Augustin MORLIER

ou

Le journal d’un Poilu du 50e régiment d’artillerie

 

Mise à jour : décembre 2016

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Prélude : avant la guerre

 

Merci à Françoise pour ce carnet

Antibes, août 2013.

 

Auguste MORLIER, trésorier à la Banque de France de Rennes, habitait avec son épouse Victoire (née RETIF), au N° 35 de la rue de la Croix Carrée dans la capitale bretonne.

Le couple eut six enfants : Marie, Elisabeth, Antoinette, Cécile (mariée à Yves Noël de l'Opéra), Marguerite jumelle avec Augustin, tous nés à Montfort-sur-Meu.  

Augustin voit le jour le 10 juillet 1894. Vers l’âge de cinq ans ses parents l’inscrivent à l’école Notre-Dame de Toutes Grâces située dans l'enceinte du patronage « les Cadets de Bretagne », au 141 de la rue d’Antrain, face au célèbre restaurant Lecoq-Gadby, à dix minutes à pieds environ de son domicile.

Dans ce patronage il va pratiquer différentes activités sportives et se faire de nombreux amis.

 

 

 

 

Augustin au 10e d’artillerie. Il passera au 50e en juillet 1915.

Il semble bien conscient de ce qu'il va subir !

 

 

 

Début juillet 1914, Augustin est appelé sous les drapeaux. Il a vingt ans ! Et, en principe, tout l'avenir devant lui !...

Un mois plus tard, le 12 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France !..

Augustin va devoir faire ses classes et apprendre le maniement des armes, se familiariser aux exercices de combat, apprendre à monter à cheval… Il est vrai que pendant tout ce temps, d’août à décembre 1914, les Allemands sont très largement occupés sur le front Est face aux armées russes.

 

Dès janvier 1915, soldat fraîchement formé, il part avec son régiment, à cheval, à Agnez-lès-Duisans à environ 4 kilomètres à l'ouest d’Arras dans le Pas-de-Calais, petite bourgade dans laquelle il va séjourner durant toute cette année 1915.

Il se trouve ainsi très au Nord du principal théâtre de guerre français.

Augustin ne participera donc pas à l’offensive française en Champagne le 16 février 1915 dans la fameuse percée de Vouziers, ni à la bataille des Eparges au Sud-Est de Verdun avec la reprise de la crête par les Français entre le 17 février et le 9 avril.

 

Après l’offensive allemande d’avril dans les Flandres, plus à l’Est, Augustin apprend que les Allemands ont employé pour la première fois les gaz asphyxiants à Steenstraate sur l’Yser le 22 avril, trop éloigné pour qu’il en subisse les effets nocifs.

Augustin ne participera pas non plus à l’offensive française en Champagne et en Artois ainsi qu’à la deuxième bataille de Vimy en Artois, du 9 mai au 17 juin, et accueillera avec satisfaction la nouvelle de l’échec de l’offensive allemande en Argonne en septembre. C’est au cours de ce même mois que l’armée française va utiliser pour la première fois des obus à gaz en Champagne.

Il aura cependant eu l'occasion de faire prisonnier des soldats allemands égarés dans la région qu'il occupait.

 

Cette année-là se produisit hélas un drame familial épouvantable qui marquera à jamais tous les membres de la famille Durand-MORLIER. On se souvient en effet que Cécile, sœur d’Augustin, a épousé le chanteur d’opéra Yves NOEL (nom matrimonial : DURAND) qui fut désigné pour être envoyé au front comme brancardier.

Son jeune frère, Henri Célestin DURAND décida de prendre sa place, dans un élan de pure charité chrétienne afin de préserver la carrière du célèbre baryton nouvellement devenu père d’un fils nommé Yves.

Lors d’une intervention en tant que brancardier Henri reçoit un éclat de grenade qui lui transperça le poumon gauche. Il mourut le 16 juillet 1915 à midi. C’était à Bois-François. Il était dans la 11ème compagnie du 410ème RI. Son carnet de guerre est publié ici.

En 1919, Yves NOEL retournera avec son fils sur les lieux du drame au milieu des ruines dans le silence de la désolation.

Augustin sera mis au courant de ce drame par sa sœur Cécile et saura lui manifester sa compassion mais il verra aussi son niveau de stress augmenter progressivement.

 

1916 : L’année héroïque

 

C'est à partir de l'année 1916, on le sait, que les événements vont s'accélérer pour la France puisque du 21 février au 15 décembre va avoir lieu la célèbre bataille de Verdun, « Verdun cœur de la France » selon les Allemands qui tireront durant toute cette période 21 millions d'obus faisant 221 000 morts français et 216 000 blessés...

Mais n'anticipons pas.

 

En toute fin d'année 1915, les Français tentent de déloger les Allemands en Champagne et en Artois. Et c'est l'échec. En effet, les Allemands disposent de moyens de défense importants et nouveaux, les minenwerfer autrement dit des lance-mines et lance-grenades parfaitement adaptés à cette guerre de tranchée et qui fait de nombreux dégâts parmi les Français.

 

Ce sera l'occasion pour Augustin MORLIER de montrer son véritable visage en menant une action individuelle qui va permettre aux forces françaises de modifier en profondeur la tactique au sol. En effet ces lance-mine ou lance-grenades se révélaient indétectables par leur petite taille. Il était impossible pour des observateurs de repérer exactement leurs positions ainsi que leur nombre. Augustin décida alors en ce célèbre 5 janvier 1916 de se glisser dans les lignes ennemies afin de mieux localiser ces armes meurtrières.

Cette action à haut risque nécessitant courage, sang-froid, esprit d'initiative, lui vaudra d'être décoré de la croix de guerre avec étoile d'argent.

 

 

 

 

Les citations à l'ordre du Maréchal des Logis au 50ème d'Artillerie sont des plus élogieuses :

« Le 5 janvier 1916 pendant le tir d'un gros minenwerfer ennemi, s'est porté dans la zone battue par cet engin pour observer sa position. A fourni des renseignements précieux qui ont permis de situer cet engin. »

 

et

 

« Au moment d'une attaque allemande et dans une position de près lignes bouleversée par ce bombardement, a conservé sous le feu le plus grand sang-froid et conduit d'une manière remarquable un tir bien réglé sur la tranchée adverse. »

 

Pour Dieu. Pour la France.

Cet événement sera accueilli dans la famille dans la plus grande discrétion.

Dans le cantonnement près de Verdun, Augustin reçoit le 17 mai deux cartes du directeur de l'école Notre-Dame de Toutes Grâces. Sur l'une il est écrit : « Marie sera votre force, votre salut !! ». Sur l'autre il est noté : « Dans le cœur de Jésus vous trouverez un refuge assuré ».

 

Ainsi, toute sa famille, tous ses amis, ses professeurs représentés par son directeur d'école connaissaient le courage d'Augustin et savaient qu'il encourait désormais les plus graves dangers. Oui, il avait été muté au cœur même du combat !...

 

 

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Dès ce début juillet, alors qu'il va avoir 22 ans, il commence à écrire son journal, jour après jour, d'une plume ferme, régulière, équilibrée, celle d'un jeune homme qui connaît les enjeux de son engagement et qui souhaite transmettre à la postérité ses profondes angoisses et ses fulgurantes joies.

Un triste et macabre événement va déclencher son besoin d'écrire, un peu à la manière d'une catharsis libératoire.

 

 

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1916

2 juillet

Ce soir, avec quelques camarades, j'ai été cherché le corps de NAÉGELY (*) qui était resté sans sépulture à l'endroit où il avait été tué aux abords du village de Fleury (À 4 kilomètres au nord de Verdun). En faisant notre besogne, nous nous sommes trouvés en pleine attaque, cependant grâce à Dieu, nous n'avons pas eu d'accident.

 

(*) : NAÉGELY Henry Auguste Roger, brigadier à la 156 batterie de mortier de 77 du 50e régiment d’artillerie, mort pour la France à Verdun le 1e juillet 1916, tué à l’ennemi. Il était né à Marseille le 31 mars 1892. Voir sa fiche : >>> ici  <<<

 

 

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Extrait du journal des marches et opérations (JMO) de la 156e batterie du 50e régiment d’artillerie

 

3 juillet

Nous bombardons furieusement les Boches. Quel potin, c'est absolument indescriptible.

Qu'est-ce que les Boches doivent prendre ! (*)

 

(*) : C'est avec rage et un esprit vengeur que les Français ripostent aux attaques de la veille. L'utilisation du mot « Boches » pour désigner les Allemands marque bien un sentiment très voisin de la haine pour stigmatiser à jamais les fauteurs des massacres.

