Publication :
Novembre 2024
Mise
à jour : Novembre 2024
Prologue
Pierre D. nous dit en novembre 2024 :
« En traversant une période de recherche
généalogique dans les armoires familiales, je suis tombé sur un petit carnet
noir intitulé sobrement ‘’ Campagne 1914 ‘’...caché là, mais conservé
précieusement finalement...dans le plus grand secret...car de son auteur, je ne
savais qu'une chose au départ…l'oncle Émile, mort à Verdun ! (Il s'agit de
l'oncle de ma grand-mère paternelle).
Ce carnet a été
écrit de sa main "Fait au mois de février à l’hôpital temporaire N°40 de
Saulieu, 1915", selon ses propres mots...il raconte sa campagne depuis son
départ de Privas le 17 août jusqu'à sa (première) blessure le 23 décembre 1914.
J'accepterai
volontiers que son histoire soit mise en ligne pour que sa mémoire ne
disparaisse pas, alors qu'elle a déjà failli le faire dans cette armoire....mais vous êtes seul juge de l'intérêt de ces quelques
lignes. »
Remerciements
Merci à Pierre pour le
carnet de son grand-oncle.
Merci à Philippe S. pour
les corrections éventuelles et certaines recherches.
Nous avons ajouté (Pierre, Didier et
Philippe) du texte en bleu pour la
compréhension de certains termes et pour aller « plus loin » dans l’analyse du
récit. Pour une meilleure lecture, j’ai
volontairement ajouté des dates, sinon le reste est exactement conforme à
l’original.
Introduction
Émile Désiré LEBRAT est né en mai 1880 à St-Romain-le-Désert (Ardèche). À son incorporation, il déclare être menuisier et est intégré au 58ème régiment d’infanterie. En août 1914, il intègre le 261ème régiment d’infanterie. Le Journal des Marches et Opérations (JMO) de ce régiment existe.
Rappel : Émile a rédigé ce carnet pendant le temps où il était à l’hôpital de Saulieu en février 1915.
Partis de Privas le 17 août à 2h de l'après-midi pour la direction de l'Italie puis le train à 3h est parti à La Voulte. On faisait attention pour voir la direction qu'on prenait, ça a été à notre joie lorsque nous avons pris la direction du Midi.
Arrivée à Avignon à la tombée de la nuit, ce train n'allait pas plus loin. Nous avons dû coucher dans la gare, les uns dans le train, les autres sur le trottoir et le lendemain nous sommes partis en changeant de direction. Nous voilà arrivés à Cavaillon. Là, nous avons eu le plaisir de trouver de nos anciens camarades qui étaient partis 8 jours avant nous. (*)
Inutile de dire l'enthousiasme qui règne dans le Midi de la France. Tout le long du parcours, on nous apporte des raisins, du vin, des corbeilles de pain même quelques cigarettes tout cela gratis, c'est bien souvent des femmes de France qui font la distribution. Elles sont faciles à reconnaître par rapport à leur costume. Elles sont habillées de blanc et portent une croix rouge. Cavaillon c'est curieux de voir la quantité de melon que les gens apportent tous les jours au marché.
À partir d'aujourd'hui, notre marche n'est plus dirigée dans cette direction ayant appris que ladite puissance s'est déclarée neutre.
(*) : Le 261ème régiment d’infanterie est parti de Privas le 8
août 1914, composé de 32 officiers, 1865 hommes de troupes et 148 chevaux et
mulets trainant 22 voitures. Il arrive à la même date à Cavaillon. Il fait
partie de l’armée des Alpes, chargée de la protection de la frontière
italienne. Le 19 août, un renfort de 320 hommes arrive à Cavaillon à 8 heures.
Émile LEBRAT fait donc parte de ce renfort.
Le lendemain à 4h du matin (20 août 1914), nous reprenons le train pour une direction inconnue, en passant de nouveau à Avignon et prenons la direction du Nord mais cela ne nous a pas surpris car l'on s'y attendait.
Après 36 heures de voyage, nous descendons à Vaucouleurs (21 août 1914), on approche des frontières disons-nous.
Là, les anciens qui avaient vu 70, nous racontent un peu ce que les Allemands avaient fait dans ses parages. Ils les voyaient descendre une petite colline en face du village. Cette année, ils ne viendront pas par-là, disent-ils, car ils ont confiance en nous et en nos armes bien perfectionnées.
Ici, il ne reste pas longtemps, nous recevons l'ordre de partir et prenons le train à 10h du matin (le 20 août 1914) pour aller toujours direction inconnue lorsqu’à 1h du matin nous arrivons à Verdun. À partir de ce moment nous avons pu nous considérer comme étant à la guerre.
À peine descendus du train, notre attention est attirée par un rayon de lumière sans pouvoir comprendre d'où que ça venait : C'est un projecteur disent nos officiers. En continuant notre marche nous arrivons dans un champ de manœuvre.
Là nous faisons le café, puis restons sur place. Un aéroplane survole la ville. Il n'est pas encore trop haut, c'est une merveille que nous voyons. Mais bientôt nous devons abandonner de le regarder car il a monté trop haut, ce n'est plus que comme une étoile qui vole dans les airs, on se fatigue les yeux, nous l'abandonnons.
À 4h du matin (le 23 août 1914) nous repartons pour direction inconnue.
En route nous voyons un aéroplane allemand survolant dans la direction de Verdun. Il surveille notre marche et notre lieu de cantonnement qui est pour la première fois Dieue. Nous avons fait ce jour-là une marche de 30 km. C'est la première aussi nous trouvons le sac bien lourd et sommes content d'arriver à cause de la fatigue et en même temps pour manger quelque chose car nos provisions que nous avions pris à Cavaillon ont pris fin, et en route nous ne trouvons rien pas même de l'eau pour boire.
Là, nous avons eu un jour de repos, on a pu se remettre un peu. On croyait rester là quelques jours. Nous passons la journée, nous entendons le canon qui gronde dans le lointain, cela nous dit quelque chose : C'est la guerre !
Le lendemain 24 août, nous avons l'ordre de partir, en route on nous ravitaille en munition, ça ne sent pas bon disons-nous. Les journaux nous ont dit beaucoup de choses, mais nous allons nous apercevoir dans la suite que tout ce que nous avons lu n'est que mensonge. Les Allemands sont très forts et font la guerre dans les règles de l'art, tout ce qu'on a à leur reprocher c'est d'incendier les villages.
Notre marche continue, il fait toujours très chaud. À chaque mare d'eau propre ou sale, chacun remplit son bidon, nous buvons souvent notre estomac failli manque de nourriture.
On a tant parlé d'aviation avant la guerre, de notre 5ème armée, nos héros de l'air il n'y a pas de puissance qui égale la France au sujet de l'aviation, dit-on. Eh bien, d'après ce que nous voyons, je vous assure que notre voisine n'a rien négligé non plus. Pendant que nous marchons, toujours un aéroplane apparaît. C'est un Français, disent les uns, c'est un Allemand disent les autres, nos officiers braquent leurs jumelles sur l'appareil et en effet c'est un Boche, il plane sur nos têtes, tourne et retourne et repart dans la direction de l'est.
Une heure après, c'est un autre qui vient se rendre compte de la situation de nos troupes. Aussi lorsque nous nous sommes trouvés en présence de l'ennemi, nous avons pu voir qui nous attendait dans de bonnes positions.
Nous avons fait environ 35 km, arrivons dans un bois dans lequel on nous a laissé reposer une demi-heure. Nous avons mangé le peu qu'il nous restait et repartons ensuite.
A la sortie du bois nous prenons la formation de combat,
les balles ne tardent pas à siffler de plus en plus. (*)
Il tombe un mort, d'autres sont blessés, cela n'y fait rien il faut avancer quand même par bonds dans un champ d'avoine. Il est 5 heures du soir, nous croyons ne pas voir finir la journée.
(*) : L’attaque est déclenchée le 24 à 15h.
Arrivés à la cime d'une crête, nous regardons pour voir d'où nous viennent ces balles mais nous ne voyons personne et cependant c'est une grêle de fer. C'est que les Allemands sont retranchés dans les environs du village de Buzy (Buzy-Darmont) et nous sommes à découvert, nous avançons toujours. La fusillade devient toujours plus intense. Les mitrailleuses font rage, impossible d'avancer davantage, un ruisseau nous barre le chemin. (*)
La nuit est là heureusement. Elle fera suspendre les hostilités pour ce jour-là et en effet la nuit arrive, le crépitement fini et nous nous replions en arrière. Chacun cherche ses camarades plus connus pour voir s'ils ne sont pas morts ou blessés, mais pour ce jour-là il n'y a pas de mal comme nous aurions pensé. On désigne une compagnie pour assurer le service, et nous autres nous avons passé la nuit dans le bois en question tout à l'heure où nous avons construit des abris avec des branches, mais nous n'avons pas beaucoup dormi car encore l'émotion n'avait pas disparu complètement.
