Carnet de guerre de Bernard Auguste Roger LACOSTE

du 52ème régiment d’artillerie de campagne, 1ère batterie, 1ère pièce

 

Mise à jour : Mars 2021

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En tenue blanche, Bernard LACOSTE, maréchal-ferrant au 52e régiment d’artillerie de campagne (52e RAC)

 

Philippe nous dit :

 

« Ayant vu sur votre site que vous n'avez pas d'éléments sur le 52ème d'artillerie de campagne au début de la guerre, je vous communique le récit de mon grand-père, Bernard LACOSTE (toujours appelé Roger LACOSTE), de Sauternes, second-canonnier à la 1ère batterie.
Je possède la pièce manuscrite de sa main, une lettre à sa famille, qui authentifie le récit.

Malheureusement, le reste de ses notes a existé, selon ma grand-mère, mais ne lui ont jamais été montrées ou remises. Dommage ! »
Philippe S.

 

 

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Prélude

 

 

Roger LACOSTE est né à Sauternes (33) en août 1893. Il est maréchal-ferrant, comme son père, à ses 20 ans au moment de son incorporation au 52e régiment d’artillerie de campagne d’Angoulême.

Le 52e régiment d’artillerie de campagne est composé de 4 groupes d’artillerie, chacun composé de 4 batteries. Ce régiment est l’artillerie du 12e corps d’armée.

Roger LACOSTE est donc dans la 1e batterie du 1e groupe. Cette batterie composée de 4 canons est commandée par le capitaine LANAVÉRE.

La 1ère batterie compte 2 officiers, 21 sous-officiers, 172 hommes de troupe et 186 chevaux. Ces chiffres comprennent aussi l’effectif de l’état-major du 1e groupe. À titre d’information, un régiment d’artillerie à 4 groupes comprends environ 2200 hommes, 2000 chevaux, 48 canons, 80 voitures hippomobiles. En déplacement sur la route il forme un « train » d’environ 10 km.

 

Tous les récits d’artilleur, comme celui de Bernard LACOSTE, utilise des termes propres à l’artillerie, comme " batterie ", " groupe ", " échelon ", " pièce ", " avant-train " , pour comprendre ses termes, allez voir sur mon site ici.

J’ai ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit.

 

 

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Début des écrits

 

1er août

12 heures. L'ordre de mobilisation date du 2 août arrive.

Vif enthousiasme au quartier.

2 août

6 heures du matin. Départ du quartier pour le cantonnement de la Tour Garnier.

3-4-5-6 août

Préparatifs pour le départ.

7 août

Départ du cantonnement. Nous avons garni de feuillages nos voitures, des femmes et des jeunes filles nous apportent des fleurs.

Traversée de la ville d’Angoulême, tout le long du parcours, ce ne sont que des souhaits de bon courage et de victoire, arrivons à la gare, couverts de fleurs.

L'embarquement du matériel et des chevaux se fait rapidement. Nous déjeunons.

Départ à 13 heures 27.

Nous avons accroché nos bouquets aux portières des wagons.

À chaque halte les gens et surtout les jeunes filles nous apportent des bouquets et des petits drapeaux, et ils nous souhaitent victoire, nous les remercions en leur envoyant des baisers et des chants patriotiques.

8 août

Toujours dans le train, mêmes acclamations.

9 août

Arrivée dans l'après-midi à la gare de Sommeilles, débarquement, puis traversons Givry-en-Argonne, Remirecourt et puis nous allons cantonner à Dampierre-le-Château.

10 août

Cantonnés à Dampierre-le-Château.

Départ dans la journée.

Arrivons à Vraincourt.

11-12-13 août

Cantonnes à Vraincourt, rien.

14-août

Le matin, partons de bonne heure, traversons Les Joliettes, Clermont-en-Argonne.

Traversée de la forêt de l'Argonne.

Arrivons à Varennes, cantonnons.

15 août

Nous partons toujours de bonne heure, allons à Doulcon, cantonnement.

