Carnet de guerre et notes de Marceau Nédoncelle

110e RI puis sergent au 8e Zouaves, 1914 – 1919

 

Mise à jour : Janvier 2015

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Première page du carnet

 

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Préambule

Christian m’écrit en octobre 2014 :

Je possède les carnets de guerre de mon grand-père Marceau Nédoncelle qu'il a écrit chaque jour pendant toute la durée de la guerre ; Il était Zouave, originaire de Cléty (62) et il a été mis à l'honneur à Cléty juste avant le 11 novembre 2014.

 

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Sommaire

(Ne figure pas dans le carnet)

 

Ø  Premier carnet : 1914-juin 1915

ü  Fin décembre 1914-début 1915 : Période de formation à Sarlat (Dordogne)

ü  29 janvier-28 mars 1915 : Camp de la Courtine

ü  Avril-28 mai : Départ pour Sathonay (3e Zouaves)

 

Ø  Second carnet : à partir de juillet 1915

ü  1915 : Arrivée au 8e zouaves, bataille de Champagne , garde du Grand Quartier Général

ü  1916 : Oise, Roye-sur-Matz, ferme d’Attiche , attaque de la ferme d’Attiche , bataille de la Somme , La maladie , l’Oise puis tranchées de la Somme

ü  1917 : Oise , le retrait allemand , attaque du chemin des Dames, Verdun, Camp l’Évêque,

ü  1918 : Les Américains, La Somme, bataille de Berzy-le-Sec

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Premier carnet : Août 1914 

 

 

Lundi 14 décembre 1914

Partis aujourd’hui de Remilly pour y revenir quand ? Le destin seul le sait. Peut-être jamais.

12 h 10 : Hesdigneul où nous dînons garés soit une heure d’arrêt.

2 h 40 : Etaples. Les phares, les dunes.

8 h 20 : Breteuil. On essaye de se coucher.

10 h : Creil. Très jolie gare.

Mardi 15 décembre 1914

Paris : 12 h 10, arrivée.

Départ 3 h 07, gare d’Orléans ; traversé Paris à pied, ce qui n’est pas rigolo car on n’y voit goutte. La capitale n’est pas éclairée la nuit par crainte des zeppelins.

Montés en wagon ; nous nous couchons mais sans dormir.

 

Brétigny : 4 h 30.

Toury : 7 h 10 du matin. Nous entrons dans les magnifiques et immenses plaines de la Brie qui se terminent aux portes d’Orléans par des hectares de pépinières.

 

Orléans : arrivée à 8 h 30, 10 mn d’arrêt ; nous déjeunons en gare.

Emmanuel nous quitte et se dirige sur Angers.

 

Saint-Cyr : 9 h 20 ; sortis de Saint-Cyr, nous entrons dans une plaine presque inculte où il n’y pousse que de l’herbe et des pins ; c’est déjà les bordures du Massif central.

Nous roulons dans ce pays inculte et marécageux, qu’on nous dit être la Basse-Sologne, pendant deux heures et demi pour arriver à Vierzon à 11 h 40.

 

Après Vierzon, le pays est plus montagneux, on y voit quelques vignes, des pâturages, beaucoup de troupeaux. Nous sommes en plein Berry, à Issoudun, à 13 h.

Nous voyons des prisonniers allemands à qui nous faisons un charmant accueil.

 

13 h 50 : Châteauroux ; 50 minutes d’arrêt, assez pour visiter la magnifique cathédrale et la gare.

 

4 h : Argenton-sur-Creuse ; nous traversons la Creuse à 60 mètres au-dessus de l’eau. Elle coule au fond d’une profonde vallée aux coteaux boisés agrémentés d’un magnifique château bâti en pierre et couvert en ardoise. Saint-Sépulcre : Abel et Pierre Wilquin nous quittent à 5 h.

 

Nous arrivons à Limoges à 20 heures. Nous sommes triés par régiment. Nous nous quittons.

Alors, moi je dois reprendre le train à 2 h 50 du matin, l’autorité militaire nous conduit dans un vaste hangar où il faudrait un microscope pour découvrir un fétu de paille. Cependant, on ne se fait pas prier.

Fouache vient me rejoindre et nous nous étendons l’un près de l’autre sur la dure.

Mercredi 16 décembre 1914 : Arrivée à Sarlat (Dordogne)

Je trouve moyen de dormir jusqu'à 1 h.

Nous sommes 23 pour le 110e mais toutes les connaissances sont restées derrière, à Paris où ils n’ont pas pu trouver la gare d’Orléans la nuit.

Départ à 2 h 10 de Limoges.

 

Arrivée à Brive à 4 heures. Départ à 4 h 05 pour Souillac.

 

Arrivée à 4 h ½ du matin. Nous nous couchons dans les salles d’attente jusqu'à 7 h 08 où avec 3 anciens du Nord, je reprends le train pour Sarlat. Après Souillac, nous passons dans un massif granitique.

Le train roule au fond d’une gorge profonde dont les murailles s’élèvent à pic à 20 ou 25 mètres de hauteur de sorte que le haut nous apparaît plus étroit que le bas.

 

Enfin, à 9 h du matin, nous sommes à Sarlat. Un sergent nous ramasse à la gare et nous voilà parti. Nous arrivons à la caserne à 23 bleus. On nous envoie à la 25e compagnie au séminaire, on passe la visite de notre linge que l’on nous payera plus tard. Nous touchons 7 f 50 pour indemnité de route pendant 3 jours, puis on nous fait de la théorie.

 

À 4 h, le lieutenant vient nous dire que nous pouvons nous occuper de chercher un lit en ville car on n’a pas de paille à nous donner pour coucher.

Heureusement, un ancien me cède de la paille et nous nous couchons à 8 h.

 

(*) : Il s’agit du 110e régiment d’infanterie basé à Dunkerque, Gravelines et Bergues (Nord)

Jeudi 17 décembre 1914

Lever à 6 h et demi.

J’ai dormi, bien que j’aie eu froid n’ayant qu’une petite couverture et peu de paille. On était cependant mieux qu’à Limoges.

7 h, café et je mange, ayant des réserves de pain.

8 h, rapport, exercice jusqu'à 10h, alors, on va plumer les patates.

10 h ½, la soupe. La vie s’annonce comme devant être bonne : soupe, pain, bœuf, pomme de terre et thé comme boisson ou alors du vin Château-la-Pompe. Repos jusqu'à 12 h. 12 h à 5 h : exercice.

5 h : la soupe, rata, excellent mouton et thé. Nous sommes alors libres jusque 8 heures.

Vendredi 18 décembre 1914

Nous touchons un calot, une cravate, un ceinturon, un porte-épée, et il faut remiser foulard et cache-nez.

Samedi 19 décembre 1914

Je suis le peloton (*), mais il faut turbiner dur, bien trois fois autant que les autres.

 

(*) : Je suis le peloton = Je suis (verbe suivre) le peloton des élèves-caporaux.

Dimanche 20 décembre 1914

À 8 h, corvée de lavage où j’apprends tant bien que mal à faire la lessive.

 

À 10 h, la soupe, ensuite nous sommes libres jusqu’au soir. Nous nous promenons dans Sarlat. Dans cette ville, il n’y a que 3 ou 4 rues dans lesquelles on peut passer en voiture. Le reste se compose de ruelles étroites, montueuses et tortueuses. Les maisons bâties en pierre brute sont très sales ; les habitants aussi.

Lundi 21 décembre 1914

Départ de 40 auxiliaires pris bon pour le camp de La Courtine.

Nos élèves-caporaux versent 1,60 F pour avoir le livre du gradé.

Mardi 22 décembre 1914

On parle de nous donner des armes.

Après-midi, visite d’incorporation. Le major vous inspecte soigneusement.

Je rencontre alors mon cousin d’Audincthun et son camarade. Je fais aussi la connaissance de Branquart de Crehem et de Bremersch de Delettes.

Un bouton à ma chemise est parti et ce n’est pas une petite affaire de le recoudre ; enfin, j’en sors.

Mercredi 23 décembre 1914

On nous donne des fusils. Je tombe sur une vieille tôle rouillée. On nous donne aussi une baïonnette.

Enfin, on a l’air de soldats maintenant.

Jeudi 24 décembre 1914

Vaccination au bras anti-variolique. On nous donne un képi et un bourgeron et une couverture supplémentaire.

Vendredi 25 décembre 1914 

Quelle différence avec le noël 13.

J’ai entendu chanter la messe de minuit dans la chapelle au-dessus de laquelle nous dormons. Je revécus les heures joyeuses de 1913, hélas quel bon temps.

Je suis de piquet. J’en profite pour nettoyer mon fusil.

Nous touchons une ½ pièce de vin, des biscuits, des figues : don du général.

 

Nédoncelle d’Audincthun viens me voir et bien que je sois de piquet, on m’accorde la permission de sortir, nous jouons au carabin, nous buvons un bon café et Noël est passé.

Samedi 26 décembre 1914

Tir à Carsac.

2 balles sur 8. Nous faisons un repas froid et nous revenons vers 3 h après une marche de 20 km. Je vous assure que l’on fait honneur au rata.

Tricot de Wavrant vient nous voir, Branquart et moi. Le veinard travaille à l’atelier.

Dimanche 27 décembre 1914

Nous touchons des bottines toutes neuves.

Je rencontre Noël de La Recousse. Ca me produit un tel effet que nous nous quittons sans nous être dit grand-chose.

Lundi 28 décembre 1914

Service en campagne.

Nous avons l’ordre de prendre un mamelon très élevé. Nous devons traverser des ruisseaux et prendre les positions du tireur couché ou à genoux sur la terre. Nous rentrons bien crottés après avoir brûlé 20 cartouches à blanc.

Mouton d’Ouve et Pilon de Dohem viennent me voir.

Mardi 29 décembre 1914

On nous donne un pantalon de treillis neuf qui vient bien à point et un quart pour nous boire.

Mercredi 30 décembre 1914

Marche de nuit ; pendant deux heures, nous battons les champs à travers vignes, pour fouiller une maison.

Jeudi 31 décembre 1914

Voilà 1914 écoulé. Qui aurait cru que je serais à Sarlat aujourd’hui.

Vaccination antivariolique.

 

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Année 1915 

Janvier

Vendredi 1 janvier 1915

1915 est né sous quels auspices hélas ? Espérons qu’il se terminera mieux qu’il n’a commencé.

Le quartier est déconsigné toute la journée. Nous sortons après-midi.

Nous jouons aux cartes avec Poulain et Mouton, Bremersch, Santurne et Brancquart. La partie se termine au chant de la Marseillaise à 8 h.

En rentrant, on joue de l’accordéon au dortoir, nous nous mettons à danser. L’adjudant arrive et Brancquart est pris ; il descend coucher sur la planche.

Samedi 2 janvier 1915

Travaux de propreté, lavage, nettoyage d’armes. Il pleut tout le jour. Je reçois une lettre de Jouy.

Dimanche 3 janvier 1915

Je reçois une lettre de Martel, et les souhaits de Malvina, Jules et Kléber, ces lettres me font partir de grosses larmes.

On nous affecte définitivement par escouade. J’entre à la 6e : caporal Masson.

J’ai enfin une paillasse et un isolateur.

Lundi 4 janvier 1915

Pluie presque toute la journée.

Théorie ; le lieutenant m’interroge. J’en sors facilement.

Après-midi, théorie sur les grenades.

Mardi 5 janvier 1915

Je reçois une lettre de Louis Debreu et je vois qu’ils n’ont pas tardé à me répondre.

On nous distribue un sac. Encore ça de plus à porter et l’on n’a pas le droit de le porter vide.

Bremesch est désigné pour partir à La Courtine.

Il touche le nouvel uniforme.

Mercredi 6 janvier 1915

Je reçois une lettre de Badie qui m’invite à l’aller voir.

2 heures avant de partir, Bremesch tombe en syncope. Il part quand même.

Vaccination anti typhoïdique, ce qui nous rend bien malade. Une lettre de Blessy et de Boechel d’Aix et mon oncle Joseph.

Vendredi 8 janvier 1915

Une lettre de mon oncle Henri de Wizernes.

Le matin, manœuvre ; l’après-midi, nous allons creuser des tranchées au football.

Le soir, marche de nuit. Journée bien remplie.

Samedi 9 janvier 1915

3e jour d’un temps superbe. Tir à Carsac.

Après-midi, corvée de lavage ; revue d’armes.

Dimanche 10 janvier 1915

Je continue à recevoir des lettres de partout. J’ai fait la connaissance d’un instituteur de Lille, Meunier. Nous allons nous promener à la campagne.

Un fermier nous arrête et nous donne des pommes, du vin, des gâteaux et des noix.

Lundi 11 janvier 1915

Temps magnifique toute la journée.

Mardi 12 janvier 1915

Il pleut à verse, et ici le sous-sol étant graniteux, l’eau ne s’infiltre pas facilement, alors le terrain se noie.

Mercredi 13 janvier 1915

Service en campagne. Ma section est en avant-garde, mon escouade en pointe. Nous rentrons fatigués.

L’après-midi, nous touchons pelles et pioches et nous voilà partis aux tranchées, mais il se met à pleuvoir.

Heureusement que le terrain est sableux. Nous rentrons crottés comme des barbets.

Jeudi 14 janvier 1915

Service en campagne. Nous rentrons trempés comme des soupes.

Vendredi 15 janvier 1915

Tir à Carsac. 4 balles, 6 points. Maximum : 8 balles, 16 points.

 

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Cantonnement à Sarlat en 1915. Cliquer sur l’image pour agrandir.

Samedi 16 janvier 1915

Service en campagne. Beau temps.

2e injection anti-typhoïdique.

Dimanche 17 janvier 1915

J’ai le plaisir de voir Pilon de Dohem, Forestier de Delettes et Biausques, réformés, arrivés ce matin.

Ils m’apprennent la mort d’Obin.

Lundi 18 janvier 1915

On me donne une capote et un pantalon de toile bleu.

Revue du général ; il nous fait attendre ¾ d’heure sur place. Nous sommes tous gelés. Ensuite, il nous fait déplier en tirailleurs et nous fait coucher dans un terrain labouré. Pour finir, charge à la baïonnette ; 350 mètres au pas gymnastique en montant à travers les vignes. Nous rentrons crottés comme des barbets.

Récompense : thé au rhum (3 litres de rhum pour 300) plus félicitations.

Au diable, le général.

Mardi 19 janvier 1915

Au rapport, félicitations du général au lieutenant et à la compagnie.

Quartier libre, ¼ de vin.

Mercredi 20 janvier 1915

Visite du commandant. Il m’attrape au moment où j’ai le commandement du peloton. Je m’en tire à bon compte. Il part enchanté et déclare :

« La 25e est la meilleure compagnie du dépôt ».

 

Arrivée de 400 Belges, hommes, enfants et femmes. Ils logent au premier.

Tableau bien triste.

Jeudi 21 janvier 1915

Marche de 25 km. Le 25 e est en avant-garde et moi en patrouille.

Nous passons près d’un château fort très ancien. Un ruisseau l’entoure et tombe de roc en roc.

Vue magnifique.

Vendredi 22 janvier 1915

Pluie toute la journée et théorie dans les chambres.

Départ des réfugiés belges.

Samedi 23 janvier 1915

3e injection contre la typhoïde. Travaux de propreté.

Dimanche 24 janvier 1915

Il neige.

Revue de détail à 9 h. Je rencontre Hermand d’Halluin.

Lundi 25 janvier 1915

On nous annonce au rapport que la classe 15 va partir à La Courtine, les élèves-caporaux les premiers.

Par conséquent, je suis du nombre. La neige est fondue.

Service en campagne toute l’après-midi.

Mardi 26 janvier 1915

Service en campagne.

Mercredi 27 janvier 1915

On nous équipe pour le départ qui aura lieu le 29 à 6 h : musette, bidon, linge, calot.

Jeudi 28 janvier 1915

Dernière journée. On achève de nous équiper, on touche des vivres.

Théorie sur l’embarquement. J’emballe mes effets que je dépose chez Gillet et on arrange le sac.

Vendredi 29 janvier 1915, arrivée au camp de la Courtine

Lever à 4 h.

À 5 h, nous quittons le séminaire.

À 6 h ½, nous embarquons. Le train s’ébranle au chant de Sambre et Meuse répété par 760 bouches.

8 h : Terrasson, 1 heure d’arrêt. C’est malheureux que Fouache n’y soit plus.

À 11 h : Brive, gare très importante.

À 2 h : Tulle, on commence à voir un peu de neige.

4 h : Ussel, 20 cm de neige.

6 h : La Courtine, petite gare autour de laquelle sont bâties des maisons en planches qui servent de débits de boissons ou de marchands d’objets pour soldats.

20 minutes de marche pour arriver à la caserne du 110 qui est la dernière. (*)

Un lit, un sac à viande, 3 couvertures, une chambre pour 36.

 

(*) : La ville de casernement du 110e RI est Dunkerque. Suite à la proximité de cette ville du front, le dépôt du 110e RI a été délocalisé au camp de la Courtine (23)

Samedi 30 janvier 1915

J’ai bien dormi. Nous avons un lavabo.

Dehors, on voit de la neige, et partout des casernes et des soldats : le 8, le 43, le 162, le 110, le 73, et le 84 qui doit arriver. Si Fouache y était au moins.

Nettoyage d’armes le matin. La soupe 10 h ½. ½ boule de pain par jour.

Après-midi, lavage des chambres.

Dimanche 31 janvier 1915

Revue du lieutenant.

À 10 heures, la soupe. Puis nous allons nous promener à La Courtine où il y a tout juste quelques maisons et des milliers de soldats.

Rentrés à 8 h. J’attends en vain une heure pour avoir mon tour au photographe.

Février

Lundi 1er février 1915

Nous allons manœuvrer dans la neige et on nous demande ceux qui veulent passer le B.A.M. Je demande sans espoir d’être reçu.       

Mardi 2 février 1915

Nous refaisons l’école du soldat. Le capitaine vient nous voir et m’interroge. Il n’a pas l’air trop difficile.

Le soir, comme c’est trop loin pour aller au village, on écrit et on lit.

Mercredi 3 février 1915

École de section ; il fait beau et la neige commence à fondre mais on rentre tous les jours avec les pieds mouillés.

Le capitaine fait rayer d’office la moitié des élèves-caporaux. Néanmoins, je reste jusqu'à nouvel ordre.

Jeudi 4 février 1915

Beau temps. La neige fond doucement.

L’adjudant Serwaeten qui nous commandait à Sarlat est arrivé. Celui qui l’aura sera bien monté.

Vendredi 5 février 1915

Si ça continue, on va mourir de faim ici.

Ainsi, à midi, on touche un seau de pommes de terre pour 50. Heureusement que j’ai de l’argent et que je peux me payer du supplément.

On me raye d’office du peloton (*). Ça me fait de la peine car j’avais bon espoir.

 

(*) : Le peloton des sous-officiers.

Samedi 6 février 1915

Il pleut toute la journée. Revue d’armes. Nettoyage du cantonnement.

Mon sergent réclame pour que je rentre au peloton, moi et Grulois, le 1er de Sarlat, mais on l’envoie au diable.

Nous faisons une découverte : La Courtine n’est pas les quelques maisons à l’entrée du camp comme on l’avait cru. C’est un hameau, la ville se trouve à 1 km plus loin encore.

Dimanche 7 février 1915

Pluie toute la journée.

Je me fais photographier en tenue de campagne. Je rencontre Goolen et Gontran de Delettes. (*)

 

(*) : Aucun GOOLEN et GONTRAN(T) de Delettes ne figure dans le fichiers des morts pour la France.

 

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Marceau NÉDONCELLE, le 7 février 1915

 

Lundi 8 février 1915

On commence le peloton des élèves-caporaux aujourd’hui. Ça me fait une rude peine de voir certains copains y aller et moi de ne pouvoir les suivre.

Après-midi, service en campagne ; déploiement en tirailleurs sur le camp. La neige est presque toute fondue. Temps superbe.

En revanche, la nourriture est de plus en plus mauvaise.

 

Ce soir, deux seaux de rata pour 100 hommes. Heureusement qu’il y a du pain en vente à la cantine.

Mardi 9 février 1915

Il a gelé la nuit.

Après-midi, nous allons installer un petit poste à 1 heure de marche du cantonnement. Nous sommes accueillis par une formidable tempête de neige.

Je suis en sentinelle pendant 1 heure derrière une mauvaise touffe de genêts où je réussis à attraper un bon rhume.

Nous rentrons à la caserne pour la soupe. Nos capotes gouttent d’eau.

Mercredi 10 février 1915

Il tombe de la neige toute la journée ; ça ne nous empêche pas d’aller toute l’après-midi en service en campagne et de nous coucher dans les genêts. On nous annonce une revue de casernement par le général pour demain.

Je reçois mes photographies et j’en envoie une chez moi.

Jeudi 11 février 1915

Revue de casernement par le général. Alors, grand nettoyage.

On mange à midi au lieu de 10 h.

C’est long.

 

Après-midi, marche militaire de 15 km à travers la neige qui fond. Les abords des casernes et la route de La Courtine sont couverts d’une épaisse couche de boue liquide et noire qui tache tout.

J’ai mes photographies et je m’empresse d’en envoyer à parents et amis.

Vendredi 12 février 1915

On annonce un départ des 15 au 1er mars. (*)

Si c’est vrai, je serai certainement du nombre car je suis parmi les soldats qui manœuvrent le mieux et je suis connu ; je n’y coupe pas. Enfin, tant pis, advienne que pourra.

Aujourd’hui tir : 6 balles, 8 points (maximum 8 balles, 16 points).

 

Après-midi, marche, on aperçoit dans le lointain les Monts d’Auvergne et le Mont-Dore couverts de neige.

 

(*) : « des 15 » = de la classe 1915 (20 ans en 1915)

Samedi 13 février 1915

Matinée mémorable. Il tombe de la neige fondue à verse.

Néanmoins, on nous fait manœuvrer dehors jusque 9 h puis on rentre.

Trop tard, car nous sommes mouillés. On se plaint qu’il y a des malades ; je crois bien qu’il y aura la moitié du 110 demain à la visite.

De tous les régiments, il n’y a que nous et le 84 qui sommes sortis.

Dimanche 14 février 1915

Toujours le même temps : neige et pluie.

Émile Hibon m’écrit qu’il viendra peut-être au camp, fin février.

Lundi 15 février 1915

Au réveil, tout est couvert de neige et il en tombe encore.

 

Le matin, théorie dans les chambres.

 

Après-midi, marche d’une quinzaine de km.

Mardi 16 février 1915

Au réveil, le sergent m’appelle et me dit que je suis réinscrit au peloton. Bien content.

Le matin, école du soldat, l’après-midi, service en campagne dans la neige. Néanmoins, il fait beau.

Je trouve le carnaval 1915 plutôt moche, ça ne vaut pas 14, espérons mieux pour plus tard.

Mercredi 17 février 1915

Il gèle la nuit. Belle journée.

L’après-midi, 4e injection contre la typhoïde.

 

Le soir, je descends à La Courtine acheter des oranges pour un malade. Je suis surpris de rencontrer des marchands de crêpes partout, on ne croirait pas que c’est le mercredi des Cendres.

Jeudi 18 février 1915

Comment fait-on pour se coucher quand on a une énorme fluxion à la joue droite et l’épaule gauche endolorie par la vaccination ?

Quartier déconsigné l’après-midi. Pourquoi ?

On n’en sait rien, on parle d’une victoire française.

Vendredi 19 février 1915

J’ai mal dans un pied, une petite égratignure qui me fait enfler la jambe et le pied. Pour la 1e fois depuis que je suis au régiment, je vais à la visite. On m’exempte d’exercice pour 2 jours, mais une journée enfermé dans une chambre avec 3 ou 4 copains plus ou moins malade, c’est long.

Le mauvais temps revient, pluie et neige toute la journée.

Samedi 20 février 1915

Toujours de la neige et de la pluie.

Nettoyage du casernement.

Dimanche 21 février 1915

Je retourne à la visite : 4 jours de repos, un pansement humide tous les jours, défense de marcher et de tenir ma jambe en bas.

Toujours il tombe de la neige.

Lundi 22 février 1915

La jambe ne va pas mieux.

Pluie et neige toute la journée. Je reste bien tranquillement dans la chambre, couché la plus grande partie du jour.

Mardi 23 février 1915

Toujours le même temps, pluie et neige. La jambe va un peu mieux, mais je ne puis encore marcher.

Il y a un départ aujourd’hui au 127 de la classe 15, pour le front.

Demain, c’est au 73e.

Notre tour ne tardera pas à arriver sans doute, on en parle vaguement.

Mercredi 24 février 1915

Toujours malade. Ma jambe va cependant quelque peu mieux.

On demande aujourd’hui 20 volontaires par compagnie pour partir au front. On prend, parmi les évacués, les plus anciens. Ils retournent à Sarlat s’habiller et s’équiper.

C’est le commencement ; mon tour ne tardera pas à venir sans doute.

Jeudi 25 février 1915

Départ des 160 volontaires, 20 par compagnie. Ils partent tous biens contents.

Toujours le même temps, il y a 20 cm de neige au moins. Mon pied va quelque peu mieux, mais n’est pas encore guéri.

Vendredi 26 février 1915

Il gèle la nuit. Belle journée. Tir auquel je ne puis assister.

Mon pied va un peu mieux. Le major me donne encore 3 jours de repos.

Ça commence à devenir ennuyant de rester là ainsi sans bouger des journées entières.

Samedi 27 février 1915

Beau temps. Revue d’armes. Nettoyage du casernement. Mon pied va un peu mieux et je puis remettre ma bottine un moment.

Je reçois une lettre de Rachel et une de Malvina.

Dimanche 28 février 1915

Temps au dégel. La neige fond. Je remets ma bottine et je sors le soir au Breuil avec 2 camarades.

Le Breuil est un groupe de 2 ou 3 cafés en dehors du camp, à 300 mètres de la caserne. Il y a une petite barrière à passer et un sergent monte la garde le soir pour éviter que l’on sorte sans être en tenue.

En rentrant, j’oublie de saluer le sergent de garde. Il m’arrête et fait partir mes 2 camarades. Le dialogue suivant s’engage :

Le sergent :

« Vous n’avez pas le respect des supérieurs. Pourquoi ne m’avez-vous pas salué ? »

Moi :

« Je ne vous avais pas vu, sergent »

-« C’est bien, vous serez puni. De quel régiment êtes-vous ? »

-« Du 110e, sergent »

-« D’où êtes-vous donc ? »

-« De Cléty (*), sergent »

-« Comment, c’est toi là ? Tu ne me reconnais pas ? »

-« Non, sergent »

 

Il enlève son képi et son cache-nez.

-« Et maintenant, tu ne me reconnais pas ? »

-« Non, sergent. Je vous prie, dites-moi votre nom »

-« Tu ne m’as pas salué, tu ne sauras pas mon nom. Mais quand tu auras bien pensé, tu sauras qui je suis. Nous sommes presque du même pays. Quand tu auras retrouvé mon nom, reviens me voir au 84e »

-« Je ne pense pas que je me rappellerai, sergent »

-« Pense bien en attendant, bonsoir mon vieux »

-« Bonsoir, sergent »

 

J’ai beau chercher, je ne me le rappelle pas, ce visage-là.

En rentrant, je raconte mon odyssée au caporal. Celui-ci me donne le conseil de ne pas me faire de bile.

Le sergent a voulu se ficher de moi parce que je ne l’ai pas salué ; car comme le caporal me dit, si véritablement, c’était une connaissance, il ne m’aurait pas laissé partir sans me dire son nom.

 

(*) : Village dans le Pas-de-Calais, à 15 km au sud-ouest de Saint-Omer

Mars

Lundi 1er mars 1915

J’ai rêvé de mon sergent. Je rencontre 2 anciens élèves avec qui j’étais à Haubourdin :

L’un Lecher, classe 13, ajourné, est au 43e ; il va partir au prochain départ, l’autre Bobert, est classe 14, caporal au 73.

J’ai encore deux jours de repos pour mon pied qui va beaucoup mieux. Il pleut à verse.

Mardi 2 mars 1915

Beau temps. Je compte retourner à l’exercice demain, mon pied est presque guéri.

Mercredi 3 mars 1915

Je retourne à l’exercice. Nous allons au tir : 7 balles sur 8 dans la silhouette.

Je reçois dans une lettre une prière avec demande de l’envoyer à 9 personnes pendant 9 jours (*). Le tout est anonyme, néanmoins, à l’écriture, je sais de qui ça vient. Je garde le papier comme document mais je ne l’envoie à personne.

 

(*) : On remarque que ce genre de « conneries » existaient déjà en 1915 !

Jeudi 4 mars 1915

Nous allons encore au tir. Je mets mes 8 balles.

Belle journée. On parle d’un départ samedi ou lundi.

Vendredi 5 mars 1915

Marche d’une vingtaine de km.

Le soir, je reçois une lettre de mon oncle Alphonse avec un billet de 5 francs dedans. C’est la réponse de ma photo disent-ils.

Samedi 6 mars 1915

L’après-midi, service en campagne. Attaque d’un bois.

Le soir, à 7h ½, marche de nuit. Retour à 9h ½.

Demain, on nous annonce une revue de pied par le capitaine. Ce sera certainement très intéressant.

Dimanche 7 mars 1915

Je reçois une lettre de Meunier ; il part comme volontaire au front. Pierre et Abel Wilquin m’apprennent qu’ils retournent à Aubusson mardi.

Il pleut toute l’après-midi. Nous allons au casino.

Lundi 8 mars 1915

Au réveil, tout est blanc de neige et il en tombe encore en abondance.

L’après-midi, nous sortons quand même, nous rentrons vers 3 h ½ bien trempés et couverts de neige.

Une épidémie de rougeole sévit ; le camp est consigné au moins pour 8 jours. Défense de sortir du camp. On choisit 20 parmi les plus forts pour leur faire passer la visite ; on ne sait pas pourquoi faire, je ne suis pas du nombre.

Un décès au 8e, ce qui fait 2 en douze jours. Dans ce régiment, il meurt des soldats chaque semaine.

Quant à moi, si négligent de ma santé avant, je suis bien changé et je me soigne maintenant car on ne meurt qu’une fois et je me soucie peu de laisser ma peau à La Courtine.

Mardi 9 mars 1915

Il a gelé la nuit. La neige recommence à tomber ce matin. Il fait un vent qui vous perce jusqu’aux os.

20 hommes par compagnie passent la visite pour voir s’ils n’ont pas la rougeole. On les envoie au quartier de cavalerie pour les isoler. Ils forment le prochain départ. Je reste dans mon ancienne place, moi.

Mercredi 10 mars 1915

Il gèle à pierre fendre et un vent très sec. Nous allons installer un petit poste dans un bois.

Le camp est toujours consigné, il paraît qu’il n’y aura pas de départ avant 15 jours.

Jeudi 11 mars 1915

Il gèle encore mais plus aussi fort. Nous jouons aux barres presque tout l’après-midi.

On parle sérieusement d’un départ pour la Turquie. Je ne sais si ce sera. Pour ma part, je n’y tiens pas car c’est diablement loin ; enfin, on verra.

Vendredi 12 mars 1915

Journée très belle.

Tir réduit à 20 m. Note : Très bien. On blanchit le casernement.

L’après-midi aux tranchées.

Le départ est parti former le 417 pour la Turquie. (*)

 

(*) : Le 417e régiment d’infanterie a bien été formé à partir de mars 195 à Toulouse. Mais, il ne partira jamais en Turquie.

Samedi 13 mars 1915

On continue à blanchir les casernements toute la journée. C’est pour ainsi dire une journée de repos. Temps magnifique.

Encore un décès au 73e. Il a été 2 jours à l’hôpital.

Beau temps. Il ne reste presque plus de neige.

Dimanche 14 mars 1915

Beau temps. Revue du lieutenant. Le camp est toujours consigné à cause de la rougeole. Le camp est déconsigné à midi.

Goolen vient me trouver et nous rencontrons des gens de Renty venus voir leur frère malade et j’envoie des compliments à Cléty.

Le soir, pour la 1e fois depuis 3 mois, je mange en ville avec les Wirquin.

Lundi 15 mars 1915

Belle journée.

L’après-midi, déploiement en tirailleurs par compagnie. Marche en losange ; charge à la baïonnette.

Mardi 16 mars 1915

Beau temps.

Tir sur silhouette : 3 balles sur 6.

L’après-midi, service en campagne. Établissement d’un petit poste. Je commence à m’apercevoir que les majors qui passent la révision ne sont pas aussi bêtes qu’on le croirait.

Mes jambes me font mal quand je fais de longues marches et elles enflent. L’examen des élèves-caporaux va avoir lieu dans 2 ou 3 jours.

Je n’ai aucun espoir.

Mercredi 17 mars 1915

Il fait froid la nuit, mais le jour, très beau temps.

Après-midi, marche de 12 km aller et retour et deux heures de déploiement en tirailleurs. On dit que nous devons être partis pour le 27, mais on dit tant de choses au régiment.

Jeudi 18 mars 1915

Marche et attaque du pont et de la gare de Mas-d’Artiges. Belle journée.

En rentrant, nous touchons des vivres pour la manœuvre de 12 heures de demain. Le 410e et la moitié du 43e manœuvrent contre le 8e et la 2e moitié du 43.

Vendredi 19 mars 1915

La neige tombe en abondance. On se rassemble mais on ne part pas. La marche-manœuvre est ratée.

L’après-midi, service en campagne ; déploiement en tirailleurs.

Le beau temps revient avec le midi.

Samedi 20 mars 1915

Belle journée. Gymnastique .Tir réduit ; note : Bien. On fait la semaine anglaise : on joue aux barres toute l’après-midi. C’est plus agréable qu’à faire l’exercice.

Le soir, rassemblement armés à 7 h pour une marche de nuit, mais elle n’a pas lieu.

Dimanche 21 mars 1915

Nédoncelle d’Auduncthun a un panaris.

Encore un enterrement, c’est le 5e depuis dimanche, qu’est-ce que cela veut dire ?

Nous retournons officiellement à Sarlat le 27. Il paraît qu’il n’y aura pas d’examen aux élèves-caporaux.

 

L’après-midi, je sors en ville, je rentre et me couche à 7 h, mais mon lit descend à terre et je me réveille au milieu d’un formidable chahut.

Ce sont les copains qui sont saouls, qui ont fêté le dernier dimanche à La Courtine.

C’est la première farce que j’ai au régiment.

Lundi 22 mars 1915

On fait le classement au peloton et nous aurons les résultats demain. Beau temps.

Après-midi, nous allons aux tranchées. Encore un enterrement au 73e.

Vivement qu’on foute le camp car on meurt trop ici.

Mardi 23 mars 1915

Belle journée. On dit que nous partons dimanche matin.

Cet après-midi, déploiement en tirailleurs. Je suis le 36e au peloton sur 54.

Mercredi 24 mars 1915

Je me sens la flemme ce matin et je me fais porter malade. Depuis quinze jours, je le remets. Les jambes ne vont guère mieux. Le major m’examine soigneusement le mollet et me donne une drogue à prendre et m’exempte d’exercices un jour.

Jeudi 25 mars 1915

Je porte mes bottines en réparation et je suis encore exempt d’exercice un jour.

Le temps continue à être beau.

Vendredi 26 mars 1915

Beau temps. Toujours sans chaussures.

