Journal de route d’HERBILLON Louis Henri André,

sergent-fourrier puis lieutenant au 306ème régiment d’infanterie

À adresser à Mademoiselle Raymond, compagnie  Houston, 219 rue de Vaugirard, Paris, 15ème.

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Mise à jour : juin 2019

Retour accueil

 

 

Claude nous dit en février 2019 :

« Le carnet d'André HERBILLON a été transmis par ma grand-mère maternelle qui était sa nièce (il la mentionne dans son carnet) à ma mère. Ce sont  les seuls renseignements dont je dispose. Sa mise en ligne permettra peut-être de collecter d'autres infos.

« Peut-être a-t-il tenu un autre carnet de la période avril 1915-avril 1916 qui  a été remis à son autre nièce ? En tout cas, tout est fidèle à la virgule prêt à ce qu’il avait écrit. »

 

 

 

Prélude

 

Louis Henri André HERBILLON est né à Courtisol (Marne).

Cultivateur en 1906, il s’engage pour 3 ans en septembre 1907, au 106e régiment d’infanterie de 1907 à 1910.

Sergent, il se réengage pour 1 an  en 1910. Il finit sergent-fourrier. En août 1914, il est logiquement rappelé au 306e régiment d’infanterie, régiment de la réserve du 106e RI.

Il est nommé sous-lieutenant pour la durée de la guerre en novembre 1914.

 

Les noms de villages ont été corrigés – J’ai ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit.

Lire sa fiche matriculaire.

 

Merci à Élodie, Olivier et Philippe pour la saisie sur fichier word.

 

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Début du carnet

 

                                                                                                                                              

11 août 1914

Les opérations de mobilisation et la formation du régiment se sont passées dans le plus grand ordre sans précipitations. L’esprit général est tel qu’on pouvait le désirer. Le commandant VIGUIER qui commande le bataillon est persuadé que nous aurons beaucoup à faire : (*)

«Ce sera dure, nous dit-il, nous y laisserons des plumes, mais nous y arriverons ».

 

Jusqu’ici, je n’ai pas encore pu me persuader que nous sommes en guerre, tellement la chose me semble monstrueuse surtout en un siècle où l’esprit humain semblait avoir progressé dans les idées de justice et d’humanité. Mais il n’est plus l’heure de raisonner ainsi : le devoir apparaît clairement et je ferai le mien. Nous avons tous retrouvé l’état d’esprit qui caractérise le troupier français, esprit fait d’insouciance et de gaîté souvent un peu folle.

Nous partons aujourd’hui pour cantonner aux Grandes-Loges. Il paraît que nous passons par Reims pour nous rendre en Belgique. Je commence à sentir au c’est plus pour rire, cette fois et qu’il est bien vrai que nous partons pour la guerre.

Je suis un peu inquiet à la pensée que peut-être les êtres chers que je laisse ne sauront même pas si j’existe encore et souffriront de ce fait. J’espère que tout de même mes lettres leur parviendront.

 

(*) : Le commandant VIGNIER commande le 5e bataillon.

12 août

Nous couchons à Sillery près de Reims.

13 août

Bourgogne, où nous trouvons un accueil enthousiaste.

14 août

Villers-devant-le-Thour.

15 août

Montcornet, nous sommes dans la Thiérache : il faudra que je me tuyaute sur l’histoire de cette contrée. Toute les églises que nous voyons au passage sont fortifiées et pourvues de tours avec créneaux et meurtrières.

16 août

Séjour à Montcornet. Je suis logé chez de braves gens, un ménage d’ouvriers où gambadent 9 enfants…

Je n’ai pas encore reçu de lettres et suis un peu inquiet. Si seulement j’avais la certitude que les miennes arrivent.

17 août

Nous restons à Montcornet.

18 août

Nouveau séjour. Pourquoi ?

D’abord l’inaction et surtout l’absence de nouvelles : Pas de lettres et l’ignorance la plus complète de la situation générale autant que de notre situation particulière. Naturellement tout le monde prétend savoir quelque chose et il court les potins les plus abracadabrants.

Aujourd’hui vient de paraître le 1er numéro du « Bulletin des armées de la République » qui est adressé à tous les officiers. Si nous le recevons régulièrement nous pourrons savoir ce qui se passe. Tant mieux.

19 août

St Clément. Nous commençons à entendre (faiblement d’ailleurs) le canon de Liège.

20 août

Alerte à 1h le matin. Qu’est-ce ? Une marche de nuit seulement ordonnée dans le but de nous entraîner.

Retour à St Clément pour y coucher.

21 août

À minuit, alerte pour de bon, cette fois le commandant VIGNIER nous prévient que l'on a besoin de nous et que nous allons avoir à exécuter des marchés forcées :

«Vous avez presque tous servi dans l’Est et beaucoup d’entre vous dont des anciens du 106ème.

Le général Legros, qui commande notre division affectionne particulièrement le 106è, soyez persuadés qu’il nous réservera pour la bonne bouche… »

 

Étape longue et pénible. Nous marchons en colonne de brigade. 3 régiments et leurs trains d’équipages sur la même route. La direction suivie est toujours le Nord. (*)

Cantonnement à Le Bâty près de Neuves Maisons.

Détail comique : obligé d’aller au village voisin (Mondrepuis) pour la distribution du pain, j’ai emprunté dans une ferme un mignon petit âne pas plus haut que ça, attelé à une voiture à sa taille et nous voilà partis en soldat et moi, à toute vitesse, sans lanterne et par une nuit noire. Quel équipage ! Nous avons trouvé le moyen de verser avec tout le bazar.

Nous avons bien ri et bien fait rire.

 

(*) : Le JMO indique 22 kilomètres parcourus. 3 régiments et leur trains d’équipages représente près de 80 voitures hippomobiles et 10 km de long, sur la même route…

22 août

Toujours la même direction.

Toute la 69ème division (2 brigades) marche en une seule colonne. Étape plus pénible qu’hier. On est fourbu. (34km parcourus)

Cantonnement à L’Épine (étrange) près de Solre-le-Château.

Alerte à 1h du matin : les Allemands sont signalés près de la Sambre. On dit même qu’ils tiennent les points de passage sur cette rivière.

23 août

Nous voici dans le département du Nord.

On nous fait sur le passage un accueil chaleureux : c’est à qui donnera quelque chose : boissons, victuailles de toutes sortes, tabac, cigares, fleurs, etc… C’est à Fourmies que l’emballement est le plus grand.

Nous atteignons la frontière belge que nous longeons pendant quelque temps sans la franchir. A Cousolre où 3 Uhlans (*) prisonniers qui déjeune avec un appétit féroce.

Nous gagnons la Belgique en passant par Bousignies(sur-Roc). Le régiment reçoit l’ordre de s’installer défensivement à Montigny-saint-Christophe et plus au Nord à Labuissière et Fontaine-Valmont pour empêcher l’accès des ponts sur la Sambre. Il était donc faux que ces ponts étaient aux mains de l’ennemi.

Cette fois nous voici dans la zone d’action et en toute 1ère ligne.

J’ai été comme tout le monde surpris de ne pas trouver devant nous de troupes d’active. (**) 

 

Vu à Montigny le 1er avion allemand. Gare !!! On a brûlé à son intention des quantités de munitions sans lui faire le moindre mal.

 

Vers 4h du soir, nous nous portons en avant pour occuper les bois au nord du village. La canonnade allemande commence. Les obus arrivent à quelques centaines de mètres sur notre gauche, dirigés sur un groupe d’attelages qu’ils n’atteignent pas d’ailleurs.

Nous passons la nuit au bivouac.

 

(*) : Cavaliers allemands ayant une mauvaise réputation auprès de Français.

(**) : Les régiments d’active de l’armée française sont à la même période en train de se faire décimer par les Allemands un peu plus à l’est, vers Charleroi.

(***) : Contrairement aux Français, les Allemands ont utilisés, au début de la guerre, massivement leur aviation comme repérage d’artillerie.

24 août

Très bien dormi, pendant cette première nuit au bivouac.

Dès 4h du matin, les Allemands commencent à nous canonner de tous côtés : ils tirent avec leurs obusiers légers de campagne (les 105) qui portent paraît-il à 14 km. On finit par s’habituer à cette canonnade incessante et tout le monde blague…

En avant de nous, Fontaine-Valmont flambe, la ferme Dansonspenne, à droite commence également à brûler à midi.

Nous avons sans doute été repérés par un aéro car le tir se rapproche de nous et vers 1h les obus passent au-dessus de nos têtes et tombent sur Montigny.

 

Vers 3h, un obus tombe au milieu de nous en tue 8 et en blesse 4. Un désarroi s’empare des hommes de 3 compagnies du 332è qui sont près de nous et gagne notre compagnie qui d’ailleurs est vite reprise en main par notre capitaine.

Tous les hommes du 332è se sauvent chercher un abri en arrière et ce faisant s’exposent bien davantage. Le Ct du 332è rassemble enfin son bataillon à la lisière du bois et là nous attendons tous stoïquement la fin de la canonnade…ou l’obus qui doit nous écrabouiller.

Les Allemands nous envoient depuis 3h jusqu’à la nuit une véritable grêle de destruction à la mélinite (plusieurs milliers). Personne n’a bougé.

Je n’ai pas perdu mes moyens même pour un instant, mais je m’attendais à chaque minute à recevoir l’obus qui pour moi serait le dernier et pour passer le temps j’ai fumé plusieurs pipes. Je ne puis expliquer mon état d’esprit pendant ces heures passées dans l’attente passive d’une mort fatale.

Un prêtre se trouvant parmi nous donna à tous l’absolution et la bénédiction dernière. Alors je me souvins de la mort pieuse de mon père et je priai, puis avec calme, la pipe aux dents j’attendis…ce qui ne devait pas venir.

 

A la nuit, la canonnade cessa et on nous apporta l’ordre de nous replier, notre mission étant terminée.

En arrivant à Bousignies(sur-Roc)., où nous attendions que toutes les compagnies nous aient ralliés, le Gal ROUSSEAU (**) a félicité le 5ème bataillon du 306è :

«Il a été chic, très chic votre bataillon », a-t-il dit au Ct VIGNIER.

