Publication : Mars 2005
Mise à jour : Octobre 2024
Le caporal
Pierre HEINE au 134ème régiment d’infanterie
Prologue
Michel MAZIER nous dit en 2005.
« Pierre
HEINE (né le 16.3.1883 – Paris) a fait son service militaire en 1901 au 134e
régiment d’infanterie jusqu’en 1904.
Puis il a
été bonnetier à St André les Vergers (Aube) puis, rédacteur au Petit Troyen,
rédacteur en Chef à l'Avenir du Plateau Provençal et rédacteur au Journal de la
Brie, à Troyes de 1904 à 1914. Quant à son carnet, je n'ai eu droit qu'à une
retranscription de la part de mon frère, sans jamais avoir l'original. Je
suppose qu'une pour une aussi petite période, il y a du avoir d'autres carnets,
mais je n'en ai pas eu connaissance... »
Remerciements
Merci à Michel pour le carnet.
Merci à Philippe S. pour la saisie de tout le carnet, la vérification du récit et le temps passé sur certaines recherches.
Nous avons ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit.
Introduction
Pierre Émile HEINE est né en mars 1883 à Paris. A 18 ans, en 1901, il déclare être employé de commerce et s’engage volontairement et rejoint le 134ème régiment d’infanterie. Caporal en 1902, il sort de l’armée en avril 1905. Il est rappelé en août 1914 et selon sa fiche de mobilisation, il doit se rendre à la caserne de Compiègne.
Je pars de Meaux à midi 51.
Arrivée à Paris à 2 heures 1/2. Je pars
de la gare du Nord à 6h44 et j'arrive à Compiègne vers 10 heures du soir.
Je couche à l'hôtel Jeanne d'Arc.
Je me rends à la caserne du Royallieu.
Pas d'effets ni d'armes pour moi
pendant 3 jours. (*)
(*) : En effet,
comme il est réserviste, il doit attendre pour savoir s’il intègre logiquement
le régiment de réserve du 54ème régiment d’infanterie : le 254ème régiment
d’infanterie. Mais nous comme le verrons, suite aux pertes énormes du 54ème
régiment d’infanterie, il sera dirigé sur celui-ci.
Une permission de 24 heures me permet
de me rendre à Meaux avec une bicyclette d'emprunt.
Voyage de nuit par Crépis-en-Valois, où
je me couche quelques heures, Betz et Barcy. J'arrive à Meaux à 6 heures du matin.
J'en repars à 6 heures du soir, par la
route. Randonnée dure et triste, dans la campagne déserte.
J'arrive à Compiègne à 4 h du matin, exténué par ces 126
kilomètres de route.
A 3 h et 1/2 du matin, le clairon sonne
aux sergents de semaine. Tout le monde comprend que le moment de partir est
venu.
Il faut 125 hommes par compagnie, avec
les gradés nécessaires. Je ne suis pas désigné.
Vers 3 heures, je demande à faire partie
du détachement qui doit, m'a-t-on dit, aller à Troyes.
A 5 heures, sous une pluie battante, on
nous rassemble dans la cour. On nous distribue des fleurs, des cigares.
Départ à 5 h 1/2. Fusils fleuris, foule
énorme, acclamations. On porte les armes en passant devant la statue de Jeanne
d'Arc.
Embarquement dans la gare aux
marchandises.
Départ du train vers 7 heures.
Voyage interminable.
Nous sommes passés par Vic-sur-Aisne,
Soissons, Reims, Châlons-sur-Marne, Arcis, Troyes (où
nous ne nous n'arrêtons que 20 minutes), Brienne (grand halte sur les quais
extérieurs), Vitry-le-François, Bar-le-Duc, Lérouville,
Saint-Mihiel. Arrivons en gare de Verdun à 4 heures du soir.
On entend le canon. Les projecteurs des
forts balaient le ciel.
Le train repart bientôt en arrière et
nous amène, vers 10 heures, à une petite gare située à 10 kilomètres. Nous
débarquons sous une pluie violente. Longue marche dans les chemins défoncés
puis arrêt de 2 heures sous la pluie, à l'entrée de Fromeréville.
Nous sommes fourbus. Assez bon cantonnement dans le village.
Départ à 6 h 1/2.
Suivons la route de Saint-Ménéhould
par Montzéville, Esnes, Malancourt (où grand-halte).
Nous cheminons à côté du 46ème d'artillerie qui vient de se battre 4 jours et 4
nuits et n'a eu que 4 morts.
