Mise à jour : Mars 2021
En
tenue blanche, Bernard LACOSTE, maréchal-ferrant au 52e régiment d’artillerie
de campagne (52e RAC)
Philippe nous dit :
« Ayant vu sur votre site que vous n'avez pas
d'éléments sur le 52ème d'artillerie de campagne au début de la guerre, je vous
communique le récit de mon grand-père, Bernard LACOSTE (toujours appelé Roger
LACOSTE), de Sauternes, second-canonnier à la 1ère batterie.
Je possède la pièce manuscrite de sa main, une lettre à sa famille, qui
authentifie le récit.
Malheureusement, le reste de ses notes a existé, selon
ma grand-mère, mais ne lui ont jamais été montrées ou remises.
Dommage ! »
Philippe S.
Prélude
Roger LACOSTE est né à Sauternes (33) en août 1893. Il est maréchal-ferrant, comme son père, à ses 20 ans au moment de son incorporation au 52e régiment d’artillerie de campagne d’Angoulême.
Le 52e régiment d’artillerie de campagne est composé de 4 groupes d’artillerie, chacun composé de 4 batteries. Ce régiment est l’artillerie du 12e corps d’armée.
Roger LACOSTE est donc dans la 1e batterie du 1e groupe. Cette batterie composée de 4 canons est commandée par le capitaine LANAVÉRE.
La 1ère batterie compte 2
officiers, 21 sous-officiers, 172 hommes de troupe et 186 chevaux. Ces chiffres
comprennent aussi l’effectif de l’état-major du 1e groupe. À titre
d’information, un régiment d’artillerie à 4 groupes comprends environ 2200
hommes, 2000 chevaux, 48 canons, 80 voitures hippomobiles. En déplacement sur
la route il forme un « train » d’environ 10 km.
Tous les récits
d’artilleur, comme celui de Bernard LACOSTE, utilise des termes propres à
l’artillerie, comme " batterie ", " groupe ", "
échelon ", " pièce ", " avant-train " , pour
comprendre ses termes, allez voir sur
mon site ici.
J’ai ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour aller « plus loin »
dans l’analyse du récit.
Début des écrits
12 heures. L'ordre de
mobilisation date du 2 août arrive.
Vif enthousiasme au
quartier.
6 heures du matin. Départ
du quartier pour le cantonnement de la Tour Garnier.
Préparatifs pour le départ.
Départ du cantonnement.
Nous avons garni de feuillages nos voitures, des femmes et des jeunes filles
nous apportent des fleurs.
Traversée de la ville
d’Angoulême, tout le long du parcours, ce ne sont que des souhaits de bon
courage et de victoire, arrivons à la gare, couverts
de fleurs.
L'embarquement du matériel
et des chevaux se fait rapidement. Nous déjeunons.
Départ à 13 heures 27.
Nous avons accroché nos
bouquets aux portières des wagons.
À chaque halte les gens et
surtout les jeunes filles nous apportent des bouquets et des petits drapeaux,
et ils nous souhaitent victoire, nous les remercions en leur envoyant des
baisers et des chants patriotiques.
Toujours dans le train,
mêmes acclamations.
Arrivée dans l'après-midi à
la gare de Sommeilles, débarquement, puis traversons Givry-en-Argonne, Remirecourt et puis nous allons cantonner à
Dampierre-le-Château.
Cantonnés à
Dampierre-le-Château.
Départ dans la journée.
Arrivons à Vraincourt.
Cantonnes à Vraincourt,
rien.
Le matin, partons de bonne
heure, traversons Les Joliettes, Clermont-en-Argonne.
Traversée de la forêt de
l'Argonne.
Arrivons à Varennes,
cantonnons.
Nous partons toujours de bonne
heure, allons à Doulcon, cantonnement.
Nous voyons pour la
première fois des avions allemands. Les fantassins tirent dessus et on réussit
à en descendre un.
