Campagne 1914 de Camille LEBALOUE

Musicien, brancardier au 76e régiment d’infanterie

 

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« J'ai récupéré les récits de guerre de mon oncle tué à Verdun en 16, je vous joins son récit si cela peut vous intéresser, vous aurez un document sur le travail des brancardiers. D'autre part cet oncle était musicien et a composé une marche militaire « salut au 416ème RI » dont je possède toutes les partitions.

De mon côté je me suis engagé dans la rédaction d’un livre sur après guerre de la famille car sa disparition l’a un tant soi peu bouleversé d'une façon curieuse et continue. .Je suis presque quinquagénaire, je ne voudrais pas que ces documents disparaissent.

Ils ont pour moi trop de valeur (sentimentales !)

Sincères salutations. »

 JJ

 

 

LEBALOUE Camille César est né à Anor (Nord) le 15 juillet 1893. Cheveux châtain clairs, yeux bleus, il s’engage volontairement pour 3 ans en mars 1913 à la mairie du 4e arrondissement de Paris pour le 76e régiment d’infanterie.

Il passe au 416e RI le 1e avril 1915.

Ses notes ont été écrites le 12 février 1915 à Paris et décrit avec détails le « travail » non glorieux, mais combien très dangereux, de brancardier.

Cela tout au début de la guerre pendant la guerre de mouvement.

 

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En route pour la frontière

Aussitôt l'ordre de mobilisation, nous fîmes tous nos préparatifs de départ et nos adieux aux nôtres; c'était le 1re août.

Après cinq  jours, qui nous ont semblés bien long car nous étions impatients de partir vers la frontière, on nous annonce le départ pour le 6 au matin.

La veille de ce beau jour, nous présentâmes un bouquet d'espérance à notre colonel ; celui-ci encore jeune et fort, nous donna du courage par ses bonnes paroles réconfortantes et le six au petit jour nous embarquions.

Le soir même nous sommes débarqués à Bannoncourt près de Saint-Mihiel pour commencer dès le lendemain, les étapes qui devaient nous emmener au front.

 

Nous allons cantonner à Mécrin, les 7, 8 et 9, à Genicourt le 10, et Ambly-sur-Meuse les 11, 12 et à Rupt-en-Woëvre le 13, nous sommes à ce moment à 12 kilomètres de  Verdun (Meuse) et le soir nous pouvons entendre les canons de front assez proches.

Le 14

Alerte à minuit trente, nous sommes inquiétés par des patrouilles ennemies avancées que nous faisons reculer, nous reprenons notre marche pour Dieppe-sous-Douaumont où nous arrivons après une étape assez dure, le 15 nous occupons Senon (Meuse) et sommes obligés de cerner le petit bois pour le fouiller; c'est alors qu'un monoplan allemand vient survoler au dessus de nous, nos mitrailleuses sont braquées dessus mais ne réussissent pas à l'atteindre,  nous séjournons à Senon les 15, 16 et 17 et y faisons une bonne popote qui nous a remis en état de continuer.

 

Les 18, 19 et 20 nous cantonnons à Mogeville (Meuse) que nous quittons le 21 pour remonter vers le nord, en direction de Longwy ; nous devons entrer dans le Luxembourg le 22.

Bataille de Longwy : 22 août 1914

Les seize brancardiers de Lexy

Nous arrivons donc le 21 à Montigny-sur-Chenière, petit pays à l'ouest de Longwy, après avoir traversé la plaine de Champagne, la vallée de l'Argonne et celle de la Meuse.

Cette dernière journée fût la plus dure de toutes et après 46 kilomètres de marche nous regagnons un cantonnement.

 

La nuit commence à tomber et dans l'horizon déjà noir on aperçoit les lueurs des fermes incendiées dans la direction de Longwy. Malgré ce tableau émouvant qui nous revenait sans cesse devant les yeux, nous avons fabriqué notre repas, consistant en un simple bouillon et avons profité sans inquiétude d'un repos bien mérité.

22 août 1914

(Date non présente sur le carnet, mais ajoutée volontairement pour une meilleure compréhension du récit)

 

Le lendemain, de grand matin, tous étaient debout écoutant attentivement les derniers conseils des chefs; c'est que, c'est aujourd'hui que nous devons prendre contact avec l'ennemi et tous, impatients et d'un pas  alerte nous traversons le petit patelin d'un air content.

Hélas nous ne savions pas ce que nous réservait le reste de la journée.