Malancourt : de nombreuses voitures
emportent des paysans fuyant devant l'invasion.
A 8 heures, nous allons cantonner dans le pays. Pluie, boue
abondante.
A 3 h 1/2 du matin, alerte.
Le régiment se porte à 800 mètres au
sud du village et se déploie en lignes de sections, face à l'est.
Cannonade et
fusillade à l'est.
A 5 heures, café et soupe. On nous
dispose en formation couchée et l'artillerie tire jusqu'à 10 heures sans que
nous recevions un obus. Nous partons alors et remontons le cours de la Meuse,
dont les Allemands occupent les crêtes opposées. Des aéros
allemands passent. Beau temps, soleil ardent.
Grand'halte. Je suis versé à la 5ème
compagnie. (*)
Journée dure, grande fatigue.
Le soir nous creusons des tranchées.
Bon cantonnement à Gercourt où l'on distribue des
vivres.
(*) : Le journal
du régiment signale bien l’arrivée de ce renfort de plus de mille hommes.
Départ de Gercourt
à 3h45 du matin.
Nous allons réoccuper nos tranchées. Beau temps. Repos
complet jusqu'à la soupe du soir. A ce moment commence un duel d'artillerie entre
les batteries françaises de 75 et de 120 court, et les
batterie allemandes installées à 4 km, sur la rive droite de la Meuse. Un
percutant éclate à peu de distance derrière nous.
Sommes au repos toute la journée comme
réserve des avant-postes. Canonnade incessante sur l'artillerie française qui
est à 200 mètres sur notre gauche, dans les bois. A plusieurs reprises obus et
shrapnells éclatent dans la clairière où nous sommes. Pas de blessés.
Nous couchons sur place, comme la veille.
On nous informe que 4 divisions
françaises viennent de passer la Meuse à Consenvoye
et vont prendre l'offensive.
Toute la journée, repos au même endroit. Nous recevons de
nombreux obus. Pas de blessés.
Vers 8 heures, nous allons occuper nos
tranchées, en arrière du village de Gercourt et d'un
ruisseau qui se jette dans la Meuse.
L'artillerie française tire par-dessus
nous. Toute la matinée, sommes au repos dans notre tranchée. La canonnade ne
cesse pas une minute.
La fusillade se rapproche. Les
Allemands ont réussi au cours de la nuit à passer la Meuse.
Vers midi, le feu devient terrible. Ma
section, en réserve dans la tranchée, ne perd pas un homme, bien que de
nombreux schrapnells éclatent au-dessus de nous.
L'offensive allemande est arrêtée par notre feu.
Vers 4 heures on nous informe qu'une
contre-attaque générale va avoir lieu.
A notre gauche, le long des bois, une
charge à la baïonnette, partie de trop loin [.. ?.. ]
les Allemands couchés. [.. ?..] les font faire demi-tour aux [.. ?..].
A notre droite, dans Gercourt, une charge d'infanterie (54ème) est balayée par
les mitrailleuses allemandes. Mon régiment a perdu 600 hommes, me dit-on. Ma
compagnie est très éprouvée. Nombreux tués, blessés et disparus.
La nuit vient.
Je tente en vain d'aller chercher un blessé au bord du
ruisseau, que je ne puis traverser.
Nous nous replions au matin sur
Montfaucon, où grand'halte. Nous sommes en réserve à
la lisière des bois. Recevons rien.
Le soir à 0 h 1/2, fausse alerte.
A 3 heures du matin, réveil et départ.
Marche forcée vers le sud. Cantonnons à Parois. Journée très
dure, à Jubécourt 22 km de J [.. ?.. ] début de
mouvement [.. ?.. ] semble-t-il [.. ?.. ]rière.
Départ [.. ?.. ]
[.. ?.. ] vais en patrouille [.. ?.. ]
ne [.. ?.. ] le village de [.. ?.. ] une bataille [.. ?.. ] effroyable [.. ?..
].
Je me trouve sous le feu des
mitrailleuses allemandes. Je [.. ?.. ] sur un ordre
qui me parvient au milieu des hommes du 155ème. Je reçois un éclat d'obus qui
me blesse légèrement à la tête.
On [.. ?.. ]
repli. Nous redescendons le plateau de Beauzée,
couvert de morts. Journée terrible.
Souvenirs vagues que je ne puis
consigner. (*)
(*) : Le régiment
perd la moitié de son effectifs (environ 1500 hommes) dont la plus grande
partie disparus ou égarés.