Le soir, les amis et connaissances se rassemblent à la cantine du 73e et se disent adieu et se donnent rendez-vous au Saint Antoine prochain. Malheureusement, il en manquera à l’appel.

On se quitte après quelques bonnes poignées de main.

Samedi 27 mars 1915

Nettoyage du casernement pour partir demain à 6 h 45.

Dimanche 28 mars 1915 : départ de la Courtine, retour à Sarlat

Nuit mémorable.

Jusqu'à minuit, on a chahuté à coup de polochon, de gamelle et de quart.

En plus, réveil à 3 h pour départ à 7 h et la 25e doit fournir la garde de police de route. Je suis de garde et nous partons à 5 h à la gare où nous faisons le poireau jusqu'à ce que les autres arrivent.

À 7 h, on part.

Adieu Courtine.

À 8 h, arrêt à Ussel. Il faut mettre la baïonnette au canon et faire le service d’ordre, ce n’est pas rigolo du tout. À mesure que nous descendons, on voit davantage de cultures.

Tulle, Brive, Terrasson.

Après Terrasson, deux saoulots se jettent en bas du train dans un tunnel. On croyait bien qu’ils étaient tués, mais ils n’ont rien du tout.

Arrivée à Sarlat à 4 h. Nous regagnons le séminaire.

Lundi 29 mars 1915

Tir à Carsac pour nous reposer. 1 balle sur 8, mais on s’aperçoit qu’il fait très chaud ici. On a fichu gilet de laine et caleçon en bas.

Mardi 30 mars 1915

Nous allons le matin aux tranchées.

L’après-midi en service en campagne. Nous rentrons bien fatigués.

Mercredi 31 mars 1915

Tir à Carsac sur silhouette à 50 mètres. Note : Bien comme groupement. On désigne 25 hommes de la classe 15 pour partir en renfort. J’ai la chance de passer à côté. Il paraît que tout le monde part la semaine prochaine former un bataillon de marche à moins que d’ici là je trouve quelque joint, ce qui pourrait arriver : pourquoi pas ?

Avril

Jeudi 1er avril 1915

Vraiment, au 1er janvier, j’aurais cru que je serais au front aujourd’hui.

J’ai de la veine quoi.

Aujourd’hui, simulacre d’embarquement à la gare. Marche de 20 km. Nous avons touché notre couverture de campagne qu’il nous faut toujours porter sur le sac.

Vendredi 2 avril 1915

Service en campagne, toute la journée.

Départ à 4 h ½ du renfort pour le 110. Ils sont équipés tout de neuf.

 

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Extrait du journal du 110e RI. On y lit que ce renfort est arrivé le 7 avril.

Samedi 3 avril 1915

Service en campagne le matin.

L’après-midi, travaux de propreté.

Dimanche 4 avril 1915 - Pâques

Le quartier est déconsigné toute la journée. Nous achetons du cresson avec des frites et nous faisons un excellent repas avec ce que nous avons touché : pain et viande.

Lundi 5 avril 1915

On travaille jusque midi et on nous annonce que nous allons quitter le séminaire pour laisser la place aux 16. Nous allons loger dans de vieilles bicoques en attendant que nous partions vers la tranchée.

Ballade toute l’après-midi.

Mardi 6 avril 1915

Le matin, exercice dans le parc.

L’après-midi, assaut d’une ferme défendue et fortifiée par une section.

Mercredi 7 avril 1915

Il fait un temps effrayant toute la journée. Théorie dans le théâtre. On me donne une nouvelle paire de bottines car les miennes sont complètement usées.

Jeudi 8 avril 1915

C’est aujourd’hui que nous déménageons. Nous allons loger dans une maison d’assez bonne apparence au dehors, rue de la République, mais à l’intérieur, c’est un véritable taudis. Je loge au 1e à 9 dans une chambre où nous serons collés l’un sur l’autre pour dormir.

Vendredi 9 avril 1915

Quelle nuit, mes amis !

Impossible de dormir tant nous sommes serrés. La maison qui était à usage d’hôtel a été baptisée par ceux qui y étaient avant nous « hôtel de la mort ».

Service en campagne. Beau temps.

Samedi 10 avril 1915

Pluie à verse.

Départ de 4 caporaux par compagnie pour le front. Corvée de lavage et travaux de propreté l’après-midi.

Dimanche 11 avril 1915

On mange encore une bonne salade de pissenlit et j’ai le plaisir de voir arriver dans les bleus Léon Delvarre, de Delettes.

Belle journée.

Lundi 12 avril 1915

Belle journée. Service en campagne.

Dans l’après-midi, prise d’un château. Nous faisons la défense et le châtelain nous soigne : vin, cidre, etc.

La section regagne le cantonnement à moitié pompette.

Mardi 13 avril 1915

Le matin, théorie-pratique sur la manière d’établir une passerelle sur un précipice ou une rivière.

L’après-midi, service en campagne. Le sergent qui nous conduit nous perd et nous faisons 22 km.

À mi-route, il commence à pleuvoir.

Mercredi 14 avril 1915

Beau temps.

Service en campagne.

Jeudi 15 avril 1915

Beau temps.

Service en campagne. On désigne un départ de 500 hommes pour le front, je ne suis pas du nombre.

Vendredi 16 avril 1915

Le renfort partira dimanche. Martel est arrivé au dépôt et nous passons une bonne soirée ensemble.

Belle journée. Marche de 25 km sous un soleil brûlant.

Samedi 17 avril 1915

Beau temps, travaux de propreté.

On désigne un nouveau renfort de 200 hommes, je ne suis pas encore dedans.

Dimanche 18 avril 1915

Belle journée. Toute la journée, je me promène avec Ernest.

Le soir, départ du renfort.

Lundi 19 avril 1915

Chaleur torride. Service en campagne. Conférence sur les explosifs.

Mardi 20 avril 1915

Ce matin, au réveil, impossible de me poser sur une de mes jambes.

Je vais à la visite : 1 jour de repos.

 

Le soir, départ du renfort de 200 hommes.

Mercredi 21 avril 1915

Le pied me fait moins mal. C’est un souvenir des neiges de La Courtine me dit le docteur.

Belle journée.

Jeudi 22 avril 1915

Nous réintégrons le séminaire où nous couchons sur des matelas de crin, c’est mieux que la paille.

Vendredi 23 avril 1915

Le pied ne va guère mieux. Le rhumatisme me fait assez souffrir.

Nous allons à Domme. Réceptions magnifiques par les habitants. Du haut de Domme, panorama magnifique.

Samedi 24 avril 1915

Après la marche d’hier, je vais à la visite et j’ai un jour de repos. On parle de me faire entrer à l’infirmerie ce qui ne me plait pas trop.

Beau temps.

Dimanche 25 avril 1915

Ernest vient me chercher et nous allons faire un tour en ville mais il m’est presque impossible de marcher.

Lundi 26 avril 1915

Mon genou va mieux, je vais encore à la visite.

Encore 2 jours de repos et le major me dit que ce ne sera pas plus grave.

Mardi 27 avril 1915

Le soleil du Midi a raison de mon rhumatisme et ça va mieux aujourd’hui. Demain à l’exercice.

Belle journée qui se termine par un orage.

Mercredi 28 avril 1915

Je retourne à l’exercice, mais c’est encore dur la marche.

Jeudi 29 avril 1915

Il fait ici une chaleur torride.

Vendredi 30 avril 1915

Marche de 31 km en pays très pittoresque avec chargement complet.

En rentrant, on nous annonce le bombardement de Dunkerque. Qu’est ce que cela veut dire ?

Mai

Samedi 1er mai 1915

Les nouvelles d’hier m’ont empêché de dormir et les journaux n’annoncent rien de neuf.

En plus, le rhumatisme reprend et je dois encore retourner à la visite.

Dimanche 2 mai 1915

Belle journée que je passe en compagnie d’Ernest.

Lundi 3 mai 1915

Pour la 1e fois, je prends la garde. Je pense que c’est aujourd’hui la foire de Fauquembergues.

Mardi 4 mai 1915

Nous sommes relevés de garde à 9 h et quand nous rentrons, les autres sont partis au tir.

Nous nous reposons toute la journée.

Mercredi 5 mai 1915

Nous faisons du service en campagne toute la matinée.

Nous avons maintenant le réveil à 5 h tous les jours.

Jeudi 6 mai 1915

Marche de 30 km.

Départ à 5 h. Nous faisons 22 km et nous allons au tir avant de faire la grande halte. Chaleur tropicale. Nous rentrons rendus.

Cependant, ces marches ne manquent pas de pittoresque ; le pays est très joli. Nous passons près d’une église taillée dans le roc.

Vendredi 7 mai 1915

Encore une marche de 18 km et une attaque en route le matin avant la soupe.

L’après-midi, repos.

Samedi 8 mai 1915

Repos presque toute la journée.

Corvée de lavage. Travaux de propreté.

Dimanche 9 mai 1915

Bonne journée que je passe toute entière avec Ernest.

Temps magnifique.

Lundi 10 mai 1915

On me nomme matelassier pour une semaine. Encore un nouveau métier.

Mardi 11 mai 1915

Le nouveau métier me va bien, surtout qu’on n’a pas grand-chose à faire.

Mercredi 12 mai 1915

Chaleur épouvantable.

Rien ne semble plus bon, impossible de manger.

Jeudi 13 mai 1915 - Ascension

Quartier libre à partir de 10 h. Un renfort pour le 78e, ce n’est pas encore mon tour.

Vendredi 14 mai 1915

Toujours aux matelas. C’est la bonne vie.

Samedi 15 mai 1915

Revue du général de division.

Ca barde toute la journée, mais pour finir, il se déclare satisfait.

Dimanche 16 mai 1915

Rien à signaler.

Lundi 17 mai 1915

Belle journée.

Tir à Carsac ; marche de 25 km.

Mardi 18 mai 1915

Pluie toute la journée.

Théorie.

Mercredi 19 mai 1915

Nous partons à midi pour une marche-manœuvre de 12 km. Nous faisons 20 km.

Grande halte de 6 à 8 h à 20 minutes de Vitrac. Nous y crevons de soif et défense d’aller au village. Nous repartons et en route, nous sommes attaqués et les coups de feu, la nuit, c’est très joli.

Finalement, nous rentrons au séminaire à minuit.

Jeudi 20 mai 1915

Réveil à 7 h. Chaleur torride.

Marche de 25 km.

Vendredi 21 mai 1915

Tir. Beau temps.

Samedi 22 mai 1915

Travaux de propreté.

Après-midi, repos.

Dimanche 23 mai 1915

Jour de la Pentecôte. Quartier libre toute la journée que je passe en compagnie d’Ernest.

Lundi 24 mai 1915

Réveil à 7 h. On va à l’exercice jusque 9 h ; après, quartier libre.

Mardi 25 mai 1915

Chaleur torride.

On nous annonce un départ pour le 153e, 12 hommes, je ne suis pas encore du nombre.

Mercredi 26 mai 1915

La chaleur continue.

On nous annonce un départ pour le 3e Zouaves.

Jeudi 27 mai 1915

Cette fois, ça y est, on file au 3e Zouaves, Ernest est du nombre. Nous sommes bien contents car il n’y a plus de renfort pour le 110e.

Départ demain à 9 h.

Vendredi 28 mai 1915. Départ pour Sathonay

Réveil à 6 h.

On part sans armes ni sac, en tenue d’instruction. Les femmes et les enfants de Sarlat nous suivent jusqu’au train.

Nous partons à 9 h aux cris de « Vive les Zouaves ». Nous entonnons La Marseillaise.

Nous arrivons à Périgueux à 2 h après-midi. On nous loge au 4e, caserne du 50e. Ces rosses du 50e ne veulent pas nous donner à manger jusqu'à demain.

Donc, ce soir, ceinture, il faut aller bouffer en ville.

Samedi 29 mai 1915

Les renforts des 73e et 8e sont arrivés, on va partir cette nuit, dit-on.

Le soir, après 5 h, nous allons faire un tour en ville.

Dimanche 30 mai 1915

Rassemblement à 8 h. Nous partons demain matin, au premier train, direction Lyon. Nous nous promenons toute la journée.

Périgueux, ville ancienne, possède une belle cathédrale, des ruines d’arènes, etc.

Lundi 31 mai 1915

Nous ne partons pas encore ce matin. On commence à s’y ennuyer car on n’a rien à faire, sinon à chahuter.

Juin

Mardi 1er juin 1915

Quartier libre toute la journée, nous sortons en ville.

À 4 h, rassemblement, nous partons demain à 6 h, direction : Sathonay.

Mercredi 2 juin 1915

On ne s’est pas couché ; on a chahuté toute la nuit.

Nous embarquons à 6 h ; la classe 16 part pour La Courtine.

Adieu Périgueux, adieu Dordogne, adieu aussi les deux galons rouges que l’on allait me mettre sur les bras. (*)

Nous passons à Brive, Ussel, 20 km de La Courtine.

Nous entrons alors en pleine Auvergne, pays montagneux où on n’y voit que du terrain inculte et de grands troupeaux de vaches. Ces pays sont très tristes.

Nous avons deux jours de vivres mais je crois que tout sera mangé aujourd’hui.

À 5 h, le Mont Dore et à 8 h, Clermont-Ferrand.

La nuit, je m’éveille en sursaut, nous sommes arrêtés au milieu d’une immense gare, c’est Roanne.

 

(*) : Les galons de caporal

Jeudi 3 juin 1915

Arrivés à St Etienne à 4 h½ où nous trouvons 100 prisonniers boches dans les salles d’attente, ce qui amène une manifestation.

Les 3 trains de soldats partent aux cris de « Vive la France », puis vient Givors et enfin Lyon.

La Croix Rouge : distribution du café, du vin, des cartes.

Arrivés à Sathonay à 10 h.

La moitié du renfort part au feu demain soir, l’autre partie dont je suis part pour un camp pour la Drôme. Ernest part avec moi.

Vendredi 4 juin 1915

Visite d’incorporation.

Je reçois quelques lettres dont une d’Émile Baillon qui m’informe qu’il vient aussi aux Zouaves. Justement, le 165 vient d’arriver, je cours voir et j’ai le plaisir de l’embrasser.

L’après-midi, on nous habille et nous embarquons à 9 h.

Samedi 5 juin 1915

On passe à Montélimar et on débarque à Montségur.

Encore 20 km à faire à pied après une nuit blanche.

On me loge chez l’habitant. Je loge dans un grenier à foin avec Ernest. Je ne sais où est Émile.

Dimanche 6 juin 1915

Revue armée par le capitaine. Il fait chaud ici.

À midi : lapin, pois cassés, soupe, 1 quart de vin.

Le soir : veau, macaronis, soupe, 1 quart de vin. Nous allons visiter le patelin qui est tout petit.

Lundi 7 juin 1915

Réveil à 4 h ½, rassemblement à 5 h ½, exercice jusque 9 h.

La soupe, rapport puis la sieste jusque 2 h.

De 2 h à 3 h, repos.

De 3 à 5 h, exercice. J’apprends qu’Émile n’est pas ici mais à Ste Cécile.

Mardi 8 juin 1915

Revue du général. Tout le dépôt vient, nous sommes encore 2000.

Je revois Émile qui est désigné pour un renfort, il va à Rochegude en attendant de retourner à Sathonay.

Mercredi 9 juin 1915

Chaleur torride.

Tir réduit. Note : Bien. Je rends visite aux vers à soie qui croquent les feuilles du mûrier.

Jeudi 10 juin 1915

Même chaleur.

J’ai le front à cloches d’un coup de soleil. La vie continue à être bonne.

Vendredi 11 juin 1915

Orage formidable.

Tir réduit. Note : Très Bien. Toujours sans nouvelles depuis que j’ai quitté Sarlat.

Samedi 12 juin 1915

Tir à 250 m, à 5 km d’ici. 4 balles dans la silhouette sur 8.

L’après-midi, travaux de propreté.

Dimanche 13 juin 1915

Les vers à soie montent sur les branches qu’on leur a mis à cet usage et commencent à filer leurs cocons.

Le matin, revue du capitaine sur le terrain de manœuvre. Je reçois une lettre d’Émile me disant qu’il est toujours à Rochegude.

Et voilà ce carnet fini, je croyais bien que les dernières pages auraient été écrites dans les tranchées, mais le destin a voulu qu’il soit fini chez les Zouaves.

La suite au prochain numéro.

 

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Ici commence le second carnet

 

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Et voilà ce nouveau carnet commencé. Sans doute, il contiendra des épisodes de la vie en campagne car je ne serai pas indéfiniment au dépôt.

Lundi 14 juin 1915

On forme la compagnie à l’effectif de guerre car l’ordre de mobilisation du dépôt est permis et on peut nous appeler d’un jour à l’autre.

Mardi 15 juin 1915

Service en campagne et repos de 10 h à 3 h de l’après-midi.

Mercredi 16 juin 1915

Réveil à 2 h, départ à 3 h. Direction du tir.

Nous faisons 1 km et on nous fait faire demi-tour et rentrer dans nos cantonnements où nous attendons les ordres une ½ heure.

Après, rassemblement en tenue de mobilisation avec l’équipement complet. Revue de départ que nous allons passer à Ste Cécile. J’y rencontre Émile.

Lui aussi est sur le pied de guerre. Dans nos sections, on assigne les emplois : éclaireurs, hommes de liaison, cuisiniers et moi comme bon tireur, on m’a placé viseur d’officiers boches.

Tout ça, ça sent le départ et ce n’est pas trop tôt.

Jeudi 17 juin 1915

Service en campagne. Passage d’un pont sous le feu de l’ennemi.

Vendredi 18 juin 1915

Réveil à 2 h.

Départ à 3 h pour une marche de 25 km.

Rentrés à 9 h.

L’après-midi, repos. Revue d’armes à 4 h.

Samedi 19 juin 1915

On parle sérieusement d’un départ pour l’Isère. On ramasse les paillasses et nous allons coucher à la paille en attendant que l’on parte.

L’après-midi, revue de casernement.

Dimanche 20 juin 1915

Belle journée.

On murmure que l’on part ce soir. Nous visitons le trou de Tulette.

Lundi 21 juin 1915

Service en campagne, marche. Il m’arrive au moins une dizaine de lettres.

Mardi 22 juin 1915

Exercice sur le terrain de manœuvres. On quête pour acheter une couronne à un camarade mort.

On rentre à 9 h du matin au lieu de 8 h.

Mercredi 23 juin 1915

Service en campagne. Temps orageux.

Jeudi 24 juin 1915

Marche de 25 km. Départ à 3 h du matin ; rentrés à 9 h.

Après-midi, repos.

Vendredi 25 juin 1915

Un orage effrayant s’abat sur la région et a duré toute la nuit. Nous quittons Tulette dimanche soir pour Beaurepaire.

Samedi 26 juin 1915

Ouf, ça y est, désigné pour le front, nous partons ce soir pour Sathonay. Nous sommes 90.

À 4 h, un coup de téléphone nous apprend que l’on n’a pas besoin de renfort. Sathonay a fourni, donc nous partons demain matin pour Beaurepaire.

Dimanche 27 juin 1915

Départ de Tulette à 7 h.

Nous marchons 2 heures et nous faisons cuire la soupe, la viande et le rata pour ce soir.

Montségur à 4 h pour y arriver à 6 h. Nous embarquons et nous partons à 8 h ½ du soir.

Lundi 28 juin 1915

Je n’ai pas pu dormir cette nuit.

Nous avons voyagé toute la nuit, et puis je pense qu’il y a un an comme aujourd’hui, c’était la ducasse de Cléty.

Le dîner valait mieux que ma boîte de conserve de ce soir et les heures agréables et inoubliables passées au bal avec une agréable demoiselle dont je n’ai pas encore oublié le joli minois, mais qui, elle, semble bien m’oublier. Pourtant... qui sait ?

Inutile d’y penser, je ne les reverrai peut-être jamais.

Nous arrivons à Beaurepaire à 5 h du matin. Nous touchons le café et en route. Nous arrivons à St Barthélémy vers 8 h.

Nous allons cantonner dans les dépendances du château.

Mardi 29 juin 1915

Aménagement du cantonnement. Nous allons remplir nos paillasses. La concierge est très aimable, elle nous vend œufs, vin, lait, fromage très bon marché.

Revue du capitaine.

Le nom du patelin : St-Barthélémy-de-Beaurepaire.

Mercredi 30 juin 1915

Service en campagne. Le patelin est assez joli.

À midi, on désigne 90 hommes pour passer à la 63e compagnie de renfort qui a fourni un renfort de 200 hommes.

Juillet

Jeudi 1er juillet 1915

À 7 h ½, départ de Saint-Barthélémy.

Ernest est toujours avec moi. Nous arrivons à La Peyrouse-Moinay à 9 h.

On nous loge à 25 dans un infect taudis chez un vieux fermier qui a une très jolie demoiselle que 28 s’occupent de courtiser. Seuls Ernest et moi restons tranquilles.

Nous sommes au pays des pêches par excellence.

Vendredi 2 juillet 1915

Départ de 200 hommes pour le front. Nous allons les conduire à la gare.

Samedi 3 juillet 1915

Le matin : marche.

Après-midi : lavage du linge, revue de cantonnement.

Dimanche 4 juillet 1915

Le matin, revue du capitaine.

Après la revue, on désigne 200 hommes pour partir à Sathonay et ensuite au front. Je suis du nombre mais Ernest ne vient pas, il va probablement travailler dans une fabrique d’obus comme métallurgiste.

Le soir, nous mangeons en ville, car c’est sans doute la dernière fois que nous sommes ensemble.

Lundi 5 juillet 1915

Rassemblement à 6 h ; départ à 7 h ; embarquement à 8 h. Adieu La Peyrouse et mon vieux Ernest.

Nous posons 2 heures à St-Rambert-d’Albon.

Nous arrivons à Lyon à 3 h 05. Nous traversons la ville pour rembarquer à Lyon Croix Rousse à 6 h 10 et arriver à Sathonay à 6 h ½.

Mardi 6 juillet 1915

On s’occupe de nous donner des habits pour le front. Nous touchons tout neuf, sauf des molletières. Le magasin n’en a plus.

On monte nos sacs, et le soir, on va faire un petit souper en ville.

Le soir, je m’endors sans même penser que je pars demain.

Mercredi 7 juillet 1915

J’ai bien dormi. Je cours en ville faire mes dernières emplettes : menthe, papier, savon, etc.

Je ne sais pourquoi mais un tremblement nerveux me prend. Impossible d’écrire même une simple carte mais cependant pas une larme en pensant au départ, c’est mon tour.

Nous quittons Sathonay à 8 h ½ pour embarquer à Lyon-Vaise à 11 h ½. Nous rejoignons un train d’Africains qui viennent avec nous. Nous passons à Mâcon, Chalons- sur-Saône, Dijon.

Le train marche à une allure très vive, nous roulons toute la nuit.

Jeudi 8 juillet 1915

À 4 h du matin, Montereau, puis nous arrivons à Moret, Fontainebleau, Melun et Noisy-le-Sec.

Avant Noisy, nous arrêtons dans une gare où nous sommes très bien reçus par les civils. La Croix Rouge est partout très aimable. Les gosses nous prennent pour des Anglais.

Puis nous arrivons au Bourget où nous posons jusque 5 h du soir. En partant, le lieutenant nous apprend que nous partons vers l’Alsace.

À 23 h, nous sommes à Troyes.

Vendredi 9 juillet 1915 : Arrivée au 8e Zouaves

1 h, Bar-sur-Aube, puis Langres, enfin Gray et Dole, gare régulatrice.

Puis nous arrivons à Besançon. On nous dit que nous allons sur Belfort.

Vers 16 h, nous arrivons à Héricourt. On nous distribue des vivres de débarquement pour 1 jour ½ et en route !

Nous faisons 2 km et nous arrivons dans une belle caserne où nous trouvons le 8e Zouaves en repos depuis 4 jours, de retour d’Arras (*) où il a réembarqué à Hesdin.

On m’affecte à la 6e compagnie avec mon copain Meillot et à 7 h, nous nous couchons sur le plancher car il n’y a pas de paille.

 

(*) : En mai le régiment avait perdu en Artois (secteur Souchez) près de 1800 hommes en mai et 1500 en juin.

 

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Extrait du journal du régiment (JMO). On y constate bien l’arrivée du renfort du 3e Zouaves, dont fait partie Marceau

 

Samedi 10 juillet 1915

J’ai dormi sur le plancher comme un sourd car j’étais éreinté.

Hier, quelle veine tout de même, au lieu de partir pour la tranchée, nous trouvons le 8e en repos et en caserne pour un certain temps, dit-on.

Le matin, on nous affecte par escouade et je reste avec mon camarade à la 13e.

Dimanche 11 juillet 1915

Quartier libre à partir de 6 h du matin, mais la tenue est très sévère pour sortir en ville.

La nourriture s’annonce comme bonne ; ¼ de vin par jour.

Lundi 12 juillet 1915

Revue des vivres de réserve. La moitié les ont déjà mangées.

Le matin, exercice de 6 à 9 h sans le sac, mais avec toutes nos cartouches.

L’après-midi, douches. Les poilus n’ont pas l’air trop difficile.

Mardi 13 juillet 1915

Lever à 3 h, départ à 4 h ½ pour Belfort.

À 8 km de la ville, la route est barrée par des amas de pierres et il ne reste place que pour passer une voiture.

En outre, des réseaux de fils de fer de 20 mètres de large font le tour de la ville, puis ce sont les tranchées, puis des fils de fer, puis des tranchées, et comme ça jusque la ville. Les endroits accessibles sont fermés par des piquets de 1m 50 plantés à 10 cm l’un de l’autre. Les forts sont entourés d’une foule de défenses accessoires. Partout, dans les coteaux et les bois, des portes de souterrains.

Un réseau de decauvilles (*) relie le tout.

Artilleurs et génie travaillent et charrient bois, terre, munitions et travaillent avec ardeur. Et jusqu’entre les tranchées poussent de belles récoltes. Quel contraste !

Œuvres de vie et œuvres de mort s’entremêlent.

Aux abords de la ville, les fortifications : d’immenses monticules sous lesquels sont des canons dont on n’aperçoit pas la gueule à 20 pas. Enfin les portes et en pleine ville, la citadelle et le Lion sur un rocher escarpé inviolable aux fantassins. Jamais je n’aurais cru que c’était ça une place forte.

 

(*) : Le Decauville est un petit train sur voie étroite qui transportait sur de courtes distances du ravitaillement, munitions, etc..

Mercredi 14 juillet 1915

Quartier libre de 6 h à 10 h du matin.

À midi, on nous rassemble pour aller à la revue.

Départ à 1 h ½, arrivée à 2 h ½. Il y a là toute la division (*), le 8e Zouaves, 2 régiments de tirailleurs et un de la Légion, plus les mitrailleurs, l’artillerie, la cavalerie, les aérostiers, pontonniers, sapeurs, génie, éclaireurs, téléphonistes… ; à 4 h, 2 généraux arrivent, l’un est Joffre.

La revue est magnifique, le défilé superbe. Joffre repasse devant nous en auto.

 

À 7 h, nous arrivons à sortir du camp au milieu d’une nombreuse foule. Nous rentrons à 9 h.

 

(*) : Le 8e Zouaves fait partie de la 1e division marocaine, qui comprends aussi (Composition en juillet 1915) : le 4e tirailleurs de marche, le 2e régiment de marche du 1e étrangers, le 2e régiment de marche du 2e étrangers et le 7e tirailleurs de marche. Artillerie : plusieurs groupes d’artillerie d’Afrique.

Jeudi 15 juillet 1915

Quartier libre à partir de 6 h du matin, pluie toute la journée.

Vendredi 16 juillet 1915

Le matin : revue d’armes et d’effets.

Le soir, tir au stand du 41e d’artillerie. Note : Très bien.

Samedi 17 juillet 1915

Réveil à 4 h ; départ à 6 h avec tout le fourbi.

Nous quittons Héricourt pour aller on ne sait pas où. Il paraît que nous allons aller vers le front à pied à petites étapes.

Arrivée à Lepuis à 2 h de l’après-midi après avoir marché 7 h sans arrêt et tiré 28 km et ils appellent ça des petites étapes !

Nous sommes cantonnés chez l’habitant, nous ne savons pas pour combien de temps. Nous sommes encore à 2 heures de marche de la frontière.

Nous arrivons mouillés jusque la peau, il pleut toute la route.

Dimanche 18 juillet 1915

Quartier consigné jusque 5 h du soir.

À 4 h, revue d’armes.

Lundi 19 juillet 1915

19 juillet : date de terrible souvenir. Espérons que cette année, ce 19 juillet se passera mieux.

Le matin : service en campagne.

Mardi 20 juillet 1915

Enfin des nouvelles, il n’est pas trop tôt, et une lettre de 6 pages, deux paquets et un mandat : une avalanche, quoi !

De Cléty, on me prie d’écrire un mot à La Ronville ; triste tâche qui me fait penser au terrible accident. Pauvre cher ami, où es-tu maintenant ?

Mercredi 21 juillet 1915

Revue de tout : armes, effets, vivres. On complète ce qui manque. On s’apprête à partir sans doute.

21 juillet : jour de ma communion chez le célèbre Joury, mais où est ce temps ?

Jeudi 22 juillet 1915

Tir, 4 balles sur 8 dans la silhouette. On continue à aller à l’exercice.

Vendredi 23 juillet 1915

Service en campagne. Ascension d’une haute montagne d’où on découvre la frontière et les plaines d’Alsace.

Samedi 24 juillet 1915

On réquisitionne toutes les marmites du village pour faire bouillir le linge ce qui dure toute la journée.

Le soir, il m’arrive 22 lettres de Sarlat, de La Peyrouse, de Tulette. Mais elles ont été mouillées et une surtout est indéchiffrable, cependant elle doit contenir des choses assez intéressantes d’après les mots que je puis déchiffrer.

J’attrape le cafard.

Il faudrait donc jeter au vent tous les jolis châteaux en Espagne ? Ont-ils donc été si vite oubliés ? Peut-être je me trompe, mais quand ce serait encore vrai, je ne m’en affecterai pas outre mesure.

À quoi bon, peut-être je ne retournerai jamais là-bas.  

Dimanche 25 juillet 1915

Le cafard subsiste plus fort que jamais. Est-ce donc que cette sympathie que je croyais éprouver serait de l’amour ?

Je me mets en devoir de répondre à ma correspondance.

Encore 3 lettres aujourd’hui.

Lundi 26 juillet 1915

Le matin, exercice.

 

Le soir, tir dans un stand improvisé. 6 balles sur 8 dans la silhouette.

Mardi 27 juillet 1915

Pluie toute la journée, nous allons en marche et nous faisons l’ascension de Ballon-St-Antoine. Jolie vue d’en haut.

Le village, lui, est assez joli, les gens sympathiques. Dans les vallées souvent très étroites, les récoltes viennent bien, mais les ressources principales sont le bois et les pâturages. Le fromage y est excellent, ressemble au Lille avec un goût encore plus prononcé.

Mercredi 28 juillet 1915

Revue du général Lyautey, ex-résident du Maroc, qui va, dit-on, prendre le commandement de la division. (*)

Partis à 5 h, nous rentrons à 1 h sans avoir mangé. Ils deviennent rasants avec leur revue. On parle de notre départ ces jours-ci.

 

(*) : Non, le général commandant la 1e division marocaine (1e DM), à cette période, est le général CODET, qui sera remplacé par le général DEGOUTTE en août 1916.

Jeudi 29 juillet 1915

Le temps s’est enfin remis.

Le matin, exercice.

 

Le soir, tir : 6 balles sur 8.

Vendredi 30 juillet 1915

Pluie presque toute la journée. Théorie.

Samedi 31 juillet 1915

Le matin, douche à Giromagny.

Le soir, travaux de propreté ; nous faisons bouillir notre linge.

Août

Dimanche 1er août 1915

Un an que nous sommes en guerre. Déjà, et combien de morts ?

Lundi 2 août 1915

Le matin, tir : 8 balles sur 8.

 

Le soir, il pleut ; théorie.

Mardi 3 août 1915

Distribution de vivres de réserve à ceux à qui il en manque.

Toujours la pluie qui tombe plus qu’on en veut.

Mercredi 4 août 1915

On découvre, je ne sais dans quelles archives, que je fus élève-caporal au 110 ; On m’appelle au bureau et avec trois camarades, nous devons suivre les théories des caporaux.

Je suis exempt d’exercice. Je rectifie les positions et je commande quoique je ne me soucie plus des galons.

Je pense qu’ils viendront bientôt au front.

Jeudi 5 août 1915

Distribution de tabac, cigarettes, allumettes, don d’une société d’Algérie.

Toujours de la pluie.

Vendredi 6 août 1915

Beau temps.

Ascension d’une haute montagne aux environs. Cette fois, ce sont des renseignements complets qui m’arrivent.

 

Melle X m’a donc véritablement oublié.

Cela me surprend sans cependant m’attrister outre mesure. Un peu d’émotion sur le moment et c’est tout. Demain, ce sera tout. Jamais, je n’aurais cru qu’après de si beaux serments, on puisse oublier si vite. D’ailleurs, cette chose va avoir pour cause de me rendre cynique vis-à-vis du danger. Deux choses m’auraient retenu avant : l’amour pour mes parents, l’amour pour elle. Maintenant, une seule chose subsiste : la 1ère.

Cependant, si je voulais renouer une idylle, ce serait vite fait, une aimable demoiselle m’écrit assez souvent et il faudrait être fou pour ne pas comprendre ses lettres, chaque lettre, chaque réponse.

Mais je me tiens sur mes gardes, et je comprends qu’un seul mot de moi serait le bienvenu, mais je ne le dirai pas.

Samedi 7 août 1915

Quoi ! Nous serions encore ici jusqu’au 25 août, mais après ce serait l’Italie ou la Turquie.

Pour moi, je m’en fous, l’Europe ou l’Amérique, le pis ce sont pour mes pauvres vieux, le reste, je m’en moque comme de ma première culotte ! Attention, la nouvelle d’hier m’a fait rêver. Je me voyais de retour à Cléty réformé avec une jambe de bois.

Ah quelle joie, malgré ma patte en moins !

Mais je déraisonne sur ce papier. Je me suis levé du pied gauche et la journée ne se passera pas bien.

Dimanche 8 août 1915

Encore toujours des lettres ce qui me fait plaisir.

Belle journée.

Lundi 9 août 1915

Un nouveau capitaine nous arrive venant de la Légion.

Journée magnifique qui rappelle le mois d’août chez nous.

Mardi 10 août 1915

Ascension d’un coteau voisin de 1050 mètres d’altitude avec le sac complet sur le dos.

Départ à 4 h ½, retour à 9 h, bien fatigué.

Mercredi 11 août 1915

Tir avec le sac complet sur le dos, ça change un peu mais je mets tout de même 7 balles sur 8.

Beau temps.

Jeudi 12 août 1915

Le matin, exercice.

Le soir, revue en tenue de départ par le capitaine.

Vendredi 13 août 1915

Pluie toute la journée. Revue d’armes et théorie. Revue de cantonnement par un médecin inspecteur.

Demain, s’il fait beau, marche au Ballon d’Alsace.

Samedi 14 août 1915

Pluie. La marche est ratée. Revue d’armes.

Dimanche 15 août 1915

Quartier libre.

Toute l’escouade est de garde, sauf moi. Fait du hasard.

Lundi 16 août 1915

Tir : 6 balles sur 8.

Beau temps.

Mardi 17 août 1915

Promenade au Ballon d’Alsace. 28 km aller et retour mais sans sac.