Nous voyons pour la première fois des avions allemands. Les fantassins tirent dessus et on réussit à en descendre un.

16 août

Départ de bonne heure.

Devons nous arrêter à Stenay. Contre-ordre, continuons notre route, allons cantonner à Martincourt.

17-18-19-20 août

Cantonnement à Martincourt.

Journées passées agréablement.

21 août

10 heures : Alerte, nous partons puis traversons une forêt.

Arrivons à Blagny. Très bien reçus par tout le monde.

22 août

De bonne heure quittons Blagny.

Traversons Carrignan, Les Deux Villes, le Tremblois, puis la frontière belge, en passant devant le poteau. (*)

Beaucoup de faits à relater.

Traversons Florenville, La Cuisine, puis entrons dans la forêt d'Herbeumont.

Allons mettre en batterie au-delà de St Médard, ne tirons pas.

Cantonnement le soir dans un pré mouillé, près d'un moulin.

 

(*) : Le poteau frontière.

23 août

Allons mettre en batterie, près de la gare de Straimont.

Repérés par des avions Allemands, nous n'avons pas le temps de tirer, car nous recevons le baptême du feu. (*)

Sommes obligés de nous replier devant le feu de l'artillerie lourde allemande. Nous sommes tous désemparés devant l'éclatement de leurs obus qui nous accompagnent pendant plus d'un kilomètre.

C’est miracle que personne ne soit atteint, nous retournons en arrière, retraversons La Cuisine, puis Florenville.

Là, nous  mettons en batterie croyant voir les Allemands ; enfin nous reprenons le chemin de France.

Traversons le Tremblois, Les Deux Villes, cantonnons un peu plus loin.

 

(*) : C’est exact, le régiment n’a pas eu le temps de tirer un seul coup de canon. Les échelles-observatoires étaient déjà dépliées, un bombardement allemand mal réglé (il y avait du brouillard) commence. Un ordre de repli arrive et le régiment quitte précipitamment la région de Straimont en Belgique.

24 août

Nous allons mettre en batterie entre les Deux Villes et Blagny.

Toute la matinée nous tirons faisant d'assez bons cartons.

Mais l'après-midi, changement de décors, les Allemands ripostent, notre capitaine est blessé au bras droit. (*)

Nous sommes obligés de lâcher notre position, devant la rafale d'obus, ayant été repérés par les avions.

On se repliait quand un officier de chasseurs, officier d'état-major, nous le défends par ordre du général commandant l'armée.

Les fantassins, drapeau déployé, clairon sonnant la charge, montaient à l'assaut, baïonnettes au canon. Aussitôt à nous autres de crier " en avant " et avons mis aussitôt en batterie.

 

Il y avait une dizaine de pièces qui crachaient sans arrêt, puis la 3eme batterie, et ensuite la 1ere ont grimpé la colline au galop, allant mettre en batterie presque au sommet de la colline, et on activait les chevaux le plus que l'on pouvait.

Nous passons devant le général qui nous crie :

" Bravo les artilleurs, vous faites plus que votre devoir ".

 

On ne craignait rien, nous avons eu un conducteur blessé, c'est une journée qui peut se compter dans la campagne.

Nous reprenons la route à travers champs, marchant toute la nuit, nous retraversons Stenay, ayant nos voitures chargées de fantassins blessés, nous arrivons à La Neuville vers 2 heures du matin où nous cantonnons.

 

(*) : Capitaine LANAVÈRE.

(**) : Canonnier-conducteur LAGUILHOUAT.

25 août

Nous partons vers 9 heures du matin, nous allons cantonner à côté d'un moulin, nous couchons dans nos voitures.

26-27 août

Nous allons mettre en batterie aux alentours de Beaumont, nous tirons au-delà de la Meuse pour empêcher l'ennemi de la traverser.

Nous passons la nuit en position, nous avons couché sous nos voitures, nous nous réveillons tout mouillés. Nous ne tirons pas beaucoup, puis nous allons bivouaquer vers la Besace.

