Mise à jour : juillet
2019
Pierre MERCIER (au centre) officier au 71e régiment d’infanterie puis 271e
régiment d’infanterie
Pierre Auguste Léon MERCIER est capitaine, adjoint au lieutenant-colonel, commandant le régiment. Il est aussi le rédacteur du journal des marches et opérations (JMO) du régiment. On retrouve dans son carnet quelques expressions et phrases qui sont eactes copies du JMO.
Il est né à Rouen le 23 juillet 1870. Engagé volotaire, il intégre Saint-Cyr en 1889-1891.
Merci à Jacques, son petit-fils
DÉBUT
DU CARNET
Départ de Saint-Brieuc.
Embarquement des chevaux et
voitures sans incidents, malgré l’inexpérience du personnel, mais le sergent
major GAD qui préside à l’opération s’en tire à son honneur. Nous laissons
pourtant un fourgon dont l’avant-train a cassé – bois trop sec.
LORAND a fait décorer les
wagons des officiers avec fleurs et drapeaux.
Avant le départ, tout ce
qui compte dans Saint-Brieuc est sur le quai, l’évêque en premier.
Le Lt.
colonel reçoit une jolie gerbe qui lui est présentée par Melle DELMAS, une
autre par les ouvriers de la gare. Cette attention le touche extrêmement.
Nous nous installons pour
le voyage avec le commandant HUBERDEAU, en 3ème, nous occupons un très
confortable wagon couloir.
A tous les arrêts, afflue
la population endimanchée qui nous acclame chaleureusement – allocutions,
fleurs, signatures sur les drapeaux etc.
Depuis Rennes, impossible
d’avoir des journaux. Les hommes se conduisent bien, heureusement, car les
cadres inférieurs sont un peu inertes.
Quelques jours de campagne
et on aura la cohésion nécessaire. La concentration se poursuit sans à coup,
elle a été remarquablement préparée et la bonne volonté de tous la fait
réussir.
Les sections HR (*) fonctionnent bien.
(*) : Sections HR : sections hors rang = l’intendance
Voyage sans incidents
jusqu’à Laon.
Là, les nouvelles de la
guerre se précisent, on affirme une victoire de la cavalerie française menée
par le général SORDET sur des régiments allemands vers Tongnes.
On a un aperçu assez vague de la composition des différentes armées. Le
débarquement en force des Anglais est confirmé.
Jusqu’alors nous avions
conclu de certains indices qu’on dirigerait le régiment sur la Belgique, l’E.M.
(*)
installé à la G.R. (**) nous enlève cette illusion en nous expédiant sur Le
Chatelet, ligne de Reims à Rethel.
Dès Soissons, où de
gracieuses dames de la C.R. (***) nous comblent
de cafés et de sourires, on fait monter sur un truc une section commandée par
un officier dans le but assez illusoire de tirer sur les aéroplanes ennemis.
A quoi les reconnaître ?
Mystère.
En attendant nous longeons
les hangars de Bétheny-aviation où des appareils bien français s’élèvent salués
par nos bravos.
Le débarquement du convoi
au Châtelet(-sur-Retourne), au crépuscule et sans lanternes, avec des équipes
peu nombreuses et mal exercées est un peu laborieux. Tout se passe,
heureusement, sans accidents.
Le Lt.
Colonel m’invite à partager à l’auberge un repas léger mais chaud qui nous fait
grand plaisir après les viandes froides et les boissons tièdes que nous
absorbons depuis 30 heures.
Pendant cet aimable
intermède, je perds ma fidèle Bagatelle et le plus fidèle Bléogat,
que je retrouve l’un tirant l’autre le lendemain matin.
Un quart d’heure de footing
et nous sommes au cantonnement de Neuflize où je
trouve vers minuit le sommeil qui clôture une journée bien remplie.
(*) : E.M. : état-major
(**) : G.R. : gare régulatrice.
(***) : Croix rouge.
Départ de Neuflize pour Leffincourt
– 16km – La marche, après deux nuits de voyage, avec des hommes aussi peu
entraînés à la marche avec un paquetage, devient une déroute après le 8ème
kilomètre. Plus de cent hommes s’écroulent dans les fossés après avoir chargé à
tout rompre les voitures qui nous suivent.
Enfin, après une halte
obligée d’une heure dans un boqueteau au fond duquel coule la Retourne, nous
atteignons le cantonnement où le bataillon ROGIER, arrivé quelques heures
avant, nous a installés…
Je suis logé, pour ma part,
chez un brave homme qui mériterait d’avoir vu le jour en Bretagne : tout dans
la maison est sale et puant. Je me lave dans une modeste écuelle. Je fais
cependant dans ce confort relatif ma première toilette depuis Saint-Brieuc.
