Souvenirs de la bataille de Rossignol de Georges LIVACHE

Sous-lieutenant au 3e colonial

 

Mise à jour : novembre. 2014

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Sous-lieutenant Georges LIVACHE

 

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Préambule

Jacques, septembre 2014 :

« Je viens de consulter votre site sur la guerre 14-18. Je vous envoie ci-joint un chapitre des mémoires de mon père qui avait été laissé pour mort sur le champ de bataille de Rossignol. Il était alors sous-lieutenant. Son nom était Georges Livache.

En fait il n'était que blessé et il revenu dans sa famille après la guerre. Militaire, il a continué dans l'infanterie coloniale où il a terminé la dernière guerre (39-45) comme général de brigade.

 

 

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Le 2 août, la mobilisation était déclarée.

A cette date tous les élèves ont été promus sous-lieutenants et ont rallié sans délai le régiment auquel ils étaient affectés. C'est dans ces conditions que je me suis rendu à Rochefort.

Dans cette ville, je suis resté six jours au 3° Colonial. Nous avons eu un gros travail pour mettre le régiment sur pied de guerre.

 

 

 

 

Georges LIVACHE fait partie de la 6e compagnie du 2e bataillon, comme l’indique le journal du régiment.

 

 

Le 7 août

Le 7 août, nous avons quitté la garnison.

Le bataillon auquel j'appartenais était le premier à partir.

Nous avons parcouru la courte distance qui sépare la caserne de Joinville à la gare, encadrés par une foule enthousiaste qui nous acclamait et nous jetait des fleurs. Nous avions l'impression d'être pris pour des héros. Après un voyage de 48 heures, nous avons débarqué près de Bar-le-Duc et nous avons progressé en direction du Nord, par des routes parallèles à la Meuse ou situées dans la vallée de cette rivière que nous avons traversée à Vilosnes le 15 août.

 

Les étapes étaient longues et pénibles car il faisait très chaud. Les hommes souffraient beaucoup de la température avec leurs vêtements de drap et un sac lourdement chargé. Nous avons eu plusieurs décès par coup de chaleur.

 

Nous n'étions pas très renseignés sur les événements. Nous avions seulement appris que les Anglais s'étaient joints à nous et avaient envoyé un corps expéditionnaire en France, qu'un détachement français avait pénétré en Alsace pendant que les Russes avaient envahi une partie de la Prusse Orientale. Nous savions aussi que nous appartenions à l'armée de Langle de Carry, provisoirement en réserve.

Mais nous ne voyions pas encore les Allemands et il nous tardait de nous mesurer à eux car, de l'avis de tous, la guerre devait être de très courte durée. Nous n'avons pas tardé à voir nos désirs exaucés.

Le 21 août

Dans la région d'Avioth, nous avons commencé à entendre le canon. Nous avons changé plusieurs fois de cantonnement, sous une pluie battante et le soir, nous pénétrâmes au village de Limes en Belgique.

Il était bondé de troupes.

 

Nous y avons cantonné et c'est avec beaucoup de mal que, dans l'obscurité, nous avons pu trouver une petite chambre pour les quatre officiers de la compagnie. Pour ne pas être repérés par les avions ennemis, toute lumière était interdite. Après avoir très mal mangé dans la journée, nous avons dû nous contenter pour dîner de quelques rares conserves.

Le Capitaine, très optimiste, déclara :

"Nous nous rattraperons demain".

 

Las, le lendemain il était tué avant le premier repas !

Le 22 août

Nous avons quitté Limes à l'aube.

On nous a communiqué l'ordre suivant :

 

"Le Corps Colonial cantonnera ce soir à Neufchâteau"

(C’était à une vingtaine de kilomètres)

"L’ennemi sera attaqué partout où on le rencontrera".

 

Tout le monde était joyeux. Le temps était beau.

Les Belges qui nous regardaient passer nous faisaient des signes amicaux et surtout, nous allions enfin voir les Allemands. De plus, nous savions que Neufchâteau était une localité importante. Nous pourrions donc y cantonner dans de bonnes conditions.

 

Vers 8 heures, nous avons de nouveau entendu le canon et un avion ennemi nous a survolés. Une heure plus tard, en traversant le village de Saint-Vincent, nous avons reçu les premiers obus.

Nous avons quitté les routes pour nous engager dans les bois et nous sommes arrivés près d'une petite rivière affluant de la Meuse, la Semois. Au bruit de la canonnade s'était joint celui de la fusillade.