Nous couchons à côté des pièces, les chevaux attelés.

28 août

Nous parlons de bonne heure traversons la Besace, Yoncq, la Bagnolle, Home ( ?), nous revenons sur nos pas, arrêtons à Beaumont.

Nous voyons pour la première fois des prisonniers Alboches.

Nous allons mettre en batterie, nous ne tirons pas beaucoup ; nous repartons et allons cantonner très tard à Chatillon-sur-Bar, les chevaux tout attelés.

29 août

Le matin nous sommes ravitaillés, il y avait trois jours que l'on avait rien touché et on mangeait ce que l'on trouvait, des carottes, etc…

Nous partons le soir.

Nous traversons les Quatre-Champs, Ballay, arrivons à Vouziers, cantonnons au quartier du 3ème cuirassiers.

30 août

Repos à Vouziers.

31 août

Quittons Vouziers.

Formons le parc à Bellay, attendons ordre, et allons mettre en batterie du côté de Vandy.

Restons peu de temps, traversons Vandy, Vrizy, puis repassons à Vouziers, arrivons dans la nuit au bord de l'Aisne, nous bivouaquons sur un pré.

1 septembre

Nous partons de bonne heure.

Arrivons dans la journée à Séchault.

Nous faisons la soupe et boire nos chevaux, puis nous partons à 18h45 et on s'arrête la nuit dans un pré, les chevaux attelés et couchons près de nos pièces. (*)

 

(*) : Ils arrivent à Tahure (51) à 23h00.

2 septembre

Nous partons de bonne heure pour mettre en batterie aux environs de Suippes.

Restons encore peu de temps arrivons dans la nuit à Suippes.

Bivouaquons couchage la même, à côté des pièces.

3 septembre

Partons vers les 2 heures du matin.

Traversons des bois, arrivons dans la soirée à Courtisols, faisons la soupe.

Départ à 23 heures du soir, nous marchons toute la nuit à travers bois, en butte au sommeil, c'est en vain que l'on peut y résister.

On s'arrête au bord d'un bois, harassés de sommeil et de fatigue malgré le froid. On s’endort n'importe où, même au milieu de la route.

Mais au bout de 2 heures, il faut repartir.

4 septembre

On met en batterie, dans la soirée, nous allons à St Amand. On fait la soupe.

Repartons à 23 heures du soir. Marchons toujours, traversons dans la nuit Vitry-le-François.

Allons bivouaquer sur les bords de la Marne, où nous dormons 3 heures.

Puis nous repartons (la 4ème nuit que l'on ne dort pas).

5 septembre

Arrivons dans la journée à Margerie.

6 septembre

Vers 10 heures du matin (toujours à Margerie), on nous lit un ordre à peu près ainsi conçu :

" Quartier général de Chavanges, 6 septembre, 9h20. Depuis 9 heures, une bataille est engagée, d'où dépend le statut du pays ;

Les troupes ne pouvant avancer, il est du devoir de chacun de ne plus reculer, Il faut vaincre ou mourir. "

Signe : Joffre

 

Enfin, nous allons attaquer, on commençait à se démoraliser, et c'est avec le cœur content que tout le monde courrait à la victoire.

Nous avons à partir d'aujourd'hui le capitaine HÉrailh, venant de la 3eme batterie, il nous arrive juste au moment propice pour faire arroser ses galons par les obus allemands.

Nous partons dans l'après-midi de Margerie pour mettre en batterie.

Nous traversons des bois où déjà les obus commencent à pleuvoir, nous prenons nos positions, puis aussitôt, on tire, on s'arrête à la nuit, le feu en plusieurs endroits. Nous passons la nuit près de nos pièces. (*)

 

(*) : Ils sont à la côte 1174, 2,5 km à l’ouest de Châtelraould (51). Ils y resteront quatre jours.