 

A huit heures, nous gravissons la grande côte de Lexy (Meurthe et Moselle), en haut et à gauche de la route était une ferme derrière laquelle furent placé les voitures (hippomobiles)

À un kilomètre en avant quelques masures s'alignaient au bord d'une route et rien jusque là qu'un grand champ de betteraves.

A droite une vallée assez profonde nous séparait d'un petit bois, à gauche le champ nous offrait une descente légère pour arriver à une route de grande communication.

Les compagnies se déploient, dans ce champ, en ligne de tirailleurs face aux masures et l'ordre nous est donné de nous coucher derrière ces lignes. Quelques uns de mes camarades sommeillent, d'autres mangent en attendant les évènements.

Soudain le médecin-major arrive vers nous et nous dit :

 

" Mes enfants, le feu est commencé "

Depuis quelques moments et il y a paraît-il pas mal de blessés.

"Que seize brancardiers viennent avec moi nous allons les chercher."

 

Aussitôt 16 brancardiers musiciens, en colonne par quatre emboîtent le pas du major.

Je suis de ces seize avec trois amis préférés qui forment mon équipe. Nous avançons sur la grand- route; tout à coup un sifflement parvint à nos oreilles :

 

" On dirait une balle !! "

Disent quelques uns.

 

Je n'y croyais pas n'ayant d'ailleurs qu'à peine entendue, mais un nouveau sifflement se fit entendre suivis de plusieurs autres; cette fois j'étais fixé.

Le major a quitté la route ; couché en deux dans le fossé, il file en arrière cherchant à profiter du faible abri qui s'offrait à lui :

 

 " Couchez vous, couchez-vous "

Nous crie-t-il

" Nous sommes pris de flanc "

 

En effet les feux de salve passaient derrière nous, nous ne pouvons reculer sans être balayés, aussi partons nous à toutes jambes vers un petit remblai situé à cinquante mètres devant nous; à cet endroit la route descend légèrement et le champ nous protège.

Maintenant les balles passent au dessus de nos têtes. L'ennemi est à droite dans le bois au delà de la vallée.         

Nous respirons mieux à notre aise, sentant luire un petit point de sécurité ; au dessus de nous, debout sur le remblai s'élève un petit calvaire au massif de pierre, c'est sous ce calvaire que nous continuons à recevoir le baptême du feu.

Malheureusement ce baptême doit être complet, bientôt les obus succèdent aux balles, mais ce ne sont que leurs petits pétards de 77 qu'on appelle les shrapnells, ils en arrosent la route, formant à quarante ou cinquante mètre de hauteur des petits nuages blancs. Je crois que leur tir est légèrement trop haut pour nous faire sauter. Nous nous garantissons des éclats avec nos sacs et nos instruments derrière lesquels nous sommes couchés.

 

  Nous étions là depuis une heure environ quand, au loin sur la route, nous voyons s'avancer deux chasseurs à cheval. Bientôt ils furent près de nous :

" Ah, les copains,"

Leur disons-nous

" Ce n'est pas le moment de rester debout, la crête est balayée "

 

Ils mettent pied à terre et profitant de notre abri ; il était temps, une balle arrive avec un petit bruit sec et transperce le cou du cheval qui, affolé part dans le champ au galop. Le pauvre chasseur courre à sa poursuite et parvint à le ressaisir sans être blessé.

Le temps nous semble passablement long au pied du calvaire et pour me désennuyer je prends mon carnet de notes, écris ces quelques lignes que je transcris textuellement :

 

A quatre kilomètres avant Longwy la bataille s'engage. Le major demande 4 équipes de quatre brancardiers. Je pars avec Pétiaux, Voisin et Coquart. Nous arrivons au pied d'un calvaire, les balles sifflent et un cheval est blessé à un mètre de nous. Nous nous couchons dans le creux de la route au pied du calvaire.

Après trois heures d'un feu nourri, nos lignes commencent  à reculer et nous jugeons prudent d'en faire autant. Les uns partent sur la droite du champ de betteraves, d'autres sur la gauche.

Je pars seul après les autres et sur la gauche où je suis pris par un feu de mitrailleuse. je me couche dans le champ attendant un moment d'accalmie pour déguerpir.

A quatre pattes je parvins ensuite à regagner le poste de commandement du colonel. J'emmène avec moi un blessé de la quatrième compagnie, qui battait en retraite, et rejoignons tous deux la grand route à gauche du champ.