Du 4 au 10 juillet

Rien de spécial à signaler. Cependant, les Allemands ont commencé un bombardement absolument inouï d'intensité. Cela prépare sûrement une formidable attaque.

Effectivement, dans la nuit du 10 au 11 juillet les Allemands ont accompli plusieurs séries d'assauts impétueux. Ils ont effectué un bombardement avec des gaz toute la nuit, et alors toute la nuit il a fallu avoir son masque sur le visage. Ce n'était pas une sinécure.

Quand donc aurons-nous ces maudits Boches. Notre séjour à Verdun est bien long.

 

Aujourd’hui j'ai eu 22 ans.

Je suis rentré à l'échelon. Le lieutenant GUILLE m'a dit que j'étais proposé pour être brigadier. Tant mieux.

 

(*) : Les 6°, 7° et 8° pièces constituent l'échelon, qui est placé sous les ordres du lieutenant de réserve. Voir  >>>  ici  <<< la composition succincte d’un régiment d’artillerie.

13 et 14 juillet

La batterie de tirs quitte les casernes Marceau.

15 juillet

Je suis nommé brigadier. (*)

 

(*) : Manifestement le courage et l'esprit d'initiative dont a fait preuve Augustin en allant rechercher le corps de son camarade NAEGLY ainsi que son attitude pleine de sang-froid au cours des combats qui venaient de se dérouler, sont à l'origine de sa promotion en tant qu'homme de troupe.

Va suivre un long déplacement de tout le régiment en milieu hostile.

16-17-18 juillet

Nous partons de Bois-la-Caille, nous quittons enfin cette terrible région de Verdun.

Nos pertes sont cependant relativement minimes : 3 tués, le brigadier NAEGLY, HORVAIS et POREE (*).

Par contre, nous avons de nombreux blessés et parmi eux CHEVALLIER. Enfin nous avons fait pas mal de prisonniers. C'est égal, je m'en souviendrai de ce fameux « Verdun ».

 

Départ à 7 heures du matin.

Arrivés à Maison Brûlée près de Ninéville. Un convoi automobile nous y attend.

Nous montons dans ces autos qui nous amènent vers 6 heures du soir à la ferme de Château-Grave près d'un village appelé Huetz (Marne).

 

(*) : HORVAINS Pierre Marie Célestin, canonnier au 50e d’artillerie, mort pour la France par blessures de guerre, le 5 juillet 1915 à l’ambulance 12/20, secteur 20 à Baleycourt (Meuse). Il était né à Combourg (Ille-et-Vilaine) le 27/02/1886. Voir sa fiche >>>  ici  <<<

Pas trouvé le dénommé POREE.

19 juillet

Nous cantonnons dans cette grande ferme. Les patrons y sont très gentils pour nous.

Avec TESSIER, je fais quelques bonnes promenades au village de Perthes situé à 4 kilomètres sur la grand-route de Vitry-le-François à Saint-Dizier.

Il fait un temps splendide.

Le lieutenant JACQUEMARD est nommé capitaine. Voilà un officier qui n'a pas volé ses galons.

20 juillet

A 8 heures du soir, nous partons pour embarquer à la gare de Blesmes.

Arrivés en gare de Toul où nous débarquons vers 11 heures du matin, nous allons cantonner à Écrouves à 3 kilomètres de Toul dans les casernes Marceau.

J'ai toujours les fonctions de vaguemestre.

Nous demeurons à Écrouves jusqu'au 25 juillet.

 

 

 

26 juillet

Ce matin, départ d'Écrouves à 2 heures du matin, arrivés à 2 heures de l'après-midi à Saint-Jean, tout petit village situé au fond d'une vallée, tout près de Martincourt.

L'étape s'est accomplie sous un soleil de plomb. Je suis un peu fatigué.

27-28 juillet

A 2 heures du matin, départ pour le vallon de Jolival.

Nous nous séparons de la 106ème batterie.

29 juillet

Sur ma demande je n'assure plus les fonctions de vaguemestre afin de pouvoir reprendre mon poste aux tranchées et être ainsi nommé sous-officier plus tôt.

Nous installons nos canons à gauche de Regnéville non loin de la route nationale menant à Metz.

 

Augustin et sa batterie est à nouveau en position fixe sur le théâtre de guerre après un long et fatigant déplacement. Pas seulement par ambition, il a choisi d'occuper une tranchée en tant que combattant, plutôt que de continuer à exercer les fonctions de vaguemestre qui lui donnait l'impression de n'être pas suffisamment impliqué dans la guerre, laissant la sale besogne à ses camarades.

Cependant le fait de vouloir devenir sous-officier souligne son besoin de prendre des initiatives et n'être plus un pion seulement corvéable.

30 juillet

Les maréchaux des Logis BERTAIL et LEVERT, qui avaient remplacé les sous-officiers tués dans différentes batteries du 50ème de campagne, reviennent aujourd’hui à la batterie.

Les nouvelles sont bonnes. Les Russes enfoncent les Autrichiens.

On les aura !

1er août

Très beau temps, très chaud. Rien à signaler.

2 août

Temps magnifique. GOUGEON est rentré de permission. Il a été chez nous. Maman lui a donné un petit colis qu'il m'a apporté.

Aujourd’hui deux ans de guerre.

3 août

Je m'ennuie, je m'ennuie, je m'ennuie !!!

Beau temps.

4 août

Beau temps.

Que de puces, de poux, de rats. C'est assommant, surtout la nuit. Je n'ai pas de poux mais j'ai pas mal de puces qui me piquent terriblement. Enfin, à la guerre comme à la guerre.

 

Augustin vit le train-train de cette fameuse « guerre de position » le plus souvent planqué dans les tranchées ou dans des casernements de fortune. Les soldats s'ennuient et n'ont pas d'autre préoccupation que celles liées à l'intendance de tous les jours avec son cortège de petits bobos et de désagréments de toutes sortes.

5-6 août

Quel beau temps !

Le soir du 6 août VECHIN et moi nous nous promenions ensemble sur la belle route de Metz.

En allant vers Pont-à-Mousson nous nous arrêtâmes un instant sur ce point culminant afin d'admirer le paysage qui se déroulait devant nous.

Mais des mitrailleurs boches nous ont aperçus et ne manquèrent pas de nous saluer de quelques salves. Heureusement ils s'étaient trompés de hausses et les balles venaient mourir à nos pieds.

Cependant, prudemment nous nous abritâmes dans un petit bois qui était proche. Nous entendîmes encore quelques balles envoyées dans cette direction mais elles ne firent que couper quelques branches. Bientôt nous pûmes revenir tranquillement sans plus nous inquiéter des boches et de leurs mitrailleuses.

Merci à Marie de nous avoir protégés.

VECHIN est un brave garçon mais un socialiste irréductible et il n'y a rien à faire pour lui ouvrir les yeux. Du moins, je ne peux y réussir, il est vrai avec mon maigre talent !...

 

Voici donc deux jeunes soldats qui se permettent, en pleine guerre, de partir en promenade avec une apparente décontraction. Malgré le danger permanent et une totale insécurité, ces deux compagnons d'arme sont encore capables d'apprécier un paysage, de se détendre au contact de la nature ! Autres temps, autres comportements !...

7 août

J'ai un gros mal de tête. Très malade pendant toute la journée.

8 août

Beau temps.

Je suis un peu moins malade qu'hier.

9 août

Je suis vraiment malade, ne tiens plus debout que par force de volonté.

Ah, si j'étais sous-officier je me ferais évacuer.

10 août

Demi beau temps, un peu de pluie, quoiqu'encore bien malade.

Je suis monté aux tranchées.

11-12 août

Relevé des tranchées. Je suis un peu moins malade. Je deviens neurasthénique, il me faudrait une permission mais hélas çà ne va pas fort les perms !

13 août

Temps brumeux, un peu de pluie.

Je m'ennuie.

14 août

Beau temps.

Ce matin crise épouvantable de mal de ventre.

15 août

Temps brumeux.

A la batterie il y a un type qui me dégoûte. C'est le brigadier-chef. Quel esprit bas, et quel caractère infect. De quelle boue est-il pétri ce jeune homme ?

16-17 août

Je quitte Jolival pour aller à l'échelon qui est installé à Martincourt. On me « bazarde » brigadier d'ordinaire !

19 août

J'ai visité l'église de Martincourt. Petit sanctuaire très coquet et surtout bien entretenu. Les trois autels disparaissent sous un dôme de fleurs champêtres.

20 août

Notre cantonnement est merveilleusement situé dans la vallée de l'Ache, petite rivière encaissée entre deux pentes escarpées.

