Mise
à jour : novembre 2015
PRELUDE
Pierre Martin était du 81 RIT, puis prisonnier au camp de Wittenberg. Il a écrit un poème sur sa vie au quotidien ainsi que des chansons.
Merci à Lydia son arrière-petite-fille.
Le camp de Wittenberg était un camp pour hommes de troupe, composé de baraques, entouré de plusieurs ceintures de fil de fer barbelé, occupé par des soldats Français, Belges, Anglais et Russes, uniquement des hommes, situé dans la province de Saxe, sur l'Elbe, au Sud de Schwerin.
Une épidémie de typhus exanthématique y sévit de janvier à mai 1915, y faisant de très nombreuses victimes.
Bien
portants !...
Bien traités !...
Dédicace de l’auteur aux camarades du 81e Rgt. Territorial, ses compagnons de captivité à Wittemberg.
Vieux territoriaux, soldats du quatre-vingt un
Qu’une pluie de shrapnels, de mitraille et d’obus
Pendant trois jours laissa calmes, stoïques même
Vous qui, la rage au cœur ne vous êtes rendus
Qu’à l’ordre de vos chefs surpris par l’avalanche
A vous les survivants, à vous obscurs héros
Qui goûtez maintenant espérant la revanche
Dans le bois des Loges votre dernier repos
A vous ces quelques vers nés dans l’humble bar
Dans une heure indécise où l’on ne voit encore
Que comme un point léger derrière un verre opaque
Le jour tant attendu de prendre son essor
Chers parents, chers amis laissés dans l’ignorance
Par des ordres cruels qui nous tiennent muets,
Vous qui avez eu l’heurt de demeurer en France,
Voulez-vous de la guerre apprendre d’autres faits
Que la mort des soldats, la ruine des villages ?
La douleur de la veuve et les pleurs de l’enfant ?
Le hasard des combats, les sirènes, les carnages ?
Que voulez-vous apprendre, apprendre tout crûment
Comment vivent, souffrent et meurent de misère
Loin de votre affection sur le sol étranger
Comment vivent, souffrent les prisonniers de guerre
Et comment ils meurent seuls sans un baiser ?
Quand il nous l’est permis, mais hélas, c’est bien rare
Nous écrivons en hâte et nous disons brimés
Ce que dicte cruel le policier barbare :
« Nous sommes bien portants, bien traités, bien soignés. »
Hélas, trois fois hélas ! Mais il vaut mieux en sommes
Que tous vous demeuriez dans la douce illusion
Et l’épouse éplorée ayant pleuré son homme
Est tranquille à présent sur sa situation
« Où donc est votre mari ? Là-bas en Allemagne »
« Il est heureux, content au camp de Wittenberg »
« Bien soigné, bien dorloté, quel pays de Cocagne »
« Oh que je suis bien aise, il avait tant souffert »
Mais la réalité que vous devez connaître
Est différente, allez et vous verrez ma foi
Que pour la patrie, sacrifier son être
Sur les champs de bataille, oublier qui on est soi
N’est pas plus dangereux et vous pourrez m’en croire
Que vivre cette vie amère et sans témoin.
Chaque homme en ce moment a son calice à boire.
Il est plus ou moins doux, le nôtre ne l’est point.
Qui combat l’ennemi a devant lui des hommes
Des soldats exercés armés d’un bon fusil,
Mais ici désarmés, de vrais jouets nous sommes
Sans force et sans vouloir, sans arme, sans outil.
Je ne veux pas parler de cet affreux voyage
De quatre jours, trois nuits, quatre long jours sans pain
A la guerre ma foi, point manger c’est dommage
Mais c’est presque l’habitude et cela ne fait rien
Nous arrivons un soir, un soir triste et morose
« Du silence la dedans ! De suite préparer »
« Tabac, couteaux, briquets. Cela d’une voix fausse »
« Criarde, impérative. Et vous obéissez »
« Car vous êtes ici soumis aux lois martiales. »
« Obéir sans murmure est la règle pour tous »
« A tous contrevenant des peines sans égales »
« Le poteau (*) et la faim, la mort, méfiez-vous. »
(*) : Le supplice du poteau était courant dans les camps
de prisonniers allemands
Puis on nous fait entrer dans une tente immense
Au sol couvert de paille, à l’instar des bestiaux
On s’étend, on s’endort, on se réveille, on pense
On pense à vous amis, on pense aux jours si beaux
Que nous avons vécus, on pense à la mitraille
Qui nous a assourdis, aux balles, aux obus
Au clairon, au tambour, au bruit de la bataille
A nos amis tombés que nous ne verrons plus
On se sent tout petit au milieu de ces brutes
Le cœur serré, rompu, sans force, sans espoir
Par avance on prévoit les manœuvres occultes
Qui se trament déjà dans ce sombre assommoir
Je dois vous dire aussi cette immonde pâture
Qu’on nous sert chaque jour parcimonieusement
Il faut bon estomac, car la ration impure
Qui nous doit soutenir ferait bien fréquemment
Vite, éloigner des porcs quelque peu difficiles
Une eau sale, terreuse en un baquet douteux
Légumes non pelés, transporteurs de bacilles
Viande rare et gros os, voilà le tout affreux
Qu’est l’horrible menu auquel le corps débile
A dû s’habituer. Au repas du matin
Au réveil, de l’eau chaude et le soir c’est faire
Encore de l’eau chaude et puis…et puis plus rien.