Le soir, une bonne table
nous réunit, le porte-drapeau met lui même la main à
la pâte pour remplacer un Vatel absent.
(*) : Le JMO précise : « La
fatigue, la chaleur et le manque d’entrainement rendent très pénible cette
marche de16 km. De nombreux coups de chaleurs se produisent (…) 35 hommes sont
évacués. »
Stationnement à Leffincourt.
Ce jour de repos fait
beaucoup de bien et serait plus efficace encore si la plupart des traînards ne
cherchaient du (?) dans l’alcool. Heureusement, les cabarets sont à peu près
vides d’alcool ; ils sont d’ailleurs consignés.
Quelques heures sont
consacrées à des exercices de combat près du cantonnement.
Sur le tard, on apprend la
mort d’un soldat du 271ème qui a succombé à une congestion cérébrale due à son
imprudence : il s’est précipité, tout en sueur, sur une fontaine d’eau glacée.
On gagne Vrizy, près Vouziers.
Ce mouvement amène la
division en bordure de l’Aisne. Nous rejoignons ici les services du XIème
corps, que nous reverrons souvent. Pour le moment, il y a avec nous à Vrizy une section de munitions d’artillerie, une ½
compagnie du génie et des pontonniers.
Les villages où nous
passons commencent à manquer de vivres, ayant eu plusieurs passages de troupes,
sans grand moyen de se ravitailler. Ce qui manque le plus, ce sont les
nouvelles certaines. Quant à la correspondance privée, elle est inexistante.
Pas de lettres des nôtres depuis le départ.
J’occupe une chambre
modeste, mais coquette, d’une jeune institutrice qui se rend à Vouziers tous
les jours. Depuis la guerre, elle s’emploie à faire la cuisine pour les
nécessiteux de la ville. Elle rapporte chaque soir les nouvelles affichées à la
sous-préfecture, que je connais ici 24 heures à l’avance.
Séjour à Vrizy.
Inaction complète. On voit
un ou deux avions, sans pouvoir affirmer leur nationalité.
Depuis Leffincourt,
l’abbé LE DOUAREC, de Saint-Brieuc, nous suit comme aumônier volontaire. Il
célèbre, à l’église de Vrizy, une messe basse où nous
allons en grand nombre et les soldats en foule. Il prononce, en bons termes,
une petite allocution. L’avé Maria stella, des cantiques sont chantés par les soldats, sur le
mode mineur des bretons, très touchant.
Et ce sont ces mêmes hommes
qui remplissent les rues de leurs bandes avinées et sans discipline.
La première impression
donnée par le régiment n’est pas bonne ; non seulement il y a beaucoup de
traînards et de malades, mais le moral n’est guère élevé. Tout le monde est un
peu atone.
L’après-midi,
on part assez brusquement pour le Chêne-Populeux où le régiment arrive à
17 heures, poursuivi par une pluie d’orage. La fatigue et la pluie font
négliger les mesures de sécurité les plus élémentaires.
Heureusement, l’ennemi est
loin.
Départ précipité pour Boutancourt ; la division va border la Meuse et
s’intercaler entre deux corps de 1ère ligne.
La première partie de la
marche s’opère très bien, la seconde moitié .. ?.. beaucoup de traînards, peu habitués encore aux privations et
beaucoup n’ont pas pris le café du matin et n’en prendront un autre qu’à
l’arrivée à l’étape, vers 14 heures.
Nous voyons défiler, dans Boutancourt, notre nouveau gîte, les mêmes services
qu’a Vrizy. Nous avons aussi le spectacle, peu
récréatif, du 248ème, complètement allégé et pourtant bien mal en point.
Il a à faire une étape de
39km et c’est énorme pour des régiments comme les nôtres.
Le soir, à
la popote parfaitement installée, je remporte une victoire signalée sur
l’aumônier, pourtant licencié es lettres, à propos
d’une question de grammaire latine.
Séjour à Boutancourt.
L’accueil un peu froid et
guindé que les habitants nous ont fait la veille, s’explique par le sans-gêne
dont le 36ème, qui a séjourné chez eux pendant six jours en a agit avec tout le monde. Maintenant, on fait la différence
et nous sommes reçus avec toute la bienveillance d’une population qui n’est pas
très expansive.
Départ pour Donchéry, petite étape sur bonne route.