Départ de bonne heure.
Devons nous arrêter à
Stenay. Contre-ordre, continuons notre route, allons cantonner à Martincourt.
Cantonnement à Martincourt.
Journées passées
agréablement.
10 heures : Alerte, nous
partons puis traversons une forêt.
Arrivons à Blagny. Très
bien reçus par tout le monde.
De bonne heure quittons
Blagny.
Traversons Carrignan, Les Deux Villes, le Tremblois, puis la frontière
belge, en passant devant le poteau. (*)
Beaucoup de faits à
relater.
Traversons Florenville, La
Cuisine, puis entrons dans la forêt d'Herbeumont.
Allons mettre en batterie
au-delà de St Médard, ne tirons pas.
Cantonnement le soir dans
un pré mouillé, près d'un moulin.
(*) : Le poteau frontière.
Allons mettre en batterie,
près de la gare de Straimont.
Repérés par des avions
Allemands, nous n'avons pas le temps de tirer, car nous recevons le baptême du
feu.
(*)
Sommes obligés de nous
replier devant le feu de l'artillerie lourde allemande. Nous sommes tous
désemparés devant l'éclatement de leurs obus qui nous accompagnent pendant plus
d'un kilomètre.
C’est miracle que personne
ne soit atteint, nous retournons en arrière, retraversons La Cuisine, puis
Florenville.
Là, nous mettons en batterie croyant voir les
Allemands ; enfin nous reprenons le chemin de France.
Traversons le Tremblois, Les
Deux Villes, cantonnons un peu plus loin.
(*) : C’est exact, le régiment n’a pas eu le temps de tirer un
seul coup de canon. Les échelles-observatoires
étaient déjà dépliées, un bombardement allemand mal réglé (il y avait du
brouillard) commence. Un ordre de repli arrive et le régiment quitte
précipitamment la région de Straimont en Belgique.
Nous allons mettre en
batterie entre les Deux Villes et Blagny.
Toute la matinée nous
tirons faisant d'assez bons cartons.
Mais l'après-midi,
changement de décors, les Allemands ripostent, notre capitaine est blessé au
bras droit. (*)
Nous sommes obligés de
lâcher notre position, devant la rafale d'obus, ayant été repérés par les
avions.
On se repliait quand un
officier de chasseurs, officier d'état-major, nous le défends par ordre du
général commandant l'armée.
Les fantassins, drapeau
déployé, clairon sonnant la charge, montaient à l'assaut, baïonnettes au canon.
Aussitôt à nous autres de crier " en avant " et avons mis aussitôt en
batterie.
Il y avait une dizaine de
pièces qui crachaient sans arrêt, puis la 3eme batterie, et ensuite la 1ere ont
grimpé la colline au galop, allant mettre en batterie presque au sommet de la
colline, et on activait les chevaux le plus que l'on pouvait.
Nous passons devant le
général qui nous crie :
" Bravo les artilleurs, vous faites plus que votre devoir ".
On ne craignait rien, nous
avons eu un conducteur blessé, c'est une journée qui peut se compter dans la
campagne.
Nous reprenons la route à
travers champs, marchant toute la nuit, nous retraversons Stenay, ayant nos
voitures chargées de fantassins blessés, nous arrivons à La Neuville vers 2
heures du matin où nous cantonnons.
(*) : Capitaine LANAVÈRE.
(**) : Canonnier-conducteur LAGUILHOUAT.
Nous partons vers 9 heures
du matin, nous allons cantonner à côté d'un moulin, nous couchons dans nos
voitures.
Nous allons mettre en batterie
aux alentours de Beaumont, nous tirons au-delà de la Meuse pour empêcher
l'ennemi de la traverser.
Nous passons la nuit en
position, nous avons couché sous nos voitures, nous nous réveillons tout
mouillés. Nous ne tirons pas beaucoup, puis nous allons bivouaquer vers la
Besace.