 

Nous nous portons en arrière. Pourquoi ? Nous n’avons cependant pas combattu. Il faut donc que ce soit un plan.

C’est égal, cette marche en arrière affaibli le moral des hommes. Après une marche extrêmement pénible nous arrivons à Solzinnes.

 

(*) : Le JMO du régiment donne la liste nominative de la centaine de tués, blessés et disparus.

(**) : Le général ROUSSEAU est le commandant de la 137e brigade d’infanterie qui comprend outre le 306e, les 287e et 332e régiments d’infanterie.

 

25 août

Il faut encore marcher.

Arrivés à 3h au village nous partons à 6h. Le moral baisse. Nous commençons à voir sur les routes le sinistre défilé des habitants des villages frontières qui évacuent leurs demeures de peur du bombardement. C’est lugubre, lugubre… !

Qui en voiture, qui à pied, poussant des charrettes ou brouettes, tout le monde se sauve. En nous voyant prendre une direction opposée à la frontière, ces gens ont l’impression que nous avons été battu et sont atterrés.

Pourtant j’ai la conviction que nous ne reculons que pour exécuter un plan prévu.

 

À 2h, nous voyons passer devant nous une division anglaise qui va prendre contact. J’ai l’impression de voir une troupe bien entraînée et très disciplinée.

On nous dit que le 23, ils ont remporté un beau succès à Binche en Belgique. Nous traversons Avesnes pour aller cantonner à St Hilaire-sur-Helpe.

Là, j’apprends que la cavalerie ennemie est signalée à Solre-le-Château.

26 août

Beaucoup, beaucoup marché et toujours on ignore dans la journée l’endroit où on doit cantonner le soir.

Cantonnement à Esquéhéries où arrivons à minuit.

27 août

Nous filons toujours vers le sud.

Cette fois, le Ct nous a dit que cette marche en arrière n’est pas une retraite, rien ne nous forçant à reculer mais plutôt nous tendons un piège à l’ennemi. Il nous apprend également un succès à nos armes en Lorraine : 2 corps Bavarois mis en déroute. Le moral du bataillon est sensiblement remonté.

Cantonné à la Rue Guthin.

28 août

Toujours et toujours le défilé des émigrants : vu entre autres un vieillard semblant malade porté dans une brouette par un tout jeune homme. Nous prenons maintenant la direction de l’ouest ; il paraît que tout va bien.

Le commandant nous apprend une grande victoire à Sedan remportée par le général LANGLE DE CARY avec 3 corps d’armée. Cette nouvelle nous remet du cœur au ventre.

Mais je suis très très fatigué, je n'en puis plus et pourtant je ne calerai pas. Oh ! Non, il faudrait pour cela que je ne puisse pas faire autrement. (*)

Toujours pas de lettres et ce qui est pis, il paraît que le départ des nôtres est suspendu.

Couché à Nouvion-Catillon.

 

(*) : Le régiment fait plus de 30km dans la journée.

29 août

Nous approchons de l’ennemi le canon fait un bruit d’enfer.

Nous traversons Moÿ (de l’Aisne) et nous croisons le 291è, le 267è, et le 42è chasseurs en débandade et emportant beaucoup de blessés. Ce spectacle est sinistre. Il paraît que cette brigade, ayant repoussé les Allemands le matin, notre artillerie croyant la victoire assurée se porta autre part ; les Allemands opèrent alors après un violent retour offensif avec des forces supérieures aux nôtres et naturellement eurent le succès.

C’est alors que nous sommes arrivés. Quel triste spectacle !

Ce n’est pourtant pas le moment de s’apitoyer mais je je n’ai pas pu me défendre d’avoir le cœur serré. Oh ! Maudite soit la guerre ! Notre bataillon va alors prendre position et comme à Montigny, nous essuierons le feu de l’artillerie lourde mais sans éprouver de pertes.

Nos Rimailho (**) tirent au-dessus de nous je crois.

 

A la nuit, le bataillon se replie pour cantonner à Renonsart. Ma compagnie reste à Moÿ avec pour mission de garder le pont avec l’aide d’une section de mitrailleuses. (***)

 

Vers 10h, une patrouille de chez nous a tué un officier et 3 uhlans en reconnaissance.

 

(*) : C’est la bataille de Guise ; bataille et succès français, mais qui a ralenti les Allemands.

(**) : L’obusier de 155 mm CTR modèle 1904, est une pièce d'artillerie développée par Émile Rimailho, d'où son surnom de 155 mm Rimailho. Ils ont une protée de 6 km environ.

(***) : La 19e compagnie.

30 août

La nuit à été tranquille.

Des blessés qui reviennent affirment que les Allemands sont loin et qu’en reculant ils ont brûlé plusieurs villages. Est-ce un signe de retraite ?

La matinée est calme… Que penser ?

Un officier d’artillerie nous affirme qu’on espère réussir à couper l’ennemi au nord. Il nous prévient qu’à midi de grosses forces d’artillerie lourde sont entrées en action.

 

A 11h une Cie du 209 vient nous relever. A peine prêts à partir la chanson commence.

Naturellement les obusiers allemands répondent aussitôt et nous devons traverser le village sous une pluie…d’acier et un soleil de … plomb.

 

Étape pénible : nous arrivons à Fourdrain à minuit…une chose qui me fait de la peine c’est la vue des trainards, qui lâchent leur régiment sous prétexte de fatigue, pénètrent dans les maisons abandonnées et même dans d’autres et prennent tout ce qui leur est convenable. Je regrette que de tels actes ne soient pas sévèrement réprimés. Oh ! La guerre !

Toujours le triste exode des habitants.

31 août

Alerte à 4h et nous quittons Fourdrain après y avoir passé la matinée assez tranquille

L’ordre est d’aller occuper des ailes de la forêt de St Gobain où des forces de cavalerie ennemie sont signalées. La forêt est jolie, même vue à la faible clarté de la lune.

Croisé de le 119è de Courbevoie : souvenirs jolis ! Ce régiment fait une pénible impression : réduit à moins de la moitié et presque plus d’officiers. (*)

Coup de théâtre ! On nous apprend que deux colonnes ennemies marchent sur nos flancs, parallèlement à nous, et cherchent à nous dépasser pour nous couper le passage au débouché de la forêt. Lutte de vitesse rendue difficile par l’encombrement que causent nos canons.

 

Quelle nuit et ce n'est pas tout, il faut encore marcher toute la journée. Nous arrivons à Quincy littéralement éreintés. De mauvaises nouvelles circulent : nous reculons devant des forces ennemies très importantes et le capitaine SONNERAT dit qu’il se peut qu’on recule très loin encore.

A peine couchés, il faut partir : il est 10h du soir.

 

(*) : Une trentaine d’hommes ont été déclarés « disparus » pendant le retraite (JMO).

2 septembre

A 10h du matin, on nous signale de la cavalerie ennemie près de nous sur le flanc. On prend des formations de combat mais inutilement : la cavalerie en question était française. Cantonnement à Beuvardes.

Nous allons peut-être nous reposer cette nuit. Non – pas de repos, on part à 8h du soir pour marcher toute la nuit.

Il faut que cela presse terriblement.

3 septembre

Le régiment s’installe au petit jour en position de défense face à Château-Thierry qui doit être occupé par l’ennemi.

En effet, à midi il nous faut essuyer une vive canonnade et quand notre mission est terminée, nous prenons notre place dans la colonne qui suit la route que nous avions quittée.

Nous n’avons pas fait un km que nous sommes tout à coup sous le feu de l’artillerie ennemie et des mitrailleuses (*). Un régiment de Dragons pris de panique nous bouscule sérieusement à tel point que nous nous trouvons jetés dans un parc entièrement battu par les obus. Nous avons laissé dans ce bois pas mal de monde.

 

En le traversant, et tout en cherchant à rassembler les hommes affolés, je me demande si ce jour anniversaire de la mort de mon pauvre père ne sera pas le dernier pour moi. Il a fallu toute l’énergie du Ct VIGNIER pour arriver à reprendre en main son bataillon.

 

Le soir cantonnement bivouac près d’Artonges.

 

A 11h départ. On file toujours vers le sud et toujours le canon nous poursuit. Pourquoi refuse-t-on ainsi le combat ?

 

(*) : JMO du 3 septembre : « Le régiment, au moment où il se prépare à entrer dans la colonne, est accueilli par un feu d’artillerie très violent ; il perd 65 hommes de son effectif. »

4 septembre

A Morsains où nous faisons une grande halte j’apprends que les Allemands occupent Châlons et la région. Pourvu que ma famille ne soit pas obligée d’évacuer.

Hélas j’ai l’impression que les choses vont très mal pour nous et pourtant j’ai tort évidemment de vouloir juger la situation générale d’après notre situation particulière. Le mieux est d’attendre courageusement.

 

Le régiment s’installe en avant-poste près de Morsains. On s’attend à une canonnade et on s’abrite.

Un événement : on nous distribue des lettres. J’en ai 5 pour ma part. Je suis bien heureux, il y a si longtemps que je les attends ces lettres.

 

Départ à 11h du soir.

Depuis 6 jours nous n’avons pas eu 6h de repos en tout. Et toujours cette fuite.

5 septembre

Arrêtés à 11h au sud de Villiers-St-Georges en Seine-et-Marne nous voyons arriver un convoi d’autos genre agence Look ou autre destinées au transport des troupes (*). Est-ce pour nous ? Faudrait-il donc reculer encore plus vite ?

Il est vrai que le canon ennemi est bien près. Tout le monde est inquiet.

 

Tout à coup, ordre de faire demi-tour, d’organiser défensivement le village de Villiers St Georges et de tenir en cas d’attaque pendant une journée. Ca y est Montceaux(lès-Provins) ! On construit des tranchées qui rasent des vergers, on enfonce les portes fermées pour établir des communications. Le génie creuse des créneaux dans les murs et fait sauter une maison à la dynamite pour dégager un champ de tir.

C’est écœurant.

 

(*) : C’est certainement un épisode des « taxis de la Marne »

6 septembre

La nuit a été tranquille.

A 7h du matin, ordre de prendre l’offensive sur toute la ligne.

