Mise à
jour : Mars 2022
Juliette, un membre
de la famille, nous dit en septembre 2021 :
« J'ai retrouvé, lors d'un déménagement,
le récit journalier de mon grand-père Marcel Jaillet.
Il appartenait au 135ieme régiment d'infanterie, 11ieme compagnie. Le récit
décrit, de manière précise, sa vie au combat d’octobre 1914 à mai 1915, près
d’Ypres en Belgique.
Il n'est pas mort à la guerre, mais je ne l'ai jamais connu et n'en possède
aucune photo. J'ai retranscrits son texte afin que ses arrières petits-enfants
le possèdent. Est-il intéressant que je vous l'adresse? »
Le chtimiste :
« Les noms
de villages ont été corrigés dans le texte. J’ai ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour aller « plus
loin » dans l’analyse du récit. J’ai aussi ajouté des dates pour pouvoir mieux
se repérer dans le récit.
Merci à
Philippe S. pour les corrections et son travail de recherche. »
Nota :
Ce récit peut
être mis en relation avec deux autres témoignages de soldats du même
régiment :
Lieutenant-colonel Georges
GRAUX des 135e et 60e régiments d’infanterie : Ici.
Henri ROCHERAU caporal au
135e régiment d’infanterie : Ici.
Marcel
JAILLET est né en janvier 1890 à Tours. Employé de commerce, il est incorporé
au 135e régiment d’infanterie le 9 octobre 1911 pour 2 ans. Caporal
en septembre 1912.
A la
mobilisation, il part avec le 135e RI. Sergent le 16 novembre 1914,
il est dans la 11e compagnie (3e bataillon) du 135e
RI.
Le
135e régiment d’infanterie fait partie de la 18e division d’infanterie qui est
composée en 1914 en infanterie de 2 brigades la 35e brigade (32e et 66e
régiments d’infanterie) et la 36e brigade (77e et 135e régiments d’infanterie).
Ces régiments sont fréquemment nommés dans le récit de Marcel JAILLET.
Les
écrits semblent commencer le 27 novembre 1914. Existe-il un carnet avant
celui-là ? Certainement. Où est-il ? Mystère.
A
cette date, le régiment se trouve en Flandres belges. Du 24 octobre au 21 novembre
1914, le régiment a perdu 2308 hommes
(dont 44 officiers) tués, blessés et disparus (source hist. du 135e RI)…
Allons occuper les tranchées de 2ieme
ligne. (*)
Elles sont très loin en arrière. Je
choisis une petite tranchée où je suis très bien. Je passe une bonne nuit.
(*) : Le JMO signale que 2 compagnies du 135e
RI remplacent à 4h30 du matin deux autres compagnies du même régiment.
Il a plu, j’ai mouillé un peu dans
mon abri. En allant creuser un boyau en avant, nous attrapons 2 poules que nous
faisons rôtir dans une petite maison près de notre tranchée.
Nous recevons une rafale d’obus qui
nous fait terrer dans la cave, nous mangeons nos poules quand même, elles sont
excellentes.
Partons à 2h pour Libertinage.
Marchons vite, suis très fatigué, nous restons jusqu’à midi dans un champ avant
Vlamertinghe pour attendre les autres bataillons.
Le régiment défile devant le drapeau.
Nous contournons à 500m du bourg. Sommes 3 compagnies dans un moulin.
Je passe une bonne nuit.
Me fais porter malade pour la
diarrhée, au poste de secours en avant. J’y viens en voiture et traverse Ypres
qui est bien abîmé. Nous sommes très mal à cette infirmerie, pas de paille, on
couche sur le parquet.
Infirmerie, prends du lait.
Dois rejoindre ce soir ma compagnie
dans les tranchées.
Bien chers parents
« Vous
avez dû recevoir ma lettre dernièrement. Celle-ci y fait suite, rien de bien
particulier depuis, j’ai reçu une lettre de Raymond m’annonçant son départ. Je
lui réponds aujourd’hui.
(*)
Quant
à moi, j’ai encore eu la diarrhée, je me suis fait porter malade et me suis mis
au régime au lait. Je rejoins ce soir ma compagnie. Ça fait peu de repos, enfin
c’est toujours autant de pris.
Si
vous savez où est Raymond, dites-le-moi ; les correspondances subissent du
retard ici. Je ne vois plus rien à vous dire sauf que malheureusement nous
allons passer notre Noël et le 1er de l’an ici ; C’est triste….
Il
est toujours question que nous partions d’ici vers le 10 dit-on, les Anglais
voulant prendre tout le front en Belgique. Nous attendons.
J’espère
que maman est en bonne santé et que papa réussit dans ses affaires quant à
Maurice il n’a plus qu’à attendre puisqu’il est reçu à son examen. Regardez
toujours bien aux obligations si toutefois les tirages en font toujours.
Plus
rien à vous dire.
Votre
fils qui vous aime et voudrai bien être parmi vous, espérant que j’y
retournerai un jour, s’il ne m’arrive rien d’ici là, long cette sale guerre.
Quand
je trouverai des timbres je les mettrai dans la lettre. Maurice me les mettra
de côté dans une petite boite
Marcel
Je
vous renvoie 3 timbres, ils ne me servent plus.
(*) : Son frère Raymond JAILLET (20 ans) est de la
classe 1914 et est appelé sous les drapeaux le 4 septembre 1914. Sa formation
dure jusqu’au 24 novembre 1914 et il va partir rejoindre le 46e
régiment d’infanterie au front.
Nous reposons à Ypres, partons à 1h
du matin dans la nuit pour les tranchées.
Même emplacement que la dernière
fois.
Relevons le 77 vers 3h.
Journal des Marches
et Opérations (JMO) du 135e régiment d’infanterie
Le 3e
bataillon a commencé sa relève à 2h30.
Les tranchées sont pleines d’eau pour
gagner mon coin, je passe dans une mare d’eau, j’ai les pieds trempés. Je
change de chaussettes et m’embourre les pieds dans du papier journal pour me
préserver du froid.
Je trouve une bonne chaise cannée,
avec 2 traverses, je me fais une barre et ma toile de tente au-dessus de
moi ; Je suis à peu près à l’abri de la pluie et de l’eau qui est dans la
tranchée.
Ai passé une assez bonne nuit, malgré
la pluie je n’ai pas mouillé.
Journée calme.
Ai eu froid cette nuit, il a plu
encore, mon abri tiens toujours bien et je ne mouille pas du tout.
Ne sommes pas relevés, le 32 et le 77
(*) doivent attaquer et passer devant
nous.
A 7h, les canons bombardent les
tranchées allemandes.
A 7h45, nous commençons une fusillade
nourrie. L’attaque n’a pas l’air de réussir. Le 32 essaye
d’avancer en passant par-dessus les ponts jetés par-dessus nos tranchées. Les
hommes sont fauchés au fur et à mesure qu’ils avancent. Le mouvement du 32 est
arrêté.
Les hommes restent toute la journée
et toute la nuit couchés dans la boue derrière nos tranchées.
(*) :
32e et 77e régiments d’infanterie
L’attaque doit recommencer
Le 66 a pris 2 tranchées ennemies
paraît-il. Le 77 ne peut avancer. Une compagnie s’est sauvée en abandonnant leurs
sacs, ils doivent les reprendre à la nuit (sale corvée).
Le commandant du 32 refuse d’avancer
tant qu’il n’aura pas de mitrailleuses, il a en face de lui des mitrailleuses
allemandes et 6 canons.
La journée se passe ainsi, notre 75
canonne toujours les tranchées ennemies à 150m en face de nous.
Je passe une sale nuit, je ne sais
plus comment m’asseoir, j’ai chaud le soir mais ne peux m’endormir et au matin
je suis gelé. On nous informe qu’il faut s’apprêter à souffrir moralement et physiquement,
nous ne serons pas relevé peut être encore que dans 5 ou 6 jours. L’attaque
étant généralement sur tout le front.
Je reçois au matin une lettre de
maman m’annonçant un colis, une carte de papa et une de Maurice.
Rien de particulier, allons dans la
nuit en 2ieme ligne dans les tranchées-abris, nous y
sommes pas mal.
Sommes toujours en 2ieme ligne.
Sommes relevés au matin, allons en
cantonnement d’alerte dans une ferme pas très loin de la ligne de feu, sommes
très mal, pas abrité et pas de paille, nous couchons dans du fumier de cochon.
Néanmoins je trouve un bon petit coin
et y passe une bonne nuit.
Sommes relevé à 13h par le 66. Allons
à Vlamertinge.
Sommes à Vlamertinge.
Partons à 9h pour les tranchées,
environs 15km à s’envoyer, nous arrivons harassés vers 1h.
Allons au même endroit que
précédemment, un peu plus à droite. Heureusement il n’y a pas d’eau où je suis,
il y a de nombreuses planches dans la tranchée.
On ne se mouille pas les pieds, je
découvre un bon abri bien sec avec de la paille.
J’ai reçu une lettre de Raymond.
Sommes assez tranquille, je fais un
bon feu ce qui me permets de me chauffer et prendre un café avec pain grillé et
beurre à 2,50 franc la livre c’est juste du luxe.
Parton à 21h pour les premières
lignes, même emplacement que la dernière fois, arrivons harassés.
Chers parents
« J’ai
reçu hier 22 une lettre de Raymond, il ne se plaint pas trop, il est plus
heureux que moi. 8 jours de tranchées, 8 jours de repos, 3 repas par jour et chauds,
ce qui est important car nous mangeons toujours froid, c’est ce qui nous
délabre l’estomac ; Aussi j’ai fait une provision de chocolat, 2,75f la
livre. Aujourd’hui je ne suis pas trop malheureux, je suis relativement au sec
et j’ai un bon feu. Ca fume que le diable les Allemands le voient bien, mais je
ne veux pas geler.
Je
n’ai pas reçu de nouvelles de la maison depuis la lettre de Maurice et pourtant
j’écris tous les jours. Je voudrai bien savoir si vous avez reçu mon mandat
5,75 envoyé le 8 dec.