A droite, surplombant nos baraques en planches, une vieille demeure seigneuriale « le château de Pierrepont »

21 août

Beau temps.

Demain on me renvoie aux tranchées.

22 août

Ce matin, pluie à torrent.

 

Cet après-midi très beau temps.

Je suis monté aux tranchées. On m'a logé dans un amour de petite cabane. Quand est-ce que je vais être nommé sous-officier ? Je m'impatiente. TESSIER me prête à lire une revue bien intéressante : « La Revue des Jeunes » (revue catholique fondée en 1910).

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La petite cabane d'Augustin

 

 

25 août

Ce soir violent orage.

TESSIER est allé à l'échelon. Il me rapporte de mauvaises nouvelles, je ne me vois pas du tout sous-officier. Je n'ai décidément pas de chance.

26 août

Vilain temps, averses intermittentes.

J'apprends que CHEVALLIER blessé à Verdun est mort à la suite de ses blessures. J’apprends aussi que POUTOT, récemment nommé sous-lieutenant a été tué.

Que le bon Dieu ait leurs âmes.

Tous les matins j'assiste à la messe, je suis bien heureux. Je suis grand camarade avec TESSIER.

27 août

Ce matin accident de tir. LAMIRAULT, par un mouvement maladroit alors qu'un obus se trouvait dans l'âme du canon et que l'extrémité d'un de ses doigts de la main gauche était glissée dans l'orifice de la bouche du canon, a tiré sur le cordon tire-feu. Le coup est parti et le projectile a emporté le bout de son doigt. Il souffrait beaucoup.

Demain je retourne à Martincourt. Quelle scie, moi qui était si bien ici. Enfin, un petit sacrifice à faire.

28 août

C'est la fête de papa et la mienne.

Triste fête ! L'année dernière j'avais eu la bonne fortune de me trouver en permission à peu près à cette époque. Mais cette année !...

29 août

Bonnes nouvelles dans les journaux. La Roumanie a déclaré à la guerre à l'Autriche-Hongrie. La Grèce va suivre.

Nous acheminons-nous enfin vers la fin de cette guerre ?

30 août

Le lieutenant QUILLE me dit qu'il m'a proposé au colonel pour le grade de Maréchal-des-Logis. Enfin !

1er septembre

Je suis nommé sous-officier.

Il y avait environ deux mois et demi que j'avais été cassé. Je n'ai tout de même pas été trop longtemps à les regagner (les galons).

2 septembre

Beau temps.

Cette nuit vers 3 heures, six obus sont tombés sur Martincourt. Aucun dégât.

4 septembre

Ce soir je suis revenu à Jolival.

5 septembre

Suis merveilleusement installé.  J'apprends qu'Alfred DUVAL est tué à la 106ème et que L'HERMITTE est légèrement blessé.

8 septembre

Un nouveau sous-lieutenant vient de nous arriver. Le sous-lieutenant HAY. Il a l’air quelconque.

A la popote nous faisons des repas d’ortolans. (*)

 

(*) : L’ortolan est un oiseau. Sa chasse est interdite.

12 septembre

Pour la première fois les boches ont bombardé notre position avec du 105. Ah les bandits ! Quand est-ce qu’on les aura ? Patience, ça viendra.

22 septembre

Rien à signaler.

Entre TESSIER, LEVERT et moi la situation est légèrement tendue. Je suis aussi un peu trop bavard.

23 septembre

Accroc avec LEVERT. Il est réellement un peu prétentieux.

26 septembre

De nouveaux brigadiers viennent d’arriver à la batterie. Et d’après ce que m’a confié mon TESSIER, il y en un notamment qui est très gentil et qui se nomme MULLARD.

28 septembre

Je donne des leçons de cheval à monsieur l’abbé DAVOUST aumônier de la Brigade. C’est très drôle.

4 octobre

Le phonographe dû à la générosité de madame PATHÉ est enfin arrivé.

 

Ce soir, petite séance. Nous avons fait jouer trois fois les mêmes morceaux. Ma foi, très bonne soirée.

 

Sommes toute, Augustin nous décrit par le menu une vie relativement simple et calme avec tous les petits potins et événements classiques qui égayent un peu l’ambiance morose d’un régiment en guerre.

6 octobre

Ce soir je suis parti à cheval à Dommèvre pour prendre le train pour partir en permission.

7 octobre

Ce soir arrivée à Paris à 10 heures. Je couche dans un hôtel près de Montparnasse.

 

Le lendemain, à 7 heures 47 je prends le train pour Rennes où j’arrive à 3 heures 50 de l’après-midi.

Mon Dieu, quelle reconnaissance je dois à notre Providence pour m’avoir jusqu’ici gardé de tout péril.

10 octobre

Rennes.

Ce soir diner chez monsieur l’abbé JARRY directeur du patronage en compagnie de Paul BOUGEARD, François FOUQUET, Toussaint QUIMBROT et de son frère Jean.

14 octobre

Vitré.

J’ai été voir mon oncle d’Argentré et les DURAND, puis monsieur l’abbé CHALMEL recteur d’Erbrée.

Très bien reçu par tous.

15-16 octobre

Rennes.

Départ à midi pour Paris.

17-18 octobre

Je suis chez Cécile.

A midi, je vais gare de l’Est pour prendre le chemin du retour. Je manque mon train.

 

 

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Augustin, rue Simon Dereure chez Cécile, sa sœur, à Paris 18ème.

 

19 octobre

Cette fois bon départ.

Arrivée au front le 20 par un froid très vif.

15 novembre

Des bruits courent que nous allons encore quitter ce secteur.

16 novembre

Préparatifs de départ.

17 novembre

Nous quittons Jolival à 14 heures.

18 novembre

Nous quittons Martincourt à 18 heures et nous arrivons, après avoir marché pendant une partie de la nuit, à Bernécourt.

Nous cantonnons dans ce village. Je m’installe dans une chambre au premier étage d’une maison à moitié démolie et ouverte à tous les vents.

21 novembre

Je vais à Thirey avec le lieutenant HAY et quelques troupiers afin de prendre des plans pour une nouvelle position de batterie.

22 novembre

Je reste à Thirey, mange avec QUIMBROT et le lieutenant LACOSTE.

23-29 novembre

Je demeure à Thirey à surveiller l’organisation de nos nouvelles positions.

29 novembre

Je suis relevé par TESSIER.

11 décembre

Je me fais vacciner pour la deuxième fois. Quelle scie ! Puis cinq jours de tranchée.

16 décembre

Par téléphone on me demande de venir parler au lieutenant à Bernécourt.

Parce que demain je dois partir avec le lieutenant DE SOTO faire un stage dans un centre de perfectionnement pour l’artillerie.

17 décembre

Départ avec le lieutenant DE SOTO pour Toul où nous prenons le train pour Lunéville.

Ce stage va durer quinze jours.

18 décembre

Arrivés à Lunéville.

Aussitôt après le déjeuner nous nous dirigeons vers le village de Trainsbois à neuf kilomètres de Lunéville où se situe ce centre d’instruction.

Nous installons notre popote chez les BROS, braves gens du pays. Je couche dans un bon lit.

De temps en temps après le cours qui finit à 4 heures et quand il fait beau je vais me promener à Gerbéville, village complètement en ruines ayant été mis à feu et à cendres par les Allemands en 1914.

Nous avons au cours le commandant MASSON qui est une vieille rosse et une vieille baderne.

25 décembre

Noël.

Je n’ai pas à me féliciter, je n’ai même pas été à la messe de minuit.

Ce jour-là, il n’y a pas eu de cours.

1917 : L'année de tous les dangers

 

L'année 1916 fût l’année de la bataille de Verdun et de la bataille de la Somme.

Cependant, malgré qu'Augustin n'ait pas été loin de cet épicentre de la guerre, il n'en subira que peu d'effets collatéraux pendant toute cette période.

Après le drame familial de 1915, avec la mort d'Henri DURAND beau-frère de Cécile Durand née MORLIER, l'année 1917 va être celle d'un accident de guerre aboutissant inexorablement à la mort.

 

1er janvier

La guerre entre dans sa quatrième année. Cette fois ce sera la dernière, espérons-le.

Dernier jour de cours.

 

Ce soir, départ de Trainsbois à 4 heures.

Je couche à Lunéville et repart le 2 janvier à 6 heures 17 pour arriver à Toul à 21 heures où je couche.

Départ de Toul à 7 heures 30 et arrivée le 3 à Bernécourt.

5 janvier

Nous avons un chef à la batterie qui est une gourde et un imbécile.