Enfin !!!! Nous sommes au centre de la ligne en réserve du 3ème corps et faisant partie de la 5ème A. Il paraît que 5 armées plus l’armée anglaise prennent part à l’attaque.

Encore le canon allemand qui nous salue.

Pour ma part j’en essuie miraculeusement plusieurs sans avoir le moindre mal. La Providence me protège, j’ai confiance. Il paraît que nous sommes destinés au rôle passif. On reçoit des obus et on ne bouge pas. Il est vrai que l’artillerie allemande somme toute ne fait pas grand mal heureusement. Mais quelle débauche de projectiles de part et d’autre. On dit que nos 75 font des ravages épouvantables.

Ah Loti ! Ce n’est pas le moment de te lire et de s’attendrir ! Et pourtant !...

Des prisonniers uhlans sont passés devant nous : un sergent leur faisant signe qu’ils méritaient qu’on leur coupe la tête, un d’eux le regarda froidement avec un haussement d’épaules et un sourire de profond mépris et lui dit nettement en assez bon français :

« Commandez…soldats comme vous… ».

 

Je l’ai trouvé très bien.

Mais qu’est-ce qui me prend de philosopher ainsi, ce n’est pas le moment, le devoir est là qui fait cruellement taire ma sensibilité. Il y a même lieu de se réjouir de l’arrestation d’un commandant prussien fait prisonnier aujourd’hui ; cet officier aurait dit que l’emploi d’armes telles que nos 75 est de la barbarie. C’est un point de vue qui fut le nôtre quand nous fûmes sous le feu des obusiers allemands.

En tout cas nos 75 sont très meurtriers et ceci est de bon augure pour nous. Au point où nous en sommes on ne voit pas la bataille mais on l’entend et elle est certainement terrible.

 

9h du soir : c’est par un superbe clair de lune que j’écris alors que tout le monde autour de moi dort au bivouac.

Je suis près du drapeau et l’idée me vient tout à coup que je suis exactement dans la situation où s’est placé DETAILLE (*) pour peindre « le rêve ». Seulement il manque le fond du tableau. En me retournant je vois la lueur sinistre des incendies sur tout l’horizon et j’entends les coups sourds d’un canon lointain et les cris des bêtes abandonnées qui hurlent à la mort.

Je vais écrire à Jean.

 

(*) : Édouard DETAILLE, 1848-1912, spécialiste de la peinture militaire française.

7 septembre

Pendant la nuit on a enterré près de nous 1 capitaine, 1 adjudant et 1 brigadier d’artillerie tués non loin de là. Pauvres gens, ou plutôt pauvres familles.

Le canon s’éloigne, il paraît en effet que l’ennemi recule.

Une note officielle nous annonce que les seuls aviateurs français tués depuis le commencement de la campagne doivent la mort aux projectiles français ; malgré la défense faite il y a toujours des imbéciles pour tirer isolément sur les avions et comme nos avions survolent les lignes françaises moins haut que les autres, ils sont plus vulnérables.

C’est lamentable.

 

A 2h la nouvelle arrive que l’ennemi est en retraite et poursuivi à outrance par les nôtres ; ordre est donné d’avancer.

Cela nous va mieux que la fuite de ces jours-ci. Nous passons à St Bon, premier village repris à l’ennemi et nous arrêtons à Montceau-lès-Provins également repris. Le village est en partie en feu. Il y a eu là une véritable hécatombe. Notre artillerie a fait des ravages considérables. Je ne me trouve pas le courage de décrire les horreurs que je vois là : fermes incendiées avec les bestiaux qui s’y trouvaient, maisons culbutées par les obus, cadavres de gens et de bêtes, du sang, des débris d’uniformes et au-dessus de tout cela une horrible odeur de cadavre et de chair brulée.

La plupart des cadavres allemands avaient été enlevés par eux sur des voitures ou brûlés sur place. Notre artillerie est foudroyante mais malheureusement nous ne possédons pas assez de canons à longue portée.

8 septembre

Nous quittons Montceau où nous avons passé la nuit au bivouac bien entendu.

En cours de route le Ct VIGNIER qui est très aimé de tous nous apprend son départ, étant nommé au commandement du 251e. C’est une mauvaise nouvelle. (*)

Après avoir subi un orage épouvantable, trempés jusqu’aux os, nous allons cantonner à Tréfols où on nous apprend que le 3e et le 8e corps ont passé le Morin sur lequel on s’attendait à trouver une sérieuse résistance.

 

(*) : Le commandant VIGNIER devient le nouveau commandant du 251e régiment d’infanterie en remplacement du lieutenant-colonel DELAGRANGE, tué par éclat d’obus le 29 août.

9 septembre

Pendant toute la journée nous avons l’impression que le canon s’éloigne, c’est à peine si on l’entend, il faut croire que l’ennemi fuit vite.

Les traces de la bataille ne manquent pas de flaques de sang, débris de vêtements et d’équipement, maisons pillées par les Allemands pendant leur retraite. Nous cantonnons à Artonges où nous sommes passés il y a quelques jours.

10 septembre

Nous suivons toujours la bonne direction.

On nous donne de bonnes nouvelles pendant la journée du 9 : sur 4 théâtres d’opération, Verdun, Vitry le François, Reims et Château-Thierry, nos troupes ont remporté de beaux succès.

 

Nous cantonnons à Fossoy près de la Marne. Il nous faut attendre là que le génie ait construit un pont de bateaux : le pont de Mézy ayant été détruit par nous au moment de notre passage pendant la retraite.

Les Allemands ont dévasté les maisons en s’en allant : meubles, vaisselle, linge, tout est brisé.

11 septembre

Nous avons traversé la Marne et nous changeons légèrement de direction : les deux armées que nous poursuivons se sont scindées, l’une recule vers le nord, l’autre vers le nord-est. Nous obliquons vers le nord-est. Etape peu folâtre à cause de la pluie qui ne cesse pas.

Cantonnement dans la ferme de Reddy près de Cierges. On commence à entendre le canon au nord.

12 septembre

Cantonnement à Trigny.

Il pleut, je suis malade. Une pauvre femme dont le mari est à la guerre m’apprend en pleurant que les soldats français ont pillé sa maison, se sont enivrés et ensuite se sont livrés à des inconvenances devant elle…C’est inqualifiable. Si je trouvais les coupables je les livrerais sans hésiter.

13 septembre

Nous passons en 1ere ligne en atteignant Guignicourt qui vient d’être abandonné tout récemment par l’ennemi, alors qu’à notre droite tout près, Neufchâtel(-sur-Aisne] est aux mains des Allemands. Après avoir essuyé pas mal de coups de canons, nous prenons position entre Guignicourt et Prouvais formant ainsi une pointe avancée entre les armées d’active que nous renforçons.

Bivouac sur place.

14 septembre

Après avoir subi de multiples alertes pendant la nuit, nous nous portons sur Prouvais. Personne devant nous. Tout à coup on nous fait reculer sur Berry-au-Bac, nous étions beaucoup trop en avant et courions le risque d’être coupés par les deux armées ennemies qui cherchent à se recoller.

Je crois qu’il était temps. Nous nous portons près du pont sur le canal à Sapigneul dans une carrière ouverte et nous restons là sans bouger sous la canonnade jusqu’au lendemain matin.

J’ai eu sous les yeux pendant 24h le triste spectacle de 8 chevaux et 3 artilleurs tués par un seul obus et complètement déchiquetés.

15 septembre

On nous fait reculer en arrière du canal avec mission d’en tenir les points de passage à toute extrémité. Nos troupes resserrent l’ennemi à droite et à gauche et on craint qu’il cherche à nous enfoncer pour prendre de l’air.

Quelle canonnade du matin au soir !

Il pleut : pas folâtre du tout cet arrosage d’acier et d’eau…

16 septembre

Pas de changement : ordre de tenir sur place à toute extrémité, quelles que soient les pertes subies. Eh bien ! On restera.

L’ennemi attaque de plus en plus furieusement ; la 18e compagnie est réduite à moitié de son effectif et n’a plus d’officiers ; tous sont blessés sauf un qui est devenu fou.

Ma compagnie prend la place de cette malheureuse 18e dont le capitaine M. JUSTINART (de la 18e compagnie) a été admirable. Blessé à trois reprises, il n’a quitté son poste qu’à la dernière, n’en pouvant plus.

On nous signale que les Allemands emploient les balles dum dum. Ils ont recours en outre à d’odieuses machinations.

 

Ce soir, Berry-au-Bac a subi une violente attaque d’infanterie préparée par un feu d’artillerie des plus violents. Elle a échoué dans les grandes largeurs. Mon poste de fourrier n’est pas une sinécure : agent de liaison entre le commandant et la compagnie, il me faut porter des ordres à tout instant sur un parcours de 1500m environ sous les balles et les obus.

Je remercie Dieu d’avoir été épargné jusqu’ici, puisse-t-il en être ainsi jusqu’à la fin de la campagne.

18 septembre

Nuit agitée : toujours les obus. La situation est toujours la même.

L’attaque du Camp de César par les 1er et 18e corps qui avait été annoncée pour hier n’a pas eu lieu. Le bruit court que l’ennemi ne tient que pour protéger l’écoulement d’un très important convoi de ravitaillement formé à Reims. Je crois plutôt à un énergique retour offensif.

Le commandement a bien manifesté l’intention de nous relever de nos positions. J’en porte l’ordre qui est aussitôt contredit à cause du danger qu’il y aurait à exécuter un mouvement de troupe sous un feu d’artillerie aussi violent. Alors chacun se terre dans son trou, absolument noyé.

Voilà 5 jours que cette situation dure : de la pluie, un vent glacial, pas de nourriture, puisqu’on ne peut faire cuire les aliments qu’on est obligés de jeter et par là-dessus une grêle d’obus qui font de nombreuses victimes.

Les blessés ne sont soignés et emportés que pendant la nuit.

19 septembre

Quelle nuit ! Si nous ne rapportons pas toutes les maladies possibles ce sera une chance. Les obus et les balles tombent encore plus drus que d’habitude : sur 5 agents de liaison que nous sommes, 4 sont blessés.

Les capitaines MANONCOURT (*) et COUDERC (**) sont tués.

 

(*) : Capitaine MANONCOURT, Charles, Joseph, 306e RI, compagnie H.R., tué à l’ennemi, Sapigneul, 19 sept. 1914.