Nous couchons à côté des
pièces, les chevaux attelés.
Nous parlons de bonne heure
traversons la Besace, Yoncq, la Bagnolle, Home
( ?), nous revenons sur nos pas, arrêtons à Beaumont.
Nous voyons pour la première
fois des prisonniers Alboches.
Nous allons mettre en
batterie, nous ne tirons pas beaucoup ; nous repartons et allons cantonner très
tard à Chatillon-sur-Bar, les chevaux tout attelés.
Le matin nous sommes
ravitaillés, il y avait trois jours que l'on avait rien touché et on mangeait
ce que l'on trouvait, des carottes, etc…
Nous partons le soir.
Nous traversons les Quatre-Champs, Ballay, arrivons à
Vouziers, cantonnons au quartier du 3ème cuirassiers.
Repos à Vouziers.
Quittons Vouziers.
Formons le parc à Bellay,
attendons ordre, et allons mettre en batterie du côté de Vandy.
Restons peu de temps,
traversons Vandy, Vrizy, puis repassons à Vouziers, arrivons dans la nuit au
bord de l'Aisne, nous bivouaquons sur un pré.
Nous partons de bonne
heure.
Arrivons dans la journée à Séchault.
Nous faisons la soupe et
boire nos chevaux, puis nous partons à 18h45 et on s'arrête la nuit dans un
pré, les chevaux attelés et couchons près de nos pièces. (*)
(*) : Ils arrivent à Tahure (51) à 23h00.
Nous partons de bonne heure
pour mettre en batterie aux environs de Suippes.
Restons encore peu de temps
arrivons dans la nuit à Suippes.
Bivouaquons couchage la
même, à côté des pièces.
Partons vers les 2 heures du
matin.
Traversons des bois,
arrivons dans la soirée à Courtisols, faisons la soupe.
Départ à 23 heures du soir,
nous marchons toute la nuit à travers bois, en butte au sommeil, c'est en vain
que l'on peut y résister.
On s'arrête au bord d'un bois,
harassés de sommeil et de fatigue malgré le froid. On s’endort n'importe où,
même au milieu de la route.
Mais au bout de 2 heures,
il faut repartir.
On met en batterie, dans la
soirée, nous allons à St Amand. On fait la soupe.
Repartons à 23 heures du
soir. Marchons toujours, traversons dans la nuit Vitry-le-François.
Allons bivouaquer sur les
bords de la Marne, où nous dormons 3 heures.
Puis nous repartons (la
4ème nuit que l'on ne dort pas).
Arrivons dans la journée à
Margerie.
Vers 10 heures du matin
(toujours à Margerie), on nous lit un ordre à peu près ainsi conçu :
" Quartier général de Chavanges, 6 septembre, 9h20. Depuis 9 heures, une
bataille est engagée, d'où dépend le statut du pays ;
Les troupes ne pouvant avancer, il est du devoir de
chacun de ne plus reculer, Il faut vaincre ou mourir. "
Signe : Joffre
Enfin, nous allons
attaquer, on commençait à se démoraliser, et c'est avec le cœur content que
tout le monde courrait à la victoire.
Nous avons à partir d'aujourd'hui
le capitaine HÉrailh, venant de
la 3eme batterie, il nous arrive juste au moment propice pour faire arroser ses
galons par les obus allemands.
Nous partons dans
l'après-midi de Margerie pour mettre en batterie.
Nous traversons des bois où
déjà les obus commencent à pleuvoir, nous prenons nos positions, puis aussitôt,
on tire, on s'arrête à la nuit, le feu en plusieurs endroits. Nous passons la
nuit près de nos pièces. (*)
(*) : Ils sont à la côte 1174, 2,5
km à l’ouest de Châtelraould (51). Ils y resteront quatre jours.
