Carnet de guerre de Benjamin LEJEUNE

du 2e cuirassiers – Octobre 1914

 

Mise à jour : Janvier 2016

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Prélude

 

 

Témoignage d'un ancien combattant du 2ème régiment de Cuirassiers, nommé Benjamin LE JEUNE. Dès 1914, il fut créé un groupement de cuirassiers à pieds, et, avec d’autres unités, un « groupe léger » rattaché à la 1e division de cavalerie.

Merci à Claude.

 

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Benjamin  Albert  LE JEUNE

Né le 8 avril 1887 à Maromme, arrondissement de Rouen.

Affectation : 5e armée – 1ère division de cavalerie (DC) – 2e brigade de cuirassiers – 2e régiment de cuirassiers – PHR = Peloton Hors Rang détaché auprès de l’EM (état-major) du régiment.

 

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Notes de guerres

15 octobre 1914

Départ à 7h ½ de l‘école militaire.

Nous sommes en tenue de fantassins, nous avons le pantalon de cheval et guêtres avec la tunique du 2ème Cuirassiers mais nous portons une capote sans écussons.

Nous avons chargé le sac copieusement et le trajet jusqu‘à la gare du Nord nous semble assez long car nous ne sommes pas habitués à porter l‘as de carreau. Les Parisiens nous regardent passer avec étonnement, nous ne sommes pas en ordre et nous chantons à tue-tête.

Nous arrivons à la gare du Nord vers 9h et des civils nous offrent vin et cigarettes.

 

Après ½ heure de pause nous embarquons dans un train de voyageurs et nous quittons la gare du Nord à 9h ½. Nous regardons les quais se défiler et l‘on sent que chacun a la même pensée au moment de quitter Paris.

Un loustic chante :

 

« Quand est-ce que l‘on se reverra ah ah »

Et c‘est bien la pensée commune qui est ainsi résumée.

 

Mais au silence succèdent les chansons et la gaieté règne jusqu‘à notre arrivée à Drancy, il est à ce moment 12h ½.

Nous quittons la gare pour aller dans une ferme à environ 2 kilomètres pour y prendre un peu de repos et y faire un repas froid en attendant que le chef du détachement reçoive d‘autres ordres.

 

A 18h nous reprenons la route de la gare, nous attendons jusqu‘à 22h que le train soit formé et à 22h30 nous roulons vers une destination inconnue. Nous nous installons le mieux que nous pouvons, mais nous sommes 8 par compartiment avec tout le harnachement et nous sommes bien serrés pour un long voyage.

16 octobre

Nous avons passé la nuit dans le train – vers 10h nous passons Abbeville.

Plus tard nous dépassons Montreuil s/ Mer et l‘arrêt que nous faisons à cette gare me rappelle bien des souvenirs – nous ne savons toujours pas le point terminus.

Sur tout le parcours il nous a été offert café, thé, biscuits, cigarettes, malgré cela le trajet commence à devenir long.

 

Enfin à 16h nous descendons en gare de Bruay, nous remettons Azor (*) sur le dos et nous nous dirigeons sur Béthune situé à 10 kilomètres.

Au passage l‘on nous questionne constamment sur le no. de notre régiment qui n‘est pas apparent et la population est étonnée de voir de si grands fantassins. Les villages que nous traversons sont pauvres et les habitants ont l‘air d‘être des mineurs.

A mi-chemin nous commençons à percevoir le grondement du canon, dans le lointain nous apercevons plusieurs fermes qui brûlent et les silhouettes qui se meuvent sur les crêtes nous font supposer des combattants.

A l‘entrée de Béthune nous rencontrons des bivouacs anglais, les soldats anglais ont bon cœur, ils nous offrent tabac et cigarettes et font montre d‘une belle insouciance.

 

A 8h du soir, nous arrivons dans la caserne qui nous est assignée.

L‘étape s‘est assez bien effectuée quoique nous n‘ayons pas l‘habitude du sac et après avoir bouffé une boîte de singe nous nous couchons sur le plancher où il y a 3 brins de paille.

Il est 9h ½.

 

(*) : Azor est le nom donné au sac à dos du soldat

17 octobre

Réveil à 5 heures.

Café à 6h. Nous partons dans la direction de Hersin, mais nous recevons bientôt l‘ordre de rebrousser chemin.

C‘est à ce moment que l‘on nous fait la théorie sur le chargement du fusil Lebel et sur l‘escrime à la baïonnette, cela dure ½ heure et nous rentrons à la caserne qui nous logeait primitivement en attendant de nouveaux ordres.