Peut-être pensez-vous c’est naturel à croire
Que pour nous soulager d’un besoin personnel
Nous pouvons librement sans guide, sans histoire,
Gagner les cabinets ? Sous l’œil habituel
De nos gardiens bottés, tous dirigés en groupe
Doit-on rire ou pleurer ? Nous allons en ce lieu
Périodiquement comme on va à la soupe
Aussi notre vouloir s’affaiblit peu à peu
Il transpire en tous lieux l’ordonnance allemande
Et les murs sont couverts de réglementation
D’avis petits et grands dont la prose ronflante
Fait ployer tout et tous sous le mot « Punitions »
Nous restâmes ainsi dans cette affreuse tente
Jusqu’au jour ou enfin, nous vîmes s’aligner
Des baraques en bois à la forme avenante
Où nous devions hélas ! Péniblement passer
Maintes nuits sans sommeil, maints jours interminables
Des jours de désespoir et d’horrible douleur
Des jours trois fois maudits, des jours inoubliables
Qui vieillissent le corps et durcissent le cœur…
D’abord, comme le chat qui caresse sa proie
La flatte et s’en amuse avant de la manger
Hypocrites, ils nous font une figure exquise
Et nous flattent, rieurs, pour nous mieux dévorer.
« Que nous vous en voulions, Français, n’allez pas croire
« Le mensonge insipide, au peuple, à l’empereur
« L’empereur de la paix (c’est le nom que l’histoire
« Certes lui donnera) à vous allez droit au cœur
« Lisez le bulletin, parcourez ses articles
« Nous sommes vos amis et vos admirateurs
« Prenez garde au contraire aux anglais hypocrites
« Voilà vos ennemis, cupides, enjôleurs,
« Assez de sang versé, fin à la triste guerre
« A laquelle contraints, tous nous participons
« Ni vainqueurs, ni vaincus et sus à l’Angleterre
« Pour la paix éternelle et le bien des nations.
« Quant aux Russes entre nous, Quelle piètre allié
« Ne vaudrait-il pas mieux qu’oubliant le pas
« Soixante-dix, Sedan, l’Allemagne et la France
« S’unissent pour toujours en un pacte sacré !
« Et toujours des succès, et toujours des victoires
« Des prisonniers nombreux, des fusils, des canons
« Quelquefois des reculs, mais hélas provisoires
« Pour reprendre demain et par vaux et par mont
« La marche sur Paris, sur Londres et Varsovie
« Des mensonges grossiers, éclatants, aveuglants
« Voilà ce que contient cette feuille honnie
« Qu’ils distribuent mielleux, hardis et anonymes
« Un beau jour au summum de sa sollicitude
« Un jeune feld-webel raide en son froc semblant
« Nous vint en beau phraseur présenter une étude
« Sur les Russes, leurs mœurs, leur tare et leur penchant
« Gardez-vous nous dit-il, dans son fourbe langage
« De recevoir chez vous ces Russes mal appris
« Qui ont de tous les maux l’inconscient apanage
« Typhus et choléra pour cibler seuls les pis
« Sont chez eux constamment en pleine effervescence
« Fuyez les, chassez les, frappez les au besoin
« Tenez-vous éloignés de leur impertinence
« Ce sont des alliés qu’il faut laisser de loin.
Mais pourquoi donc alors cet horrible mélange
Qui nous est ordonné lorsque la contagion
Plus grave que jamais comme une hydre s’avère
Dans l’ombre insaisissable et fauchant sans pardon
Nous sommes maintenant tassées avec les Russes
Sans hygiène, sans air, sans nourriture aussi
A merveille placés pour recevoir les puces
Les bacilles, les poux dont leur corps est rempli
Puis, après ce haut fait alors que la mort frappe
A grands coups dans nos rangs ; nos policiers heureux
D’avoir ainsi plongé dans cette horrible trappe
Les prisonniers français ; se retirent chez eux.