 

 

 

« Les 2 groupes 1 et 3 resteront sur les positions avec l’ordre de tenir, coûte que coûte, jusqu’au dernier, jusqu’à la mort. »

(JMO du 52e régiment d’artillerie, 6 septembre 1914)

7 septembre

La bataille continue, nous sommes aux environs de Châtelraould, nos canons crachent, les obus pleuvent autour de nous. Nous sommes survolés par des avions ennemis qui nous repèrent en lançant des fusées, et par des avions français qui vont reconnaître les positions ennemies. C’est une vraie fête d'aviation.

On couche toujours à côté de nos pièces. Toute la nuit le canon gronde à notre gauche.

8 septembre

Réveil en fanfare par les fantassins ennemis qui venaient de surprendre les nôtres dans les tranchées, et qui se trouvaient à peine à 800 mètres de nous.

Grace au capitaine d'infanterie, au  moyen de jumelles, reconnaît les Boches. Le maître-pointeur de la 2ème pièce, sans aucun commandement, pointe sa pièce, tire au milieu d'eux environ à 600 mètres et fait plus de 100 victimes en une dizaine de coups de canon. Il est ensuite aidé par la 1ère pièce, et grâce à leur sang-froid, on réussit à faire reculer peut-être un bataillon ennemi, qui pouvait nous faire tous prisonniers. (*)

On l'avait encore cette fois échappé belle.

Toute la journée on tire, les obus pleuvent autour de nous, le 3eme groupe qui est au-devant de nous est bien éprouvé : de trois batterie à peine si on peut en former une.

 

A 5h du soir, il y a un peu de calme, on couche à cote de nos pièces. On ne mange presque pas, d'abord on ne peut pas faire le cuisine, les obus tombent trop fort.

 

(*) : Le capitaine HÉRAILH sera cité, plus tard, à l’ordre de l’armée pour son initiative décisive. Son second, le maréchal-des-Logis  DETHÈVE, dirige admirablement les canons et fait tirer à la mitraille sur les Allemands à moins de 400 m qui s’élancent pour prendre la crête. (JMO)

Certains historiens considèrent que cet épisode contribue fortement à l’arrêt de l’attaque allemande devant Vitry-le-François.

 

9 septembre

La bataille continue, mais elle est moins acharnée qu'hier.

Notre capitaine monte en aéroplane pour aller observer les positions ennemies. Il a remarqué 48 pièces d'artillerie lourde, enterrées complètement, et très difficiles à atteindre. (*)

Dans l'après-midi, le 21ème d'artillerie se trouvant à notre gauche, déloge des fantassins allemands cachés dans une pièce de vigne.

Nous tirons toujours.

Pour observer il y a deux ballons captifs genre zeppelins. Leurs gros obus tombent de tous les côtés, aussi bien à la batterie qu'aux avant-trains, nous avons des morts et des blessés, des chevaux aussi.

 

(*) : C’est exact. Les 48 obusiers allemands sont placés à 1km au nord de Glannes, à la côte 150 (JMO).

10 septembre

La bataille continue toujours, l'on se demande quel en sera le résultat. Nous  sommes toujours à la même position.

Le Rimailho (*) a rudement souffert du feu de l'ennemi.

 

Passons un moment tranquille à 13 h45, ça recommence de plus belle.

Leurs gros obus ne cessent de tomber dessus nous, le 3ème groupe encore davantage que nous, par salves de 6 obus. Les pièces, les caissons prennent feu les uns après les autres. Les servants ne savent plus où s'abriter, et pourtant ils sont toujours à leur poste. Ils font preuve d'un courage admirable, leur position finit par être intenable.

 

Maintenant à notre tour, un obus met le feu à notre caisson, on court s'abriter plus loin.

Les éclats font rage.

On revient à notre caisson. Deux obus avaient brulé, c'est tout.

On recommence à tirer, la rafale d'obus ennemis continue, c'est un feu d'enfer. Les renforts d'infanterie nous arrivent, mais l'ennemi les aperçoit et tire dessus, mais il ne leur fait aucun mal.