J'ai oublié de dire que ce jour-là notre artillerie a agi à merveille, elle s'est amenée sur le champ de bataille en même temps que nous et a pris position au triple galop. Ses premiers coups ont si bien porté qu'ils ont démoli l'artillerie voisine, aussi nous n'avons pas reçu d'obus ce jour-là. (**)
(*) : Il doit donc être au 5ème bataillon.
(**) : Le régiment déclare la perte de 127 hommes tués, blessés
et disparus.
25 août
Info : Les dates inscrites en bleu sont
des dates qui ne sont pas écrites dans son journal de campagne, mais calculées
par rapport aux villages cités parallèlement sur le journal des marches et
opérations (JMO) du 261ème régiment d’infanterie.
Le lendemain, nos officiers nous disent que nous sommes de réserve aujourd'hui car hier notre régiment a bien donné, et nous nous postons en arrière. C'est le 44e colonial et le 240e RI (*) qui sont en avant, la fusillade recommence au point du jour.
Notre artillerie se poste derrière une crête à 2 km derrière nous. Les obus passent sur nos têtes. Les premiers nous la font baisser un peu, mais bientôt nous sommes rassurés que ce sont les nôtres, car les obus tombent à trois ou quatre kilomètres devant nous, les uns dans des villages situés en face, les autres à la lisière des bois. Aussi maintenant c'est avec plaisir que nous les entendons passer. L'artillerie allemande ne tire pas souvent, elle est en partie démolie, mais on entend une forte fusillade.
Il est 10h du matin, nous voulons faire la soupe, car nous avons le ventre vide, chacun y met un peu du sien, presque prêt, mais l’ennemi nous tourne. Nous devons tout abandonner et aller en avant. Le 44e et le 240e sonnent la charge. Moment terrible, il faut que nous qui formons le centre prenions d'assaut le village de Buzy. Mais grâce à notre artillerie et le brillant assaut des deux régiments, l'ennemi fuit, laissant morts et blessés. Nous arrivons au cimetière.
Un groupe fuit devant nous, ce sont des Boches. Nous ne faisons autre chose que d'avancer plus vite.
Les autres se voyant pris jettent leurs armes en criant "Kamarad pas Kaput", et se laissent prendre prisonniers.
Nous rentrons au village après avoir envoyé une patrouille qui a déclaré n'avoir rencontré aucun boche. Nous sommes écrasés de fatigue surtout pour le manque de vivre. On désigne les cuisiniers pour faire la soupe, peut-être que cette fois-ci nous pourrons la manger.
Il est 5h du soir et nous en attendant qu'on prépare notre frugal repas, il nous faut aller chasser les lapins qui sont cachés dans les champs d'avoine ou dans les tranchées, car le gros de l'armée a battu en retraite, mais une compagnie a resté par-là embusquée. En effet ce quartier-là est bon pour le gibier. Nous ramassons 71 bonhommes, certains font les morts à notre approche, les autres se constituent prisonniers. En outre il y a un capitaine et deux lieutenants.
Nous rentrons de nouveau dans le village, fiers de nos exploits et nous dévorons notre rata avec un morceau de bidoche, et s'il y avait encore quelque chose de meilleur on l'accepterait volontiers. Pendant ce temps il arrive des pleines voitures de blessés. On nous donne la liberté pour le reste de la journée, nous en profitons pour aller voir le champ de bataille où les deux régiments ont fait l'assaut. Quel terrible spectacle s'ouvre devant nos yeux : Un champ couvert de morts ! Mes yeux renoncent à voir ce désastre. J'en avais le cœur gros, mes camarades veulent poursuivre davantage, mais nous trouvons en face une tranchée pleine de cadavres allemands. Nous suivons encore en prenant la route, encore le fossé plein de mort avec quelques blessés qui crient de douleur. On n'avait pas eu le temps de tous les ramasser car ils étaient nombreux.
La nuit arrive et nous rentrons au village (**) pour y prendre un peu de repos, ayant toujours le cœur gros de ce triste spectacle, fruit de cette maudite guerre.
(*) : Ces 2 régiments font partie de la même division que le
261e : la 75ème division d’infanterie.
(**) : C’est bien le 5e bataillon qui cantonne à Buzy, le 6e Bat retournant cantonner à Ville-en-Woëvre.
26 août
Le lendemain, nous partons à 6h du matin et emmenons nos prisonniers.
Nous marchons sous un soleil ardent avec une soif terrible à cause de la poussière que nous absorbons pendant la route, mais grâce à de bonnes femmes qui nous voyant approcher de leur village nous apportèrent des seaux d'eau dans lesquels en passant nous y plongeons nos quarts pour en boire le contenu avec délice. Nos prisonniers commencent à être fatigués, ils n'ont peut-être pas trop mangé. Lorsque nous leur donnons un morceau de pain, ils le dévorent avec un appétit féroce. Nous leur passons aussi quelques quarts d'eau, qu'en reconnaissance ils nous font fumer de leur tabac qui est très fin. Il voudrait bien nous causer mais inutile on ne peut se comprendre. Ce n'est qu'avec des signes qu'on peut arriver à quelque chose.
Nous avons fait près de 40 km et arrivons au village de Saint-Maurice-sous-les-Côtes, ce n'est pas malheureux. Nous avons marché toute la journée sous une chaleur accablante et maintenant la pluie se met de la partie. C'est un orage. Nous conduisons nos prisonniers à la mairie et de là nous allons rejoindre nos cantonnements que notre fourrier nous a cherché. Inutile de répéter que nous avons fait la soupe car chaque fois que nous cantonnons c'est la même répétition. C'est bon de conduire des prisonniers mais c'est bien meilleur de manger quelque chose surtout lorsqu'on a la dent.
Le lendemain 27 août, nous allons prendre les avant-postes à Cagnanville (*), il nous faut passer la nuit à la belle étoile. Les nuits sont un peu fraîches aussi c'est avec impatience que nous attendons le matin.
Je peux dire que depuis le 24 août jusqu'au 20 décembre si les obus n'ont pas éclaté autour de nous et même quelques fois sur nos têtes, le bruit du canon n'a cessé de parvenir à nos oreilles.
(*) : Hannonville-sous-les-Côtes selon
le JMO.
29 août
Le jour arrive, nous rentrons de nouveau à Saint-Maurice reprendre nos anciens cantonnements et passons la journée assez bonne. Cela nous récompense un peu de notre mauvaise nuit.
Le soir, nous avons l'ordre de partir pour aller à Billy-sous-les-Côtes. Nous nous déplaçons souvent la nuit pour n'être pas vu car pendant la journée les aéronefs ne cessent de planer au-dessus de nous pour voir le déplacement des troupes.
29 août
À Billy, même répétition : il nous faut aller prendre le service dans les tranchées, là nous sommes assez tranquilles, nos voisins sont un peu loin, nous n'avons qu'à surveiller.
30 août
Le lendemain, il se passe la même chose, lorsqu’à 6h du soir nous devons encore partir. Nous faisons quelques kilomètres et arrivons à Watronville où nous passons la journée pour repartir encore à 6h du soir.
Nous allons, parait-il, à Vaux (Vaux-Devant-Damloup).
31 août
En arrivant notre premier travail, c'est de changer de linge car cet emplâtre que nous portons sur le dos nous fait transpirer car il est lourd, il est bien ravitaillé en cartouche. Ensuite nous préparons pour manger car l'appétit ne fait pas souvent défaut.
Le soir, nous repartons de nouveau pour aller prendre les avant-postes à Dieppe (Dieppe-sous-Douaumont).
Là, les maisons sont vides, les habitants ont tout abandonné, il ne reste que quelques vieillards qui n'ont pas voulu quitter leur toit. Quelle vie morne mes amis, les animaux domestiques crèvent de faim. Dans la route nous voyons un cochon crevé que les chiens en ont dévoré la moitié, la faim c'est une sale bête.
1er septembre
Nous passons encore la nuit à la rosée, nous le faisons avec résignation car nous comprenons très bien que cela nous arrivera assez souvent. Le sous-officier chef de poste, dont moi je fais partie, place les sentinelles en leur recommandant de veiller attentivement car l'ennemi est proche. Nous étions assez tranquilles lorsque des coups de feu partent à quelques mètres de nous. Rapides comme l'éclair, nous prenons la formation de combat et le sergent nous prend deux ou trois pour aller voir ce qui se passe.
Nous trouvons nos sentinelles qui tremblent de frayeur. C’est eux qui viennent de faire feu sur un objet qui avançait toujours malgré leur cri de « halte-là » plusieurs fois répétés. Mais nos balles l'ont atteint car nous l'avons vu tomber.