Je
touche maintenant 1,22f par jour au lieu de 0,72f avec mon rappel de prêt j’ai
touché hier 37,20f, quel noce…
Votre
fils qui vous aime et attend de vos nouvelles. »
Journées assez calmes, quelques
fusillades sans importance. Rien de particulier ne signale Noël, les Boches
chantent un peu, et le 75 tonne et c’est le calme.
Un état
de l’effectif du régiment est établi à la date du 25 décembre 1914 : 34
officiers, 2020 hommes dont 339 jeunes recrues.
Sommes relevés au matin, au jour,
changeons de secteur, allons dans un bois en arrière des premières lignes faire
de grandes tranchées-abris. Je vais à la chasse l’après-midi
mais reviens bredouille, il y a beaucoup de poules échappées des fermes et
quantité de faisans. Beaucoup en ont attrapé.
Recevons quelques cadeaux de Noël, 1
par section, il y a peu de choses et je ne prends rien.
Partons au matin un peu plus en
avant, on ne trouve pas notre emplacement et nous restons jusqu’à midi à geler
et piétiner sur place. Nous arrivons enfin, sommes à 100m derrière les 1ières
lignes en renfort de la 10ième compagnie.
Nous nous construisons une bonne tranchée-abri.
Sommes pas trop mal, ai visité les
1ières lignes, les Boches ne tirent pas. Ils ne veulent pas tirer paraît-il,
c’est sans doute une ruse pour tromper notre vigilance. Tout le monde se
promène derrière les tranchées et l’ennemi est à 50m. (*)
On se demande si nous sommes en
guerre.
Dans la nuit : forte canonnade
et fusillade, on nous avertit de nous tenir prêts, mais nous ne sommes pas
dérangés. Vent très violent pendant la nuit, qui abat la moitié des sapins dans
le bois. Il ne sera pas bon s’y promener sans s’exposer à se faire tuer. Je
suis obligé d’en faire abattre 2, les racines passant au ras de ma cabane et
menaçant à tout moment de tout faire écrouler.
(*) : Durant cette période de fêtes 1914, on signale de
nombreux cas de calme sur les fronts d’Artois, de Somme et de Champagne.
Certaines sont mêmes suivies de fraternisations. Voir l’étude faite ici
aux travers des écrits des soldats et des journaux des régiments..
Rien de particulier, nous occupons à
débarrasser les allées de tous les sapins déracinés dans la nuit.
Allons dans un autre bois vers 9h du matin,
occuper les tranchées de 2ième ligne (à la butte aux Anglais près de Zillebeck).
J’y dors bien dans une tranchée-abri,
la paille est sèche.
(*) : La butte aux Anglais était appelée par eux
« Hill 60 », ~1.5 km au sud de Zillebeck :
voir plan ci-dessous.
Nota : ce site est repéré sur Google Map par un monument anglais. L’armée britannique ayant
occupé ce secteur par la suite.
Partons au matin pour Ypres.
Passons tout de même ce jour de fête
au repos, nous recevons des cadeaux, 1 par section, il y a pas mal de
différentes choses et du champagne suffisamment.
Je reçois de plus mon colis et toutes
mes lettres en retard et donc pour le mieux. Les 2 glaces arrivent brisées
c’est peu important.
Je visite la ville qui est bien
abimée. Tout ce qu’il y avait de bien comme monument a été détruit.
Le canon commence à bombarder et je
rentre vivement dans les casemates, j’ai eu le temps de voir toute la ville.
Partons le soir pour les tranchées à
droite du dernier emplacement, en 1iere ligne, traversons Zillebeck
complètement en ruines.
Journées très calmes, les Allemands
ne tirent pas.
J’ai un bon abri et me repose bien.
Partons à 2h du matin en 2ieme ligne
(Butte aux Anglais), les chemins sont affreux, il pleut.
Je reçois mon gâteau en parfait état,
tirons les rois, trouvé excellent.
Sommes canonnés principalement aux
heures de repos, pas d’accident de personne.
Je reçois un mandat de 20 F de 4ieme
légion et touche 5 F de prêt arriéré à la 10ieme compagnie (bonne journée). Je
ne comptais pas sur ces 2 choses.
Partons vers 19h prendre les 1ieres
lignes, même emplacement que la dernière fois, il pleut averse. Nous arrivons
trempés, les tranchées sont transformées en ruisseau et les abris plein d’eau
et en partie écroulés.
Passé une nuit affreuse dans un abri
où il pleut, dormi assis sur mon sac et les pieds dans l’eau.
Le soleil se montre un peu, je
m’arrange un abri, je me fais un plancher avec des rondins de sapins et une
litière avec des petites branches de sapins, je peux m’étendre et m’y reposer à
peu près au sec.
Journée calme, nuit froide, me repose
moins bien que la nuit précédente.
Journée pluvieuse, je passe quand
même une journée excellente, il ne pleut plus, et ne fait pas froid.
De plus, j’avais une botte de paille
et mon caporal étant malade, j’avais plus de place dans mon abri. L’artillerie
ennemie montre beaucoup d’activité et nos cuisiniers sont obligés de déloger de
leur maison.
Partons à 6h pour Ypres, cantonnons
dans une maison de santé, sommes très bien, les sous-officiers couchent à part,
j’ai un matelas et un sommier métallique, c’est presque du luxe.
Le matin je vais prendre un excellent
chocolat au lait avec pain grillé et beurre dans un petit café prés de notre
cantonnement. Je profite de ma petite chambre pour me nettoyer (à l’eau froide,
bien entendu) des pieds à la tête et me changer de linge que je fais laver en
ville.
Un détachement (classe 1914 et
anciens blessés) nous rejoint.
Extrait du JMO du
135e régiment d’infanterie
J’ai mal dormi, ça me démange partout,
ayant entendu dire que beaucoup avaient des poux je me déshabille et constate
avec désespoir que ma ceinture de flanelle en contient une dizaine, je les tue
et jette la flanelle au fumier.
L’après-midi on nous fait faire une
marche de 4h histoire de nous dégourdir les jambes. Pour moi, je trouve cela
stupide, qu’on nous laisse donc tranquille lorsque nous sommes au repos.
Rien de particulier.
Après-midi marche de 6km, je ne la
fais pas étant de jour.
Partons en réserve de 1ière ligne,
vers 1h du matin (emplacement un peu à droite par rapport à celui que nous
occupons habituellement en 1ière ligne).
Sommes très canonnés, le matin je
mène une corvée chercher du charbon dans le village de Zillebeck.
Nous subissons en revenant une canonnade violente et avons la chance de nous en
tirer indemne sauf un blessé légèrement au bras.
A noter que ce charbon est soit
disant pour faire la cuisine, mais comme les cuisiniers ne sont occupés qu’à
faire de baraques, on ne mange rien et ce charbon sert aux officiers.
Le soir, ai un autre blessé à ma demi
section.
Sommes toujours fortement canonnés.
Je dors assez bien dans ma baraque.
Partons à 4h du matin en 1ère ligne
remplacer la 12ième compagnie (même emplacement que précédemment).
Les tranchées sont pleines d’eau et
plus mauvaises que la dernière fois. Toujours pas de cuisine, les cuisiniers
font des cabanes.
Passé une nuit très mauvaise assis sur
mon sac. J’ai eu grand froid aux pieds. Sommes relevés dans la nuit de vendredi
à samedi, vers 3h, allons à la « butte aux Anglais ». (*)
(*) :
Seul le 3e bataillon part à la butte des Anglais.
Sommes dans des baraques faites, à
même le sol, avec des troncs de sapins (dessin). Cela ressemble à un toit qu’on
aurait posé à même le sol. Nous avons de la paille, nous sommes au sec, mais il
y fait froid. L’agrément est que nous avons de la place. Nous ne sommes qu’une
demi-section de 22 hommes. Nous trouvons une grande marmite percée de trous par
endroits et y faisons un bon feu au milieu de la baraque. Le soir nous faisons
« la veillée » assis en rond autour du feu et bavardons de choses et
d’autres.
A 9h, chacun prend sa place et se
couche. En journée les avions Allemands survolent constamment le bois qui est
canonné fortement nuit et jour. Il y a tous les jours des blessés et même des
tués. Sans cela nous aurions peine d’écrire que nous sommes à la guerre.
Rien de particulier, toujours la
canonnade. Je me fais des biftecks et frites excellentes.
Article de journal :
La seule action d’infanterie au cours
de cette décade a été l’attaque lancée par l’ennemi sur nos tranchées à l’est
d’Ypres, le 25 janvier.
Au point du jour, sans aucune
préparation d’artillerie, une compagnie allemande s’est déployée à 150m de nos
lignes et s’est jetée au pas de course sur nos tranchées. Trois compagnies en
colonne suivaient à courte distance et toute une brigade était massée en
arrière. Grace à la vigilance de nos soldats l’attaque a été instantanément
arrêtée par un feu violent d’infanterie, aussitôt soutenu par le tir de nos
batteries.
L’officier allemand qui commandât la
compagnie de tête est tombé un des premiers. En quelques instants plus de 300
cadavres gisaient sur le terrain. Quelques soldats embarrassés dans notre
réseau de fils de fer ont été fait prisonniers. Les autres se sont retirés
péniblement en rampant.
Les prisonniers (il y en a un une
cinquantaine parmi lesquels 2 aspirants) ont raconté que l’attaque devait être
soutenue par d’autres unités. Mais le tir de notre artillerie ne leur a pas
permis de sortir des places d’armes où elles étaient rassemblées. Les pertes de
la compagnie qui occupait nos tranchées ont été insignifiantes.
Sommes toujours à la Butte.
Le 68 a été
attaqué au matin à 4 reprises différentes. Les officiers allemands étaient
obligés d’être derrière leurs soldats, revolver au poing pour les faire avance.
Leur avons infligé des pertes sérieuses paraît-il, 300 à 400 morts et blessés.
Quant à nous nous n’aurions eu que 2
tués (est-ce vrai, nous sommes sur les lieux et les plus mal renseignés. Il
circule toujours toute sorte de rapports que chacun arrange et exagère).
Si c’est vrai, c’est heureux pour
nous.