Je compte aller en permission vers le 20 janvier.

6 janvier

Je monte au trou (tranchée).

12-15 janvier

TESSIER et LEVERT vont à Trainsbois.

16 janvier

Bruits de départ.

19 janvier

Nous quittons le secteur.

J'ai réclamé pour une permission mais sans grand résultat. On est bien récompensé de la peine que l'on prend au service du lieutenant. Si derrière lui il n'y avait pas le pays !...

Je quitte Thirey ce soir avec tout le fourbi.

23 janvier

Ce matin à 8 heures départ de Bernécourt pour aller cantonner auprès de Toul.

Quel froid grand dieu !

 

Arrivé à 4 heures à la ferme de Charmois près de Goudreville. Il fait un froid terrible.

 

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Augustin dans une tranchée enneigée.

 

 

Nous resterons probablement ici jusqu'au 8 février.

Nous avons des manœuvres matin et soir. Il ne fait pas chaud.

Flûte, j'ai attrapé une hernie, ou plutôt une pointe de hernie. Car je n'ai aucune grosseur. C'est égal, il me fallait çà encore ! On m'a donné un bandage. Je ne sens plus aucune souffrance.

Enfin !

30 janvier

En jouant au barres je suis tombé et me suis fait grand mal à la jambe gauche.

J'ai toutes les déveines ces jours-ci ! Quel froid !

31 janvier

Je pars en permission.

Je prends le train à Toul à 9 heures du soir. Quel voyage !

Jusqu'à mon arrivée à Paris à 10 heures 30 le lendemain matin, je suis demeuré debout dans le couloir. Je suis harassé et tombe de sommeil.

Cependant, le soir même pour ne pas perdre de temps, je prends le train à Montparnasse à 8 heures 20 pour Rennes.

 

Arrivé le 2 février à 3 heures 50 du matin. A la porte de chez nous j'ai bien carillonné pendant une demi-heure. Mais tout le monde dormait si profondément que je ne réussissais pas à me faire entendre.

Enfin, Elisabeth est venue m'ouvrir.

C'est ma quatrième permission.

3 février

J'ai été à Saint Sauveur remercier Notre-Dame des Miracles de m'avoir protégé jusqu'ici de tout danger et la prier de continuer sa protection et surtout de m'en rendre digne.

4-5-6 février

Rennes.

7 février

J'ai été à Vildé-la-Marine visiter monsieur l'abbé VALLERIE. Il était en train de s'installer dans son nouveau poste : aussi ce n'était pas très commode car il était très occupé.

8 février

J'ai été à la Guilmarais.

9 février

J'ai déjeuné chez mes cousins de Vitré.

10 février

J'ai été voir tante Monique.

 

Le soir, je suis parti pour Paris voir Cécile.

11 février

A 15 heures 20, j'ai repris le train à la gare de l'Est pour le front où je suis arrivé le 12.

Dès en arrivant on me met de service de jour pour le lendemain. C'est intéressant !...

13 février

Nous quittons à 11 heures la ferme du Charmois et nous allons cantonner à Toumartin-lès-Toul, village qui est en somme un faubourg de Toul dont il est séparé par la Moselle.

J'ai loué un lit chez une brave femme. Quel délice de coucher dans un lit !

15- février

Je pars avec un détachement pour exécuter des travaux.

Arrivée à Hamonville à midi et de là nous allons cantonner à Grosrouvre.

16 février

Constitution des équipes et début des travaux.

L'équipe que je surveille est installée dans le ravin des carrières près de Thirey.

 

Le matin, départ à 5 heures pour aller aux chantiers et retour au cantonnement à 6 heures du soir.

Çà fait de bonnes journées et les hommes les trouvent même excessives surtout à cause de la route qu'il y a à parcourir, 6 kilomètres pour aller, 6 kilomètres pour revenir.

En effet, c'est une trotte.

J'ai à peine le temps d'écrire un mot. Je vais tâcher de me faire relever mercredi.

22 février

Je suis relevé par TESSIER.

Je reviens à Toumartin en fourgon. Je suis logé chez de braves gens qui ont l'air d'avoir une nombreuse famille. Nous sommes bien installés, mais sans doute pas pour longtemps.

1er mars

Quelle scie ! Redéménagement, je repars demain matin pour Grosrouvre.

Je pensais avoir encore huit jours de bon repos, mais voilà que LEVERT part en perm, alors il n'y a plus que moi qui puisse remplacer TESSIER.

Je vais tacher d'aller dans l'aviation. Je m'ennuie dans cette batterie.

2 mars

Je cantonne près de Noviant non loin du bois de la Besogne dans une batterie de 95.

11 mars

Je suis relevé. Je ne comptais l'être que demain.

12 mars

Il paraît que je vais de nouveau à Fraimbois, j'aurais préféré y retourner plus tard, enfin tant pis !

J'ai fait une demande pour aller dans l'aviation, va-t-elle réussir ?...

 

A plusieurs reprises Augustin exprime le désir d'entrer dans l'aviation comme pilote d'avion de chasse. On pourrait légitimement se demander pourquoi. En fait Augustin avait une admiration sans borne pour Georges Marie GUYNEMER né en 1894 (comme lui) et qui était titulaire de 54 victoires à 23 ans. On s'en souvient il commandait la célèbre escadrille des Cigognes et son héroïsme a fait de lui une figure légendaire qui attirait une grande partie de la jeunesse.

Sa devise était « Faire face », devise qui fut adoptée très vite par Augustin.

15 mars

Voilà que GOUGEON se brouille avec moi pour une niaiserie. Il est drôle aussi lui.

22 mars

Je suis envoyé à Thirey pour régler la question des outils prêtés aux travailleurs et qui n'ont pas été tous rendus.

En revenant, comme le cheval que je montais butais fréquemment, à un moment où mon attention était moins soutenue, étant au trot, mon cheval de nouveau trébuchait et tombait, et moi avec évidemment, et je me suis fait dans ma chute une violente luxation du coude gauche, si bien que j'ai été obligé de terminer ma route à pieds.

 

 

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Extrait de sa fiche matriculaire :

Matricule 1646, classe 14

 

23 mars

Pour la première fois depuis le début de la campagne, je passe la visite et je suis évacué à l'hôpital Gamma à Toul.

26 mars

Le major me propose pour une permission de 7 jours.

31 mars

Je pars ce soir pour Rennes. Quelle bonne permission !

Ayant eu lieu à l'époque des fêtes de Pâques, j'ai pu remplir mes devoirs pascals à Notre-Dame.

Mon Dieu, fortifiez-moi dans les bonnes résolutions que j'ai prises. Si cela ne va pas à l'encontre de mon salut, accordez-moi de voir la fin de cette guerre. Si mon salut devait en souffrir mon Dieu faites-moi mourir.

Car j'aime mieux mourir que d'être appelé à vous maudire pendant l'éternité. Vous savez que je vous aime ô mon Dieu mais rendez fort cet amour chancelant et augmentez ma volonté qui est hélas bien minime. Faites que je sois courageux dans les combats et accordez-moi enfin la grâce de nous voir un jour dans votre éternité bienheureuse.

Ainsi-soit-il.

 

Pour la première fois de sa vie Augustin manifeste des doutes sur la profondeur de sa foi et demande de l'aide à Dieu. Son moral est bas et il sent plus ou moins confusément qu'il s'achemine vers de grands dangers sur son lieu de guerre. Cette permission lui montre aussi avec un grand réalisme ce qui lui manque sur le plan affectif et, par opposition, la vie souvent déshumanisée qu'il mène sur le front. Augustin vacille dans ses certitudes.

9 avril

Ce soir je pars pour Paris chez Cécile.

10 avril

Je pars pour le front.

14 avril

Arrivé au front après un long et détestable voyage pendant lequel j'ai gagné un bon rhume.

La batterie est cantonnée au village de Louvois, non loin de Reims. Pour la première fois je vois quelques Russes.

Ils ne sont pas sympathiques.

15 avril

J'ai fait avec TESSIER une délicieuse promenade à la Tour de Monin, ainsi appelée du nom d'un boche qu'il l'a fait construire avant la guerre.

C'était un espion au milieu de tant d'autres qu'il y avait alors en France et on était assez crédule pour les laisser s'installer chez nous et agir à leur guise. Le fait est que du haut de cette tour on a une vue splendide qui s'étend jusqu'à la ligne sombre de l'Argonne.

Nous avons admiré tous les deux du haut de cet observatoire la splendeur du soleil couchant.

16 avril

Nous sommes sur le qui-vive.