(**) : Capitaine COUDERC, 306e RI, 22e compagnie, tué à l’ennemi, 19 sept. 1914.

20 septembre

Il me semble que l’attaque du camp de César ne doit pas avoir réussi, si j’en crois la direction du canon, mais nous ne reculons pas.

Passé une nuit épouvantable.

 

Ce matin, toujours la canonnade systématique de nos positions : il nous faut, transis de froid dans notre trou, recevoir des pruneaux pour pouvoir riposter. Ordre de départ, nous sommes relevés.

Que se passe-t-il ?

21 septembre

Passé la nuit près de Cormicy.

Le village a beaucoup souffert du bombardement ; les habitants sont dans les caves. Nous recevons quelques gros obus : mon caporal d’ordinaire, Hédont (*), est tué. Beaucoup d’hommes sont atteints de coliques, du fait de la température.

On nous dit que les Allemands reculent vers le nord et on nous confirme la nouvelle que les Russes et des chars des Anglais seraient débarqués à Anvers. Il me semble que si nous gagnons cette bataille (elle dure depuis 10 jours) la guerre ne durera plus longtemps.

 

(*) : Caporal HÉDONT, Fernand, Hyppolyte, Émile, 306e RI, 19e compagnie, tué à l’ennemi, Cormicy, 21-sept-1914.

JMO du 21 septembre : « Dans l’après-midi, un tir à obus explosif tue un caporal et blesse quatre soldats »

22 septembre

La nuit que nous venons de passer au même emplacement qu’hier a été particulièrement calme : pas un coup de canon. Il paraît que le plateau de Craonne a été enlevé à l’ennemi.

 

Je reçois 3 lettres : une du 12, une du 20 et une autre du 26 août. Fraiches nouvelles !!!

J’ai été envoyé porter un ordre à Sapigneul où se trouvait ma compagnie ces jours derniers. J’y ai vu le plus affreux spectacle que j’aie jamais vu : 2 obus tombant en même temps sur une section font 1 tué, 36 blessés qu’on porte dans une étable où ils râlent en attendant les soins très sommaires que leur donnent deux brancardiers. (*)

Quelques instants plus après : un obus troue le toit, tue quelques blessés et affole les autres. L’un deux se lève sous le coup d’une commotion cérébrale et en ricanant, brandit une brique :

« Le voilà l’obus, crie-t-il, il n’est pas éclaté. »

 

A Cormicy où nous sommes installés, on avait mis environ 700 blessés dans l’église du village.

Les obus démolissent l’église et la plupart des blessés sont achevés.

 

(*) : Le JMO du 22 septembre ne mentionne pas cette perte : « le tir de l’artillerie ennemie a cessé pendant la nuit. Dans la matinée, quelques projectiles ont seuls été tirés sur les emplacements du 306e. Le reste de la journée a été calme. »

JMO : Du 14 au 22 septembre, le 306e a eu 2 officiers, 6 sous-officiers et 20 soldats tués, 301 blessés, 38 disparus.

23 septembre

Nous quittons Cormicy pour prendre position en réserve d’une action générale qui a été décidée.

L’ennemi lâche petit à petit ses positions et on est résolus à essayer de le mettre en déroute. J’apprends avec peine que la cathédrale de Reims est entièrement détruite par le bombardement allemand. Les vandales !

Le bulletin des AR, qui ne nous parvient que très rarement, nous apprend que l’armée française est victorieuse sur toute la ligne sauf au centre (où nous sommes) où l’ennemi résiste à outrance.

24 septembre

Passé la nuit au bivouac à l’est de Cormicy.

Il y a exactement un mois que nous avons reçu le baptême du feu à Montigny. Nous nous transportons au sud de Guyancourt, toujours en réserve. On dit maintenant que les Allemands chercheraient à écouler un énorme approvisionnement en munitions concentré au camp de Sissones, ce qui expliquerait leur résistance.

C’est égal, ils résistent dur et il faut leur accorder la supériorité numérique en artillerie lourde.

25 septembre

Je suis toujours atteint de coliques et de diarrhée : je suis loin d’être le seul.

Nous sommes au repos dans un joli bois ; si ce n’était la froidure de la nuit et… les circonstances, le séjour dans ce bois serait très agréable…Nous partons pour cantonner au hameau de Vaux-Varennes. Il paraît que nous allons constituer avec le 228e une brigade de réserve à la disposition du commandant de la 5e armée. En fait de cantonnement on bivouac dans un champ.

Je vais me coucher sous une charrette.

26 septembre

Un moment d’émotion : le 3e corps a dû abandonner ses positions : des fractions allemandes ont franchi le canal. Inquiétude générale.

 

Cet après-midi, les nouvelles sont meilleures.

Les positions abandonnées ont été reconquises sans peine et même l’ennemi aurait de très grosses pertes en repassant le canal plus vite qu’il n’aurait voulu le faire. La situation générale, me dit le capitaine SONNERAT, se présente favorable dans cette formidable bataille qui sans doute sera décisive.

Je me suis livré aujourd’hui à d’amères réflexions sur mes semblables que la civilisation n’a pas rendus meilleurs. Aussitôt que l’homme est livré à ses instincts, (et la guerre lui en donne l’occasion), il ne pense qu’à la ripaille et à la rapine. Il ne faut rien moins que la crainte de représailles sévères pour le forcer au respect. Malheureusement, en France, et en particulier dans nos formations de réserve, la discipline est fort relâchée, aussi voit-on des choses écœurantes. Des paysans (bien mal inspirés, j’en conviens), nous disent qu’ils ont eu moins à se plaindre du séjour des Allemands que du nôtre. On ne peut que rougir de ce témoignage. Ce n’est pas que l’Allemand vaille mieux que nous, loin de là, si par moments, il est plus honnête, c’est qu’il plie sous une discipline de fer.

Quand, pendant la retraite notamment, la faculté de piller leur a été laissée, les Allemands en ont fait de belles !

27 septembre

Partis pour exécuter des fortifications en vue d’un repli éventuel, nous recevons l’ordre de nous porter sur Trigny (où nous avons cantonné le 12) pour, je crois renforcer l’action du 3ème corps.

Arrivés là on nous fait cantonner en faisant assurer par une compagnie la garde des issues du village où installé l’état-major du 3ème corps d’armée. Je suis logé à la même place que le soir où nous avons reçu le meilleur accueil. J’ai la veine de pouvoir me réapprovisionner en linge pour la saison froide, provisions de bouches, bibelots, etc… C’est du luxe.

Avec cette circonstance que nous ne craignons pas de recevoir d’obus, c’est la vie de château que nous allons mener pendant quelques jours.

7 octobre

Je reprends aujourd’hui mes notes délaissées depuis 10 jours pendant lesquels nous avons mené une vie des plus monotones.

Du 27 septembre au 3 octobre

Séjour à Trigny et alternance entre les compagnies pour le service de garde des issues du village

Les autres compagnies vont à l’exercice pendant quelques heures par jour. Il va sans dire que tout le monde se rase car on ne saisit pas bien le but de l’exercice de détail. Les hommes grommellent et se montent le coup mutuellement. On entend le canon lointain et d’une hauteur près de Trigny. On peut voir le soir les obus éclater sur la ville de Reims.

C’est tout ce qu’on peut savoir, l’état-major du 3ème corps se renformant dans le mutisme le plus absolu au sujet des opérations.

Voilà le communiqué habituel du matin :

« Situation inchangée la mission du 3ème corps et des divisions de réserve reste la même ».

Ce n’est pas bavard !

 

Le 3ème après-midi, nous recevons un détachement du 48ème territorial destiné à compléter les compagnies : j’en incorpore 62 ; nous avions perdu à ce jour 76 hommes à ma compagnie.

 

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Depuis 6 jours, je fais fonction de sergent-major, le titulaire ayant été évacué pour cause de maladie. Les territoriaux la trouvent mauvaise de venir avec nous : en effet, ce n’est pas leur place. Ils devraient rester constitués en régiment territorial, mais le régiment actif (le 106ème ayant été fortement éprouvé, il a fallu le dépôt du 306ème pour le compléter et on a eu recours pour nous au 48ème territorial.)

Ces braves troupiers nous sont arrivés très fatigués…de leur voyage de chemin de fer ; il est vrai qu’après avoir parcouru l’itinéraire que voici : Châlon-Troyes-Romilly-Montereau-Fontainebleau-Corbeil-Pithiviers-Orléans-Blois-Saumur-Angers-Le Mans- Rennes- Le Man-Evreux-Poissy-Argenteuil- Noisy-le-Sec -Chaumont-Troyes-Châlons-Troyes-Revigny-Verdun-Sainte-Mérichould- Bar-le-Duc-Chaumont- Noisy-le-Sec-Fismes- et enfin Jonchery-sur-Vesle.

Cette invraisemblable balade a causé une série de gaffes commises par le chef du détachement, un ancien combattant de 1870, dont le seul mérite est d’avoir, à l’âge de 67 ans contracté un engagement comme lieutenant pour la durée de la guerre.

Nos nouveaux arrivés comptaient faire une bonne nuit qui ne leur a pas été accordée. Nous avons reçu en effet à 9 heures l’ordre de partir…direction inconnue.

 

Après avoir marché 2h, on nous arrête près d’un bois et là c’est le bivouac dans toute son horreur. Fichu début, pour nos nouveaux camarades qui pourraient être nos pères…

04 octobre

Toute la division est rassemblée. Le bruit court qu’on va embarquer pour le Nord.

Cantonnement à Branscourt.

05 octobre

Embarquement en auto pour la direction Soissons.

Au moment de monter en voiture, j’ai assisté à un combat peu banal. Un avion français a descendu un « Taube » dans une lutte superbe. L’aéro français poursuivi d’abord par l’allemand se trouvait dans une position désavantageuse, étant moins haut que son agresseur. Il se déroba tout en cherchant à s’élever et ayant réussi, il revint à la charge et fonçant sur l’allemand, lui fit son affaire.

Nous vîmes celui-ci dégringoler la tête la première.

 

Le voyage en auto n’a pas été désagréable.

Cantonnement à Noyant que nous quittons le soir pour aller près à Courmelles.