Remis le matin mon colis expédié du
20. Il n’a pas mis longtemps.
Partons à 6h du soir pour la 1ière
ligne (toujours même emplacement). Pour une fois avons une relève heureuse,
beau temps et clair de lune, nous sommes vite rendus ; Le 77 a bien
travaillé. Cette fois la tranchée a été relevée et asséchée et il y a de
nombreux abris où nous sommes au sec.
Nous veillons attentivement craignant
une attaque, demain 27 étant l’anniversaire de l’empereur, mais la nuit se passe
sans incident.
Au matin, vers 8h, les boches sont
sortis de leurs tranchées en chantant et ont chargé par deux fois, sur le 1ier
bataillon, cela n’a pas dû être très important car la fusillade a été faible et
le canon n’a même pas tonné ; c’est sans doute une attaque faite
simplement pour faire plaisir à l’Empereur pour son anniversaire. Je doute que
les soldats goutaient ce plaisir avec félicité, cela n’a servi qu’à faire tuer
quelques-uns, enfin c’est toujours autant de moins…(*)
Pour nous, journée calme, nuit
froide, il gèle.
Il prend vers 9h une fantaisie à la
deuxième section de chanter à tue tète, pourquoi je l’ignore mais je trouve
cela ridicule.
Renseignement pris, ce n’est pas la
2ieme section mais le lieutenant commandant la compagnie, un maréchal-des-logis
et 2 ou 3 autres qui, pour fêter sans doute l’anniversaire de Guillaume avaient
bu à sa santé un peu plus qu’il n’aurait fallu, ainsi le lendemain les rations
de vin et d’eau étaient maigres.
(*) : C’est exact. Cet épisode est raconté dans le
JMO : Les allemands ont lancé dans les tranchée du 2e bataillon
une petite boite de sable contenant une carte postale rédigée en français et
débutant par les mots : « Camarades .. »
Voir ici la suite
dans le JMO.
Rien de particulier. Journée calme.
Alerte vers 11h dans la nuit pour
voir si tout le monde est à son poste. Pas d’incident.
Violente fusillade vers minuit qui
dure environ 1/2 heure. Les boches sont sortis de leur tranchées et essayé de
surprendre la 10ieme mais sont aussitôt rentrés.
Journée calme.
Notre artillerie démolit 4
mitrailleuses placées un peu à notre gauche et oblige les mitrailleuses boches
à évacuer leurs tranchées. Ils se réfugient dans une maison en arrière sur
laquelle il tombe peu après un obus qui la réduit en miette.
Rien de particulier.
Fusillade vers 9h à notre droite mais
qui ne gagne pas jusqu’à nous.
Partons vers 5h du matin pour Ypres,
sommes relevés par le 66, retournons près du canal à côté du moulin où nous
sommes venus à notre arrivée en Belgique.
A 10 heures du soir, violente
canonnade et fusillade, alerte on nous fait descendre en terre, mais nous
remontons et passerons tout le reste de la nuit sans être à nouveau dérangés.
Rien de particulier, vais à
l’infirmerie, me badigeonne avec un mélange de sublimé et vinaigre pour me débarrasser
des poux.
Marche et manœuvre de 1h à 4h (on est
toujours embêtés au repos).
La nuit, arrivée de l’artillerie
anglaise, 6 compagnies du 77 sont remplacées par les Anglais.
Reçois vos 2 lettres m’annonçant la
disparition de Raymond.
(*)
(*) : En effet son frère Raymond JAILLET a été déclaré
« disparu » le 8 janvier 1915 en Argonne, au Ravin des Meurissons
Revue à 8h place des halles, remise
de décorations, concert à 2h par la musique du 13ième qui s’est remontée
d’instruments tout neufs
Les avions allemands survolent la
ville continuellement et jettent des bombes ; l’artillerie tire bien
dessus, ils s’éloignent et reviennent constamment.
Partons vers minuit, passons par Hooges, le château est en feu, c’est sinistre et grandiose.
Cette relève est très fatigante, nous faisons 10 mètres et on s’arrête et c’est
toujours ainsi. Les 3ièmes et 4ième sections se perdent.
Nous finissons tout de même par
trouver notre emplacement, le même que celui que nous occupions le 27 décembre,
en renfort de 1ère ligne. Nous sommes avec les Anglais.
Ai pu me reposer dans ma cabane,
jusqu’à 8h, nous avons trouvés de la graisse, du café, du sucre et des pois
ronds ; avec la viande que nous avons apportée, cela nous permet de bien
manger, les cuisiniers n’ayant rien fait.
Nous construisons une cabane et
pouvons y coucher une escouade le soir, elle n’est qu’à moitié finie mais c’est
plus propre que celle que nous venons de quitter, le 77 l’ayant laissé dans une
saleté repoussante. C’est d’ailleurs l’habitude de ce régiment.
Le
soir, pour me reposer, on me donne vers 7h, juste au moment où
je m’apprêtais à me coucher, une corvée à mener à Hooge pour chercher du
matériel de tranchée. Ce fut pour moi une corvée très pénible, mes hommes ne
m’ayant pas suivi au retour, je n’avais que la moitié du matériel touché et
j’ai cherché jusqu’à 2h du matin mes affaires (je ferai mieux de dire pour ne
rien retrouver).
Je ne me suis couché qu’à 3h, ayant
été obligé de changer de chaussettes, celles que j’avais dans les pieds étaient
pourries, ayant passé dans des endroits plein d’eau.
Cher
père :
« Ayant vu que cette corvée de
nuit, dont je t’avais parlé t’intéressait, je vais t’en faire le récit. Il faut
y voir que la difficulté de la marche par nuit obscure, la peur et la fatigue
des hommes, peut être aussi la mauvaise volonté de certains ; tu verras
combien est pénible et dangereux une chose qui ne paraît rien. Il n’y a rien
qui me répugne comme les corvées de nuit.
Vers 7h, au moment où je m’apprête à
me coucher, on me donne à conduire une corvée de 20 hommes (10 hommes de la
11ième et 10 de la 12ième commandés par un caporal), pour aller au poste du
colonel à Hooges chercher du matériel de tranchée.
Nous devons ensuite le porter au poste de commandement.
Il fait une nuit très noire et les
balles sifflent. Je cherche pas mal de temps avant de trouver la 12ième
compagnie pour prendre la corvée au passage et nous nous acheminons vers Hooges qui est canonné. Nous arrivons, heureusement la
canonnade cesse.
Je prends mon matériel : 10
paquets de 100 sacs (petits sacs lesquels remplis de
terre que l’on met sur le parapet des tranchées pour préserver de balles), 10
bombes, 10 fusées et 4 plaques de taule ondulée.
Arrivons péniblement au poste de
commandement, on me dit de porter 300 sacs, les bombes et fusées aux 2
compagnies de première ligne 9ième et 10ième. Je dois conserver 400 sacs avec
moi, les remplir de terre et les porter à un endroit dangereux du boyau de
communication de 1ière à la 2ième ligne.
Je sépare ma corvée en 2 et donne
ordre au caporal de remettre à la compagnie de 1ère ligne qui se trouve devant
la sienne, ce qui lui revient ; il doit donc me rester 10 hommes, 5
fusées, 15 bombes et 700 sacs.
En sortant du bois où est situé le
poste de commandement les obus commencent à tomber, j’arrive à ma compagnie et
ne trouve plus que 7 hommes sur 10 et 400 sacs sur 700. Maintenant où est la
9ième compagnie et le boyau qui y mène ? Qui a-t-il devant nous ? La
9ième ou les Anglais, je demande au sous-lieutenant (ancien adjudant) qui
m’envoie promener (ce n’est pas rien, j’ai réveillé ce personnage).
Je me décide à aller en 1ère ligne
voir ce qu’il y a, j’y trouve des Anglais et une section de la 9ième pour aller
trouver le commandant. Il y a 60m de boyau à parcourir et qui est plein d’eau.
Le lieutenant commandant cette section m’informe qu’il y a un autre boyau
allant de la 2ième ligne directement au poste du capitaine et me déconseille de
passer où je suis à moins d’avoir des bottes en caoutchouc à cause de l’eau.
Il fait toujours noir comme dans un
four, je ne connais pas l’autre boyau et je n’ai pas de botte en caoutchouc.
Tant pis, je passerai, il faut bien prendre une décision.
Je retourne chercher mes hommes et
300 sacs, j’en laisse donc 100 pour nous, je laisse en passant 100 sacs à la
9ième et en route dans le boyau. J’emplis consciencieusement mes chaussures
d’eau, de temps à autre je rencontre un pauvre diable à moitié endormi, une
pelle ou une pioche en main, il faut transformer ce boyau en tranchée de tir.
J’arrive enfin au poste du capitaine
qui appelle un agent de liaison pour conduire les hommes qui ont les sacs (200)
à l’endroit où ils doivent être déposés (environ 90 mètres d’où je me trouve),
un homme seul revient, l’autre s’est perdu et les 100 sacs qu’il portait aussi
(c’est décourageant).
Le capitaine, qui est une vieille
baderne, m’en fait toute une histoire, veut en rendre compte au commandant, et
le comble c’est qu’il veut les 100 sacs manquant et encore 100 de plus. Je vais
voir à la 10ième, qui se trouve en 1ière ligne à la gauche de la 9ième, si tout
est arrivé.
Le caporal de la 12ième a bien apporté
les fusées et les bombes mais pas les sacs (décidément c’est jour de malheur).
Je reviens, le capitaine me fait voir
l’endroit dangereux du boyau où je dois mettre mes 400 sacs (il doit m’en
rester 100) et je reviens à ma compagnie. Les 100 sacs que j’avais laissé n’y
sont plus (c’est de plus en plus fort), les 3 hommes qui manquaient sont
rentrés les mains dans le poches, ils ont, disent-ils suivi la 12ième par
erreur et laissé leurs sacs à la 12ième.
Un imbécile donne même comme raison
que le sergent qui commandait la corvée (c’est moi) s’est sauvé au moment où le
poste du commandement était canonné.
C’est bien entendu archi faux ;
les hommes qui m’ont suivi lui passèrent la semaine sérieusement et moi aussi.
Je ne suis pas au feu depuis 9 mois pour avoir peur d’un coup de canon.