Il faut s'en rendre compte, dit le sergent, ce doit être une patrouille et nous avançons avec précaution car la nuit on ne voit pas bien ce qui se passe autour de soi. Nous rampons vers l'objet qui vient d'être canardé. Quelle ne fut pas notre surprise, nous nous trouvons en face d'une chèvre. Alors nos deux bons hommes ne voulaient plus vivre de honte d'avoir tué cette bête inoffensive. Nous nous sommes repliés à notre emplacement. Ça a été avec des éclats de rire que nous avons été reçus en apprenant ce qui était arrivé.
Quelques minutes après nous sommes un peu inquiets car nous avons craint que l'ennemi soit attiré par ce bruit et que dans un moment nous ayons à résister à un choc. Nous nous postons derrière un petit talus, personne ne bouge plus, nous tendons les oreilles à entendre bourdonner une mouche 2 km à la ronde.
Le jour arrive tout de même après avoir passé une nuit un peu dans le trouble.
Au petit jour ne faisons un peu de café dans un bois à proximité ce qui nous réchauffe un peu. De là, nous allons rejoindre le régiment qui ne tarde pas à se mettre en marche pour aller à destination inconnue. Nous passons devant un fort de Verdun. C’est avec plaisir que nous contemplons ces grosses pièces. Les officiers braquent leurs jumelles dans la direction de l'Est. Ils guettent s'il vient quelques mouvements de troupe. Le fort est entouré de réseaux de fil de fer barbelé et il ne ferait pas bon venir par-là, aussi les Allemands le savent bien. Ils tournent en avançant mais plus au nord. Nous continuons notre marche, la chaleur commence à se faire sentir.
Nous marchons de jour car nous devons arriver à midi tout près de Beaumont pour renforcer une armée. Nous approchons de la bataille. Le canon fait rage, nous parvenons au pied d'une colline où nous faisons la pause. Notre artillerie en face de nous tire avec violence. Les Allemands ont passé la Meuse et nos artilleurs viennent de faire sauter le pont et maintenant ils les poussent un peu fort. C’est le moment où il faudra qu'ils se jettent dans la rivière ou bien qu'ils se rendent.
Pendant que nous songeons à tout cela, notre attention est attirée par un bruit sinistre qui franchit les airs. C’est une marmite qui vient s'écraser à quelques mètres de nous. Je vous assure que ce n'est pas rigolo. C’est la première que nous voyons, aussi un grand nombre de nos troupiers prennent la fuite en criant, et c'est à grand peine que nos officiers les ont rassemblés de nouveau.
Nous changeons de position croyant la situation meilleure mais c'est de plus en plus critique. Nous sommes repérés par un aéroplane et les marmites arrivent par grande série. Nous trouvons un bois qui dure environ 1h et arrivons dans un ravin.
Cette fois-ci ça va mieux, les obus passent sur nos têtes à une certaine hauteur, mais il s'agit de ne pas se faire voir. C’est surtout les grands corbeaux que nous craignons aussi dès que nous entendons un moteur nous ne sommes plus curieux de voir si c'est un Français ou un Boche : nous nous couchons immédiatement à plat ventre. Seuls les officiers se rendent compte et si c'est un Allemand, ils suivent notre exemple. Les coloniaux sont plus imprudents. Ils croient toujours être en face des arabes. Ils se sont fait repérer, aussi les marmites leur arrivent dessus. Ils sont un peu à notre gauche. Avec tous nos désastres nous sommes obligés de rire : un obus tombe au milieu des mulets de la section de mitraille.
Les pauvres bêtes apeurés fuient à toutes jambes et ce n'est pas sans peine que les mitrailleurs les ont ramassés, il ne voulait plus revenir dans ce lieu désastreux.
La nuit arrive tout de même, nous rentrons sous-bois pour y passer la nuit et demain nous irons en première ligne. Nous n'avons rien mangé ce soir mais cela ne nous empêchera pas de dormir.
2 septembre
Lorsqu'à 1h du matin nous sommes réveillés, nous croyons à une alerte mais non au contraire. Hier la bataille a tourné à notre avantage. Une armée de nos adversaires est presque anéantie, cela fait qu'ils n'ont plus besoin de nous dans cette localité, et nous partons. Il fait noir mais nous en prenons l'habitude et faisons du chemin tout de même. Nous devons aller à Vigneulles (Vigneulles-Lès- Hattonchâtel) il y a près de 40 km. Nous arrivons à une gare près de Verdun, le soleil commence à chauffer, nous avons l'estomac creux, nous manquons de vivres, aussi l'on nous fait prendre le train.
Avant de monter au train il y a un tas de rapport, chacun
dit le sien : il y en a qui disent que nous allons en Belgique. Mais non la
machine siffle, le train s'ébranle pour aller dans la direction opposée. Une
conversation s'engage dans le train : nous allons dans le Midi, tout le monde
en veut plus savoir les uns que les autres. Mais nous avons fait à peine 30 km
que nous arrivons à une gare dans j'ignore le nom et le train s'arrête. (*)
Il faut descendre et remettre sac au dos. Ah ce sac nous le regardons avec dédain. Falloir porter ça avec la chaleur qu'il fait ! Mais tout en raisonnant ainsi nous l'avons mis sur nos épaules et c'est avec plaisir que nous voyons que le rassemblement se fait à 50 m de là.
On va faire la soupe, tout le monde au travail, les uns vont chercher du bois, les autres de l'eau, et d'autres sont étendus par terre, ils sont fatigués. La soupe se fait quand même et nous absorbons notre potage.
Nous avons du café de réserve dans nos sacs et nos cuisiniers veulent bien le faire. Vous ne me demanderez pas pourquoi j'espère, c'est qu'une fois fait, ils sont les premiers à le boire. Un quart de café ça ne fait pas mal disent-ils. Nous avons fait une halte de 2h, il s'agit maintenant d'aller plus loin et prenons cette fois-ci le train 11, nous faisons encore 20 km et arrivons à Vigneulles où nous sommes cantonnés avec un peu de paille. On va bien dormir, mais déception il arrive un ordre que c'est la quatrième section qui est de garde et c'est la mienne, il n'y a pas à contester, cela marche à tour de rôle. Ce qui nous console c'est que demain nous pourrons nous reposer.
(*) : Ils embarquent le 2 septembre à 7heures à Charny et
débarque à 9h30 à Bannoncourt.
En effet le lendemain 3 septembre nous n'avons pas de service commandé et passons la journée assez agréablement. Je n'oublie pas de dire nous avons été bien ravitaillés aussi nous y aurions resté volontairement toute la durée de la guerre mais l'on ne s'y attend pas car depuis quelques temps, nous ne couchons jamais deux fois au même endroit.
Aujourd’hui ce sera bien la même chose, en effet 4h du soir arrive il faut repartir. Nous devons aller à Saint-Rémy, un patelin qui se trouve à 15 km d'ici.
D’ici nous arrivons, il y a un moment qu'il fait nuit, nous couchons dans un grenier où il y a de la paille, là nous ne serons pas mal. Chacun court de son côté pour chercher la meilleure place et on ne tarde pas à ronfler car depuis quelques jours nous tombons des kilomètres plus que des boches et on commence à être fatigués.
Mais la nuit n'est pas longue, nous repartons à 4h du matin pour aller à Lacroix-sur-Meuse encore plus de 30 km à faire.
Nous sommes le 4 septembre, nous voilà partis et faisons comme d'habitude, toutes les heures nous faisons une pause de 10 minutes ça reprend un petit peu.
10h sonnent au clocher du village et nous arrivons. (*)
C'est un assez beau patelin, nous y passons le reste de la journée et nettoyons comme d'habitude nos effets et notre flingue. Nous y passons le reste de la journée dans un cantonnement où nous n’avons pas trop de large, nous sommes bourrés comme des sardines à l'huile.
(*) : L’arrivée au JMO est à 8h30, mais rappelons ici qu’un
régiment en ordre de marche fait de 2 à 3 km. La tête du régiment est donc arrivée à 8h30.
5 septembre
La nuit passe, réveil à 4 h du matin et nous repartons encore.
La belle journée aujourd’hui malgré le soleil, il fait un peu de vent, on n’est pas trop mal pour marcher. Des aéroplanes nous suivent, c’est toujours comme cela lorsque nous marchons de jour. Un de nos adversaires vient planer sur nos têtes mais nous sommes près du fort de Saint-Mihiel, le canon se fait entendre, les obus éclatent autour de lui, l’appareil fait un mouvement brusque, il est touché et ne tarde pas à descendre.
Nous arrivons à Saint-Mihiel, et là nous sommes logés dans une caserne vide. Nous sommes ravis de voir que nous avons des lits. Il n’y a ni draps ni couvertures mais il y a de bons matelas et pour le reste cela n’y fait rien, on couchera bien habillés, maintenant nous en avons l’habitude. Ici l’on ne se croirait plus à la guerre, si ce n’est que nous entendons gronder le canon dans le lointain.