Là, je lui fais son pansement et une demi-heure après nous étions à l'ambulance. Les lignes de tirailleurs se replient toujours et bientôt c'est la mêlée sur la route; artillerie, cavalerie et infanterie tout fini pêle-mêle sur cette route droite qui file toute droite entre deux rangées d'arbres, chacun cherche son régiment.

Nous nous reformons derrière l'autre crête et continuons la retraite.

 

Beaucoup de tués et de blessés gisent dans le fossé au milieu des sacs et des équipements. Nous nous couchons dans un champ au coin d'un bois.

Au cours de cette bataille un brancardier a disparu.

 

Durant le combat de Longwy, le 76e RI a perdu 425 hommes tués, blessés et disparus.

Dimanche 23 août

(Date non présente sur le carnet, mais ajoutée volontairement pour une meilleure compréhension du récit)

 

Le lendemain, dimanche 23 août, nous faisons le café après avoir trouvé avec peine le bois et l'eau nécessaire. N'ayant pu être ravitaillés la veille, nous n'avons  plus de pain et notre provision de biscuits est épuisée.

Nous partons donc sans avoir mangé pour prendre position derrière Longuyon.  

La bataille de Saint-Laurent-sur-Othain

L'artillerie se met en batterie non loin de nous et règle ses tir au dessus de Longuyon ; bientôt nous sommes repérés et sous la pluie d'obus nous replions sur Noirs, les compagnies reculent en conservant leurs lignes de tirailleurs et prenant une autre direction nous distance quelque peu. Nous en sommes donc séparés et remontons sur Saint Laurent où nous passons la nuit.

 

Des renforts d'artillerie passent toute la nuit et le 24 nous remontons sur Longuyon.

à cinq heures du matin nous n'avons toujours pas à rejoindre notre régiment et une seconde bataille était commencée depuis une demi-heure. L'artillerie semble avoir pris de bonnes positions et canonne dur sur Longuyon, sans jamais recevoir de réponse des boches.

 

Nous nous arrêtons en haut de la grande côte au nord-est de Saint-Laurent et sommes mis à la disposition du commandant major du 331eme. Celui-ci demande cinq équipes.

Nous nous débarrassons de tout ce qui peut nous gêner : sac, instrument, giberne, bidon que nous déposons prés de la voiture d'ambulance et à gauche de la route. Chargés de nos brancards nous descendons dans la vallée à droite où le feu a donné. Beaucoup de blessés sont étendus au bord d'un petit ruisseau, nous faisons quelques pansements et chargeons notre brancard.

On n'entendait que des plaintes et des gémissements mêlés au sifflement des shrapnells qui ne tardèrent pas à nous atteindre. C'était le moment de filer et surtout de changer de direction pour quitter au plus tôt la zone arrosée. Mes camarades emportèrent à deux le brancard chargé et, sur mon dos, j'emmène un blessé à la jambe.

 

À tout moment je devais me coucher dans quelque dépréciation de terrain afin d'éviter les éclats qui passaient en sifflant au dessus de nos têtes.

La pluie de projectiles était tellement intense qu'il m'était impossible de remonter vers mon point de départ, je ne pus donc par conséquent reprendre mon équipement que j'avais déposé sur le bord de la route. Je laissais dans ma giberne des lettres qui m'étaient chères car peut-être ce serait les dernières, et que je devais laisser aux mains de l'ennemi.

 

Dans ces grands champs pleins de trous nous emportons avec peine nos précieux fardeaux que nous déposons à cette ambulance que nous rencontrons à deux kilomètres en arrière, éreintés de fatigue nous sommes quand même contents d'avoir pu à nous trois, arracher deux vies humaines aux tenailles de ces terribles bandits.

Il est onze heures du matin, et nos lignes commencent à reculer; nous ne pouvons espérer retourner là où la mitraille en avait tant touchés.

Nous reculons donc vers Dombras et retrouvons notre régiment qui se reformait à trois kilomètres au-delà.

À la tombée de la nuit, le feu cesse et nous essayons de profiter de quelques heures de sommeil à l'abri des buissons du petit bois de Dombras.

Le 25

L'arrière-garde protège vaillamment notre retraite qui s'effectue lentement vers le bois de  Morimont (côte de Morimont) que nous devons garder. Aujourd'hui nous ne perdons pas trop de terrain et pouvons cantonner à Danvillers (Meuse).