J’apprends aujourd’hui que les Allemands ont élargi leur front en s’étendant dans le département du Nord. Je crois que ce sera difficile de les déloger en les attaquant de front car ils ont eu le temps de se retrancher.

08 octobre

Séjour à Courmelles.

09 et 10 octobre

Nouveau séjour.

11 octobre

Départ pour l’inconnu, comme toujours. Tout le monde fatigue, surtout les territoriaux.

Cantonnement à Saint-Baudry, où les habitants, exaspérés par le séjour prolongé chez eux des troupes anglaises et françaises, nous reçoivent comme chiens dans un jeu de quilles.

12 octobre

Départ un peu précipité : il fallait culbuter les marmites qui nous promettent un excellent bouillon (ce n’est pas la première fois). Nous repassons où nous sommes venus ; nous dépassons Courmelles pour atteindre Nampteuil-sous-Muret.

Arrivés à 1h du matin, bien fatigués, j’ai les pieds en sang : c’est pénible. (*)

 

(*) : 31km à pied (JMO)

13 octobre

Matinée assez tranquille à Nampteuil.

Nous remplaçons des Anglais qui après un séjour d’un mois sont partis en laissant une quantité considérable de provisions (conserves de toutes sortes : corned-beef, confitures, sel poivre, moutarde, sucre, thé, biscuits.). Il faut croire qu’ils n’en manquent pas…(*)

 

A trois heures, nous allons à Vailly(-sur-Aisne) remplacer dans les tranchées de première ligne une brigade anglaise qui paraît-il va s’embarquer.

 

(*) : 23km à pied.

14 octobre

Nous sommes arrivés hier soir sur notre emplacement où nous attendaient des officiers anglais chargés de conduire les unités dans leurs secteurs.

Ces gens ont l’air de faire la guerre comme on fait la fête. Ils sont admirables de calme et aussi d’affabilité.

 

Nous voici installés dans nos tranchées où nous sommes parvenus à la manière des cambrioleurs, précautions indispensables car il aurait fallu peu de bruit pour révéler notre mouvement à l’ennemi qui n’est qu’à 100 mètres de nous. On à peine à le croire : et c’est ainsi depuis 20 jours.

La position que nous occupons est, au dire de tous les officiers, absolument imprenable. Les Anglais ont exécuté là un véritable travail de titans. Les tranchées, édifiées sur un mouvement de terrain sont très profondes, pourvues d’abris et accessibles de l’arrière par des couloirs creusés à hauteur d’homme et couverts. C’est une forteresse. Si la guerre continue dans ces conditions, et c’est probable, elle durera longtemps. Que se passe-t-il ailleurs ?

Chaque fois qu’un homme se montre d’un côté ou de l’autre on lui envoie un coup de fusil. Les Allemands nous envoient de temps en temps la nuit des fusées très lumineuses et des bombes à peu près inoffensives.

Notre situation est assez bizarre.

15 octobre

Rien de nouveau.

Nous continuons l’installation de notre home dans lequel nous trouvons quantité de provision laissées par les Anglais à leur départ. A force de renforcer les clayonnages qui ont la prétention de fermer notre trou, je commence à avoir moins froid la nuit. Mais quelle humidité !

Bah ! On sera quitte pour frictionner les douleurs en rentrant…

La tiraillerie continue sans cesse et quelques obus passent au-dessus de nos têtes, allant à Vailly.

16 octobre

Quelques imprudents se sont fait moucher par les balles ennemies : un d’eux est tué.

A part cela, tout est calme et même nous arrivons à vivre avec un confort relatif. Par exemple, ce qui n’est pas drôle, c’est d’aller chercher de l’eau ou du bois : il faut traverser des terrains battus par les balles et les obus.

Aujourd’hui deux hommes de la compagnie, poussés par le louable, mais imprudent désir de voir ce qui se passait de l’autre côté du bois où se trouvait leur tranchée, sont partis en avant et ne sont pas revenus.

Je les connaissais tous deux et les regrette beaucoup.

Du 17 au 20 octobre

Rien de nouveau.

On continue à s’installer et à s’abriter. Un caporal et un soldat sont tués en allant chercher de l’eau. C’est renversant de constater combien la mort d’un homme est peu de chose en guerre

On apprend le fait sans grande émotion, puis on enterre la malheureuse victime, comme on fait une corvée et on n’y pense plus. Si, tout de même on y pense, car après, le commandement prévoit les mesures qu’il aurait fallu prendre pour éviter l’accident !

21 octobre

On nous relève de nos positions pour aller en occuper d’autres plus à l’ouest. Nos nouveaux appartements sont beaucoup plus sains, le sol est sec et nous sommes bien abrités ans une caverne avec l’état-major du bataillon.

Très drôle, l’aspect de cette caverne, surtout le soir, quand les officiers mangent à la leur d’une bougie. On dirait un de ces repaires de brigands comme on voit dans les romans de DUMAS ou autres BOUSSENARD.

22 et 23 octobre

On travaille de nouveau à s’installer.

Notre situation est meilleure que ces jours-ci au point de vue sanitaire, mais par contre on est plus exposé aux coccinelles. Ce qui est agréable, c’est que maintenant les lettres arrivent sans trop de retard.

Du 24 au 28 octobre

Nous menons une vie plutôt abrutissante dans l’inaction presque complète. On travaille cependant à avancer la position, mais son rôle d’agent de liaison ne me donne pas beaucoup d’occupation.

Les Allemands nous donnent de temps en temps un peu de distraction en essayant de venir nous surprendre pendant la nuit. On les entend de temps en temps qui chantent à tue-tête en s’accompagnant d’harmonicas. On s’amuse comme on peut.

 

De notre côté, l’esprit est excellent, nos troupiers sont joyeux : ils décorent leurs abris de noms les plus fantaisistes.

J’ai à côté de moi un soldat téléphoniste, qui paraît un gamin malgré ses 26 ans. Il a une verve étourdissante dans toutes les circonstances. De tels hommes sont précieux.

Il y a des gens qui gentiment pensent à nous : le régiment a reçu aujourd’hui une cargaison de vêtements chauds : tricots, chandails, flanelles etc…

Il n’y en a pas pour satisfaire tout le monde, mais de quoi faire pas mal d’heureux. (*)

 

(*) : Du 13 au 28 octobre, le régiment a perdu environ 80 hommes tués, blessés et disparus. (JMO)

29 octobre

Le bombardement allemand commence avec une furie extraordinaire : ils envoient avec des mortiers des obus énormes qui démolissent des tranchées dans lesquelles on retrouve de nombreux cadavres. Nous éprouvons une angoisse intense, car une attaque arrivant aussitôt de bombardement aurait des chances d’avoir raison de nos hommes dont le moral est considérablement déprimé.

Et notre artillerie ne répond pas. Où est-elle donc ?

 

Depuis déjà 3 jours, le génie construit des abris très visibles destinés à abriter des pièces de 75 et ce sur la ligne même de nos tranchées. Ces pièces étaient je crois destinées à nous aider pour une attaque des tranchées ennemies, mais elles ne viennent pas.

Or l’ennemi a repéré ces abris et semble les viser tout particulièrement. Ils sont à peu près démolis.

 

Toute la journée se passe dans l’attente d’une nouvelle attaque et le bombardement continue si intense qu’il est impossible de sortir de son trou : résultat on mange avec les chevaux de bois. (*)

 

(*) : Les gérants de manèges avec des chevaux de bois ont un gros avantage par rapport à ceux qui ont un manège dans un haras, c'est que leurs chevaux ne mangent rien, ce qui limite beaucoup les frais de bouche.

Il est donc aisé de comprendre l'image que comporte cette expression, celui qui mange avec ces chevaux de bois n'ayant pas plus à manger qu'eux.

30 octobre

La nuit a été plutôt mouvementée.

Le bombardement a continué presque sans arrêt, à tel point qu’il est presque impossible de dégager les malheureux blessés qui sont enfouis sous leurs abris.

 

Le 30 octobre, le régiment a perdu 30 hommes tués, blessés et disparus. (JMO)

31 octobre

Quelle journée hier : désastreuse à tout point de vue. Ce que je craignais arriver : nous avons dû abandonner nos positions et dans quelles conditions !

 

A 6H du matin, le commandant m’envoie à la 19ème compagnie porter des pourcentages.

Le bombardement devient plus intense : c’est une véritable trombe de fer et de feu. La cahute du lieutenant commandant la Cie est presque démolie sur notre dos.

Tout à coup le canon se tait pour faire place aux mitrailleuses et au fusil. C’est l’attaque. Je fais l’impossible pour rallier des peureux qui déjà reculent devant les Allemands et nous parvenons à pousser les réserves sur la ligne pour opérer une contre-attaque. Nous arrivons à temps pour nous lancer à la baïonnette sur les assaillants, donc un certain nombre avaient pu sauter dans la tranchée.

Les Allemands sont repoussés : ils s’enfuient en laissant sur le terrain une quantité de cadavres.

N’ayant plus rien à faire avec la Cie je me porte à mon poste près du commandant.

 

Le bombardement recommence de plus elle : nous allons sans doute être attaqués. Les hommes sont dans un état de dépression vraiment inquiétant. L’attaque reprend plus violente cette fois et les Allemands s’emparent de plusieurs tranchées d’où ils tirent sur nous, prenant entre deux feux ceux qui résistent sur place.

Nous organisons avec le commandant des positions de seconde ligne. Je fais le coup de feu à coup sûr, sur les assaillants qui se glissent à la lisière d’un bois. Après avoir tenu ainsi pendant deux heures environ, nous voyons la ligne qui cède complétement à droite et à gauche ; il nous faut replier sur Vailly.

A ce moment, je me sens véritablement inquiet : comment va-t-on repasser l’Aisne sous le feu de l’ennemi ?

Je suis le commandant qui commence le mouvement de retraite et nous traversons les rues de Vailly battues par les balles et les obus. Maintenant c’est le pont qu’il faut passer après avoir traversé des zones battues représentant plus d’un kilomètre. Je ne quitte pas le commandant d’une semelle : si on doit y rester, nous y resterons ensemble.

« Allons-y me dit-il, à la grâce de Dieu »

Et nous nous lançons dans la fournaise.