Nous avons l‘ordre de ne pas quitter la caserne, je réussis cependant à quitter la caserne avec deux camarades et nous sommes invités à souper dans une belle maison bourgeoise (la bonne en pinçait probablement pour les cuirassiers et nous sommes bien soignés, les patrons sont partis).

 

Nous rentrons à la caserne vers 9h et nous allons nous coucher sur le plancher (faute de lits) personne ne s‘est aperçu de notre escapade.

Je dois dire ici qu‘à notre départ de Paris nous étions 7 ou 8 camarades et que nous nous étions promis aide mutuellement (je vais dire leurs noms ici pour l‘intérêt de l‘historique – DEBRAIZE, cuisinier – TRAPON aide-cuisto – REISER – AUFFRET – BOURDERIE – RIGOT - De La MARNIERE et moi nous étions huit).

Lorsqu‘on arrivait dans une ferme pour loger, un sautait pour la cuisine, l‘autre pour le couchage, l‘autre pour les victuailles et nous n‘étions jamais les plus mal.

18 octobre

Réveil à 6h. Café, aucun ordre pour partir. Nous nous promenons dans Béthune presque toute la journée. C‘est une petite ville très populeuse et industrielle. Les rues sont étroites et les maisons en briques. Beaucoup de gens inoccupés et dépaysés.

Le grondement du canon s‘est perçu toute la journée, heureusement que les rayons de soleil étaient là pour dissiper toute tristesse.

Nous sommes de retour à la caserne vers 16h.

 

A 17h on nous prévient qu‘il y aura appel à 18h devant la sous-préfecture, nous nous mettons en tenue de campagne et après avoir poireauté jusqu‘à 9h devant cet édifice l‘on nous embarque dans des autobus parisiens pour une destination inconnue.

En quittant Béthune le convoi prend une route nationale et nous roulons à une vitesse d‘environ 20 km à l‘heure. La marche est très régulière, à certains tournants nous apercevons une file de phares d‘autobus se suivant à 30 mètres.

Les lumières de l‘intérieur sont éteintes pour ne pas indiquer un transport de troupes et de temps à autre nous apercevons les rayons d‘un projecteur allemand fouillant l‘horizon.

 

Après deux heures de marche nous descendons à l‘entrée d‘un village dont quelques maisons sont en ruines, les habitants non partis se tiennent derrière les volets fermés à travers lesquels passent quelques filets de lumière.

La traversée de ce village effectuée nous recevons l‘ordre de ne plus parler haut ni fumer, la nuit est très sombre et c‘est la gamelle du camarade qui est devant qui nous indique la direction à prendre.

Notre marche a duré environ 1h ½ et c‘est vers minuit ½ que nous couchons sur quelques brins de paille dans une grande bergerie, l‘odeur n‘y est pas très agréable, les boches ont ch.- partout.

Enfin je pense à la chanson (« Le parfum et l‘eau c‘est pour rien mon marquis ») et j‘y dors aussi bien qu‘un de ces personnages dans un lit de plumes.

19 octobre

Réveil à 6h.

Après la toilette en plein air, nous confectionnons un petit café au lait que nous trouvons excellent. Le lait est fourni par des vaches sans propriétaire et les volailles qui feront les frais de la cuisine rempliront les mêmes conditions.

Le village où nous sommes s‘appelle Laventie, les vieillards et les infirmes y sont restés et ils nous racontent les infamies commises par nos ennemis.

Ici maison incendiée avec les habitants dedans parce qu‘on leur a refusé (inutile de dire quoi).

Plus loin jeunes gars de 16 et 18 ans tués sous les yeux des parents parce qu‘ils essayaient de s‘enfuir, jeune fille violée, etc. etc. – Les Allemands sont restés en maîtres dans ce village assez longtemps, la maison où nous cantonnons est presque broyée par les obus français et anglais, il fallait alors les déloger, et il parait que ceux-ci (les obus) arrivèrent bien pour finir le festin que les allemands venaient de faire.

 

La journée se passe à visiter les ruines, le grondement du canon est très près, nous assistons au bombardement de deux avions anglais par les Allemands, mais les pilotes semblent narguer ceux-ci.

Nous nous attendons à repartir ce soir.

 

A 19h, nous nous mettons en tenue et nous nous dirigeons sur Merville situé à environ 20 kilomètres.

La marche est rendue difficile par un long convoi anglais, par la pluie battante, par le pavé gras et par les chemins glissants.