Ainsi sur 1000 sacs, 200 seulement sont arrivés à destination et 800
égarés et pourtant il me faut remplir de suite 400 sacs pour les faire porter à
l’endroit dangereux. Heureusement, j’ai vu dans mon trajet à travers bois de la
1ière à la 2ième ligne, des sacs tout remplis qui étaient perdus (50 environ).
Je dois demander au lieutenant quelle section il faut réveiller pour faire
cette autre corvée, et emmener tous les hommes de la 4ième section, non sans
avoir été 20 bonnes minutes avant de trouver leur cabane. Je me trompais et
allait réveiller les Anglais.
Nous arrivons, le travail se fait
assez vite, j’ai emprunté cette fois ci le bon boyau ; bon ce n’est guère
le mot car il est peu profond et les balles sifflent au-dessus de nos têtes. En
revenant une mitrailleuse envoie une rafale juste à l’endroit où je passe, je
n’aurai pas été un peu courbé je prenais tout dans la tête.
Enfin je rentre dans ma
cabane...ouf...je quitte mes chaussures, les décrotte, je jette mes chaussettes
qui sont pourries, m’essuie les pieds, prend une paire de chaussettes neuves,
mange un morceau de pain et de chocolat, démonte ma couverture et me couche. Il
est modestement 3h du matin, depuis 7h du soir que j’étais parti, c’est une
corvée dont je me rappellerai toujours, tout se tournait contre moi, il y a des
moments où vraiment on n’est pas marrant.
(c’est à
l’endroit où se trouvait cette section de la 9ième et les Anglais, que les
Allemands ont fait sauter la tranchée le 20 février. C’est une section du 77
qui l’a remplacée qui a sauté toute entière. Nous avons eu de la chance que
cela ne se produise pas plus tôt ou bien plus tard, lorsque nous y étions où y
serions).
Ai bien dormi naturellement, je me
repose toute la journée.
A tout moment, les Anglais viennent
nous demander du pain, ils n’en touchent pas en tranchée, ils s’en montrent
très friands et nous donnent en échange des boites de confiture.
Je remarque une chose, c’est qu’au
feu, ils sont aussi sales que nous, ne décrottent jamais leurs chaussures
pleines de boue pour rentrer dans leur cabane et ménager ainsi la paille sur
laquelle ils couchent, chose que nous faisons presque toujours.
De plus ils ne sont pas habiles pour
construire des cabanes et abris mais savent bien s’emparer des nôtres. Et on
vante la propreté des Anglais, et ils sont si pratiques… et bien ils sont loin
de nous valoir !
D’ailleurs le Français s’assimile
très vite et fait quelque chose avec rien, alors que les Anglais il leur faut
tout un matériel.
Allons en 1ère ligne vers 4h du
matin.
Avons en face de nous le 132ieme
prussien, chaque compagnie a 200 commandé pour un sous-lieutenant, les autres
officiers sont en arrière, ils n’ont pas d’active mais de la classe 15 et 16 et
des territoriaux, ils prennent leur repos à
…. , d’ailleurs nous
entendons la musique de notre tranchée. Ces renseignements furent donnés par un
allemand qui s’était rendu la veille.
Ils tirent sans cesse et comme ils
sont placés légèrement plus haut que nous, ils démolissent tous nos sacs de
terre formant le parapet de notre tranchée. La terre vole de tous les côtés, ce
qui est peu agréable quand nous mangeons la soupe. Nous devons faire attention,
avons un blessé et un tué (*).
J’ai un petit abri et un peu de
paille sèche. Je peux me reposer toute la nuit, plié en deux.
Toutes les heures, je me réveillais
pour me tourner et m’allonger un peu les jambes, les genoux me faisant mal. Il
a plu un peu mais avec ma toile de tente je n’ai pas mouillé.
(*) : Il doit s’agir de Henri François DEROUARD mort de
blessures de guerre à Zillebeke. Voir
sa fiche.
L’après-midi le soleil se montre un
peu.
Vers 8h du soir, sommes relevés,
allons à la butte aux Anglais.
Ai bien dormi, sommes canonnés nuit
et jour.
Rien de particulier.
Le soir allons porter de fagots dans
une tranchée, pleine d’eau, à l’endroit dit de la maison 1904. Y gagne de
revenir avec les pieds tous trempés
Heureusement j’ai 8 paires de chaussettes.
Journée tranquille.
Reçois 2 colis de la maison et un de
Mme Lefroid (abandon de biens).
Vers 9h du soir allons relever le 77,
sommes en renfort de 1ière ligne avec les Anglais, comme la dernière fois. Je
trouve ma cabane que j’avais faite occupée par les Anglais, c’est le colonel du
20ième hussard anglais qui s’y ait installé.
Je vais me plaindre au lieutenant,
d’où explication orageuse avec les Anglais.
Enfin je cherche une cabane et ai la
chance d’en trouver une bien faite, sèche et où il s’y
trouve même un bon feu. Nous sommes un peu serrés mais passons une bonne nuit.
Sommes tranquille.
Nous faisons un bon déjeuner, ayant
trouvés des pommes de terre, une boite de graisse et de restes anglais.
J’ai un bon réveil.
Je reçois vos deux lettres me donnant
des nouvelles de Raymond. Quelle joie pour moi. (*)
Suis assez tranquille à part une
corvée dans la soirée, assécher le boyau de communication. Travail à peu près
inutile car il pleut continuellement.
Vers 8h30 allons en 1ère ligne
(ancien emplacement).
Je retrouve mon abri mais creusé en
dedans, ce qui a comme résultat de le faire crouler sur moi au moment où je
m’apprêtais à me reposer. Tant bien que mal on relève la terre et très
précisément les brins de paille qui sont enfoncés dessous et je puis me
reposer.
Les Allemands doivent paraît-il
attaquer dans la nuit du 15 au 16 ou le 20 (rapporté par 2 prisonniers).
(*) : En effet son frère Raymond JAILLET qui avait été
déclaré « disparu » le 8 janvier 1915, a été fait prisonnier. Il est
interné au camp de Meschède en Allemagne. Voir sa fiche matriculaire. Se trouve-t-il sur
ces
photos ?
Il pleut toujours. La nuit, craignant
cette attaque annoncée, nous redoublons de surveillance et exécutons de
nombreux feux par salves. Nous entendons une forte canonnade du côté des
anglais.
Rien de particulier.
Un peu avant la relève, une balle tue
un caporal et blesse un homme. C’est vraiment peu de chance. Sommes relevés à 7h
par le 77, allons coucher à la butte aux Anglais.
(*) : S’agit-il du caporal Désiré PAUVERT décédé le
14 février ? Voir
sa fiche.
Sommes relevés par le 66 à 9h du
matin, nous n’étions pas prévenus, ce qui fais quelques chicanels.
Nous partons pour Ypres et après de nombreux détours, nous arrivons sans
incidents. Sommes aux casemates.
Dans la journée Ypres est bombardé.
Un obus tombe sur la place près de l’église mais ne fait pas de dégât.
Réveil à 5h du matin, allons à Potyze assister à la dégradation de 3 soldats et à
l’exécution d’un autre, spectacle pénible que j’aurai préféré ne pas voir.
(*) :
Il s’agit de Gaston Léon CHEMINEAU, 32 ans, du 135e régiment d’infanterie,
accusé de refus d’obéissance devant l’ennemi et exécuté le 19 février. Voir
sa fiche.
Extrait du JMO du
135e régiment d’infanterie
On peut
remarquer que Marcel JAILLET date l’exécution du 18 février après son arrivée à
Potyze, alors que le conseil de guerre à lieu à
partir de 9 heures. Il s’est trompé d’une journée. Curieux pour un évènement
qui doit rester très longtemps dans la mémoire !
Les
soldats qui seront dégradés, n’ont pas de grade. Il s’agira donc d’une parade
d’exécution. Les soldats sont accusés de désertion devant l’ennemi. BOUT,
BIGARRÉ prennent 20 ans de détention, DENIAU 5 ans. Il y aurait un quatrième
soldat déserteur (soldat TAUDON) au 135e régiment d’infanterie. Il est nommé le
1e février sur le JMO
de la prévôté de la 18e division d’infanterie et le 16 février les 4 noms
sont cités.
Rien de particulier, vais à la messe
de 11h, église St Jacques.
C’est
ce jour qu’à lieu la dégradation des soldats BOUT, BIGARRÉ, DENIAU et
l’exécution de Gaston Léon CHEMINEAU, à Potyze,
confirmé par le JMO.
Le
soldat TAUDAN, malade, n’a pu subir la dégradation militaire a été évacué d’urgence
sur un hôpital. (JMO
le 19 février).
Il y a eu attaque contre le 32 et les
Anglais. On nous fait monter nos sacs prêts à partir, mais nous restons.
Le major a demandé un jour de repos
en plus à cause de la grande quantité de vaccinés. Je me promène jusqu’à 1h du
matin et vais quelque part où je fais une étude de manies intéressantes :
nous étions 3 Français, un Anglais d’un flegme imperturbable, un vieux Belge
rigolo et 3 Flamandes bavardes comme des pies mais chantant merveilleusement.
Rien de particulier, partons vers minuit pour les 1ieres lignes.
Arrivons à notre emplacement, le même
que précédemment, et constatons sans joie que les boches ont pris notre place.
La veille, ils ont fait sauter une portion de tranchée à l’endroit où nous
sommes en contact avec les Anglais. Les Anglais se sont sauvés et le 66 a
contre attaqué pour repousser les Allemands.
Nous restons dans les bois jusqu’au
petit jour et reprenons nos places dans nos cabanes. Je prends possession d’une
cabane abandonnée précipitamment par les Anglais et y trouve de nombreux
« souvenirs » : tabac, pipes, allumettes, imperméables, lampes
électriques, briquets…
Nous devons reprendre ce qui a été
perdu nous dit-on. Le 1ier peloton de notre compagnie est en 1iere ligne et le
2ieme reste en renfort.
Dans la journée, une vive fusillade
se produit.
Les Allemands envoient de nombreuses
bombes. Il y a 4 blessés et 2 tués à la 9ieme compagnie (*).
Une équipe de mineurs du 135ieme mine
les tranchées allemandes mais ont beaucoup de mal à creuser les galeries qui
s’emplissent d’eau.
