Extrait du Journal du Front de
Pierre Heine
Caporal au 54° Régiment d'Infanterie
du 12 Août au 23 Septembre 1914

 

 

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Présenté par Michel, son arrière petit fils.

Merci à lui.

 

 

 

 

 

 

 

Pierre HEINE (né le 16.3.1883 – Paris) a fait son service militaire en 1901 au 134e Régiment d’infanterie jusqu’en 1904.

Puis il a été bonnetier à St André les Vergers (Aube) puis, rédacteur au Petit Troyen, rédacteur en Chef à l'Avenir du Plateau Provençal et rédacteur au Journal de la Brie, à Troyes de 1904 à1914.

Quant à son carnet, je n'ai eu droit qu'à une retranscription de la part de mon frère, sans jamais avoir l'original.

Je suppose qu'une pour une aussi petite période, il y a du avoir d'autres carnets, mais je n'en ai pas eu connaissance...

Michel ; février 2005

 

 

 

12 août 1914 : Je pars de Meaux à midi 51. Arrivée à Paris à 2 heures 1/2. Je pars de la Gare du Nord à 6h44 et j'arrive à Compiègne vers 10 heures du soir. Je couche à l'hôtel Jeanne d'Arc.


13 août : Je me rends à la caserne du Royallieu. Pas d'effets ni d'armes pour moi pendant 3 jours.


23 août : Une permission de 24 heures me permet de me rendre à Meaux avec une bicyclette d'emprunt. Voyage de nuit par Crépis-en-Valois, où je me couche quelques heures, Betz et Barey. J'arrive à Meaux à 6 heures du matin. J'en repars à 6 heures du soir, par la route. Randonnée dure et triste, dans la campagne déserte. J'arrive à Compiègne à 4 h du matin, exténué par ces 126 kilomètres de route.


25 août : A 3 h et 1/2 du matin, le clairon sonne aux sergents de semaine. Tout le monde comprend que le moment de partir est venu.

Il faut 125 hommes par compagnie, avec les gradés nécessaires. Je ne suis pas désigné.

Vers 3 heures, je demande à faire partie du détachement qui doit, m'a-t-on dit, aller à Troyes.

A 5 heures, sous une pluie battante, on nous rassemble dans la cour. On nous distribue des fleurs, des cigares.

Départ à 5 h 1/2. Fusils fleuris, foule énorme, acclamations. On porte les armes en passant devant la statue de Jeanne d'Arc.

Embarquement dans la gare aux marchandises.

Départ du train vers 7 heures.


26 août : Voyage interminable.

Nous sommes passés par Vié-sur-Aisne, Soissons, Reims, Châlons-sur-Marne, Arcis, Troyes (où nous ne nous n'arrêtons que 20 minutes), Brienne (grand halte sur les quais extérieurs), Vitry-le-François, Bar-le-Duc, Lérouville, Saint-Mihiel.

Arrivons en gare de Verdun à 4 heures du soir.

On entend le canon. Les projecteurs des forts balaient le ciel.

Le train repart bientôt en arrière et nous amène, vers 10 heures, à une petite gare située à 10 kilomètres. Nous débarquons sous une pluie violente. Longue marche dans les chemins défoncés puis arrêt de 2 heures sous la pluie, à l'entrée de Fromeréville.

Nous sommes fourbus. Assez bon cantonnement dans le village.


27 août : Départ à 6 h 1/2. Suivons la route de
Saint-Ménéhould par Montzéville, Esnes, Malancourt (où grand halte). Nous cheminons à côté du 46ème d'Artillerie qui vient de se battre 4 jours et 4 nuits et n'a eut que 4 morts.

Malancourt : de nombreuses voitures emportent des paysans fuyant devant l'invasion.

A 8 heures, nous allons cantonner dans le pays. Pluie, boue abondante.


28 août : A 3 h 1/2 du matin, alerte.

Le régiment se porte à 800 mètres au sud du village et se déploie en lignes de sections, face à l'est.

Cannonade et fusillade à l'est.