Nous passons Merville et nous allons nous cantonner à Le Jars petite localité.

La pluie n‘a pas cessé, nous sommes traversés et bien fatigués. Nous nous étendons sur la paille et c‘est le sifflement du vent et le grondement lointain de la canonnade qui nous endorment.

Il est environ deux heures du matin.

20 octobre

Réveil à 7 heures.

La journée est de repos (mais que faire, il y a 3 ou 4 maisons).

21 octobre

Réveil à 7 heures.

Dans la matinée nous faisons un simulacre de combat d‘infanterie.

 

A midi nous sommes présentés au commandant (DE LA BRUYERE) ancien lieutenant au 4e escadron du 8e cuirassiers que je connaissais bien.

Il a sous ses ordres les groupes à pied du 1er cuirassiers-2e cuirassiers-27e dragons-6 dragons-32e dragons 23 dragons formant un total d‘environ 900 hommes (cavaliers fantassins) et dénommé par la suite groupe léger de la 1ère division de cavalerie. (*)

C‘est la réponse aux Allemands qui ne voulant pas accepter de combat avec les cavaliers français ont mis les leurs à la garde des tranchées.

 

Dans l‘après midi, nous changeons de cantonnement, nous sommes dans le collège de Merville. La canonnade est plus lointaine. Nous assistons au bombardement d‘un avion français par les Allemands, mais leur tir ne gêne pas le pilote car l‘éclatement des obus se produit soit en bas, soit à droite ou à gauche.

 

Le soir je prends la garde.

 

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(*) : A la date du 22 octobre 1914 : le bataillon (Groupe) léger est mentionné dans le JMO de la 1e division de cavalerie.

22 octobre

Réveil à 3h ½.

A 4h ½ nous prenons place dans des autobus parisiens qui doivent nous emmener à Laventie (j‘aimerais mieux que ce soit à Plaisance).

En route nous croisons le 2ème cuir. à cheval.

Nous arrivons à Laventie à 9h. Nous traversons le village pour aller nous placer dans un champ à 1 kilomètre au delà. La moitié de l‘effectif part dans les tranchées situées à environ 1 kilomètre et je reste avec l‘autre moitié en réserve.

Aujourd‘hui ni jus ni soupe, le temps est sombre et il ne fait pas chaud.

La canonnade est intense et l‘action qui se déroule à quelques kilomètres de nous doit être chaude.

Nous assistons à un lamentable cortège d‘évacués. Malades dans des brouettes portées par des vieillard ou infirmes. Bientôt le défilé est remplacé par un défilé de blessés, la plupart sont des chasseurs alpins.

Leur commandant a été tué par un éclat d‘obus à la tête, il est transporté dans une voiture à bras trainée par 4 chasseurs alpins.

 

Plus tard, deux chasseurs alpins nous racontent que Fromelles a été en partie détruit et incendié par les Allemands, ces deux chasseurs alpins sont exténués, voilà sept jours qu‘ils se battent sans discontinuer dans le village.

Dans la soirée le restant du régiment passe, ils nous blaguent, l‘un d‘eux nous dit qu‘il serait curieux de voir (une charge de cuirassiers à pied).

 

La journée a été froide, vers 17h ½ la cavalerie rentre dans ses cantonnements ainsi que plusieurs batteries d‘artillerie.

 

Vers 20 heures, nous partons cantonner 1km au delà. Nous couchons dans une maison abandonnée tout harnachés.

La canonnade et le crépitement des coups de fusils n‘ont pas cessé de la nuit.

23 octobre

Réveil à 6 heures.

Le canon s‘est tu. Nous n‘entendons plus que quelques coups de fusil par ci par là.

Nous apprenons que Fromelles situé à 3km a été repris par les Allemands.

Encore un avion français survole les lignes allemandes et est bombardé sans résultat.

La journée se prépare moins froide que la veille car le soleil vient de nous envoyer un sourire.

 

L‘après-midi nous allons réoccuper le champ de la veille et nous faisons de l‘instruction de combat d‘infanterie sous la direction d‘un sous-lieutenant de chasseurs cyclistes. L‘on comprend que nous ne sommes pas assez préparés pour ce que l‘on attend de nous.

 

Vers 16 heures passe un taube (*) sur lequel nous tirons.

Le résultat de notre fusillade est de lui faire faire demi-tour.

 

Vers 20 heures, nous partons et allons cantonner à La Gorgue situé à environ 4 kilomètres. En route nous rencontrons des détachements indous, l‘effet produit par leur accoutrement et leurs mœurs (assis par terre les jambes croisées) est étrange. Nous nous couchons vers 22 heures.