Que va-t-on faire de nous. Décidément, du moins pour l'instant et sur la demande de mon lieutenant je ne pousse pas plus avant ma demande pour l'aviation.

 

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L'un des cantonnements d'Augustin

 

 

19 avril

Ce matin à 11 heures nous avons quitté Louvois.

Parvenus à Aigny nous installons notre cantonnement dans ce village qui est à 8 kilomètres environ de Louvois. Le canon tonne terriblement.

Hélas, je souhaite fortement que cette attaque réussisse mais je crains fort que non. Humainement parlant on a tout fait pour réussir mais on a oublié le principal allié qui est le bon Dieu.

Aussi le beau temps, seule chose peut-être qu'il n'était pas en notre pouvoir de nous procurer, nous a fait défaut. Si on s'était abaissé à le demander au bon Dieu, très probablement nous l'aurions eu. A la place nous avons eu des pluies diluviennes qui ont commencé juste le jour de l'attaque.

Aussi le coup est raté car par suite du mauvais temps presque tous nos moyens sont annihilés.

21 avril

Ce matin à 7 heures départ d'Aigny.

 

Vers midi, arrivons dans un bois de sapins où nous cantonnons non loin du village « Les Grandes Loges ». Tous ces jours-ci j'ai fait de délicieuses promenades avec mon ami TESSIER.

24 avril

Ce matin à 8 heures départ pour aller cantonner dans un bois tout près de Mourmelon-le-Petit.

 

Ce soir je pars au trou dans le secteur fameux du Mont Haut avec TESSIER.

Mon Dieu protégez-moi car je crois que ça va chauffer.

25 avril

Nuit passée sous un pont.

Pas trop bien dormi, le matelas était dur et puis avec le bombardement...

26 avril

Nous installons nos pièces en batteries.

29 avril

SERAFFIN est blessé à la jambe gauche. Pas trop grave

30 avril

A 12 heures 40, attaque par le 14ème et le 7ème d'infanterie.

Magnifique journée. Vive la France !

1er mai

Contre-attaque ennemie.

2 mai

Violente contre-attaque boche. Quelle soirée ! Nous tirons tant que nous pouvons.

Vingt fois j'ai raté d'être tué. Je vais essayer de faire citer MENDES, BIRE et VECHIN qui ont été merveilleux d'entrain et de courage.

3 mai

Ce matin en observation au-dessus du tunnel un poilu est couché à côté de moi à la tête. Son casque l'a protégé d'une mort certaine, moi qui, près de lui, était tête nue, si j'avais reçu cet éclat j'avais mon affaire.

Sainte Vierge en qui j'ai mis toute ma confiance protégez-moi.

4 mai

Bombardement violent de notre position de 13 heures à 17 heures avec du 150.

Pas d'accident. Nous avons de la chance.

 

Ce soir j'ai été relevé par BERTAIL.

La section de 150 vient d'arriver. Comme il y a dans cette section un sous-officier trop vieux pour aller aux tranchées, moi qui suis jeune on me met à sa place.

Mais je ne marche pas. Incessamment je fais une autre demande pour passer dans l'aviation.

 

Le danger est permanent. La violence est omniprésente avec ses nombreux morts et ses blessés. Le moral d'Augustin est au plus bas. Il a même des idées de fuite, souhaitant intégrer l'aviation, ce qui ne serait certainement pas une solution sécuritaire idéale. Il demande l'aide de Dieu. Et puis il se raccroche à la personne dont il est le plus proche affectivement, à savoir sa grande sœur Cécile.

Le 5 mai, il va comme à l'accoutumée rédiger son journal puis une missive adressée à Cécile.

5 mai

Au repos j'ai fait un bon nettoyage à ma petite personne. Pas pu aller à la messe.

Vivement ma permission que je goûte un peu de repos après avoir vécu ce cauchemar en Champagne.

 

Et voici ce qu'il écrit à sa sœur :

 

Aux armées le 5 mai 1917

Bien chère petite Cécile

« J'ai reçu ton petit mot hier soir comme je remontais de cet enfer du massif de Moronvilliers où j'ai vécu treize jours de cauchemar. Je suis au repos pour quelques jours et je t'assure que j'en avais besoin car cette fois j'étais fourbu. Quelle vie ici, ce n'est pas une sinécure de faire partie d'une division d'assaut. Cependant on voit de belles choses. Par exemple le départ de mon régiment s'en allant à l'attaque. J'étais auprès du colonel.

Lorsque le coup de sifflet fut donne par lui, signal pour se diriger vers les tranchées ennemies, de voir ces hommes partir tranquillement au pas, alignés presque comme à la manœuvre, d'entendre le colonel crier « vive la France, vive mon régiment » c'était beau. Nous avions les larmes aux yeux.

Je t'assure que je n'ai pas eu le temps d'écrire à trente-six personnes depuis que je suis rentré et je n'y songe guère... J'ai écrit chaque jour mon journal et aussi à la maison... Tu vois que je ne suis pas un sot, peut-être un brave et c'est tout.

J'embrasse ton petit Yvon et toi très affectueusement. Mon bon souvenir à Yves. »

Augustin

 

Cette lettre résume l'état d'esprit des poilus dans leur grande majorité. Résignés mais fiers. Soldats à part entière et profondément patriotes. Ils savaient qu'ils allaient vers le sacrifice suprême pour l'honneur et la défense des valeurs de la France d'alors. Ils ne se prenaient pas pour des héros, seulement des braves qui faisaient leur devoir.

Augustin avait 22 ans ! Cette lettre montre à quel point il était attaché à sa sœur Cécile, cette femme courageuse qui a su apprendre à son frère à rester droit dans la tempête. Et puis, on note au passage cette pensée émue pour son neveu Yvon âgé de 4 ans et qui sera de tous les drames, de toutes les souffrances dès sa plus tendre enfance. C'est bien lui qui accompagnera Yves Noël sur les ruines laissées par la guerre en 1920.

 

 

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Sur cette photo on sent une certaine lassitude mêlée de tristesse

7 mai

Quelle catastrophe mon Dieu : capitaine DE CLAIRVILLE, capitaine SALOMON, commandant LACOMBE, lieutenant DESTOUCHES, 4 téléphonistes, tous morts pour la France.

Et quels officiers le régiment perd avec eux ! Toute l'élite s'en va.

Le bon Dieu acceptera le rachat de notre Patrie par cette élite et fera, je l'espère, ouvrir enfin les yeux à nos gouvernants.

Comme quoi on ne peut compter sur la réussite des projets humains si on ne compte pas sur le bon Dieu.

8 mai

Ce matin, j’ai été à l'enterrement des officiers du deuxième groupe. Cérémonie très émouvante.

Au cimetière le lieutenant-colonel SALUANE a parlé au nom du colonel O'NEIL mais sa voix s'est étouffée dans un demi-sanglot.

 

Ce soir, je pars en corvée conduire un canon de 150 et des bombes au tunnel presqu'en première ligne ça va être gai !

9 mai

Quelle nuit tourmentée !

Il nous a fallu passer par des chemins impossibles : trous d'obus, boyaux, ponts à demi effondrés... avec çà bombardements à gaz asphyxiants, tirs de barrage, rien n'y manquait.

Enfin la corvée, par miracle, s'est bien effectuée, quand sur le chemin du retour un 77 millimètres éclate à 4 mètres de moi et a encore raté de me tuer.

Cependant, derrière moi un cheval a été tué et un autre blessé. Nous devons tous un beau cierge à la Sainte Vierge.

11 mai

Cet après-midi, je suis remonté au trou à une position de 150. Je ressens une douleur derrière l'oreille droite qui me fait horriblement souffrir. Il va falloir que je consulte le major pour savoir ce que j'ai.

12 mai

On s'attendait à être relevés, finalement des ordres sont arrivés pour nous faire rester au moins encore une quinzaine.

13 mai

J'ai fait venir des romans. Quel délicieux auteur que ce BOURGET dans « La zarine ».

14 mai

Nous préparons encore une attaque. Je ne me plais guère au 150.

Vivement la relève.

 

Ce soir, j'ai respiré des gaz asphyxiants. Pendant la nuit j'ai été très malade. Je m'en souviendrai encore de celle-là.

 

Qui étaient donc ces hommes capables de lire sur un théâtre de guerre au milieu de la désolation, des explosions, des tirs de tous calibres... ? Qui était Augustin, certes homme de foi et toujours fidèle à ses engagements, pour pouvoir lire Paul BOURGET au milieu de la mitraille ?

Dans le même temps, à Paris, d'autres jeunes anarchistes, antimilitaristes, déserteurs, passaient leurs nuits dans les caves avec l'alcool, le tabac, les drogues...

