Carnet de campagne de Maurice MALLERON
Aspirant au 168ème régiment d’infanterie - 1917
Publication :
octobre 2005
Mise
à jour : Mai 2024
Maurice MALLERON 168e régiment d’infanterie - 1919
Prologue
Jean Luc M. nous dit en 2005 :
« Mon
grand-père, né le 14/06/1897 et décédé le 09/12/1969, a fait la guerre de 14-18
comme beaucoup d'hommes de son âge. Affecté au 168ème régiment d'infanterie, il
a été gazé dans les tranchées en 1917 et fait chevalier de la Légion d'Honneur
en 1924 avec le grade de lieutenant.
Je possède quelques
photos ainsi que quelques photos des feuillets qu'il écrivait dans les
tranchées.
Serait-il possible d'en faire figurer sur votre site ? En respectant bien sûr les droits à la publication que vous mentionnez. Je vous demande ceci à la mémoire d'un homme que j'ai adoré mais avec qui malheureusement je n'ai pas pu échanger suffisamment longtemps. Pour sa mémoire et celle de ses camarades, j'apprécierais énormément que ces photos soient visibles sur le web (votre site est pour moi la référence) par des personnes qui le souhaitent. »
Contacts
avec des internautes depuis la mise en ligne :
Pierre KLAPPERSTEI. (2018) :
« Bonjour, je
suis en train de préparer pour une exposition sur la Grande Guerre qui doit
avoir lieu à Brétigny-sur-Orge, des panneaux sur lesquels j'aimerais faire
figurer deux photographies de Maurice MALLERON visibles sur votre site (seul en
uniforme et en groupe) car son registre d'incorporation militaire mentionne une
résidence dans cette ville.
Des images d'une
meilleure définition seraient-elles disponibles ? Vous est-il possible de me
communiquer l'adresse de messagerie de Jean-Luc MALLERON ou de lui transmettre
mon souhait ?
Un grand bravo pour
votre site. Cordiales salutations »
Remerciements
Merci à Philippe S. pour les
corrections éventuelles et certaines recherches.
Merci à Michel V. pour la recopie du
carnet.
Nous avons ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes
et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit.
Pour une meilleure lecture, j’ai
volontairement ajouté des chapitres, sinon le reste est exactement conforme à
l’original.
Introduction
Maurice François Pierre MALLERON est né
à Paris en juin 1897. A son incorporation en août 1916, il déclare être ‘’
dessinateur industriel ’’ et est affecté au 168ème régiment d’infanterie de Sens.
Il passe caporal (mars 1917), puis sergent
et enfin aspirant en mai 1917. Il part au front rejoindre le 168e régiment
d’infanterie le 6 juin 1917. Du 16 avril 1917 jusqu’à l’arrivée de Maurice, le
régiment a perdu 480 hommes tués, blessés et disparus.
DEBUT DES ÉCRITS
Nous montons en ligne ce soir. (*)
Après avoir marché toute la matinée (depuis quatre heures du matin), nous sommes arrivés à Mourmelon, bien fatigués. Le canon tonne par intermittences. J’ai un peu le cafard à cause de ma permission trop rapprochée : je songe à maman et à L. Il me semble que je ne pourrai jamais arriver en ligne, sans être tué en route…
Les poilus sont fatigués, c’est la débandade en arrivant ici et c’est lamentable…
(*) : C’est le 1er bataillon qui monte en tranchée pour
remplacer le 2e bataillon dans le ‘’ quartier Wilson ‘’, secteur du
Mont-Sans-Nom à l’est de Reims. Le JMO (journal des marches et opérations) du
régiment signale aussi l’arrivée en renfort un sous-officier et de 15 hommes.
Le sous-officier est très certainement Maurice MALLERON.
3 jours déjà de tranchées.
Notre secteur est tranquille, si tranquille que je crois par moments, en me voyant dans cette cagna, être en train de jouer aux Indiens.
Quelle tranquillité ! J’ai dormi 10 heures aujourd’hui. Je me suis levé à 8h ce matin. Vraiment ma veine ne m’a point abandonné. J’ai surpris aujourd’hui, au moment où j’allais me réveiller, une conversation qui m’a bien fait plaisir.
Un ravitailleur arrive, qui dit à un de mes sergents :
« Dis donc, il dort bien ton patron »
« Je le crois »
Là-dessus, le barbier qui était dans ma cagna dit :
« J’ai apporté ma tondeuse, heureusement, sans çà, je n’aurais
jamais pu le raser ! »
« Le charrie pas, répond mon sergent, pour un jeune qui n’a jamais vu le feu, il n’est pas c…, il prend la
guerre de la bonne façon. »
Cette appréciation d’un type au feu depuis le début, 4 citations, ne laisse pas de me flatter.
Ce soir, je l’ai échappé belle. Les Frigolin nous tirent à pigeon sur la tête… Nos bombardiers répondent. Je veux voir lancer un pigeon. Je m’approche : le coup part, une fumée impénétrable, un bruit assourdissant, une lueur formidable. Le pigeon vient d’éclater. Rien, un tout petit éclat est venu me frapper sous la lèvre et c’est tout ! Quelle veine !