« Les 2
groupes 1 et 3 resteront sur les positions avec l’ordre de tenir, coûte que
coûte, jusqu’au dernier, jusqu’à la mort. »
(JMO du 52e régiment d’artillerie, 6 septembre 1914)
La bataille continue, nous
sommes aux environs de Châtelraould, nos canons crachent, les obus pleuvent
autour de nous. Nous sommes survolés par des avions ennemis qui nous repèrent
en lançant des fusées, et par des avions français qui vont reconnaître les
positions ennemies. C’est une vraie fête d'aviation.
On couche toujours à côté
de nos pièces. Toute la nuit le canon gronde à notre gauche.
Réveil en fanfare par les
fantassins ennemis qui venaient de surprendre les nôtres dans les tranchées, et
qui se trouvaient à peine à 800 mètres de nous.
Grace au capitaine
d'infanterie, au moyen de jumelles,
reconnaît les Boches. Le maître-pointeur de la 2ème pièce, sans aucun
commandement, pointe sa pièce, tire au milieu d'eux environ à 600 mètres et
fait plus de 100 victimes en une dizaine de coups de canon. Il est ensuite aidé
par la 1ère pièce, et grâce à leur sang-froid, on réussit à faire reculer
peut-être un bataillon ennemi, qui pouvait nous faire tous prisonniers. (*)
On l'avait encore cette
fois échappé belle.
Toute la journée on tire,
les obus pleuvent autour de nous, le 3eme groupe qui est au-devant de nous est
bien éprouvé : de trois batterie à peine si on peut en former une.
A 5h du soir, il y a un peu
de calme, on couche à cote de nos pièces. On ne mange presque pas, d'abord on
ne peut pas faire le cuisine, les obus tombent trop fort.
(*) : Le capitaine HÉRAILH sera cité, plus tard, à l’ordre de
l’armée pour son initiative décisive. Son second, le maréchal-des-Logis DETHÈVE, dirige admirablement les canons et
fait tirer à la mitraille sur les Allemands à moins de 400 m qui s’élancent
pour prendre la crête. (JMO)
Certains historiens considèrent que cet épisode contribue
fortement à l’arrêt de l’attaque allemande devant Vitry-le-François.
La bataille continue, mais
elle est moins acharnée qu'hier.
Notre capitaine monte en
aéroplane pour aller observer les positions ennemies. Il a remarqué 48 pièces d'artillerie
lourde, enterrées complètement, et très difficiles à atteindre. (*)
Dans l'après-midi, le 21ème
d'artillerie se trouvant à notre gauche, déloge des fantassins allemands cachés
dans une pièce de vigne.
Nous tirons toujours.
Pour observer il y a deux
ballons captifs genre zeppelins. Leurs gros obus tombent de tous les côtés,
aussi bien à la batterie qu'aux avant-trains, nous avons des morts et des
blessés, des chevaux aussi.
(*) : C’est exact. Les 48 obusiers allemands sont placés à 1km
au nord de Glannes, à
la côte 150 (JMO).
La bataille continue
toujours, l'on se demande quel en sera le résultat. Nous sommes toujours à la même position.
Le Rimailho (*) a rudement souffert du feu de l'ennemi.
Passons un moment
tranquille à 13 h45, ça recommence de plus belle.
Leurs gros obus ne cessent
de tomber dessus nous, le 3ème groupe encore davantage que nous, par salves de
6 obus. Les pièces, les caissons prennent feu les uns après les autres. Les
servants ne savent plus où s'abriter, et pourtant ils sont toujours à leur
poste. Ils font preuve d'un courage admirable, leur position finit par être
intenable.
Maintenant à notre tour, un
obus met le feu à notre caisson, on court s'abriter plus loin.
Les éclats font rage.
On revient à notre caisson.
Deux obus avaient brulé, c'est tout.
On recommence à tirer, la rafale
d'obus ennemis continue, c'est un feu d'enfer. Les renforts d'infanterie nous
arrivent, mais l'ennemi les aperçoit et tire dessus, mais il ne leur fait aucun
mal.