A 5 heures, café et soupe. On nous dispose en formation couchée et l'artillerie tire jusqu'à 10 heures sans que nous recevions un obus. Nous partons alors et remontons le cours de la Meuse, dont les allemands occupent les crêtes opposées. Des aéros allemands passent. Beau temps, soleil ardent.

Grand'halte. Je suis versé à la 5ème Compagnie. Journée dure, grande fatigue.

Le soir nous creusons des tranchées. Bon cantonnement à Gercourt où l'on distribue des vivres.


29 août : Départ de
Gercourt à 3h45 du matin.

Nous allons réoccuper nos tranchées. Beau temps. Repos complet jusqu'à la soupe du soir. A ce moment commence un duel d'artillerie entre les batteries françaises de 75 et de 120 court, et les batterie allemandes installées à 4 km, sur la rive droite de la Meuse. Un percutant éclate à peu de distance derrière nous.


30 août (dimanche) : Sommes au repos toute la journée comme réserve des avant-postes. Canonnade incessante sur l'artillerie française qui est à 200 mètres sur notre gauche, dans les bois. A plusieurs reprises obus et shrapnells éclatent dans la clairière où nous sommes. Pas de blessés. Nous couchons sur place, comme la veille.


31 août : On nous informe que 4 divisions françaises viennent de passer la Meuse à
Consenvoye et vont prendre l'offensive. Toute la journée, repos au même endroit. Nous recevons de nombreux obus. Pas de blessés.


1er septembre : Vers 8 heures, nous allons occuper nos tranchées, en arrière du village de
Gercourt et d'un ruisseau qui se jette dans la Meuse.

L'artillerie française tire par-dessus nous. Toute la matinée, sommes au repos dans notre tranchée. La canonnade ne cesse pas une minute. La fusillade se rapproche. Les allemands ont réussi au cours de la nuit à passer la Meuse.

Vers midi, le feu devient terrible. Ma section, en réserve dans la tranchée, ne perd pas un homme, bien que de nombreux schrapnells éclatent au-dessus de nous. L'offensive allemande est arrêtée par notre feu.

Vers 4 heures on nous informe qu'une contre-attaque générale va avoir lieu.

A notre gauche, le long des bois, une charge à la baïonnette, partie de trop loin [ ] les allemands couchés. []lés font faire demi-tour aux [ ]. A notre droite, dans Gercourt, une charge d'infanterie (54ème) est balayée par les mitrailleuses allemandes.

Mon régiment a perdu 600 hommes, me dit-on. Ma compagnie est très éprouvée. Nombreux tués, blessés et disparus.

La nuit vient.

Je tente en vain d'aller chercher un blessé au bord du ruisseau, que je ne puis traverser.


2 septembre : Nous nous replions au matin sur
Montfaucon, où grand'halte. Nous sommes en réserve à la lisière des bois. Recevons rien.

Le soir à 0 h 1/2, fausse alerte.

A 3 heures du matin, réveil et départ.


3 septembre : Marche forcée vers le sud. Cantonnons à [ ]. Journée très dure, à
Jubécourt 22 km de J [ ] début de mouvement [ ] semble-t-il [ ]rière.


4 septembre : Départ [ ]


6 septembre : [ ] vais en patrouille [ ] ne [ ] le village de [ ] une bataille [ ] effroyable [ ].

Je me trouve sous le feu des mitrailleuses allemandes. Je [ ] sur un ordre qui me parvient au milieu des hommes du 155ème. Je reçois un éclat d'obus qui me blesse légèrement à la tête.

On [ ] repli. Nous redescendons le plateau de Baunne (?) couvert de morts. Journée terrible.

Souvenirs vagues que je ne puis consigner.


7 septembre : Nous mouvons sur le plateau de
Baujée (Beauzée), couvert de morts de la veille. Visions affreuses. Nous allons occuper un élément de tranchée étalée le long d'une ligne de chemin de fer, à hauteur de [ ]. Fusillade intermittente. Dans cette tranchée, nous avons trouvé un chasseur à pied du 29ème bataillon. Il a le ventre ouvert et gémit douloureusement.