Le
soir, nous faisons une nouvelle tranchée en avant de la 1ière
ligne pour nous rapprocher de notre ancienne 1ière ligne occupée maintenant par
les boches. Nous avons, de la chance, il fait clair de lune, pas froid, et le
boches, soit qu’ils nous aient pas vus (ce qui serait étonnant), soit qu’ils
renforçaient eux même leurs tranchées, nous laissent tranquilles.
(*) : Les 2 tués sont :
Jean Jules Laurent Camille Joseph BARBAZAN. Voir
sa fiche.
Edouard Pierre Marie VAUGRENARD. Voir
sa fiche.
Un 3e soldat du 135e RI a été tué ce même
jour mais à Verloren Hoek
au nord de la route de Menin où était le 2e bataillon selon le JMO.
La tranchée se termine en grande hâte,
sans incident, nous recevons des compliments. Il est temps d’ailleurs, le jour
commence à poindre et la neige à tomber. Je rentre dans ma cabane prendre un
repos bien gagné.
Au soir relevons une section de la
10ieme à l’endroit dangereux, ne recevons pas de bombes, ils n’en n’envoient
pas la nuit.
Sommes relevés par le 77 vers 3h du
matin, allons à la butte.
Vais à Potyze
l’après-midi apprendre à lancer des bombes, en profite pour me restaurer un
peu.
Allons vers 2h du matin relever le
77, sommes en 1iere ligne à 40m à gauche de l’endroit où sont les boches. Dans
notre tranchée, heureusement je ne reçois pas de bombes où je suis.
Tempête, vent grêle, tous les
éléments sont déchainés, les sapins tombent à qui mieux mieux.
Toujours le mauvais temps.
Temps plus calme, toujours un peu
d’eau.
Même temps qu’hier. Un de mes
meilleurs soldat est tué dans la matinée, j’en suis
bien affligé. (*)
(*) : 10 soldats du 135e régiment
d’infanterie sont déclarés mort ce jour-là.
Vers 8h du soir, les mines anglaises
sautent, la nôtre ne part pas. Les Allemands devaient s’attendre à quelque
chose car aussitôt ils commencent une fusillade nourrie, pendant 1h environ le
feu est intense des deux côtés puis se ralentit.
A 9h du matin, notre mine saute, une
colonne de terre formidable s’élève, nous commençons la fusillade. Les boches
ne devaient pas s’y attendre cette fois car ils répondent peu.
La 10ieme compagnie saute dans la
tranchée qui vient de sauter et commence à l’arranger. C’est intenable
paraît-il à cause des bombes. Les Anglais ont évacué la tranchée et peu après
contre attaquent pour la reprendre, ce qui déchaine encore une vive fusillade.
Sommes relevés vers 8h par le 77.
je suis extenué et ne peut suivre la compagnie,
je vais directement à Ypres par le route avec deux hommes fatigués comme moi.. Cantonnons à la maison de santé, je dors toute la
journée.
Suis vacciné dans la soirée.
Messe en musique à 9h.
Nous nous entendons, avec les
sous-officiers pour manger ensemble, nous installons très bien et trouvons un
phonographe que nous faisons marcher pendant nos repas.
Vers minuit, allons relever de 77, la
compagnie reste en renfort à l’endroit dit « la butte aux lapins ».
Sommes fortement canonnés.
Faisons des corvées à journée
entière, principalement à cette fameuse maison 1904, chercher des cartouches.
Ma section va le soir renforcer la
9ieme compagnie en 1iere ligne, je suis dans un petit coin assez tranquille, et
puis ai dormi à peu près toute la nuit.
Reçois avec plaisir la lettre de
Maurice et un colis. Nous sommes toujours très canonnés. Il y a 6 blessés par
un obus, dont 3 gravement. On les mets dans ma cabane en attendant les
brancardiers, ce n’est pas gai à voir.
Dans la soirée une mine explose chez
les Anglais mais ne fait pas de victimes, les Anglais l’ayant découverte et
avaient évacué cette portion de tranchée.
Sommes relevés par le 77 vers 4h du
matin, allons à la butte aux Anglais, sommes tranquilles et me repose bien.
Rien de particulier, sauf 2 hommes de
tués dont un sergent de la 9ieme compagnie et 8 blessés à Potyze
par une de nos bombes mal lancée.
(*) : LE JMO dit :
« Au cours d’un exercice pratique de lancement de
bombes Cellerin faite par la compagnie 9/2, à Potyze, un lance-bombe a éclaté, tuant un soldat et
blessant grièvement le sergent de réserve VIVIAU de la 9e compagnie
ainsi qu’un autre soldat.
Le sergent a reçu la médaille militaire le soir même,
pour son courage et son sang-froid : « a été blessé grièvement à une
expérience de lancement de bombes, a montré le plus grand courage en repoussant
le brancard et en disant qu’on ne s’occupe pas de moi, mais des autres plus
grièvement blessé. »
Le
soldat tué est :
DELIMELE Henri Marie, mort pour la France, par accident
en service commandé. Voir
sa fiche.
Sommes tranquilles, allons faire une
tranchée vers 3h du matin.
Allons en 1iere ligne vers 11 h du
soir, les tranchées ne sont pas belles, larges boueuses et sentant très
mauvais.
Il tombe 3 bombes pas loin de notre
tranchée. Nous ne sommes guère qu’à 50m des boches.
Les boches tirent beaucoup et nous
lancent quelques bombes. On nous annonce que l’on doit faire sauter une mine
mais nous n’entendons rien.
Nous sommes assez tranquilles, les
boches ont du faire une relève car ils tirent beaucoup moins et ne lancent plus
de bombes
A 8h du soir, sommes relevés par le
77, allons coucher à la butte aux Anglais.
Partons pour Ypres vers 9h du matin,
cantonnons près de la gare, dans une maison de santé, quelques obus tombent sur
la gare car il vient des éclats jusque dans la cour de notre cantonnement.
Suis vacciné pour la 2ième fois.
Nous avons changé de maison pour manger,
l’autre étant trop loin de notre nouveau cantonnement, avons heureusement
trouvé un phonographe dans cette maison.
Musique après-midi.
Il passe de l’infanterie anglaise. Il
en a passé également cette nuit. C’est paraît-il l’armée du Lord Kitchner.
Au soir, au moment où nous nous
apprêtons à diner (un bon gigot de mouton aux haricots), il y a une alerte.
Nous allons nous équiper et retournons diner, nous passons la nuit tranquille.
Musique après-midi.
Le général vient dans notre
cantonnement et nous parle du repos. C’est la 1ière fois qu’on nous en cause
officiellement.
Le soir, une patrouille nous cause
une petite panique et nous courons comme des imbéciles. Je sème tout ce que
j’avais dans mes poches dans la boue, nous avons bien rien.
C’est aujourd’hui que nous partons au
grand repos.
A 1h nous partons et allons jusqu’à
Vlamertinghe. Nous attendons les autos qui nous prennent vers 3h, la pluie
tombe, nous montons par groupe de 20 et en route.
Voilà, à un jour près, cinq mois que
je suis en Belgique. On nous a amené en auto, et on nous emmène également en
auto ; Mais combien en reste il de ceux qui étaient venus, ou irons-nous
ensuite ? Nous ne savons pas.
Nous passons par Poperinghe,
Proven, Rousbrugge, Beveren,
Oost-Cappel, Bambecque, Herzeele, et arrivons à Houtkerque ;
Nous avons fait un grand détour. Il y a une route pour l’aller et une route
pour le retour, afin d’éviter l’encombrement, sans quoi nous aurions pris la
route directe.
Nous cantonnons dans une ferme assez
loin du bourg, nous arrivons à la nuit, il pleut, la cour de la ferme est
pleine de boue, ainsi nous sommes un peu désillusionnés.
Il pleut, du renfort arrive, il en
viendra un peu pendant quelques jours.
Il fait beau, exercices le matin,
cantonnons.
Déconsignés l’après-midi, nous allons
faire un tour à Watou, le 77 y est cantonné.
Vais à Watou l’après-midi me faire
vacciner pour la 3ième fois et dernière fois.
Me repose toute la journée, ayant un
peu de fièvre, ne me lève qu’à 11h pour manger et reste toute la journée au
coin du feu dans la maison où nous mangeons.
Cela me permet de faire
tranquillement mon journal de février et mars.
Ordre de départ inattendu vers 10h.
Comme mon épaule me fait encore mal,
je fais porter mon sac à la voiture, je ne fatigue donc pas pour faire la
marche. Il fait d’ailleurs très beau. Nous passons à Herzeele,
Wormhout, Esquelbecq et faisons la grande halte près
de Zegerscappel. On se croirait simplement en
manœuvre.
Plus de maisons écroulées, plus de
champs boueux, plus de trous d’obus. Rien que de riantes maisons avec leurs
toits rouges, que des champs bien verts ; quels contrastes, aussi nous
prenons plaisir à fumer béatement un bon cigare tout en étant étendus sur
l’herbe, ce qui ne nous était pas arrivé depuis longtemps. Nous sommes mieux
cantonnés qu’à Houtkerque, plus près du bourg, dans
des fermes plus propres et moins entassées, chaque section cantonnant dans une
ferme.
Il est probable que nous nous
déplacerons encore de façon à nous rapprocher d’un point d’embarquement
quelconque que je ne connais pas. Il ne sera donc guère possible que papa
puisse venir me voir à cause de ces déplacements continuels.
Il est probable également que nous ne
retournerons pas en Belgique, ce qui ne me déplait pas, j’y ai passé assez de
temps. Nous irions paraît-il à Belfort, et de là en Alsace, mais nous ne savons
rien d’affirmatif.
Pas d’exercice, sommes tranquilles,
il fait beau mais le vent est froid et piquant.
Il fait moins froid mais moins beau
qu’hier, le temps est couvert.
Après-midi, quartier déconsigné, nous
le devons à l’aumônier, c’est pour permettre de se confesser pour pouvoir faire
ses Pâques….
Grand évènement, je fais raser ma
barbe et couper mes moustaches à l’américaine, et je me fais passer à table
auprès d’un sergent arrivé en retard, pour Mr Masson,
fils du propriétaire du Mont Cassel, séminariste et sergent au 13.