Un peu plus tard, à notre
batterie, il y a eu 4 tués et 1 blessé d'un éclat d'obus.
C’est affreux, la situation
devenait intenable.
Vers la nuit un peu de
calme.
Nos pertes s'élevaient à 7
morts et une quinzaine de blessés, parmi lesquels, notre capitaine. (**)
Les chevaux ne pouvaient se
compter.
(*) : Émile Rimailho fût un des concepteurs du canon français de
75 mm.
(**) : La 1e batterie a 6 tués durant ces 3 jours.
Ils sont nommés au JMO. Il s’agit de Rémy
BROUSSARD, Jean
COUSSEDIERE, Pierre
MARCHADIER, Émile
BLANCHARD, François
GORGE, Pierre
RAYGNAUD.
Cet épisode de la bataille de la Marne sera dénommée
« bataille du Mont Morêt », mont situé à
moins d’1 km de la position de la 1ère batterie.
Voir la position
de la IV armée le 10 septembre.
Un grand silence règne ou
hier encore on n'entendait que le bruit du canon.
On nous dit que les
Allemands sont partis, refoulés par nous, on ne veut pas le croire.
Sur le moment, il a fallu 5
jours d'une lutte acharnée pour y réussir. Enfin on avance. Nous sommes
heureux, l'espoir renait.
Avant de partir, on a pu
visiter le champ de bataille.
C’était affreux, le terrain ravage, on voit les
restes d'un canon, l'affût à 20 mètres, les roues brisées, à 10 mètres, les
caissons éventrés, les obus jonchant le sol, les douilles ayant brulées, les
cadavres français et allemands, tout le long de la route.
Puis nous traversons un
village en ruines, dont les décombres fument encore. C’est une vision lugubre,
pas un mur debout.
La pluie tombe, nous
marchons à travers des bois, ne rencontrant que des cadavres.
On fait une petite halte
dans un village, où on profite d'un moment pour aller visiter une maison
démolie par nos Rimailho, ayant ensevelis sous ses décombres une vingtaine
d'Allemands, c'était affreux à les voir ainsi mutilés.
Nous repartons, bivouaquons
à Blacy.
Il pleut toujours, on
s'abrite dans une grange. Un moment de repos.
On repart suivant les
traces de l'ennemi, traversons Loisy-sur-Marne, Drouilly,
Pringy, ces endroits ne sont pas démolis, mais les
maisons sont toutes pillées par l'ennemi, c'est pitié. Quatre-chemins. Bronne.
Nous bivouaquons à
Somme-Yèvre. Toute la journée et toute la nuit sous l'eau.
Toujours sur les traces de
l'ennemi.
Les bouteilles vides
jonchent les sols, même les tonneaux. On reconnaît facilement le passage des
barbares.
Traversons Varimont, Herpont, toujours la
même chose.
Nous faisons une halte
repos dans l'après-midi près de la Chapelle Felcourt,
puis nous allons bivouaquer à Saint-Mard-sur-Auve.
Nous avançons toujours
longeant Auve, dont il ne reste plus une maison debout.
Traversons la
Croix-en-Champagne, Somme-Tourbe, également en ruines, Saint-Jean, puis allons
bivouaquer à Laval-sur-Tourbe.
Nous formons le parc dans
un pré, tout le régiment est présent.
On va visiter les tranchées
ennemies, c'est prodigieux, les fortifications qu'ils ont fait, on trouve des
pelles, des pioches qu'ils ont abandonnées dans leur fuite.
Restons bivouaquer à
Laval-sur-Tourbe.
Nous quittons
Laval-sur-Tourbe, passons à travers bois dans un terrain détrempé, nous attendons
les ordres, le 23ème d'artillerie n'est pas loin, le 11ème corps est en contact
avec l'ennemi depuis 3 jours. Le canon recommence à gronder.