16 mai

Il fait un temps horrible. Il pleut averse.

Ça va faire rater l'attaque.

19 mai

L'attaque prévue est reculée de jour en jour. Quelle scie !

20 mai

Enfin aujourd’hui nous attaquons. Quelle journée encore. Mes petits bleus ont très bien marché. Départ des vagues d'assaut à 16 heures 25.

J'ai reçu un petit éclat dans la main droite, un rien.

24 mai

Presque tous les soirs contre-attaques farouches des boches mais ils en sont pour leur frais.

 

Ce matin, le brigadier LHUYOT de ma pièce est blessé aux reins, ROYER a la jambe droite broyée et souffre atrocement, deux autres sont tués et huit autres blessés. Un seul obus a fait tout ce carnage.

Un peu avant, en me rendant à la position, un avion allemand a décroché sur moi une bande de sa mitrailleuse. Les balles ont sifflé bien près, néanmoins je n'ai pas été touché. Je vais dire chez nous de faire brûler un cierge à Notre-Dame des Miracles, car j'ai été réellement protégé cette fois-ci.

Quelle guerre tout de même.

25 mai

Je suis au repos. On parle de relève mais hélas ce n'est pas encore fait.

26 mai

J’apprends que ROYER a succombé à ses blessures et a été enterré ce matin à Mourmelon-le-Petit. Dieu ait son âme.

27 mai

Jour de la Pentecôte.

29 mai

J'apprends la mort de CROZEL sous-officier à la 106ème. (*) La veille il était rentré de permission.

 

Ce soir j'ai été à son enterrement.

Nous sommes sur le départ. Il n'est pas trop tôt de quitter ce secteur terrible du Mont-Haut.

 

(*) : CROZEL Joseph Éloi, maréchal-des-Logis à la 106e batterie du 50e régiment d’artillerie, mort pour la France à Prosnes (51), tué à l’ennemi. Né à Castillon-du-Gard (30), le 22 juin 1888. Voir sa fiche

31 mai

Ce matin départ à 5 heures.

Arrivée à Saint-Etienne-au-Pont à 11 heures où nous avons bivouaqué.

1er juin

Départ à 5 heures. Nous cantonnons à Paix.

2 juin

Départ à 5 heures. Arrivée à Saint-Marc-sur-le-Mont vers midi.

Nous cantonnons dans ce village.

3 juin

Départ ce matin à 3 heures.

Nous cantonnons dans une grande ferme école à 2 kilomètres de Lille-en-Barois.

 

Ce soir je pars en permission. Enfin !

5 juin

Arrivé à 3 heures du matin à Rennes.

Voici donc encore une bonne permission que je vais passer. Combien je peux remercier la Bonne Vierge de me préserver toujours de tout danger quand il y en a tant qui disparaissent autour de moi. Ô Marie rendez-moi digne de cette protection. Donnez-moi plus de volonté.

6-7 juin

Rennes.

8-9 juin

Vitré.

10 à 15 juin

Paris chez Cécile.

16 juin

Retour au front.

17 juin

Je prépare mon dossier pour mon admission dans l'aviation.

19 juin

Après avoir cantonné auprès de Lille-en-Barois la batterie est venue pendant cinq jours auprès de Nixéville non loin de Verdun puis elle est venue s’installer dans les bois près de Rupt-en-Woëvre où elle est depuis.

Les canons sont en batterie auprès des Éparges.

22 juin

Je m'ennuie. Vivement que je parte.

23 juin

Je fais de magnifiques promenades à cheval.

24 juin

Dimanche. J'ai pu assister à la messe du père COTTEREL.

27 juin

J'ai été obligé de passer une contre visite pour l'aviation. Ça va.

29 juin

Décidément je ne me plais pas avec les sous-officiers du 150. Quels drôles de gens.

 

Ce soir, je suis monté aux tranchées.

30 juin

Ce matin, j'ai rencontré très fortuitement le fils de madame BUARD sous-officier au 250ème d'artillerie. Nous avons fait connaissance. Garçon agréable.

 

Ce soir, on m'apprend que je suis convoqué à paraître devant un chef d'escadrille. Enfin !

Je dois me présenter mardi.

1er juillet

Je m'ennuie terriblement.

2 juillet

Cet après-midi, les boches se sont mis à bombarder la position. Les projectiles tombaient tout près de notre cuisine.

Voyant cela, je me suis mis dehors pour voir si mes cuisiniers n'étaient pas blessés, mais je ne les vis pas car ils s'étaient mis à l'abri dans une sape voisine (tranchée creusée sous un mur).

Je revins donc moi aussi me mettre à l'abri.

 

Quelques instants après, l'ennemi ayant cessé son tir, je sortais de nouveau dehors pour remettre mes cuistots à l'ouvrage, puis pour les encourager. Je demeurais avec eux dans la cuisine, puis, tout étant calme, je finissais par m'endormir appuyé sur mon bâton, quand tout à coup les boches recommençant leurs tirs, le premier obus, un 150, vint s'écraser en plein sur la cuisine.

LE GOUVERNEUR fut tué horriblement mutilé, MULLER et moi étions ensevelis sous les décombres. (*)

Sur le coup je perdis connaissance.

 

Aussi fus-je très étonné le lendemain matin de me trouver dans l'ambulance au « Petit Monthairon » avec le talon gauche traversé par un éclat d'obus.

Cette fois c'est absolument miraculeusement que j'ai été protégé et que j'ai eu la vie sauve.

En effet, en restant avec les cuisiniers j'avais bien eu l'intuition que c'était dangereux pour moi. Aussi je fis quelques oraisons jaculatoires à la Sainte Vierge (prières courtes et ferventes).

LE GOUVERNEUR, au prix de sa vie, me sauvait la mienne en s'étant trouvé juste entre moi et l'éclatement du projectile, ainsi que me l'ont raconté mes camarades. Il reçut toute la gerbe d'éclats qui m'était destinée.

Gloire à Marie. Rendez-moi de vivre, ô Marie.

 

(*) : LE GOUVERNEUR Ernest François, canonnier à la 156e batterie du 50e régiment d’artillerie, mort pour la France le 2 juillet 1917 dans le secteur des Éparges (55), tué à l’ennemi. Il était né à Avranches (Manche) le 19 mai 1890. Voir sa fiche  >>>  ici  <<<

4 juillet

Visite de ROUPILLARD et de LABRUNNIE. Je ne peux dormir la nuit que grâce à la morphine.

5 juillet

Visite du père COTTEREL, TESSIER, BOIME, LA BROUSSE.

La nuit, quel supplice de ne pouvoir dormir.

6 juillet

Ce matin après m'être endormi on m'a fait subir une petite opération.

7-8 juillet

Je ne peux dormir.

11 juillet

Visite de LECOMTE et de CHAUVENET. Décidément on ne m'oublie pas à la batterie. On m'apprend que je suis versé à la 106ème batterie.

Je suis très bien soigné par de dévouées infirmières.

12 à 15 juillet

Je souffre toujours beaucoup.

21 juillet

Ce soir, je suis évacué par ambulance à Souilly.

Je souffre toujours.

22 juillet

Quelle nuit.

C'est tout de même drôle que je souffre comme çà depuis le temps. Demain je suis évacué sur l'intérieur.

Cette douleur persistante sur laquelle la morphine n'a que peu d'effet laisse à penser que l'os du talon a été fortement touché et qu'il s'est développé une inflammation (ostéite).

 

Il est étonnant, vue l'époque, qu'Augustin n'ait pas été amputé de son pied, car on sait que sur les lieux de guerre une inflammation osseuse abouti immanquablement à une infection à germes hautement pathogènes à l'origine de septicémie mortelle. Malheureusement l'avenir confirmera ce pronostic.

23 juillet

Faute de train je n'ai pas été évacué.

24 juillet

Ce soir, je suis parti à 11 heures par le train sanitaire. Voyage assez confortable couché sur un brancard.

Arrivé le 26 à Moulins. C'est l'hôpital complémentaire n° 31 qui me reçoit.

Pendant mon voyage je n'ai pas trop souffert.

30 juillet

Je souffre un peu moins.

Je suis tombé je crois dans un drôle hôpital, tout le monde à l'air de s'en ficher royalement.

31 juillet

Quel hôpital !

8 août

J'ai reçu un petit colis de chez nous, de la bonne galette et du beurre. Merci maman ! Mes sœurs m'annoncent des visites d'amis, de papa et de monsieur BUARD. Ah...

13 août

Je vais commencer à marcher avec des béquilles.

Je suis rudement content.