En allant, nous traversons l’ancienne frontière et nous entrons en Alsace. Nous mangeons au sommet du ballon où il y a deux statues : une vierge ancienne, objet d’un vœu, et une statue de Jeanne d’Arc en bronze, grandeur nature.

D’en haut, on aperçoit Mulhouse et Alkirch et les Alpes derrière. On voit l’artillerie tirer et, drôle d’effet des montagnes, on n’entend pas les coups.

À signaler sur le Ballon, deux grandes fermes. Avant la guerre, une de chaque côté de la frontière, à 500 mètres l’une de l’autre. 15 jours avant la guerre, la ferme boche recevait 120 vaches devant servir aux troupes boches, mais les pioupious y arrivèrent avant les boches.

Superbe excursion dont je suis enchanté.

Mercredi 18 août 1915

Exercice, théorie. Beau temps.

Jeudi 19 août 1915

Tir. Temps : 50 secondes pour tirer les 8 balles. J’en mets 6 dans la silhouette ce qui fait un excellent tir.

Vendredi 20 août 1915

Service en campagne. On nous apprend que nous partons dimanche, direction inconnue.

Le soir, travaux de propreté.

Samedi 21 août 1915

Travaux de propreté et de départ toute la journée.

Le soir, on distribue des vivres jusque 11 h du soir et puis après, on chahute jusqu’au matin. Je n’enlève même pas mes bottines de la nuit.

Dimanche 22 août 1915

Réveil à 4 h.

Départ à 5 h. Nous passons à côté de Belfort.

À 10 h ½, nous arrivons à Cherremont après avoir fait 23 km. La compagnie est logée dans un couvent où nous sommes très bien mais nous partons déjà demain.

La pluie est tombée pendant une partie de la matinée.

Lundi 23 août 1915

Réveil à 4 h. Départ à 5 h.

Nous faisons 20 km et nous arrivons à Lepuix où nous cantonnons. C’est encore Lepuix, mais ça ne vaut pas Lepuix-Gy. Nous sommes dans une ferme.

Nous commençons à travailler demain matin.

Mardi 24 août 1915

Départ à 5 h. Nous marchons une heure et nous arrivons dans une grande forêt où nous faisons des gabions pour les tranchées. Les cuisines roulantes nous apportent le dîner sur place et nous travaillons jusque 5 h. Nous rentrons à 6 h bien fatigués.

Mercredi 25 août 1915

Nous retournons aux gabions. Nous sommes à 1000 m des lignes boches. Heureusement que nous travaillons sous-bois. L’artillerie française tire au-dessus de nos têtes. Il y a beaucoup d’étangs ici, et des carpes, et on n’oublie pas d’aller pêcher.

Jeudi 26 août 1915

Les boches tirent sur l’artillerie, mais beaucoup trop loin de sorte que nous ne craignons rien.

Le soir, en rentrant, de garde pour 24 heures.

Vendredi 27 août 1915

6 heures de faction à prendre. Deux taubes survolent le village. Violemment canonnés, ils font demi-tour. Les schrapnells tombent autour de nous.

Samedi 28 août 1915

Nous allons faire une tranchée entre deux bois à 800 mètres des boches.

Temps toujours superbe ici.

Dimanche 29 août 1915

Une batterie d’artillerie française tire à 40 mètres derrière nous. Quand les coups partent, on les sent passer. Les boches ripostent. On voit éclater les 105 mais ça ne me fait guère d’effet. Gare demain.

Lundi 30 août 1915

Depuis le matin, les 105 boches s’annoncent par 4 toutes les 3 minutes. Ça ne nous effraye guère.

À 4 h, on nous fait arrêter le travail. Les obus tombent en plein sur nous. En rentrant, on nous dit que nous partons demain pour Lepuix Gy.

Mardi 31 août 1915

Départ à 11 h du matin. Nous arrivons à Cherremont après 22 km à 4 h du soir. Nous couchons au couvent où nous avons couché en passant. Un bataillon doit venir nous relever, mais nous ne le voyons pas.

Septembre

Mercredi 1er septembre 1915

Départ à 4 h du matin. Arrivée à 9 h à Lepuix Gy où nous retournons dans notre ancien cantonnement. On nous apprend que nous allons partir sous peu. On dit en Argonne, en Belgique ; d’autres disent en Turquie. Personne ne sait rien d’exact.

Jeudi 2 septembre 1915

On nous fait laver notre linge et nettoyer complètement en attendant le départ.

Après-midi aux douches.

Vendredi 3 septembre 1915

On continue à se nettoyer. On distribue des quantités de vêtements neufs, du linge. On complète les vivres et les cartouches.

Samedi 4 septembre 1915

Pluie toute la journée.

On fait une revue d’armes et on nous distribue des masques contre les gaz asphyxiants.

Le départ est, dit-on, remis à mardi ou mercredi. On irait au camp de Chalons où on concentre une armée entière de coloniaux.

Tout cela, c’est des « on-dit » mais si c’est vrai, ce n’est pas pour des prunes.

Dimanche 5 septembre 1915

Croirait-on qu’à des centaines de km de distance, deux personnes puissent se ressembler ? J’ai rencontré ici, aujourd’hui, une personne ressemblant exactement à un de ceux qui me sont chers. J’en suis resté estomaqué.

Je vais à la pêche.

Lundi 6 septembre 1915

Nettoyage des cantonnements. Théorie par le médecin-chef sur l’emploi des gaz asphyxiants.

Mardi 7 septembre 1915

L’ordre de départ attendu depuis 8 jours n’arrive pas, alors, aujourd’hui, à l’exercice ; l’après-midi, je vais au foin.

Mercredi 8 septembre 1915

Réveil : 4 h ; départ : 5 h ½.

Revue du 8e et du 7e et du 2e Tirailleurs par le général de la Division.

En arrivant, pas peu surpris de voir French avec 10 officiers anglais, 2 généraux belges, 2 russes, 1 serbe, 4 italiens.

La revue est magnifique, le défilé superbe. La visite des officiers alliés est une surprise à laquelle nous ne nous attendions guère.

L’après-midi, on a quartier libre à partir de midi.

Jeudi 9 septembre 1915

Repos toute la journée en raison de la revue d’hier.

Vendredi 10 septembre 1915

Revue de cantonnement par le général.

Il vient voir notre joli dortoir et ne trouve rien à redire.

Samedi 11 septembre 1915

Tir 8 balles, 2 dans la cible. 2e série, 8 balles, 6 dans la cible.

Après-midi, travaux de propreté. On demande des coureurs pour prendre part aux courses de demain.

Dimanche 12 septembre 1915

Réunion sportive à Giromagny : courses d’officiers, mât de cocagne, courses à pied, saut, courses de mules.

Un accident : un cheval emballé rentre dans la foule et s’abat à 2 mètres de moi, blessant mortellement un légionnaire et cassant la jambe à un enfant.

Lundi 13 septembre 1915

Remise de drapeaux. Revue à 8 h.

Le président de la République et Millerand (*) arrivent à 8 h ½ et remettent trois drapeaux. Un au 8e Zouaves, un au 7e Tirailleurs et au 2ème étrangers.

Je passe assez près pour bien voir le Président. Il cause bien. Défilé magnifique.

En rentrant à Giromagny, on défile baïonnette au canon devant le drapeau. Minute émouvante, on est ému malgré soi ; comme on la regarde, cette loque tricolore. Des femmes pleurent.

On rentre à 11 h, on n’a pas quitté le sac depuis le matin.

 

(*) : Le ministre de la guerre.

Mardi 14 septembre 1915

Au réveil, on nous dit que nous allons au tir, ½ heure après, on nous dit que nous quittons Lepuix. Le patron où nous logeons nous paye un verre d’adieu.

 

Ce soir, nous devons cantonner sous la tente.

Départ à 1 h, 18 km sous une pluie battante. Trempés des cheveux à la plante des pieds.

Nous logeons dans des hangars à Champagney.

Mercredi 15 septembre 1915

Le matin, nous allons chercher du bois et nous faisons du feu pour nous sécher un peu.

À 11 h, nous quittons Champagney. Nous faisons encore 8 km et nous embarquons à Lure par bataillon.

Nous partons à 8 h du soir et nous voyageons toute la nuit.

Jeudi 16 septembre 1915 : Arrivée en Champagne

À 5 h du matin, café.

À 7 h, on commence à voir quelques tombes boches à travers champs : un carré entouré de branches et une croix de bois. Les français sont enterrés dans des cimetières à part.

À 9 h, Vitry-le-François. Nous sommes dans des wagons à bestiaux et on y est bien. Partout on rebâtit ce que les boches ont démoli il y a un an.

11 h, Châlons-sur-Marne que nous traversons et on nous fait débarquer à St Hilaire, à une station suivante en plein camp. On nous conduit dans un bois de sapin à 2 km. On monte les tentes car il pleut un peu.

À 7 h du soir, nous partons ; nous allons vers les tranchées.

Vendredi 17 septembre 1915

Après 24 heures de chemin de fer, nous avons fait cette nuit 25 km. Nous sommes arrivés éreintés à 2 h du matin. La moitié des hommes sont restés en arrière. Nous traversons Suippes dont il ne reste que des murs branlants.

On nous met dans un bois où nous passons le reste de la nuit couchés par terre.

Samedi 18 septembre 1915

Je suis encore éreinté de cette nuit.

Nous n’avons rien à faire, repos toute la journée. Nous sommes, nous dit-on, aux environs de Souain. Le sol se compose exclusivement de marne, c’est la pleine Champagne.

Les boches tirent tout autour de nous, il y a 3 blessés au 1e bataillon.

 

Hier soir, on nous a mis coucher dans des cagnas dans la forêt où nous nous trouvons. Ce ne sont qu’abris et cagnas, il reste à peine quelques sapins pour nous cacher des avions. Le sol est comme notre grande route.

Cependant par endroit, il y a quelques parterres qu’on respecte scrupuleusement. Chaque cagna a son nom : Hôtel du singe, Villa des poux, Villa des marmites, etc. Les poux et les rats foisonnent. L’eau fait défaut. Il faut aller à 10 km pour en avoir un peu. Un train en amène, mais insuffisamment.

Dimanche 19 septembre 1915

Revue d’armes à 8 h.

On nous distribue un casque, ce ne sera plus aussi joli que nos chéchias.

Le soir, nous partons travailler avec fusil et cartouches.

Lundi 20 septembre 1915

Nous avons terrassé toute la nuit à 10 m des premières lignes françaises et en terrain découvert. On entendait bien les balles siffler et on a eu vite fait un trou pour se mettre dedans.

Les boches n’ont pas tiré un coup de canon ; s’ils avaient su que nous étions là, ils nous auraient vite arrangé. Pour aller au travail, rien que 2 h ½ dans les boyaux !

Mardi 21 septembre 1915

Revue de pied. On nous donne 250 cartouches. Il arrive un renfort et on revoit les copains de Tulette. Il vient une auto-cantine, mais pas moyen de rien avoir, elle est prise d’assaut, et tout est vendu au prix d’or. Une bouteille de vin : 30 francs.

Deux obus tombent sur le camp et tuent un tirailleur.

Mercredi 22 septembre 1915

Nous avons travaillé toute la nuit encore, mais les boches ont tiré sur nous. Nous étions à 75 m d’eux. Un sergent et 4 hommes sont blessés.

Il arrive 1500 hommes de renfort pour le 8e et le 7e Tirailleurs.

Jeudi 23 septembre 1915

Nous allons attaquer dans 2 ou 3 jours. On nous fait coudre un morceau blanc sur notre dos pour que l’artillerie française nous reconnaisse.

Vendredi 24 septembre 1915

Grande activité de l’artillerie, préparation de l’attaque.

Nous laissons les sacs ici. Nous emportons vivres, cartouches, outils et couverture. Nous laissons la veste ici.

Revue d’attaque à 4 h. Nous emportons 2 jours de vivres de réserve. Impossible de dormir pour le canon. Les tirailleurs ont pris une tranchée et une mitrailleuse.

À midi, on nous lit un ordre de Joffre :

« Soldats de la République, l’heure a sonné... ». (*)

 

Il nous rappelle les atrocités de l’ennemi, sa position actuelle, la nôtre, ce que nous avons fait depuis un an. L’offensive sera prise par les Belges, les Anglais et les Français sur tout le front. Nous attaquons à l’est du bois Sabot, très probablement cette nuit.

Après quelques paroles du commandant, on se prépare, on se munit d’eau et on attend. On rigole quand même. Tant pis pour ceux qui ne reviendront pas et il y en aura certes beaucoup. Tout est démoli en première ligne ; la canonnade fait rage.

À 10 h du soir, nous montons dans une parallèle à 100 m de la première ligne. Nous sommes 2e vague.

 

(*) : Le discours complet se trouve dans le JMO, ce n’est pas « l’heure a sonné », mais « l’heure est venue »

Samedi 25 septembre 1915

Nous passons la nuit sur place, la canonnade nous rend sourds.

 

À 9 h du matin, l’attaque se déclenche.

Le 2e Étrangers prend la 1e ligne boche. Nous montons en 1e ligne sous une horrible canonnade. Deux fois, nous sommes à moitié enterrés.

Tout à coup, on ne peut plus respirer, les yeux se mettent à pleurer. « Les gaz » crie un officier. Immédiatement, on met l’appareil aux yeux et au nez. ½ heure après, c’est dissipé, mais ça fait drôle, les yeux font mal et je crache du sang.

Le 2e Étrangers prend la deuxième ligne boche. On nous fait monter dans la tranchée boche. Pour faire les 200 m qui nous séparent, nous sommes pris d’enfilade par 2 mitrailleuses de chaque côté. Nous avons des pertes. La tranchée boche est pleine de morts et de blessés français et boches.

Nous partons immédiatement vers la deuxième ligne car le 2e Étrangers est presque démoli et nous devenons première vague et en avant à la baïonnette pour la 3e ligne. Nous nous en emparons sans trop de mal. Nous faisons des prisonniers ; l’un nous dit qu’ils ne sont là que depuis une journée, qu’ils viennent d’Allemagne. Il a 16 ans.

On s’occupe de la razzia : porte monnaies, couteaux, montres, cigares.

On empoche tout. Je n’ai pas de chance, je n’arrive à trouver qu’une boîte de cigares.

 

Nous nous portons encore 200 m en avant dans un bois et nous attendons que les ailes travaillent un peu. Il y a 10 morts boches d’un tas. En y allant voir, au milieu, nous trouvons 1 vivant qui n’en mène pas large. Il est 14 h.

 

À 16 h, nous nous portons en avant à travers bois ; nous faisons environ 1 km sans rien voir. Je suis en patrouille avec 4 copains. La compagnie suit à 200 m. Nous croisons plusieurs boyaux. Tout à coup, celui qui marche en avant pousse un cri et tombe. Les coups de feu crépitent de tous côtés. Nous étions à 10 m des boches.

Sur 4, nous revenons 2. Un mort et un blessé. On se met en tirailleur couché et on se fait un abri. Nous ne pouvons les attaquer car nous n’avons pas de renforts et nous ne savons pas combien ils sont.

Nous passons la nuit sur place.

Depuis le matin, il pleut, toute la nuit il pleut. Ce n’est pas joli de rester là sans abri.

 

La journée du 25 septembre, le 8e zouaves perd 250 hommes.

Dimanche 26 septembre 1915

Le jour vient et nous trouve couverts de boue et mouillés jusque la peau. On est raide mais content quand même. Les boches d’en face sont partis. La 1e division du 6e corps passe en avant et nous suivons en renfort mais les marmites nous tombent dur. C’est leur système, bombarder l’arrière. Un seul obus fait 7 morts.

Partout, à travers champs, morts et blessés.

Nous ne touchons aucun vivre et on fouille les sacs boches qu’on trouve pour avoir à manger. J’en récolte ma grande part.

Le soleil est revenu.

Lundi 27 septembre 1915

Toute la nuit, il pleut et on se couche par terre. Nous retournons à l’arrière pour prendre nos sacs. On nous fait en même temps emmener des prisonniers ; ils n’ont rien mangé depuis 3 jours mais on leur fait quand même porter notre couverture qui est lourde, étant toute mouillée.

Nous venons reprendre nos emplacements vers le soir.

Mardi 28 septembre 1915

Toujours dormir sans se déséquiper ni se déshabiller ; jamais que du singe à manger et de l’eau à boire, il faut être trempé pour résister.

Nous sommes soumis à un très violent bombardement pendant 2 heures. Les obus tombent en plein sur nous. Il y a passablement de blessés.

Étant couché, un obus tombe à un mètre de mes pieds sans me toucher et va blesser mon sergent à 10 m de là.

Hasard de la guerre.

Mercredi 29 septembre 1915

Il a tellement plu que l’eau est sous moi quand je me lève. On est raide, tout est mouillé de la chemise à la capote. Journée à peu près calme pour nous. Peut-être passerons-nous encore la nuit ici.

Alors, on s’aménage des abris plus confortables. La canonnade fait rage, encore quelques obus sur nous. 4 chevaux ont été tués hier par un obus, mais on ne peut pas allumer de feu sans quoi quels bons biftecks on ferait !

Jeudi 30 septembre 1915

Action très vive d’infanterie.

Nous montons comme soutien en deuxième ligne et les balles sifflent dur, cependant nous avons peu de pertes.

Octobre

Vendredi 1er octobre 1915

Nous allons visiter les abris boches que nous avons pris hier. Il y a une quantité de matériel extraordinaire.

Ces Messieurs font des tranchées derrière un réseau de fil de fer de 20 m de large. Impossible d’y mettre le nez sans artillerie.

Samedi 2 octobre 1915

Même continuation. Les pièces d’artillerie s’approchent. Nous avons été relevés cette nuit. Nous sommes arrivés dans un bois à une dizaine de kilomètres à l’arrière où nous passons toute la journée.

 

À 2 h du matin, un ordre arrive : en route pour la tranchée. Voilà nos 4 jours de repos !

Dimanche 3 octobre 1915

Nous sommes à 300 m des boches, en premières lignes ; feu très violent, l’artillerie prépare une attaque.

Lundi 4 octobre 1915

L’artillerie continue à donner énormément, et en revanche les boches nous bombardent et nous avons des pertes : deux camarades sont tués à côté de moi par un obus.

Mardi 5 octobre 1915

Le caporal de l’escouade est blessé au visage et je suis chef d’escouade. Violent bombardement. Les obus nous tombent dessus. Passablement de blessés, le commandant est tué (*) et 4 des agents de liaison.

On attaque demain matin à 5 h.

 

(*) : Commandant CORTADE Jacques. Ce jour là, le régiment perd environ 70 hommes.

Mercredi 6 octobre 1915

Ah quelle nuit !

Depuis hier soir, les boches nous envoient des gaz, la canonnade fait rage, on est méconnaissable. On ne peut plus causer tellement on a la gorge sèche. Cependant, on tient malgré tout par un surcroît d’énergie incroyable.

Notre position est très avancée vers l’ennemi, la gauche et la droite doivent attaquer avant nous.

Pendant 2 heures, fusillade intense. La gauche attaque et se fait repousser dans ses lignes. L’extrême droite, plus heureuse, se met dans les lignes boches.

À droite, un blockhaus ennemi arbore le drapeau blanc. Une compagnie approche, mais à 50 m, elle est démolie par les mitraillettes : voilà le système boche. Violentes canonnade et fusillade et toujours les gaz. La droite n’avance plus, nous ne pouvons plus attaquer.

1/3 des hommes sont blessés, pas un tué. Plus de caporaux, plus de sergents. Heureusement que nous avons un officier à poigne.

 

À midi, nous nous portons sur la droite en renfort de la 2e car on dit que le sixième corps à notre droite avance bien et nous attendons les ordres.

 

Ce jour là, le régiment perd 41 tués, 235 blessés et 18 disparus, pour l’attaque des tranchées de Lübeck, tranchée des Homosexuels, tranchées des Tantes et tranchée des Invertis.

Jeudi 7 octobre 1915

Canonnade assez violente.

Nous sommes toujours en première ligne. Un obus tue le commandant.(*)

Nous sommes relevés ce soir.

 

(*) : Pas indiqué dans le JMO (journal de Marche et Opérations) du régiment, qui a perdu une quarantaine d’hommes

Vendredi 8 octobre 1915

Relevés hier soir, on nous met dans les anciennes tranchées boches où nous logeons pour quelques jours.

 

Pertes du régiment : 29 hommes.

Samedi 9 octobre 1915

Nous sommes dans une grande plaine. Rien nulle part sinon des tranchées à moitié démolies. (*)

Pas d’eau, pas de vin, rien à acheter.

 

(*) : Le 2e bataillon dont fait partie Marceau se trouve à la tranchée des Tantes. Pertes du régiment : 14 hommes.

Dimanche 10 octobre 1915

La nuit, nous allons travailler en 2e ligne (*) à la construction d’un boyau car 18 divisions boches viennent de Russie.

 

(*) : Il s’agit bu bois N° 28. Pertes du régiment : 10 hommes.

 

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Position du 8e Zouaves à cette période

 

Lundi 11 octobre 1915

Encore au travail cette nuit. Les boches nous bombardent ; quelques blessés.

On travaille la nuit et on se repose le jour.

 

Pertes du régiment : 10 hommes.

Mardi 12 octobre 1915

Toujours travailler la nuit et coucher dehors le jour. On est éreinté. Les boches nous bombardent toujours. Heureusement, le temps est beau.

Mercredi 13 octobre 1915

Nommé caporal aujourd’hui, enfin, mais maintenant, j’aurai bien fait sans. Cependant, les ayant, je ferai mon possible pour les garder.

Toujours au travail la nuit.

Jeudi 14 octobre 1915

De jour à la compagnie, une foule de choses nouvelles : ramasser les malades à la compagnie, faire des corvées, ramasser et distribuer les lettres. On est de jour une fois tous les 16 jours, mais moi, comme gradé, je ne travaille plus.

Vendredi 15 octobre 1915

Les boches continuent à nous tirer dessus avec des pièces à longue portée.

Nous avons encore quelques pertes.

Samedi 16 octobre 1915

Depuis que je suis caporal, je ne vais plus au travail qu’un jour sur 4.

Il paraît que nous sommes relevés définitivement ce soir.

Dimanche 17 octobre 1915

Relevés hier à 8 h du soir, nous sommes revenus 24 km à l’arrière.

Nous traversons Suippes à moitié démolie et nous campons à 1 h du matin dans un grand bois, où nous grelottons toute la nuit. Ce n’est pas dommage d’être enfin relevés.

Depuis le 23 septembre, nous sommes sans arrêt sous le feu de l’ennemi et personne n’a encore enlevé ni souliers, ni molletières, ni capote.

Lundi 18 octobre 1915

On monte les tentes confortablement et nous nous reposons toute la journée.

Beau temps.

On cuisine toute la journée.

Mardi 19 octobre 1915

Il paraît que nous changeons de secteur.

Revue d’armes à 5 h du soir. Coup de théâtre, les boches attaquent énergiquement à Tahure et nous allons probablement marcher toute la nuit. Nous attendons, nos sacs étant montés, l’ordre de partir qui ne vient pas.

Mercredi 20 octobre 1915

On apprend que l’attaque boche à Tahure est repoussée et que nous embarquons ce soir. Nous sommes cantonnés à 2 km de St Etienne-au-Temple où l’on trouve ce que l’on veut, mais très cher ; vin : 0,80 le litre, camembert : 1,40, etc.

Nous partons à 2 h pour aller embarquer à St Hilaire. Je fais partie de l’équipe d’embarquement des voitures.

Nous partons à 8 h.

Jeudi 21 octobre 1915 : Oise

Nous passons à Meaux à 1 h du matin où nous touchons du café.

À 6 h, nous passons à Creil.

Encore 1 heure de chemin de fer et nous débarquons à Pont-Ste-Maxence. Nous faisons 4 km et nous arrivons à St Pierre où nous logeons dans une fabrique de sucre.

Vendredi 22 octobre 1915

Repos et travaux de propreté dont nous avons le plus grand besoin.

Samedi 23 octobre 1915

Travaux de propreté. Revue d’armes. Temps brumeux. Un copain rapporte 3 lapins et 1 lièvre, ce qui va améliorer l’ordinaire.

Dimanche 24 octobre 1915

St Pierre-Pontpoint est un joli petit village, mais pas moyen d’aller se promener. Je suis de garde.

Lundi 25 octobre 1915

Revue par le chef armurier. Douches. Brouillard.

Mardi 26 octobre 1915

Réveil à 3 h ½, départ à 4 h ½ pour une revue, sac vide et sans rien dessus. 16 km à faire. Nous arrivons à 9 h. À 12 h, une vingtaine d’automobiles passent à petite allure sur le devant des troupes.

Ce sont le roi d’Angleterre, Poincaré, Joffre et une quantité de généraux, d’officiers anglais et français. À 1 h, le défilé commence. Tout le 2e Corps colonial est là, 30 à 35 000 hommes. Nous défilons pendant ¾ d’heure. Je passe pas loin du roi qui paraît déjà assez âgé et fatigué.

Nous rentrons éreintés à 4 heures.

Mercredi 27 octobre 1915

Travaux de propreté le matin. Le quartier est déconsigné à partir de midi. Temps pluvieux toute la journée.

Jeudi 28 octobre 1915

Le matin, revue de vêtements.

À midi, j’apprends que Papa est arrivé à Pont-Ste-Maxence. Vite, je cours chercher une permission, qui est accordée.

Vendredi 29 octobre 1915

Nouvelle permission accordée. Quelle bonne journée encore.

Samedi 30 octobre 1915

Combien furent heureux les jours que je viens de passer après 10 mois de séparation.

Que l’on est content, mais aussi que ne s’est-on pas raconté. Mais aujourd’hui, ça change un peu, mais enfin, il faut bien en prendre son parti.

Revue du bataillon par le nouveau commandant.

Dimanche 31 octobre 1915

Il pleut toute la journée. Je reste au cantonnement.

Novembre

Lundi 1er novembre 1915

Ce jour-ci, la compagnie est consignée ; je ne puis sortir.

Au repas, un excellent civet avec 2 magnifiques lièvres.

Mardi 2 novembre 1915

Le matin, quartier libre.

Le soir, corvée de bois. On mange encore un faisan apporté par un camarade.

Mercredi 3 novembre 1915

Revue par le capitaine.

Après-midi, corvée de bois. Encore 2 lièvres et un lapin à manger.

Jeudi 4 novembre 1915

Revue d’armes montées par le lieutenant.

L’après-midi, exercice.

Vendredi 5 novembre 1915

Le matin, repos.

Le soir, marche. Départ à 12 h, retour à 4 h ½ ; total 20 km.

Samedi 6 novembre 1915

Revue d’armes le matin et le soir, revue de cantonnement par le capitaine et travaux de propreté.

Dimanche 7 novembre 1915

Grand festin : civet de lièvre au vin, reins de lièvre rôtis avec des choux de Bruxelles étuvés, salade, beignets, fromage, café. Nous sommes 24.

La plus franche gaieté règne entre nous jusqu'à l’appel. Ça tombe bien, c’est justement aujourd’hui la St Hubert. C’est un peu la même chose, mais tout de même, ça ne vaut pas les jours où l’on dînait entre parents et amis et où la fête se terminait au bal en compagnie de quelque jolie demoiselle.

Lundi 8 novembre 1915

Le matin, jeux.

Le soir, exercices, école de section : instruction du tireur.

Mardi 9 novembre 1915

De jour à la compagnie mais il faut quand même aller à l’exercice avec les autres.

Au bout de 8 km, nous revenons à 2 car un homme vient malade et on est obligé de le ramener.

Mercredi 10 novembre 1915

Revue d’armes à 9 h.

Le soir, corvée de bois.

Jeudi 11 novembre 1915

Revue de linge. Distribution d’effets neufs et de vêtements chauds pour l’hiver.

Vendredi 12 novembre 1915

Revue de détail.

Le soir, exercices dans les chambres.

Il pleut toute la journée et toute la nuit.

Samedi 13 novembre 1915

Le matin, revue de détail, distribution de vêtements. On me donne une nouvelle veste.

Fait saillant : un caporal dans un moment d’égarement et d’irritation s’oublie vis-à-vis d’un sergent, la discussion dégénère en dispute et il faut emmener notre camarade entre 4 baïonnettes. Il paraît que c’est le conseil de guerre.

Ironie des choses : risquer sa peau pendant des mois aux tranchées et venir briser son avenir pour quelques paroles bien vécues mais trop dures.

Dimanche 14 novembre 1915

Consignés toute la journée.

Nous sommes de piquet et tous les cafés sont fermés parce qu’ils vendent trop cher.

Lundi 15 novembre 1915

Rien à signaler sinon un redoublement de service.

Ce n’est pas le moment de broncher.

Mardi 16 novembre 1915

Revue de la Division par notre général.

Nous partons à 6 h. Nous faisons le poireau sous la neige jusque 12 h pour rentrer à 1 h, trempés et gelés. Pour nous réchauffer, un bon car de vin confectionné par nous.

Mercredi 17 novembre 1915

De jour à la compagnie car nous ne sommes plus que 2 caporaux sur 4 à la 4e section.

Aujourd’hui, c’est pour ainsi dire une journée de repos pour moi.

Jeudi 18 novembre 1915

Il gèle un peu et il tombe un peu de neige. Aujourd’hui, corvée de bois.

Vendredi 19 novembre 1915

Il continue à geler un peu et la nuit, il fait froid dans nos cantonnements.

Samedi 20 novembre 1915

Exercice de bataillon.

Et me voilà donc dans ma 21e année. Anniversaire passé plutôt tristement. Espérons qu’il passera plus gaiement l’an prochain.

Dimanche 21 novembre 1915

Journée froide que nous passons à faire de la confiture de pommes.

Lundi 22 novembre 1915

Le caporal qui couche avec moi tombe de l’échelle si malheureusement qu’il reste sur le carreau. On le porte à l’infirmerie.

Il gèle.

Mardi 23 novembre 1915

Nous allons voir notre copain blessé hier. Il peut à peine causer. Il urine du sang et on l’évacue sur Compiègne.

Il fait toujours aussi froid.

Mercredi 24 novembre 1915

On me désigne pour suivre les cours du commandant avec les sous-officiers 2 fois par semaine, 1 heure chaque fois.

C’est assez intéressant.

Jeudi 25 novembre 1915

Ste Catherine : où est le traditionnel bouquet et le non moins traditionnel café. Ah quel bon temps c’était.

De jour à la compagnie.

Vendredi 26 novembre 1915

Exercice de bataillon.

En route, nous trouvons une biche prise au lacet et le soir, nous allons la chercher. Elle se trouve en pleine forêt à 8 km de nos cantonnements.

Nous rentrons 1 heure avant le jour.

Samedi 27 novembre 1915

Le lieutenant prévenu par un mouchard que nous avions une biche la fait transporter aux cuisines et on la mange le soir à l’ordinaire. C’était bien la peine de se déranger.

À peine si on nous en laisse un morceau. La peau que je réclame me reste.

Dimanche 28 novembre 1915

J’emballe la peau pour l’expédier. Il gèle à pierre fendre.

Lundi 29 novembre 1915

Il pleut et je suis encore de jour à la compagnie.

Mardi 30 novembre 1915

De garde au poste de police mais on sent qu’il fait froid. Un genou depuis deux jours me fait terriblement souffrir.

Décembre

Mercredi 1er décembre 1915

Pluie toute la journée. Le genou me fait toujours souffrir. Conférence par le major sur les gaz asphyxiants et les moyens préservateurs. On dit que nous quittons St Pierre après-demain.

Direction inconnue.

Jeudi 2 décembre 1915. La garde du grand-quartier général à Senlis

Nous partons demain matin.

Le 8e Zouaves est désigné pour prendre la garde d’honneur au grand quartier général. Nous allons à Senlis et serons partis une vingtaine de jours.

Vendredi 3 décembre 1915

Départ à 6 h.

Les couvertures sont emportées dans des voitures car le sac est terriblement lourd, nous avons tous les vêtements d’hiver. Il pleut à verse.

Nous arrivons à Senlis à 10 h du matin. Nous allons cantonner dans un faubourg de la ville.

Le cantonnement est assez bon. Les gens quoique pas riches sont très aimables.

Samedi 4 décembre 1915

Aménagement du cantonnement. Nous charrions du sable et enlevons la boue.

Nous arrivons à rendre les cantonnements très confortables.

Dimanche 5 décembre 1915

Tenue très sévère, en capote.

Ma capote est tellement dégoûtante que je n’ose pas sortir avec, je fais cependant un tour en ville. La ville a cruellement souffert du passage des boches.

Après la soupe, le patron nous appelle. Nous nous mettons à jouer aux cartes, et nous jouons jusque 2 h du matin. Je crois que c’est la première nuit que je passe depuis que je suis au régiment. D’ailleurs, le patron a sa belle-sœur qui est une charmante jeune fille et je crois que c’est ça qui nous attire tous.

Lundi 6 décembre 1915

Revue par le major-inspecteur. Une dispute éclate entre 2 adorateurs de Melle Jeanne.

C’est le commencement.

Mardi 7 décembre 1915

De jour, nous déménageons pour aller loger dans une villa en pleine ville.

Mercredi 8 décembre 1915

Pluie toute la journée.

Théorie dans les chambres.

Jeudi 9 décembre 1915

Tir : 7 balles sur 8. Désignés comme corvée de tir, nous rentrons à 1 h sans manger.

Après-midi, on nous introduit, munis de masques, dans une salle pleine de gaz asphyxiants. Expérience qui réussit très bien.

Vendredi 10 décembre 1915

Le matin, théorie.

Le soir, nettoyage et revue du capitaine. Nous déménageons encore pour aller loger dans les écuries de la villa.

Samedi 11 décembre 1915

De jour à la compagnie et ce n’est pas l’ouvrage qui manque.

Pluie toute la journée.

Dimanche 12 décembre 1915

La neige a fait son apparition. Tout est blanc et ça tombe encore.

Journée plutôt morose et ennuyante.

Lundi 13 décembre 1915

Il gèle.

Le bruit court que nous ne resterons ici et que nous ne retournerons pas à St Pierre.

Mardi 14 décembre 1915

Et voilà 1 an que j’ai quitté ce cher Cléty, ces chers parents, un an qu’on a ce fameux habit de soldat, qu’on a pas couché dans un lit.

Enfin, c’est la guerre. Des jours meilleurs viendront sans doute.

Demain, revue du régiment à Chantilly par le général Joffre.

 

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Mercredi 15 décembre 1915

Départ pour la revue à 10 h.

Arrivée à Chantilly à 12 h.

À 1 h, Joffre arrive en compagnie de De Castelneau, un autre général et un officier anglais et un belge.

Le généralissime nous inspecte rang par rang. Le défilé est splendide. Tous nous avons à cœur d’avoir mérité le grand honneur qui nous est fait. Cependant, les compagnies sont faibles et en voyant ces rangs creux, on ne peut s’empêcher de penser à ceux qui dorment là-bas en Champagne.

Pendant toute la revue, un avion nous survole à moins de 30 m de hauteur.

Jeudi 16 décembre 1915

Tir le matin : 6 balles sur 8. Il dégèle.

Le soir à 7 h, cinéma pour le bataillon.

Vendredi 17 décembre 1915

Marche de bataillon. Départ à 11 h.

Heureusement, il se met à pleuvoir et nous rentrons de suite.