Je fais toute sorte d’excentricités
et nous divertissons énormément.
Il fait beau aujourd’hui, rien de
particulier. Exercices habituels.
Douches le matin, mais je n’y passe
pas malgré mon grand désir, la salle dans laquelle on se déshabille n’étant pas
très bien aménagée.
Après-midi,
allons jusqu’à Arneke faire du service en campagne.
Le temps n’est pas beau, il pleut.
Grande messe le matin, à laquelle je n’assiste
d’ailleurs pas, j’arrive en retard et ne peut rentrer. Il y a du monde, même
devant la porte. Je vais en face avec mes camarades, le sergent-major, faire
une partie de carte et prendre un apéritif au café.
Après-midi :
jeux, course à pied, course de chevaux, course en sac, etc. concert…. Le temps
n’est pas très beau. On ne se croirait plus en guerre et pourtant dans quelques
jours nous serons au feu de nouveau.
Le
soir à table, tout le monde fait couper ses moustaches à
l’américaine : A diner nous apprenons que le commandant de la compagnie a
fait couper sa barbe. Au matin il m’a dit que, décidemment, les sous-officiers
de la 11ieme compagnie voulaient se rajeunir et que lui aussi allait être
obligé de la faire couper puisque je l’avais fait.
Nous sommes des sous-officiers chics.
Nous nous imposons par notre élégance (mince abus) et les officiers sont
obligés de faire comme nous pour ne pas paraître ridicules vis à vis de nous.
Je propose aussitôt que tout le monde se fasse couper les moustaches à
l’américaine et aussitôt ma proposition est acceptée, à part quelques
récalcitrants à grandes moustaches qui feront d’ailleurs comme nous, il le
faudra bien.
Un de nous, coiffeur de métier prit
immédiatement une paire de ciseaux, et un quart d’heure après nous sommes tous
des gentlemen à part deux « juteux » qui font les récalcitrants,
aussi on les casque fortement pendant 1/2 heure, quel vacarme messieurs.
Demain au rassemblement de la
compagnie, nous ferons sensation et je suis sure que messieurs les officiers
ferons comme nous. Que nous sommes enfants…..
11h du soir, je fais ma lettre à la famille, au moins je suis tranquille.
Chers parents,
« Au reçu de la lettre de papa, j’avais
envoyé aussitôt une carte suivie de cette mention : lettre suit.
J’ai attendu jusqu’à ce jour pour le
faire, ce n’ai pas que le temps me manque malgré les exercices que nous faisons
matin et soir, mais notre temps disponible est surtout pris par nos repas qui
durent 2 à 3 heures. Nous ne mangeons pas pendant 3 heures, bien entendu, mais
nous discutons ferme et je ne suis pas le dernier à me faire entendre, c’est
pire qu’à la chambre des députés. De plus nous nous divertissons le mieux que
nous pouvons.
Vous permettez, puisque j’ai commencé
stupidement par des bêtises de vous faire le récit de notre occupation depuis
notre départ d’Houtkerque. Je terminerai ensuite par
les choses sérieuses, je vais le faire sous forme de journal.
Avant de commencer, je fais un petit
éclaircissement, tous les officiers et presque tous les sous-officiers
portaient le bouc avant le repos et les sous-officiers, à part moi, le
réfractaire, le brigand turc, je m’abstenais à porter une barbe malgré la
colossale campagne menée contre moi.
Je l’ai d’ailleurs coupée avant hier,
voulant vous envoyer une photographie potable de ma personne. Mais il n’y a pas
de photographe dans le pays, donc impossible de vous envoyer ma tête.
Nous ne sommes plus à Ypres, il faut
attendre l’occasion, si elle se présente. Je regrette beaucoup ne pouvoir vous
donner immédiatement satisfaction, peut-être l’occasion se présentera-t-elle,
je l’espère. Passons donc à l’emploi du temps du 1ier avril à ce jour.
Jeudi 1ier avril :
Grand événement. Je ne dis rien à
personne et me présente à la table des sous-officiers, au dîner, avec mon
imperméable anglais, ma barbe rasée, et mes moustaches coupées à l’américaine.
On ne me reconnaît pas d’abord et ensuite je fais sensation et suis reçu avec
des applaudissements répétés.
Voici où l’histoire est drôle :
un sergent devait emmener ce même soir un de ses amis à dîner. Cet ami, Mr masson, sergent également, séminariste
et propriétaire du Mt Cassel, donc très riche, n’était pas là.
Deuxièmement, un sergent de chez nous
était en retard au dîner. Une idée germe immédiatement dans nos cerveaux. Je
vais faire l’invité, je prends donc une casquette, des lunettes et me mets à
gauche de l’ami de l’invité. Le sergent manquant étant à sa droite
ordinairement. Ceci posé, le retardataire arrive, on me présente : mon
cher VallÉ, je te présente Mr Masson, propriétaire du Mont Cassel, en
permission chez lui, et venu en auto pour dîner avec nous.
Bonjour monsieur...bonjour monsieur….
Et nous nous mettons à table. Le dîner fut inénarrable, il était convenu que je
fasse toutes les excentricités voulues, étant un peu myope, je mangeais ma
soupe avec une fourchette, la viande avec une cuillère, etc...
De plus, j’avais fait dire à
l’assistance que l’on m’excuse, je mangeais et buvais très peu, ce qui ne m’a
pas empêché de boire de nombreux verres de vin, scandalisant ainsi le sergent
non prévenu, car n’oublions pas que j’étais séminariste. De plus la
conversation devait être descente, vous pensez si nous nous amusions.
Le plus intéressant, c’est que ce
sergent qui ne savait rien, grand buveur et grand jureur devant l’Éternel, a
fait des efforts surhumains pour ne pas lancer les 20000 « nom de
dieu de bon dieu» car il y en a toujours beaucoup mais de plus il s’est
privé de vin pour me faire boire, voyant que malgré ce que j’avais dit je
prenais du vin et il m’en servait voulant me faire prendre une cuite.
Jugez de son désappointement lorsque
je me suis fait connaître.
Voyez comme cela m’avait changé, nous
vivons tous les jours ensemble, il était à côté de moi et il ne m’a jamais
reconnu.
Il faut que je vous dise que pour
expliquer mon absence, j’étais couché, ayant bu plus que de raison et il était
vraiment intéressant d’entendre les réflexions qu’il faisait à mon sujet.
C’est une soirée inoubliable, BarrÉ n’aurait pas fait mieux et j’ai
reçu des compliments pour la façon dont j’ai tenu mon rôle.
Je change maintenant de sujet. Pour
l’héritage, j’estime que papa a raison d’y renoncer. Quand ce ne serait que pour
la question argent, il faut compter plus que jamais malheureusement, surtout
que la mort de mon grand-père vous a causé pas mal de frais.
Pour ma photographie, il n’y a pas de
photographe ici. Donc impossible pour le moment. Je regrette beaucoup de ne pouvoir
faire ce plaisir à maman, j’attends l’occasion si elle veut venir.
Je vous ai envoyé : ma carte
d’état-major, un jeu de cartes belges et un mouchoir que j’avais pris dans unsac de Boche à Prones, le tout
par paquet poste. Mon imperméable et ma lampe électrique par postal domicile
remis avant-hier.
J’ai risqué le coup car cela peut
être considéré comme effets militaires, anglais il est vrai, mais il est
défendu d’envoyé des effets militaires. Enfin tant pis, au petit bonheur la
chance, il n’y a cas ne rien dire.
Une fois le colis reçu, s’il arrive,
tout sera dit.
Quand je l’ai eu, il était tout neuf,
mais je l’ai porté un peu, il n’y a eu qu’à détacher à l’essence et ôter les
taches de boue qu’il y a dessus. Papa pourra s’en servir pour voyager, s’il le
juge à propos.
J’ai ôté les piles de la lampe, il y
en avait 3, elles ne marchaient plus et cela faisait du poids. (C’est la marque
Teck je crois).
Vous voudrez bien m’écrire aussitôt
le tout reçu pour que je puisse réclamer si le colis n’arrivait pas.
Reçu ce jour une carte-lettre de
Maurice et un colis de Mme Jouet
contenant deux boites de conserves de chocolat et des cigarettes.
Plus rien à vous dire, suis en bonne
santé. Bonne chance à Maurice. Si sa classe est appelée, qu’il évite
l’infanterie, mieux vaut la cavalerie à l’infanterie en ce moment.
D’ailleurs, s’il est si grand et si
maigre qu’il me le dit il est probable qu’il n’ira pas.
Votre fils qui vous aime et vous
embrasse de tout cœur.
Marcel
Mauvaise journée, il pleut sans
discontinuer et n’allons pas de cette façon à l’exercice.
Changeons encore de cantonnement.
Partons à 6h le matin, le temps n’est
pas trop vilain, passons par Bollezeele, Merckeghem, Watten, Éperlecques.
Faisons la grande halte près de Houlle.
Après-midi,
très mauvais, vent, pluie, tempête, nous devons repartir demain matin
paraît-il.
Je me repose assez bien après avoir
mangé une soupe au lait et deux œufs sur le plat.
Partons à 7h, temps assez beau,
passons par Moulle, Petit Difques,
Moringhem.
La marche est très fatigante,
beaucoup de côtes. Il y a des panoramas superbes dans lesquels des moulins à
vent mettent une note très pittoresque.
Grande halte près de Quelmes, passons par Quelmes, la
pluie tombe serrée ; Lumbres, Elnes, Assinghem (Wavrans), Wavrans, Remilly-Wavrans où le 77
est cantonné.
La pluie cesse tout de même.
Cantonnons à Cléty,
il est 6h du soir, c’est un trou où nous ne trouvons rien, il y a juste 2
cafés.
Partons de Cléty
à 7heures, passons par Ouve-Wirquin, Merck St Lievin, Hervare (St Martin d’Hardinghem),
St Martin d’Hardinghem, Fauquembergues
(pays assez fort, 882 habitants, c’est le marché, il y a beaucoup de monde, cela
nous fait plaisir, nous nous sentons vraiment en France), Fruges.