Là nous sommes ravitaillés.

Depuis le 21 que nous n'avons pas eu un morceau de pain, cela nous semble bon et après un grand repas de gala nous allons nous coucher dans une grange dans un bon lit de paille.

 

Le lendemain, les Allemands attaquent de grand matin et nous sommes obligés de quitter Danvillers où ils arrivent peu après.

À six heures du soir, nous faisons une grande halte sur la route de Verdun à Stenay mais nous sommes bientôt obligés de repartir. Nous sommes environ à Malancourt à neuf heures du soir, et nous cantonnons dans la mairie.

 

Au cours des batailles précédentes beaucoup de sous-officiers et officiers ont péris et le 27 notre colonel opère à une nomination pour les remplacer; à neuf heures du matin nous regagnons Charpentry où nous passons en repos le reste de la journée.

Pour nous remettre de ces journées de fatigue nous passons en réserve au quatrième corps qui n'a pas eu besoin de notre secours, nous allons donc cantonner à épinonville le 28, à Fléville le 29 et à Nouart le 30.

La bataille de Fossé

Le 31, nous entrons en ligne de feu à la gauche de Nouart.

La bataille s'engage à Fossé et l'artillerie ennemie nous arrose de ses 77. Nous contournons le petit bois à l'arrière du village afin de dépister leur tir et reprenons l'attaque sur la droite du pays.

Nos pertes sont sérieuses et l'ambulance entre bientôt en action.

 

Le poste est installé dans une grange prés de la mairie où les majors opèrent les blessés que nous leur apportons. Nous allons dans le champ chercher une centaine de blessés mais bientôt l'artillerie boche règle ses tirs sur nous ; nous sommes obligés de quitter notre travail et de rentrer au poste de secours.

Là toutes les troupes les granges étaient déjà pleines, et le service divisionnaire n'avait pas encore commencé l’évacuation ; les tas d'équipements, de fusils, de baïonnettes couverts de sang indiquaient devant chaque ferme le refuge des malheureux.

En entrant on y trouvait là étendus côte –à- côte sur la paille, des morts et des mourants, ainsi que d'autres moins gravement touchés et qui réclamaient à boire.  Mais nous n'avions à leur donner qu'un peu d'eau que l'on tenait toujours en réserve dans notre bidon, à laquelle nous ajoutions un peu d'alcool de menthe pour calmer leur fièvre.

Toute la journée se passa à soigner no chers camarades et à aider les majors dans leurs opérations si besogneuses au milieu d'une odeur de sang caillé en décomposition.

 

Le soir, lassés par tant d'horribles choses, nous allons nous coucher dans un champ à la droite du petit bois; nos lignes ont vaillamment défendu leurs positions mais au prix de tant de vie si chère.

Mardi 1e septembre

(Date non présente sur le carnet, mais ajoutée volontairement pour une meilleure compréhension du récit)

 

Le lendemain mardi premier septembre, nous commençons l'évacuation des blessés de Fossé et allons cantonner à Exermont en passant par Fléville (Grandpré). Chaque matin il faut marcher, marche encore, changer de position, et c'est alors que bien fatigués, il faut commencer d'essayer d'arracher les combattants à la mort.

Ce travail si dur et si pénible ne se termine qu'à la nuit tombante après avoir évacué vers l'intérieur tous ces hommes hors de combat.

La bataille d'âpremont

Le 2 septembre

Nous quittons Exermont à trois heures du matin pour aller prendre position à deux kilomètres d'Apremont où la bataille s'engage. Là deux bataillons se retranchent et maintiennent leurs positions en faisant à l'ennemi des pertes importantes.

L'ambulance, pour échapper au feu de l'artillerie, doit se camper trois kilomètres en arrière des premières lignes ce qui nous donnait 6 kilomètres à faire pour chaque blessé. Dans ces champs tout bosselés la marche était fatigante mais malgré toutes ces difficultés nous parvenons quand même à sauver beaucoup de nos camarades.

 

A la fin de la journée, l'ambulance regagne Charpentry jusqu'où nous sommes obligés d'aller, au retour de notre dernier voyage et avec nos brancards chargés.

Notre marche est assez lente et nous arrivons à Charpentry à onze heures du soir où nous nous couchons. L'ennemi a reculé de huit kilomètres avec des pertes considérables.

Le 3-5 septembre

Notre régiment se reforme et nous allons cantonner aux Islettes (Clermont-en-Argonne) en passant par Varennes-en-Argonne.