Et sans doute craignant qu’en un trucage habile
De sa correspondance, un prisonnier adroit
N’arrive néanmoins à dire à sa famille
La façon dont des gens ils respectent le droit
De plus en plus cruels, ils défendent d’écrire
Faisant ainsi pleurer par cet acte brutal
Nos femmes, nos enfants qui aimeraient tant lire
Ces mots pourtant dictés, cet épitre banal
Maintenant isolés, nous peinons en silence
Et le monde extérieur pour nous n’existe plus
Seuls à souffrir d’abord, tous nous prenons patience
A présent vous pleurez ; nous ne le pouvons plus.
Un fait qui trop souvent hélas ! Se renouvelle
De notre vie, encor vient attrister le cours de
Ceux que journellement la mort abat, cruelle
Et qui s’en vont, tout près endormis pour toujours
En un long défilé vers la fosse commune
Passent devant nos yeux, couchés dans leur cercueil
Sans parents, sans amis, sans compagnie aucune
De l’humble cimetière, ils font franchir le seuil
Et vous remplis d’espoir, dans notre belle France
Vous qu’impatiemment attendez leur retour
Vous ne savez plus rien, restez dans l’ignorance
Pour que plus tard, vos cœurs soient brisés sans retour.
Et pour chercher un terme au douloureux exode
De tous ces moribonds, les docteurs désarmés
N’ont qu’un médicament : la teinture d’iode,
Tous les autres leur sont chaque jour refusés
Les malades sérieux sont traités par la diète
(C’est un remède aisé qui n’est jamais omis)
Et les blessés le sont à la bonne franquette
Mais leurs plaies sont encore selles si ce n’est pis
Qu’au jour où ils durent pour faire de la place
Et sans être guéris quitter les hôpitaux
Des lois protectrices il n’y a plus de trace
On ignore Genève, on foule ses drapeaux.
La croix rouge pour eux est une chose ancienne
Que peut-être autrefois les peuples arriérés
Fidèles respectaient mais la guerre aliène
De tous les devoirs gênants, même s’ils sont sacrés
Et les droits du plus fort dans ce pays sauvage
Comme au temps de Bismarck sont toujours les meilleurs
Ils fouillent nos colis, les vident avec rage
Et rient de notre faim, tabac, vivres, douceurs
Que nous font parvenir en se gênant peut-être
Nos parents circonspects ; sont retenus par eux
Puis, si surprenante que la chose puise être
Tout nous est revendu par ces indignes gueux.
Je vous ai déjà dit deux mots de leurs affiches
Il en est surtout une à laquelle je veux
Encore revenir comme une des plus riches
En « Verboten » cinglants, en ordres rigoureux
Vous l’avez deviné : c’est celle de l’alerte
Après avoir forcé tout le monde à sortir
Notre gent bottée du sifflet se concerte
Vite rentrons chez nous en hâte nous tapir
Car si fuyant la mort que la contagion sème
Nos bourreaux d’autrefois maintenant à l’abri
Ne peuvent plus frapper de la crosse elle-même
Ils vont bientôt tirer sans grâce, ni merci.
On vient de me conter un fait plutôt macabre
Que je veux à l’instant transcrire en cet endroit
Un fait devant lequel le cœur serré se cabre
Et que nulle d’entre nous je suis sûr ne prévoit
Un mort qui disparait ! Cela semble un peu dur
Dans un camp surveillé aussi parfaitement
Où rien n’entre, ne sort sans rigoureux contrôles
Où l’étroite censure est toujours là veillant
Mais un cadavre ici est chose si banale
Qu’un de plus ou de moins dans le flot journalier
Ne fait pas attirer une attention spéciale
D’ailleurs voici ce fait étonnant, singulier.
La morgue en tout pays est un lieu qu’on respecte
Où s’assemble les corps couchés dans le trépas
Au camp de Wissenberg, c’est un local infect
Qui sert de morgue un peu, et plus de débarras
Ce soir-là, la Faucheuse (*), éreintée sans doute
Par un labeur ardu des longs jours précédents
Trois soldats seulement avaient pris la grand’route
Pour leur dernier voyage et leurs corps encombrants
Avaient été jetés comme on jette une ordure
Sans respect et sans soin dans cet affreux local
(Les infirmiers auteurs de cette action impure
Sont des russes à qui ce fait parait banal)
(*) : La mort
Le lendemain dès l’aube alors que tout s’éveille
Nos tristes infirmiers, des alliés pourtant,
Avec le pareil calme et l’incurie pareille
S’en viennent à la morgue en chemin s’épouillant
Les trois bières sont là lugubrement béantes
Attendant les trois corps à peine refroidis
Mais ils ont beau fouiller les salles attenantes
Ils n’en trouvent que deux sur les trois qu’ils ont mis
Dans ce fouillis épais sous un tas de paillasses
(Vous allez peut-être m’accuser de farceur)
On retrouva le mort dont on n’avait plus trace
Quatre longs jours après, attirés par l’odeur.