Nous mouvons sur le plateau de Beauzée, couvert de morts de la veille. Visions affreuses.
Nous allons occuper un élément de
tranchée étalée le long d'une ligne de chemin de fer, à hauteur de [.. ?.. ]. Fusillade intermittente. Dans cette tranchée, nous
avons trouvé un chasseur à pied du 29ème bataillon. Il a le ventre ouvert et
gémit douloureusement.
Sa blessure, affreuse, laisse voir ses entrailles d'où il
retire à chaque instant des brins de paille que le vent y apporte. Le
lieutenant Brizou, qui nous
commande, nous interdit d'emmener ce malheureux.
Le chasseur est toujours vivant.
Nous exécutons, dans la matinée, un feu
assez heureux sur des groupes ennemis qui apparaissent au loin.
Le lieutenant Brizou, qui s'avance imprudemment pour observer l'ennemi,
reçoit une balle qui lui brise le fémur. Trois hommes lui font un pansement et
l'emportent.
Le chasseur à pied gémit toujours.
Nous sommes relevés et allons prendre
position sur le plateau situé à l'ouest de Marat-la-Grande, en arrière du
village de Rembercourt-aux-Pots.
L'artillerie allemande nous arrose. Notre compagnie est
abritée derrière une forte haie, le long de laquelle nous construisons des abris
en branchages. Nous faisons la soupe, à la nuit, au milieu des tas de pierre.
Le bois manque.
Il tombe une pluie froide et
pénétrante.
Les obus allemands pleuvent toujours
sur nous.
L'un d'eux tombe dans une de nos
tranchées et tue plusieurs hommes, parmi lesquels le sergent Letellier, un de mes camarades de
Compiègne. Un sous-officier allemand vient se faire prisonnier. Il parle
parfaitement le français et supplie ceux qui l'appréhendent de ne pas lui faire
de mal.
Aussitôt, le Lieutenant Adelaine, qui commande la compagnie,
envoie une forte patrouille dont je fais partie, piquer à coup de baïonnette
les gerbes de paille derrière lesquelles, croit-il, se cachent d'autres
Allemands. Les gerbes ne recèlent rien mais notre patrouille, aussitôt repérée
par l'artillerie française, reçoit quelques obus. Nos signaux avertissent nos
artilleurs de leur erreur. Nous n'avons pas de blessés.
Le soir, des mouvements, très fatiguants dans la terre détrempée, nous rapprochent de Rembercourt. Je converse avec un blessé allemand.
Distribution de vivres en pleine nuit sous une pluie battante.
Journée très dure et très meurtrière.
(*) : Sergent René
Emilien LETELLIER. Voir
sa fiche.
Souffrant de fièvres, je me suis fait
porter malade et suis descendu à Marat-la-Grande, où a lieu la visite.
Le village, dévasté et pillé, est plein
de blessés.
Le major m'autorise avec 4 camarades, BaILLY (sergent), DenoyeLLe, Miserey et Fourgaud
à me reposer dans le vallon.
Le soir, nous construisons des abris avec
des planches et des portes enlevées dans le village. Nous avons fait cuire des
pommes de terre arrachées dans les champs voisins et mangé quantité de fruits.
Au milieu de la nuit, une pluie
diluvienne se met à tomber. Bientôt transpercés malgré nos abris, nous sommes
obligés de fuir.
A une heure, je gagne avec Denoyelle, au milieu des flaques d'eau
et des mares, le village de Marat. Dans une maison abandonnée, nous allumons un
grand feu avec tout ce qui nous tombe sous la main. Je m'endors et laisse brûler
une de mes chaussures.
Je me réveille à temps...
Au matin, nous remontons sur le
plateau.
Nos camarades ont passé une nuit
terrible. Ils ont dû rester presque constamment debout, sous un véritable
déluge. Ils grelottent presque tous de fièvre. Avec beaucoup d'entre eux, je
redescends à la visite de Marat-la-Grande. Même traitement que la veille :
cachets de quinine et repos dans le vallon.
Vers 2 heures, on nous apprend que
notre régiment est parti à Rembercourt. Sous la
conduite de BaILLY, qui ne sait
trop ce qu'il veut faire, nous nous dirigeons vers Rembercourt
où nous arrivons à la nuit tombante, en même temps que les troupes du 15ème
corps. Le village est presque complètement détruit par les obus français.
Aucune trace du 54ème.