Samedi 18 décembre 1915

Distribution de linge et d’équipements en grande quantité : toile de tente, cartouchière, ceinturon, caleçons, chemises, etc.

On nous apprend que nous quittons Senlis lundi. Adieu Senlis. Adieu les jolies blondes.

Dimanche 19 décembre 1915

Nous quittons Senlis demain matin à 6 h.

Aujourd’hui, 3 copains de Toulon rentrent de permission et nous mangeons un poulet qu’ils ont emporté.

Après l’appel, le beau-frère de Melle Jeanne vient me chercher. Je pars. 3 sergents de la compagnie sont chez lui. Nous mangeons, buvons et chantons jusque 3 h du matin.

Lundi 20 décembre 1915

Départ à 7 h.

Un dernier adieu à M. Lebond qui fut si charmant pour moi et à sa belle-sœur.

Enfin nous partons, il n’est pas trop tôt. Si nous étions encore restés un moment, Melle Jeanne m’aurait fait oublier les payses.

Nous arrivons à St Pierre.

Mardi 21 décembre 1915

À 4 h, alerte. On part de nouveau. Destination inconnue. 20 km sous une pluie d’enfer.

À l’étape, une bonne femme nous fait sécher nos vêtements.

Mercredi 22 décembre 1915

À 7 h, nouveau départ.

Encore 22 km dans l’eau et la boue. On ne mettrait pas un chien à la porte. Nous arrivons dans un hameau où il n’y a ni café ni épicier.

 

(*) : Bérougne (Oise)

Jeudi 23 décembre 1915

Le commandant trouve le cantonnement infect et on nous en cherche un autre.

À 2 h, nouveau départ. 8 km encore. Nous arrivons à Retheuil où nous cantonnons dans une ancienne salle de bal.

Nous sommes bien.

Vendredi 24 décembre 1915

Le cantonnement est bon. Préparé par les artilleurs, nous couchons sur un bas-flanc, en verges tressées. Un camarade reçoit un poulet cuit.

À 8 h ½, nous commençons à le manger.

 

Tout à coup, un fracas épouvantable : le talus contre lequel est appuyé la baraque s’écroule. Le bâtiment s’effondre. Nous sommes trop loin de la porte pour fuir. Instinctivement, on se blottit dans un coin et une poutre tombe sur nous et la terre aussi. Mais il se produit une fente dans le mur par laquelle nous nous échappons, mais nous n’allons pas loin : des cris de douleur nous appellent ; je bondis avec un copain et nous commençons à dégager un copain enseveli. Un nouvel éboulement faillit nous engloutir.

Après 2 heures de recherches, nous parvenons à dégager tous les ensevelis.

Personne n’est gravement atteint. (*)

 

(*) : Les vicissitudes de la guerre feront qu’il reviendra dans ce village, exactement au même endroit, 3 ans plus tard, en juin 1918, pendant l’offensive allemande.

Samedi 25 décembre 1915

Joli Noël ! Il ne me reste rien, sinon mon pantalon. Ma veste, … tout est sous la terre.

Nous travaillons toute la journée à la recherche de nos bagages. Je suis légèrement contusionné aux reins, à la jambe et aux bras.

Dimanche 26 décembre 1915

On commence à déterrer nos vêtements. Je retrouve une partie de mon fourbi.

Le caporal Mondand nous écrit qu’il est en permission pour 2 mois. Veinard !

On aménage le nouveau cantonnement. Nous ne sommes pas mal.

Lundi 27 décembre 1915

Une équipe du génie commence le déblaiement de la terre.

On continue à retrouver notre matériel petit à petit.

Mardi 28 décembre 1915

À l’exercice ; service en campagne.

Le soir, on me désigne pour suivre les cours de signaleur.

Mercredi 29 décembre 1915

Rassemblement de l’équipe des signaleurs. Cours de 8 à 9.

Le soir, cours de 1 h ½ à 3 h ½. On nous apprend l’alphabet morse et aussi à signaler.

C’est assez intéressant et surtout beaucoup moins de mal qu’à aller à l’exercice.

Jeudi 30 décembre 1915

Nous continuons à aller aux signaleurs.

Le soir, exercice de nuit de 7 à 9 avec deux réflecteurs. Soirée intéressante.

Vendredi 31 décembre 1915

Manœuvre de régiment.

La compagnie est en avant-garde. Nous faisons environ 10 km et nous prenons un village d’assaut, puis nous restons ¾ d’heure couchés en tirailleurs à la lisière d’une forêt où nous avons bien froid.

Et voilà donc 1915 terminée. Cette dernière nuit se passera donc au fond d’une grange sur un tas de paille.

Comment 1916 s’achèvera t- il ?

Serons-nous alors dans quelque lit de caserne ou encore au fond d’une tranchée, ou bien reposerons nous pour toujours dans quelque coin de notre France ?

Qu’importe ! vivons sans soucis mais quand même, pensons-y un peu.

 

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Année 1916 

Janvier

Samedi 1er janvier 1916

Réveil à 7 h. On échange les traditionnels souhaits de bonne année. C’est une copieuse distribution de poignées de main ; mais quand même, on se sent triste. Où sont donc les 1e de l’an passé ? Les reverrons-nous jamais ?

À midi, vrai festin : 2 quarts de vin, 1 bouteille de champagne pour 4, 1 pomme, biscuits.

 

Le soir : café, cigare, confiture d’orange.

En compagnie de 3 copains, on mange un poulet que l’un de nous a reçu et jusque 11 h du soir, on chante ; ça étourdit un peu.

Dimanche 2 janvier 1916

Repos toute la journée. Journée interminable.

On pense à cette permission et on se demande si elle viendra. J’apprends une foule de nouvelles qui me rendent encore plus le cafard.

Lundi 3 janvier 1916

Nous continuons à aller aux signaleurs.

Beau temps.

Mardi 4 janvier 1916

Tir. Distance : 16 km, en tout 32 km, mais je n’y vais pas car nous allons aux signaleurs.

Mercredi 5 janvier 1916

Les cours de signaleurs sont finis, mais nous allons servir d’instructeurs pour 24 nouveaux de la compagnie.

Jeudi 6 janvier 1916

Nous allons pour instruire les nouveaux signaleurs qui formeront l’équipe de compagnie, tous les matins de 8 h à 9 h ½.

Vendredi 7 janvier 1916

Le premier permissionnaire de mon renfort est parti ce matin.

Mon tour viendra sans doute la semaine prochaine.

Samedi 8 janvier 1916

Beau temps. Visite de santé.

Revue de cantonnement par le capitaine.

Dimanche 9 janvier 1916

De jour à la compagnie. Temps sombre. Journée plutôt triste.

À 5 h du soir, on m’envoie conduire un poilu à l’officier payeur à Chelles ; distance : 10 km aller et retour ; pour un dimanche, ce n’est pas mal.

Lundi 10 janvier 1916

Manœuvre de régiment ; départ 10 h, mais il tombe de l’eau et le départ n’a pas lieu. On reste au cantonnement.

Mon copain de Boulogne part en permission ce matin et ça me donne un cafard terrible.

Mardi 11 janvier 1916

Tir. Distance : 32 km aller et retour.

Départ à 6 h, nous tirons à 11 h et nous mangeons la soupe. 5 balles sur 8 sur silhouette couché. En partant du champ de tir, il me prend un éblouissement, je tombe comme une masse, on m’emmène à la voiture et je rentre en voiture, mais quand je suis rentré, il n’y paraît déjà plus.

Mercredi 12 janvier 1916

L’indisposition d’hier, sans doute occasionnée par le froid, est complètement dissipée.

Travaux de propreté toute la journée.

Jeudi 13 janvier 1916

Le matin, travaux de propreté. Moi, je vais aux signaleurs.

Le soir, exercice.

Temps beau mais froid.

Vendredi 14 janvier 1916

Beau temps.

Travaux de propreté le soir.

Samedi 15 janvier 1916

On nous apprend que nous quittons Retheuil demain, destination inconnue. Voilà encore ma permission remise pour 3 ou 4 jours.

Préparation au départ, nettoyage du cantonnement.

Dimanche 16 janvier 1916

Départ à 5 h ; 20 km sous la pluie pour arriver à Crépy.

À 12 h, nous cantonnons dans une grande ferme.

Lundi 17 janvier 1916

Coup de théâtre, je pars en permission à 11 h. Vite, on monte le sac. En route, nous embarquons à 16 h 09 pour arriver à Amiens à 22 h.    

Mardi 18 janvier 1916

Départ Amiens à 2 h du matin. Boulogne : 5 h ; Calais : 6 h ½ ; départ 11 h ; arrivée à Remilly à 2 ½.

 

Du mercredi 19 janvier au mercredi 26 janvier 1916 : permission

Jeudi 27 janvier 1916

Départ de Remilly à 10 h. Amiens à 6 h du soir où je couche à la Croix-Rouge.

Bon souper, bon lit.

Vendredi 28 janvier 1916

Départ Amiens : 6 h ; Crépy : 8 h. Les zouaves sont partis.

On nous envoie au Bourget où nous arrivons à 20 h. Là, je rencontre un renfort qui arrive et je monte avec eux.

Samedi 29 janvier 1916

Départ Le Bourget : 1 h 02 ; Crèvecœur-le-Grand : 8 h ½.

On nous dit que le régiment est à 14 km, à Troussencourt, où nous arrivons à 13 h. Là, le 2e bataillon (*) est encore 6 km plus loin, à Maisoncelle.

 

(*) : Nous apprenons ici que Marceau fait partie du 2e bataillon.

Dimanche 30 janvier 1916

Enfin je les ai retrouvés. Que dire de ces 6 jours ? Rien, c’était trop beau. On veut déjà m’envoyer en marche, mais je me fais porter malade. Logement infect où l’on grelotte nuit et jour.

Marche, manœuvre tous les jours, même le dimanche.

Lundi 31 janvier 1916

De jour à la compagnie, je ne vais pas encore à l’exercice aujourd’hui.

Ce soir, marche de nuit de 6 h à minuit.

Février

Mardi 1er février 1916

Le matin, manœuvre de régiment ; départ : 6 h, rentrée : 12 h.

Le soir, manœuvre de nuit ; départ : 11 h, rentrée : 2 h du matin à travers le camp. Celui-ci étant d’installation récente, une partie des terres sont fumées ou même semées et on foule au pied ce blé en herbe.

Mercredi 2 février 1916

Manœuvre de brigade : 20 à 25 km en tout.

Temps froid mais beau.

Jeudi 3 février 1916

Manœuvre de corps d’armée. La division manœuvre contre les coloniaux. On prend un petit village à l’assaut.

Partis à 8 h, nous rentrons à 6 h du soir.

Vendredi 4 février 1916

On continue à manœuvrer dans le camp. Nous rentrons bien fatigués.

Le beau temps nous favorise.

Samedi 5 février 1916

Enfin, repos toute la journée et il n’est pas trop tôt.

On nous laisse à peu près tranquille.

Dimanche 6 février 1916

Départ : 8 h ½ ; rentrée 7 h du soir ; manœuvre de brigade.

Lundi 7 février 1916

Départ : 6 h ; rentrée : 2 h ; Manœuvre de corps : il y a de tout : infanterie, artillerie, pionniers, bombardiers, service médical, aviation.

Le général Dubois qui commande la 6e armée passe sur le camp pendant la manœuvre.

Mardi 8 février 1916

Le matin, cours de signalisation.

Le soir, départ à midi, rentrée à minuit.

Beau temps. Il gèle un peu.

Mercredi 9 février 1916

Départ à 11 h ; rentrée à 4 h ½.

Manœuvre de division.

Jeudi 10 février 1916

Manœuvre de Corps qui nous prend la journée et une partie de la nuit.

Pluie toute la journée.

Vendredi 11 février 1916

Manœuvre de corps toute la journée.

Pluie pour ne pas changer.

Samedi 12 février 1916

Enfin le 12 février. Date mémorable. Ça finit ce soir ce qui nous empêche pas de rentrer bien mouillé encore.

Dimanche 13 février 1916

Départ 7 h et sans regrets alors !

On arrive à midi dans un patelin après 20 km, où l’on cantonne pour quelques jours.

Lundi 14 février 1916

Nous cantonnons à Nourard où nous sommes très bien logés.

On dit que nous y resterons quelques jours.

Mardi 15 février 1916

De garde au poste de police. Journée calme.

Je suis de garde avec un sergent que j’ai connu au 110 et qui vient d’être versé à la compagnie.

Mercredi 16 février 1916

Le matin, repos.

L’après-midi, théorie sur les gaz asphyxiants.

Jeudi 17 février 1916

Le matin, exercice de signaleurs.

Le soir, je suis désigné pour assister à une représentation théâtrale qui a lieu à St Just, à 5 km. Nous avons le plaisir d’applaudir 11 artistes venus de la Comédie Française et de l’Opéra.

Soirée très réussie qui se termine à 8 h aux accents de la Marseillaise.

Vendredi 18 février 1916

Exercice de signaleurs le matin.

Le soir, revue d’armes par le chef armurier. Je passe toutes mes soirées avec Édouard.

Samedi 19 février 1916

Travaux de propreté. Revue en tenue de campagne complète.

Dimanche 20 février 1916

Repos, mais nous sommes consignés, la compagnie étant de piquet d’incendie.

Édouard vient me voir.

Lundi 21 février 1916

Aux signaleurs.

Il gèle et il tombe un peu de neige.

Mardi 22 février 1916

Aux signaleurs. Je passe la soirée avec Édouard.

Mercredi 23 février 1916

On parle de me casser et je récolte 4 jours de consigne pour avoir signé pour un camarade sur son ordre.

Nous partons demain matin.

Jeudi 24 février 1916

Départ 7 h. Dans la nuit, le 3e bataillon a incendié une maison. Nous arrivons à St Martin-aux-Bois à 11 heures.

Le soir, à 8 h, sac au dos et nous partons de nouveau. 6 km : nous trouvons moyen de nous loger à 11 h.

Vendredi 25 février 1916

Il y a de la neige et il en tombe encore. Nous sommes à Ravenel.

Samedi 26 février 1916

Encore de la neige qui tombe à gros flocons. Heureusement, le civil est très aimable et nous passons la journée dans la maison.

Dimanche 27 février 1916

Quartier libre. La neige est gelée.

L’après-midi, il dégèle. On nous dit que nous partons demain pour les tranchées.

Nous en profitons pour nous faire faire un bon souper chez notre propriétaire.

Lundi 28 février 1916

Départ à 7 h. Adieu Ravenel, ses aimables habitants et ses non moins aimables demoiselles. 32 km dans la neige à moitié fondue et nous arrivons à Clairoix, à 2 km de Compiègne, éreintés.

Mardi 29 février 1916

Repos. Je suis absolument esquinté de la marche d’hier.

Nous partons cette nuit pour les tranchées.

Mars

Mercredi 1er mars 1916

Partis à minuit, nous marchons dans la nuit sur des chemins défoncés jusqu'à 5 h du matin où nous arrivons à la ferme d’Attiche. Le secteur est tranquille, nous sommes à 200 m des boches.

Jeudi 2 mars 1916

Journée calme. La neige tombe.

Je suis désigné pour surveiller la réfection d’un boyau, le soir, en petit poste à 60 m des boches, dans l’eau jusqu’aux genoux, mais ces messieurs sont tranquilles.

Vendredi 3 mars 1916

Ils nous envoient des torpilles qui ne font aucun dégât.

La neige fond.

Samedi 4 mars 1916

Le 75 démolit le lance-torpilles boche. L’artillerie devient plus active, nous montons en 1e ligne. Il tombe de la neige.

Nous touchons des peaux de mouton.

Dimanche 5 mars 1916

La neige, toujours de la neige ; À part ça, rien de nouveau.

Les boches nous envoient quelques torpilles.

Lundi 6 mars 1916

Nous travaillons à réparer les boyaux que la pluie a fait tomber. On travaille dans la boue et l’eau jusqu’aux genoux.

Les boches nous envoient une bonne fusillade.

Mardi 7 mars 1916

Nous travaillons en avant des premières lignes. Nous allongeons un boyau commencé. Les boches nous laissent faire à condition de ne pas se montrer.

Le soir, en petit poste en avant de nos fils de fer.

Mercredi 8 mars 1916

Même travail qu’hier mais les boches nous ont repérés et nous allons à 30 m de leurs tranchées sans recevoir un coup de fusil.

Jeudi 9 mars 1916

Relevés ce matin à 4 h.

Nous allons 5 km à l’arrière pour nous reposer 8 jours.

Vendredi 10 mars 1916

5h ½ : réveil. Départ : 6 h. Nous montons en 2e ligne travailler à l’établissement d’un decauville. Nous rentrons à 6 h éreintés ; C’est quasi plus pénible que la 1e ligne.

Samedi 11 mars 1916

De garde, je mets mon courrier au courant.

Dimanche 12 mars 1916

Au travail encore.

Un combat d’avions s’engage au-dessus de nous. Le boche touché tombe en flammes à 200 m. L’observateur saute de son appareil.

À minuit, alerte : partout les sirènes fonctionnent, on entend qu’un cri : « les gaz ! Les gaz ! »

On reste levé toute la nuit mais on ne sent rien. Ce n’est qu’une fausse alerte.

Lundi 13 mars 1916

Corvée de bois ; distribution d’effets ; corvée de lavage.

Mardi 14 mars 1916

Au travail toujours. Belle journée.

Il paraît que les tirailleurs ont attaqué un bout de tranchée et s’en sont emparé.

Mercredi 15 mars 1916

Nous allons réparer un bout de chemin. Beau temps.

Distribution d’habits, de souliers, de linge et d’équipement.

Grand émoi à la compagnie : 200 francs ont été volés chez un civil.

Jeudi 16 mars 1916

Nous partons cette nuit. Nous montons aux tranchées. (*)

Revue d’armes, de vivres, de cartouches.

 

(*) : Ils remplacent le 4e bataillon au camp retranché de la ferme d’Attiche.

Vendredi 17 mars 1916

Nous avons repris notre ancien emplacement ; on dit que nous en avons ici pour 24 jours sans être relevés.

Beau temps. Les boches sont calmes.

Samedi 18 mars 1916

Désigné pour garder 2 préventionnés en conseil de guerre. Je passe la nuit et la journée aux cuisines.

Dimanche 19 mars 1916

Belle journée. (*)

Un caporal qui avait bu un coup de trop demande 6 volontaires pour aller en patrouille. Ils partent en plein midi et vont en rampant jusqu'à 20 m des tranchées boches, mais là, une mitrailleuse les aperçoit et il y a 2 blessés.

 

(*) : Pertes de la journée : 16 hommes.

Lundi 20 mars 1916

Pour nous punir de l’audace de notre patrouille d’hier, les boches nous arrosent sérieusement : 47, 77 et 105.

Encore 2 blessés.

Mardi 21 mars 1916

Un petit poste à 60 m des boches.

Journée belle et calme. (*)

 

(*) : 5 tués ...

Mercredi 22 mars 1916

Il tombe de l’eau. Nous avons deux nouveaux blessés à la compagnie. L’artillerie ennemie est assez active.

Jeudi 23 mars 1916

Activité de l’artillerie des deux côtés. Un de nos camarades est blessé près de moi.

Nous allons en corvée de bois.

Vendredi 24 mars 1916

Beau temps. Les boches travaillent en avant de leur 1e ligne mais le 75 les a vite fait rentrer.

Samedi 25 mars 1916

Pluie et neige. Notre nouveau colonel visite le secteur. (*)

Toujours la même rage de dents depuis 8 jours.

Quantités de nouvelles du pays : Emmanuel est prisonnier. Marthe Debien fiancée avec un lieutenant ; les galons éblouissent et font tout oublier. Nous montons en première ligne demain matin.

 

(*) : Le 21 mars, l’ancien lieutenant- colonel, MODELON, est nommé au commandement de la 253e brigade d’infanterie et est promu colonel. Il est remplacé par le lieutenant-colonel AUROUX.

Dimanche 26 mars 1916

Belle journée.

De quart jusque 3 h du matin. J’en profite pour écrire longuement un peu de tous les côtés.

Lundi 27 mars 1916

Les boches nous bombardent à nouveau, mais sans grands dégâts : 2 blessés seulement. (*)

Depuis 4 jours, toujours une rage de dents qui m’empêche de manger.

 

(*) : 2 dans son bataillon, mais 6 au régiment.

Mardi 28 mars 1916

Relevés ce matin pour 4 jours. Nous allons les passer dans des carrières où l’on peut loger 2 régiments.

La journée est consacrée au lavage et au nettoyage des hommes, des vêtements et des armes.

J’ai la bouche complètement démolie, au moindre toucher, le sang coule. On me dit que c’est une maladie qu’on appelle gingivite chronique.

Mercredi 29 mars 1916

À 5h, réveil. Nous montons en 1e ligne pour travailler à la construction d’un fortin. Nous mangeons sur le terrain le matin.

Le soir, nous retournons aux carrières.

Jeudi 30 mars 1916

Même travail qu’hier, mais nous sommes sérieusement bombardés.

Toujours la même rage de dents.

Vendredi 31 mars 1916

Journée magnifique. Même travail.

Avril 1916

Samedi 1er avril 1916

Que de choses cette date me dit. Où sont donc les souhaits de saison ?

À peine une carte de ma chère sœur. Il est vrai que j’ai délaissé toutes les demoiselles de ma connaissance.

Nous remontons aux tranchées demain matin.

Dimanche 2 avril 1916

Réveil : 2 h. Départ : 3 h. Nous montons en première ligne et nous reprenons notre ancien emplacement.

À midi, un obus tue un téléphoniste qui réparait un fil. C’est le premier mort que la compagnie a dans le secteur. (*)

 

(*) : Il s’agit de GIDEL Eugène, mort pour la France à la ferme d’Attiche (Oise), le 2 avril 1916, tué à l’ennemi. Il est né à Montaigut-en-Combrailles (63) le 9 juin 1894. Pas de sépulture militaire connue.

Lundi 3 avril 1916

Hier, on s’est aperçu que les boches avaient planté une pancarte devant leurs tranchées. On a demandé des volontaires pour l’aller chercher. J’y suis allé.

C’était un avis nous invitant à nous rendre et des photos de nos prisonniers nous montrant qu’ils sont bien. MM. les boches, vous vous fourrez le doigt dans l’œil, ce ne sont pas les zouaves qui se rendront.

Mardi 4 avril 1916

Temps couvert.

Violent bombardement. Un de mes meilleurs camarades est tué, il a reçu un shrapnell en plein cœur.

Pauvre Bianca, (*)

Dire qu’il était là depuis le premier jour de la guerre sans jamais avoir eu la moindre égratignure.

On lui fait une caisse et on l’emmène au cimetière militaire de Montigny. Le major dit un discours.

Adieu, pauvre ami.

 

(*) : BIANCAMARIA Jean, mort pour la France à la ferme d’Attiche (Oise), le 4 avril 1916, tué à l’ennemi. Il est né à Villanova (Corse), le 8 octobre 1891.  Il est inhumé à la Nécropole Nationale Rémy (Oise), tombe 228.

Mercredi 5 avril 1916

Au petit poste la moitié de la nuit. Les boches sont calmes.

Belle journée.

Jeudi 6 avril 1916

Toujours au petit poste. Le colonel vient nous voir dans le poste à 60 m des boches.

Temps couvert et pluvieux. Nuit d’un noir d’encre.

Vendredi 7 avril 1916

Toujours le même temps sombre.

La nuit, nous reculons notre petit poste d’une cinquantaine de mètres car le colonel l’a trouvé trop avancé.

Samedi 8 avril 1916

Le général vient nous voir au petit poste. Il regarde les positions ennemies à la jumelle et cause avec nous.

Dimanche 9 avril 1916

L’aumônier militaire vient dire la messe en 3e ligne. 10 poilus par compagnie sont autorisés à y assister.

Les boches sont devenus méchants tout à coup. Ils nous envoient des torpilles et des obus autant nous en voulons.

Lundi 10 avril 1916

Cette nuit, nous avons fait un prisonnier boche.

Rien d’autre à signaler sinon quelques « minenwerfers » qui ne causent que des dégâts matériels.

Mardi 11 avril 1916

Pluie toute la journée.

Les boches nous envoient quelques torpilles qui ne font guère de dégâts. On dit que nous sommes relevés après-demain.

Mercredi 12 avril 1916

Temps sombre.

Nous avons eu une nuit terrible : froid, pluie et vent. Une patrouille ennemie vient se frotter à nos fils de fer mais elle est bien reçue.

Jeudi 13 avril 1916

Visite du général qui monte jusqu’au petit poste. Temps sombre. Nous sommes relevés à 2 h du matin cette nuit et ce n’est pas trop tôt : qu’on aille se nettoyer un peu car voilà 24 jours de ligne sans avoir été relevés.

Vendredi 14 avril 1916

À 3 h, la relève s’amène d’un pas tranquille. Il pleut abondamment.

9 km à faire et nous allons cantonner à Chevincourt, joli petit village très peu bombardé. Nous logeons dans un grenier très bien aménagé : des lits en bois pour deux, sommier et fil de fer, paille assez abondante.

La journée nous est laissée pour le nettoyage de nos armes et de nos effets qui en ont grandement besoin.

Samedi 15 avril 1916

Réveil à 4 h ½ ; on va travailler en 2e ligne. C’est loin, mais je n’y vais pas.  Il ne faut que 3 caporaux chaque jour. Il tombe de la pluie, de la neige ; mauvais temps. En nettoyant mon fusil, je m’aperçois qu’il est éclaté. Le caporal à qui je signale la chose me gronde paternellement.

« Le fayot », journal de la 6e compagnie, devient très intéressant.

Dimanche 16 avril 1916

Journée magnifique. Nous avons repos, aussi je commence par dormir jusque 10 h, puis lavage et nettoyage. Promenade dans Chevincourt et les environs, ce qui nous mène jusque la soupe.

Le soir, sur 10 zouaves, 9 rentrent saouls, ce qui vaudra pas mal de punitions et d’articles dans « Le fayot ».

Lundi 17 avril 1916

Il pleut.

Le cours de signaleurs, mais je n’y assiste pas étant de jour à la compagnie. Les camarades vont travailler en 2e ligne.

Mardi 18 avril 1916

Il pleut encore : à la fin, ça devient rasoir. Nous allons au tir, à 8 km de nos cantonnements. 7 balles sur 8 dans la silhouette et des félicitations.

En rentrant, on me flanque de garde, ce qui n’est guère rigolo.

Mercredi 19 avril 1916

Relevé de garde le matin à 6 h. Nous arrivons au cantonnement, les autres sont partis travailler.

 

Le matin, repos.

 

Le soir, prise d’armes. Nous allons à 5 km où on décore un adjudant de la médaille militaire. Puis une équipe de pompiers nous montre l’emploi du liquide enflammé.

Jeudi 20 avril 1916

Au travail. Nous partons le matin à 5 h pour aller travailler à un decauville à 9 km de nos cantonnements. Il tombe de l’eau presque tous les jours et nous rentrons le soir à 6 h bien fatigués et bien mouillés.

Vendredi 21 avril 1916

Toujours de la pluie. Journée de repos que nous passons au nettoyage des cantonnements et de nos effets pour remonter cette nuit. Nous allons donc passer les fêtes de Pâques là-bas, face aux boches au fond de la tranchée.

Pas mal de braves zouzous rentrent avec une cuite phénoménale.

Samedi 22 avril 1916

Départ à minuit ½ pour les tranchées. Il pleut.

9 km de chemins dans l’eau et la boue ! Et nous retrouvons notre ancien secteur, mais très mal entretenu et pas mal endommagé par les obus.

Enfin, à 3 h, nous allons prendre le P.P. (*) mais au jour on nous relève et on nous met au travail.

 

(*) : Petit Poste

Dimanche 23 avril 1916

Nous reprenons le travail à 2 h du matin.

Nous nettoyons un boyau que la pluie a fait ébouler : travail des plus pénibles car la terre est très mouillée.

 

De 8 h à midi : repos.

 

À 2 h, on nous apprend que par ordre supérieur, personne ne doit travailler. Nous rentrons bien joyeux. On ne s’aperçoit guère que c’est Pâques sinon qu’on a eu de la bistouille ce matin et de la confiture.

Lundi 24 avril 1916

Lundi de Pâques.

Nous commençons à travailler à rétablir les canalisations que les dernières pluies ont bouchées. On travaille dans la boue.

 

Vers le soir, un crapouillot envoie des torpilles aux boches. Elles tombent en plein dans leur 1e ligne et à peine à cent mètres en avant de nous. À l’éclatement de l’une d’elles, on voit 3 boches projetés par l’explosion qui montent au moins à 20 mètres en l’air.

Mardi 25 avril 1916

Le général est venu nous voir hier. Il est monté au petit poste qu’il trouve, lui, trop en arrière et je suis chargé, pour la nuit prochaine, de la construction d’un boyau et d’un nouveau petit poste entre les deux lignes.

Mission assez dangereuse, ce n’est pas le moment de faire du potin. Le crapouillot tire à nouveau, les boches répondent par un violent bombardement de nos lignes.

Beau temps.

Mercredi 26 avril 1916

Même travaux qu’hier. Il faut beau.

Avec les travaux que nous faisons au petit poste, les bruits les plus singuliers circulent.

Certains prétendent que nous attaquons dans deux jours pour prendre le bois qui est devant nous et qui fait saillant dans nos lignes.

Jeudi 27 avril 1916

Violent bombardement des deux côtés. Nous envoyons pas mal de torpilles aux boches qui répondent par un violent bombardement des 1e lignes.

Qu’est ce que nous prenons pour notre rhume !  105 et 150 frappent en plein dans les tranchées. Les créneaux sont démolis, les arbres fauchés, mais personne n’est touché.

À la compagnie, en revanche, le capitaine Sandron, capitaine-major au bataillon, est tué par un shrapnell qui lui traverse la tête. (*)

C’était un de mes amis, autant qu’un officier puisse être ami avec un simple caporal.

Originaire d’ Hesdin, il avait été capitaine au 3e puis au 110. On ne se rencontrait jamais sans parler du pays.

 

(*) : SANDRON Charles René, capitaine au 8e zouaves, venu du 3e zouaves, mort pour la France à la ferme d’Attichy (Oise), le 26 avril 1916, tué à l’ennemi. Il était né à Saint-Michel (Aisne) le 9 septembre 1875. Pas de sépulture militaire connue.

Vendredi 28 avril 1916

Nuit mouvementée.

Nous continuons nos travaux au petit poste. Des Dragons travaillaient à approfondir le boyau qui y conduit.

Vers minuit, j’étais rentré dans les lignes avec 4 poilus pour chercher du bois pour camoufler l’ouvrage. On s’apprêtait à le porter à destination quand les Dragons nous disent :

« Aux armes ! Le petit poste est attaqué ! » .

 

Nous bondissons sur nos armes.

Un officier passant par-là, je le mets au courant. Il m’envoie prévenir le capitaine. 5 minutes après, tout le monde est sur pied. Mais on entend même pas un coup de fusil. On s’informe, on retourne au petit poste. Qu’il y a -t- il ?

Tout simplement une patrouille boche qui a approché nos fils de fer ; le chien de garde a aboyé, on a tiré des coups de fusil ; un imbécile de Dragon a eu peur, a dit à ses camarades que les boches attaquaient le poste. Voilà d’où vient l’alerte.

Il est probable que les boches dorment bien tranquillement.

Samedi 29 avril 1916

Beau temps. Journée calme.

À minuit, les boches déclenchent un violent bombardement sur notre secteur, mais principalement sur notre droite. Les torpilles tombent par 10 à la fois. Surpris par les obus au moment où nous travaillons entre les 2 lignes, nous nous replions sans pertes. Les boches vont certainement attaquer.

 

À 2 h, le bombardement ralentit, puis cesse, mais notre artillerie se met de la partie. Enfin, ils sont sortis, mais pour rentrer plus vite qu’ils n’ont voulu.

Cependant, à droite, ils ont pénétré dans nos lignes, fait trois prisonniers, mais ils en sont vite chassés. On échange encore des obus toute la nuit.

Dimanche 30 avril 1916

Le soleil se lève. On compte trois blessés à la compagnie. On nous relève de 1e ligne et nous partons pour les carrières où nous arrivons à 8 h.

À 2 h, on nous apprend que nous remontons en ligne à 4 h. On craint une nouvelle attaque de ces MM.

 

Cette nuit, on monte et on nous met dans des abris caverne d’où nous serons à proximité de nos emplacements de combat en cas d’alerte.

Mai 1916

Lundi 1er mai 1916

La nuit n’a pas été interrompue, les boches sont restés calmes.

Le matin, nous retournons aux carrières où on se lave et on lave son linge et on nettoie armes et chaussures.

Beau temps.

Mardi 2 mai 1916

Temps magnifique.

Il paraît que nous allons tenter un coup de main sur les tranchées boches à la route d’Orval où une corne de bois ferait une pointe dans nos lignes.

On nous rassemble et on désigne le 1e peloton, soit en tout 60 hommes.

Mercredi 3 mai 1916

De garde. Le poste de police est chargé de la réglementation des voitures. On apprend le maniement de nouvelles grenades à ceux qui doivent tenter le coup de main.

On leur distribue un poignard et un browning à chacun.

Jeudi 4 mai 1916

Les copains nous quittent et montent là-haut. C’est donc pour dans 1 jour ou deux.

Cependant, ce n’est pas sans un serrement de cœur qu’on les quitte. Cela fait de la peine de ne pas en être. Mais cependant, il est presque sûr que nous ne les reverrons pas tous.

Je suis chargé de la cuisine et du ravitaillement. C’est la vie agréable.

Temps superbe.

Les boches bombardent Machemont, Chevincourt et Antoval.

 

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Position du 8e Zouaves en mai 1916. Cliquer sur la carte pour agrandir

Vendredi 5 mai 1916

Debout dès 4 h du matin, je cours de côté et d’autres. Il faut tout chercher et surtout tout trouver.

Je remonte à Attiche où je retrouve les copains qui m’apprennent que c’est pour ce soir. La corne de bois où l’action doit se dérouler est méconnaissable puisque tout le bois est démoli.

Cependant, une seule batterie a tiré, une batterie de 90, et toutes les autres pièces se sont mises à tirer les unes après les autres.

Temps plus sombre.

 

À 8 h du soir, en route pour la parallèle de départ. On se quitte après avoir bu ensemble un bon coup de gniole. Poignées de main, dernières recommandations à ceux qui restent.

 

À 8 h 20, l’artillerie ouvre le feu. Aussitôt, on bondit. Elle tape à droite ou à gauche de l’endroit où on doit entrer. Les fils de fer sont en miettes. Une sentinelle est tuée à coups de revolver. Mais on arrive à une cagna ; 2 ou 3 grenades à l’entrée, les boches hurlent et tirent des coups de fusil par la porte. On leur dit de se rendre. Ils refusent, alors on tire à coups de revolver dans le tas.

Finalement, on entend « Kamarad ».

Il en reste 5 vivants qui se rendent. 3 zouaves rencontrent une sentinelle boche qui tire sur eux. Le premier a le cou traversé par une balle, le second reçoit 3 balles dans la main, mais le troisième tue la sentinelle d’un coup de poignard.

Enfin, on rentre dans les lignes, on compte 5 blessés et un mort.

 

Le JMO signale la perte d’un tué, 7 blessés et 5 disparus.

Samedi 6 mai 1916

Les nerfs sont un peu calmés, mais l’appel sérieux apporte le chiffre exact des pertes : 3 morts, 8 blessés et 3 disparus.