14 août

Je reçois la visite ce soir d'un monsieur VERILLAUD, commerçant à Moulins près de la cathédrale. Il est ami de monsieur DE VERRIERES caissier à la Banque de France de Rennes, et qui sur l'invitation de papa transmise par monsieur DE VERRIERES, a bien voulu venir me voir.

Ce monsieur a l'air très bien. Il m'a demandé de venir le voir mais je crois qu'il faudra user sobrement de l'invitation car ce monsieur a eu un de ses fils, prêtre, tué au front, et je craindrai par ma présence trop souvent renouvelée d'évoquer de tristes souvenirs.

15 août

Fête de l'Assomption. J'ai pu assister à la messe.

17 août

On dirait que mes cheveux tombent. En me peignant depuis quelques jours je remarque qu'ils s'en accrochent au peigne de véritables petites poignées.

Déjà !...

18 août

J'ai quelques discussions avec un nommé BAÜNNA qui est dans la même salle que moi.

 

Hier soir, j'ai été obligé de rappeler à l'ordre un type qui tenait des propos vraiment par trop grossiers. Cet homme a eu le bon esprit de se taire.

19 août

Aujourd’hui il devait y avoir une petite fête dans la cour même. Pour cela on avait descendu presque tous les blessés puis, au dernier moment, à l'instant où de nombreux spectateurs étaient arrivés de la ville, une pluie diluvienne est survenue qui a obligé de remettre la fête à huitaine, puis il a fallu remonter précipitamment les blessés.

Pas de chance tout de même.

23 août

J'ai été rendre visite à monsieur et madame VERILLAUD.

Cà a l'air de bien braves gens.

25 août

Flûte, quelle nouvelle.

Voilà que je suis désigné pour être expédié sur un autre hôpital afin de faire de la place ici. Enfin çà arrive juste au moment où je commençais à me plaire à Moulins. J'ai demandé au médecin de la salle de bien vouloir solliciter près du médecin-chef mon maintien à l'hôpital. Il n'a pas réussi.

Alors j'ai écrit à monsieur VERILLAUD de bien vouloir venir demain matin demander cette faveur au médecin-chef. J'attends le résultat de cette démarche.

Je pense qu'il voudra bien venir.

26 août

Monsieur VERILLAUD est bien aimable. Il est venu ce matin demander qu'on me maintienne à l'hôpital et il a réussi. Cependant je ne vais pas demeurer ici. Je vais être transféré dans un autre hôpital à Moulins. C'est l'essentiel.

 

 

Augustin, debout à gauche (en sombre)

 

27 août

Ce matin j'ai été emmené en automobile à l'hôpital n°8 dirigé par des infirmières bénévoles de la Croix-Rouge. (*)

J'espère que cette fois je vais être très bien, nous sommes d'ailleurs très bien nourris. Et dire qu'il y en a qui se plaignent quand même !

Nous ne sommes pas très nombreux comme blessés.

 

(*) : Il s'agit d'un ancien couvent pensionnat Notre-Dame possédant une petite chapelle dans le parc. L'infirmière personnelle d’Augustin est mademoiselle BERNARD.

28 août

Saint Augustin.

C'est aujourd’hui ma fête. Hélas triste fête ! Où sont-elles ces douces fêtes de famille d'antan ? Reviendront-elles un jour ?  Oui, je l'espère ! Grand Dieu que je suis étourdi.

En écrivant ces lignes je m'aperçois que j'ai complètement oublié d'envoyer mes vœux de bonne fête à papa. Il va me falloir user d'un stratagème pour qu'il ne croit pas qu'il y ait de ma faute.

C'est égal je suis impardonnable. Oublier la fête de mon petit papa...

30 août

Cet après-midi, je me suis un peu promené.

J'ai été voir monsieur VERILLAUD. Ils m'ont parlé de leur fils prêtre qui a été tué au front et, malgré moi, j'étais ému devant une telle douleur évoquée par de si pénibles souvenirs. (*)

 

(*) : VÉRILLAUD Gaston, 2e classe au 407e régiment d’infanterie mort pour la France à Neuville-Saint-Vaast (62), le 28 septembre 1915, tué à l’ennemi. Né à Yzeure (Allier), le 10/12/1887.

31 août

Je ne sais pas si je vais si bien me plaire à l'hôpital n° 8. L'esprit des gens de Moulins est si étroit. Enfin, attendons.

2 septembre

Cet après-midi, j'ai été voir monsieur et madame VERILLAUD toujours très aimables pour moi. Ils m'ont demandé si je voulais les accompagner jusqu'à la Visitation où une de leur fille est religieuse. J'ai accepté.

De ce fait je n'ai pu aller aux vêpres à la cathédrale comme j'en avais l'intention.

6 septembre

Ma blessure semble avoir des complications. Elle me fait mal et me donne de la fièvre.

Aujourd’hui jeudi le médecin m'a interdit de sortir, puis vers 1 heure l'infirmière major me voyant sur mon lit en train de m'ennuyer pendant que tous mes camarades étaient partis en promenade m'a autorisé à sortir un peu sous ma promesse que je ne me fatiguerais pas.

J'ai été chez monsieur VÉRILLAUD.

La blessure s'est manifestement infectée. (*)

 

(*) : Si on n'ouvre pas la cicatrice pour mettre une mèche profonde, à défaut d'antibiotiques qui n'existent pas à cette époque, la septicémie et la gangrène seront l'évolution inexorable.

8 septembre

Ce midi, Monseigneur PÉNON évêque de Moulins est venu nous voir au réfectoire. Il nous a dit quelques mots aimables, puis il a payé le café.

C'est ce qui a été le plus apprécié de la plupart.

11 septembre

Mon entourage ne me plaît guère. Tous les soirs je vais au Salut, mais mon Dieu, je ne me rends pas à votre appel, je sens qu'il me faudrait une grâce spéciale de volonté. Accordez-la moi ô mon Dieu ! (*)

 

(*) : Il semble qu'Augustin passe par une « nuit de la foi ».

 

 

Madame, Madeleine et Gérard VÉRILLAUD

13 septembre

Cet après-midi j'ai été chez monsieur VÉRILLAUD. J'ai fait avec son fils Gérard de nombreuses parties d'échecs et de dames, mais je me fais terriblement rouler !

19 septembre

Je vais essayer d'aller en permission à Paris.

21 septembre

Tant mieux j'ai réussi à avoir une permission de 4 jours pour Paris, ça va me changer les idées.

22 septembre

Ce matin, je suis parti pour Paris à 11 heures 37.

J'ai passé cinq ravissantes journées avec ma sœur Cécile et monsieur mon neveu. Yves était en permission.

J'ai pris quelques photos.

28 septembre

Ce matin à 8 heures, j'ai pris le train à la gare de Lyon pour revenir à Moulins où je suis arrivé à 3 heures cet après-midi.

30 septembre

J'apprends la mort de Georges Marie GUYNEMER. C'est un deuil national. Personnellement je le regrette infiniment. J'aurais voulu pouvoir marcher sur les traces d'un si bel exemple vivant.

 

(*) : Décédé le 11 septembre 1917. Le décès de son héros favori, presque de son frère jumeau puisque né la même année que lui, va ajouter à la tristesse d'Augustin. Il ne va évidemment pas manquer de faire le rapprochement entre sa blessure qui le fait tant souffrir depuis deux mois et la mort de l'aviateur. Quelque chose en lui va se casser, ou plutôt se tarir, à savoir le goût de la résistance et de la lutte. Une idole emblématique était tombée.

Qui restait-il désormais pour stimuler les bonnes volontés ?...

8 octobre

Un vent de comédie souffle à l'hôpital au sujet de madame DE GARA l'infirmière major qui est vraiment bien maladroite aussi.

13 octobre

L'adjudant GUETTIER, mon voisin de lit, s'en va vendredi. Bon débarras !

16 octobre

L'affaire du fameux complot de l'Action Française fait beaucoup de bruit et passionne l'opinion. Que va-t-il advenir de tous ces débats ? Il serait temps qu'on purge notre pauvre gouvernement en déliquescence des traîtres qu'il compte dans ses rangs.

Ah, si on écoutait DAUDET (il s'agit bien sûr de Léon DAUDET).

21 octobre

Cet après-midi, j'ai été chez la famille VÉRILLAUD.

Avec madame VÉRILLAUD, mademoiselle Madeleine, ravissante brunette, et monsieur Gérard nous avons été voir monsieur BUREAU au 31. J’aime beaucoup ce charmant jeune homme, je voudrais bien qu'il devienne mon ami.

Enfin nous sommes ensuite rentrés pour goûter.