Là nous sommes contents car nous sommes esquintés et nous pensons que l’on nous a amené ici pour nous faire reposer quelques jours aussi demain nous en profiterons pour nous lever tard. C’est un plaisir de voir ces visages, ils sont un peu amaigris mais tout rayonnants.
Mais quelle n’est pas notre surprise lorsqu’à 3h du matin on entend crier :
« Debout, le départ est à
4h du matin ».
6 septembre
Nous devons aller renforcer une armée au nord de Verdun. (*)
Nous partons, il n’y a pas à ronchonner, c’est la guerre.
Après avoir fait une quinzaine de km, on nous ravitaille en munition. Cela ne nous fait pas plaisir, nous comprenons que la situation s’aggrave. 220 cartouches qu’il faut porter mais encore plus qu’il faudra brûler.
Nous avançons lourdement, le son du canon approche. Nous commençons à voir des sacs abandonnés. (**)
Dans la plaine en face, il y a un grand combat, on ne voit presque personne. Ils sont enveloppés d’une fumée noirâtre qui grandit toujours. De part et d’autre, les coups de canon se suivent tellement qu’on entend qu’un roulement.
Nous approchons en prenant la formation de combat. Nous
sommes repérés, les obus arrivent. Nous avançons toujours aussi vite que
possible. Il y a un ravin en face : là nous serons moins vus, les obus nous
suivent, pas moyen de s’y soustraire, mais nous nous tenons un peu distancés
par sections, et nous n’avons pas grand mal. Les projectiles tombent en
sifflant entre les groupes d’hommes. Nous arrivons à la lisière d’un bois (***).
Les obus tombent maintenant à 1000m derrière nous, ils nous croient toujours dans le ravin, aussi cela nous fait rire de voir qu’ils brûlent leurs munitions si mal à propos.
(*) : le 261e RI allant vers Mondrécourt,
il s’agit du nord (ouest) de St-Mihiel et non de
Verdun !.
(**) : Les sacs sont toujours déposés dès qu’une attaque est
prévue. Un ou plusieurs hommes deviennent garde-sacs. Après l’attaque les
soldats récupèrent leur sac. Les sacs des hommes tués sont réunis, triés par
les fourriers et les effets personnels des morts sont normalement renvoyés à la
famille. C’est une des raisons que certains carnets de guerre ou courrier
peuvent être ‘’ récupérés ‘’ par les parents.
(***) : Le régiment est en réserve entre Mondrécourt
et Deuxnouds, sauf 2 compagnies du 5e bataillon (celui d’Émile) en lisière est
du bois d’Ahaye (maintenant bois Dahaie).
Le reste du régiment y viendra bivouaquer le soir.
La journée du 6 septembre va prendre fin, le soleil darde ses derniers rayons et va disparaitre à l’horizon. Nous commençons à regarder autour de nous pour voir ou qu’on pourra passer la nuit quand tout à coup, notre attention est attirée par un brouhaha terrible environ à 800m à notre droite. Ce sont les coloniaux qui sont attaqués, un combat s’engage.
L’artillerie de montagne se met de la partie, alors nous prenons position dans une tranchée et si les coloniaux battent en retraite, il faudra les soutenir, mais non, nos troupiers se battent en braves, ils mettent baïonnette au canon et avancent hardiment. Les boches encore pour cette fois sont repoussés.
La nuit est venue, nous cherchons un endroit propice à la lisière d’un bois pour pouvoir dormir un peu, et cela ne tarde pas car nous sommes fatigués et bien que le lit soit un peu dur, on dort quand même.
7
septembre
Le jour arrive de nouveau. En se réveillant on se demande ce qui va se passer ce jour-là.
A 7h, nous recevons un ordre, il faut avancer. Nous traversons un bois qui dure environ 2h.
Pendant ce temps-là, les obus tombent à droite et à gauche de partout ce qui nous fait avancer que plus vite. Une fois à la lisière (*), il s’agit maintenant de traverser une centaine de mètres découverts pour s’installer derrière un petit talus qui n’est pas suffisant pour nous garantir des balles mais tant pis, une section s’y installe, les moulins à café commencent leur opération. Ils sont tellement près que nos officiers croient que ce sont les nôtres, alors nous avançons hardiment mais à notre surprise, des camarades tombent : les uns sont blessés, les autres morts, nous avançons toujours au milieu d’une grêle de mitraille car l’artillerie ennemie joue son rôle.
(*) : Ce sont les 18e et 20e compagnies qui débouchent du bois
pour attaquer sur St-André : Émile est donc à l’une de ces 2 compagnies.
Arrivés en position, on nous canarde de partout, il y a deux mitrailleuses en face, on tire de droite de gauche, c’est lamentable car nous ne sommes pas assez abrités. Il s’agit de sortir de là le plus tôt possible mais comment faire ? Les mitrailleuses nous fauchent, tant pis il y en a qui commencent la retraite. Les uns se tirent de pattes, les autres restent en route…tout le bataillon suit le mouvement et nous nous rassemblons dans le bois.
Il en manque pas mal, nous n’avons presque plus d’officiers, le capitaine manque aussi, il faut aller voir où qu’il est, peut-être qu’il est resté blessé quelque part. Personne ne veut aller voir, alors je pars.
J’arrive de nouveau là où vient de se passer cet engagement mais je ne vois pas cet officier en question. Les mitrailleuses claquent moins mais l’artillerie redouble ses efforts. Les obus coupent les branches des arbres qui viennent s’abattre sur moi, il ne faut pas demander si je me retire au plus tôt…
J’arrive de nouveau à l’emplacement où était la compagnie mais elle n’y est plus.
Les obus y arrivent par série de quatre. Je pars au plus vite mais je n’ai pas perdu la piste. De temps en temps je trouve quelque objet abandonné, indice que la compagnie est passée d’un pas un peu précipité. Je finis pourtant par les rattraper en sortant d’un bois, et trouvons le capitaine impatient, il avait battu en retraite le premier et ne savait pas où était sa compagnie.
Il était content de nous revoir, il craignait que nous fussions tous resté entre les mains des boches.
Ce jour-là,
nous avons perdu beaucoup de monde dans le bataillon. Il ne restait plus qu’un
capitaine qui était le nôtre. (*)
De là nous nous replions dans la plaine à droite de Souilly et le 6ème bataillon qui n’a pas assisté à la débâcle avance en première ligne pour garder les positions. Nous sommes repérés par les avions, maintenant nous n’avons plus les balles mais les shrapnels, petits percutants et marmites, tout cela nous arrive à la fois.
Nous avons erré tout le reste de la journée sans pouvoir nous soustraire à la mitraille. Le soir arrive, les fourgons doivent venir à Souilly à la tombée de la nuit pour nous ravitailler. On y va en attendant que d’autres préparent pour nous coucher, car nous sommes en plein champ. Il y a par là des tas de gerbes qui feront bien notre affaire pour un lit de camp et chacun au travail. Les hommes de corvée arrivent mais n’apportent rien pour mettre sous la dent, il faut se coucher avec le ventre vide.
Ainsi se termina cette désastreuse journée du 7 septembre. (**)
(*) : Le capitaine Audric
de la 20e compagnie ayant été tué (ainsi que ceux des 17e et 19e compagnies -
JMO), il était donc à la 18e compagnie (capitaine Paul)
(**) : Bilan : 14 tués, 63 blessés ou disparus pour le
combat de Heippes.
Aujourd’hui 8 septembre, nous sommes de réserve.
Nous errons par-là dans les champs sous une chaleur accablante et un sac bien garni mais l’estomac vide, poussés par le feu de l’artillerie adverse, nous tournons sur la droite pour nous y soustraire un peu et en effet cela réussit, et en même temps cela nous avance car nous devons tourner l’ennemi.
Il est 3h du soir et nous arrivons à la lisière d’un bois près de Heippes. Là nous faisons la pause.
Pendant ce temps, notre 75 fait rage, il balaye notre route. L’ennemi fuit car ils le craignent beaucoup, il est mortel, aussi ils l’ont baptisé d’un drôle de nom. Le général de brigade nous fait avancer en suivant la lisière d’un bois, il ne peut pas passer à cheval, car pour n’être pas vus, nous passons sous-bois. Je me trouve là au moment où il met pied à terre, et me donne la bride. Vous me direz mais son ordonnance que faisait-il en attendant ?
Eh bien il avait le sien à conduire et le sentier était si étroit que nous avons eu toutes les peines du monde pour les faire passer car les branches s’accrochaient dans la selle. Nous arrivons cependant au bout mais la nuit est là. Il commence déjà à faire nuit, ma compagnie est plus avancée, elle occupe des tranchées en première ligne à 1500m de là, alors le général me donne l’ordre de rester là avec eux et ses ordonnances.