Mon Capitaine avait reçu la mission de marcher sur le village de Rossignol, situé à quelques kilomètres de là. Un pont enjambait la rivière.

Mon Capitaine me donna l'ordre de le traverser et de déployer ma section en tirailleurs sur l'autre rive, face à la localité que nous avions pour objectif. Ce mouvement n'était pas terminé que nous recevions une grêle de balles venant de l'arrière.

Au premier moment nous avons cru à une méprise. Mais à la jumelle je ne tardais pas à reconnaître, par son casque à pointe, un officier allemand.

 

Plus tard j'ai appris ce qui s'était passé. La division qui était à notre droite avait progressé moins vite que nous. Les Allemands qui marchaient à sa rencontre trouvant le vide ont continué leur manœuvre en avant et nous ont dépassés. Nous ayant aperçus, ils ont pu ouvrir le feu, nous prenant à la fois par notre arrière et par le flanc droit. J'ai fait face à la direction d'où venaient les coups de feu et j'ai riposté tout en faisant abriter mes hommes derrière le talus d'une route en remblai.

Mon capitaine a approuvé mes dispositions et m'a dit :

 

"Je continue ma marche sur Rossignol avec le restant de la compagnie.

Rejoignez-moi dès que vous pourrez...".

Je ne l'ai jamais revu !

 

Les feux d'artillerie et d'infanterie devenaient de plus en plus violents.

Un régiment d'artillerie qui se trouvait en colonne sur la route de Rossignol a été pris à partie par les canons ennemis et a subi de lourdes pertes sans même pouvoir se mettre en batterie et répondre au feu par le feu.

C'est là qu'a trouvé la mort le lieutenant Psichari, petit-fils de Renan et écrivain apprécié.(*)

 

Le pont sur la Semois était particulièrement visé et une section de mitrailleurs qui était venue s'y installer a été rapidement détruite. Les Allemands qui étaient à notre gauche étaient de plus en plus menaçants.

Près de l'emplacement de ma section étaient arrivés des éléments du 2° Colonial. Un capitaine est venu me trouver pour me dire :

 

« Notre situation devient intenable, puisque nous avons l'ordre de marcher sur Rossignol, prenons la direction de ce village. »

« Vous êtes isolés de votre compagnie, je vous prends sous mon commandement ».

Lui non plus je ne l'ai pas revu. Il a été tué.

 

Le terrain à parcourir était constitué par des prairies séparées par des clôtures de fil de fer et de petits fossés servant à l'écoulement des eaux. C'est en franchissant l'une de ces clôtures que j'ai été grièvement blessé.

Par chance, je suis tombé dans l'un de ces petits fossés où j'étais à l'abri des balles qui passaient à quelques centimètres au-dessus de moi. Je perdais mon sang en abondance. L'eau du fossé en était toute rougie.

Lorsque j'ai été blessé, j'ai refusé d'être transporté à un poste de secours. Il ne fallait distraire personne de la ligne de feu.

Il était environ une heure de l'après-midi et le combat a continué jusqu'au crépuscule. Les tirailleurs allemands ont alors progressé dans la direction de l'endroit où je me trouvais, au milieu d'autres blessés.

M'ayant aperçu, ils se sont dirigés vers moi. Il avait été dit que les Allemands achevaient les blessés.

Ils ne m'ont fait aucun mal. Ils m'ont seulement pris mon revolver, c'était normal.

 

La nuit étant tombée, le champ de bataille est devenu lugubre.

Quelques coups de feu éclataient encore, mais on entendait surtout les lamentations, les cris des blessés qui réclamaient du secours et presque tous "à boire".

Les hommes tombés dans mon voisinage ont appris, je n'ai jamais su expliquer comment, qu'il y avait un officier blessé et se tournaient vers moi pour me demander des conseils.

Il m'était bien difficile de leur en donner. J'étais très affaibli, ayant perdu beaucoup de sang et à plusieurs reprises je m'étais évanoui.

 

Dans la nuit, un soldat colonial assez légèrement blessé est passé près de moi et m'a tiré hors du fossé où dans l'eau froide je grelottais. Il m'a traîné jusqu'au talus de la route où plusieurs blessés gisaient déjà. L'un d'eux, un artilleur gravement atteint au ventre, souffrait horriblement et suppliait qu'on l'achevât.