Sa blessure, affreuse, laisse voir ses entrailles d'où il retire à chaque instant des brins de paille que le vent y apporte. Le Lieutenant Brizou, qui nous commande, nous interdit d'emmener ce malheureux.


8 septembre : Le chasseur est toujours vivant. Nous exécutons, dans la matinée, un feu assez heureux sur des groupes ennemis qui apparaissent au loin. Le Lieutenant Brizou, qui s'avance imprudemment pour observer l'ennemi, reçoit une balle qui lui brise le fémur.

Trois hommes lui font un pansement et l'emportent. Le chasseur à pied gémit toujours.


9 septembre : Nous sommes relevés et allons prendre position sur le plateau situé à l'ouest de
Marat-la-Grande, en arrière du village de Rembercourt (Rembercourt aux Pots).

L'artillerie allemande nous arrose. Notre compagnie est abritée derrière une forte haie, le long de laquelle nous construisons des abris en branchages. Nous faisons la soupe, à la nuit, au milieu des tas de pierre. Le bois manque.


11 septembre : Il tombe une pluie froide et pénétrante.

Les obus allemands pleuvent toujours sur nous.

L'un d'eux tombe dans une de nos tranchées et tue plusieurs hommes, parmi lesquels le Sergent Letellier, un de mes camarades de Compiègne. Un sous-officier allemand vient se faire prisonnier. Il parle parfaitement le français et supplie ceux qui l'appréhendent de ne pas lui faire de mal.

Aussitôt, le Lieutenant Adelaine, qui commande la compagnie, envoie une forte patrouille dont je fais partie, piquer à coup de baïonnette les gerbes de paille derrière lesquelles, croit-il, se cachent d'autres allemands.

Les gerbes ne recèlent rien mais notre patrouille, aussitôt repérée par l'artillerie française, reçoit quelques obus. Nos signaux avertissent nos artilleurs de leur erreur. Nous n'avons pas de blessés.

Le soir, des mouvements, très fatiguants dans la terre détrempée, nous rapprochent de Rembercourt. Je converse avec un blessé allemand. Distribution de vivres en pleine nuit sous une pluie battante.

Journée très dure et très meurtrière.


12 septembre : Souffrant de fièvres, je me suis fait porter malade et suis descendu à
Marat-la-Grande, où a lieu la visite.

Le village, dévasté et pillé, est plein de blessés.

Le Major m'autorise avec 4 camarades, Baffy (Sergent), Denoyette, Miserey et Fourgaud à me reposer dans le vallon. Le soir, nous construisons des abris avec des planches et des portes enlevées dans le village. Nous avons fait cuire des pommes de terre arrachées dans les champs voisins et mangé quantité de fruits.

Au milieu de la nuit, une pluie diluvienne se met à tomber. Bientôt transpercés malgré nos abris, nous sommes obligés de fuir.

A une heure, je gagne avec Denoyelle, au milieu des flaques d'eau et des mares, le village de Marat. Dans une maison abandonnée, nous allumons un grand feu avec tout ce qui nous tombe sous la main.

Je m'endors et laisse brûler une de mes chaussures. Je me réveille à temps...


13 septembre : Au matin, nous remontons sur le plateau.

Nos camarades ont passé une nuit terrible.

Ils ont dû rester presque constamment debout, sous un véritable déluge. Ils grelottent presque tous de fièvre. Avec beaucoup d'entre eux, je redescends à la visite de Marat-la-Grande.

Même traitement que la veille : cachets de quinine et repos dans le vallon.

Vers 2 heures on nous apprend que notre régiment est parti à Rembercourt.

Sous la conduite de Baffy, qui ne sait trop ce qu'il veut faire, nous nous dirigeons vers Rembercourt où nous arrivons à la nuit tombante, en même temps que les troupes du 15ème Corps.

Le village est presque complètement détruit par les obus français. Aucune trace du 54ème.