Un peu plus tard, à notre batterie, il y a eu 4 tués et 1 blessé d'un éclat d'obus.

C’est affreux, la situation devenait intenable.

 

Vers la nuit un peu de calme.

Nos pertes s'élevaient à 7 morts et une quinzaine de blessés, parmi lesquels, notre capitaine. (**)

Les chevaux ne pouvaient se compter.

 

(*) : Émile Rimailho fût un des concepteurs du canon français de 75 mm.

(**) : La 1e batterie a 6 tués durant ces 3 jours. Ils sont nommés au JMO. Il s’agit de Rémy BROUSSARD, Jean COUSSEDIERE, Pierre MARCHADIER, Émile BLANCHARD, François GORGE, Pierre RAYGNAUD.

 

Cet épisode de la bataille de la Marne sera dénommée « bataille du Mont Morêt », mont situé à moins d’1 km de la position de la 1ère batterie.

Voir la position de la IV armée le 10 septembre.

11 septembre

Un grand silence règne ou hier encore on n'entendait que le bruit du canon.

On nous dit que les Allemands sont partis, refoulés par nous, on ne veut pas le croire.

Sur le moment, il a fallu 5 jours d'une lutte acharnée pour y réussir. Enfin on avance. Nous sommes heureux, l'espoir renait.

 

Avant de partir, on a pu visiter le champ de bataille.

C’était  affreux, le terrain ravage, on voit les restes d'un canon, l'affût à 20 mètres, les roues brisées, à 10 mètres, les caissons éventrés, les obus jonchant le sol, les douilles ayant brulées, les cadavres français et allemands, tout le long de la route.

Puis nous traversons un village en ruines, dont les décombres fument encore. C’est une vision lugubre, pas un mur debout.

 

La pluie tombe, nous marchons à travers des bois, ne rencontrant que des cadavres.

On fait une petite halte dans un village, où on profite d'un moment pour aller visiter une maison démolie par nos Rimailho, ayant ensevelis sous ses décombres une vingtaine d'Allemands, c'était affreux à les voir ainsi mutilés.

Nous repartons, bivouaquons à Blacy.

Il pleut toujours, on s'abrite dans une grange. Un moment de repos.

On repart suivant les traces de l'ennemi, traversons Loisy-sur-Marne, Drouilly, Pringy, ces endroits ne sont pas démolis, mais les maisons sont toutes pillées par l'ennemi, c'est pitié. Quatre-chemins. Bronne.

Nous bivouaquons à Somme-Yèvre. Toute la journée et toute la nuit sous l'eau.

12-13 septembre

Toujours sur les traces de l'ennemi.

Les bouteilles vides jonchent les sols, même les tonneaux. On reconnaît facilement le passage des barbares.

Traversons Varimont, Herpont, toujours la même chose.

Nous faisons une halte repos dans l'après-midi près de la Chapelle Felcourt, puis nous allons bivouaquer à Saint-Mard-sur-Auve.

14 septembre

Nous avançons toujours longeant Auve, dont il ne reste plus une maison debout.

Traversons la Croix-en-Champagne, Somme-Tourbe, également en ruines, Saint-Jean, puis allons bivouaquer à Laval-sur-Tourbe.

15 septembre

Nous formons le parc dans un pré, tout le régiment est présent.

On va visiter les tranchées ennemies, c'est prodigieux, les fortifications qu'ils ont fait, on trouve des pelles, des pioches qu'ils ont abandonnées dans leur fuite.

Restons bivouaquer à Laval-sur-Tourbe.

16 septembre

Nous quittons Laval-sur-Tourbe, passons à travers bois dans un terrain détrempé, nous attendons les ordres, le 23ème d'artillerie n'est pas loin, le 11ème corps est en contact avec l'ennemi depuis 3 jours. Le canon recommence à gronder.

Comme nourriture nous avons des biscuits et de la conserve.

Traversons Somme-Suippes, allons bivouaquer à Somme-Tourbe.