Il y a distribution de récompenses.

Le lieutenant qui a la main brisée a la Légion d’honneur, l’adjudant la médaille militaire et un 2e classe la médaille militaire, mais lui l’a gagnée depuis longtemps ; il a au moins risqué la mort 100 fois. (*)

Nous logeons dans des cagnas autour de la ferme de Belle Assise.

 

(*) : C’est exact : le sous-lieutenant BERGEAUX Raoul, croix de la légion d’Honneur ; à l’adjudant MORIN et au Zouave PERNETTE la médaille militaire.

Dimanche 7 mai 1916

Repos. Temps plus sombre.

J’en profite pour écrire longuement un peu de tous les côtés.

Le soir, distribution d’un quart de vin offert par l’adjudant pour arroser sa médaille. Un copain de Petit m’apprend qu’il va probablement venir à la compagnie.

Lundi 8 mai 1916

Beau temps.

On fait une quête pour acheter une couronne à notre ami qui est tombé si glorieusement. On ramasse 104 francs. La moitié de la somme est employée à l’achat de la couronne. Le général fait un don de 500 francs à la 6e compagnie, le commandant 100 francs. 200 francs viennent encore de côté et d’autres.

On décide d’envoyer la moitié de la somme à la femme et à l’enfant de Pruvost (*) ; l’autre moitié nous servira à faire un banquet qui aura lieu demain pour célébrer la victoire remportée à Arras le 9 mai 1915 et la réussite du coup du 5 mai 1916.

 

L’après-midi, on achète les provisions pour demain.

 

(*) : PRUVOST René, 20 ans, soldat du 8e Zouaves, mort pour la France au bois d’Orval près d’Attichy (Oise) le 5 mai 1916, tué à l’ennemi. Il était né à Calais le 8 mai 1895.

Pas de sépulture militaire connue.

Mardi 9 mai 1916

Dès le réveil, on se met au travail pour arranger la place du banquet qui aura lieu en 3e ligne.

Le bois est coupé et les tables dressées. La place des officiers est décorée et sur les tables de magnifiques bouquets de fleurs champêtres. Les cuisiniers des officiers sont à notre disposition. Le capitaine mange avec nous. En tout, 150 couverts.

 

À midi, on se met à table.

Menu : potage vermicelle, radis, cornichons, jambon, omelette, pommes sautées, rôti, salade, pets de nonne, biscuits, 1 litre de vin par homme, 1 bouteille de champagne à quatre, 1 litre de rhum à 10, 3 paquets de cigarettes et un cigare chacun, et un café. On mange de bon cœur.

 

Au dessert, le capitaine nous fait un petit discours et le commandant aussi.

Ce dernier nous apprend que la 6e compagnie aura la Croix de guerre et nous souhaite de manger la dinde à Noël dans nos familles. Après le festin, on se cotise et on envoie chercher du vin au village.

Le concert commence, le vin arrive et l’on chante à tue-tête à 800 m des boches jusque 1 h du matin.

Enfin, on se quitte sans souci du lendemain.

Mercredi 10 mai 1916

Pas de ducasse sans raccroc dit-on.

En effet, aujourd’hui nous avons repos, mais on voit les zouaves qui cherchent de tous côtés, qui sa chéchia, qui son casque, car il y avait hier pas mal de cuites.

Jeudi 11 mai 1916

Belle journée.

Nous allons travailler à d’importants travaux de terrassement. Nous faisons un boyau d’évacuation profond de 2 mètres et assez large pour laisser passer un brancard roulant.

 

Le soir, à la nuit, nous remontons aux tranchées en 1e ligne, mais ma section est de travail, de sorte que nous allons dormir toute la nuit.

Vendredi 12 mai 1916

Des pelles et des pioches et au travail. Nous faisons sous-bois un boyau, ce qui nous permet de travailler le jour sans être vus par l’ennemi.

Mais le travail est pénible, nous travaillons dans la pierre. Les boches sont assez calmes, mais le calme est précurseur de l’orage.

Une lettre m’apprend qu’Édouard est à l’hôpital, atteint par les gaz asphyxiants. Et moi qui justement devait aller le voir ce soir car son bataillon est en première ligne à côté de nous.

Samedi 13 mai 1916

Journée plutôt sombre.

 

Le soir, la pluie tombe. Il faut travailler quand même car le travail est très urgent. Petit est blessé m’apprend-t-on. Ici, un nouveau blessé.

Les boches sont très calmes.

Dimanche 14 mai 1916

Toujours au travail.

Nous travaillons jour et nuit, à peine 8 à 9 heures de repos par 24 heures.

Il pleut toute la journée. Néanmoins, on doit travailler et on rentre bien mouillés et rien pour se changer.

Lundi 15 mai 1916

Le temps est meilleur, mais le courage commence à manquer, on ne se repose pas assez.

Nous terminons le boyau aujourd’hui, mais nous ne serons pas longtemps sans travail. On entend toute la nuit une très violente canonnade sur notre gauche, mais on ne sait pas de quoi il retourne.

Mardi 16 mai 1916

Temps splendide, soleil magnifique. Nous allons maintenant travailler à la construction d’un abri.

Il faut d’abord creuser un puits jusqu'à 8 m de profondeur, et alors commencer à creuser l’abri. Il doit y avoir au-dessus de cet abri 7 à 8 m de terre non remuée. On le fera pour 30 hommes. On ne peut y travailler que la nuit et il faut emporter la terre dans un ravin à 100 mètres de là pour la dissimuler aux vues de l’ennemi. Nous commençons le travail la nuit prochaine.

En attendant, nous allons nous reposer aujourd’hui toute la journée. J’en profite pour mettre un peu d’ordre dans mon courrier qui est très en retard.

On désigne 8 hommes qui vont suivre les cours de fusil-mitrailleur.

Mercredi 17 mai 1916

Beau temps ; nuit magnifique. Nous travaillons à l’abri. On commence à sentir la chaleur.

Les camarades partent en permission ce matin. À quand mon tour ?

u mois d’août sans doute !

Reçu un magnifique colis de jambon : pensez donc, quel régal !

Jeudi 18 mai 1916

Nous arrivons sur le roc, le travail devient très dur et il faut tout faire sauter à la mine. On n’avance que très lentement.

Les boches lâchent quelques ballonnets pour s’assurer de la direction du vent, peut-être ont-ils envie de nous envoyer des gaz ?

Immédiatement tous les moyens préventifs sont mis en action, mais la nuit se passe sans autre incident.

Dans la journée, les avions signalent de forts mouvements de troupes sur l’arrière ennemi.

De très énergiques précautions sont prises en prévision d’une attaque future.

Vendredi 19 mai 1916

Même travail qui devient de plus en plus dur. Nous sommes obligés de faire sauter la pierre avec la mine.

Un avion boche passe au dessus de nous et jette des papiers disant que les Français qui sont encore vivants au 27 mai verront la fin de la guerre. Tant mieux, mais je crois bien que l’on tuera encore des boches après cette date.

Un violent bombardement à shrapnell a lieu sur nos positions au moment où l’on s’y attend le moins.

Chez nous, personne n’est touché mais une compagnie toute voisine compte un mort et un blessé.

Samedi 20 mai 1916

À 1 h du matin, tout le monde debout à son poste de combat. On craint une attaque au gaz. Les bombes, grenades, boîtes à poudre, seaux d’alcool sont prêts dans les tranchées où l’on passe toute la nuit.

Le jour naît sans que rien d’anormal ne se produise.

Journée magnifique qui fait rêver aux plus beaux jours d’été.

 

Nous sommes relevés cette nuit. Nous allons à Machemont pour 8 jours, après 28 jours de tranchées. Ce n’est pas trop tôt !

Grande activité des deux aviations et plusieurs combats qui n’ont pas de suite.

Dimanche 21 mai 1916

À 3h ½, nous sommes relevés par la 14e compagnie. Nous quittons immédiatement notre peu hospitalière cagna pour prendre la direction de Machemont où l’on s’installe dans un cantonnement très bien installé. Corvée de lavage, douches, nettoyage des armes, mais très peu de monde travaille.

On boit surtout beaucoup de pinard de sorte qu’à la soupe, on peut voir les zouaves déambuler dans les rues passablement pompettes.

Lundi 22 mai 1916

Réveil à 2 h, ce qui ne va pas sans peine car tout le vin n’est pas encore cuvé et pas mal de rouspétances.

 

Enfin, à 3 h, tout le monde est rassemblé et en route pour le travail. Nous allons travailler à un boyau d’évacuation en 2e ligne, mais on ne casse guère de manches car beaucoup d’hommes ont la flemme.

Enfin, on travaille quand même jusque 11 h du matin, alors nous reprenons la direction du cantonnement où nous rentrons à 12 h.

On mange la soupe et repos jusque demain matin, mais le soir, il y a encore quelques cuites.

Mardi 23 mai 1916

Réveil : 2 h, mais je suis de jour de sorte que je laisse partir les copains et je me recouche tranquillement jusque 8 h ; alors je conduis les malades à leur visite et ma journée est finie.

Beau temps.

Grande activité de l’aviation. Un appareil ennemi vient lancer une bombe sur Machemont qui ne cause aucun dégât.

 

Le soir, à 6 h, on me met de garde au poste de police.

 

À 8h ½, je fais une patrouille ; nous entendons les cris de :

« Au feu ! Au feu ! ».

 

Je regarde : un de nos cantonnements brûle. Immédiatement, l’alerte est donnée. On sonne la générale.

Nous mettons la pompe en mouvement, mais l’incendie est peu grave et bientôt éteint, et à minuit, tout est rentré dans le calme.

Mercredi 24 mai 1916

De garde au poste de police. Journée calme.

Beau temps le matin, le soir, violent orage.

 

À midi, nous achetons de la salade et nous améliorons un peu l’ordinaire. C’est la première laitue que l’on mange cette année.

Relevé le soir à 6 h. On va enfin pouvoir dormir une nuit tranquille car on commence à être passablement fatigué de passer des nuits.

Jeudi 25 mai 1916

Je me lève à 2h ½ comme les camarades pour aller au travail, mais on m’apprend que je suis désigné pour faire l’instruction de deux vieux qui viennent d’arriver à la compagnie. Ils sont de la classe 1902 (*) et ont sans doute fait une bêtise quelconque car ils étaient dans les commis-ouvriers. (**) 

L’un des deux n’a jamais manié un fusil, aussi pour leur apprendre un peu quelque chose !

Beau temps.

 

(*) : 20 ans en 1902, donc 34 ans à leur arrivée.

(**) : COA : Commis-Ouvrier-d’Administration

Vendredi 26 mai 1916

Il pleut. Cependant, la compagnie est quand même partie au travail mais elle rentre bientôt car la pluie tombe abondamment.

Quant à moi, je continue à faire manœuvrer mes deux bleus.

Oh ironie de la guerre ! La classe 15 qui instruit la classe 02.

Samedi 27 mai 1916

Beau temps revenu. La compagnie retourne à son travail, moi au mien.

 

L’après-midi : revue d’armes, douches et distribution d’effets et de linge. Les camarades de Toulon arrivent de permission ; après l’inévitable poignée de main, on se met en mesure d’alléger les musettes.

Dimanche 28 mai 1916

Repos pour tous, sauf pour moi : je suis de garde. Pour un malheureux dimanche, on ne peut me laisser tranquille. Je vais prendre la garde au colonel. J’y rencontre un poilu de Thiembronne. Puis les camarades viennent passer la soirée avec moi, de sorte que ça se passe un peu plus agréablement.

Belle journée. Nous remontons en ligne cette nuit.

Lundi 29 mai 1916

Réveil à minuit.

Départ à minuit ½, mais le rassemblement de la compagnie ne va pas sans embarras.

En effet, pas mal de zouaves ont tenu à fêter une dernière fois Bacchus avant de remonter en ligne. Enfin, on arrive à notre ancien secteur à la pointe du jour.

Le jus vient et puis on dort jusqu'à la soupe pour se remettre un peu des fatigues de Machemont.

 

L’après-midi, au travail, nous reprenons nos cagnas commencées.

Mardi 30 mai 1916

Journée magnifique et chaude.

Le travail continue autour de la cagna. Encore un nouveau métier : le terrain est si dur que nous sommes obligés de tout faire sauter à la cheddite.

Les premières mines, c’est un sergent qui vient les faire, mais je me mets vite en route à les faire sauter moi-même.

Avec un peu de prudence, ce n’est pas difficile.

Mercredi 31 mai 1916

Beau temps.

Un camarade qui a été à Machemont nous a rapporté des laitues, une boîte de lièvre est arrivée de Cléty et les camarades ont encore des victuailles de leur permission de sorte que nous faisons un repas épatant, en première ligne s’il vous plaît !

Juin 1916

Jeudi 1er juin 1916

Le capitaine vient nous voir et paraît très étonné de notre travail. Il nous avait fait commencer cette cagna sans grand espoir de réussite mais en voyant le travail, il a changé d’avis.

Il nous demande ce qui nous manque, fait aiguiser les barres à mine, rafraîchir les pioches et nous dit de lui réclamer tout le matériel qui nous manque.

Vendredi 2 juin 1916

2 jours sans nouvelles de Cléty, qu’est-ce que cela veut dire ?

Beau temps, le besoin de boissons commence à se faire sentir.

Toujours le même travail, nous commençons à étayer le dessus car le puits est creusé en pente pour pouvoir placer l’escalier dedans plus tard. Nous étayons le dessus avec d’énormes rails de chemin de fer ce qui fait du travail très solide.

Samedi 3 juin 1916

Enfin une lettre de Cléty.

Toujours le même travail, mais ça commence à devenir bas dans la terre, nous sommes à environ 4 mètres. Les boches nous bombardent copieusement toute l’après-midi, sans aucun résultat.

Grande activité de l’aviation et plusieurs combats sont livrés au dessus de nous.

Dimanche 4 juin 1916

Beau temps.

Les boches nous arrosent copieusement toute la journée. Nos chocolats montent aux tranchées dans l’après-midi, et l’on entame une petite conversation.

Ils ont l’air très intelligents. On les voit passer avec leur plat d’eau ou de soupe sur la tête, mais ce sont des gaillards du plus pur ébène et bien bâtis. Ils ont des mains démesurément longues.

Ils sont jeunes en général.

Lundi 5 juin 1916

Il pleut une partie de la nuit.

Heureusement que nous travaillons sous terre. Toujours même travail, toujours au même endroit. Fonctionnaire chef de section, voilà mes nouvelles fonctions.

Les officiers et sergents sont partis à l’arrière, à l’instruction d’une arme nouvelle, le fusil-mitrailleuse, qui, dit-on, est appelé à rendre les plus grands services.

Mardi 6 juin 1916

Le beau temps est revenu.

Nous continuons notre travail mais ça devient de plus en plus dur, on ne peut plus en arracher un morceau sans le faire sauter à la mine.

Nos chocolats sont de plus en plus aimables.

 

Le soir, je profite d’une heure de loisir pour aller voir le camarade de Wavrans. Je le trouve aux cuisines. Il est cuisinier et me reçois très aimablement.

On passe un bon moment à causer du pays, ce qui fait plaisir.

Mercredi 7 juin 1916

Il pleut de nouveau : qu’est-ce que cela veut dire à la fin, ça devient rasoir.

Le colonel commandant la Brigade vient voir nos travaux qu’il trouve très bien, mais le travail avance moins vite.

Nous commençons à boiser la cagna proprement dite.

Jeudi 8 juin 1916

Toujours mauvais temps.

Le soir, nous ne travaillons pas et à 8 h, nous déménageons pour descendre à Belle-Assise en 3e ligne. Nous allons loger là, mais nous irons quand même à notre ancien travail. Distribution de linge, de chéchias et autres.

Vendredi 9 juin 1916

Les sénégalais arrivent à la compagnie, ils viennent faire leur instruction de tranchées.

Toujours mauvais temps, il a plu à torrent toute la nuit.

Néanmoins, nous descendons au travail à l’heure habituelle.

Samedi 10 juin 1916

Dès ce matin à la première heure, on voit les Sénégalais de garde dans les tranchées. Il y en a un à côté de chaque sentinelle de chez nous. Ils vous sourient bêtement en vous regardant car bien peu causent français.

Le capitaine fait venir un tonneau de 100 litres de vin que l’on nous vend 75 centimes le litre.

Désormais, le bureau en vendra tous les jours.

Dimanche 11 juin 1916

Il pleut.

Nous allons quand même au travail, mais à 8 h, on vient nous rechercher. Le colonel fait arrêter tous les travaux pour aujourd’hui à l’occasion de la Pentecôte. Donc, comme nous ne prenons pas la garde, nous avons repos complet.

 

Mais à midi, un ordre arrive : « Montez vos sacs ».

Nous sommes remplacés par des Sénégalais et nous descendons 1 km 500 à l’arrière dans le village d’Antoval, où nous sommes pas mal logés.

Lundi 12 juin 1916

Repos toute la journée, mais il pleut toujours.

Revue d’armes, de vivres, de masques.

 

Le soir, j’ai le plaisir de rencontrer un camarade de Thérouanne. Nous passons toute la soirée ensemble.

Les officiers du 73e et du 74e Territorial viennent visiter le secteur. Il paraît que nous allons être relevés par eux dans quelques jours.

Distribution de molletières et de chaussures.

Mardi 13 juin 1916

Nous retournons au travail à la cagna, mais le courage commence à manquer car nous travaillons pour les autres, et puis on arrive au travail fatigués par la route.

Nous apprenons avec plaisir que nous allons recevoir la fourragère.

Le nombre de régiments qui y ont droit est très réduit : 8 pour toute l’armée française. C’est donc un grand honneur pour le 8e Zouaves.

Mercredi 14 juin 1916

Il pleut toujours. Bon dieu, quel temps ! Il paraît comme certain que nous allons être relevés dans 3 ou 4 jours.

Où irons-nous ? Personne n’en sait rien encore.

On parle vaguement d’Amiens, mais rien n’est encore officiel. Toujours au même travail, ce qui devient barbant.

Jeudi 15 juin 1916

Enfin, il n’a pas plu aujourd’hui, aussi les boches viennent sans doute de nous apercevoir de leur saucisse et nous bombardent copieusement. Nous retournons travailler en ligne.

Les officiers du 74e d’infanterie, qui vient de nous relever, viennent voir les emplacements. La brigade et l’état-major sont relevés ce soir.

À quand notre tour ?

Vendredi 16 juin 1916

Beau temps.

La compagnie part au travail le matin à 5 h, mais moi je reste car je suis de jour à la compagnie. C’est une journée de repos, car comme travail, je n’ai qu’à aller chercher le courrier.

 

Je profite de quelques instants de loisirs pour aller visiter le cimetière militaire. Ce dernier se trouve à l’orée d’un bois. C’est simplement quelques tombes alignées. 2 ou 3 seulement n’ont pas la couronne.

Comme c’est triste, ces tombes au milieu des champs. La majeure partie appartient au 8e Zouaves.

Adieu, morts glorieux, nous allons vous quitter et partir vers de nouveaux horizons mais nous ne vous oublierons pas. La compagnie revient du travail car nous devons monter en ligne ce soir.

 

À 6 h, nous partons et nous allons en 2e ligne en attendant la relève qui viendra après-demain.       

Samedi 17 juin 1916

Le matin, réveil à 6 h, nettoyage, brossage, armes et effets.

Montage des sacs.

 

L’après-midi, le capitaine nous passe en revue et nous voilà donc prêts pour le départ. On nous distribue des pantalons d’été, nouvelle tenue kaki clair. Les boches sont calmes et les zouaves aussi, et ils sont surtout contents car on part en repos dit-on.

À signaler au cours de la journée une grande activité de l’aviation et plusieurs combats aériens.    

Dimanche 18 juin 1916

1 heure du matin, la relève se fait sans bruit et en vitesse.  Les zouaves sont contents de partir et les biffins contents d’être arrivés.

En avant, nous voilà partis. On arrive à Montigny.

 

« Halte ! Baïonnette au canon ! ».

On se regarde, interloqués. Qu’est-ce que cela veut dire ?

« En avant, marche ! Présentez armes ! »

 

Et c’est ainsi que nous faisons 300 mètres. Nous passons devant le cimetière de Montigny où nos morts reposent. Quoi de plus imposant que ces troupes défilant au « Présentez armes ! » devant les tombes de leur camarades.

C’est le dernier adieu probablement, nous ne reviendrons jamais ici, mais en passant, les têtes se sont tournées, les poitrines se sont soulevées, une larme a coulé.

Ne laissons-nous pas là de bons camarades : Pruvost, Biancamaria, Gidol, et tant d’autres qui furent de bons soldats.

 

Le jour vient, la marche s’achève sans encombre.

Nous arrivons à Coudun à 7 h après une étape de 18 km. Nous sommes logés avec le 2e Spahis. Ce dernier donne une fête sportive dans l’après-midi à laquelle nous assistons.

Lundi 19 juin 1916

Départ de Coudun à 6 h du matin.

Temps magnifique. Quelle différence avec le désert des tranchées ! Ici les champs sont cultivés : betteraves, avoine, blé, pommes de terre. Le tout pousse à merveille, tandis que là-bas, rien que la mort.

Qui voudrait croire que c’est la guerre en voyant ça ?

 

Nous arrivons à l’étape à 5 h.

Nous cantonnons à Jonquières pour 3 ou 4 jours dit-on, puis nous reprendrons une nouvelle direction. Nous sommes bien cantonnés. Les gens sont aimables, le pays gai, il me semble que j’irais bien achever la guerre ici.

Mardi 20 juin 1916

Travaux de propreté. Lavage du linge, nettoyage des armes et des effets toute la journée.

 

Le soir, coup de théâtre, nous embarquons demain soir ou après-demain matin. Destination inconnue. Les uns disent Amiens, d’autres Paris, d’autres Verdun. Personne ne sait rien d’exact.

Mercredi 21 juin 1916

Le matin, repos.

On monte les sacs et l’on s’apprête au départ. Nous allons donc quitter Jonquières et la charmante Melle Marie, notre hôtesse.

 

À midi, départ, chaleur étouffante. 9 km à faire. Nous arrivons à Chevrières à 4 h, nous cassons la croûte et nous embarquons. Destination toujours inconnue. (*)

Nous partons à 6 h et nous passons près de Compiègne et l’on remonte vers le Nord.

 

(*) : 5 trains sont nécessaires pour l’embarquement de tout le régiment.

Jeudi 22 juin 1916

À une heure du matin, on se réveille en sursaut : le train vient de s’arrêter. On regarde ébahis, on s’informe, on apprend finalement que l’on est à Longueau, à 5 km d’Amiens. Qu’allons-nous faire ?

Longueau est une grande bifur.

Allons-nous remonter encore vers le Nord ? On se le demande, mais non, nous reprenons franchement la direction du front.

 

Enfin, à 3 h du matin, nous voilà arrivés dans une petite gare où l’on commence le débarquement. Partout des hangars, des ambulances en planche, des routes neuves, des voies neuves, un travail de génie. Nous sommes à Villers-Bretonneux à 27 km d’Amiens ; encore 6 km à pied et nous arrivons à Warfusée-Abancourt où nous devons loger, mais le pays est déjà plein de troupes et tout le 8e doit encore loger là.

Nous montons la tente pour coucher.

Vendredi 23 juin 1916

Nous avons bien dormi sous la tente.

Il ne fait pas froid. C’est effrayant l’animation qu’il y a ici nuit et jour : convois, camions, trains et bateaux se suivent. Les troupes continuent à arriver.

On campe un peu partout. Il y a ici le 7e et 4e Tirailleurs, 22e, 23e, 8e et 35e Colonial sans compter les artilleurs, les services de toutes sortes et les autos. On ne trouve rien. Tout est au prix d’or, les marchands ne peuvent plus se ravitailler.

Et moi qui espérait voir papa ici, quelle folie !

 

L’après-midi, on nous emmène laver notre linge dans un canal voisin où il y a pas mal d’Anglais.

Au retour, nous sommes surpris par un formidable orage. 

Samedi 24 juin 1916

Il a plu à torrent toute la nuit. Heureusement que ma tente était très bien montée et nous n’avons pas eu trop à nous plaindre de l’eau.

Les 1e, 3e et 4e bataillons montent aux tranchées ce soir. Nous, nous restons ici. (*)

Nous ne faisons rien du tout sinon nous nettoyer et nettoyer nos armes.

On nous fait couper nos cheveux très ras pour le cas de blessures à la tête. Tout ici est au prix d’or ; vin : 1,50 f ; bière, cidre : 0,60 le litre ; œuf : 35 centimes, etc. , et tout est pris d’assaut.

Les troupes arrivent toujours. Enfin, nous recevons du courrier. Depuis 4 jours, nous n’avons rien reçu et ça fait plaisir de recevoir des lettres.

 

Le soir, coup de théâtre, nous faisons 9 km sac au dos et nous allons cantonner à 6 km du front.

 

(*) : Rappel : Marceau est au second bataillon.

Dimanche 25 juin 1916

Le jour, repos.

Nous dormons une partie de la journée.

 

Le soir, on nous apprend que nous allons travailler toute la nuit.

Départ à 6 h du soir, 8 km à faire. Nous allons travailler en face de Dompierre qui sera, paraît-il, notre secteur d’attaque. Et dire que c’est aujourd’hui la ducasse de Cléty. Au lieu de passer la nuit au bal, nous allons la passer en haut d’un boyau sous les balles et la mitraille.

Bombardement violent, surtout sur notre gauche, chez les Anglais.

Lundi 26 juin 1916

Nous rentrons du travail le matin à 4 h ½. Le café et on va dormir un peu.

 

À midi, revue d’armes, de chaussures, de masques.

 

Le soir, de nouveau au travail qui doit être achevé cette nuit. Nous faisons des parallèles de 20 mètres de long sur le boyau d’évacuation B.9.

Ces parallèles serviront à loger la réserve de division. Cette nuit passent à côté de nous plusieurs pièces de 75 que l’on place en découvert, entre les lignes, pour le jour de l’attaque.

Et dire que c’est encore une nuit de ducasse celle-là ! Où donc est ce temps, et le reverrons-nous ?

Violent bombardement, surtout chez les Anglais. Les obus sifflent au-dessus de nos têtes, mais on les connaît ceux-là, ce sont les nôtres. Les boches ne répondent guère.

Mardi 27 juin 1916

Nous arrivons du travail à 2 h du matin.

Stupéfaction : nos cantonnements sont occupés. Il faut partir. En ronchonnant beaucoup, on monte les sacs.

 

À 4 h du matin, nous quittons Proyart. Il paraît que nous allons cantonner à Warfusée-Abancourt où nous arrivons à 7 h du matin, éreintés. On nous loge dans une baraque en planche. On nous distribue la soupe, et dormez !

En effet, on nous laisse tranquille toute la journée. Temps brumeux.

Canonnade toujours aussi violente.

Mercredi 28 juin 1916

Dès le matin commencent les distributions. On complète les vivres de réserve. Distribution de gamelles, souliers, campement, linge et deux sacs à terre par homme. La première vague monte aux tranchées.

C’est le 24e colonial. Ils montent sans sac : musette, bidon, toile de tente. Ils sont joyeux les gars et rient. Mais ça fait la peine de les voir passer, plus de peine qu’à eux-mêmes.

Temps très brumeux.

Jeudi 29 juin 1916

Il a plu toute la nuit, mais avec le jour, la pluie cesse.

Le matin, repos ; nous en profitons pour dormir et nettoyer nos armes.

 

À midi, prise d’armes, remise de croix de guerre à ceux du coup de main du 5 mai. Le bruit court que l’attaque est remise pour 3 jours.

Ca devait se déclencher ce matin.

Reçois un très nombreux courrier : 7 lettres d’un seul coup, ce qui n’arrive pas tous les jours et donne pas mal de travail pour répondre.

Vendredi 30 juin 1916

Nous sommes toujours là à faire presque rien et à attendre. Le bombardement qui avait diminué un peu d’intensité dans la journée d’hier a repris de plus belle aujourd’hui. Je passe la plus grande partie de la journée à dormir et à écrire et aussi avec un camarade de Thérouanne qui vient me voir.

 

L’après-midi, une heure de théorie. Distribution de cartes du secteur aux chefs de section. Le temps est couvert, le vent assez fort, mais il fait beau quand même.

 

Le soir à 6 h, on nous apprend que nous partirons au cours de la nuit.

Juillet 1916

Samedi 1er juillet 1916

Canonnade effrayante toute la nuit.

 

Le matin, à 3 heures, debout et en route. Nous quittons Warfusée et nous allons cantonner à Bayonvillers 4 kms plus loin.

En arrivant, on prend la tenue d’attaque : 120 cartouches, toile de tente, 1 jour de vivres, vivres de réserve, 4 grenades. Chaque caporal reçoit une fusée.

Le couvre-pied et la veste restent dans le sac qui restera ici. Revue en tenue par le capitaine, puis on va dormir non sans avoir fait une abondante provision de pinard.

 

Le soir, à 5 h, alerte, on va déposer le sac dans un baraquement désigné à cet effet, on échange une poignée de mains avec les copains qui ne sont pas à la compagnie et en route.

Les premiers blessés arrivent, tout va bien, tout le monde est content et c’est aux accents de la Marseillaise que nous quittons Bayonvillers. 6 km et on s’arrête. Nous allons camper dans un bois sous des tentes de campagne appelées « marabout ».

On commence à placer les hommes, 20 par tente. Je cause avec mes poilus. Tout à coup, une formidable explosion me couche par terre. Je me relève indemne, mais 10 mètres derrière moi, une tente fume et est démolie. Des cris de douleur s’élèvent, on se précipite, on enlève la toile.

Horrible spectacle : 19 hommes gisent par terre, on s’empresse, on les relève. Encore une imprudence à la suite de laquelle une grenade a éclaté. Un homme a la cuisse broyée, les parties enlevées, les 2 yeux crevés ; un autre, un œil de crevé ; un autre, 2 jambes cassées. 15 sont sérieusement touchés. (*)

Nous aidons à les emporter, nos camarades, et à les panser, aidés du major qui panse les plus importantes blessures lui-même.

On se couche à minuit.

 

(*) : 13 hommes sont déclarés « blessés par éclats de grenade » dans le JMO

Dimanche 2 juillet 1916

Impossible de dormir, trop froid et aussi l’émotion. On dit qu’un camarade est mort. La plus grande prudence est recommandée aux hommes, trop tard d’ailleurs. Que c’est triste, mourir par un engin français.

Voilà presque le même coup qui coûta la vie à Arthur Nédoncelle (*). Les prisonniers commencent à arriver, mais on ne sait rien de bien exact.

Le temps est beau, nous sommes en réserve. L’artillerie ne tire guère sur nous.

 

À 16 h, une fiche de renseignement arrive, on nous la lit : nos troupes ont pris Dompierre, Becquincourt, Corbie et Fay. Nos lignes sont sur la 2e ligne défense allemande qui passe par Herbécourt et Assevillers.

On compte environ 4000 prisonniers. En somme, excellente journée.

La gare de Péronne est démolie par les obus à longue distance.

 

(*) : NÉDONCEL(LLE) Arthur, sergent au 328e RI, mort pour la France le 14 novembre 1914 à Florent (Marne), illisible . Il était né à Wizernes (62), le 20 novembre 1885. Il est inhumé à Florent-en-Argonne, nécropole nationale, tombe 2040.

Lundi 3 juillet 1916

Nouveaux prisonniers.

Un colonel boche crie en passant :

 

« Koloniaux, assassins ! »

Parce que nous nous sommes, paraît-il, servi des gaz, obus, turpins, et liquides enflammés.

 

Il nous dit aussi que notre bombardement a tué des civils à Herbécourt et Péronne, mais ce n’est peut-être qu’une bravade.

 

À midi, en route, les bruits courent de tous les côtés. Les uns disent que nous allons en ligne, mais personne ne sait rien de bien exact.

Nous faisons 4 km et nous campons en plein champ. La tente est vite montée et on couche là.

Là encore de nouveaux prisonniers, 850 d’un seul lot, beaucoup sont très jeunes, maigres et mal habillés. Seuls les officiers crânent.

Mardi 4 juillet 1916

J’ai très bien dormi malgré les obus car j’étais éreinté. Nous démontons encore les tentes et allons de nouveau loger plus en avant. Encore de nouveaux prisonniers, ce qui fait plus d’un mille en 24 heures.

On nous apprend la prise d’ Herbécourt et d’Assevillers par nos troupes.

 

À midi, fort orage qui nous mouille un peu.

 

Le soir, la canonnade reprend avec fureur.

 

Vers 5 h, on nous apprend que nous partirons très probablement cette nuit. Enfin, nous allons donc les voir à notre tour.

 

À 9 heures, départ. Ça ne va pas sans quelques embarras car les zouaves ont fait une dernière provision de pinard. Ils n’ont pas craint de l’aller chercher à plusieurs km au loin.

Mercredi 5 juillet 1916

Nous avons voyagé toute la nuit, traversé les lignes, piétiné sur place car les routes sont très encombrées par les convois. Nous traversons Dompierre, Becquincourt, Assevillers. Il ne reste plus rien de ces villages sinon des ruines.

Le long de la route, on rencontre des blessés qui nous disent qu’on a fait du bon travail.

Enfin, à la pointe du jour, nous trouvons le 21e colonial au nord-est d’Assevillers que nous relevons et nous logeons dans des tranchées boches.

 

À la pointe du jour, on est enfin casés ! On va visiter les alentours. C’est effrayant ce que l’ennemi a laissé sur place : armes, munitions, linge, chaussures... Les pertes ennemies sont beaucoup plus élevées que les nôtres.

Les boches ne nous bombardent guère.

On passe la journée à se creuser un petit abri pour passer la nuit.

 

À la tombée du jour, nous sommes ravitaillés par les cuisines qui viennent à 5 ou 600 mètres de nos emplacements.

Jeudi 6 juillet 1916

J’ai pas mal dormi malgré la très vive canonnade qui a eu lieu toute la nuit. Je passe la matinée à nettoyer deux fusils boches que je remets en état. Je fais également un tour au village. Plus rien n’est debout, seul un pan de mur de l’église. Il y a énormément de munitions, passablement de mitrailleuses dont une russe.

Puis nous allons travailler un moment à un boyau car il faut tout prévoir, même un retour offensif de l’ennemi. Un groupe de brancardiers ramasse et enterre les morts.

 

Vers midi, les boches lancent des obus incendiaires sur un village que la légion a pris hier et réussissent à y mettre le feu.

 

L’après-midi, repos. Vive fusillade à notre droite.

Ici, c’est un peu plus calme. Nous ne pouvons plus avancer. Il faut que les ailes gagnent du terrain sans quoi nous risquerions d’être tournés.

 

Le 8e Zouaves perd une trentaine d’hommes durant cette journée, tués, blessés et disparus.

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Carte du secteur (JMO du 8e RZ, source SGA). Dommage que Marceau ne donne pas de noms de tranchées…

Cliquer sur la carte pour agrandir

Vendredi 7 juillet 1916

La nuit a été assez mouvementée car les boches ont déclenché une contre-attaque qui n’a d’ailleurs pas réussi. L’artillerie a immédiatement déclenché un violent feu de barrage qui a mis tout le monde sur pied.

Nous avons travaillé jusque 2 h du matin.