A l'état-major, on ne peut me
renseigner sur la direction qu'il a prise. Nous prenons le parti de coucher
dans le village et nous choisissons une maison presque intacte, à la sortie
nord du pays. Les volailles abandonnées et les comestibles que nous trouvons en
abondance nous font un menu copieux. Je fais la cuisine.
Nous couchons tous dans d'excellents lits.
Nous quittons Rembercourt
au petit jour et nous dirigeons sur Verdun par Marat-la-Grande,
Marat-la-Petite, Ippécourt, où nous déjeunons.
Je fais la cuisine dans la maison d'un
vieillard qui nous cherche querelle à propos de son bois.
Nous repartons à 2 heures sous la
pluie.
Le long de la route, des morts dans les fossés. Couchons à Esnes, dans une grange confortable.
Augmentés d'une dizaine de malades
conduits par un sergent-major, nous continuons sur Verdun. Nous faisons les
derniers kilomètres sur des prolonges et des caissons d'artillerie. A l'entrée
de Verdun, devant la porte de Paris, nous faisons halte.
Accompagné de Pouch et DenoyeLLe,
je vais en ville acheter ce que nous pouvons trouver de victuailles. Dans une
charcuterie, nous mangeons du foie rôti qui nous semble délicieux.
Après avoir consulté les journaux
affichés devant la sous-préfecture, nous regagnons notre détachement.
Le soir même, après une marche fatigante, nous rejoignons le
régiment à Douaumont, près du fort du même nom. La pluie se remet à tomber, bon
cantonnement.
Allons prendre des formations de réserve à proximité du
village, où nous revenons coucher le soir.
Même emploi du temps que la veille, ainsi que le 18.
Marche très dure de Douaumont à Watronville où nous arrivons le soir, très tard.
Bon cantonnement, où nous passons la journée
du 20. Revue d'armes et d'effets au cantonnement.
Départ à 6 heures du soir. Nous
arrivons vers minuit à Mouilly.
Nous sommes exténués par cette marche
épuisante sous la pluie, dans une boue liquide. A peine sommes-nous étendus
dans nos cantonnements que l'ordre nous en arrive d'en sortir.
Le village est repéré par l'artillerie allemande. Nous
allons bivouaquer en plein champ à la sortie même de Mouilly. Le froid est très
vif.
Bataille de Saint-Rémy.
Ma compagnie, massée en réserve dans la
grande tranchée de Calonne, prend part, dans la nuit du 22 au 23, au combat
d'infanterie, et subit pendant les 3 jours le feu incessant de l'artillerie.
Nombreux morts et blessés.
Le 23, à la lisière du bois battue par
les obus, j'ai creusé avec les sergents Graeff
et Bailly, un abri au pied d'un
gros hêtre.
Mon escouade est à 3 mètres derrière
moi, dans une petite tranchée qu'elle a creusée.
Des obus, éclatant à 3 mètres devant
nous, blessent les hommes placés derrière nous, tandis que notre hêtre nous
abrite.
Vers 5 heures du soir, je suis envoyé
en liaison auprès du lieutenant Astoffi
pour lui transmettre l'ordre de se replier. La compagnie évacue le bois. Au
moment où je rejoins ma section, un premier obus français passe au-dessus de ma
tête et éclate à 5 ou 6 mètres devant moi. Une pluie de branches cassées et de
mottes de terre s'abat sur moi.
Dix minutes plus tard, au moment où la
compagnie rassemblée sur la route de Saint-Rémy à Mouilly vient de former les
faisceaux, de nouveaux obus français tombent sur nous. Un faisceau près de moi
est emporté. A ce moment retenti la sonnerie de cessez-le-feu.
L'artillerie française cesse de tirer.
Ma compagnie n'a pas de blessés du fait
de cet incident, mais les autres ont perdu des hommes...
Fin des écrits
La
suite
Pourquoi cet arrêt des écrits à cette date ? Manque-t-il un carnet ? Nul ne le sait.
Pierre HEINE a les pieds gelés en décembre 1914. Évacué, soigné jusqu’en août 1916, il ne partira plus au front Il passe administrativement au 406ème régiment d’infanterie en août 1915 puis au 24ème régiment d’infanterie en août 1916. Inapte à l’infanterie, il passe à l’artillerie en juillet 1917. Il est déclaré ‘’ service intérieur de décembre 1916 à 1919 ‘’.
Il devient avocat et décède à Clermont-Ferrand en 1967 à 84 ans.
Pierre HEINE,
hôpital de Nîmes. 1915
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le propriétaire du carnet de Pierre HEINE
Voir sa fiche matriculaire : Page 1 – Page 2
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