Depuis Flize, nous
remontons la riante vallée de la Meuse, nous lisons quelques journaux, ce qui n’était
pas arrivé depuis deux jours.
Un biplan, de nationalité
impossible à déterminer nous survole ; dans le doute, on ne s’abstient pas,
fusils et mitrailleuses font rage, sans résultat apparent.
Donchéry est une vraie petite ville encore approvisionnée ;
l’accueil est parfait .. ?.. que le passage des
troupes soit .. ?.. depuis 15
jours : chambres salles à manger, ustensiles de toute nature sont mis à notre
disposition.
Je commence à acheter des
cartes postales – à titre de souvenir – car je ne saurais les envoyer pour ne
pas trahir les secrets de la concentration.
L’église, très renommée
dans le pays, m’a paru quelconque.
La marche en avant, déjà
amorcée, s’arrête – il faut laisser passer devant nous le 9ème corps, ramené de
la .. ?..Nous les suivront en 2ème ligne dans quelques
jours, sauf changements nouveaux.
J’ai réquisitionné hier
trois chevaux ; les deux meilleurs m’ont été enlevés deux heures après par un
autre corps qui refuse énergiquement de les rendre.
Dans l’intervalle, ils ont
eu le temps de s’emballer et de bousculer notre officier d’approvisionnement
qui s’est relevé sans aucun mal, son cheval a été un peu moins heureux, mais en
sera quitte pour quelques jours de repos.
Visite sommaire de Sedan
avec le Lt. Colonel.
Petite ville quelconque,
assez bien bâtie, nulles traces de la guerre de 1870 pour un œil non averti.
Quant à la guerre actuelle, on ne s’en doute qu’en voyant la quantité d’autos
et d’uniformes de toute espèce qui sillonnent la ville. Les grandes maisons
sont fermées, mais le petit commerce fait de bonnes affaires.
De grands édifices sont
aménagés en ambulances.
Nous continuons à gémir sur
le manque de nouvelles, d’autant qu’il est probable que nos lettres n’arrivent
pas davantage pour réconforter les nôtres.
Les postiers toujours.. ?.. et désoeuvrés,
commencent à être regardés de mauvais œil. Toute notre reconnaissance, au
contraire, à la receveuse des postes de Donchéry qui
passe les dépêches avec une bonne grâce inépuisable. La dépêche que j’ai essayé
de passer hier est restée sans réponse.
Séjour à Donchéry.
Nous faisons des repas
pantagruéliques dans une maison fort aisée où nous
avons installé notre popote.
Sans pitié pour notre
estomac, le porte-drapeau qui préside à la confection de ces festins, entasse
viandes sur viandes et ne considère pas les pommes de terre comme dignes de nos
palais.
Toujours à Donchéry.
Promenade à cheval avec le Lt.Colonel. Visite des villages de Vrigne-au-Bois, riche et bien bâti et de Vivier-au-Court.
Départ dans la nuit pour la
Belgique. Nous traversons St Menges au petit
jour.
A 7 heures,
nous dépassons le poteau frontière et nous voyons bientôt la douane du Ban
d’Alle, avec un douanier au képi rigide.
Après une descente très
pittoresque, la forêt se termine brusquement sur la Semois que nous passons au
pont de Poupehan. Nous trouvons sur l’autre rive un
groupe d’artillerie du.. ?.. fort
mal en point, qui vient d’être surpris la veille au soir au village de Porcheresse.
Les habitants paraissent
avoir été de connivence.
Vers 1 heure,
nous traversons le village de Rochehaut,
parfaitement insignifiant et nous en gardons la sortie nord, en arrière de la
division.
Toute la journée, le canon
tonne et se rapproche.
La division, dont les têtes
se sont avancées à Vivy et à Mogimont se replie sur la Semois.
Des renseignements
recueillis au QG de la 9ème armée, il résulte que l’armée allemande, après
avoir marché sans relâche depuis le début de la campagne, en est arrivée à
l’extrême limite de la fatigue.
La vigoureuse offensive
prise depuis trois jours par nos troupes a jeté la surprise dans les rangs de
l’ennemi qui était persuadé que nous n’offririons désormais aucune résistance.
Il importe au plus haut
point de profiter des circonstances actuelles. A l’heure décisive qui vient de
sonner, où se jouent l’honneur et le salut de la Patrie, français, officiers,
sous-officiers, soldats, puiseront dans l’énergie de notre race, la force de
tenir jusqu’au moment où, épuisé, l’ennemi va reculer.