L'ennemi avance mais très lentement et difficilement de sorte que le quatre nous pouvons rester aux Islettes où nous passons notre journée à faire la cuisine. Chacun de son coté cherche à améliorer l'ordinaire commun et nous nous payons le plat si recherché, surtout en campagne, des pommes frites et la salade.

 

A dix heures du soir, alors que nous goûtions d'un profond sommeil le médecin major vient nous réveiller pour faire une ronde sur les premières lignes.

Nous partons armés de nos brancards pour revenir à vide vers minuit poursuivis par les boches. Nous marchons toute la nuit sans trop savoir quelle désagréable aventure il nous arrivait et à neuf heures du matin nous entrons à Triaucourt.

Nous profitons de la halte pour manger un peu de pain qui nous restait de la veille et repartons aussitôt pour Vaubécourt où nous arrivons à huit heures du soir. Après cette longue journée de marche le régiment se met en position pour reprendre l'attaque le lendemain 6 septembre de grand matin. Le service sanitaire va s’établir à Longwy-le-Petit, et à quatre heures du matin la bataille s'engage.     

La bataille de Vaubécourt

6 septembre 1914

Le contact se fait au nord du village de Vaubécourt et avec une violence plus terrible qu'à l'ordinaire; les brancards ne suffisent plus pour ramener les blessés et nous prenons des charrettes au pays pour évacuer vers les premières lignes.

Chaque voiture chargée tant il était possible et traînée par une dizaine de brancardiers défilant à toute allure à travers les petites rues du village pour regagner le service divisionnaire posté à Rembercourt-aux-Pots.

 

Là, dans la cour de l'église qui servait à la fois de cimetière, étaient étendus sur la paille des centaines de blessés, soignés par tous les médecins de la division. Bientôt la nuit arriva et nous fûmes obligés de continuer le service dans l'obscurité.

 

La nuit était noire et il semblait que le voile de la mort était étendu sur le champ de bataille, à peine si l'on pouvait distinguer la petite route caillouteuse qui s'enfilait dans la plaine.

 

A dix heures, le médecin chef, qui nous avait quitté depuis quelques heures, arrive dans cette cour qui servait d'hôpital.

 

" Allons faire une tournée "

nous dit-il,

" Je crois qu'il en reste encore "

 

Chaque équipe se munit d'un brancard et par deux nous suivons le major qui nous guide;

Bientôt nous entrons dans la plaine : on n'entendait que nos pas mal assurés et quand nous arrêtions pour écouter et interroger l'horizon, un silence morne régnait.

Pas une feuille, pas un souffle, tout était mort.

Armés d'une lanterne nous nous dirigions vers chaque masse noire que nous pouvions apercevoir mais pas un cri, pas une plainte ne nous appelait; pas un de ces corps étendus ne remuait, tous ces braves étaient morts. Nous faisions donc demi tour déçus dans notre démarche et allons prendre un peu de repos dans un petit champ prés de Lisle-en-Barrois.

Combats de Rembercourt et de Bussy-la-Côte

Nous étions couchés depuis deux heures à peine qu'il a fallu déguerpir, à deux heures du matin la bataille s'engageait près de Rembercourt.

Beaucoup des nôtres tombent et notre régiment est décimé. Le service de sauvetage s'effectue difficilement surtout que nous n'étions pas encore remis de la terrible journée du 6.

Nous replions vivement avec les blessés que nous avons pu ramasser; notre régiment est remplacé par le 104 et se reforme en réserve de celui-ci.

 

à huit heures du matin, le premier bataillon s'engage un peu en dessus de Bussy, il maintien la retraite et le reste du corps va prendre position en avant de Venise, à 5 kilomètres de Bar-le-Duc.

Nous passons le reste de la journée dans l'attente des évènements et à la nuit tombante nous nous couchons dans le fossé à gauche de la route.

Le 8 septembre

Nos compagnies conservent leurs positions de la veille et achèvent leurs tranchées, il n'y a pas d'attaque et nous en profitons pour nous reposer de nos fatigues des jours précédents.

Aujourd'hui, nous ne changeons pas de logement et continuons à roupiller dans la même chambre à coucher jusqu'au lendemain matin.

Le 9 septembre

L'artillerie prend ses positions derrière la crête avant Venise et se met en action, nous descendons dans le bas de la côte et faisons notre cuisine dans le verger de la première ferme.