Grande halte passé Fruges
Arrivons vers 5h à Canlers où nous cantonnons. Comme d’ordinaire nous avons eu
des giboulées pendant la marche (pluie, grêle, vent très violent).
L’après-midi est assez belle.
Départ de Canlers,
à 6h30, passons par Ruisseauville.
Traversons les champs de bataille
d’Azincourt, Rollancourt, Incourt,
Neulette.
Arrivons au cantonnement vers 2h à Fillievres. Pour ne pas changer, avons encore quelques averses.
Repos à Fillievres,
avons beau temps.
Bien chers parents.
Aujourd’hui repos, nous ne marchons
pas, je n’en suis pas fâché, je me suis bien reposé cette nuit et aujourd’hui
cela va bien. J’ai été aux violettes ce matin, il y en a beaucoup ainsi que des
coucous. J’en envoie quelques une à maman.
Comme souvent je n’ai rien de nouveau
à vous apprendre. Je vous ai envoyé 2 petites lettre hier soir, vous ne manquez
donc pas de nouvelles. J’attends de vos nouvelles avec impatience, nous n’avons
pas eu de lettre depuis 2 jours, j’espère en avoir ce soir. Et demain une autre
lettre.
Votre fils qui vous aime et vous
embrasse de tout cœur. Je serai heureux que Maurice m’écrive une longue lettre.
Marcel.
Réveil à 4h1/2.
Départ à 5h45, le temps est beau.
Passons par Petit Fillievres, Aubrometz,
Conchy-sur-Canche, Bonnières,
grande halte à Bouquemaison où nous cantonnons.
Il est 2h et je ne suis pas trop
fatigué.
Repos, nous avons beau temps
Messe en plein air, le matin, pour
les morts laissés en Belgique.
L’aumônier nous a rappelé tous nos
camarades tombés si loin de chez eux et je n’ai pu m’empêcher de pleurer en
pensant à tous ceux que j’ai connu et qui ne sont plus.
Rien de particulier (temps pluvieux).
Exercices, faisons un peu de service
en campagne.
Rien de particulier, beau temps.
Bien chers
parents
« Reçu hier votre carte lettre
du 13, suis heureux de vous savoir en bonne santé et d’avoir de bonnes
nouvelles de Raymond.
Suis toujours bien portant et au repos
depuis quelques jours, nous avons beau temps maintenant. Je vous ai envoyé
plusieurs lettres depuis celle que vous avez reçue en dernier, elles auront
probablement subies du retard.
Je n’ai rien de bien nouveau à vous
raconter, je serai content que Maurice m’envoie une longue lettre, comme il le
fait habituellement, cela me désennuierai un peu.
Votre fils qui vous aime et vous
embrasse de tout cœur.
Marcel »
Envoi de Jaillet/sergent/ régiment : 135e régiment d’infanterie. 11e
compagnie.
Exercice après-midi, nous faisons en
manœuvrant une belle promenade dans les bois.
Je suis heureux, aucun bruit de coup
de canon, aucun coup de fusil, quel calme.
Repos.
Suis de jour, me repose toute la
journée de toute façon.
Réveil à 5h, partons à 6h, devons
faire des tranchées devant le service de démonstration. Mangeons sur le
terrain, rentrons vers 6h, avons eu heureusement une belle journée.
Exercice d’attaque dans les tranchées
que nous avons fait la veille, rentrons vers 11h, après-midi tranquille.
Partons de Bouquemaison
vers 11h du soir.
Je quitte ce pays avec regret, ayant
fait connaissance avec une famille de braves gens, réfugiée de Boyelles (Pas de Calais), envahi par les Allemands. C’est
avec regret également qu’ils me voient partir.
Passons par : Le Souich, Ivergny, Sus-Saint-Léger.
Grand-Rullecourt et cantonnons à Beaufort où nous
arrivons assez fatigués vers minuit.
Beaufort. Rien de particulier, le
canon a donné sans arrêt toute la nuit.
En ligne droite, nous ne sommes guère
qu’à 19km du front.
Rien de particulier, le canon a donné
beaucoup cette nuit.
Départ de Beaufort à 12h.
Rassemblement sur la route.
Attendons jusqu’à 4h les autos qui
viennent nous chercher. Nous retournons en Belgique paraît-il, ce qui ne me
plait guère. Nous devons aller à Ypres, repousser les Allemands qui ont avancé
de 4km par St Jean.
Passons par Avesnes-le-Conte/Givenchy-le-Noble/Villers-sur-Simon/
Penin/Tincques/Chelers/ Monchy-Breton/ La Thieuloye/ Pernes-en-Artois/ Floringhem/Cauchy-à-la-Tour/Burbure/ Lillers.
Beaucoup d’Anglais dans ces
localités, les gens sont très aimables et nous lancent dans les voitures
cigarettes, chocolat, oranges.
Saint-Venant/Morbecques/Hazebrouk où nous essayons de nous arrêter mais on donne
l’ordre au conducteur de faire le plein d’huile et d’essence, ce qui nous
laisse à penser que nous allons plus loin.
Steenvoorde/Poperinghe.
Arrivons à Cromberke, au nord-ouest d’Ypres.
Il est 3h du matin, nous nous
arrêtons dans un champ, les uns se couchant pour si peu de temps, et avec le
brouillard et la terre humide je préfère aller dans un café où je suis bien au
chaud.
Couchons dans un champ en plein air,
comme la terre est très humide, je préfère aller dans un café jusqu’au jour.
Je m’informe de ce qui s’est passé
car nous ne devions pas retourner dans ce pays : vers 5h du soir les
Allemands, profitants du vent employèrent du gaz asphyxiant composé surtout de
vapeurs de chlore (*).
Nos troupes durent reculer à Boesinghe et les boches allèrent jusqu’à Zuydschoote en traversant le canal et les artilleurs
tirèrent tous leurs obus et abandonnèrent leurs pièces (75 et 90) qui ne furent
pas en possession des Allemands. Elles restèrent entre les 2 lignes.
Les Zouaves eurent beaucoup de
pertes. Les cyclistes allemands débouchèrent jusqu’à St Jean, faubourg d’Ypres.
Ypres fut canonné comme jamais il ne l’avait été. Les Anglais, surtout la
cavalerie canadienne, se conduisirent très bien et vinrent très vite et
nombreux, 6000 environ (on parle de 6000 comme pertes de notre côté, il est
difficile de savoir exactement).
Nous partons vers 11h dans la direction
de Lizerne occupé par les Allemand et où se trouve le
pont qu’ils tiennent. Sommes en réserve de brigade.
Je ne suis plus habitué au canon et
les premiers coups me mettent les jambes molles comme de le
guenille. Cela dure 20mn environ et je me ressaisi. Nous avons la chance de
nous trouver dans une assez bonne zone et ne sommes pas trop canonnés.
Vers le soir nous venons faire les
tranchées derrière Lizerne que les Allemands ont
abandonnées (les tranchées sont pleines de cadavres que le 79 a fauché. Nous occupons les tranchées que nous venons de
faire.
(*) : Il s’agit de la première attaque au gaz des
Allemands. Elle a eu lieu le 22 avril 1915. Voir
ici.
De 2h du matin à 10h du soir,
subissons une canonnade intense par de la grosse artillerie. Pas un blessé,
c’est un miracle.
Du coté des Anglais, à notre droite,
la canonnade est très violente. Il y a, paraît-il, dans le 1ier et le 2ieme
bataillons, 500 hommes hors de combat et plusieurs officiers sont notre
commandant et notre colonel (notre 7ieme depuis le début de cette guerre). (*)
(*) : Colonel AUDIAT-THIRY.
L’historique précise : 106 hommes tués, 226 blésses, 12 disparus.
Rien de particulier le matin.
Vers 11h du soir, ma section reçoit
l’ordre d’aller renforcer le 418 en première ligne. Nous partons et restons
entre les 2 lignes sans savoir où aller, bien mieux le 418 ne sait seulement
pas ce qu’il veut faire de nous.
Après 3 heures passées dans des
transes terribles, nous revenons, après avoir été canonnés d’une façon
épouvantable par des obus gros calibre. Avons 4 blessés. Nous trouvons notre
emplacement puis, par la 2ieme section de route, trouve mon petit coin, que j’avais
arrangé pour avoir le maximum de sécurité, est occupé par les lieutenants de
cette section . Je ne suis guère satisfait.
J’avais fait une tranchée étroite,
profonde et couverte avec des planches et de la terre pour me protéger dans
éclats d’obus.
Je vais faire, à regret, un peu plus
à droite, dans une tranchée moins bonne et déjà occupée par les Zouaves.
Vers
9h du soir, nous subissons un bombardement effroyable comme jamais
je n’ai vu. Nous sommes fous par le bruit épouvantable.
Les gros qui soulèvent la terre et
font tout trembler et la lueur des feux qui nous aveugle. J’ai un mal de tête
terrible. Nous attendons la mort à tout instant.
Après plusieurs heures, nos 75
ripostent à leur tour. La fatigue me prend et je m’endors sous cet ouragan de
fer et de feu.
Je ne me réveille qu’au jour, tout
est calme, le soleil est radieux, quelle vie….quel cauchemar.
Avons eu hier soir 2 tués et 3
blessés.
Carte de situation secteur d’Ypres
du 26 avril au 5 mai
Avec situation du 135e régiment
d’infanterie (JMO 18e DI)
Journée relativement calme par
rapport aux jours précédents. Toujours quelques canonnades de temps à autre
pour nous rappeler qu’ils sont toujours là.
Sommes relevés vers le milieu de la
nuit, allons plus en arrière, dans des tranchées bien entendu.
Je couche dans une ferme qui se
trouve et puis me repose un peu à mon aise. (Nous avons subi pendant ces 4
jours une pression nerveuse très forte et sommes comme abrutis ; De
nombreux soldats sont malades. A notre compagnie, 2 officiers et 5
sous-officiers sont malades par suite de l’ébranlement nerveux qu’ils ont
subi).
Me réveille d’assez bonne heure et me
débarbouille avec plaisir. Je suis plein de terre. Je me douche la tête pour me
remettre les idées plus nettes et je me trouve un peu mieux. Allons dans
l’autre tranchée plus à gauche. Nous sommes trop près du général et il tombe
assez d’obus où nous sommes. Trouvons de bonnes tranchées pas canonnées.