Le désordre qui règne dans
les troupes allemandes est le signe précurseur de la victoire, en continuant,
avec la plus grande énergie l’effort commencé, notre armée est certaine
d’arrêter la marche de l’ennemi et de le rejeter hors du sol de la Patrie.
Mais il faut que chacun
soit convaincu que le succès appartiendra à celui qui durera le plus.
Les nouvelles.. ?.. du front sont d’ailleurs
excellentes.
La 21ème Cie, actuellement
à Sedan, rejoindra directement à St Menges le
chef de bataillon qui fixera une heure d’entrée dans la colonne.
12h35
Un régiment au nord-est de Rochehaut, à la bifurcation des routes de Vivy et de Mogimont.
L’autre régiment entre Poupehan et Corbion.
Le bataillon à
compléter……avec mission d’occuper et de tenir la presqu’île d’Iges.
L’autre bataillon, à l’EM (*), se portera sur le bois au nord de Cheveuges. Ravitaillement Sapogne.
(*) : E.M. : état-major
Cinq blessés légèrement à
la 20ème compagnie.
Evacuation Vrizy, Vandy par Attigny-sur-Givry
et la rive gauche de l’Aisne.
Demain 30 août ;
Continuation du mouvement de retraite vers l’Aisne.
Le 271ème et le groupe d’artillerie stationnés à Guincourt,
la compagnie divisionnaire du génie continuent la retraite sous les ordres du
général commandant la 119ème brigade. L’artillerie prendra position à la cote
205. Le 271ème aura un bataillon sur la ligne Le….maison des bœufs (5ème
bataillon). L’autre bataillon du 271ème (6ème bataillon) et la compagnie du
génie à la disposition du général à la cote 193 (est de l’ancien château). Tous
ces éléments devront être en position à 5 heures.
Poste de commandement du
général à la cote 193 où se trouvera également le Lt.colonel.
Le T.R. (*) partira de Guincourt
à 3 heures, se dirigeant vers Attigny et la rive gauche de l’Aisne par Tourteron. Il recevra de nouveaux ordres en cours de
route.
Les T.C. (**) marcherons avec leur bataillon.
Cheveuges le 29 août 2h00 :
Le régiment se mettra en
route immédiatement dans la direction de St Aignan-sous-Bar.
Rassemblement à la croisée des chemins Villers-sous-Bar – Cheveuges (sortie du village). Les bataillons passeront
dans l’ordre où ils se présenteront.
Les T.R. et les T.C.
précèderont le régiment.
Itinéraire : St.Aignan-sous-Bar – Sapogne –
Villers-sous-Bar.
(*) : TC : Train de combat.
(**) : TR : Train régimentaire
FIN
DU CARNET
Ecrit par un inconnu, à
propos du capitaine Mercier :
« Le 26
août, Donchéry, deux bataillons se trouvaient
engagés sous un feu violent avec une section au pont et deux compagnies dans
les tranchées, défendant le …. de terrain de la
chapelle Piot qui commande le pont.
La situation devenant intenable, il s’agissait de
commander les mouvements de repli.
Le capitaine MERCIER, adjoint au chef de corps,
n’hésitât pas ; dans ce terrain mitraillé : on le vit tranquille et calme, sans
même accélérer le pas, porter les ordres et maintenir les hommes dans une
retraite honorable.
Le même jour, lorsque la brigade essuya un retour
offensif à St Aignan, le capitaine MERCIER eut encore la même attitude, depuis
la tombée de la nuit, en allant s’assurer que la dernière compagnie engagée
avait pu se retirer.
Le 30 août, à Guincourt et Tourteron, le
régiment engagé de 5h1/2 à 13h 1/2 eut à subir des feux violents d’artillerie,
de mitrailleuses et d’infanterie. Deux capitaines avaient été tués, les pertes
étaient sérieuses et les hommes difficiles à maintenir. Ils resteront néanmoins
pendant ces longues heures, grâce à leurs efforts, à l’énergie des chefs et à
leur belle attitude.
Le capitaine MERCIER fut un de ceux dont on peut
admirer le tranquille courage. J’estime qu’il a beaucoup fait pour empêcher une
débandade. »
Au sud de St Hilaire, le 14
septembre 1914, 8h05
Mon grand-père, le
capitaine MERCIER, a été blessé ce même jour, à cet endroit, par 16 éclats de schrapnell. Il est décédé 4 mois plus tard, le 25 janvier
1915 à l’hôpital de Sens.
Comme il était le rédacteur
du JMO, celui-ci est manquant à partir la datede sa
blessure : voir ici (page de roite)
Je
désire contacter le propriétaire du carnet de Pierre MERCIER
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