 

La nuit nous n‘entendons qu‘une vive fusillade. Nos amis les Anglais travaillent.

 

(*) : Avion allemand

24 octobre

Réveil à 6 heures. Café.

Plusieurs avions français et anglais sont bombardés par les Allemands mais leur tir n‘est pas efficace et les pilotes ne s‘en soucient aucunement. L‘on profite d‘un peu de liberté pour aller visiter les campements indous aperçus la veille.

C‘est justement l‘heure de la soupe pour eux et nous les voyons confectionner leur nourriture. Celle ci se compose de six galettes faites avec de la farine pétrie et cuites dans le saindoux agrémentées de pommes de terre très pimentées. Les galettes que nous goutons sont bonnes.

Près de leur camp se trouvent des tombes de plusieurs dragons tués en reconnaissance.

 

L‘après-midi est consacrée à un simulacre de combat d‘infanterie.

A deux reprises nous approchons trop près des cantonnements anglais et ceux ci après s‘être barricadés croyant à une ruse de nos ennemis se préparent à bien nous recevoir.

La 1ère fois un civil s‘aperçoit à temps de la méprise et vient nous prévenir de cesser et la 2ème fois c‘est un capitaine d‘artillerie anglaise qui vient adresser des observations au nôtre en raison de la faible distance qui les sépare des boches.

 

Le soir la fusillade est ininterrompue. La ligne de feu est à peu près à deux kilomètres.

Nous couchons à La Gorgues.

25 octobre

Réveil à 6 heures. Café.

 

Vers 9 heures nous partons pour Mont Bernanchon situé à environ 25 kilomètres.

 

Nous y arrivons à 16 heures.

La route nous a semblé longue, nous commençons cependant à nous habituer au sac.

En passant à Laventie où nous avons fait une pause, nous constatons que ce village a été de nouveau bombardé par les Allemands. La plupart des maisons sont éventrées et les habitants qui y sont encore font leurs préparatifs de départ à la hâte.

A peine avons nous le sac sur le dos que le bombardement recommence et les grosses marmites tombent bien près de l‘église qui est le point de mire. Il est grand temps de partir pensent nos chefs et nous partons.

 

Le soir, arrivent plusieurs fourgons destinés à suivre le groupe à pied et à nous alléger de nos sacs.

Nous n‘en sommes pas fâchés.

27 octobre

Réveil à 5 heures. Café.

Nous partons l‘on ne sait où. Nous nous arrêtons dans un champ à trois kilomètres de Lestrem.

Soupe en plein air.

 

A 20 heures, nous quittons avec plaisir ce champ où nous sommes restés toute la journée à ne rien faire pour aller coucher à Laventie.

Il est 22 heures lorsque nous nous couchons.

28 octobre

Réveil à 5 heures.

La grange où nous avons passé la nuit abritait déjà des soldats anglais qui en battant en retraite la veille avaient perdu leur régiment.

La cordialité règne entre nous. Nous partageons avec eux le café que nous confectionnons et en revanche, ils nous donnent tabac et cigarettes. Ils paraissent fatigués de ce qu‘ils ont fait la veille mais ils ont l‘air de regagner gaiement leur régiment.

Nous sommes dans une ferme abandonnée, nous tuons deux poules pour l‘équipe et nous nous mettons vivement à les faire cuire.

A ce moment passe un cortège de prisonniers allemands conduits par des anglais.

 

A 8 heures, l‘on reçoit l‘ordre de changer.

Nous allons à la Croix Barbet située à environ 3 kilomètres au dessus de Laventie. Nous remettons nos deux poules à cuire et pendant la cuisson nous visitons la Croix Barbet.

Le village est en partie détruit et gisent parmi les tombes les effets déchiquetés des combattants restés sur le carreau. Les Allemands ont du prendre la fuite vivement, l‘un des nôtres trouve dans une maison un casque d‘officier boche.

 

Enfin les poules sont cuites, nous mangeons une bouchée de bon appétit et nous nous désaltérons avec du bon vin bouché que nous avons trouvé dans une grange.

Nous y goutons prudemment car les boches sont sujets à caution et nous craignons qu‘il ait été truqué.

 

Une ½ heure plus tard le capitaine nous rassemble et après un petit communiqué sur la situation des armées en présence l‘on nous fait mettre en tenue, il est 10 heures.