 

Au cours de la nuit, je suis allé chercher des outils au village. Les boches le bombardaient, un cheval touché à mort tombe sur moi et manque de me casser une jambe. Une batterie d’artillerie vient s’installer derrière nous. On dit que les tirailleurs et un bataillon de zouaves attaquent demain matin ou ce soir.

Temps brumeux et il tombe de l’eau toute la journée. Les boches bombardent violemment le patelin avec des obus de très gros calibre.

 

Le 8e Zouaves perd une vingtaine d’hommes durant cette journée, tués, blessés et disparus.

Samedi 8 juillet 1916

Nuit mémorable dont je me souviendrai. Il a plu à torrent toute la nuit. Rien pour se couvrir, pas d’abri. Aussi, on se lève le matin complètement noyés.

Avec ça, impossible de dormir.

Vers 3 h du matin, nous partons et nous nous portons en avant en vue d’une action offensive.

Au cours de la journée, on nous conduit au milieu d’un champ de blé et on nous met en tirailleurs.

Étant vu de l’ennemi, il est impossible de s’abriter contre la pluie. Faisant bon cœur à mauvaise fortune, on s’étend par terre et on attend sous l’avalanche d’eau. Le bombardement est terrible. Les boches répondent mollement, leur tir est mauvais.

 

Le soir, je suis de corvée de soupe.

Les cuisines ayant changé d’emplacement, nous les cherchons une partie de la nuit et n’arrivons que vers une heure du matin, bien fatigués. Après avoir mangé, je prends le poste d’observation en 2e ligne à 800 mètres des boches.

Une remarque : ici, plusieurs villages sont tout ensemencés d’avoine, plus loin, c’est du blé par étendues d’au moins 100 hectares. Il est à croire que les boches ont forcé ses semis sans quoi il n’y aurait pas de si grandes étendues.

 

Le 8e Zouaves perd environ 120 hommes durant cette journée, tués, blessés et disparus.

Dimanche 9 juillet 1916

Nous n’avons pas pu dormir de la nuit, étant mouillés et ayant trop froid. Je suis toujours au poste d’observation d’où on voit très bien les lignes boches.

Le beau temps semble être revenu.

 

À 10 h, une formidable canonnade se déclenche, toutes nos pièces donnent, ça barde dur. Les boches répondent mollement. On nous fait replier et rejoindre notre unité. Je me doute bien que nous allons attaquer.

En effet, en arrivant à la compagnie, branle-bas de combat, des ordres brefs et aussitôt exécutés. Et en avant, marche, nous montons en ligne. La canonnade nous rend sourd. Les premiers blessés par la riposte ennemie défilent. Mais la canonnade cesse et la fusillade se déclenche.

 

Au bout d’une demi-heure, nous apprenons que le village de Barleux est entre nos mains. Mais à notre droite, l’ennemi était fortement organisé. Sous la canonnade, l’ennemi s’est porté en avant et n’est pas démoli. Il se replie dans ses tranchées et nous fusille à bout portant tandis que des mitrailleuses ennemies nous prennent de flanquement. Un bataillon est démoli.

On signale la prise et la perte de Barleux.

À notre gauche, l’ennemi nous aurait fait des prisonniers.

Enfin, la nuit vient et aussi l’accalmie. On mange la soupe et on va relever ce qui reste du 4e bataillon.

 

Le 8e Zouaves perd environ 540 hommes durant cette journée, tués, blessés et disparus.

Lundi 10 juillet 1916

On nous a mis dans un tout petit élément de tranchée que nous devons agrandir et installer au cours de la nuit. Le temps est meilleur.

Les boches nous abattent un avion, on leur descend 2 saucisses. Nous sommes à 200 mètres des boches et je vais prendre le petit poste à 60 mètres en avant mais on ne voit rien car nous sommes dans les récoltes.

 

À midi, violent bombardement.

 

À 1 h, nous apprenons que nous allons attaquer.

 

À 1 h ½, 2 h, 3 h, l’ordre n’arrive pas.

À notre droite, la fusillade crépite ; enfin, on nous apprend qu’une compagnie du 2e bataillon est sortie et a eu des pertes énormes, prise par une mitrailleuse du village de Barleux.

Nous ne sortirons donc pas, on va reprendre l’attaque au pied.

Le bombardement reprend, extrêmement violent, le reste de la journée ce qui nous amène une violente riposte des boches. Nous avons un homme de tué dans la tranchée par une marmite. Je prends le petit poste à 6 h jusque minuit, mais ce n’est plus le même poste qu’à Attiche, car ici, il se compose simplement d’un caporal, de 4 hommes qui se couchent dans un trou d’abri en avant de la tranchée.

 

Le 8e Zouaves perd environ 120 hommes durant cette journée, tués, blessés et disparus.

Mardi 11 juillet 1916

Nous avons travaillé tout le reste de la nuit à l’aménagement de notre tranchée.

Ce qui n’était hier qu’un petit trou est aujourd’hui un petit élément de tranchée.

 

Au jour, les boches déclenchent une violente fusillade et un feu de barrage. On sent qu’ils sont inquiets et qu’ils craignent encore une action offensive de notre part. Ni l’infanterie, ni l’artillerie ne répondent : à quoi bon !

Ce serait des munitions gaspillées.

 

Au bout d’une heure, ils se calment. Distribution d’eau de vie et puis on va se coucher.

Au cours de la journée, la canonnade reprend à plusieurs reprises, très violente ; mais pas d’action d’infanterie. D’ailleurs, on nous dit que le régiment a cruellement souffert hier et avant-hier. On parle que nous serons relevés cette nuit ou la nuit prochaine.

J’apprends également que l’ennemi occupe devant nous une tranchée faite depuis un an. Cette tranchée au milieu des blés est invisible.

 

Le soir, je dois aller en patrouille chercher une pancarte boche.

 

Le 8e Zouaves perd environ 40 hommes durant cette journée, tués, blessés et disparus.

Mercredi 12 juillet 1916

Nous avons encore travaillé toute la nuit à la confection, à l’achèvement des tranchées. On place aussi un léger réseau de fils de fer en avant. Journée très calme.

Dans le courant de l’après-midi, des officiers du 21e Colonial viennent visiter nos tranchées et nous apprennent que nous allons être relevés cette nuit.

Enfin ! Voilà onze longs jours où nous n’avons rien eu comme vêtement pour nous couvrir, ni comme linge pour nous changer. On ramasse des cartouches que nous avons en supplément ainsi que les fusées, les grenades, et tout le matériel d’attaque.

Nous allons donc quitter notre emplacement. Y reviendrons-nous ?

Personne ne le sait.

Tout le monde est content de retourner un peu en arrière mais on éprouve une certaine tristesse en pensant à nos pertes qui se chiffrent à 1152 hommes hors de combat. (*)

Pauvre 8e Zouaves, le voilà encore une fois hors de combat.

 

(*) : La liste des pertes s’étends sur 18 pages…

Jeudi 13 juillet 1916

La relève est venue à minuit, mais le violent bombardement des boches nous cause encore quelques pertes.

En partant à la pointe du jour, nous traversons Dompierre et nos anciennes premières lignes. C’est là qu’on peut se rendre compte de ce que peut faire notre artillerie. Dompierre n’est plus qu’un immense amas de ruines où rien, pas même les caves, ne subsiste.

Enfin, après avoir fait une vingtaine de km, nous arrivons au camp 58 où nous nous mettons en devoir de camper. Nous y avons d’ailleurs déjà logé.

La journée se passe à dormir et au commencement du nettoyage.

Vendredi 14 juillet 1916

Dès le réveil, on reprend le nettoyage : armes, vêtements, linge, chaussures, tout y passe.

Est-ce donc bien aujourd’hui la fête nationale ?

On sent sur le camp une sorte de mélancolie sans doute causée par la perte de nos camarades restés là-bas et aussi par la peine de passer notre grande fête nationale sous une tente loin de tout pays. Mais les zouaves ont cependant tenus à montrer qu’ils pensaient à cette fête. Ils sont très propres, se sont lavés, débarbouillés et rasés ce qui pourtant n’est pas commode ici.

Et puis avec des bleuets, des coquelicots et d’autres fleurs blanches, ils ont confectionné d’énormes bouquets tricolores. Pas une tente qui n’a le sien. C’est peu, mais c’est joli quand même.

 

À midi, amélioration de l’ordinaire : potage, rôti, pommes sautées, jambon, salade, biscuits, confiture. 1 litre de vin par homme, 1 bouteille de champagne à 4, 1 litre d’eau de vie pour 12, 1 cigare chacun.

 

Le soir : rôti, petits pois, vin, café, eau de vie, confiture.

 

À 6 h, commence un concert organisé par un officier. Les meilleurs chanteurs passent sur les planches mais un taube vient nous interrompre en nous envoyant deux bombes qui ne blessent personne.

 

À 10 h, nouvelle interruption, le clairon sonne au rappel. On nous apprend que nous partons demain de très bonne heure, direction Longueau, distance 25 km. On vide encore un bidon, ce qui nous conduit à 1 h du matin et l’on se couche. Le 14 juillet est passé.

Samedi 15 juillet 1916

Réveil : 3 h du matin ; départ : 4 h, ce qui ne va pas sans beaucoup de mal, les zouaves ont bu pas mal de vin hier.

Aussi les uns ne veulent pas s’éveiller, d’autres ont mal aux cheveux, d’autres encore sont complètement saouls.

Bref, on se met en marche avec de très nombreux traînards. Nous traversons Warfusée qui est occupé par le 123e, Villers-Bretonneux où est le 97e.

Sur la route, nous croisons le 72e. Tous des régiments du Nord. Ils nous regardent avec une sorte d’admiration, ils savent déjà que nous venons d’être éprouvés.

 

Enfin, après 22 km sous un soleil très brûlant, nous arrivons à 6 km de Longueau, 10 km d’Amiens. On nous conduit dans un bois où nous campons de nouveau.

Dimanche 16 juillet 1916

Le matin, revue d’armes, de vivres, de munitions, de masques contre les gaz pour voir ce qui nous manque.

 

L’après-midi, on dit que les officiers reçoivent la permission d’aller à Amiens se promener. Ce sera donc un peu permission pour nous puisque personne ne sera là. Nous en profitons pour courir les bois, armés de pelles et de pioches pour déterrer les lapins, et nous poussons même une pointe jusqu’au village voisin distant de 3 km d’où nous rapportons du vin.

Belle journée.

Plusieurs régiments de cavalerie passent sur la route près de nous et partent vers l’avant. Le bruit court que nous embarquerons dans la journée de demain à Longueau pour une destination inconnue. On parle de Berck, de Senlis, de l’Alsace, mais personne ne sait rien de bien exact.

Lundi 17 juillet 1916

Réveil à 5 h. On monte les sacs.

Il a plu toute la nuit, de sorte que les toiles de tente sont mouillées et très lourdes.

 

Départ à 6 h ½. Nous allons à Longueau, 7 km, où nous arrivons à 8 h ½.

La pause, la grande halte : on mange de la salade de pomme de terre excellente et nous embarquons en gare de Longueau.

Nous quittons la gare à midi, passons à Montdidier et arrivons après deux heures de chemin de fer à Estrées-St Denis où nous débarquons. Il fait une chaleur épouvantable. Encore deux km à faire à pied et nous arrivons à Moyvillers où nous cantonnons.

Nous sommes dans une vieille maison mais pleine de poux et de vieille paille. Heureusement que je dégotte un petit coin où l’on est assez bien.

Mardi 18 juillet 1916

9 h quand je m’éveille et encore parce qu’on m’apporte des lettres. Je reçois une lettre de Malvina qui m’inquiète. Elle me parle de Julia que papa a trouvée bien changée.

Temps sombre, revue de vivres de réserve car beaucoup les ont mangées. Revue de cantonnement aussi par le capitaine. Nous voilà donc de nouveau sortis de cette fournaise et revenus à la civilisation. On trouve ici tout ce que l’on veut : vin à 1 F le litre et le reste pas trop cher non plus.

 

Le soir, je reçois 3 lettres de la maison qui sont les bienvenues. J’apprends donc avec déplaisir que Julia est au plus mal, mon inquiétude est confirmée, je m’en doutais un peu.

Mercredi 19 juillet 1916

Beau temps, mais pas trop chaud. Nous nettoyons notre cantonnement à fond car nous couchons sur le fumier.

Revue de vivres de réserve par le capitaine qui inflige 4 jours de prison à tous ceux qui ont mangé leur chocolat de réserve. 40 punis à la compagnie ; heureusement, je ne suis pas du nombre.

 

Le soir, ballade dans le pays.

De toute la journée, revue de linge, d’armes, de chaussures, etc.

Jeudi 20 juillet 1916

Repos encore et travaux de propreté. Nous allons laver. Je reçois des nouvelles de Cléty qui sont de plus en plus mauvaises au sujet de Julia.

À midi, on nous emmène aux douches à Estrées-St Denis.

Au retour, je m’aperçois avec stupéfaction que je n’ai plus ma montre. Je me rappelle l’avoir enlevée du poignet et déposée dans le gousset du pantalon au moment de me mettre sous la douche. Immédiatement, je retourne sur les lieux. J’interroge les hommes de service : rien.

Avec surprise, on apprend bientôt qu’une deuxième montre est disparue au cours des douches. À n’en pas douter, c’est un vol, surtout que nous étions côte à côte.

Je cours de côté et d’autre toute la journée sans résultat.

Vendredi 21 juillet 1916

Cafard terrible, mauvaises nouvelles de Cléty et pas de nouvelles de ma montre. Je dépose une plainte au PC.

Une note passe au rapport priant le trouveur de la rapporter. Rien, toujours rien. Cette fois, plus d’espoir. Je n’en ai d’ailleurs jamais eu car elle n’a pas été perdue mais volée. Certainement que le voleur ne va pas la rapporter.

On dit que nous partons demain ou après-demain.

Nous allons reprendre les tranchées dans la région de Roye dans un secteur très calme où nous recevrons des renforts pour nous reformer.

 

Le soir, distribution de linge de corps, de savon, de graisse, mais tout cela ne me rend pas ma montre.

Samedi 22 juillet 1916

Belle journée et encore repos. Nous recevons du renfort de la 8e compagnie qui est dissoute et qui devient compagnie de dépôt. Je reçois un homme à mon escouade.

On dit que notre départ est remis pour quelques jours. Nous voyons défiler plusieurs convois de prisonniers allemands sur la voie ferrée qui longe notre cantonnement. Des zouaves sont mis à la disposition de l’habitant moyennant la somme de 1 F par jour plus l’habitat.

À mon grand regret, je ne puis faire comme eux, les gradés doivent rester là.

Dimanche 23 juillet 1916

Je suis de jour à la compagnie, ce qui me donne pas mal de turbin. Les punis, assez nombreux, me donnent du travail.

 

L’après-midi, je dois les accompagner au lavoir, tandis que les camarades vont se promener de côté et d’autre. Enfin, c’est la vie militaire !

 

Le soir, une nouvelle compagnie de chanteurs fait ses débuts. Quelques amateurs de la 2e compagnie de mitrailleuses réunis par le sergent Deroo nous donnent un joli concert auquel assistent de nombreux Moyvillois. On commence à voir çà et là quelques fourragères aux officiers et sous-officiers, mais pas encore aux hommes.

 

Le soir, on nous apprend que nous avons revue par le général Codet (*) et remises de décorations, particulièrement de la Légion d’honneur. Le 2e bataillon a le drapeau. Nous devons le prendre au colonel à 5 h 20, par conséquent, nous partirons de bonne heure.

Meilleures nouvelles de Julia, ce qui fait plaisir.

 

(*) : Le général CODET commande la division marocaine. Il doit remettre la légion d’honneur à 2 commandants et un capitaine.

Lundi 24 juillet 1916

Réveil à 3 h 45, départ à 4 h 30. Notre bataillon a le drapeau, et notre compagnie en a la garde. Nous le prenons, en passant, chez le colonel à Estrées-St Denis. Nous allons passer la revue dans une grande jachère à 5 km d’Estrées. La division fait pitié, quelques hommes groupés autour d’un chef, voilà ce qu’il y a, où il y avait autrefois une section.

Quoi de plus frappant !

Avant la revue, pause obligatoire, on attend le général.

 

Ordinairement, on profitait de cette pause, et aussi de ce que le régiment était tout rassemblé, pour aller serrer la main des amis des autres bataillons.

Mais personne ne reste ! Plus une figure connue du 110, tous sont restés là-bas !

Où est donc le jour où nous faisions si joyeusement le voyage Sarlat-Lyon.

 

À 8 h, le général arrive et passe devant nous au grand trot.

Puis ont lieu les remises de décorations : Légion d’Honneur, Médaille Militaire, Croix de Guerre.

Après un défilé peu enthousiaste, car chacun en voyant les divisions aussi réduites, pense aux absents, nous défilons dans Estrées et rentrons à Moyvillers à midi.

 

Le soir, distribution d’effets et repos.

Mardi 25 juillet 1916

Le beau temps continue quoique le ciel soit plutôt nuageux. On nous remplace les vivres de réserve qui sont, pour la plupart en mauvais état, ayant été mouillés pendant l’attaque.

Le 4e bataillon est dissous, la majorité des hommes vont au 1e bataillon, quelques-uns seulement au 2e. (*)

Chez nous, nous recevons un tout jeune aspirant. Nos cadres sont donc à présent complets et plus que complets, il ne manque plus que des hommes.

 

Le soir, avec quelques camarades, nous allons passer la journée à Arsy, petit village à 3 km où il n’y a aucune troupe.

 

(*) : Cette réorganisation a pour but la constitution de bataillon à 3 compagnies et une compagnie de mitrailleuses.

 

Mercredi 26 juillet 1916

Réveil à 5h30 le matin, à 6 h 30 : rassemblement.

À l’exercice, nous allons à 7 ou 800 mètres du village et nous faisons l’exercice sur la route : escrime à la baïonnette, école de section.

Nous rentrons à 8 h 30. Pour le matin, en somme, ce n’est pas trop tôt.

 

L’après-midi, de nouveau, à l’exercice, de 3 h à 4 h, jeux.

Beau temps.

Jeudi 27 juillet 1916

Nous recevons des hommes venant de la 8e compagnie qui devient compagnie de dépôt, ce qui remonte un peu l’effectif mais aussi ça sent le départ.

Le matin, école de compagnie, théorie pratique sur le lancement des grenades.

Je profite de notre repos à midi pour laver mon pantalon qui en a le plus grand besoin.

 

Le soir, théorie pratique sur le fusil mitrailleur. Beau temps, et le soir nous allons encore faire une ballade à Arsy.

Vendredi 28 juillet 1916

Réveil : 5 h. Coup de théâtre, préparation au départ, revue en tenue de départ par le nouveau lieutenant commandant la section.

Nous partons à midi, il fait une chaleur étouffante. Voilà donc encore un patelin où nous sommes passés et où nous ne retournerons sans doute jamais. Nous le quittons avec regrets car nous y étions très bien.

Nous avons 25 km à faire ce qui n’est pas rigolo par cette chaleur. Nous traversons Estrées-St Denis, où nous prenons notre drapeau, mais aussitôt traversé le bourg, on se sent déjà fatigué. La chemise est déjà toute trempée de sueur et le sac est diablement lourd.

Nous traversons Gournay, puis Ressons-sur-Matz. Beaucoup d’hommes tombent. La poussière et la chaleur nous mettent à bout.

Après la traversée de Ressons, 4 hommes à mon escouade restent en arrière.

 

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Extrait du JMO

 

Enfin, nous voici à Laberlière. Il paraît que c’est ici que nous cantonnons. Heureusement, je n’en peux plus, et les hommes non plus ; un tiers environ sont restés en route. Nous devons cantonner dans un baraquement en dehors du village et il faut encore faire 2 km pour trouver un baraquement. Nous sommes en plein bois. Immédiatement, je me couche. Capote, pantalon, chemise, tout est noyé de sueur. Jamais, je n’ai fait une marche aussi dure. Les derniers traînards arrivent à 9 heures du soir.

Le Capitaine qui se rend compte de l’effort que nous avons du faire nous fait donner des sardines en supplément de l’ordinaire.

Samedi 29 juillet 1916

Je me réveille à 6 h, bois le café et me recouche.

J’ai l’intention de dormir jusqu'à la soupe. Mais je comptais sans le service.

 

À 8 h, on m’éveille et on m’apprend qu’il y a revue de vivres de réserve et du renfort venant du 1e bataillon. On m’affecte deux nouveaux hommes dont un dunkerquois, ce qui met mon escouade à 11 hommes.

Après la soupe, nous descendons au village où nous cassons une bonne croûte avec des colis reçus, le tout arrosé de pinard. On monte cette nuit, mais on ne s’en fait pas quand même. À quoi bon d’ailleurs ?

Nous allons paraît-il relever le 6e Colonial en première ligne. Le départ aura lieu vers les minuit, mais je me couche quand même en attendant.

Dimanche 30 juillet 1916

Départ à minuit.

Très peu de zouaves se sont couchés et ils ont bu toute la nuit. Plus de la moitié sont pompettes.

Enfin, le départ s’effectue cahin-caha. Nous traversons Roye-sur-Matz avant de pénétrer dans les boyaux. On nous rassemble, les gradés, et on nous indique nos emplacements. Ma section est en réserve, mais comme la place manque, je devrais me mettre avec mon escouade en première ligne.

On arrive, je monte en première ligne avec la section avec laquelle je dois être. Mais un gradé peu bienveillant m’apprend que ce n’est pas là que je dois être. Alors je cherche un moment sans rien trouver, sachant par expérience qu’il est inutile de chercher la nuit dans un secteur qu’on ne connaît pas.

Je prend le parti de me coucher avec mes hommes dans le boyau, mais un agent de liaison s’amène et nous indique. On se couche jusqu’au jour.

Nous sommes dans une espèce de trou où on peut être 3. Il n’y a presque pas de cagnas. Ce sont les coloniaux qui ont commencé à en faire.

Les tranchées de première ligne sont assez bien.

Lundi 31 juillet 1916

On se réveille tranquillement au grand jour. Pas un coup de canon, pas un coup de fusil. Nous sommes logés dans un simple trou sur lequel il n’y a pas 30 cm de terre. Nous sommes environ à 600 m des boches. Ils se trouvent un peu plus bas que nous, de sorte que l’on voit très bien leurs tranchées.

Les tranchées sont peu profondes car il n’y a que 30 à 40 cm de terre, après c’est de l’argile blanche très grasse de sorte que lorsqu’on creuse à 1 m, on arrive tout de suite à l’eau. Ma section est en réserve en 2e ligne, mais comme la place manque pour nous loger, je suis en première ligne avec mon escouade. Mais nous ne prenons aucune garde, nous travaillerons demain à des travaux en cours.

Hier, j’étais légèrement indisposé, aujourd’hui je souffre terriblement du ventre. Je suis obligé de rester toute la journée couché, impossible de marcher. C’est une douleur régulière qui n’a rien de commun avec les coliques.

Août 1916

Mardi 1er août 1916

Nous avons travaillé de nouveau cette nuit de 10 h à 4 h.

Ce matin, nous travaillons dans une tranchée nouvelle commencée par les coloniaux, nos prédécesseurs. Le travail est particulièrement dur car malgré la chaleur et la sécheresse, quand on est descendu de 30 centimètres, la terre colle aux outils comme de la poix.

La nuit, c’est assez animé ; la fusillade est assez violente ce qui dénote de la nervosité chez l’ennemi. L’eau n’est pas loin, nous avons un puits à 5 ou 600 m. Des premières lignes, la route qui va à Lassigny traverse nos tranchées et s’en va vers l’ennemi entre les deux lignes, et allant parallèlement passe la voie de Lassigny à Estrées-St Denis. Nous avons donc toutes les commodités. Malheureusement, elles sont inutilisables.

L’ennemi occupe devant nous un petit bois. Il paraît que le 1e Zouaves a pris ce bois 7 fois et l’a reperdu 7 fois.

Mercredi 2 août 1916

Nous travaillons encore toute la nuit.

À 1 m 20 de profondeur, l’eau vient dans notre tranchée et nous sommes obligés de nous arrêter. Toujours la même chaleur torride. Ca commence à sentir mauvais.

Les WC, les débris d’aliments que l’on jette, tout cela répand une odeur nauséabonde. Le capitaine commandant la compagnie nous achète du vin à titre remboursable et aussi chaque homme peut avoir un litre de vin moyennant la modique somme de 0,70 F.

Une équipe d’hommes du génie travaille à l’achèvement de plusieurs cagnas qui ont été commencées par les coloniaux et qui n’ont pas été achevées.

Jeudi 3 août 1916

Toute la nuit au travail encore, de sorte que le jour, l’on dort bien la plus grande partie du jour. Même travail au même endroit.

En plus, en arrivant et avant de partir, nous faisons une corvée de planches pour aménager le fond de la tranchée. Même chaleur aussi.

L’appétit commence à manquer. On ne peut rien manger de bon.

Une de nos patrouilles qui est sortie échange quelques coups de fusil avec une patrouille ennemie sans aucun résultat. Un canon revolver à air comprimé tire toute l’après-midi sur un abri de mitrailleuse que l’on voit très bien. À ce petit canon, il n’y a ni flamme, ni fumée, ni bruit au départ, ce qui le rend presque irrepérable.

 

Le soir, les boches répondent par quelques 77.

Vendredi 4 août 1916

Nous avons travaillé toute la nuit.

Grande activité de l’aviation, plusieurs escadrilles passent au-dessus de nos têtes et vont vers les lignes ennemies. Les projecteurs boches fouillent le ciel, mais ils ne les aperçoivent pas.

 

À 2 h, le travail est terminé et nous rentrons nous coucher. Au cours de la journée, le temps sombrit un peu et le vent monte ; il fait meilleur.

Enfin, aujourd’hui, ça va beaucoup mieux, je ne souffre plus car depuis 3 ou 4 jours, je souffrais terriblement du ventre. Journée très calme, pas un coup de canon, rien.

Samedi 5 août 1916

Toute la nuit, nous transportons des piquets et des fils de fer pour placer un réseau de fils de fer devant notre tranchée. Nouvelle balade de nos avions qui lancent des bombes sur les cantonnements ennemis. Peu à peu, nous voyons un grand incendie juste en face de nous. C’est sans doute nos avions qui ont mis le feu avec leurs bombes.

 

L’après-midi, nous allons dérouler les rouleaux de fils de fer pour aller les placer dans la nuit.

Le temps fraîchit un peu. Les boches lancent quelques obus qui ne font pas de dégâts. On place de nouvelles pièces de canon à air comprimé de petit calibre qui tirent toute la matinée sur le petit poste boche. Une patrouille sort et reste une grande partie de la nuit dehors mais rentre sans rien voir.

Dimanche 6 août 1916

Nous plantons des piquets et nous mettons des fils de fer jusqu'à 2 h du matin ce qui n’est guère rigolo la nuit.

Après la soupe du matin, nous quittons nos petits abris qui ne tiennent pas pour aller loger dans une cagna neuve, très bonne, où l’on est très bien. Le capitaine vient nous voir.

 

Le soir, nous travaillons de nouveau de 2 h à 5 h à la réfection d’un boyau qui est usagé et qui conduit à notre cagna. Les boches sont très calmes aujourd’hui. Pas un coup de canon, pas un coup de fusil.

Le soir, nous cassons la croûte avec un bidon de vin et un colis qu’un camarade a reçu et l’on ne s’en fait pas en attendant la paix qui, sans doute, viendra.

Lundi 7 août 1916

Nous travaillons la nuit dans le boyau qui conduit à notre cagna.

Le travail est très pénible. La terre colle fortement aux outils. En outre, à certains endroits, au lieu de la terre molle, le boyau est bouché avec des poutres, des caillebotis, du fil de fer, de sorte qu’on ne peut presque rien faire.

 

Le matin, le capitaine passe sur notre travail et trouve que nous n’avons guère travaillé. Pourtant, tous les hommes en ont jeté un coup. Belle journée, le temps continue à être chaud. Les mouches abondent et nous empêchent de dormir le jour. Les boches sont assez calmes.

Grande activité de l’aviation des deux côtés. Un secours pour les indigents a été versé au régiment et on en distribue une partie à ceux qui n’ont ni père ni mère ou dont les parents sont trop pauvres pour pouvoir leur envoyer quelque chose.

Mardi 8 août 1916

Le beau temps continue, il fait même très chaud.

Je reçois un colis qui me fait le plus grand plaisir car l’appétit manque à presque tous malgré la bonne volonté que mettent les cuisiniers à nous faire à manger à peu près. Quand on voit arriver la soupe, on en a assez. Nous continuons à travailler au boyau qui conduit à notre cagna.

Malgré la grande sécheresse, le travail est très pénible. Quand on est arrivé à 10 cm de profondeur, la terre colle aux outils comme de la poix. La compagnie reçoit un fût de vin à titre remboursable qui est vendu aux hommes dans le courant de la journée.

 

La nuit, la section de garde se place en embuscade en avant des fils de fer avec l’espoir de faire des prisonniers si une patrouille boche sort, mais ils rentrent à 1 heure du matin sans avoir rien vu.

Mercredi 9 août 1916

Belle journée marquée par un assez violent bombardement dans les lignes ennemies. Les boches ne répondent que faiblement. Mêmes travaux.

Le travail n’avançant pas, nous sommes obligés de fournir 12 heures de travail, 8 heures la nuit et 4 le jour. On nous communique une note sur la bataille de Verdun par rapport à certains obus que les boches envoient. Ces obus que l’on dénomme « obus toxiques » ne claquent guère plus qu’un coup de fusil. Ils sont plein d’un gaz mortel, incolore et non lacrymogène. Il paraît que ces obus ont fait pas mal de victimes à Verdun.

Des hommes qui paraissent très légèrement atteints au début sont morts subitement ensuite.

Jeudi 10 août 1916

Au réveil, stupéfaction générale, il pleut légèrement. Le capitaine vient nous voir et nous fait mettre au travail quand même. Mais cette terre si grasse, à la moindre pluie devient une boue gluante dans laquelle on s’empêtre et d’où on ne peut rien décoller. On se crotte comme des barbets et on se fatigue.

Enfin, à la soupe, on reçoit l’ordre de rendre les outils et on suspend les travaux car nous seront relevés dans le courant de la nuit.

Nous irons, paraît-il, passer 12 jours à l’arrière, mais on ne sait pas encore où au juste.

Vendredi 11 août 1916

À minuit, la relève arrive ; c’est vite fait, car il n’y a pas de consignes à se passer. Les boyaux sont pleins de boue glissante et on ne tient pas debout dedans avec le sac. Aussi, nous sortons en terrain découvert et allons rejoindre le point de rassemblement de la compagnie.

Nous partons, nous traversons Roye-sur-Matz, village assez grand à 2 km des lignes où la compagnie de mitrailleuses et une compagnie du bataillon restent. Nous, nous allons cantonner à 2 km d’ici, le long des voies de chemin de fer, dans des abris caverne qui sont bien installés. Mais pour trouver quelque chose, nous allons devoir aller à Laberlière à 3 km car à Roye, il n’y a absolument rien.

 

L’ après-midi, en compagnie de camarades, nous allons au village.

Nous rentrons à 6 h. En arrivant, on me remet un télégramme m’apprenant la mort de Julia.

Je sollicite immédiatement une permission.

Samedi 12 août 1916

C’est donc aujourd’hui l’enterrement de Julia. Qui aurait cru cela lors de ma dernière permission.

Triste journée pour moi. Comme j’aurai voulu accompagner à sa dernière demeure celle qui fut si bonne pour moi. Mais le règlement est là, inflexible, pour tous les cas, il n’y a qu’à attendre.

 

À midi, mon titre de permission revient, il faut que je fasse moi-même une demande, ce que je fais immédiatement.

 

Le soir arrivent les permissions, la mienne n’y est pas. Peut-être est-elle arrivée trop tard ou est-elle refusée ?

Dimanche 13 août 1916

Mauvaise nuit.

Malgré tout, ma pensée se reporte encore à Cléty où il ne doit pas faire gai en ce moment. Et ma permission ne vient toujours pas.

Aujourd’hui, repos, travaux de propreté. Vu mon cas, on m’a accordé repos pendant 2 ou 3 jours. Les travaux se divisent comme suit : 20 hommes travaillent à la gare la nuit, au déchargement des wagons, 20 autres prennent la garde autour des batteries d’artillerie. Le reste monte toutes les nuits travailler en 2e lignes.

Le temps semble être remis, il fait très beau aujourd’hui. Cependant la journée paraît interminable.

Une nouvelle note paraît à propos de nouveaux obus toxiques boches.

On nous distribue la fourragère, tout le monde est content de l’avoir car tous se rendent compte qu’elle a été bien gagnée.

 

À dix heures du soir, on me prévient que je pars en permission le lendemain, aussi, je ne me couche pas.

Lundi 14 août 1916

Je pars des tranchées à 4 heures, je passe au PC à 5 h où l’on me remet ma permission.

Stupéfaction : 2 jours seulement !

 

Enfin, tant pis, 7 km et nous allons embarquer à Ressons-sur-Matz d’où nous partons à 8 h. Nous arrivons à Crépy à 10 h où nous devons attendre jusque 3 h 45.

Nous arrivons à Amiens à 16 h et à Calais à 3 h du matin.

Mardi 15 août 1916

Je dois attendre à Calais jusqu'à 7 h ½ du matin pour avoir un train.

Enfin, nous partons et nous arrivons à Remilly à 11 h.

Mercredi 16 et jeudi 17 août 1916

Permission

Vendredi 18 août 1916

Ca y est, c’est passé. Le train m’emporte de Remilly à 10 h le cœur serré car après un simple temps de 48 heures passés avec eux, il faut déjà les quitter et où allons-nous ? Au front, au danger, notre vie est toujours en suspens.

 

À 11 h ½, nous partons de Lumbres, nous arrivons à Hesdigneul. Jusque là, j’ai fait la route avec une femme très aimable qui va voir un de ses enfants au front.

 

Le soir, à 6 h ¾, nous arrivons à Amiens où je dois coucher, n’ayant de train que le lendemain. Je couche à la Croix-Rouge où nous avons un bon lit, à souper. Mais bon nombre de troupes franco-anglaises sont en gare et le bruit est infernal de sorte qu’on ne peut dormir.

Samedi 19 août 1916

À 5 h 45, après avoir pris un excellent café au lait à la Croix-Rouge, je pars d’Amiens.

Il pleut, ce qui n’est guère fait pour égayer l’esprit.

Nous arrivons à Compiègne après avoir changé de train à Estrées-St Denis, mais là on nous apprend que nous n’avons plus de train jusqu’au soir à 5 h 35. Alors le planton nous apprend qu’un endroit nous est affecté en ville où nous pourrons déposer nos bagages et nous reposer, nous promener en ville si nous voulons.

Accompagné par un homme de service, nous nous y rendons.

 

Là, on nous rentre dans une caserne. Nous cassons la croûte et nous nous présentons pour sortir. Nous restons verts quand on nous apprend que nous ne sortirons que ce soir à 5 h pour nous rendre à la gare. Immédiatement, je me mets en quête de l’officier de jour et lui adresse une réclamation ; finalement, il m’accorde la permission de sortie et nous nous rendons chez un marchand de vin où nous rentrons jusque 4 h.

Ensuite, nous réintégrons la caserne et nous reprenons nos bagages et le chemin de la gare profondément mortifiés d’avoir, nous, zouaves, été bouclés dans une caserne comme de vulgaires bleus.