 

Je ne perds pas malgré cela l’espoir de réussir, bien que les balles pleuvent tout autour et que les obus éclatent au-dessus de ma tête. Nous gagnons enfin une zone abritée et nous cherchons à gagner Brenelles pour nous reformer.

Là, nous nous retrouvons 12 de ma compagnie. Le détachement du 306ème joint à celui du 332 est dirigé sur Limé où nous passons la nuit.

Ce matin, je rassemble tous les débris de ma compagnie : nous sommes en tout 82 sur 240 : plus d’officiers, plus d’adjudant. C’est effrayant. (*)

 

(*) : 1445 hommes sont déclarés « disparus » au régiment (mille quatre cent quarante-cinq)

1er novembre

Je m’étais empressé d’écrire, dès mon arrivée, en regrettant vivement d’avoir donné auparavant des détails sur ma situation.

Sans doute, les êtres chers qui pensent à moi vont s’inquiéter en apprenant l’échec de Vailly. Je voudrais que ma lettre ait des ailes.

 

Le temps est superbe : je vais à la messe dite spécialement pour les militaires, par un aumônier. On parle déjà de nous renvoyer au feu ; nous sommes à peine réorganisés. Je suis commandant de compagnie !

 

 

JMO du 2 novembre : HERBILLON apparaît comme sous-lieutenant de la 19eme compagnie, 5eme bataillon.

 

02 novembre

Je vais à la messe des morts qui pour nous, cette année, a un caractère tout particulier. Combien de nous sont restés sur le terrain…morts ou blessés. Il nous est même impossible de le savoir au juste. Oh ! L’horrible guerre… Et comme hier, le soleil brille, incitant à la joie. Ce contraste augmente encore l’amertume qui m’envahit l’âme…

03 novembre

Ordre de nous tenir prêts à partir au premier signal car les Allemands manifestent sur le front une activité furieuse. Nous attendons…

 

Le 3 novembre 1914, Louis HERBILLON est promu sous-lieutenant de réserve « pour la durée de la guerre ». (Fiche matriculaire)

04 novembre

Rien de nouveau sur notre situation si ce n’est que les attaques allemandes ont échoué autour de Vailly. Je reçois ma lettre de servie me nommant sous-lieutenant. La tâche va devenir plus difficile et ma situation personnelle plus périlleuse, mais qu’importe, le devoir est là, qui commande.

05 novembre

Nous allons prendre position en réserve près de Brenelles derrière le 1er corps qui attaque vers Soupir. Calme complet, temps superbe, même chaud. Retour à Limé pour cantonner.

6 novembre

Position de réserve toujours, ferme du Parc près de Chasserny où je m’offre le luxe d’une tasse de lait.

7 novembre

Près de Chasserny dans les bois nous recevons quelques coccinelles et passablement de balles mais pas de dommages : retour à Limé pour le cantonnement.

8 novembre

Toute la journée est passée dans l’expectative, on attend des ordres. Je prends le commandement de la compagnie.

9 novembre

La nuit a été calme pour nous, on nous a laissé dormir bien tranquillement dans la nuit ; entendu une violente canonnade dans la direction de Soupir.

Journée monotone passée à la réorganisation des unités.

10 et 11 novembre

Deux journées passées dans l’expectative, prêts à prendre les armes au premier signal.

Un lieutenant-colonel d’état-major de la 37ème division vient prendre le commandement du régiment.

12 novembre

Petit déplacement, toujours en réserve de la division, nous cantonnons à Augny à l’ouest de Braine.

Cette région a été la résidence de rois mérovingiens : on rencontre beaucoup de châteaux avec de jolis parcs ; le château de Chasserny a été incendié par les obus allemands.

A Augny, nous entendons dans la direction du fort de Condé une violente canonnade et par instants la fusillade : on ne sait ce qui se passe, mais en tout cas des hommes se font tuer…

13 novembre

Nous relevons dans les tranchées de Chasserny, face à Vaully, le 287ème qui prend notre place au cantonnement d’Augny. Le froid commence à se faire sentir et le service est dur pour les hommes, surtout la nuit, à cause de la faiblesse des effectifs.

17 et 18 novembre

Séjour dans les tranchées.

Calme plat : seule notre artillerie parle : à peine 5 ou 6 obus allemands tirés au hasard tombent sur nos lignes.

Le 15, le thermomètre descend à -8 dégrés, le 16 il atteint -9 dégrés.

Dans la matinée du 17 par un beau soleil qui compense un peu de la froide nuit, j’écoute non sans stupeur une harmonie allemande jouant l’ouverture de “Maître-Chanteurs”. Je suis médusé et n’en puis revenir ; un peu vexé aussi...je ne sais pas pourquoi.

Du 19 au 3 décembre

Cantonnement à Chasserny ; existence monotone, service très chargé, corvées, gardes, etc…

C’est rasant au possible.

Du 3 au 6 décembre

Séjour aux tranchées ; clairs de lune superbe ; tantôt son disque embrase et tantôt il argente le paysage. Je m’oublie de temps en temps à admirer. Tout est calme près de nous ; le vent fait en remuant les branches un bruit qui m’inspire une infinie mélancolie...au loin, le canon gronde sourdement.

Bien ri un soir : l’artillerie amie avait allumé une maison de Vailly, en face et à droite de nous. Un brave territorial du 111ème indigène de Marseille, , me dit avec l’accent.

”Voyez mon lieutenant, c’est une ville qui brûle, une grande ville .”.

Et c’était une maison ! Effet de perspectives ! Mirage, aurait dit notre bon Daudet.

 

Je reçois beaucoup de lettres, je suis gâté…

Du 6 au 13 décembre

Cantonnement à Brenelles. Nous attendons le moment d’aller relever le 6ème bataillon qui est aux tranchées de Cys-la-Commune et de Presles. Il fait mauvais temps. Séjour de plus en plus monotone, mais complètement à l’abri des obus.

Du 13 au 24 décembre

Tranchées de Presle. Quel galimatias. On nous en avait cependant fait un vilain tableau, mais au-dessous de la réalité.

Le sol est argileux ; il pleut constamment et l’eau ne pénètre pas, de telle sorte qu’on marche constamment dans l’eau. C’est gai ! Je suis écœuré de voir le mépris avec lequel notre commandement traite les territoriaux du 111ème que nous encadrons. Ils sont cependant le meilleur esprit et sont très courageux en général, surtout pour des hommes qui n’ont pas en dessous de 40 ans.

Je ne crois pourtant pas que ce soit le moment d’avoir entre nous des rivalités…

 

Les Boches nous assaisonnement copieusement d’obus : certains sont en fonte : est-ce un signe ? L’infanterie est assez calme en face de nous.

 

Le 20, grande mise en scène ! On nous donne ordre de faire un simulacre d’attaque pour tâter les forces en face de nous et voir ce que les Boches feraient en cas d’attaque. C’est très amusant : un véritable feu d’artifice. A un signal donné, notre artillerie entre en danse, l’infanterie ouvre le feu d’une façon intense et on lance de tous côtés de multiples fusées éclairantes de toutes couleurs pendant que les projecteurs fouillent tous les coins : les Boches naturellement, répondent affolés.

C’est joli, mais idiot. On tire sans rien voir devant soi.

On doit croire en face de nous que nous sommes devenus fous. Bref c’est un ordre !...

Le lendemain 21 décembre

Les Boches nous rendent la monnaie de notre pièce. Tout à coup, sans raison, ils ouvrent le feu sur toute la ligne nous ne répondons presque pas. Les balles nous sifflent aux oreilles et les obus nous tombent dessus, sans résultat d’ailleurs.

Accalmie d’une heure et ensuite ça recommence : est-ce que par hasard, ils voudraient réellement nous attaquer ?

Notre projecteur ne marche pas et nous n’avons plus de fusées. Pendant un moment je suis inquiet, car on ne distingue pas dans la nuit les bords de l’Aisne et je ne suis pas sûr qu’ils sont de l’autre côté Aussi comme, pour voir, je suis obligé de me démasquer les balles me passent bien près.

 

A 2h du matin tout est calme.

Le 22 décembre au soir

On nous prévient en secret que les Allemands sont renforcés et on s’attend à une forte attaque. Attention, c’est le moment d’ouvrir l’œil … Il n’y a rien encore cette nuit-là et le 23 au soir on nous relève.

Ce n’est pas trop tôt, car je commence à trouver le temps long.

24 décembre

Retour pour 3 jours à Brenelles. Il fait un temps abominable. Je vais à la messe de minuit dite par un soldat du 111ème T. La modeste église, qui porte sur elle les traces de la sauvagerie allemande, est pleine de soldat Tous ceux qui sont là, n’ont pas hésité à prendre sur une des rares nuits de tranquillité pour assister à cette cérémonie.

Et pourtant, ils ont passé jours dans les tranchées sans un moment de repos.

Oh ! Combien touchantes et belles cérémonies, belles surtout à cause de leur simplicité. Tous, chefs et soldats attendent avec recueillement la bénédiction du prêtre soldat. Comme eux avant la cérémonie, le prêtre exhorte ses camarades au devoir, au sacrifice et s’efforce de leur inculquer le mépris de la mort…

26 décembre

Nous retournons aux tranchées. C’est toujours la même chose, sauf toutefois que le service se complique de plus en plus et que les obus tombent un peu plus dur.

29 décembre

Incident regrettable ; un sous-lieutenant du 332ème M. MENESSON, commet l’imprudence, de s’avancer trop près de l’Aisne avec quelques hommes. Il est tué ainsi que 2 de ses hommes : c’était fou de s’avancer ainsi par un clair de lune qui est presque en plein jour…

30 décembre

Nous sommes relevés.

Diable, ça n’est pas commode une relève, par une clarté pareille. Les Boches ont vu des mouvements et se mettent o tirer sur Presles.

Je prends un itinéraire détourné pour gagner Brenelle avec ma section nous arrivons sans encombre.

Je reçois des paquets en quantité : un tas de bonnes choses destinés à nous faire croire que nous allons passer des jours de fêtes ! Quelles fêtes, il serait bien difficile d’être gai dans de telles circonstances, quand tout autour de nous, est plutôt fait pour nous inciter à la tristesse.