Nous nous couchons après avoir attaché les chevaux à un arbre près de nous, mais avant de nous coucher, l’ordonnance avait une demi-boule de pain que nous avons mangé à nous deux, et je vous assure que lorsqu’on n’a rien mangé de trois jours, on trouve le pain bon malgré qu’il soit sec.
9 septembre
Le lendemain, je vais rejoindre ma compagnie et ce général en question s’est fait tuer par un obus. (*)
Les tranchées ennemies sont à 400m des nôtres, derrière lesquelles sont installées des pièces de 77.
Dans la journée, sitôt que l’on voit une tête, des coups de feu se sont entendre. Des deux côtés, c’est la même chose.
L’artillerie fait rage de part et d’autre mais les obus passent sur nos têtes en sifflant pour aller tomber plus loin. La journée se passe sans trop d’incidents et la nuit arrive. Nous sommes à Ippécourt
Nous devons rester la toute la nuit dans cet emplacement. Ce jour-là, nos cuisiniers avaient essayé de faire la soupe dans un ravin en arrière de nous, mais la fumée ayant attiré l’attention de l’ennemi qui se met à les canarder avec violence. Les obus tombent sur les marmites et nos pauvres cuisiniers fuient à toutes jambes et viennent nous raconter leurs mésaventures et nous n’en faisons pas moins que de mettre ceinture…
La nuit, nos voisins essayent d’avancer mais nous sommes un peu là. Alors voyant qu’ils ne pourraient pas, l’artillerie se met à nous cracher dessus. Leurs pièces étaient postées si prêt que le feu du départ venait nous chauffer la figure et les obus coupaient les arbres et les branches qui s’abattaient autour de nous, la moitié de nos bons hommes profite de l’obscurité de la nuit pour se cavaler. Ils ont fait cette nuit-là plus de 30km disent-ils pour se soustraire aux obus boches qui fauchaient tous les bois environnants et viennent nous rejoindre au petit jour.
Et nous qui avons resté dans nos tranchées, nous avons fait toute la nuit des feux de salve ou bien à volonté, car nos voisins venaient souvent pour nous déloger. Mais leurs efforts ont été inutiles.
(*) : Le général de brigade Charles Grand D’Esnon, commandant de la 149e BI, dont
fait partie le 261e RI, sera tué le 20 septembre en sortant de Vigneulles vers 05 heures du matin.
Après une nuit bien longue et un peu angoissante, car j’oubliais de dire qu’il a tombé de la flotte toute la nuit, le jour commence à chasser l’obscurité et chacun se demande ce qu’il va se passer dans la journée.
A 8h, nous recevons l’ordre de nous replier, notre brigade est relevée par une autre. C’est avec plaisir que nous abandonnons nos tranchées et nous partons. Nous sommes le 10 du mois, nous avons fait 3km et arrivons au village de Souilly.
Là, nous touchons l’ordinaire et faisons la soupe avec plaisir car il y a quelques jours que nous n’en avons point eu et 2 heures après nous repartons. Nous avons passé le village de 500m, nous formons les faisceaux de fusils et restons-là. Deux régiments passent en colonne de compagnie.
Une fois arrivés dans la plaine, l’artillerie allemande se met à leur distribuer une bonne collection de shrapnells qui les met en désordre. Notre régiment voyant cela ne veut pas les suivre et nous tournons à notre gauche dans un chemin un peu creux mais il nous faut déboucher dans la plaine, et le même sort nous attend.
En effet, cela ne tarde pas, les obus éclatent sur nos têtes, en blessent une dizaine et les autres nous fuyons à toute jambe. Mais cela ne dure pas longtemps, notre artillerie a repéré la leur et leur crache dessus, ce qui la réduit au silence et plus que ça lorsque les Prussiens nous ont vu déboucher dans la plaine en grand nombre, ils ont cru que nous opérions un mouvement tournant et ont pris la fuite. Ceci m’a été raconté quelques jours après.
Nous continuons notre route après avoir fait une quinzaine de kilomètres, nous arrivons à une ferme. Là nous faisons la pause et en profitons pour faire le café car nous sommes un peu loin de la ligne de feu.
De là, nous repartons. Nous avons marché tout le jour et toute la nuit, pas moyen d’avancer, la route est pleine de soldats de toutes armes, à pied et à cheval, d’artillerie, fourgons et tout ce qui s’en suit. C’est une marche de patience, nous avançons à pas d’escargots.
11
septembre
Le jour arrive et nous entrons à Villotte (Villotte-sur-Aire), où nous faisons la soupe et repartons à midi pour aller à Thillombois, nous y passons le reste de la journée.
Là, nous sommes cantonnés et y passons la plus mauvaise nuit depuis que nous cantonnons, étant esquintés, il nous a fallu dormir assis sur nos sacs ou bien par terre car nous n’avions pas assez de place pour nous étendre, et encore que nous sommes tous mouillés car il pleut souvent, puis point de paille, que nous avons grelotté toute la nuit.
Le jour va bientôt arriver, nous partons pour aller occuper des tranchées à 6 km de là. Il faut que nous soyons arrivés avant qu’il soit trop clair. La pluie tombe toujours, les chemins sont pleins de boue mais il faut marcher quand même car une armée est partie de Metz et avance. Ils bombardent déjà le fort de Troyon, et s’ils réussissent à passer, nous pourrons les arrêter par ici. Nous arrivons à la lisière d’un bois, c’est là les tranchées que nous devons habiter. Maintenant la pluie tombe plus légère, mais nous en avons besoin car nous sommes dehors. Nous nous construisons des abris comme nous pouvons et passons la journée assez calme mais un peu humide.
Le soir arrive, nous retournons à Thillombois pour y passer la nuit. Nous couchons dans le même cantonnement, et passons la nuit pas meilleure que la précédente. Nous dormons quelque peu quand même car nous sommes fatigués.
12 septembre ?
Le lendemain, même répétition. Nous partons avant le jour pour aller réoccuper nos mêmes tranchées.
Tous
les faits relatés et comparés au JMO du régiment et de la brigade semblent
faire penser qu’il s’est trompé d’une journée, puis de deux.
Aujourd’hui, le 12 septembre (13 septembre ?), la journée sera meilleure. Il pleut de temps en temps mais après une giboulée, le soleil se fait voir et nous sèche un peu. Nous sommes près d’une route qui va à Bar-le-Duc, dans laquelle d’importants convois de ravitaillement et de marmites y passent chaque jour et nous sommes là pour la garder car l’ennemi n’est pas très loin et pourrait s’approprier quelques-uns de nos convois.
Le soir encore, même marche, nous retournons voir nos mêmes cantonnements. Ce n’est pas avec plaisir car il faut patauger dans la boue jusqu’aux genoux pour passer une autre nuit sans presque dormir, mais ici il ne faut pas chercher à comprendre. Nous marchons comme un troupeau de moutons et nous mènent où qu’ils veulent.
14 septembre ?
Le lendemain, nous espérons y retourner mais non car les Allemands ont été trompés. Ils ont avancé sur le fort de Troyon croyant qu’ils l’avaient démoli, ils avaient même passé les réseaux de fil de fer lorsque la mitraille se met à leur pleuvoir dessus, qui les écrase sur place.
800 boches morts sont restés dans les fils de fer et beaucoup d’autres encore dans la plaine environnante, et l’ennemi poursuivi fuit à toute jambe et en grand désordre.
Nous partons vers 1h du matin (le 15) et nous arrivons à Dieue-sur-Meuse à 11h.
15 au 17 septembre : Le régiment reste à Dieue.
Nous sommes fatigués par la marche mais il ne faut pas songer à aller se reposer car nous devons prendre la garde. C’est le tour de ma section. Nous nous dirigeons directement vers le poste de police.
Le lendemain le 14 (le 16, le 17 ?), encore de service jusqu’à 4h du soir et nous allons nous reposer le reste de la journée car nous en avons besoin. Là nous passons une bonne nuit car nous avons de la paille en abondance.
18 septembre
Le jour arrive, aujourd’hui pas de réveil aussi nous attendons qu’il soit bien jour. On annonce que dans l’après-midi nous aurons une petite marche militaire à faire, c’est bien nécessaire car il y a 2 jours que nous n’avons pas marché et l’on en perdrait l’habitude. Vous m’excuserez si je parle ainsi ironiquement car nous aurions bien préféré nous reposer que d’aller faire une promenade avec un flingue et un sac sur le dos qui pèse au moins 25kg.
En effet à 11h50, nous partons et faisons une dizaine de km pour aller et venir. En arrivant, le rata est préparé, nous ne le laissons pas refroidir et allons faire un petit tour au village et nous nous couchons.
19 septembre
Le lendemain matin, le 17 (19 selon JMO), nous partons pour direction inconnue. En route, nous voyons une pièce de gros calibre que les Allemands dans leur déroute de Troyon avaient abandonnée. Le génie avait eu la prudence de la faire sauter. Nous arrivons à Saint-Maurice, cette fois ci nous connaissons le patelin.