Le tireur, 50 centimètres à côté de moi à trois blessures. (*)
(*) : Il pourrait s’agir de Marcel VERRAUD de la 2ème compagnie
du 1e bataillon, seul blessé au 15 juin 1917.
168ème régiment d’infanterie – Aspirant Maurice MALLERON avec une canne.
Pendant que je suis en veine d’écrire, je veux décrire ma cagna, mon premier poste de commandement. On y accède par cinq ou six marches usées, l’entrée est d’ailleurs tournée vers les Boches (l’abri leur appartenait), ce qui rend l’abri particulièrement sûr quand ils tirent : on a à chaque obus la sensation très nette qu’il va venir éclater au milieu du gourbi. Mais, continuons ma description.
Quand on arrive la première chose qu’on voit, face à l’entrée, c’est ma table. Bureau, table de toilette, salle à manger, elle sert à tout. Elle est bien un peu boiteuse, mais on le lui pardonne. Je l’ai d’ailleurs recouverte de sacs à terre, ce qui lui donne une allure tout à fait bourgeoise… Pour asseoir mon génie naissant, un banc formé de deux billots sur lesquels deux planches oscillant à chacun de mes moindres mouvements, essayent de me communiquer les béates voluptés du rocking-chair. Le dossier est formé par la muraille ; avec un peu d’imagination, on peut se figurer que les aiguilles de craie qui saillent sur elle sont les boutons fixant les coussins de mon cathèdre.
Ma suspension est formée d’un sas en faïence renversée, trouvée dans l’abri sur le fond de laquelle un enduit de stéarine témoigne de longues veillées passées ici.
Au-dessus de ma tête, des étagères sur lesquelles on place tout un matériel hétéroclite, fusées, encre, chocolat, singe, eau de Cologne, voire du tabac.
Le fond de ma salle à manger, à gauche de l’entrée, sert de couche à mon tampon, qui pour éviter la dureté du sol, a disposé par terre trois planches qui forment à en croire la dureté de son sommeil, le plus moelleux des matelas.
Mais je vous parle de ma salle à manger ; je n’ai pas dit que mon luxueux appartement est divisé en deux parties. La salle à manger dont je viens de faire la description, et la chambre à coucher, un poème.
Imaginez, accrochées au mur des couchettes semblables à celles des paquebots. Quand je dis semblable, je m’entends ; semblable comme système. Car ce ne sont plus les bienheureux ressorts de La Provence, vous le concevez ; des caisses dans lesquelles on s’étend, avec son sac pour oreiller, comme dans Sambre et Meuse. Une lanterne éclaire, ou fait de louables efforts dans ce sens, cette partie de l’abri.
Comme chef de section, j’ai une paillasse, pourrie d’ailleurs de totos et de puces, mais sur laquelle je m’étends avec délices ; une toile de tente ramenée sous le menton me donnant assez bien l’illusion du drap. Une couverture et ma capote étendue sur mes pieds, il ne m’en faut pas plus pour dormir comme un roi.
Mon abri n’est pas pour moi le summum du confort, le « home » ou l’on oublie les grenades, les tranchées, l’odeur de cadavre qu’on respire au dehors et le sifflement-miaulement incessant des obus au-dessus de ma tête. Je vais le quitter demain pour la relève, mais ne le regretterais-je pas ?
Au repos à Vouzy, entre Châlons et Épernay.
Souvenir de popote
Nous sommes à 10, 6 officiers, 4 aspirants, qui finissons un bon repas.
Mon ami, (Paul) Michau (*), à qui j’ai conté la légende du Mont Alarie à St-Maixent, me demande si je peux lui expliquer pourquoi il y a des yeux dans le gruyère :
« Au temps où la
Suisse romande était sous le joug du tyran Geissler,
alors que Guillaume Tell
cueillait des pommes sur la tête de son fils à coup de flèche, tandis que sur
les patelins alentour, les tyroliens lançaient leurs trou-la-laï-tou et que le soir calme
amenait par bouffées, avec les chaudes senteurs du soir, quelques mesure du
Ranz des Vaches (musique de Rossini) vivait isolé un bon pâtre un peu simple
qui tout le jour soufflait dans son corps.
Mais cette mélodie n’étant pas du goût du tyran qui craignait qu’elle adoucit les mœurs (car les mœurs sont des v…….), il lui interdit de jouer désormais près de ses …….
(*) : Paul Octave MICHAU, lui aussi aspirant au 168ème régiment
d’infanterie, sera déclaré ‘’disparu à l’ennemi’’ le 8 septembre 1917 sur le
plateau des Caurrières (Meuse) puis déclaré mort pour la France en 1920. Voir
sa fiche.
FIN
LA SUITE
Maurice
MALLERON sera blessé le 7 septembre 1917 à Verdun à la main gauche. Soigné et
rétabli, il repart au régiment en octobre 1917. Blessé une seconde fois en
juillet 1918, il revient au 168e RI en septembre 1918. Il est nommé
sous-lieutenant en 1919.
2
citations – Croix de guerre avec palmes – Légion d’Honneur en 1924.
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