 

Enfin, à 7 h ½, nous arrivons à Ressons. Encore 7 km à faire et ce ne sont pas les moins pénibles car je suis passablement chargé.

Enfin, j’arrive. Surprise des camarades en me voyant ! Personne ne croyait me revoir aussi vite mais les règlements sont là. Nous cassons la croûte avant de nous coucher et nous attrapons minuit.

Enfin, on se couche.

Dimanche 20 août 1916

Et me revoilà donc rentré.

Ces quarante-huit heures ont été bien vite passées, mais il faut bien prendre ce que l’on vous donne. J’ai trouvé toute la famille en bonne santé, ce qui est le principal. Cependant, ce matin, en me levant, j’ai un cafard terrible. Malgré tout, il faut bien y penser un peu.

La compagnie est toujours au même endroit. Le poulet fait un délicieux repas très goûté de tous les camarades, ce qui fait une amélioration délicieuse de l’ordinaire.

Pour bien, il faudrait aller en permission une fois par mois.

Ici, beau temps, mais pendant deux jours, il a fait de l’orage et le terrain est mouillé. Enfin, aujourd’hui quoique le temps étant sombre, il fait beau quand même.

Repos complet toute la journée.

Lundi 21 août 1916

Réveil à 1 h du matin, nous allons travailler en 2e ligne. Nous travaillons toute la nuit et nous rentrons à nos abris le matin à 8 h ½. Je profite de la journée pour aller laver mon linge car je n’ai pas eu le temps de me laver avant de partir.

 

Le soir à 6 h, prise d’armes. C’est plutôt pour nous empêcher d’aller au village voisin, car plusieurs ayant fait des bêtises, maintenant c’est défendu. Nous nous procurons quand même un peu de vin, et, avec les camarades, nous entamons sérieusement les provisions dont on m’a chargé avant de partir du pays.

Mardi 22 août 1916

Je suis de garde depuis hier soir à 6 h.

Le jour, mon service est simple, mais la nuit, c’est très compliqué ce qui ne me permet pas de dormir, car il faut que je fasse une relève toutes les deux heures. Enfin, à la pointe du jour, je puis me coucher à peu près tranquillement.

Dans la journée, après la soupe, il y a une soirée chantante à 2 km d’où nous cantonnons. 2 gradés et 6 hommes par section sont autorisés à s’y rendre.

Je laisse ma place à un autre.

 

Le matin, le temps est couvert, mais dans le jour, le soleil se lève et le beau temps revient, il fait même diablement chaud. Je suis relevé de garde le soir à 6 h, ensuite je vais faire mes derniers achats car nous montons en ligne cette nuit.

Mercredi 23 août 1916

Nous sommes partis hier soir à 10 h.

6 km à faire par un temps assez beau. Nous avons la chance qu’il fait assez beau et clair, nous arrivons aux tranchées à 11 h ½. Nous prenons immédiatement nos positions de combat car ma section est en première ligne. Immédiatement, je suis de quart jusque 3 h du matin à la pointe du jour.

On organise le service régulièrement : j’ai 5 heures de garde à prendre la nuit de 8 h à 1 h ou de 1 h à 6 h, le soir 4 heures seulement, mais les hommes n’en prennent que deux.

Les boches sont calmes. Ils tiraillent un peu la nuit. On les entend travailler à leurs fils de fer dans le courant de la nuit. Un combat de patrouilles s’engage presque devant le secteur de ma compagnie.

 

Au jour, nous apprenons qu’il n’y a pas eu de pertes.

Jeudi 24 août 1916

Belle journée.

Je dors une partie de la journée car depuis mon départ en permission, je n’ai pas encore fait une bonne nuit tranquille et puis le cafard sévit un peu. Tout y contribue d’ailleurs, mais ça finira bien par passer. Je reçois des nouvelles de Cléty qui font le plus grand plaisir.

 

La nuit, la moitié des sentinelles sont supprimées et vont au travail pour renforcer le réseau de fils de fer barbelés qui se trouve en avant des premières lignes. Les boches nous entendent sans doute travailler car à plusieurs reprises, ils mettent leur mitrailleuse en action et nous entendons les balles siffler. Néanmoins, aucun de nous n’est blessé. Un coup de main va être tenté sous peu au bataillon.

Certains disent même que c’est pour cette nuit. Il s’agit d’enlever un petit poste boche et de faire des prisonniers. Il n’y aurait pas de bombardement. Ca se ferait à la grenade. Ce sera probablement fait par la 5e compagnie.

 

Grande activité de l’aviation de part et d’autre pendant toute la journée.

Vendredi 25 août 1916

Journée très chaude.

Mais vers le soir, le ciel se couvre de nuages et un orage éclate.

Il pleut juste assez, avant la nuit, ce qui ne fait pas du tout l’affaire des travailleurs et des hommes de garde. Pendant la nuit, la mitrailleuse repère une piste ennemie où doivent sans doute passer des corvées boches. À plusieurs reprises, la mitrailleuse crache la nuit sur cette piste, dans le but de surprendre ce qui pourrait passer.

 

Un énorme furoncle me pousse à la cuisse gauche, et il m’empêche de m’asseoir ou de me coucher sur le dos ce qui n’est pas agréable. Néanmoins, je prends mon service quand même.

Nous rentrons nous coucher, trempés et crottés car à la moindre pluie, la terre devient une boue très gluante.

Samedi 26 août 1916

À 2 h du matin, on entend une fusillade à notre gauche puis, presque aussitôt, nous voyons des fusées rouges que nous reconnaissons pour des françaises. Peu après, le 75 se met à cracher. Qu’y a-t-il ?

Nous n ‘en savons rien, sans doute les boches auront tenté un coup de main d’où demande de l’artillerie de notre part.

 

Le matin, il tombe encore un peu d’eau, puis ça se calme quoique le temps reste maussade. Je reprends le service à 5 h ½ et j’y reste jusqu'à midi, mais c’est pénible car ça ne va pas. Je suis singulièrement indisposé, une grande lassitude, des bourdonnements dans les oreilles, les jambes tremblent et ne peuvent même pas me porter. J’espère que ça ne durera pas, car être malade dans la tranchée, ce n’est pas gai.

C’est la première fois depuis que je suis aux tranchées que je suis aussi mal disposé.

Dimanche 27 août 1916

De service de minuit à 6 h du matin.

Il pleut une grande partie de la nuit, ce qui fait que ça n’est pas bien rigolo. Je ne tiens pas debout.

 

Le matin, je me présente à la visite. On me prend la température ; Je n’ai guère de fièvre : 37 4/10. Néanmoins, le major me met exempt de service pour aujourd’hui et me dit de retourner le lendemain à la visite, et d’aller prendre ma température le soir. Température qui monte à 38° 2.

 

Le soir, je me couche en rentrant et je dors d’un sommeil de plomb. On m’éveille à l’heure des repas, mais je ne puis manger, je souffre de la tête et de tous les membres. Une grande soif et aussi une grande lassitude.

Je dors d’un sommeil mouvementé toute la nuit.

 Lundi 28 août 1916

Toujours malade et ça ne va pas mieux, au contraire.

À la visite, le major me demande de rester beaucoup couché. Il me donne aussi deux pilules de quinine pour faire tomber la fièvre qui monte encore à 37° 8.

 

Ce matin, dans la journée, il pleut un peu, mais moi je dors. Je dors toujours et je bois énormément, mais je ne puis pas manger.

 

Dans l’après-midi, un avion français passe au-dessus des tranchées boches à très faible hauteur. On tremble pour lui, qu’il se fasse descendre, mais il est si bas que les boches n’osent pas le tirer à la mitrailleuse de peur de se faire repérer leur mitrailleuse. Il jette une quantité de papiers sur les tranchées boches.

C’est sans doute la proclamation annonçant l’entrée en scène de l’Italie et de la Roumanie. Ça doit leur faire une jolie surprise ; en effet les journaux de ce soir nous apprennent cette bonne nouvelle. Espérons que ça abrégera un peu la guerre.

 

Le soir, je retourne au poste de secours ? Toujours de la fièvre : 38° 4 ce soir.

Mardi 29 août 1916 : l’évacuation vers l’hôpital de Ressons

J’ai bien dormi toute la nuit et ce matin, je sens un léger mieux, mais je ne suis quand même pas guéri.

 

À 8 h, on m’éveille car une forte envie de dormir me tient toujours, et je vais à la visite. Le major me demande s’il y a longtemps que je suis au front, si je suis malade souvent.

Je lui dis : « jamais » et en effet, c’est la vérité.

Il me fait déshabiller complètement et me palpe et m’ausculte longuement.

Enfin, il me dit :

 

« Tu vas te reposer quelques jours, habille toi »

Et il réclame du papier et de l’encre.

Il demande mon nom, classe, recrutement, et finalement me remet un billet et me dit :

« Tu iras monter ton sac et prendre l’auto sanitaire à Roye ».

 

Je le regarde étonné, je ne comprends pas ce qu’il veut me dire. Je suis donc évacué !

Je regarde ma fiche tandis que les infirmiers me serrent la main et me souhaitent « bonne chance ».

 

En route, je regarde ma fiche : évacué pour courbatures fébriles et tachycardie.

Ca y est, cette fois, c’est donc l’hôpital. Je passe au bureau où le sergent-major me règle mon prêt. Puis je vais voir le capitaine, il est tout étonné de la chose et me serre aussi cordialement la main.

J’arrive à la cagna. En voyant ma fiche, l’un d’eux crie :

 

« Le caporal est évacué ».

On accourt, on s’empresse, on me regarde. Personne ne me croyait aussi malade.

 

Tous pensaient que je voulais faire comme les autres, tirer au flanc quelques jours. En un tour de main, tout le monde ramasse mes affaires et monte mon sac. Je leur distribue ce qui m’est inutile.

L’un d’eux s’offre de me porter mon sac et j’accepte volontiers. Puis ce sont les adieux : poignées de main, « bonne chance », « veinard », « pas de bile »...

Ce n’est quand même pas sans un serrement de cœur que je quitte ces hommes que j’aime et qui m’aiment et avec qui je vis depuis 14 mois. Enfin, ça y est, aux cuisines, dernières poignées de main et nous voilà partis, mon porte-faix et moi.

Adieu la 6e compagnie, peut-être n’y reviendrai-je jamais.

 

Après une heure de marche, nous voilà à Roye. L’auto se fait attendre jusqu'à 12 h ½.

Enfin, la voilà, on monte dedans et nous voilà partis. Encore quelques arrêts de route et nous voilà arrivés à Ressons où nous allons à l’hôpital de campagne 36/2. On nous descend d’auto.

Au triage, le major nous examine. Mon tour vient :

 

« Ça ne va pas trop mal, mon ami ! »

« Non, Monsieur le major ».

 

On me conduit à la salle H8, lit 33 et me voilà installé. Sac, fusil, capote, casque, et tout l’inutile est laissé au magasin. Je me mets au lit avec bonheur. Le major vient nous voir à 5 h et me prescrit du lait, rien d’autre.

Mercredi 30 août 1916

Je m’éveille à 7 h. Comme on est bien dans ce lit bien blanc et comme j’ai bien dormi. Nous sommes dans un grand baraquement en planches où il y a 36 lits.

Chaque lit a une table de nuit où l’on peut déposer quelques menus objets. Le reste part au magasin ou à la désinfection. L’hôpital est composé d’une trentaine de baraquements en planches divisés en trois parties : salle de pansement, cuisine, salle d’opération. C’est bâti en plein champ, à 500 mètres environ de Ressons.

C’est très bien installé. Eau à volonté. Une voie de chemin de fer vient jusque dans l’hôpital pour l’embarquement des blessés se dirigeant vers l’intérieur.

 

Le matin, j’ai encore de la fièvre, le major m’examine très sérieusement et me dit :

 

« Repose-toi et reste couché ».

Rien à manger, sinon du lait à boire autant comme t’en veut !

 

L’après-midi, un formidable orage éclate qui dure jusqu'à la nuit et même une partie de la nuit.

Jeudi 31 août 1916

Je m’éveille à 7 h.

J’ai très bien dormi. Comme on est bien dans ce lit bien blanc. On vous sert tout ce que voulez dans votre lit. Le major revint le matin. La fièvre est toujours la même.

Même régime qu’hier, mais déjà le lait me répugne.

 

Vers midi, j’essaie de me lever ce qui ne réussit pas mal. Tout à coup, des cris dehors. Je sors voir.

Un avion boche vient d’atterrir brusquement à 400 mètres de l’hôpital. Tout le monde court voir. Je suis le mouvement et me voilà parti.

C’est en effet un superbe Fokker qui n’a absolument rien. Il a deux mitrailleuses et encore trois bombes. On peut l’admirer de près et même le toucher. C’est un magnifique appareil.

Les deux officiers, après avoir essayé de fuir dans les bois, sont mis en joue et se rendent. Heureusement, car celui qui les a mis en joue est un brave garde-voie qui n’a pas de cartouches et qui venait d’enlever ses chaussures pour faire la sieste sous un arbre.

 

Le soir le major revient, la fièvre est un peu remontée. En rentrant de voir l’aéro, on nous prend nos noms à tous. On dit que nous n’aurons pas de permission pour avoir sorti de l’hôpital sans permission.

Ma foi, tant pis.

Septembre 1916 : Oise

Vendredi 1er septembre 1916

Réveil à 6 h ½.

Le temps est encore un peu couvert et le sol est très détrempé par la pluie d’hier, mais quand même le soleil se lève un peu et moi aussi. Une équipe de vieux territoriaux s’occupe à arranger le terrain libre entre les baraques en parterres plantés de plantes vertes.

 

Le matin, la fièvre tombe un peu ; il faut néanmoins continuer à boire du lait. Le major me dit de me reposer.

 

L’après-midi, la musique du 1e Étrangers vient donner un concert dans l’hôpital. Tous les hommes qui peuvent marcher y assistent. Puis le général de division vient remettre la médaille militaire à un zouave qui a eu un genou emporté par un obus.

 

Le soir, je me couche avec bonheur car je me sens bien fatigué. Plusieurs camarades partent en permission 7 jours demain matin. Est-ce que moi aussi j’aurai cette chance-là ?

Le caporal qui va en ville chaque soir se charge du ravitaillement de la salle.

Samedi 2 septembre 1916

Journée magnifique. Le soleil donne, ses rayons sont admirés de tous.

Le major, ce matin, me trouve sensiblement mieux. La courbature est presque guérie, c’est encore un peu le cœur qui est malade. Mais déjà les forces s’en vont et les couleurs aussi.

Enfin, espérons que ça reviendra bien un jour.

En outre, un énorme furoncle, ou plutôt un entrax, qui me faisais cruellement souffrir depuis plusieurs jours, vient de percer et je vais au pansement tous les jours à 2 h.

Là encore, on vous manipule avec les plus grands égards. Le pansement n’est pas facile à faire et je dois leur montrer la partie la plus sale de mon individu. Néanmoins, tous y mettent de la bonne volonté pour me panser proprement.

 

Toujours au lait, mais ça ne me gène pas trop car l’appétit ne vient pas, et pour rien au monde je ne pourrais manger. Le major nous passe une visite très sérieuse ; tous ceux qui sont un peu gravement atteints prennent le train pour aller à l’intérieur.

Cinq s’en vont dans ma salle ce qui fait de la place. Deux autres, guéris, s’en vont en permission.

Dimanche 3 septembre 1916

J’ai eu une nuit un peu agitée, je me suis réveillé un grand nombre de fois. En outre, j’ai fait des rêves extravagants. La fièvre est tombée tout à fait et le major me donne le droit de manger un peu, surtout peu me recommande-t-il. Mais il n’a rien à craindre car je n’ai aucun appétit.

Néanmoins, le matin, je prends un peu de bouillon, un peu de purée de pomme de terre, un peu de confiture. Ca me semble bon.

 

Le soir, je continue à manger du bouillon ce qui me change avec le lait. Néanmoins, je dois encore continuer à en prendre passablement. Quelle belle vie ici pour celui qui est en bonne santé.

Ces champs, ces bois, comme c’est beau !

Le temps est beau mais un peu sombre. Les gens continuent à rentrer leurs derniers blés et leurs premières avoines.

 

Dans le courant de l’après-midi, la musique du 4e Tirailleurs vient donner un concert à l’hôpital. Il séjourne près de chaque pavillon de sorte que tous, même ceux qui ne peuvent pas se lever, entendent.

Le général devait venir remettre la Légion d’honneur à un officier mais c’est en vain qu’il est attendu.

 

Le soir, je retourne au pansement et je m’aperçois avec stupeur que j’en ai 2 ou 3 autres qui poussent.

Lundi 4 septembre 1916

La nuit a été bonne et je m’éveille à 7 h du matin quand on vient m’apporter du café. Je ne me sens pas très bien ce matin, aussi je reste couché.

Le major me dit que ce sera un peu plus long que je ne le croyais tout d’abord, mais me prévient que ce n’est rien de grave. Enfin nous verrons.

Une quantité de furoncles naissent autour du premier ce qui me fait un peu souffrir.

Le temps est sombre et lourd, on sent qu’il va faire de l’orage.

 

Le matin, je ne puis encore presque rien manger.

 

Le soir je mange un peu de meilleur appétit. Il paraît que nous allons changer de salle et que nous ne serons plus aussi bien. Enfin, qui vivra verra.

Avec plaisir, je reçois un très volumineux courrier. Toutes mes lettres adressées à la compagnie m’arrivent enfin et aussi une lettre venant de Cléty directement. Je reçois 17 lettres, il y en a un peu de tous les côtés : de Cléty, des camarades de là-bas. En outre, une carte-lettre.

En déchirant la bande, je déchire la signature, impossible de savoir d’où elle vient. Elle porte le timbre de la poste de Dohem et ne porte pas, avec la date, le lieu d’expédition.

Mardi 5 septembre 1916

Je n’ai presque pas dormi cette nuit. Un orage terrible s’est abattu sur toute la région. Que je plains ceux qui sont dans la tranchée. Comme ils doivent être mouillés ce matin.

Je me sens un peu mieux qu’hier, le major trouve que j’ai meilleure mine ce matin.

 

Dans le courant de la journée, je suis examiné spécialement pour mes furoncles.

On me prescrit des bains de siège, ce qui semble me faire du bien. Je continue à manger un peu plus, mais pas, à loin près, comme avant. Ni œuf, ni viande, ne veulent rentrer.

Un poilu de ma compagnie vient me rejoindre. Il est évacué pour la grippe et m’apporte des nouvelles fraîches de la compagnie.

 

Le matin, il fait assez beau, mais dans le courant de l’après-midi, la pluie recommence à tomber à foison. Un train est formé pour l’intérieur. Le camarade de la salle part. Mais ils sont gravement malades. Une dame de Ressons passe dans les chambres et distribue des biscuits à tout le monde.

Un mort ici, il est blessé depuis assez longtemps. On le transporte à la salle d’opération pour le morceler avant de l’enterrer.

Mercredi 6 septembre 1916

Le soleil se lève avec le jour et donne toute la journée.

De mieux en mieux, je me sens tout gaillard aujourd’hui et j’en profite pour faire une bonne promenade et me rendre au cimetière.

 

L’après-midi, on nous fait évacuer notre salle. Nous allons habiter salle C12. C’est une salle neuve qui n’a pas encore été habitée. Malheureusement, nous changeons d’infirmiers et je me rends au pansement. On amène un malade sur un brancard, le malheureux est déjà dans le coma et ne tarde pas à expirer.

De suite, on l’emporte à la salle d’opération où on va le charcuter.

Jeudi 7 septembre 1916

Belle journée aujourd’hui.

Je me sens de mieux en mieux. Mes furoncles vont mieux. Je prends un bain de siège tous les jours.

Les vues ici sont beaucoup plus belles que dans notre ancienne salle. On voit les champs, la gare et la voie ferrée.

6 hommes de la salle partent en permission demain. À quand mon tour ?

Vendredi 8 septembre 1916

La canonnade a fait rage toute la nuit.

 

À 8 h du matin, le médecin-chef arrive en coup de vent dans la salle. Je suis le premier à la porte. Il me trouve bonne mine et me renvoie au corps. J’en suis désorienté. Sur 25 malades, il n’en reste que 4, les autres partent, les uns au corps, les autres en perme, les autres à l’intérieur.

Ça a été si vite fait que je n’ai même pas eu le temps de rien dire. Enfin, le major qui me soigne arrive, m’examine et me dit que je ne puis pas partir. Je reste donc ici à la salle C2.

Encore une fois changé de salle, mais ça ne fait rien, on y est quand même bien.

 

À midi, un train complet part pour les hôpitaux de l’intérieur.

Samedi 9 septembre 1916

Le matin, nous sommes réveillés par un bruyant tintamarre.

Une centaine de malades quittent l’hôpital et s’en vont les uns dans leurs corps, les autres dans leurs familles en permission.

 

Il fait un brouillard très épais ici ce matin.

Cependant, avec le midi, le soleil se montre et nous avons une belle journée. Je change de régime. J’ai maintenant deux œufs à la coque, 1 litre de lait, du bouillon et de la purée à chaque repas. Je suis aussi changer de major, mais celui-ci me fait aussi très bon effet. Il me regarde mes clous et me dit qu’il n’y a rien à faire sinon à attendre.

Les avions passent très nombreux au-dessus de nous et on entend au loin le bruit d’une violente lutte.

Dimanche 10 septembre 1916

Le matin, à la première heure, nous sommes éveillés par le bruit d’un train qui suit la ligne qui entre dans l’hôpital. On se lève tout étonnés et on voit que c’est un train de blessés qui nous arrivent.

Il peut y en avoir 250 à 300.

Le débarquement commence aussitôt et la répartition aussi. Ma salle est complète. Nous sommes 42 maintenant. Toute la journée, c’est un grand remue-ménage dans l’hôpital.

Les brancards roulent de tous côtés et conduisent les blessés au pansement car tous n’ont sur leurs blessures qu’un pansement sommaire fait en hâte sur le champ de bataille et certains ont besoin d’être opérés tout de suite.

 

L’après-midi, la musique des tirailleurs vient donner un concert dans l’hôpital.

Lundi 11 septembre 1916

Le matin, voilà de nouveau un train de blessés qui s’amène, mais ils sont un peu moins nombreux qu’hier, 200 environ. En général, ce sont des coloniaux, des nègres et des joyeux.

La même activité qu’hier dans tout l’hôpital.

 

À midi, un train d’évacuation est formé pour l’intérieur.

Tous ceux qui sont assez blessés pour n’être pas guéris en 15 jours, et qui peuvent supporter le voyage, sont envoyés à l’intérieur.

 

Belle journée aujourd’hui. Quant à moi, je vais mieux tous les jours. Mes furoncles me font un peu souffrir, mais ce n’est pas la même chose, et je compte bien m’en aller bientôt.

Toujours le même régime ce qui commence à me dégoûter à la fin.

Mardi 12 septembre 1916

Beau temps toute la journée et partout on voit des gens qui charrient leurs récoltes. Et dire que nous on est là, complètement inactifs.

Toute la nuit, on a entendu le canon d’une façon inconnue jusqu’ici.

 

Dans la matinée, arrive un nouveau train de blessés venant de devant Chaulnes et je rencontre presque des pays car une partie des blessés appartiennent au 233 et au 273e.

Quand à moi, je vais tous les jours de mieux en mieux, mais il me pousse plusieurs petits furoncles. Mais je crois cependant ne pas passer la semaine ici.

Le régime est toujours le même et ça commence à me dégoûter rudement.

Mercredi 13 septembre 1916

Beau temps, le soleil brille d’un éclat sans pareil, mais on commence à s’embêter salement ici.

Un nouveau train de blessés arrive mais ceux-ci sont sales car ils ont eu de la pluie et ils arrivent très crottés. Comme ça me rappelle bien les journées de Champagne et de la Somme.

Une grande nouvelle : une tournée d’artistes donne, ce soir, une représentation à l’hôpital.

 

En effet, à 6 h du soir, nous sommes invités à y assister.

Nous nous y rendons et nous passons un moment agréable : Manon et Rosalie, d’une pièce en un acte, attire pas mal d’applaudissements.

 

Enfin, la soirée se termine à 11 h du soir. Les comédiens se déclarent enchantés de leur excursion, mais je crois que nous sommes encore plus contents qu’eux.

Le canon tonne toujours avec fureur.

Jeudi 14 septembre 1916

Beau temps encore, mais le canon tonne rudement encore dans la direction de Chaulnes. Je me lève très tard car on est fatigué de s’être couché tard hier. J’avais l’intention de demander au major pour sortir demain mais ce n’est pas le même que d’habitude qui passe la visite aujourd’hui.

Alors je ne demande rien de peur que celui-ci ne me propose pas pour une permission.

 

Dans l’après-midi, nous avons le plaisir d’applaudir la musique de la Légion Étrangère qui vient donner un concert. Nous venons aussi voir la remise de décoration à 2 zouaves blessés très grièvement.

Vendredi 15 septembre 1916

Le matin, à la visite, je demande au major pour sortir et il me demande si je suis guéri et sur ma réponse affirmative, il me propose pour une permission de 7 jours. Je ne saurai si elle est acceptée que ce soir. Comme la journée paraît longue ! J’en profite pour aller chercher ma capote, mes musettes, mon bidon, et pour nettoyer le tout.

 

À 5 h, ce soir, les permissions ne sont pas encore venues. C’est étonnant, car ordinairement elles viennent plus tôt.

 

6 h, rien.

 

7 h, rien, toujours rien. Comme ça semble long ; au moins qu’on nous renseigne.

Du Samedi 16 au lundi 25 septembre 1916 : Permission

Permission.

Mardi 26 septembre 1916

Et voilà les 7 jours de convalescence passés.

Il faut donc partir pour aller rejoindre les camarades qui se battent là-bas.

Départ de Lumbres à 5 h 21. Je rencontre de suite des connaissances de Wizernes avec qui je fais route jusque Hesdigneul.

Là, nous avons deux heures d’arrêt. Nous en profitons pour souper dans un café voisin de la gare.

 

Enfin, le train de Paris arrive, mais il est bondé de monde. Nous parvenons enfin à nous installer, debout, dans un compartiment de deuxième classe en compagnie de fous belges que l’on conduit dans un camp aux environs de Paris. La compagnie n’a rien d’attrayant, d’autant plus qu’avant d’arriver à Amiens, un de ces malheureux a une crise de folie et veut frapper tout le monde.

 

À Amiens, je descends, quitte à manquer le train et finalement, je trouve place dans un autre wagon à ma plus grande satisfaction.

Mercredi 27 septembre 1916

Le voyage continue à s’accomplir cahin-caha car les voies sont très encombrées.

Enfin finalement, le jour arrive, un jour pluvieux, gris, qui vous fiche le cafard. Nous arrivons à Paris-nord à 6 h du matin.

 

Nous devons y poser 3 heures et j’en profite pour aller faire un tour dans Paris. Comme on voit ici que c’est la guerre. Très peu d’hommes sont employés dans les services publics. Ce sont presque tous des femmes.

 

Enfin, à 9 h ½, je reprends le train pour Le Bourget où j’arrive à 10 h ½ du matin.

Immédiatement un officier nous emmène et nous ramasse nos permissions, puis nous revenons au Commissaire militaire et on nous emmène dans une vaste usine.

Là on nous prend notre nom et on nous dit de nous faire habiller le plus vite possible, ce que je ne puis faire ce jour là car au moins 500 hommes attendent.

 

L’après-midi, en compagnie de deux camarades, nous sautons le mur et nous allons nous promener dans Le Bourget. Je n’ose aller à Paris car on nous a conservé nos permissions.

Nous rentrons par la même voie à 10 h du soir.

Jeudi 28 septembre 1916

J’ai bien dormi quand même, parmi les poux et les puces, car j’étais éreinté.

 

Le matin, à la première heure, je cours au magasin et je n’ai pas longtemps à attendre car je suis dans les premiers. On ne me donne ni pantalon, ni veste, ni capote car ils ne sont pas riches d’effets kakis.

Mais pour tout le reste, on nous donne tout ce que nous demandons.

Aussitôt, je monte mon sac et j’attends. Je pourrai attendre à demain pour partir, mais je préfère partir aujourd’hui car le séjour ici n’a rien d’attrayant.

 

Nous partons à 6 heures du soir et nous nous rendons au Bourget.

Triage. Là, on nous rend nos permissions et nous embarquons tous dans le même train, mais un wagon par direction. Nous mangeons et nous nous couchons, nous ne sommes que 3 dans mon wagon et en 2e classe encore !

Vendredi 29 septembre 1916 : Retour dans l’Oise

Nous dormons tranquillement dans nos wagons, mais à 1 h du matin, on vient nous éveiller pour nous faire prendre notre train. C’est une nouvelle ballade de 1 km dans la gare du Bourget dans un labyrinthe de voies tel qu’on se demande comment on fait pour s’y reconnaître.

Finalement, on trouve notre train et nous embarquons immédiatement. Je m’endors pour ne me réveiller qu’au grand jour à Compiègne.

 

Une demi-heure après, nous sommes à Ressons où nous débarquons. On nous accompagne à Cuvilly. Nous sommes 4 zouaves. On nous mène au bureau de la place où on nous envoie au bataillon de zouaves. Après avoir déambulé pendant 1 heure dans les rues, on finit par trouver.

 

Là, on nous affecte à la 8e compagnie, que nous rejoignons de suite.

Encore une demi-heure d’écriture avant d’être quitte. Moi, on m’affecte à la 13e escouade. La 1e section de la 6e compagnie est ici à l’entraînement pendant qu’une section de la 8e tient sa place aux tranchées. L’ordinaire s’annonce comme assez bon.

 

Le soir, on nous conduit coucher dans une grange où nous ne sommes que 3, chez des vieillards de 80 ans.

Samedi 30 septembre 1916

Le matin à 5 h ½, on vient me réveiller et on m’apprend que je suis de garde à la compagnie.

Déjà ! On ne perd pas de temps pour me mettre en route. On m’envoie de suite porter un pli à un lieutenant que je cherche pendant une heure avant de le trouver. Puis, ensuite, c’est la corvée de quartier : la moitié du village à balayer. Je demande une permission pour aller à la 6e demain dimanche, mais le chef m’envoie accompagner deux poilus aux tranchées et me dit d’aller à ma compagnie.

En cours de route, je trouve le moyen de me perdre et je fais 22 km quand je n’en avais que 10 à faire.

À la 6e, je retrouve mon escouade et tous les anciens camarades. Tous sont très heureux de me voir et voudraient me ravoir parmi eux, mais rien à faire pour le moment.

Nous repassons par Laberlière et nous buvons un verre ensemble, puis nous nous séparons.

Je rentre à Cuvilly bien fatigué à 6 h du soir. Le poulet que j’avais apporté et donné à un civil pour le faire chauffer est prêt. Je le mange en compagnie des trois hommes qui couchent avec moi, et on le trouve excellent.

Dimanche 1er octobre 1916

À 6 h, on vient me réveiller et on m’apprend que je suis de garde ; Déjà ! On voit que je suis nouveau ici. Comme les jours se suivent et ne se ressemblent pas.

En effet, il y a huit jours, j’étais en permission au milieu des miens et à cette heure, chez des amis. Et aujourd’hui, me voilà au régiment avec toute sa discipline.

Je suis chargé de la garde des punis. Je rassemble mes 4 hommes et l’adjudant me passe l’inspection, il ne trouve rien à dire. Pour un premier dimanche, c’est quand même triste d’être de garde. Enfin, on y va quand même, mais la journée me paraît interminable.

J’écris longuement un peu de côté et d’autre.

 

Enfin, le soir arrive.

Lundi 2 octobre 1916

J’ai été gelé toute la nuit car je couchais dans un endroit où il faisait très froid.

À 7 h, nous sommes relevés de garde, nous rentrons dans nos cantonnements. Nous n’allons pas à l’exercice, mais les hommes sont employés aux corvées de quartier.

 

L’après-midi, je demande au sergent-major du matériel pour arranger des lits dans notre cantonnement, chose qui est aussitôt accordée. Et nous voilà donc passés menuisiers.

À grands coups de scie et de marteau, nous arrangeons 4 lits avec comme sommier du treillage de fil de fer et, comme bâti, des piquets coupés dans le bois voisin.

 

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Mardi 3 octobre 1916

J’ai dormi cette nuit comme un loir. Ne couchant plus par terre, je n’ai pas eu froid comme les autres nuits et je m’éveille qu’il fait grand jour.

Aujourd’hui, je suis de jour à la compagnie. Mon service n’est pas trop chargé : corvée de quartier, manger aux punis, courrier, etc.

 

Le soir, pour comble, je suis de garde aux issues encore et toujours, ça devient barbant. Mon service de garde consiste à arrêter tous ceux qui passent après la nuit tombante. Une section de la 6e est descendue hier à l’entraînement pour huit jours et j’ai le plaisir d’y retrouver quelques bons camarades.

Pluie aujourd’hui toute la journée.

Mercredi 4 octobre 1916

La nuit, j’ai été de garde aux issues.

Après neuf heures du soir, la circulation civile est interdite et on doit reconnaître tous les militaires qui passent. Ensuite, il y a des rondes fréquemment, de sorte que je suis obligé de me lever 3 ou 4 fois pendant la nuit pour reconnaître ceux qui viennent pour passer. Aussi je fais une mauvaise nuit.

Heureusement que le matin, en arrivant au cantonnement, on m’apprend que j’ai repos toute la journée. Aussi, j’en profite pour dormir jusque la soupe.

 

L’après-midi, avec deux camarades, nous nous mettons à bêcher le jardin du vieux où nous cantonnons.

Jeudi 5 octobre 1916

Le matin, il pleut, de sorte que nous n’allons pas à l’exercice. Je suis chargé toute la matinée de surveiller la construction des lits.

 

L’après-midi, nous partons à l’exercice à 12 h 50.

Nous nous rendons au terrain de manœuvre qui est à 5 km de nos cantonnements. Mais comme il y a pas mal de gradés en surnombre, on nous emmène sous le commandement d’un sous-lieutenant sur une hauteur d’où nous voyons très bien tout le terrain. Là on nous fait dessiner le plan du terrain tranquillement, pendant que les poilus s’enfoncent les kilomètres.

Vendredi 6 octobre 1916

Date mémorable.

Il y a aujourd’hui un an, nous étions là bas dans la craie blanche de la Champagne, à la tranchée des tentes de si cruel souvenir pour les zouaves. Et où serons-nous dans un an ? Est-ce que ce sera fini au moins ?

Aujourd’hui, je suis de garde au poste de police. Pas grand chose à faire, mais il faut une tenue impeccable. Au rapport, on nous lit la décision du général Joffre apprenant que tous les poilus auront une permission de 7 jours tous les 4 mois.

Est-ce que ce sera vrai ?

Enfin, espérons-le.

 

Le matin, il fait beau, mais dans le courant de la journée, le temps se couvre et il pleut de nouveau. Un nouveau furoncle me pousse et me fait passablement souffrir. Ca ne finira donc jamais ?

Samedi 7 octobre 1916

Journée maussade.

Le matin, nous allons à l’exercice au polygone à 4 km de nos cantonnements, mais comme il y a des gradés en trop, je suis parmi ceux qui n’ont rien à faire. Nous rentrons pour la soupe.

 

Le matin, après la soupe, nous nous mettons à bêcher le jardin du vieillard chez qui nous logeons, mais à une heure, on vient nous dénicher pour nous emmener à la corvée de lavage. Nous avons beau dire que nous n’avons rien à laver- en effet, j’ai donné mon linge à une lessiveuse d’ici - mais on nous emmène quand même.