Chacun va rejoindre son cantonnement, nos cuisiniers font la soupe, en attendant nous allons voir si nous trouvons quelque chose à acheter mais pas moyen, les Allemands viennent d’y passer il y a quelques jours et n’ont rien laissé.
À 4h du soir, nous allons prendre les avants postes dans un village en avant de Saint-Maurice. (*)
(*) : Il s’agit d’Avillers pour la 18e
compagnie (JMO)
20-21 septembre (le récit de ces journées est corroboré par le JMO)
La nuit ne s’est pas mal passée, le jour arrive, c’est le moment de partir. Les Uhlans battent la plaine, nous rentrons à Saint Maurice aussi vite que possible. Les cavaliers ne se sont pas approchés davantage. Nous allons occuper des tranchées sur les côtes au-dessus du village où nous passons la journée.
Les Allemands se sont approchés dans la plaine, ils ont posté leur artillerie lourde et à 10h du matin, commencent à bombarder les villages environnants. Le 44e colonial est à Viéville 4km à notre droite, les boches essayent de prendre le village à l’assaut, le 44e résiste et les autres se replient de nouveau.
L’artillerie voyant que leurs troupes n’avait pas réussi leur tentative, de rage se sont mis à bombarder toutes les côtes. Les marmites arrivent par rafales, je crois qu’à la tombée de la nuit, ils en avaient envoyé plus de 3000 car on ne voyait plus qu’une fumée noirâtre qui couvraient les côtes. Malgré cela, nos pertes ont été insignifiantes.
Vers 4h, ils essayent de nouveau de prendre Viéville, cette fois ci ils sont nombreux, des renforts leurs sont venus. Le 44e est obligé d’abandonner ses positions et se replie.
Le soir arrive, on nous fait descendre à Saint-Maurice pour aller dans nos cantonnements. Pour ouvrir la porte, nous allumons une bougie mais nous n’avons pas deviné (?) : il nous arrive une fusillade terrible mais les balles passent sur nos têtes et s’aplatissent sur les maisons faisant un bruit épouvantable, alors nous n’avons eu qu’à regagner les côtes d’un pas précipité.
Notre colonel est âgé mais je crois qu’il est arrivé le 1er tellement il y en mettait. La compagnie s’est rassemblée après avoir monté, on la croyait toute perdue mais il n’en a que très peu manqué ce jour-là.
De là nous partons, nous avons marché jusqu’à 2h du matin sous une légère pluie. Nous avons passé à Deux-Nouds (Deux-Nouds-aux-Bois) et fait 4km en plus lorsqu’on nous fait faire demi-tour et revenons à Deux-Nouds, où nous sommes reposés deux heures et repartons pour revenir à Saint-Maurice. On avance un peu à pas tremblants car nous savons ce qui nous attend.
Avant d’arriver, nos officiers pour nous rassurer nous disent qu’aujourd’hui nous aurons le 8ème corps devant nous. En effet il n’est pas encore très jour et pourtant on entend quelques coups de fusils, mais quelle n’est pas notre surprise lorsque nous voyons un vingt de chasseurs à cheval qui avaient mis pied à terre à la lisière du bois, quelques-uns tenaient les chevaux et les autres faisaient feu sur l’ennemi dans la plaine. Nous prenons position sur le bord d’une route et commençons le feu.
Jamais je ne m’étais régalé comme ce jour-là, pour brûler des munitions sans être dérangé. La plaine est toute noire de troupes qui avancent, ils sont plus de 3 corps d’armée contre nous une brigade. Ils avancent toujours sans tirer. Si nous avions eu nos 75, ce qu’ils auraient passé ! Mais malheureusement, nous n’avons que nos 3 ou 4 pièces de montagne qui ne perdent pas leur temps mais c’est insuffisant.
J’ai brulé plus de 200 cartouches sans entendre siffler une balle, mais leur artillerie vient de se poster, les obus commencent à arriver par là. Je dois quitter ma place pour prendre des cartouches d’un camarade qui ne peut pas tirer. Je m’étais juste enlevé qu’un obus éclate devant nous, et la moitié de ce projectile arrive en sifflant juste à l’endroit où j’étais quelques secondes auparavant. Pensez si je l’ai passé belle !
J’ai compris que ce n’était pas mon heure. Je reviens au même endroit car un sergent à côté de moi n’avait plus de munitions et je pouvais lui en faire passer et continuons à tirer sous la mitraille de l’artillerie, mais ce n’est pas tout. Nos adversaires ont gravi la côte et ont délogé plusieurs de nos compagnies à l’arme blanche, et maintenant ils nous ont tournés et arrivent sur notre flanc.
Maintenant les balles sifflent et en grand nombre. Nous n’avons pour nous abriter que notre sac qui est devant nous. Il faut songer à se replier, il y en a déjà pas mal qui l’ont fait sans nous avertir. Nous restons un vingt de poilus dont quelques morts, alors nous suivons le mouvement pour l’arrière et je crois que nous avons trop tardé cat déjà les uhlans ont gagné le bois. Je crois que l’on se rappellera de cette journée, nous avons erré dans ce bois je ne sais combien de temps, partout les cavaliers faisaient leur apparition.
Nous sommes esquintés, rien mangé de deux jours, il faut
trotter quand même. (*)
Nous sortons du bois, passons à Dompierre, à Seuzey et arrivons à Lacroix-sur-Meuse. C’est presque nuit lorsque nous arrivons.
(*) : C’est ce que le JMO appelle se replier « dans le plus
grand ordre » …
Là, nous trouvons des territoriaux qui étaient venus pour compléter nos compagnies qui d’un effectif de 250 était venues à 120 ou 130. Ces territoriaux étaient épatés de nous voir arriver ainsi, avec des figures amaigries et fatiguées, et la faim qui nous poussait à leur demander du pain car ils avaient des boules entières. Ils ont été très compatissants envers nous, car ils nous en ont donné largement et nous regardaient dévorer ce pain d’un œil un peu inquiet, car ils voyaient ce qui pourrait les attendre.
La nuit est là, nous allons dans nos cantonnements, il n’y a point de paille mais nous n’avons pas besoin qu’on nous bercé pour dormir car nous sommes écrasés de fatigue et de sommeil.
22
Dans la nuit, les autres sections se sont aussi amenées et le matin on nous rassemble pour ajouter les territoriaux nécessaires pour mettre les compagnies dans leur effectif normal, et partons de nouveau mais nous n’allons pas loin car l’ennemi avance sur le village et il faut l’arrêter.
Des régiments vont en avant et nous sommes de réserve ce jour-là, nous n’avons pas de pertes. Il n’arrive que quelques marmites par ci par là, leur grosse artillerie dirige son tir sur le fort de Troyon, car il y a quelques jours qu’il leur a joué un mauvais tour et cette fois ci, ils veulent le démolir.
Le soir arrive, nous couchons sur place.
23 septembre
Le lendemain, même répétition mais les marmites arrivent en plus grand nombre, mais nos pertes sont insignifiantes. Le fort de Troyon, les marmites lui arrivent de 4 en 4, sans discontinuer. Nous couchons de nouveau dehors.
Le lendemain 24 septembre nous sommes en soutient d’artillerie. Ah les vilains ce qu’ils nous ont envoyés ce jour-là ! Il fallait rester sur place, impossible de fuir car il tombe partout, aussi nos territoriaux ne veulent plus vivre, mais malgré cela, nos pertes ne sont pas sérieuses. La nuit, il ne faut pas songer à aller se reposer, nous devons faire des tranchées en 1ere ligne que nous occuperons dans la journée car il n’y a rien pour s’abriter.
Le jour arrive, nos tranchées sont faites et nous y installons dedans. L’adversaire a aussi des tranchées pas loin de nous mais personne ne bouge. Seule l’artillerie qui nous envoie toujours quelques pruneaux mais notre artillerie leur rend la pareille. Nos pertes encore ce jour-là ne sont pas grandes mais cela n’empêche pas que les cadavres par-là ne sont pas rares, il y en a qu’on ne peut pas reconnaitre si c’est de chair humaine tellement ils sont en lambeaux. On trouve quelques souliers que le pied est resté dedans, c’est lamentable à voir. La nuit arrive, comme les autres fois nous sommes relevés des tranchées et allons passer la nuit dans un champ ou nous avons ramassé des gerbes d’avoine et nous avons fait un lit avec, dans lequel nous avons dormi profondément.