Passons la nuit près des pièces.

17 septembre

Nous partons le matin, nous marchons à travers bois sous la pluie qui ne cesse de tomber toute la journée. Les chevaux ont toute les peines de monde à sortir les pièces de la boue.

Nous passons la nuit dans les bois, la pluie a cessé, mais le vent fait rage, on réussit à allumer du feu et nous faire sécher.

On dort autour du feu toute la nuit.

18 septembre

Nous revenons sur nos pas, traversons Laval-sur-Tourbe, où nous faisons une halte d'une heure pour nous ravitailler en vivres. Suippes. Halte d'une heure ¼.

Puis Suippes, désert par endroits, démoli en d'autres, puis nous allons sur la route de Châlons.

Cantonnons à la ferme hippique de Piémont.

19 septembre

Temps pluvieux et froid.

Allons mettre en batterie dans le camp, comme réserve.

Dans la journée, revenons coucher à la ferme.

Toujours à la ferme.

Dans la soirée, nous partons bivouaquer sur la route de Reims à l'entrée de Suippes, couchant dans une grange.

Partons pour mettre en batterie, puis revenons à notre bivouac, couchons auprès de nos pièces.

22 septembre

À 19 heures, nous partons.

Traversons Jonchery-sur-Suippe, puis Saint-Hilaire-le-Grand.

La 1ere section (c’est-à-dire les mêmes) met en batterie dans un verger à 800 mètres des lignes allemandes.

23 septembre

Dans St-Hilaire, les ¾ des maisons sont en ruines. Il y en a qui sont en feu.

La 3eme batterie est derrière un cimetière. Nous, à côte du cimetière et une batterie de 34 à notre droite un peu en arrière.

Notre artillerie tire, on est crible de coups, deux maisons flambent.

La nuit à peu près tranquille, nous couchons dans les abris faits par nous à côté de nos pièces.

24 septembre

Le concert recommence. Les gros obus se font entendre. L’ennemi tire sur le clocher de l'église et ne tarde pas à le  démolir,

Le feu est en plusieurs endroits devant nous, les meules de paille flambent toute la nuit.

Un obus démolit une roue du caisson de la 2eme pièce, il y a un blessé. (*)

 

(*) : Il s’agit du 2e canonnier-servant FAUVEAU.

25 septembre

L'ennemi tire toujours sur le village, toujours le feu.

26 septembre

Même concert, nous tirons aussi.

Dans la nuit, l'infanterie se relève.

Il y a une mauvaise entente, nous restons quatre heures sans infanterie devant nous, la situation était critique. On a été obligés d'aller prendre la garde bien en avant, environ à 400 mètres de l'ennemi

27 septembre

La canonnade se fait entendre toute la journée.

Il pleut (des obus) sur nous. La première pièce (la mienne) est détériorée ainsi que le caisson.

Vers 21 heures, attaque sur la droite, violente fusillade, les mitrailleuses se font entendre, nos canons répondent.

Nous sommes obligés de reculer en abandonnant nos pièces, croyant que l'ennemi était déjà sur nous.

28 septembre

2 heures du matin, nous revenons à notre position, nos pièces n'avaient point bougé, ni même l’ennemi.

La journée est un peu plus calme, canonnade par moment.

29 septembre

Dans la nuit attaque, mais moins forte que la nuit précédente. Notre artillerie se fait entendre et la fusillade est vite apaisée.

La journée, l'ennemi canonne encore le village, surtout au moment de la soupe. On est oblige de la manger dans nos tranchées.

Il y a eu un conducteur de blessé la nuit du 29 au 30.

Fusillade encore, mais quelques coups de nos 75 et tout est en repos.

30 septembre

Matinée un peu calme.

Dans l'après-midi, la 3eme batterie et le 34 ont voulu tirer, l'ennemi riposte, c'est une rafale d'obus, nous avons un cheval tué et un blessé.