A l'Etat-Major, on ne peut me renseigner sur la direction qu'il a prise. Nous prenons le parti de coucher dans le village et nous choisissons une maison presque intacte, à la sortie nord du pays.

Les volailles abandonnées et les comestibles que nous trouvons en abondance nous font un menu copieux. Je fais la cuisine.

Nous couchons tous dans d'excellents lits.


14 septembre : Nous quittons
Rembercourt au petit jour et nous dirigeons sur Verdun par Marat-la-Grande, Marat-la-Petite, Ippécourt, où nous déjeunons.

Je fais la cuisine dans la maison d'un vieillard qui nous cherche querelle à propos de son bois.

Nous repartons à 2 heures sous la pluie.

Le long de la route, des morts dans les fossés. Couchons à Esnes, dans une grange confortable.


15 septembre : Augmentés d'une dizaine de malades conduits par un Sergent-Major, nous continuons sur
Verdun. Nous faisons les derniers kilomètres sur des prolonges et des caissons d'artillerie.

A l'entrée de Verdun, devant la Porte de Paris, nous faisons halte.

Accompagné de Pouch et Denoyette, je vais en ville acheter ce que nous pouvons trouver de victuailles. Dans une charcuterie, nous mangeons du foie rôti qui nous semble délicieux.

Après avoir consulté les journaux affichés devant la sous-préfecture, nous regagnons notre détachement. Le soir même, après une marche fatigante, nous rejoignons le régiment à Douaumont, près du fort du même nom.

La pluie se remet à tomber, bon cantonnement.


16 septembre : Allons prendre des formations de réserve à proximité du village, où nous revenons coucher le soir.


17 septembre : Même emploi du temps que la veille, ainsi que le 18.


19 septembre : Marche très dure de
Douaumont à Watronville où nous arrivons le soir, très tard.

Bon cantonnement, où nous passons la journée du 20.

 

Revue d'armes et d'effets au cantonnement.

Départ à 6 heures du soir. Nous arrivons vers minuit à Mouilly.

Nous sommes exténués par cette marche épuisante sous la pluie, dans une boue liquide. A peine sommes-nous étendus dans nos cantonnements que l'ordre nous en arrive d'en sortir.

Le village est repéré par l'artillerie allemande. Nous allons bivouaquer en plein champ à la sortie même de Mouilly. Le froid est très vif.


21 au 23 septembre 1914 :

Bataille de Saint-Rémy.

Ma compagnie, massée en réserve dans la Grande Tranchée de Calonne, prend part, dans la nuit du 22 au 23, au combat d'infanterie, et subit pendant les 3 jours le feu incessant de l'artillerie.

Nombreux morts et blessés.

 

Le 23, à la lisière du bois battue par les obus, j'ai creusé avec les Sergents Graeff et Baffy, un abri au pied d'un gros hêtre.

Mon escouade est à 3 mètres derrière moi, dans une petite tranchée qu'elle a creusée.

Des obus, éclatant à 3 mètres devant nous, blessent les hommes placés derrière nous, tandis que notre hêtre nous abrite.

Vers 5 heures du soir, je suis envoyé en liaison auprès du Lieutenant Astoffi pour lui transmettre l'ordre de se replier. La compagnie évacue le bois.

Au moment où je rejoins ma section, un premier obus français passe au-dessus de ma tête et éclate à 5 ou 6 mètres devant moi. Une pluie de branches cassées et de mottes de terre s'abat sur moi.

Dix minutes plus tard, au moment où la compagnie rassemblée sur la route de Saint-Rémy à Mouilly vient de former les faisceaux, de nouveaux obus français tombent sur nous. Un faisceau près de moi est emporté. A ce moment retenti la sonnerie de cessez-le-feu.

L'artillerie française cesse de tirer.

Ma compagnie n'a pas de blessés du fait de cet incident, mais les autres ont perdu des hommes...

 

Fin du carnet

 

Pierre HEINE est mort le 2.6.1967 à Clermont Ferrand en son domicile.

Il était avocat au barreau de Clermont Ferrand depuis 1941.

 

 

 

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