Le temps est magnifique, faut-il être
à la guerre ?
Je mange une bonne soupe et des
haricots. J’aurais dû dire je dévore, car depuis 4 jours je ne mange qu’un peu
de pain sec et de l’eau, ne pouvant digérer le « singe ».
Ce
soir, nous mangeons du cochon, il y en avait dans la ferme,
nous en avons tué un.
L’après-midi je vous fais cette
lettre et vais me reposer à l’ombre de quelques sapins proches de ma tranchée.
Quel changement avec hier, à 3km le combat continue toujours. Nous retournerons
à la fournaise.
Les 9ieme et 12ieme compagnies sont
peut être attaqué ce soir, probablement ce sera notre tour demain. On parle ce
soir de 1200 morts au 135, il n’y a presque plus d’officiers.
On nous laisse qu’un lieutenant sur
quatre, les autres vont chacun commander une compagnie.
Journée tranquille, partons vers
minuit pour la 1iere ligne, le long du canal de d’Yser avec les Belges. Sommes
devant Lizerne que les Allemands avaient pris.
Nous nous trouvons près de la tête de
pont de Steentraat.
Prenons position dans les tranchées,
environs 30m derrière les 1ieres lignes occupées par les Belges. Sommes
exactement le long de l’Yperlée, petit cours d’eau
qui suit parallèlement le canal de l’Yser.
Nous devons, paraît-il, attaquer
leurs positions pour les refouler de l’autre côté du canal. Nous allons voir
dans la tranchée de 1iere ligne d’où nous devons partir.
Il y a de nombreux morts du 139,
entre les 2 tranchées ; ils ont été fauchés par les mitrailleuses boches
que nous ne tardons pas à découvrir derrière les blockhaus de sacs et de terre.
Il n’y a donc rien à faire tant que
ces mitrailleuses existeront en place. Les 1ier et 2ieme bataillons se sont
déjà fait décimer en attaquant, il est inutile que nous allions nous faire
massacrer. Nous nous réservons donc pour ce que nous allons faire au moment où
on nous donnera l’ordre de passer par-dessus la tranchée ; d’ailleurs, les
hommes ne veulent pas marcher.
Nous n’attaquons donc pas et les 75
canonnent fortement leurs tranchées pour détruire si possible leurs
mitrailleuses.
Dans
la soirée, l’artillerie allemande tonne sur nous de façon
épouvantable et nous avons des morts et blessés en quantité. Je ne dois mon
salut qu’en me réfugiant en 1iere ligne, le plus près possible des tranchées
allemandes.
J’y passe la soirée et toute la nuit.
Mai 1915 à Ypres : Photographie de soldats anglais avec des
soldats du 135e régiment d’infanterie.
Cette photo n’appartient pas à la collection de Marcel JAILLET
Je vais chercher la soupe en arrière
avec une corvée, j’ai la chance de ne pas être canonné. Cela me passe une
matinée hors des tranchées et j’en profite pour bien manger.
Dans
la soirée, pour 4 heures, ordre d’attaquer pour notre bataillon. La
11ieme compagnie doit partir la 1iere. Pour les raisons données plus haut, nous
rendons compte à notre commandant de compagnie que nous ne passerons pas la
tranchée tant que les mitrailleuses allemandes ne seront pas détruites.
Nous n’attaquons donc pas, les
chasseurs vont nous remplacer probablement ce soir.
Nous devons rester encore 24 heures
et nous ne serons remplacés que demain soir, allons en 1iere ligne où nous
recevons une quinzaine de bombes qui ne blessent heureusement personne.
Matinée calme, après-midi, les 75
tonnent fortement sur la position avancée des boches devant Lizerne
et le pont de Steentrast ; C’est effrayant et
nous devons évacuer une bonne partie des tranchées que nous occupons près des
boches pour ne pas être touché par les éclats du 75.
Les chasseurs doivent attaquer mais
leur essai ne réussit pas. Ils ne sont passés que 5, ont avancé jusqu’à la
1iere ligne allemande et sont revenus ; Ils n’ont reçu de coup de fusil
qu’en revenant. C’est dommage qu’ils n’aient pas avancé d’avantage, peut-être
auraient ils réussi. Enfin le résultat est encore nul et les chasseurs ont 3
tués.
Les boches ont vraiment la peau dure
après les violents bombardements subis depuis quelques jours, les 75 tombent à
même dans les tranchées, il y en a toujours.
Les chasseurs se retirent en 2ieme
ligne et nous reprenons la 1iere ligne. Sommes relevés à 8h du soir, allons en
arrière, mangeons une bonne soupe et nous en allons, heureux de quitter ces
lieux d’horreur et de carnage et espérant ne plus revenir dans cette Belgique.
Après avoir marché toute la nuit,
arrivons près de Roussebruges, où nous cantonnons,
sommes très fatigués, je me lave avec délice, nous sommes tellement sales.
Avons vraiment pas de chance, on repart encore ce soir.
Partons à 9h, faisons quelques
kilomètres et prenons des autos. Je monte à côté du conducteur, je ne suis donc
pas trop mal, cela nous fait tout de même deux nuits blanches.
Arrivons vers 1h de l’après-midi à Caucourt, près d’Arras, on est extenué. On bien du mal à trouver un cantonnement. On
change au moins 2 à 3 fois de grange.
Enfin, je puis, après un bon diner,
me reposer comme il faut toute la nuit.
Me lève à 9h30, avons repos
aujourd’hui.
La canonnade fait rage, c’est ici que
nous devons faire la trouée.
Messe le matin en plein air, le
spectacle est imposant. Nous recevons deux détachements de renfort, une du 66,
une du 139, évacués et classés 1915.
Partons vers 4 heures pour nous
rapprocher des lignes, les boches ayant reculés de 9km environ, notre brigade
est en réserve. Nous restons dans un champ, à proximité de Cambligneul,
mangeons la soupe et allons tout de même au village de Cambligneul
où nous devons bivouaquer, et nous finissons tout de même par coucher dans une
grange. En profite pour bien dormir.
Nous formons les faisceaux dehors
près de Cambligneul. Partons vers 2h vers l ligne de feu, nous arrêtons dans un bois prés de St Eloi.
Il y a des batteries d’artillerie lourde en quantité.
Sommes assez tranquilles, recevons
seulement 2 obus, passé une bonne nuit en plein air.
Restons dans le bois, la canonnade
fait rage. Partons vers 4heures pour aller en ligne, allons d’abord dans
l’ancienne tranchée de 1iere ligne des boches (tranchée taillée dans la terre
et très profonde), empruntons pour nous y rendre un long boyau dans lequel nous
rencontrons de nombreux zouaves et tirailleurs blessés qui s’en reviennent.
Du 1ier étranger, il ne reste qu’un
bataillon sur 11. Nous avons éprouvé de nombreuses pertes dans cette offensive.
Il y a de nombreux cadavres sur le
champ de bataille. L’artillerie est placée en plein champ, en rase campagne.
Partons à la nuit, plus en avant,
nous nous perdons sur la route de Béthune-Arras. Le capitaine est arrivé avec
seulement une demi-section dans la tranchée, il est obligé de revenir nous
chercher. Le chemin est dangereux, il n’y a pas de boyau pour se rendre à la
tranchée et la plaine est battue continuellement par les obus et les
mitrailleuses. Nous devons nous baisser souvent à cause des fusées éclairantes
que les boches lancent continuellement.
Arrivons enfin à la tranchée que nous
devons creuser car elle et peu profonde. Ne savons même pas si nous sommes en
1iere ou 2ieme ligne, ce qui fait que nous avons tiré sur des Français qui sont
en avant de nous.
Me suis un peu reposé.
L’artillerie fait rage des 2 cotés.
Neuville-Saint-Vaast, qui se trouve en avant et à notre droite est en feu. Les
Boches et les Français occupent le village par moitié, incendie partout.
Derrière nous deux meules de paille
sont en feu, il s’y trouve de nombreux blessés derrière qui mourront
carbonisés. Impossible d’aller les chercher, les mitrailleuses tirant sans
relâche.
Avec les fusées, la nuit, c’est un
spectacle féérique et sinistre. Faisons un boyau partant de notre tranchée pour
aller à l’arrière une fois le calme revenu un peu.
En jour, nous restons tapis dans le
fond de notre tranchée pour éviter les éclats d’obus car ça tombe tout autour
de nous. Je mange du chocolat avec des biscuits, n’ayant pas touché de pain et
ne pouvant digérer le singe.
Heureusement mon colis est arrivé à
temps.
Il pleut, nous tendons nos toiles de
tente au-dessus de nous, sommes toujours fortement canonnés. Avons tout de même
touchés du pain, une boule pour trois et du vin, un demi quart par homme, c’est
maigre, aussi on tire la langue et on en est réduits à boire l’eau qui se
trouve sur nos toiles de tentes, ce qui a un goût douteux.
Me repose assez bien la nuit.
Il pleut toute la journée, aussi on
est tapi dans notre trou et on n’en bouge pas, toujours canonnés bien entendu.
Dans la journée violente canonnade à
notre gauche, mes troupes reprennent Le Souchez et font des prisonniers.
Devons être relevés à 9h par un
régiment du 20ieme corps, n’y sommes qu’à 3h du matin, on trouve le temps long.
Nous allons au repos prés de St Eloi, (probablement serons dirigés ensuite
autre part), en passant près des meules de paille qui ont été incendiées.
Nous voyons de nombreux cadavres de
blessés qui ont été carbonisés.
Encore une fois je me sors d’un
endroit où beaucoup y sont restés, peu de notre régiment cette fois.
Nota :
Ce récit peut
être mis en relation avec deux autres témoignages de soldats du même
régiment :
Lieutenant-colonel Georges
GRAUX des 135e et 60e régiments d’infanterie : Ici.
Caporal ROCHERAU caporal au
135e régiment d’infanterie : Ici.
Je désire
contacter le propriétaire du carnet de Marcel JAILLET
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soldats 14/18
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témoignages de guerre 14/18