1er octobre

Nous avons trouvé 3 vaches laitières que nous nourrissons avec des betteraves qu'il y a dans un champ et du foin tous les matins, on a au moins un litre de café au lait chacun.

Pendant ce temps bombarde toujours le village.

2-3-4 octobre

Toujours la même chose.

5 octobre

Vers midi, violente canonnade de l'ennemi, un obus bien placé tue notre fourrier et blesse son cheval, ainsi qu'un brigadier qui était avec lui.

Le soir, nous quittons St Hilaire-le-Grand, nous allons à la ferme de Jonchery sans oublier nos vaches.

 

(*) : Pierre TRIPELON (dit Rémy TRIPELON), 21 ans, maréchal-des-logis et fourrier au 52e régiment d’artillerie de campagne, mort pour la France le 5 octobre 1914 à Saint-Hilaire-le-Grand (51), voir sa fiche. Sur le JMO il est déclaré tué le 4.

Le blessé est un certain brigadier BOISSERIE.

6 octobre

Ferme de Jonchery.

Il y a 12 pièces de 155 court qui sont mises en batterie dans la soirée entre Jonchery et St-Hilaire et qui bombardent les tranchées ennemies.

7 octobre

Toujours à la ferme de Jonchery à 18 h, nous partons avec 9 pièces (*), la 2ème n'étant pas encore réparée.

Nous allons relever la 8ème du 34 (**) en position depuis 15 jours. Nous sommes à 2km environ de la ferme de St-Hilaire.

Notre batterie se trouve masquée par un bois postiche fait par le 34ème, des tranchées ont été faites pour nous abriter.

 

(*) : 9 canons.

(**) : La 8e batterie du 34e  régiment d’artillerie de campagne.

 

8 octobre

La matinée est tranquille, dans l'après-midi, nous tirons une salve.

La réponse ne se fait pas attendre, pour 3 coups, ils en envoient une trentaine qui éclatent un peu loin de nous.

Le soir à 21h 30, attaque de l'ennemi. Nous tirons et la fusillade se ralentit aussitôt, les Allemands en sont quitte pour leur frais, ils avaient pourtant des obus éclairants et un projecteur.

10 octobre

De très bonne heure arrive la 2ème pièce.

Tous les matins corvée des arbres. La journée se passe tranquille, nous sommes enterrés dans nos gourbis.

Nuit tranquille.

11 octobre

Un avion alboche nous survole, mais il ne peut nous découvrir.

Le 155 court tire, il doit faire du beau travail.

Dans la soirée, l'artillerie ennemie tire à droite et à gauche de notre position, surtout sur les tranchées de fantassins.

Des avions ennemis nous survolent, mais ils sont pourchassés par des avions français munis de mitrailleuses. (*)

 

(*) : Il ajoute ce détail « munis de mitrailleuses » car l’aviation était aux prémices de la guerre aérienne et en cette fin de 1914, peu d’avions en étaient déjà équipés. À cette époque, ils ne tiraient pas encore entre les pales de l’hélice.

12 octobre

Journée calme on tire quelques coups.

13 octobre

Journée paisible.

Le soir vers 20h, on entend une fusillade sur notre droite, on n’a pas besoin de tirer.

14 octobre

Journée calme, pour se distraire on joue aux cartes.

15-16 octobre

Rien de nouveau.

17 octobre

Journée tranquille.

Le capitaine HÉRAILH, guéri, est revenu le soir. Nous sommes relevés par la 9ème du 21e régiment et nous revenons à la ferme de Jonchery.

18 octobre

Quittons la ferme.

Nous allons sur la gauche. Nous traversons le camp de Chalons.

Nous faisons une halte devant les baraquements militaires de Mourmelon-le-Grand, partons dans la soirée, traversons Mourmelon, Braconne.

Nous allons mettre en batterie à 2 km environ de Prosnes.

Nous trouvons des abris pour nos pièces mais pas pour nous, on couche pour cette nuit à la belle étoile.

19 octobre

Le matin de bonne heure, on commence notre maison, le bois ne manque pas, on fait ça comme il faut.