Comme nourriture nous avons
des biscuits et de la conserve.
Traversons Somme-Suippes,
allons bivouaquer à Somme-Tourbe.
Passons la nuit près des
pièces.
Nous partons le matin, nous
marchons à travers bois sous la pluie qui ne cesse de tomber toute la journée.
Les chevaux ont toute les peines de monde à sortir les
pièces de la boue.
Nous passons la nuit dans
les bois, la pluie a cessé, mais le vent fait rage, on réussit à allumer du feu
et nous faire sécher.
On dort autour du feu toute
la nuit.
Nous revenons sur nos pas,
traversons Laval-sur-Tourbe, où nous faisons une halte d'une heure pour nous
ravitailler en vivres. Suippes. Halte d'une heure ¼.
Puis Suippes, désert par
endroits, démoli en d'autres, puis nous allons sur la route de Châlons.
Cantonnons à la ferme
hippique de Piémont.
Temps pluvieux et froid.
Allons mettre en batterie
dans le camp, comme réserve.
Dans la journée, revenons
coucher à la ferme.
Toujours à la ferme.
Dans la soirée, nous
partons bivouaquer sur la route de Reims à l'entrée de Suippes, couchant dans
une grange.
Partons pour mettre en batterie,
puis revenons à notre bivouac, couchons auprès de nos pièces.
À 19 heures, nous partons.
Traversons
Jonchery-sur-Suippe, puis Saint-Hilaire-le-Grand.
La 1ere section (c’est-à-dire
les mêmes) met en batterie dans un verger à 800 mètres des lignes allemandes.
Dans St-Hilaire, les ¾ des
maisons sont en ruines. Il y en a qui sont en feu.
La 3eme batterie est
derrière un cimetière. Nous, à côte du cimetière et une batterie de 34 à notre
droite un peu en arrière.
Notre artillerie tire, on
est crible de coups, deux maisons flambent.
La nuit à peu près
tranquille, nous couchons dans les abris faits par nous à côté de nos pièces.
Le concert recommence. Les
gros obus se font entendre. L’ennemi tire sur le clocher de l'église et ne
tarde pas à le démolir,
Le feu est en plusieurs
endroits devant nous, les meules de paille flambent toute la nuit.
Un obus démolit une roue du
caisson de la 2eme pièce, il y a un blessé. (*)
(*) : Il s’agit du 2e canonnier-servant FAUVEAU.
L'ennemi tire toujours sur
le village, toujours le feu.
Même concert, nous tirons
aussi.
Dans la nuit, l'infanterie
se relève.
Il y a une mauvaise
entente, nous restons quatre heures sans infanterie devant nous, la situation
était critique. On a été obligés d'aller prendre la garde bien en avant,
environ à 400 mètres de l'ennemi
La canonnade se fait
entendre toute la journée.
Il pleut (des obus) sur
nous. La première pièce
(la mienne) est détériorée ainsi que le caisson.
Vers 21 heures, attaque sur
la droite, violente fusillade, les mitrailleuses se font entendre, nos canons
répondent.
Nous sommes obligés de reculer
en abandonnant nos pièces, croyant que l'ennemi était déjà sur nous.
2 heures du matin, nous
revenons à notre position, nos pièces n'avaient point bougé, ni même l’ennemi.
La journée est un peu plus
calme, canonnade par moment.
Dans la nuit attaque, mais
moins forte que la nuit précédente. Notre artillerie se fait entendre et la
fusillade est vite apaisée.
La journée, l'ennemi
canonne encore le village, surtout au moment de la soupe. On est oblige de la
manger dans nos tranchées.
Il y a eu un conducteur de
blessé la nuit du 29 au 30.
Fusillade encore, mais
quelques coups de nos 75 et tout est en repos.
Matinée un peu calme.
Dans l'après-midi, la 3eme
batterie et le 34 ont voulu tirer, l'ennemi riposte, c'est une rafale d'obus,
nous avons un cheval tué et un blessé.