La journée se passe sans incident, laissant de temps en temps la parole au petit 75.

 

Il a fait beau temps, le soleil a même chauffé dur et nous préparons à passer une bonne nuit.

Nous faisons nos couchettes, avec un peu d'herbe comme oreiller, dans le fossé et dans les dépréciations de terrain, nous nous couchons, installés comme dans un petit château et dormons d'un sommeil de plomb.

Le temps était un peu couvert à la tombée de la nuit, et une pluie fine se mit à dégringoler. Nous dormions si bien que personne ne s'en doutait et nous fûmes réveillés au milieu de l'orage par la pluie qui tombait à torrent ; Il était temps, le fossé déroulant les eaux depuis le haut de la côte était venu nous inonder dans le bas.

Sans perdre de temps nous avons pris congé de notre mauvaise demeure pour aller nous réfugier dans les écuries de la ferme.

Le lendemain

Nous étions presque secs et reprenons notre poste de la veille. L'artillerie continue à faire des dégâts considérables dans les lignes ennemies et notre infanterie avance.

 

A midi, huit brancardiers volontaires partent pour explorer le terrain de la boucherie. Nous partons avec deux voitures sur la route de Longwy mais nous sommes arrêtés par une pluie de shrapnells et obligés de faire demi-tour.

 

Vers quatre heures de l'après midi, les boches envoient sur Venise quelques percutants à la mélinite, une de ces marmite tombe sur un avant train d'artillerie faisant sauter hommes et chevaux.

Nous reculons un peu nos voitures d'ambulance, mais les petits chemins de fer aériens nous suivaient pas à pas sans pourtant nous faire trop de mal.

Quand l'orage fût terminé nous sommes remontés vers Venise.

 

Le soir, nous commencions à nous reposer au même endroit que la veille quand le major nous fit déménager pour nous installer dans une petite carrière au haut de la côte, sur la route de Longwy.

Le 11 septembre

Nos lignes font des tranchées en avant et le colonel reste à son campement sur la gauche sur la route de Bussy.

Les canons crachent jour et nuit et un bruit infernal raisonne dans l'espace, l'orage des batteries est déchaîné.

75 en arrière, 120 courts à gauche, 155 à droite, tous tirent ensemble et sans intermittence. Il est impossible de s'entendre il faut se parler à l'oreille, le bruit des obus qui passent en hurlant au dessus de nos têtes, joint aux détonations de la pièce forme un vacarme infernal, et cela pendant deux jours.

Nos obus qui allaient reposer délicatement dans le rang des ennemis leur avait des dégâts considérables et le 12 nous partons à la poursuite des boches qui finissent en déroute.

Nous allons cantonner à Neuville-sur-Ornain (Meuse).

Le dimanche 13

Nous recommençons notre attaque et notre poursuite à cinq heures de matin.

Nous remontons parallèlement à la Meuse et traversons les ruines de Laimont, Brabant-le-Roi, Villers-aux-Vents, Laheycourt, Sommeilles où plus une seule maison n'est restée debout.

Nous allons cantonner à  Les Charmontois dans le département de la Marne.

 

Le lendemain, départ à six heures du matin, nous traversons des champs jonchés de sacs, d'équipements, de caissons ennemis abandonnés.

 

L'après midi, nous rentrons dans le Meuse et faisons la grande halte à Rarecourt. La route est assez longue et la chaleur accablante, dans les petits villages que l'on traverse on y trouve plus rien que des ruines, Triaucourt-en-Argonne et Froidos (Meuse) que nous venons de traverser ont particulièrement souffert du bombardement.

Nous sommes fatigués et l'on juge bon de nous laisser reposer à Rarecourt, où nous cantonnons.

Le 15

Nous partons à cinq heures et passons sur la droite Clermont-en-Argonne et allons coucher à Avocourt (Meuse)

 

Le lendemain, l'ennemi essai de résister et après une attaque derrière le petit bois d'Avocourt, nous le repoussons facilement mais notre marche est ralentie. L'artillerie allemande a mis en position dans les ruines de Montfaucon et protège son infanterie. Les shrapnells tombent comme une pluie dans les champs derrière le bois où les nôtres sont tapis.

L'opération est difficile et périlleuse et plusieurs brancardiers sont tués ou blessés, le service de sauvetage se continue quand même jusqu'à la tombée de la nuit.