Le jour arrive aujourd’hui nous sommes de réserve. Nous nous trouvons dans un champ de carottes ou de betteraves, nous sommes contents de nous trouver là car il y a quatre jours que nous n’avons rien mangé, et nous allons nous payer de ces fruits que vous ne trouverez par trop ordinaires mais je puis dire que jamais je n’ai trouvé de carottes aussi bonnes. Nous sommes encore sous la mitraille boche. Le soir nous allons à Troyon. Il faut faire 8km mais là nous serons cantonnés. Le fort a été bombardé mais pas le village, ce qui nous fait le plus plaisir c’est que nous sommes ravitaillés.
Nous partons et passons à la Lacroix-sur-Meuse, c’est pitoyable à voir : presque pas une maison debout, c’est tout démoli, quelques-unes flambent, les rues pleines de décombres ou de trous d’obus, des chevaux étendus, inutile d’en décrire davantage. Arrivés à Troyon et nous faisons la soupe et mangeons à bon appétit et nous nous couchons car il est déjà tard.
Le lendemain 27 septembre, nous allons dans un champ car nous avons repos. On nous fait faire un peu d’école de compagnie, c’est une belle distraction.
A 11h, nous mangeons la soupe et nous partons pour aller renforcer une armée. On craint une attaque, en route, l’ennemi nous voit et nous expédie en grande vitesse quelques gros colis, en blessant quelques-uns et nous continuons mais l’attaque n’a pas suite.
Le soir nous rentrons de nouveau à Troyon et le lendemain, nous sommes de réserve
Le 29, même répétition, de réserve près de Lacroix-sur-Meuse et le soir nous partons pour aller à Rupt-Devant-Saint-Mihiel car l’ennemi tente de passer la Meuse. En ligne droite il y aurait 6 km à faire mais les ponts ont tous sautés, nous faisons près de 50km pour arriver. En route, nous nous sommes reposés 3h dans un village, et arrivons à Rupt où nous prenons position dans un bois et le soir nous rentrons à Fresnes, où nous sommes cantonnés.
Le lendemain, nous allons dans un bois près des Paroches où nous ne faisons pas grand-chose de 3 jours.
Le soir nous rentrons à Fresnes.
Le 4 octobre, nous sommes soutient d’artillerie, la journée se passe assez bien et la nuit nous couchons dehors, et nous avons fait ainsi jusqu’au 10.
Un jour de garde au parc d’artillerie ou bien soutient d’artillerie et les autres jours on travaillait à faire des cabanes.
Le 10 (8 selon JMO) au soir, alerte !
Nous devons aller prendre Cherroncour (Chauvoncourt).
Nous passons aux Paroches village démoli, en continuant notre route, nous arrivons à un bosquet situé dans la plaine. Nous entendons qu’on nous crie « Arda » (« Wer da ? » qui-va-là en allemand), nous ne comprenons pas ce langage. Nous nous couchons et les balles sifflent : c’est un petit poste Allemand.
Nous faisons demi-tour en rampant et laissons un mort. Une fois un peu plus loin, nous trottons au plus vite car les balles sifflent de plus en plus et allons prendre position le long de la voie ferrée car ce n’est plus un petit poste qui tire c’est peut-être une compagnie mais là, nous sommes abrités, les balles passent sur nos têtes.
Avant que le jour arrive, nous changeons de position et nous postons dans un canal où il n’y a point d’eau.
Le jour arrive, une patrouille fuit à toute jambe mais nos fusils crépitent et en tombe quelques-uns et les autres se cavalent. Il s’agit maintenant de surveiller la voie ferrée car ils pourraient nous tourner s’ils venaient de notre gauche. Je suis désigné avec un autre pour assurer ce service, maintenant tout est calme, excepté l’artillerie qui en blesse quelques-uns, la nôtre leur répond avec violence. Ma compagnie s’est repliée un peu en arrière, et vers midi on m’envoie pour reconnaitre son emplacement.
En route, 2 ou 3 obus m’obligent de me coucher par terre. Une fois passés, j’achève ma mission et arrive de nouveau à mon poste. Pour indiquer leurs emplacements, à 4h les mitrailleuses braquées dans les fenêtres des casernes de Chauvoncourt canardent ma compagnie.
En 5 minutes, nous avons 9 morts et 27 blessés, et les autres se retirent au village voisin où le soir arrivé, je vais les rejoindre pour retourner à Fresnes. Ainsi s’est passé cette mauvaise journée, que nous avons aussi passé à jeun.
Le lendemain, nous allons couper du bois avec le génie pour faire des tranchées et le soir, nous devons aller cantonner à Rupt car les obus tombent sur Fresnes.
Nous passons ensuite 2 jours dans les bois pour faire des tranchées-abris car maintenant nous devons coucher dehors. Rupt est un peu trop éloignée, pour y aller ou venir cela nous prend une partie de la nuit.
Le 12 (la date est conforme au JMO), nous sommes encore soutient d’artillerie, cela a bombardé tout le jour, mais de 5 à 7 heures du soir, cela a été terrible : plus de 200 pièces de canon de divers calibres tirent à la fois et dirigent leur tir du côté de Saint-Mihiel. La canonnade est tellement vive que le terrain tremble sous nos pieds, et la lueur produite par la poudre enflammée nous éclaire dans la route.
Ce soir, on veut essayer de nouveau de prendre Chauvoncourt, mais aujourd’hui nous sommes de réserve et passons la nuit à la gelée. Nous avons marché sur place toute la nuit pour nous réchauffer, nous devons nous coucher de temps en temps car un projecteur adverse nous envoie de temps en temps ses rayons lumineux et s’ils nous voyaient nous savons les suites qu’il en résulterait. Nos régiments trouvent une grande résistance et sont obligés de se replier avec des pertes considérables.
13 au 30 octobre
Le lendemain, nous avons eu repos dans les bois et jusqu’au 28 octobre, nous avons fait le même travail : 1 jour de garde, un autre soutient d’artillerie et couper du bois avec le génie, et cela tous les 4 jours.
Pendant ce temps, nous n’avons pas eu de pertes, excepté le 24 où nous étions comme d’habitude dans les bois, quand tout à coup il nous arrive une collection de shrapnels qui nous font un mort et 8 blessés.
Un éclat a percé me musette et a dû rester dans mon pain.
Le 29 (31 selon JMO) nous avons changé d’emplacement et sommes venus entre Fresnes et Rupt, toujours dans les bois car ils ne sont pas rares par la, nous restons 2 jours.
Le 2 novembre, nous avons ordre de partir. Toute la division quitte cet endroit à 10h du matin. Il y en a un rapport aujourd’hui : les uns disent que nous allons au Maroc, car nous sommes esquintés et nous y allons pour faire travailler les prisonniers de guerre, d’autres disent que nous allons en Belgique…En un mot, personne n’en sait rien.
Nous arrivons à Courouvre à 3h du soir où nous sommes cantonnés.
Le lendemain nous avons repos.
Le 4 novembre, nous devrions encore avoir repos mais on nous fait faire de l’exercice, deux heures le matin et 3 l’après-midi, et partons à 7h du soir pour venir à Courcelles, village anéanti. C’est avec peine que nous avons trouvé quelques remises pour y passer le reste de la nuit.
Partis de là à 2h de l’après-midi pour venir à Érize-la-Petite.
Ce village a moins souffert que d’autres, il y en a la moitié qui tient debout.
Repartis de là le lendemain, à 7h du matin.
Nous avons passé à Beauzé (Beauzée-sur-Aire), village anéanti, tout le long du chemin nous voyons de petites croix en bois fixées en terre pour marquer l’emplacement d’un mort.
Passons encore à Dubécourt (Nubécourt), Fleuris (Fleury-sur-Aire), tous des villages démolis et incendiés et nous arrivons à Auzéville à 4 heures du soir où nous avons eu repos le lendemain.
Pendant la journée, nous avons visité un peu les ruines, nous avons pu voir des cadavres humains qui avaient été brulés car les ossements étaient encore placés les uns à côté des autres.
Nous repartons le lendemain 8 novembre pour venir à Aubréville où nous sommes arrivés à 10h du matin et repartis le soir à 9 heures pour venir au château d’Abancourt.
Nous sommes le 9 novembre et arrivons à 1h du matin.
La compagnie va occuper les tranchées un peu à l’arrière de la ligne de feu où elle a resté 9 jours et moi étant agent de liaison, j’ai resté au château avec les autres hommes de liaisons et les officiers où nous habitons le sous-sol. (*)
Là, nous ne sommes pas mal, il n’y fait pas froid et nous avons de la paille en assez grande quantité, et tous les jours je porte à mon chef de section qui est à 2 km de là les ordres nécessaires.
Les obus tombent tous les jours par-là, sans trop faire de dégâts.
(*) : Ils logent au château d’Abancourt.
Partis de là le 18 pour aller occuper des tranchées en 1ere ligne à 4 km de la face Boureuilles, nous avons Vauquois à notre droite où nous passons 8 jours pas trop mal. Ma compagnie a du service à assurer, fournir des sentinelles et faire des patrouilles pendant la nuit, et nous la liaison nous n’avons que quelques ordres à communiquer et la nuit on peut dormir tranquille dans nos cabanes abris où nous avons de la paille pour coucher.