A cette occasion, comme madame VÉRILLAUD me disait de goûter de la marmelade aux noix, en en ayant pris quelques-unes pour les goûter elle me demanda si je trouvais bon ce mets. Je déclarais aussitôt que c'était délicieux.

Là-dessus mademoiselle Madeleine, avec une petite pointe de malice très marquée, mais pas méchante, me répliqua que je disais çà comme un perroquet à qui on a appris la leçon par cœur... Ça m'a fait tout drôle que mademoiselle Madeleine ma parle ainsi.

Est-ce que j'aimerais mademoiselle Madeleine ?... (*)

 

(*) : Le père de Madeleine connaissait le duc Philippe d'Orléans duquel il reçut une photo dédicacée. Ancien employé de la Banque de France, il jouait du piano, aimait les échecs et semblait un homme très sympathique.

Il tenait malgré tout à s'assurer que sa fille Madeleine ne s'aventurait pas avec un jeune homme dont il avait fait connaissance par relation seulement.

24 octobre

J'ai reçu une lettre de papa qui m'apprend qu'un employé de la banque lui demande si je vais me marier !... Cà par exemple ! Qui a pu lui conter de pareilles sornettes ? Il paraît qu'un monsieur demande des renseignements sur moi à Rennes ! J'espère que papa va me mettre au courant ! Qui diable a fait demander des tuyaux sur mon compte ?... C'est égal. C'est ravissant.

J'ai fait deux parties d'échecs avec Gérard et cette fois je les ai gagnées.

25 octobre

Cet après-midi j'ai été chez la famille VÉRILLAUD.

En rentrant j'ai trouvé mon cousin Joseph qui, après avoir été soigné à Lyon d'une blessure reçue au mois d'août à Verdun, s'en va guéri en convalescence de quarante-cinq jours.

Nous avons dîner ensemble.

26 octobre

Joseph est revenu ce matin. Nous avons causé un bon moment puis à 10 heures il m'a quitté pour prendre le train pour Paris.

Je suis bien content de l'avoir vu.

29 octobre

Avec l'adjudant PRIOULT du 41ème d'infanterie qui vient d'être hospitalisé ici, nous allons préparer de beaux chants pour la Toussaint. Ce monsieur PRIOULT est de Montfort-sur-Meu.

Quelle coïncidence !

30 octobre

Nous avons parmi les nouveaux blessés qui viennent d'arriver un sous-officier qui est franc-maçon et qui d'ailleurs a de fort belles manières.

J'ai bien essayé de discuter avec lui pour tâcher de lui faire toucher du doigt l'aberration dans laquelle il croupit. Mais il ne se prête pas beaucoup à la discussion. Je crois que pour convertir rien ne vaut encore que la prière et l'exemple.

1er novembre

Fête de la Toussaint.

5 novembre

Ce matin j'ai eu une alerte désagréable. Le docteur PENARD notre chirurgien a l'intention de m'expédier à Bourbon-l'Archambault pour faire une saison aux eaux.

C'est ça qui ne me sourit guère. Mais attendons les événements, je ne suis pas encore parti, car monsieur KOZ le chirurgien du 31 qui m'a déjà soigné va sans doute en décider autrement, car il s'occupe de moi.

10 novembre

Rien de spécial à signaler. Je m'amuse à faire de la photo.

15 novembre

Ce soir il a été décidé, à la suite d'une inspection passée par un gros major, que j'allais être évacué sur Vichy. Je n'ai pas de chance, moi qui me plaisait tant ici.

 

 

 

Augustin en compagnie de monsieur VÉRILLAUD

18 novembre

Ce soir j'ai dîné chez les VÉRILLAUD. J'ai fait la connaissance de monsieur Léon. Maintenant je connais toute cette excellente famille.

23 novembre

J'ai passé presque toute la journée chez la famille VÉRILLAUD qui m'avait invité avant de quitter Moulins.

Ils ont été comme toujours absolument charmants.

24 novembre

Ce matin à 5 heures 30, la veilleuse de nuit est venue me réveiller.

 

A 7 heures, je suis parti à la gare en automobile pour prendre le train pour Vichy.

Je laisse à Moulins de bien bonnes amitiés !

Je suis arrivé à 11 heures ce matin.

26 novembre

Ce matin j'ai passé une visite et il a été décidé que j'allais suivre un traitement à l'air chaud.

29 novembre

Je m'ennuie, je m'ennuie, je m'ennuie ici !

30 novembre

Je crois que mon traitement va vite faire fermer la plaie.

4 décembre

Encore une fois voilà que je traverse une crise d'argent. Je suis sans le sou et obliger d'emprunter cinq francs, ce qui ne me plaît guère du reste.

Enfin, j'espère que ce ne sera pas pour longtemps.

5 décembre

J'ai reçu aujourd’hui une bonne lettre de monsieur VÉRILLAUD.

Il me parle d'un monsieur AUDIN qui est sergent ici.

9 décembre

Solennité de la fête de l'Immaculée Conception. J'ai communié à Saint Louis à la messe de 7 heures 30 et je suis retourné à la messe de 10 heures.

Enfin j'ai été aux vêpres à 4 heures. Il y avait une procession dans l'église. A ce spectacle un flot de souvenirs m'est monté à l'imagination je ne sais pourquoi, toujours est-il que je me suis retenu à quatre pour ne pas pleurer.

Quelle drôle de nature que la mienne.

12 décembre

On cesse mes soins.

 

 

Augustin devant la maison familiale à Rennes (35 rue de la Croix Carrée)

 

 

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Augustin bénéficie d'une permission pour passer les fêtes de fin d'année en famille à Rennes.

Son journal s'arrête là.

Peut-être y a-t-il un autre document écrit de sa main. Cependant le petit album de photos réalisé par Augustin permet de connaître un peu son emploi du temps au cours de l'année 1918.

Selon ces sources, il passe les derniers mois de la guerre entre Vichy et Rennes-Paris.

A Vichy début novembre 1918, il passe selon toute vraisemblance devant une commission médicale militaire , comme cela se fait généralement, à l'issue de laquelle il sera réformé et renvoyé dans ses foyers avec une petite rente d'invalidité.

A Rennes, il poursuivra des soins réguliers, mais inefficaces, à l'hôpital Ambroise Paré rue d'Echange. Soins inefficaces car la médecine ne possédait pas encore le premier antibiotique découvert par Alexander Fleming en 1928, qui aurait très certainement guéri son infection chronique du talon gauche.

 

L’armistice de Rethondes le 11 novembre 1918 est la bienvenue, mais la joie d'Augustin ne peut pas être pleine et entière. Il a compris depuis un certain temps déjà qu'il ne guérira pas.

Non seulement il ne guérira pas mais mourra quelques mois plus tard d'une septicémie par germes hautement pathogènes, le 6 mars 1919 à l'hôpital militaire de Toulouse, à l'âge de 24 ans et 8 mois. Il sera déclaré Mort pour la France.

 

Durant cette guerre, la Grande Guerre, Augustin se sera illustré par trois actions ayant nécessité bravoure et témérité, qualités reconnues et récompensées par la hiérarchie militaire. Ces trois actions furent, on s'en souvient, le repérage et la destruction de minenwerfer, la recherche du corps d'un de ses camarades sous les bombardements intensifs des Allemands, enfin le don de sa personne dans son obstination à vouloir sauver ses cuisiniers lors d'une attaque ennemie.

 

Mais, au quotidien, son attitude fut à la fois courageuse, déterminée et calme, l'écriture de son journal rédigé au jour le jour témoigne de la maîtrise de soi dont Augustin a fait preuve tout au long de son engagement militaire.

Cette attitude valeureuse aura été motivée par son profond désir de sauver l'intégrité et la souveraineté de la France face à l'action létale d'un dictateur. Augustin ne recherchait pas la gloire ni l'argent. Il agissait par devoir, par amour de son pays. Pour la Liberté.

Combien d'autres poilus, portés par le même idéal, font désormais partis des oubliés de la vie... de la France... des familles...

Puisse ce modeste travail contribuer à sortir des ténèbres de l'Histoire, un Poilu, Augustin MORLIER, qui fait honneur à toute la famille et qui accompagne si bien un autre Poilu, son valeureux beau-frère Henri DURAND.

 

 

Augustin MORLIER, MARECHAL DES LOGIS

CROIX DE GUERRE AVEC ETOILE D'ARGENT 1914-1918

 

 

 

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Je désire contacter le dépositaire des souvenirs d’Augustin MORLIER

 

Vers d’autres témoignages de guerre 14/18

 

Voir des photos du 50e régiment d'artillerie

 

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