 

A huit heures du soir, je pars avec mon équipe chercher un blessé qui nous est signalé dans la ligne des avants postes, la nuit est noire et la marche est difficile dans un champ de betteraves long de 3 kilomètres où l'on ne pouvait pas trouver une seule route, pas de sentier.

Avec un silence le plus complet nous avançons jusqu'aux premières sentinelles et après quelques recherches nous trouvons le blessé que nous embarquons.

Au milieu de la nuit, nous regagnons les ambulanciers divisionnaires pour leur donner notre fardeau.

 

Pendant ce temps le reste des brancardiers étaient partis à la recherche d'une couchette, les divisionnaires les ont vu se diriger vers Malancourt. Nous devons donc essayer de les retrouver, mais ce n'était pas chose facile ne sachant pas où était le patelin, nous étions dans la plus complète obscurité, ne pouvant qu'à peine distinguer la route.

Dans le lointain, le village de Cuisy était en feu sur la droite de Montfaucon, et les lueurs parvenant jusqu'à nous, servaient à nous guider.

Après bien des tâtonnements nous arrivions à  Malancourt et trouvons nos camarades au repos dans une grange.

Nous dormions dans un sommeil de plomb quand à trois heures du matin on nous fit décamper. Il fallait encore profiter de l'obscurité pour reprendre position dans le bois d'Avocourt et aussi pour éviter le bombardement. Nous regagnons donc notre même place que la veille dans le bois.

17 septembre

(Date non présente sur le carnet, mais ajoutée volontairement pour une meilleure compréhension du récit)

 

Aujourd'hui 17 septembre, les obus ne tombent plus si nombreux que la veille, le feu est moins intense.

La pluie a commencé à tomber depuis huit heures du matin et n'a pas cessé de toute la journée; chacun s'est fabriqué un abri dans un buisson avec de l'herbe et des feuillages et s'y installe en attendant les évènements.

Il fallait cependant faire la cuisine et manger. Avec beaucoup de difficultés nous avons allumé un petit feu mais nous ne sommes pas restés bien longtemps à table ayant hâte de retourner dans notre abri.

 

6 heures du soir, la pluie tombant à torrent on nous donne l'ordre d'aller cantonner à Avocourt, les brancardiers de compagnie nous ont amené un blessé que nous emportons.

L'eau nous fouettait le visage et les endroits les plus bas de la plaine étaient inondés, il fallait passer quand même bien qu'ayant de l'eau jusqu'aux genoux.

 

Après deux heures d'une promenade semblable, nous arrivons à Avocourt où nous trouvons avec peine à nous coucher, nous ne pouvons faire de feu, ce qui serait nous dévoiler et nous faire canarder.

Aussi nous nous allongions tous mouillés de la tête aux pieds sur un peu de paille et attendons le lendemain.

 

Dès qu'il fait jour, nous nous levons et encore tout humide nous reprenons le même poste que la veille. Nous sommes le 18 septembre.

La pluie a cessé pendant la nuit et aussitôt arrivés dans le bois nous faisons du bon feu pour nous sécher et passons la journée au coin de l'âtre. Notre infanterie reste sur la défensive et conserve ses positions, mais du haut du clocher de Montfaucon les observateurs ennemis peuvent nous voir sur toute la route et les obus arrivent à tout moment.

 

A quatre heures, nous sommes nous sommes obligée de déguerpir sous les shrapnells et allons un peu plus loin sur Avocourt; à huit heures le régiment est remplacé et nous allons vers l'arrière.

La nuit est noire et la marche est ralentie en entrant dans Avocourt où il y a plusieurs convois.

Le pays étant bombardé depuis une demi-heure nous nous efforçons de continuer notre marche en filant par deux entre un terrain de combat qui se trouve à gauche de la route et des caissons d'artillerie à droite ; nous allions déboucher de cet encombrement quand un éclair nous annonce l'arrivée d'un percutant.

 

Vingt à vingt cinq secondes s'écoulent, secondes qui m'ont semblées bien longues, puis le sifflement se fit entendre, instinctivement chacun baisse la tête et aussitôt un fracas épouvantable nous brise les oreilles.

Une pluie de terre et d'éclats nous arrose et la bousculade me fait redresser, un spectacle affreux et indescriptible se présente à mes yeux :

L'obus était tombé au milieu de nous sur un caisson d'artillerie qui flambe aussitôt. Les flammes me permettent de me rendre compte plus exactement de la situation mais les chevaux qui se cabrent autour de moi me jettent sur les blessés qui sont jonchés au milieu de la route.