Sur le soir, il se livre des attaques assez violentes à notre gauche : ils lancent des fusées qui viennent nous éclairer à 2km de leurs emplacements mais nous autres, nous n’avons qu’à garder nos emplacements.
Nous partons de là le 26 à 8 heures du soir pour venir sur l’arrière, au Four des Moines. (*)
Là encore ça va mieux, nous habitons dans une maison presque toute la compagnie est sous le même toit. Il n’y a pas de service à assurer, si ce n’est quelques sentinelles. Là nous sommes au repos. De temps à autre arrivent quelques obus ne faisant aucun mal.
Nous passons ainsi 8 jours et repartons le 4 décembre pour retourner dans nos mêmes positions en 1ere ligne.
Le 10, nous devons prendre l’offensive. Vers les 8h du matin, le 44e colonial commence à avancer dans la plaine mais ils sont bombardés par les marmites et refusent d’avancer davantage. Aussi nous restons dans nos positions jusqu’au 13, que nous partons pour revenir au Four des Moines. Nous n’avons pas eu de pertes encore de cette fois, et tombent quelques obus par ci par là, mais dès que le premier arrive, nous rentrons dans nos tanières le plus vite.
C’est pour faire nos déplacements que c’est un peu dur, nous marchons dans les bois et faisons 5 km de la boue jusqu’aux genoux, ce n’est pas très amusant.
Nous passons encore 7 jours au Four des Moines comme l’autre fois.
(*) : 1,2 km plein ouest du château d’Abancourt.
Sur sa fiche matriculaire
est indiqué qu’il est blessé le 23 décembre 1914. Sur le JMO il est indiqué 1 blessé
le 21 et un blessé le 22. Les évènements qu’il relate ci-dessous sont
conforment au JMO (ci-dessus) soit le 20 ou le 21, mais pas le 23 où le
régiment était au repos. D’ailleurs il dit arriver à l’hôpital de Saulieu le
23.
Donc le date de sa
blessure comporte une erreur d’une ou deux journées sur sa fiche.
20 ou 21 décembre 1914
Le général Joffre commandant en chef des armées françaises a donné l’ordre d’attaquer sur tout le front. Nous partons à 4h du matin (*) sous une pluie battante, toujours de la boue jusqu’aux genoux et arrivons ainsi dans nos anciens emplacements, mais cette fois ci, il faut aller plus loin. Nous devons aller prendre le village en face qui est Boureuilles.
Il y a une plaine de 1000m qui nous sépare.
A 9 heures, les opérations commencent : nous avançons par bonds de un à un, la première section part, la 2ème aussi, la 3ème suit le mouvement : notre officier part et nous la liaison devons le suivre.
La 4ème section ne s’engage pas, mon tour arrive, je pars. Je fais 400m au milieu d’une pluie de balles et j’arrive à l’emplacement désigné sans être touché, seulement il n’y a rien pour s’abriter, que quelques buissons qui n’arrêtent pas les balles car elles passent toujours en grande vitesse et en grand nombre, quand tout à coup, je sens que je suis touché à la jambe. Je ne sais pas où, mais bientôt je sens que le sang coule, c’est au mollet. Je voudrais m’enlever de là car je suis dans l’eau mais impossible il faut rester sur place.
Il est 1h, mais cette soirée a été longue, la nuit ne vient pas souvent, mais cependant à la longue, elle arrive. La fusillade finit et nous partons avec d’autres blessés et venons au poste de secours.
Là, on nous fait un pansement et de là nous nous dirigeons sur la ferme d’Abancourt qui se trouve à 5 km de l’endroit d’où j’ai été blessé. Aussi je languissais d’arriver car je commençais à me fatiguer, cette jambe se refusait d’avancer.
En arrivant, on m’a fait coucher sur de la paille où j’ai resté 2 ou 3 heures. Pendant ce temps, j’ai cassé la croûte car de la journée nous n’avions pas trouvé l’occasion. Des voitures arrivent pour nous transporter à Neuvilly (Neuvilly-en-Argonne) où nous avons trouvé des autobus qui nous ont conduits à Vraincourt. (**)
Maintenant ça va mieux car nous n’aimons pas trop à être balancés, nous sommes tous des blessés et craignons les mouvements brusques.
(*) : Selon le JMO, l’attaque débute le 20 décembre par les 17e
Cie et 18e Cie (celle d’Émile). De plus la 18e Cie est relevée dans la nuit du
20 au 21. C’est donc plutôt le 20 qu’Émile a été blessé, comme de très nombreux
autres soldats (pertes de 3 officiers et 190 hommes), ce qui correspond mieux
au récit de l’attaque et au fait qu’il écrit arriver au poste de secours avec
d’autres blessés.
(**) : L’ambulance 14/5 de Vraincourt
était celle pour cette attaque (JMO des Services de Santé de la 9e DI qui avait
le commandement de l’attaque sur Boureuilles – JMO
150e Brigade). La ferme d’Abancourt devait être juste
un poste de secours qui, vu l’afflux de nombreux blessés le 20 au soir, a dû
traiter les urgences et seulement faire des pansements d’attente pour ceux
transportables à l’arrière sans les répertorier. Probablement de même à
l’ambulance de Vraincourt peut-être saturée. Ceci
pourrait expliquer qu’Émile ne soit officiellement déclaré blessé que le 23
lors de son entrée à Saulieu pour l’extraction de la balle.
22 décembre 1914
Arrivés à Vraincourt à la pointe du jour. On nous a ravitaillé et fait de nouveau nos pansements, on a essayé de tirer la balle qui était restée dans ma jambe mais étant un peu profonde, on l’a laissé.
A 3 heures, nous avons monté en voiture pour venir prendre le train à Clermont-en-Argonne, arrivés à la gare à 3h nous montons au train qui ne part qu’à 5h. Il y a des places vides mais il arrive toujours des blessés et les voitures se complètent.
Arrivé 5 heures, le train siffle et s’ébranle, nous arrivons à Châteauneuf, là le train s’arrête. On fait descendre ceux qui sont gravement blessés, à nous autres nous restons, on nous apporte pour manger et pour boire. On voit qu’il y a un peu de pitié pour les blessés.
Le train repart mais le jour ne tarde pas à se faire connaitre. En route de temps en temps, on nous apporte pour boire et pour manger, même des cigarettes.
Arrivons à Dijon, à la tombée de la nuit, là on nous ravitaille de nouveau, et arrivons à Saulieu à 2h du matin le 23 décembre.
Là, nous avons trouvé un bon lit, c’est nouveau car il y a quelques jours que nous n’en avons point eu, et l’on nous sert à manger et à boire et cela s’est ainsi continué jusqu’à notre sortie.
Le soir arrive, l’on me fait descendre un étage pour passer à la radiographie pour voir où la balle se trouvait.
Hôpital de Saulieu. Mars 1915
24 décembre 1914
Et le lendemain dans la journée, on me fait descendre de nouveau. On me met sur une table que je trouve un peu froide mais je n’ai pas eu à y rester longtemps. L’on m’a demandé si je voulais qu’on m’endorme, on m’a rassuré qu’il ne faudrait pas longtemps alors j’ai préféré que non, et quelques secondes après, le major en souriant me met une balle dans la main.
Ainsi se termine ma campagne 1914.
J’ai souvent parlé de nos cabanes, que nous appelons aussi guitounes. Il faut que je dise en deux mots ce que c’est. Il ne faudrait pas croire que ce soit un château, d’ailleurs le nom l’indique. Nous creusons dans le sous-sol une tranchée assez large pour pouvoir s’étendre pour dormir la nuit, et la longueur dépend du nombre que nous voulons l’habiter. Nous la recouvrons ensuite avec des rouleaux de bois que nous coupons de mesure et que nous mettons cote à cote car le bois n’est pas rare par la et cher non plus et nous recouvrons le tout de terre. Nous faisons des escaliers par lesquels nous descendons dans l’intérieur nous avons soin de faire une cheminée pour faire du feu la nuit si possible. Dans l’intérieur, le plâtrier y a passé surtout dans l’Argonne par conséquent il faut faire attention à la peinture car elle ne sèche pas souvent pendant la saison d’hiver…Pour nos avenues, nous sommes dispensés de trottoirs qui des fois seraient bien nécessaires car les rues sont mal tenues.
Fait au mois de février à l’hôpital temporaire N°40 de Saulieu, 1915.
LA SUITE
Après rétablissement, il intègre le 141ème régiment d’infanterie en juillet 1915, puis le 269ème régiment d’infanterie en novembre 1915. Il sera blessé grièvement le 2 avril 1916 à Vadelaincourt, et décèdera le jour même.
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LEBRAT
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