Nous avons trouvé 3 vaches
laitières que nous nourrissons avec des betteraves qu'il y a dans un champ et
du foin tous les matins, on a au moins un litre de café au lait chacun.
Pendant ce temps bombarde
toujours le village.
Toujours la même chose.
Vers midi, violente
canonnade de l'ennemi, un obus bien placé tue notre fourrier et blesse son
cheval, ainsi qu'un brigadier qui était avec lui.
Le soir, nous quittons St
Hilaire-le-Grand, nous allons à la ferme de Jonchery sans oublier nos vaches.
(*) : Pierre TRIPELON (dit Rémy TRIPELON), 21 ans,
maréchal-des-logis et fourrier au 52e régiment d’artillerie de campagne, mort
pour la France le 5 octobre 1914 à Saint-Hilaire-le-Grand (51), voir
sa fiche. Sur le JMO il est déclaré tué le
4.
Le blessé est un certain brigadier BOISSERIE.
Ferme de Jonchery.
Il y a 12 pièces de 155 court qui sont mises en batterie dans la soirée entre
Jonchery et St-Hilaire et qui bombardent les tranchées ennemies.
Toujours à la ferme de
Jonchery à 18 h, nous partons avec 9 pièces (*),
la 2ème n'étant pas encore réparée.
Nous allons relever la 8ème
du 34 (**) en position depuis 15 jours. Nous sommes à 2km
environ de la ferme de St-Hilaire.
Notre batterie se trouve masquée
par un bois postiche fait par le 34ème, des tranchées ont été faites pour nous
abriter.
(*) : 9 canons.
(**) : La 8e batterie du 34e
régiment d’artillerie de campagne.
La matinée est tranquille,
dans l'après-midi, nous tirons une salve.
La réponse ne se fait pas
attendre, pour 3 coups, ils en envoient une trentaine qui éclatent un peu loin
de nous.
Le soir à 21h 30, attaque
de l'ennemi. Nous tirons et la fusillade se ralentit aussitôt, les Allemands en
sont quitte pour leur frais, ils avaient pourtant des obus éclairants et un
projecteur.
De très bonne heure arrive
la 2ème pièce.
Tous les matins corvée des
arbres. La journée se passe tranquille, nous sommes enterrés dans nos gourbis.
Nuit tranquille.
Un avion alboche nous
survole, mais il ne peut nous découvrir.
Le 155
court tire, il doit faire du beau
travail.
Dans la soirée,
l'artillerie ennemie tire à droite et à gauche de notre position, surtout sur
les tranchées de fantassins.
Des avions ennemis nous
survolent, mais ils sont pourchassés par des avions français munis de
mitrailleuses. (*)
(*) : Il ajoute ce détail « munis de mitrailleuses »
car l’aviation était aux prémices de la guerre aérienne et en cette fin de
1914, peu d’avions en étaient déjà équipés. À cette époque, ils ne tiraient pas
encore entre les pales de l’hélice.
Journée calme on tire
quelques coups.
Journée paisible.
Le soir vers 20h, on entend
une fusillade sur notre droite, on n’a pas besoin de tirer.
Journée calme, pour se
distraire on joue aux cartes.
Rien de nouveau.
Journée tranquille.
Le capitaine HÉRAILH,
guéri, est revenu le soir. Nous sommes relevés par la 9ème du 21e régiment et
nous revenons à la ferme de Jonchery.
Quittons la ferme.
Nous allons sur la gauche.
Nous traversons le camp de Chalons.
Nous faisons une halte
devant les baraquements militaires de Mourmelon-le-Grand, partons dans la
soirée, traversons Mourmelon, Braconne.
Nous allons mettre en
batterie à 2 km environ de Prosnes.
Nous trouvons des abris
pour nos pièces mais pas pour nous, on couche pour cette nuit à la belle
étoile.