Je me relève et sans trop perdre la carte, je cherche à traverser cet amoncellement de corps humains le plus vite possible pour sortir de cette fâcheuse position. Je traverse le convoi de droite et file dans le champ tout proche; après avoir pataugé un kilomètre dans la boue et avoir traversé sur une poutre la rivière qui nous séparait de la route, je retrouve quelques camarades et allons jusqu'à Cheppy où nous passons la nuit.

 

Je suis blessé à la cuisse gauche et le lendemain matin je m'occupe d'extraire la balle d'obus qui était venu me rendre visite. Je continue mon service mais je prends un peu de repos pendant la journée du 19.

 

Vers quatre heures, le médecin vient chercher seize brancardiers pour enterrer quatorze morts; étant blessé je ne puis y aller et je reste à faire la cuisine. Leur besogne fut pénible car les quatorze copains étaient morts depuis huit jours et se décomposaient; ils furent peinés aussi par la vue du cimetière qui était tout criblé d'obus.

Aujourd'hui encore nous nous couchons dans le foin et passons une bonne nuit dans notre grange attenante à une maisonnette.

Le 20 septembre

Ne recevant pas d'ordre nous faisons la grosse matinée. Nous sommes quand même aussi inquiétés que la veille pour les obus et à vrai dire nous ne sommes pas entièrement remis de notre secousse du 18.

 

Vers cinq du soir, le bombardement devient plus intense et pendant que nous mangions la soupe les vitres de notre cuisine se brisait par le déplacement d'air produit par l'éclatement des percutants, les attelages affolés passent à vive allure devant notre maison. Les sifflements continuèrent toute la nuit, accompagnés vers minuit de mitraille et de salve.

Nous changeons de domicile de nuit préférant la maison à un étage à notre grange au simple toit de tuiles.

Je passe toute la nuit sur une chaise devant l'âtre, écoutant le sifflement monotone des petits chemin de fer aériens.

Le 21 septembre

Le 21, les obus arrivent toujours. Les Allemands cherchent depuis trois jours à descendre le clocher du village mais ils n'y sont pas parvenus.

Pendant un moment d'accalmie nous allons dans les tranchées ramasser quelques blessés mais en rentrant dans le patelin le bombardement était des plus intense.

Plus de cinq cents obus tombent par jour sur le village et l'on voyait les maisons s'écrouler les unes après les autres; nous nous réfugions dans une cave et y passons la nuit, et toute la journée du lendemain.

 

à cinq heures du soir, nous sommes obligés de partir et allons nous réfugier dans la ferme du Moulin. C'est une petite laiterie isolée dans la plaine en arrière de Cheppy; nous nous couchons prés des chaudières, sur les canes à lait, partout où l'on pouvait trouver place.

 

à minuit, on nous annonce l'ennemi à 600 mètres chargeant à la baïonnette; il est temps de filer si l'on ne veut pas être prisonnier. Nous plions bagages et allons vers la ferme de la Fonderie; les granges étaient combles et nous sommes obligés de coucher dans le fossé.

Le 23 septembre

Nous nous rassemblons à sept heures et attendons les ordres; notre infanterie a maintenu ses positions pendant toute la nuit et reprend l'attaque ce matin. Nous allons à la ferme du Moulin chercher ceux qui sont tombés.

La canonnade redevient intense et les deux fermes du Moulin et de la fonderie sont mises à feu, heureusement nous venions de prendre tous les blessés qu'elles contenaient.

à la fin de cette longue journée nous allons coucher à Aubreville.

 

Depuis cette époque la guerre en plaine fût terminée, toutes les batailles précédentes se firent à terrain découvert faisant chaque fois un recul de 30 kilomètres dans le début et d'avance à partir de Venise prés de Bar-le-Duc.

Dès maintenant les troupes se retranchent de chaque coté et les positions ne changent presque plus.

La guerre en tranchées commence donc faisant suite à ces luttes en terrain découvert auxquelles je viens de raconter quelques péripéties.

 

Fait à Paris le 12 févier 1915.

Un brancardier musicien, Camille Lebaloue

 

FIN DES NOTES

 

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Après

 

Camille LEBALOUE a été tué le 16 septembre 1916 à Moulainville (Meuse), comme l’indique l’extrait du journal du 416e RI.

 

 

 

Il était musicien

 

 

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