A ce moment comme nous pouvons nous rendre compte que le vin est excellent nous faisons un 2ème voyage à la grange en 4ème vitesse.

Au retour j‘en ai plein les bras, j‘en distribue aux camarades, j‘en garde trois pour moi. La journée est belle et le soleil a encore de la force, elles seront utiles.

Après avoir réuni 3 escadrons et formé les 3 autres en réserve, le capitaine commandant nous autorise à nous débarrasser des objets encombrants.

Pour ma part, je ne veux rien laisser, j‘ai cependant ma tunique qui pliée en deux sur ma musette est gênante, mais je crains de ne pas revenir par le point de départ. J‘ai une bouteille dans chaque poche et une dans la ceinture de mon pantalon mais pour rien au monde je les laisserai. Me voilà donc bien embarrassé pour faire du pas de course et des sauts d‘obstacle.

 

Dans le lointain nous apercevons un village, nous sommes formés par peloton et par escouade en file et devant nous c‘est la rase campagne sauf quelques fossés et quelques arbustes.

C‘est alors que le capitaine nous recommande de bien suivre les principes qui nous ont été montrés par le sous-lieutenant de chasseurs cyclistes, car ce que nous avons fait au figuré, nous allons le faire pour de bon cette fois, puisqu‘il s‘agit d‘aller à l‘attaque du village de Neuve-Chapelle que nous apercevons à 1500 mètres d‘où nous sommes et où sont les Allemands.

 

Sur l‘ordre du capitaine les trois escadrons (à pied bien entendu) se mettent en marche dans la formation que j'ai indiquée.

A peine avons nous parcouru 500 mètres que l‘ennemi semble nous avoir repérés et les obus (shrapnels) tombent à environ 50 mètres des escadrons.

Notre marche sous le feu de l‘artillerie s‘effectue par petits bonds et nous obliquons de temps à autres soit à droite soit à gauche pour nous mettre en dehors de la ligne de tir. Un cycliste de liaison qui se croyait à la promenade est tué d‘un éclat d‘obus.

Je reconnais que mes bouteilles commencent à me gêner et je profite d‘un moment où nous sommes tous plaqués par terre pour demander un couteau tire-bouchon à un camarade.

Celui ci me le fait passer, je débouche une bouteille que je vide dans mon bidon, quant aux deux autres nous les buvons, soit couché soit au pas de gymnastique. Cela fait du bien, nous commencions à avoir soif.

Le tir de l‘artillerie est maintenant plus juste, il faut faire des bonds vivement et avoir bien soin de s‘aplatir; des éclats d‘obus nous sifflent aux oreilles et j‘en reçois un à la cuisse qui traverse pantalon, caleçon et vient s‘incruster dans la peau en me faisant une petite entaille insignifiante.

 

Nous faisons ainsi 500 ou 600 mètres sous le feu de l‘artillerie, et à part le cycliste, nous n‘en souffrons pas.

Les fantassins allemands commencent par nous canarder et leur tir remplace celui de l‘artillerie qui s‘est tue. Le sifflement des balles est semblable au vol des gros bourdons et l‘on se croirait sous un essaim de ces sales bêtes.

Nous mettons les fossés à profit, nous avançons un par un à 10 mètres en nous cachant derrière les moindres replis de terrain. Enfin nous arrivons sur la route nationale qu‘il faut traverser un par un puisqu‘elle est balayée par le tir d‘une mitrailleuse et nous nous reposons dans un large fossé où la boue ne fait pas défaut. Les hommes sont mélangés dans les pelotons mais nous nous remettons en route en utilisant le fossé où nous enfonçons dans la vase jusqu‘à mi-jambe.

 

A ce moment la fusillade nous prend de face et de coté, ce n‘est qu‘une rafale et l‘écorce des arbres vole en éclats. Ce n‘est pas le moment de montrer sa tête.

En suivant ce fossé nous arrivons à l‘entrée du village que l‘on attaque, nous enjambons des cadavres anglais, le 1er est un lieutenant et c‘est à ce moment que j‘éprouve vraiment le sentiment de la réalité, c‘est un douloureux spectacle que de voir des morts presque ensevelis sous la boue et des blessés agonisants qui nous regardent d‘un air d‘anxiété.

Mon bidon est encore plein, je m‘arrête à plusieurs reprises pour le partager avec des blessés, cela les réconforte.

La dernière gorgée est bue par un des soldats anglais battant en retraite – il était couché sur le bord du talus mais sa fatigue était si grande qu‘il était incapable de continuer l‘effort qu‘il fallait faire pour marcher dans cette boue. Il me dit quelques paroles (probablement pour me remercier et me donnant une poignée de main il se dépêche de rejoindre ses camarades).