Quelques vers sur l’alliance franco-russe écrits sous l’impression de la conduite que tiennent nos alliés vis-à-vis des quelques français noyés dans leur masse (principalement à la 6°compagnie) compagnie de l’auteur
Je vois bien les raisons qui ont poussé la France
A contracter jadis avec ce peuple vil
Un pacte indispensable, une basse alliance
C’est que l’on comprenait le belliqueux babil
Des journaux officieux du pays de l’empire
C’est qu’on ne voulait pas se trouver sans atouts
Quand il faudrait lancer sur l’imposant vampire
Des régiments nombreux qu’on avait pas chez nous
En somme ce ne fut qu’un pacte militaire
Qu’aucun lien moral n’est venu renforcer
Que combinaison ou tactique nécessaire
Qu’un jour ou l’autre, certes, devra sombrer
De cet empire slave auquel la république
Pour sa sécurité a dû tendre la main
De ce peuple indolent, grossier et fanatique
Que le tsar tout puissant terrorise et maintient
Nous ne pouvons attendre aucun autre avantage
Que celui d’attirer dans leurs déserts glacés
Les nombreux contingents qu’aujourd’hui décourage
Le nombre des battus toujours renouvelés
Mais pour nous qui vivons dans la même baraque
Ils sont des ennemis hypocrites, haineux
Qui chez eux soumis au knout, à la matraque
Voudraient ici, nous voir incliner devant eux.
Ils ont tous les défauts que je puisse connaître
Or j’en connais pas mal dans le monde ici-bas
Et de mes compagnons faisant l’interprète
Je vais vous en citer deux ou trois dans le tas :
La plupart sont voleurs, or ils sont cent cinquante
Visant nos musettes, nos sacs et nos effets
Et il nous faut monter la garde vigilante
Pour autant que possible éviter leurs méfaits,
Dégoutants tous le sont, et leur gris uniforme
Comme leur corps miteux est de crasse lustrée
Pouilleux !...Il me faudrait faire un volume énorme
Qu’un prompt départ pourrait laisser inachevé
Qui je le dis bien haut, tant pis pour l’alliance
Les russes ignorés nous laissaient plutôt froids
Au contraire aujourd’hui, nous le dirons en France
Notre dégoût pour eux augmente avec les mois
Ils nous ont tout donné avec grande largesse
Leur vermine, leurs poux, la maladie aussi
Maintenant ils voudraient, il est temps que çà cesse
Nous infliger le knout, leur joujou favori
Deux ennemis c’est trop pour un homme sans arme
Nous devons accepter le premier, l’Allemand
Mais l’autre, le russe qui contre nous s’acharne
Nous falloir l’endurer c’est par trop violent.
Et malgré la longueur de ce plaintif poème
Il me faudrait pourtant vous dire encore un mot
De ce mal inconnu que l’internement sème
Qui nous a tous atteint ou plus tard ou plus tôt
Le mal contagieux qui n’a qu’un seul remède
(Pût-il ne pas nous être administré trop tard)
Qui blanchit nos cheveux, rend la démarche raide
Que les soldats d’Afrique ont dénommé « Cafard »
Le cafard ! Qui tantôt s’endort ou se réveille
Qu’une lettre de vous hypnotise ou grandit
Qu’un tuyau réussit à calmer à merveille
Et qu’un autre au contraire excite sans merci.
Et puisque tout finit ici-bas sur la terre
Il faut à ce récit rechercher une fin
Je le termine en disant « Plus de guerre !
Que les gouvernements en trouvent le moyen »
Peut-être faudra-t-il en fouillant dans l’histoire
Rechercher très avant l’exemple du passé
Etudier pourquoi et comment, tant de gloire
Qui couvre un peuple, un jour, est si vite sombré
Peut-être voudra-t-on appliquer au contraire
Quelque autre théorie issue du progrès
N’importe, l’homme est né sans besoin sanguinaire.
Il vivait dans la paix !
Bien portant
Bien traité
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