Je suis logé dans une maison, où se trouve 2 fillettes de 11 et 3 ans, s’appelant précisément comme mes nièces, Madeleine et Geneviève. Je leur donne les bonnes choses qu’on m’a envoyées, quelle joie, surtout chez la petite : une gentille blondinette ! C’est que sans moi ces enfants auraient trouvé leurs souliers vides et n’auraient pas eu d’étrennes, car les pauvres habitants de Brenelle sont bien mal ravitaillés : c’est à peine s’ils peuvent se procurer les denrées de première nécessité...

Que c’est joli, un rire d’enfant !...

1er janvier

A l’occasion du nouvel an nous sommes tous congratulés, comme il convenait, et formulé le vœu de nous retrouver tous à la fin de la guerre… Pourtant, nous sommes tous convaincus que ce souhait ne peut se réaliser et que sur 13 que nous sommes au bataillon, il y en a peu qui verront la paix désirée…

Je passe la journée dans de tristes réflexions ; nous allons à l’exercice l’après-midi. Les obus tombent à moins de 100 m.

C’est assez drôle de rectifier un alignement quand les obus tombent si près :

« Un tel, ouvrez la pointe du pied gauche, avancez l’épaule droite !!! ».

Du 2 au 4 janvier

Séjour assez monotone ; on va à l’exercice, comme en caserne : comme il pleut à peu près tout le temps, on patauge dans la boue et on rentre trempés…

5 janvier

Changement de cantonnement : Augy où nous avons logé le 13 novembre.

Un fait très regrettable se passe dans la nuit du 5 au 6. Des officiers qui n’ont même pas l’excuse d’être jeunes se livrent à des excentricités de mauvais goût après avoir festoyé plus qu’il ne convenait. Je suis très peiné, d’autant plus que le corps d’officier tout entier est solidairement responsable de cette faute que rien ne peut excuser…(*)

 

(*) : Pas de mention dans le JMO du régiment.

6 et 7 janvier

Le 7, on nous vaccine contre la typhoïde : je suis obligé de garder le lit.

Du 8 au 11 janvier

Séjour aux tranchées : rien d’extraordinaire. Nous entendons sur la gauche une très forte canonnade. Il paraît qu’on a progressé au N.E. de Soissons, mais la lutte continue toujours.

12 janvier

Retour à Augy : on doit nous revacciner demain, mais la lutte paraît augmenter d’intensité sur notre gauche : on envoie une compagnie occuper une position de 2eme ligne.

13 janvier

La vaccination est reportée : le bataillon reçoit l’ordre de se porter à Ciry en renfort des Marocains : il fait un temps épouvantable. Nous attendons toute l’après-midi à Ciry qu’on nous donne un ordre. Les obus tombent sur le village.

A la nuit tombante, nous nous portons par Sermoise au sud de Bucy-le-Long, sur la route de Soissons. Il nous faut chercher dans la nuit les tranchées à occuper. Il paraît que ça ne va pas fort en avant et que nous avons dû céder du terrain.

Notre artillerie, placée à 200m derrière nous crache furieusement : nous voyons repasser quelques blessés qui, naturellement, nous font un tableau très noir de la situation.

 

Un ordre :

« Cette nuit les troupes françaises qui sont au nord de l’Aisne vont passer sur la rive sud. Tenir les points de passage pour en interdire l’accès à l’ennemi ».

Nous sommes atterrés. Que se passe-t-il donc ? Nous attendons.

 

Au petit jour seulement, je vois passer un bataillon de Marocains avec son convoi. Pas d’accident, les boches ne poursuivent pas. Ah ! Voici les marmites : cela m’étonnait aussi de n’en pas voir arriver. Je ne comprends plus : on tire encore des coups de fusil en face de nous : alors tout le monde n’est pas passé !

 

A midi, on me crie :

« Voici les français qui repassent l’Aisne. Attention, chacun à son poste ! »

 

Je me rappelle VAILLY et j’ai le cœur serré en envisageant la situation de ces malheureux obligés de passer sur un pont battu par les obus. Heureusement les boches ne poursuivent toujours pas, mais les obus tombent dur.

Je me demande comment ça va se terminer, car la passerelle étant fragile est à la merci d’un obus bien ajusté, et les pauvres soldats doivent pour atteindre ce pont passer dans l’eau jusqu’à la ceinture pendant 50m. Un bataillon arrive à passer presque sans accidents. Ils peuvent se vanter d’avoir eu de la veine. (*)

 

Le soir, des zouaves viennent nous remplacer. Ils nous affirment que nous avons dû abandonner 28 pièces de canon. C’est gentil !

Quant à nous, beaucoup d’obus mais pas de casse.

 

(*) : Il s’agit de l’épisode de la bataille de Crouy ; Demi-échec, demi-succès ? Cette bataille de janvier 1915 est décrite sur une page de mon site, ici

14 janvier

Cantonnement à Sermoise d’où nous repartons à 8h du matin pour aller à Salsogne.

15 janvier

L’artillerie est tout près de nous, aussi les obus dégringolent sur le village. Tous les habitants sont restés !

Quand le bombardement commence, ils descendent dans leur cave…Boum ! Un obus arrive dans la cour, personne n’est touché ; mais une balle de shrapp est tombé dans la marmite à soupe. Un cuisinier cherche à la retirer, mais un poilu s’écrie :

« Laisse donc, on n’a pas tiré les rois, c’est une occasion ! »

 

Le soir, nous sommes relevés par les Marocains qui viennent reprendre leurs emplacements et nous allons cantonner à Braine.

16 au 20 janvier

Séjour à Braine où se trouvent pas mal d’états-majors. C’est empoisonnant : revues sur revues, exercices, etc.

 

Le 17, on nous vaccine. Je suis plus malade encore que la première fois. La ville de Braine est assez bien ravitaillée, aussi nous trouvons à nous procurer pas mal de choses et je puis faire provision pour les tranchées. L’église de Braine est très jolie : de style gothique, elle est extérieurement fort légère et gracieuse et intérieurement elle est très jolie ; jusqu’ici les obus boches l’ont épargnée (la ville aussi d’ailleurs est indemne).

Vu sur la place de l’hôtel de ville une très vieille maison fort jolie me rappelant des maisons semblables que j’ai eu tant de plaisir à voir à Paris, dans le cité.

 

 

 

JMO du 16 janvier : HERBILLON apparaît comme sous-lieutenant de la 19eme compagnie, 5eme bataillon.

Du 20 au 28 janvier

Séjour aux tranchées. Beaucoup de travail à faire pour l’organisation du secteur.

 

Le 24 nous sommes canonnés d’une façon particulièrement précise. 20 obus tombent à un mètre de nous alors que nous déjeunons ; nous sommes miraculeusement épargnés. Malheureusement, quelques instants après, une marmite tombe sur la tranchée occupée par nos hommes. Elle en tue 5 et en blesse 9. (*)

Oh ! L’horrible spectacle qui s’offre à nos yeux : il nous faut dégager les blessés au milieu des débris humains…

Le soir, nous enterrons nos morts à l’abri d’un petit bois. Les tombes sont bien arrangées et pourvu de croix portant le nom de celui qui dort là et qui ne reverra pas ceux qui, là-bas, l’attendent… Au moins ceux-là, on saura où ils sont enterrés ; il n’en est pas toujours ainsi. Tout près des lignes allemandes, il y a une cinquantaine de cadavres français qui sont là depuis 3 mois. Toutes les nuits, les nôtres y vont, avec d’infinies précautions, et enfouissent les restes de ces malheureux qu’il ne sera jamais possible d’identifier. Ils seront éternellement des disparus et les leurs ne sauront jamais s’ils doivent encore espérer ou porter le deuil… (*)

 

Le 26 un obus tombe encore en plein dans la tranchée, mais ne blesse personne…

 

(*) : Le JMO rapporte cet accident pour le 23 janvier.

Liste des tués : Caporaux HESEU Julien -  DUCOS René Hippolite ; 2eme classe DONARD Jules - BOURÉ Jean Baptiste - POTT Gustave.

C’est le sergent-major AUBERT qui fait évacuer les blessés.

 

Du 29 au 5 février

Séjour à Braine : je suis logé dans une très belle chambre…

Le soir je trouve dans mon lit une bouillotte bien chaude !!!

Les jours se suivent… On nous fait aller à l’exercice comme en caserne.

 

Le 30, prise d’armes à l’occasion de la remise de la croix à un officier d’artillerie : revue, défilé et tout le tralala ; ce n’est pas la guerre… Le temps est superbe, le soleil est plus chaud qu’il ne l’est ordinairement à cette saison.

 

Le 5, jour de départ aux tranchées, le commandant nous fait un speech dans lequel il nous exhorte à nous préparer à donner, prochainement peut-être, un sérieux coup de tampon. Je crois que d’ici peu nous verrons du nouveau et que ce sera terrible. On se repose, en ce moment !!!

Du 5 au 13 février

Nous retournons dans notre secteur de Presles que nous commençons à connaître. Il y a toujours à faire beaucoup de travaux d’organisation. On s’efforce de construire des abris autant que possible à l’épreuve des obus et on renforce ceux qui existent.

Décidément, nous n’avons pas de veine ; à peine arrivés nous sommes bombardés : les tranchées sont démolies. Heureusement, elles n’étaient pas occupées ; il n’y a pas à déplorer d’accident de personnes.

L’artillerie allemande montre de plus en plus d’activité : le 8, un obus tombe en plein sur notre poste de commandement ; j’avais eu la bonne idée de renforcer le toit d’une couche de rondins, ce qui a empêché l’obus de pénétrer : il était temps. Le canon gronde terriblement dans la direction de Soissons…

 

Nos hommes ont, je ne sais où, déniché un filet, alors, le matin et le soir, ils pêchent dans le canal. Ils trouvent ainsi un moyen d’améliorer l’ordinaire. Nous en profitons aussi, et largement… Pas banal !

Pour que les troupiers de la compagnie qui nous relève ne trouvent pas le filet, nos hommes portent celui-ci près de l’Aisne dans un trou, tout près des fusils boches qui sont sur l’autre rive !!!