 

Nous suons tous à grosses gouttes, jamais je n‘ai eu si chaud, nous ne faisons plus attention au sifflement des balles tant est grande notre volonté d‘arriver au bout de ce maudit fossé.

Malheureusement nous ne sommes pas au bout de nos peines, un de nos officiers voyant les anglais battant en retraite nous fait suivre ce mouvement et nous recommençons en sens inverse le trajet qui nous était si pénible.

Arrivés à notre point de départ, le commandant DE LA BRUYERE nous dit de prendre un peu de repos mais un officier anglais survient et après quelques mots échangés avec notre commandant, il nous faut refaire le trajet encore une fois.

Des Anglais ne pouvant faire l‘effort exigé pour marcher dans cette boue préfèrent grimper sur la route, ils sont reçus par un feu de salve, plusieurs sont blessés et les autres redescendent dans le fossé.

 

Enfin nous atteignons les 1ères maisons du village, plusieurs de notre escadron sont blessés et sont transportés à l‘ambulance. La fusillade part de diverses maisons occupées par les Allemands, nous nous défilons encore derrière des maisons, des haies et dans des fossés et arrivons ainsi devant la principale défense des boches.

Entre nous et eux, existe une tranchée que les Anglais ont pris à la baïonnette, une douzaine d‘entre nous s‘élancent vers cette tranchée mais ils sont bientôt obligés de revenir avec nous, le fond de cette tranchée étant rempli de cadavres anglais et allemands.

Un des nôtres est tué en sortant.

 

Plus tard, un blessé anglais demandant du secours, un des nôtres demande l‘autorisation au capitaine d‘aller le chercher, celui ci le laisse faire à sa guise, mais à peine a-t-il fait quelques pas qu‘il est fusillé ainsi que le soldat anglais. Le capitaine voulant se rendre compte s‘il n‘était que blessé hausse la tête, un feu de salve et une grêle de terre lui démontrent que toute tentation de ce coté est impossible sous peine d‘être zigouillés comme des lapins.

A notre gauche nous voyons des soldats anglais charger, ils ne se dissimulent pas et font des bonds de parfois cent mètres. Plusieurs tombent.

Enfin nous recevons l‘ordre de rebrousser chemin et nous nous réunissons derrière une maison à l‘abri des balles.

 

La nuit commence à tomber, nous recevons l‘ordre de mettre baïonnette au canon et nous nous replions par bonds successifs jusqu‘à notre point de départ.

Notre retraite s‘est effectuée sous le feu de l‘ennemi, par un heureux hasard personne n‘est atteint. Nous sautions par dessus des soldats anglais restés sur ce champ de bataille et pendant les derniers centimètres je ne fais plus aucun effort pour me mettre à l‘abri des balles, tellement je suis exténué (et je n‘étais pas le seul).

Nous sommes assis dans un fossé, l‘on nous fait faire une tranchée, nous nous préparons à y rester toute la nuit, lorsque vers 12 hres ½ l‘on nous cantonne dans une maison abandonnée.

 

Le repos est bien gagné car pour un baptême du feu, la journée a été chaude.

Nous ne connaissons pas le résultat de notre attaque mais nous déplorons 4 tués – 4 ou 5 mortellement blessés, 2 disparus et une quinzaine de blessés (le commandant DE LA BRUYERE a eu les 2 jambes broyées par un éclat d‘obus).

Rien qu‘au 2ème Cuir.

29 octobre

Nous avons couché en fouillis.

Au réveil nous avons les pieds gelés. Défense d‘allumer du feu pour le café de peur d‘être repérés par l‘artillerie et nous allons nous reformer derrière une chaumière en ruines.

 

A 11 heures l‘on repart pour la Croix Barbe et vers 19 heures l‘on nous donne l‘ordre cantonner à Pont Riqueul où nous couchons.

Il est 21 heures.

30 octobre

Réveil à 7 heures.

Nous faisons la soupe et nous nous nettoyons un peu.

 

Vers trois heures nous partons pour Lestrem où nous arrivons vers 17 heures.

Nous y couchons.

31 octobre

Réveil à 6h ½. Café.

Nous attendons de nouveaux ordres.

La division est dans cette petite ville, le repos nous semble bon et l‘on est content de faire une manille dans un café en fumant la pipe (il faut dire que j‘en ai acheté une).

 

 Fin

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