avec
beaucoup d'entre eux, je redescends à la visite de Marat-la-Grande.
Même traitement que la veille : cachets
de quinine et repos dans le vallon.
Vers
Sous la conduite de Baffy, qui ne sait
trop ce qu'il veut faire, nous nous dirigeons vers Rembercourt où nous arrivons à la nuit tombante, en même temps que
les troupes du 15ème Corps.
Le village est presque complètement
détruit par les obus français. Aucune trace du 54ème.
A l'Etat-Major, on ne peut me renseigner
sur la direction qu'il a prise. Nous prenons le parti de coucher dans le
village et nous choisissons une maison presque intacte, à la sortie nord du
pays.
Les volailles abandonnées et les
comestibles que nous trouvons en abondance nous font un menu copieux. Je fais
la cuisine.
Nous couchons tous dans d'excellents
lits.
14 septembre : Nous quittons Rembercourt au petit jour et nous dirigeons sur Verdun
par Marat-la-Grande, Marat-la-Petite, Ippécourt, où nous déjeunons.
Je fais la cuisine dans la maison d'un
vieillard qui nous cherche querelle à propos de son bois.
Nous repartons à
Le long de la route, des morts dans les
fossés. Couchons à Esnes, dans une grange confortable.
15 septembre : Augmentés d'une dizaine de malades conduits par un
Sergent-Major, nous continuons sur Verdun. Nous faisons les derniers kilomètres
sur des prolonges et des caissons d'artillerie.
A l'entrée de Verdun,
devant
Accompagné de Pouch et Denoyette, je
vais en ville acheter ce que nous pouvons trouver de victuailles. Dans une
charcuterie, nous mangeons du foie rôti qui nous semble délicieux.
Après avoir consulté les journaux
affichés devant la sous-préfecture, nous regagnons notre détachement. Le soir
même, après une marche fatigante, nous rejoignons le régiment à Douaumont, près du fort du même nom.
La pluie se remet à tomber, bon
cantonnement.
16 septembre : Allons prendre des formations de réserve à proximité du
village, où nous revenons coucher le soir.
17 septembre : Même emploi du temps que la veille, ainsi que le 18.
19 septembre : Marche très dure de Douaumont à Watronville où nous arrivons le soir, très tard.
Bon cantonnement, où nous passons la
journée du 20.
Revue d'armes et d'effets au
cantonnement.
Départ à
Nous sommes exténués par cette marche
épuisante sous la pluie, dans une boue liquide. A peine sommes-nous étendus
dans nos cantonnements que l'ordre nous en arrive d'en sortir.
Le village est repéré par l'artillerie
allemande. Nous allons bivouaquer en plein champ à la sortie même de Mouilly. Le froid est très vif.
21 au
Bataille de Saint-Rémy.
Ma compagnie, massée en réserve dans
Nombreux morts et blessés.
Le 23, à la lisière du bois battue par
les obus, j'ai creusé avec les Sergents Graeff et Baffy, un abri au pied d'un
gros hêtre.
Mon escouade est à 3 mètres derrière
moi, dans une petite tranchée qu'elle a creusée.
Des obus, éclatant à 3 mètres devant
nous, blessent les hommes placés derrière nous, tandis que notre hêtre nous
abrite.
Vers
Au moment où je rejoins ma section, un
premier obus français passe au-dessus de ma tête et éclate à 5 ou 6 mètres
devant moi. Une pluie de branches cassées et de mottes de terre s'abat sur moi.
Dix minutes plus tard, au moment où la
compagnie rassemblée sur la route de Saint-Rémy à Mouilly vient de former les faisceaux, de
nouveaux obus français tombent sur nous. Un faisceau près de moi est emporté. A
ce moment retenti la sonnerie de cessez-le-feu.
L'artillerie française cesse de tirer.
Ma compagnie n'a pas de blessés du fait de cet incident, mais les autres ont perdu des hommes...
Fin du carnet
Pierre HEINE est mort le 2.6.1967 à Clermont Ferrand en son domicile.
Il était avocat au barreau de Clermont Ferrand depuis 1941.
Retour accueil retour page précédente