 

Un soir, j’ai l’impression qu’il va se passer quelque chose, les boches manifestent plus d’activité ; On entend travailler ferme en face de nous. Les Allemands ont amené une batterie qui n’est pas à plus de 800m de nos tranchées, et qui se met à bombarder les convois qui viennent nous ravitailler et nous apporter du matériel : rondins, gabions, fascines, fil barbelé, etc.

Deux soldats du Génie sont atteints par ces obus sur la route de Presles-Brenelle. Rien encore, les boches nous laissent travailler de notre côté. Je ne comprends pas qu’il ne soit rien arrivé jusqu’ici : on enfonce tranquillement des piquets pour y mettre du fil de fer barbelé, et cela tout près des tranchées ennemies ; les occupants nous entendent certainement et nous laissent faire : il est vrai que de leur côté ils en font autant : on dirait un accord tacite ! Quelle guerre bizarre !

 

La compagnie que nous avons relevée a aménagé confortablement notre poste de commandement, mais d’une façon qui ne plaît pas. Ils sont allés chercher dans des maisons abandonnées une table, des chaises, un fauteuil, une glace dorée ! J’estime qu’une table faite avec quelques planches et des piquets, des bancs construits de la même façon auraient été suffisants.

Quant à la glace…je ne qualifie pas ! Je ne suis pas fâché qu’on vienne nous relever pour aller respirer un peu à Braine. Il fait un temps abominable et nous devons passer à travers champs et bois, car la route est arrosée d’obus. La pluie nous cingle au visage très désagréablement et de temps en temps, on pique une tête dans un trou d’obus rempli d’eau ! Mais quelle satisfaction, en arrivant à Braine de trouver une chambre, un bon feu, des draps blancs et luxe inouï, une bouillotte dans le lit.

Du 14 au 21 février

Je reçois des effets neufs, je suis bleu des pieds à la tête : personne ne veut me reconnaître !

Décidément, il fait meilleur à Braine qu’aux tranchées. Il y a bien l’exercice mais le commandant cherche à le rendre aussi agréable que possible.

C’est ainsi qu’un jour, nous avons visité les ruines du château de la Folie, qui date, je crois, du 12eme ou 13eme siècle. Il en reste peu de chose, mais comme ces quelques pierres recouvertes de lierre et de mousse évoquent le passé, avec ses grands seigneurs et ses belles dames…

Du 21 février au 1er mars

Une fois de plus nous allons garder notre sous-secteur H. Les premiers jours sont assez calmes, quoiqu’un imbécile en face de nous nous envoie sans cesse des coups de fusil sans voir personne, cependant, il est énervant, cet animal-là, que nos troupiers ont surnommé Boule-de-suif.

C’est à notre gauche, sur le 332eme que les obus tombent maintenant.

Il fait beau, mais les nuits sont trop claires : la pose des réseaux et les balades en avant des lignes sont très dangereuses ; on y voit comme en plein jour. Je découvre au château de Presles une lunette de respectable dimension : c’est dommage qu’elle ne grossisse que 10 ou 20 fois, car je me promettais déjà d’observer la lune, comme autrefois rue Claude Bernard…

Néanmoins, je la prends pour aller aux Bôves observer à l’aide de cette lunette le terrain en avant : très intéressant. Je profite de mon excursion aux Bôves pour aller voir l’installation des cuisines de la compagnie. Quelle vision infernale !

C’est là sans doute ou dans quelqu’autre semblable que Méphisto conduisit le docteur pour lui présenter le philtre qui devait lui rendre la jeunesse et l’amour. Que font ces ombres se mouvant dans une vague lumière rougeâtre ? Que renferment ces énormes marmites qui sont sur de grands feux à tous les coins de l’antre ?

je m’attends toujours à voir surgir de l’ombre que laisse la flamme vacillante des quiquets, une sorcière grimaçante, à cheval sur un manche à balai et suivie d’une bande de lutins sautillants. Je voudrais être peintre pour rendre cette impression si nette.

Hélas, il me faut descendre à mon service. Nous arrivons à très bien vivre, nos soldats nous prennent des lapins de garenne, des poissons, et ils ont découvert une cressonnière qui nous en promet.

Seulement, il faut prendre des précautions pour y aller car c’est bien près des boches… Les obus nous ont épargnés cette fois-ci ; pas un sur nous.

Du 1er au 9 mars

Séjour à Braine : les boches bombardent la ville de temps en temps et font quelques victimes. Malgré cela, ce n’est pas désagréable de passer quelques jours au repos.

Du 9 au 17 mars

Nous trouvons en rentrant aux tranchées d’énormes trous de marmites : ce sont des obus français de 155 qui les ont faits. Ils nous ont pris quelques pièces et des munitions, mais il est certain qu’ils n’en auront pas pour longtemps, et de notre côté, nous leur en envoyons, de ce bon 155. Je ne suis pas fâché d’en avoir constaté les résultats : quelle différence avec le 150 boches : il n’y a pas de comparaison.

Quelques obus de 155 sont tombés sur les grottes de Bôves, où se trouvent nos cuisiniers. Toute une partie de voute s’est écroulée, avec au moins une centaine de mètres-cube de terre…

 

Le 13 au soir, nous avons un moment d’émotion.

On accourt nous dire :

« Les boches font un pont sur L’Aisne ! »

On entendait en effet une grande activité sur la rive nord de la rivière.

 

Le projecteur marche et nous fait voir que les voisins n’ont pas encore eu l’intention de nous rendre visite. Ils remuent beaucoup de terre en face de nous : je crois que c’est dans le but d’installer des minenwerfer, mais je pense aussi que notre artillerie leur démolira.

Ce séjour m’a semblé moins long que les autres.

Du 17 au 25 mars

Retour à Braine.

Il fait un peu frais la nuit mais quelles belles journées !

O Beethoven se peut-il que les boches qui nous font la guerre soient tes compatriotes ? Peut-on tuer froidement et comme mille dangers voir autour de soi sans frémir les ruines et les tombes que la barbarie humaine a accumulées…

Alors que tout dans la douce et belle matinée nous invite à la vie, à la joie, à l’amour…

Du 25 mars au 2 avril

Une fois de plus on retourne aux tranchées de Presles.

Le secteur commence à s’organiser aussi bien que possible et pourtant, il y a encore beaucoup à faire. Les boches travaillent aussi et font un bruit de tous les diables : attendez un peu, vous allez bien vous taire tout à l’heure ! Je demande à l’artillerie de leur envoyer quelques shrapnells. Boum ! Et allez donc !

Bravo ! Voilà du beau travail…

 

Les boches ont sur l’Aisne, dont ils tiennent la rive, quelques barques qui leur servent à venir voir de temps en temps ce qui se passe : mon camarade DESTREEZ (*) tend une embuscade et en démolit quelques-uns au moment où ils débarquent.

Mais comme moi, il a tort de ne dire que la vérité et il récolte des reproches(**)

 

Il fait un temps superbe bien qu’un peu froid pendant la nuit. Pas un coup de canon sur nous. Les boches, ne pouvant voir dans nos tranchées sont persuadés sans doute qu’il y a peu de monde le jour en première ligne et c’est pourquoi ils ne nous jugent pas digne d’un coup de canon. Tant mieux !

 

(*) : Sous-lieutenant DESTREEZ, dans la même compagnie qu’ HERBILLON et du même grade.

(**) : JMO du 30 mars : « Durant la nuit, une embuscade forte de 15 hommes de la compagnie H (19ème) et commandée par le sous-lieutenant DESTREEZ est tendue dans la Ballastière et le long et au sud de l’Aisne, au point où des Allemands avaient été vus la veille. Une grenade, non suivi d’éclatement, ayant été lancée sur un groupe d’Allemands, la reconnaissance se trouvant éventée se replie sans obtenir de résultat. »

Du 2 au 10 avril

Séjour à Braine : comme à l’habitude, exercices, marches d’entraînement, etc.

Le temps est beau : les balades dans les bois sont délicieuses.

Du 10 au 18 avril

Retour aux tranchées.

Nous avons des contestations avec les officiers de la compagnie que nous relevons habituellement ; ces messieurs ne manquent jamais l’occasion de nous vexer et pour des motifs insignifiants. C’est à hausser les épaules.

Les boches sont toujours tranquilles : ils se fortifient de plus en plus ; on les entend la nuit entasser des pieux, clouer des planches, etc. Nous leur tendons une embuscade, ils ne donnent pas dans le panneau.

On commence à s’habituer au secteur qui est maintenant bien organisé et présente toutes les commodités désirables : crac ! On nous change de secteur, nous prenons la place du 111eme territorial qui part pour une destination inconnue. (*)

 

Nous nous installons à Presles que nous connaissons bien.

Pauvre village, comme il a souffert ! Quelques habitants sont restés, malgré les fréquents bombardements : ils habitent les caves, comme nous, d’ailleurs. L’église n’est plus qu’un amas de décombres.

Je vais de temps en temps dans le parc d’un château me reposer avec mon ami MARTINAUD, notre médecin. Qu’il fait bon ! On ne croirait pas, par moment, que l’on est en guerre. Le parc est bien joli.

Si, nous sommes en guerre, les tombes toutes fraîches qui sont là-bas, au fond du parc nous le disent que trop ! Toujours la mort, la mort partout…

 

Près de nous, sur une pelouse, deux jolies chèvres broutent et gambadent : l’une d’elle, toute blanche, est vraiment gracieuse.

Ah ! La jolie chèvre de Monsieur Seguin…elle se battit toute la nuit…puis le jour blanc se leva, un coq chanta dans la plaine…alors, elle s’étendit sur le sol…sa belle pelisse blanche toute tachée de sang…alors…alors, le loup se jeta sur elle et la mangea. (**)

 

(*) : Le 111e régiment d’infanterie territoriale part pour les tranchées de Neuvillette, à côté de Reims.

(**) : Citation libre du conte  La chèvre de Monsieur Seguin, d’Alphonse Daudet.

 

Fin des écrits

 

 

Le sous-lieutenant Louis Henri André HERBILLON passe lieutenant en mai 1915.

Disparu au Mort-Homme le 22 avril 1916 à Cumières (la Meuse). Il est considéré « Mort pour la France » par avis officiel le 30 mai 1916.

 

 

 

 

 

 

 

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