Il est mort dans la nuit.

 

(*) : Ernest SPICHARI, lieutenant au 2e régiment colonial, mort pour la France à Rossignol, tué à l’ennemi. Il était né à Paris, le 27 septembre 1883.

 

Durant la journée du 22 août 1914, le journal du régiment (JMO) indique la perte de 2025 tués, blessés ou disparus. Georges LIVACHE fait parti de ces disparus.

Le JMO a été arrêté le 21 août. Il fut repris le 8 septembre. C’est donc à la date du 8 sept. que les journées des 22/08 au 07/09 furent écrites, avec les renseignements et témoignages qui permirent de reconstituer ces journée sanglantes.

23 août

A l'aube du 23 août, des unités de cavalerie allemande sont apparues sur la route. Les blessés qui m'entouraient étaient très inquiets. Je leur ai conseillé de rester immobiles et de faire le mort.

Ce petit stratagème a réussi pendant quelques temps mais, par la suite, un escadron de dragons mit pied à terre et les cavaliers eurent vite fait de constater que nous étions seulement blessés.

Dans la bagarre, j'avais perdu mon képi et je portais un bonnet de police, coiffure qui était celle des Belges.

Un officier allemand m'ayant aperçu m'a demandé :

 

"Sind sie Belgium ?", (êtes vous Belge ?)

J'ai répondu :

"Nein, ich bin Franzose", (non, je suis Français).

Il a ajouté :

"Sind sie verwendet ?", (êtes vous blessé ?).

 

Pour toute réponse, j'ai soulevé le manteau dont on m'avait recouvert et il a vu ma blessure à l'aine avec le pansement individuel mal ajusté. Il s'est éloigné et quelques instants après survenait un autre officier. Je me demandais ce qu'il allait se passer mais j'ai été rassuré lorsqu'il a prononcé le mot "Doktor".

En effet, il a refait mon pansement et m'a indiqué le chemin du "Lazaret", "hôpital" en allemand.

 

Après son départ, j'ai décidé d'essayer de rejoindre le poste de secours avec ceux qui pouvaient encore faire quelques pas.

Personnellement, étant dans l'impossibilité de marcher, j'ai été traîné plutôt que porté par deux braves soldats moins handicapés que leurs camarades. La distance à parcourir n'était pas longue mais, clopin-clopant, nous avons mis très longtemps pour arriver à l'emplacement du soi-disant poste de secours.

En fait, c'était seulement un endroit où l'on avait rassemblé de nombreux blessés français, mais il n'y avait personne pour les soigner. Les Allemands avaient seulement posté des sentinelles pour surveiller et tirer sur ceux qui auraient tenté de s'échapper.

 

Cependant, tard dans la soirée, des brancardiers français sont venus du village de Rossignol pour nous transporter dans un petit manoir qui avait été transformé en ambulance de campagne. Il y avait des blessés partout, dans les bâtiments, dans les cours, dans les jardins.

Les médecins, peu nombreux, étaient débordés. Ils pratiquaient les amputations en plein-air, sur une pelouse.

 

Grâce à la complaisance d'un médecin, j'ai été placé dans une petite chambre. Elle était pour une seule personne avec un lit unique occupé par deux amputés. Les autres blessés, au nombre de sept ou huit, étaient comme moi, allongés sur le plancher. De temps en temps, passait une patrouille allemande.

Un sous-officier nous menaçait d'un revolver et nous devions montrer notre blessure pour prouver que sa gravité ne nous permettait pas de nous échapper.

Pour toute consolation, nous avions des jeunes filles belges du village qui, volontairement, s'étaient jointes au personnel sanitaire français totalement insuffisant en nombre. Mais elles n'étaient pas infirmières, manquaient de pansements et de médicaments. Elles devaient se contenter de nous apporter de l'eau, quelques provisions et... leur sourire quand les Allemands ne les voyaient pas.

 

Je suis resté deux ou trois jours dans cette ambulance puis, on nous a embarqués dans des camions pour nous conduire à la gare la plus proche, Marbehan.

Là, stationnait un train sanitaire déjà rempli de blessés allemands. On nous a placés dans des wagons de marchandises et, en route pour l'Allemagne !

Nous avons alors pris définitivement conscience que nous étions "prisonniers", situation qu'aucun d'entre nous n'avait envisagée lorsqu'il avait quitté sa garnison, les jeunes officiers moins que les autres.

 

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