20 octobre

La journée se passe tranquille.

Nous touchons du vin à tous les repas, du chocolat, du fromage, et des sardines.

22 octobre

Matinée tranquille.

Vers 13 heures, notre groupe tire quelques coups, réponse immédiate des boches, aucun mal.

23 octobre

Tous les jours on voit des avions allemands. On tire dessus, des fois ils font demi-tour, quelques fois ils continuent leur route.

24 octobre

Rien de nouveau à part des avions.

25 octobre

Brouillard dans la matinée.

L’ennemi tire quelques coups, aucun mal.

26 octobre

Le 20e est à notre gauche, il tire toute la journée et une partie de la nuit, les avions français règlent leur tir.

27 -28-29 octobre

Le 20e tire toujours, les boches ripostent par moment.

30 octobre

Calme complet.

1er novembre

Toujours la même position.

Nous profitons d'un moment pour arranger avec quelques fleurs des champs et de la mousse les tombes de 3 artilleurs du 33ème régiment tombés au champ d'honneur le 20 septembre. (*)

En accomplissant ce pieux travail, nous pensons à tous nos vaillants camarades morts pour la Patrie.

Journée calme, les boches tirent sur les tranchées, le 90 répond.

 

(*) : Seulement trois artilleurs du 33e RAC sont tués ce jour-là, il s’agit très certainement d’eux :

Delphin Ernest Marie Joseph BREILLAD, 2e canonnier-conducteur, mort pour la France à Baconnes, ferme de Moscou, le 20/09/1914. Voir sa fiche.

Félix Louis GRIFFON, 2e canonnier-conducteur, mort pour la France à Baconnes, le 20/09/1914. Voir sa fiche.

Joseph Louis LAURENDEAU, 2e canonnier-conducteur de la 9e batterie, mort pour la France à Baconnes, ferme de Moscou, le 20/09/1914. Voir sa fiche.

 

Depuis, leurs sépultures se trouve à la Nécropole nationale d’Auberive, presque à côté les uns des autres (tombes 112, 118 et 119)

2-3-4 novembre

Journées calmes.

Une grande partie des nuits est employée à faire une tranchée pour le poste d'observation du capitaine.

5-6 novembre

Journées calmes.

7 novembre

10 heures soir, concert avec feu d'artifice donné par les boches. Nos fantassins répondent.

Notre groupe (*) tire une centaine de coups pour arrêter la fusillade, cela nous sert à dérouiller un peu notre petit 75 et à entretenir la main.

 

(*) : Groupe d’artillerie (composé théoriquement de 3 batteries de 4 canons chacune).

8 au 14 novembre

Journées calmes.

On entend de temps en temps la canonnade à gauche et à droite. La température s'abaisse.

15-16 novembre

Journées brumeuses et pluvieuses, mais calmes.

Nous creusons un gourbi qui nous sert de salle à manger, avec cheminée.

17-18-19 novembre

Journées calmes.

Le gel commence à se faire sentir, nous faisons du feu tous les soirs dans notre salle à manger.

La 2ème pièce tire 4 coups, les boches répondent par 7 coups du 77 qui éclatent je ne sais où.

20 novembre

Gelée, journée calme.

La 3eme batterie tire quelques coups sur les tranchées, l'artillerie ennemie envoie quelques 107, mais un peu loin

21 novembre

Gelée, journée calme.

La 3ème batterie tire quelques coups dans l'après-midi.

 

En résumé, cette partie du mois a été pour nous tranquille à voir notre position de loin, on croirait se trouver en présence d'un campement de nomades dont les huttes sont souterraines et d'où apparaissent les tuyaux de nos cheminées, fabriquées avec de vieilles boites de fer blanc. La gaité règne dans nos positions, malgré le froid qui commence à se faire sentir assez rigoureusement.

(La suite au prochain numéro…)

 

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Fin du carnet

 

La suite a dû être perdue. Il décède en 1952

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