Le matin de bonne heure, on
commence notre maison, le bois ne manque pas, on fait ça comme il faut.
La journée se passe
tranquille.
Nous touchons du vin à tous
les repas, du chocolat, du fromage, et des sardines.
Matinée tranquille.
Vers 13 heures, notre
groupe tire quelques coups, réponse immédiate des boches, aucun mal.
Tous les jours on voit des
avions allemands. On tire dessus, des fois ils font demi-tour, quelques fois
ils continuent leur route.
Rien de nouveau à part des
avions.
Brouillard dans la matinée.
L’ennemi tire quelques
coups, aucun mal.
Le 20e est à notre gauche,
il tire toute la journée et une partie de la nuit, les avions français règlent
leur tir.
Le 20e tire toujours, les boches ripostent par moment.
Calme complet.
Toujours la même position.
Nous profitons d'un moment
pour arranger avec quelques fleurs des champs et de la mousse les tombes de 3
artilleurs du 33ème régiment tombés au champ d'honneur le 20 septembre. (*)
En accomplissant ce pieux
travail, nous pensons à tous nos vaillants camarades morts pour la Patrie.
Journée calme, les boches
tirent sur les tranchées, le 90 répond.
(*) : Seulement trois artilleurs du 33e RAC sont tués ce
jour-là, il s’agit très certainement d’eux :
Delphin Ernest Marie Joseph BREILLAD, 2e canonnier-conducteur,
mort pour la France à Baconnes, ferme de Moscou, le 20/09/1914. Voir
sa fiche.
Félix Louis GRIFFON, 2e canonnier-conducteur, mort pour la
France à Baconnes, le 20/09/1914. Voir
sa fiche.
Joseph Louis LAURENDEAU, 2e canonnier-conducteur de la 9e batterie, mort pour la France à Baconnes, ferme de
Moscou, le 20/09/1914. Voir
sa fiche.
Depuis, leurs sépultures se trouve à la Nécropole nationale
d’Auberive, presque à côté les uns des autres (tombes 112, 118 et 119)
Journées calmes.
Une grande partie des nuits
est employée à faire une tranchée pour le poste d'observation du capitaine.
Journées calmes.
10 heures soir, concert
avec feu d'artifice donné par les boches. Nos fantassins répondent.
Notre groupe (*) tire une centaine de coups pour arrêter la fusillade,
cela nous sert à dérouiller un peu notre petit 75 et à entretenir la main.
(*) : Groupe d’artillerie (composé théoriquement de 3 batteries
de 4 canons chacune).
Journées calmes.
On entend de temps en temps
la canonnade à gauche et à droite. La température s'abaisse.
Journées brumeuses et
pluvieuses, mais calmes.
Nous creusons un gourbi qui
nous sert de salle à manger, avec cheminée.
Journées calmes.
Le gel commence à se faire
sentir, nous faisons du feu tous les soirs dans notre salle à manger.
La 2ème pièce tire 4 coups,
les boches répondent par 7 coups du 77 qui éclatent je ne sais où.
Gelée, journée calme.
La 3eme batterie tire
quelques coups sur les tranchées, l'artillerie ennemie envoie quelques 107,
mais un peu loin
Gelée, journée calme.
La 3ème batterie tire
quelques coups dans l'après-midi.
En résumé, cette partie du
mois a été pour nous tranquille à voir notre position de loin, on croirait se
trouver en présence d'un campement de nomades dont les huttes sont souterraines
et d'où apparaissent les tuyaux de nos cheminées, fabriquées avec de vieilles
boites de fer blanc. La gaité règne dans nos positions, malgré le froid qui
commence à se faire sentir assez rigoureusement.
(La suite au prochain
numéro…)
Fin du carnet
La suite a dû être perdue. Il décède en
1952
Je désire contacter le propriétaire du carnet
de Bernard LACOSTE
Voir sa fiche matriculaire (2 pages)
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