Nous allons laver à 4 km de nos cantonnements et nous rentrons juste à temps pour la soupe du soir.

Dimanche 8 octobre 1916

Dimanche et par conséquent repos.

Enfin, ce n’est pas trop tôt. J’en profite pour me mettre en grande tenue, car ici au moins on a l’agrément de pouvoir s’arranger un peu.

 

À partir de midi, le quartier est déconsigné et j’en profite pour aller visiter Cuvilly, mais je m’aperçois que c’est ni plus ni moins qu’un trou comme tant d’autres.

La 2e section de la 6e repart aux tranchées ce soir et la 3e section vient la remplacer. La semaine prochaine, ce sera la 4e section, la mienne.

 

Le soir, je suis de garde aux issues. Le service est très embêtant, car un dimanche soir, il passe beaucoup de monde et je suis obligé de me lever toutes les cinq minutes.

Lundi 9 octobre 1916

Le matin, à la première heure, on vient m’éveiller et on m’apprend que je fais partie de la nouvelle équipe de mitrailleurs et que je dois me rendre au terrain de manœuvre à 8 h. Je m’y rends avec les poilus qui sont désignés en me demandant ce que c’est encore que ce nouveau filon.

L’officier chargé de nous instruire nous apprend qu’il va nous apprendre à nous servir des 3 mitrailleuses françaises et de la boche. Comme il n’y a pas de pièces françaises, on commence par la boche.

 

Nous y retournons l’après-midi. On nous apprend le fonctionnement, le remontage et le démontage. Mais tout cela nous fait quand même 20 km dans les jambes et ce sera tous les jours comme ça.

 

Le soir, séance cinématographique gratuite.

Mardi 10 octobre 1916

Le matin, nous retournons à la mitrailleuse, mais cette fois nous apprenons la française St Etienne. Quelle différence comme mécanisme avec la boche.

Sans doute, c’est beaucoup plus compliqué, mais quelle différence de fonctionnement.

 

À midi, nous apprenons qu’une tournée d’artistes des théâtres parisiens vient donner plusieurs représentations. J’assiste à celle de l’après-midi. Acteurs excellents qui récoltent une foule d’applaudissements dans « la paix chez soi », « gamine », etc. La musique du 8e Zouaves vient jouer. Le hangar dans lequel la représentation est donnée est très bien décoré et ça a du coûter de l’argent.

Nous rentrons dans nos foyers contents de notre voyage mais à 9 h du soir.

Mercredi 11 octobre 1916

De nouveau à la mitrailleuse.

Ca paraît bien compliqué ce fameux moulin à café, mais je commence déjà à la démonter et à la remonter facilement et je crois que ça s’apprendra encore vite.

 

L’après-midi, nous sommes à la disposition de nos commandants de compagnie et on nous envoie de nouveau laver à 4 km de nos cantonnements.

 

Le soir, je retourne au théâtre, mais cette fois, je suis de service pour assurer l’ordre. La représentation est encore mieux que celle d’hier. Le parc est illuminé de tous côtés et la pièce d’eau est éclairée par un projecteur aux verres multicolores ce qui fait le plus bel effet.

La séance se termine au chant de la Marseillaise et on se dispose à sortir quand le général monte sur la scène, remercie les actrices et nous lit un télégramme qu’il vient de recevoir, apprenant que nous avons fait 1700 prisonniers dans la Somme. C’est en chantant « on les aura ! On les aura ! », que la salle se vide.

Jeudi 12 octobre 1916

Pas de mitrailleuse aujourd’hui car je suis de garde à la prison.

J’ai une vingtaine de prisonniers à garder. La plupart sont calmes, mais cependant j’en ai deux qui me donnent du travail. Ils sont enfermés dans une cellule et sont en prévention de conseil de guerre.

Journée sombre, on croirait qu’il va de nouveau tomber de l’eau. Avec plaisir, nous apprenons qu’en vertu de la note parue au grand quartier général, le pourcentage des permissionnaires est passé de 5 à 13%, de sorte que nous pourrions y aller tous les 4 mois environ.

Vendredi 13 octobre 1916

Encore un nouveau camarade qui arrive.

Je continue aujourd’hui l’instruction de la mitrailleuse. Nous apprenons la mise en batterie et le transport. Nous allons à l’exercice toute la journée, aussi nous rentrons bien fatigués surtout qu’il fait mauvais, nous avons de l’eau presque toute la journée.

Samedi 14 octobre 1916

Tir le matin.

Départ à 6 h 30. Nous arrivons au champ de tir à 8 h. Nous commençons nos tirs. 5 pièces françaises et 2 boches sont à notre disposition. Nous tirons d'abord sur cible, ensuite sur silhouette. Mes tirs sont excellents me déclare l’officier, surtout mon tir bloqué, je l’emporte de loin sur les camarades.

Nous quittons le champ de tir à 10 h et nous rentrons au cantonnement à 11 h ½ bien fatigués, et plus rien à manger. On n’a pas pensé à nous de sorte que nous devons nous serrer la ceinture d’un cran.

 

L’après-midi, corvée de lavage à 4 km de nos cantonnements.

Dimanche 15 octobre 1916

Il pleut presque toute la journée. Comme on ne m’avait pas désigné de garde hier, je croyais avoir mon dimanche libre. Macache ! Je pars le matin à la première heure prendre le planton à l’abreuvoir. Je suis là dans un endroit à peu près désert, le séjour n’a rien d’attrayant. On oublie même de m’apporter à manger.

 

Le soir, en rentrant, je trouve mon escouade qui est descendue des tranchées aujourd’hui même, c’est tout une fête !

Lundi 16 octobre 1916

Ce matin, nous devions aller au tir, mais c’est remis à cette après-midi, les cartouches ne sont pas prêtes. Le matin, théorie habituelle sur la mitrailleuse boche.

 

Après-midi : tir. Nous partons à midi. Nous nous servons à tour de rôle des 3 mitrailleuses : la St Etienne, l’Oskiss et la boche. Je fais des tirs excellents avec la première et la dernière. Nous rentrons à 5 h ½ bien fatigués car le champ de tir est très loin.

Journée magnifique, on se croirait encore au printemps.

Mardi 17 octobre 1916

Nuit très froide aujourd’hui, et il gèle un peu, mais dans l’après-midi, le temps se couvre et on croirait qu’il va pleuvoir.

Un de mes sergents du 110e avec qui je m’étais déjà rencontré, et que depuis j’avais perdu de vue, vient d’arriver ici.

 

Le matin, théorie à la mitrailleuse. Exercices de pointage et de mise en batterie, ce qui est un peu plus intéressant qu’à rabâcher la nomenclature des pièces.

Mercredi 18 octobre 1916

Ce matin, il pleut à verse et nous ne sortons pas. Nous nous mettons à nous confectionner des matelas avec du crin végétal qu’il faut que nous déroulions pour nous en servir.

 

Mais l’après-midi, nous allons à l’exercice car il fait beau et on nous fait une nouvelle théorie sur la mitrailleuse boche.

 

Le soir, nous rentrons à la soupe, nous sommes transis de froid.

Jeudi 19 octobre 1916

Ce matin, il pleut encore. Nous montons quand même au champ de manœuvre mais nous redescendons comme nous sommes venus car les mitrailleuses ne sont pas venues et on ne peut faire la théorie sans pièces.

 

L’après-midi, nous y retournons et nous manœuvrons. Nous apprenons la mise en batterie, changement de positions, etc.

Mais vers le soir, la pluie se met à nouveau de la partie et nous rentrons presque complètement mouillés.

 

Le soir, nous mangeons un superbe lapin que mon ancienne escouade de la 6e vient déguster avec nous.

Vendredi 20 octobre 1916

Le beau temps semble revenu quoique le ciel est encore un peu brumeux.

Le matin, nous avons le plaisir de voir arriver une énorme voiture de vêtements chauds pour nous.

Le matin, nous allons à l’exercice comme tous les jours mais l’après-midi, nous avons une manœuvre pour tout le dépôt.

C’est le nouveau système d’attaque : chaque vague comprenant un spécialiste quelconque et chaque spécialiste est habillé d’une façon spéciale, de sorte que, de loin, ça fait le plus bel effet, et on peut très bien suivre la manœuvre de loin.

Tous les officiers de la division marocaine sont là, et c’est plutôt une démonstration qu’une vraie manœuvre.

 

Vers le soir le vent se lève, le ciel se découvre, il fait diablement froid.

Samedi 21 octobre 1916

Au réveil, stupéfaction : tous les toits sont blancs et il a bien gelé. D’ailleurs, nous avons été gelés toute la nuit. Une terrible douleur me tient le genou gauche de sorte que je porte la jambe raide. Nous allons au tir aujourd’hui avec les mitrailleuses.

Départ à 6 h. La route est longue et on a un peu d’embarras pour mettre les mitrailleuses en route car tout est gelé, de sorte que nous avons fini de tirer tard et nous rentrons à 11 h ½.

 

L’après-midi, je vais en corvée de bois.

 

Le soir, nous mangeons de l’oie. L’ordinaire avait, paraît-il, du boni.

C’est sans doute aussi pour fêter la victoire de Champagne et notre arrivée dans la Somme il y a aujourd’hui un an.

Dimanche 22 octobre 1916

Heureusement, que j’ai eu la bonne idée, hier soir, de réclamer une couverture supplémentaire pour mes poilus et pour moi-même. Car nous l’avons endurée cette nuit. Il a gelé plus qu’hier.

Aussi, le matin de bonne heure, on entend les poilus qui font le pas gymnastique sur la route pour se réchauffer.

À 8 h, la section de la 6e repart pour les tranchées. Ca me fait de la peine cependant de les voir partir sans moi, mais les ordres sont là, et nous n’avons pas à les discuter.

 

Enfin, aujourd’hui, je suis libre, c’est le premier dimanche que j’ai à moi depuis mon arrivée ici.

Lundi 23 octobre 1916

Le matin à notre réveil, il tombe un peu d’eau.

Au lieu d’aller à la théorie, on nous envoie à la poudrière pour charger des bandes de mitrailleuse car cet après-midi, nous devons aller au tir.

C’est un métier tout nouveau, mais qui n’est pas bien difficile à apprendre.

 

À midi, rassemblement, on nous apprend que nous sommes alertés et que nous devons nous tenir prêts à partir dès 6 h ce soir. Aussitôt, revues et distributions commencent. Chacun touche une deuxième couverture, un chandail, une chemise, deux paires de chaussettes, etc.

 

À 5 h, nous avons revue en tenue de campagne par le lieutenant et on m’enlève de la 4e section pour me mettre à la 2e section, 8e escouade.

Mardi 24 octobre 1916

La nuit se passe sans incident.

Le matin, à la première heure, nous rendons un de nos couvre-pieds qui sera porté sur les voitures. Moi, on m’envoie de planton à l’abreuvoir.

 

À 8 h du matin, quelques camions autos arrivent et on embarque les sacs dessus ce qui fait le plus grand plaisir aux poilus surtout par le temps qu’il fait.

Depuis ce matin, il tombe de l’eau en quantité.

 

Enfin, à 10 h, départ direction Estrées-St Denis. Pluie battante le long de la route. Nous cantonnons dans un faubourg où il fait froid. Nos sacs et nos couvertures nous sont rendus.

Mercredi 25 octobre 1916 : Départ

Nous voilà dans un nouveau patelin. Pas tout à fait nouveau, en revenant de la Somme, nous avons été cantonnés à 1 km d’ici, à Moyvillers. Le pays est assez gai, il y a surtout une quantité de demoiselles. Cantonnement ordinaire, il y fait un peu froid, mais nous sommes chez un fermier assez gentil qui nous donne de la paille en quantité.

Repos le matin.

 

Le soir, nouvelle affectation des hommes. Moi je suis à la 8e escouade, 2e section, section de dépôt de la 6e compagnie. Je n’ai personne à mon escouade de sorte que je n’ai à m’occuper que de moi. On me donnera des hommes quand il en viendra de l’hôpital.

Jeudi 26 octobre 1916

Pluie une partie de la journée. Aussi le plus clair de notre temps se passe en théorie.

 

Le matin, on nous fait une théorie sur les événements actuels mais surtout sur ceux de ce jour.

En effet, le journal nous apprend que nous avons vigoureusement attaqué à Verdun et que nous avons fait 4 500 prisonniers mais je ne m’étonnerais pas si dans peu de temps, la D.M. (*) ne partirait pour, elle aussi, donner un coup de tête quelque part.

Théorie aussi sur la nouvelle formation de la section au combat, formation qui comporte certainement de réels avantages sur l’ancien système.

Le soir, revue de vivres de réserve.

 

(*) : D.M. : division Marocaine

Vendredi 27 octobre 1916

Le matin, le temps est brumeux. Nous nous rendons quand même à l’exercice pour rentrer au bout d’une heure car la pluie se met à tomber. En rentrant, revue d’armes démontées en toutes pièces.

À midi, théorie aux gradés sur la nouvelle formation de la section au combat.

 

Après-midi, on nous distribue des effets chauds et des chemises, mais beaucoup de monde réclame des effets de drap et on n’en a pas. Mais le lieutenant nous en promet sous peu.

 

Le soir, théorie sur la grenade et sur son lancement car à l’heure actuelle, la grenade est un des principaux engins offensifs. Je suis de jour, aujourd’hui, et j’attrape une belle saucée en allant à la prison, il pleut à verse et c’est loin.

Samedi 28 octobre 1916

Le temps semble beau aujourd’hui.

Le matin, nous allons à l’exercice dans un champ voisin de notre cantonnement, mais nous rentrons à 8 h.

Au retour, le lieutenant nous conseille de nous mettre sérieusement à laver car à notre grande stupéfaction, il nous apprend que nous partirons vers le milieu de la semaine pour le camp de Crèvecoeur-le-Grand où nous avons déjà fait un stage en janvier dernier. Mais cette nouvelle n’est guère accueillie avec enthousiasme car nous avons gardé un mauvais souvenir de Crèvecoeur.

 

L’après-midi, nous continuons à laver, le soir nous allons faire l’exercice pendant une heure.

Dimanche 29 octobre 1916

Aujourd’hui repos, mais il fait un temps déplorable et on ne pense pas sortir.

En outre, nous avons un appel très sérieux à 9 h du matin et les cantonnements sont strictement consignés jusqu'à 3 h après-midi de sorte qu’on ne peut sortir que le soir.

D’ailleurs, Estrées-St Denis est une ville comme les autres qui n’a rien de particulier, ni rien d’intéressant. On se hâte d’achever le lavage du linge afin d’être prêts à tout événement. On nous distribue un peu de linge, quelques pantalons et aussi un peu de matériel.

Le bruit court que nous partons jeudi pour Crèvecoeur.

Lundi 30 octobre 1916

Aujourd’hui, il fait à peu près beau.

Le matin, nous allons faire l’exercice. Comme exercice, nous jouons toute la matinée au rugby ce qui est beaucoup plus intéressant qu’aller faire à droite par 4 à travers le terrain de manœuvre.

 

L’après-midi il pleut, mais nous sortons quand même pendant une demi-heure, juste assez pour mouiller les armes et nous forcer ainsi à les nettoyer.

Aujourd’hui, je reçois deux nouveaux poilus à mon escouade ce qui va remonter un peu le niveau.

Mardi 31 octobre 1916

Le temps est à peu près beau aujourd’hui et nous allons à l’exercice comme d’habitude. Un peu d’école de section et de maniement d’armes. Puis des jeux jusqu'à 9 h.

Avant la soupe, théorie pour les gradés seulement sur le nouvel ensemble de la section et sa valeur combattante d’après les derniers règlements.

 

L’après-midi, nous allons jouer au football. En somme, c’est un exercice physique très dur, mais ça fait plus plaisir aux hommes que n’importe quel autre genre d’exercice car ça ressemble plutôt à un jeu qu’à un exercice.

Novembre 1916 : Oise, puis Somme

Mercredi 1er novembre 1916

Aujourd’hui, jour de la Toussaint, fête des morts, mais ça n’a jamais été aussi bien la fête des morts que maintenant.

Je me lève comme d’habitude.

Au bout d’un moment, je suis indisposé et je me recouche mais bientôt je souffre terriblement. Les oreilles bourdonnent, j’étouffe et j’ai froid. Le visage, les mains et les pieds sont violets. On me porte à l’infirmerie et le major me ranime. Je me demande ce que cela veut dire, mais il me dit que c’est un début de congestion mais que ce soir il n’y paraîtra plus.

On me reporte à mon cantonnement et on me met une douzaine de couvre-pieds sur moi. Des civils m’apportent le thé que le major m’a ordonné. Il m’en arrive de tous les côtés, plus de 20 viennent me voir.

 

Vers le soir, je parviens enfin à me réchauffer et je m’endors.

Jeudi 2 novembre 1916

Je me réveille, mais je suis encore malade. Le ventre surtout me fait mal. Je retourne à la visite, le major me dit de rester encore couché aujourd’hui, ce que je fais.

Avec stupéfaction, j’apprends qu’on a désigné hier des hommes pour retourner au deuxième bataillon. J’étais du nombre et devait rentrer à la 6e si je n’avais pas été malade. Ils partent ce matin. Nous restons à peine une vingtaine à la compagnie.

Aujourd’hui, temps assez beau.

Vendredi 3 novembre 1916

Le matin, je retourne à la visite. Le major me dit encore de me reposer. Pendant ce temps, les hommes commencent le nettoyage du cantonnement.

Par surcroît de malchance, la compagnie est de grand jour et pendant toute la journée, ce n’est que gardes et services de tous les côtés.

 

Le soir, revue en tenue de campagne par le lieutenant.

Prêts à partir, on distribue le dernier matériel, et on range les derniers fourbis. Le départ s’effectuera en automobile, vraisemblablement demain dans la journée.

Samedi 4 novembre 1916

Réveil à 6 h.

Immédiatement les préparatifs de départ commencent. Les couvre-pieds supplémentaires sont roulés et mis sur les voitures à bagages. Les sacs sont montés et nous nous préparons à partir.

Nous mangeons la soupe à 9 h du matin et nous nous partons pour embarquer à 9 h ½. Nous embarquons et nous partons à midi.

Nous passons à Ravenel de si joyeuse mémoire puis à St Just et nous arrivons à Hardivilliers à 2 h ½ de l’après-midi.

 

Nous ne sommes cantonnés que vers le soir.

Dimanche 5 novembre 1916 ; Changement de cantonnement : Hardivilliers

Aujourd’hui, aménagement des cantonnements. Nous sommes cantonnés à Hardivilliers dans le grenier d’une maison qui est inhabitée. Je retourne encore trouver le major qui me purge.

On envoie de nouveau des hommes pour remplir différents emplois, mais je ne suis pas du nombre et il ne reste presque personne à la compagnie, tout juste 3 ou 4 poilus. Le nettoyage et l’aménagement du cantonnement occupent les hommes la plus grande partie de la journée car ce cantonnement est très très sale.

Le courrier de deux jours nous arrive car hier nous n’avons pas eu de lettres. Pour ma part, aujourd’hui, j’en ai toute une collection.

Lundi 6 novembre 1916

Aujourd’hui, le temps est assez beau.

Mais le matin, à la première heure, nous sommes éveillés parce que le commandant doit passer une revue de cantonnement et par conséquent il faut nettoyer et briquer.

 

À 7 h ½, nous partons à l’exercice. Nous rentrons au bout d’une heure, puis l’après-midi, de nouveau, exercice. Nous allons au terrain de manœuvre et nous jouons au football toute l’après-midi.

Beau temps aujourd’hui.

Mardi 7 novembre 1916

Aujourd’hui, nous partons à l’exercice malgré la pluie qui tombe un peu. Nous faisons un peu de manœuvre à pied pendant une heure puis nous jouons au rugby, mais bientôt la pluie se met à tomber et nous devons rentrer.

En attendant la soupe, nous nettoyons nos armes qui ont été mouillées par la pluie.

 

L’après-midi, comme il pleut, nous ne sortons pas, nous nettoyons notre cantonnement et passons une revue de vivres de réserve.

 

Le soir, pour la première fois, je sors dans le pays avec des camarades et nous allons au café. Mais le pays ici n’a rien d’intéressant, c’est un vrai trou.

Mercredi 8 novembre 1916

La compagnie est de garde aujourd’hui de sorte que les 4 poilus qui la composent vont prendre la garde et je reste seul avec les sergents au nombre d’une douzaine. Mais il n’y a plus de bois et c’est tous les gradés qui doivent aller faire la corvée de bois. Ma foi, on y va d’assez bon cœur car il faut bien manger.

Nous rentrons juste pour la soupe.

 

Le soir, nous allons à l’exercice de 2 à 4. Un moment d’exercice en rangs serrés au début, puis ensuite, du rugby.

 

Le soir, j’ai le plaisir de voir arriver un des poilus de mon ancienne escouade de la 6e, mais il n’est pas à la même compagnie que moi.

Jeudi 9 novembre 1916

Le matin, nous partons à l’exercice comme d’habitude, mais à 9 h, on vient me chercher et on me conduit au bureau.

Là, on m’apprend que je pars comme coureur, avec 18 hommes, entre le général et le colonel. Immédiatement, nous montons nos sacs. Nous touchons des vivres, et à 10 h, je pars accompagné de mes 18 hommes pour me rendre au colonel à Doméliers. Nous arrivons là à 1 h ½, mais la compagnie hors-rang, à laquelle nous étions d’abord affectés étant déjà très nombreuse, ne peut nous nourrir et on nous passe en subsistance à la 6e compagnie où je retrouve tous mes camarades.

Mais nous sommes très mal cantonnés, sur un grenier ouvert à tous les vents et où il pleut comme au milieu des rues.

Vendredi 10 novembre 1916

Aujourd’hui, repos pour tout le monde.

Nous sommes à la disposition de la 6e compagnie que pour manger et dormir. Le lieutenant qui nous commande me fait demander et m’apprend que nous commençons à manœuvrer demain matin à 7 h.

 

Nous passons la journée à nettoyer notre cantonnement, à boucher un peu les plus grands trous, à laver notre linge, enfin à nous remettre un peu en ordre. Mais depuis mon départ d’ici, je remarque de nombreux changements, surtout au point de vue de la nourriture car maintenant, la cuisine se fait par bataillon et nous sommes beaucoup plus mal nourris qu’avant mon évacuation.

Samedi 11 novembre 1916

Rassemblement le matin à 7 h et nous voilà partis pour la manœuvre.

Le matin, le lieutenant nous apprend ce que nous aurons à faire au cours des diverses manœuvres, et nous prenons position pour la manœuvre de l’après-midi.

 

Départ à midi ½. Nous partons et en arrivant sur le terrain, j’installe immédiatement ma ligne de coureurs sans grande difficulté. Et au bout d’une demi-heure, ça fonctionne très bien, mais quand même c’est un peu embêtant car nous sommes continuellement entre les mains du général.

Dimanche 12 novembre 1916

Le matin, temps brumeux.

Nous partons pour l’exercice le matin à 6 h.

Nous allons manœuvrer à 6 km de nos cantonnements. La manœuvre ne comporte qu’un seul régiment. Aussi, comme nous sommes coureurs du régiment à la brigade et comme la brigade n’est pas figurée, nous n’avons rien à faire sinon à suivre le poste de commandement du colonel dans ses déplacements successifs.

Nous rentrons à 10 h ½.

 

L’après-midi, nous partons pour l’exercice, mais le lieutenant nous renvoie et nous dit qu’il nous passera en revue à 4 h.

Nous nettoyons nos armes, nos chaussures et notre cantonnement.

Enfin, des lettres m’arrivent et ce n’est pas trop tôt car on commençait à trouver le temps un peu long.

Lundi 13 novembre 1916

Aujourd’hui, départ le matin à 5 h.

Nous nous rendons à l’endroit où doit se dérouler la manœuvre de cette après-midi. Nous reconnaissons les différents postes de commandement et les lignes téléphoniques sont installées toutes prêtes.

Nous rentrons à 10 h ½ pour repartir à midi avec les compagnies. Mais cette fois, c’est la manœuvre réelle. La ligne des coureurs est installée et fonctionne normalement, mais au cours de la manœuvre, les postes de commandement se déplacent et se portent en avant de sorte qu’il faut rectifier la ligne des coureurs.

 

La manœuvre prend fin le soir à 5 h et nous rentrons au cantonnement éreintés.

Heureusement qu’une bonne soupe nous attend et l’on se couche avec la perspective d’un jour de repos pour demain.

Mardi 14 novembre 1916

Au réveil, on nous apprend qu’il y a travaux de propreté ce matin, aussi personne ne se lève de suite.

Mais on vient bientôt nous chercher et on nous dit que les autres sont rassemblés. Aussi, on se dépêche, mais nous arrivons trop tard car les autres sont partis.

Nous les suivons, mais nous ne pouvons les rattraper et nous battons le camp toute la matinée sans rencontrer autre chose que le colonel qui m’admoneste vertement et me dit :

 

« Vous aurez de mes nouvelles ».

 

À midi, le lieutenant m’attrape à son tour et tombe sur moi qui, pourtant, n’est pas responsable.

Donc résultat, deux engueulades alors que je suis dans mon droit. Heureusement que c’est la guerre.

 

L’après-midi, nous avons repos.

Mercredi 15 novembre 1916

Le matin, nous allons dans le camp ramasser les fils téléphoniques qu’on a laissé traîner et qui serviront pour nous. Le travail n’a rien d’intéressant car il a gelé cette nuit. Mais il fait diablement froid et cette nuit, nous n’avons pas pu dormir car il a fait tellement froid que nous avons du nous lever pour nous réchauffer.

 

L’après-midi, mêmes travaux, mais 4 hommes sont détachés pour nettoyer le cantonnement où est le colonel.

Jeudi 16 novembre 1916

Aujourd’hui, préparation au départ qui, paraît-il, ne peut tarder. Nous touchons, chacun, deux caleçons et une chemise ainsi que des vivres pour la journée de demain. Le deuxième bataillon part en automobile demain matin, aussi cette après-midi, on ne fait rien, on se prépare. Mais il paraît que nous ne partons pas avec le bataillon.

On touche le prêt, de sorte que le soir, à l’appel, il y a pas mal de viande saoule.

 

Le soir, à 9 h, on me fait appeler au bureau et on m’apprend qu’à partir de demain matin, nous faisons partie de la compagnie hors-rang. Encore une fois, nous voilà changés.

Vendredi 17 novembre 1916

Il gèle toujours.

Ce matin, à la première heure, nous sommes debout pour nous réchauffer et aussi pour serrer la main des camarades qui partent en auto.

Au réveil, je me présente à mon nouveau bureau pour prendre contact avec de nouveaux chefs. Ma foi, les figures sont assez sympathiques, et de suite on me remet du linge que je réclame : tricots, cache-nez, gants, couvre-pieds. On me donne aussi des campements, et quoique nous ayons touchés nos vivres hier à la 6e, on nous donne quand même des légumes et du bouillon chaud. Continuation des travaux de propreté et du nettoyage.

Nous partirons très probablement demain matin à la première heure.

Samedi 18 novembre 1916

On nous avait prévenus, hier soir, que nous devions partir ce matin, mais au réveil, on nous apprend que nous ne partons pas encore.

Stupéfaction, la terre est toute blanche, il est tombé de la neige cette nuit et maintenant c’est du verglas car le temps est très froid et on ne tient pas debout sur les routes.

Les hommes qui n’ont qu’une seule paire de chaussures en reçoivent une seconde.

 

L’après-midi, nous avons une revue en tenue de campagne complète ce qui nous retient la plus grande partie de l’après-midi. Je profite du repos pour mettre un peu d’ordre dans mon courrier qui est très en retard.

Dans l’après-midi, le temps se radoucit un peu et la pluie tombe.

Dimanche 19 novembre 1916 ; arrivée au camp de Marly près de Chuignolles

21 ans aujourd’hui, déjà.

Voilà presque deux années que nous passons sous ce fameux uniforme, et encore jusque quand ? Personne ma foi n’en sait rien.

à 4 h du matin, nous avons réveil et nous partons une heure après pour prendre les autos que nous devons attendre jusqu'à 9 h.

 

Enfin, à 10 h, nous partons et nous traversons Amiens où nous avons ¾ d’heure de pause en pleine ville ce qui nous permet de nous ravitailler. Puis nous traversons des pays déjà connus : Villers, Warfusée, Proyart, et à 6 h, en pleine nuit, nous débarquons à Fontaine-lès-Cappy.

Encore ¾ d’heure de marche et nous arrivons au camp de Marly près de Chuignolles où nous restons en réserve jusqu'à nouvel ordre. Mais pendant 1 heure ½, nous devons encore faire le poireau au milieu du camp avant qu’on nous trouve un emplacement pour nous loger.

Enfin, on trouve un baraquement dans lequel nous dormons jusqu’au jour.

Lundi 20 novembre 1916

Le matin, à la première heure, on se réveille transis de froid car nous avons pour ainsi dire couché dans la boue. Vite, on repère l’emplacement des cuisines et on va chercher ¼ de café chaud, mais tout de suite, on nous apprend que nous allons quitter le baraquement où nous sommes pour aller en habiter un autre.

On nettoie donc ce nouvel emplacement et on s’installe. Mais à peine installés, il faut déménager encore pour faire de la place aux autres, ce qui ne va pas sans maintes réclamations.

Enfin la journée s’achève par des travaux de propreté.

Mardi 21 novembre 1916

Le matin, je reçois l’ordre d’aller reconnaître le poste de la DM qui se trouve à Chuignolles et d’y établir un poste de 3 coureurs qui maintiendra la liaison avec le colonel.

Belle journée aujourd’hui, il a un peu gelé.

Le 2e bataillon est monté en première ligne cette nuit et certainement il ne devait pas faire bien chaud. Travaux de propreté encore. Profitant du temps clair, un avion ennemi vient au dessus du camp lancer 4 bombes qui font 7 ou 8 blessés.

Les derniers coloniaux que nous avons relevés ici partent ce matin et le reste du régiment arrive. Il y a encore ici pas mal de troupes.

Beaucoup sont logés dans des baraquements, mais il y en a encore qui couchent sous la tente ce qui n’est pas intéressant.

Mercredi 22 novembre 1916

Ce matin, il pleut.

Le tableau que nous avons sous les yeux est tel qu’on se croirait transporté dans un autre pays. Partout entre les baraques, un pied de boue. Sur les routes, où défilent d’interminables convois d’autos, c’est une boue liquide qui vous arrose constamment. Et ces convois qui hier sur la gelée roulaient presque sans bruit, font maintenant un bruit d’enfer et ont des cahots épouvantables.

Là où sont cantonnés les trains de combat ou régimentaires, c’est encore beaucoup pis. Là, la boue vous monte au mollet et ces pauvres chevaux n’osent même plus se coucher.

Sur les routes qui vont vers l’avant, c’est épouvantable : ici une tombe ; là un cheval mort, plus loin une auto dans un fossé, une voiture avec une roue cassée. Et les routes défoncées, puis les hommes qui vont et viennent ne sont que des blocs de boue. Voilà ce qu’on appelle LA SOMME, voilà ce qu’on appelle LA GUERRE.

Pauvre Guillaume, si tu passais par ici, je crois que tu en verrais de cruelles.

Jeudi 23 novembre 1916

Toujours le même temps ce qui n’est pas rigolo du tout.

Le matin, nous allons à l’exercice, mais nous rentrons bientôt car la pluie continue à tomber.

 

L’après-midi, nous commençons à nettoyer le camp. D’énormes tas de fumier sont éparpillés tout partout et souvent très près des baraques. Donc, armés de pelles et avec tout une compagnie de voitures, on commence le nettoyage, mais il y a beaucoup de travail.

Car on commence d’enlever la boue pour éviter que l’on s’enlise jusqu’au cou.

Vendredi 24 novembre 1916

Et il pleut encore toute cette nuit !

Il a fait un vent terrible en même temps qu’il a tombé de l’eau en pagaille. Aussi nous restons dans nos baraques, mais nous ne sommes guère à l’abri car il pleut partout. Nous avons revue d’armes et de vivres de réserve et aussi nettoyage de nos effets car tout est plein de boue et en ont grandement besoin.

J’apprends avec émotion qu’un homme de la 6e compagnie est arrivé à l’hôpital tout voisin. Je m’y rends et on m’apprend son nom. C’est justement un homme de mon ancienne escouade, mais il est déjà mort.

La blessure a été faite par une balle française et a coupé l’artère fémorale, ce qui a déterminé une hémorragie. Une sentinelle a tiré sur lui croyant que c’était les boches qui venaient.

On l’enterre l’après-midi dans le cimetière voisin de l’hôpital.

 

(*) : Il semble que le soldat soit PÉRONNET Jules, déclaré « blessé le 21 novembre », sur la page du JMO du 24 novembre. Il est mort pour la France le 21 novembre 1916, déclaré mort « suite de blessures de guerre » à « l’ambulance du camp de Marly (Somme) »

Il était né à Beaune (Allier) le 2 septembre 1894. Il n’a pas de sépulture militaire connue.

Samedi 25 novembre 1916

Enfin, ce matin, au réveil il ne pleut plus, mais tout est couvert d’eau et le camp n’est plus qu’un immense cloaque où l’on nage constamment. La 6e compagnie arrive des tranchées.

Ah ! Les pauvres bougres, comme ils sont changés dans ces 6 jours. Ce sont de vrais blocs de boue vivants. On ne voit même plus la couleur des habits. Vêtements, équipements, armes, visages, tout n’est que de terre.

 

C’est donc aujourd’hui Ste Catherine. Mais où est le bon temps où l’on passait ces fêtes en famille ?

Hélas, quand à nous, nous passons la journée à extraire et à charrier des pierres qui serviront à paver les allées du camp. Peut-être y aura-t-il un peu moins de boue après.

Dimanche 26 novembre 1916

Il y a aujourd’hui un très fort brouillard qui empêche de rien voir à 15 pas devant soi. Toute la nuit, le canon a tonné avec une violence inaccoutumée.

 

Le matin, nous travaillons comme hier, nous faisons les terrassiers. On nous apprend aussi que nous montons aux tranchées demain matin. Aussi on prépare le nettoyage des armes et effets et aussi les premiers préparatifs. Le sac restera ici. Nous emportons la toile de tente, nos deux couvre-pieds et nos vivres de réserve. Nous montons dit-on pour douze jours.

Mais il paraît que ce n’est pas rigolo là haut.

Lundi 27 novembre 1916

Réveil le matin à 6 h. Nous mettons nos sacs sur les voitures et ne devons partir qu’à 10 h ½.

À 9 h, on m’amène un poilu qui se dit perdu de son bataillon et que je dois emmener avec moi. Nous mangeons la soupe à 10 h et je rassemble mes hommes de suite après. Mais à ma grande surprise, le loustic qu’on m’avait confié est disparu et reste introuvable.

Pendant une heure, nous battons le camp sans aucun résultat. Alors je le signale au lieutenant qui commande la compagnie qui, lui, le signale au colonel. Ce dernier m’apprend que je serai puni pour l’avoir laissé sauver.

Enfin, nous partons après avoir pataugé pendant 3 heures dans la boue. Nous arrivons à la brigade où je commence à installer mes hommes.

À peine fini, je dois trotter de tous côtés pour aller aux renseignements. Puis après, il faut aller décharger le matériel et le transporter au colonel. Les boyaux sont pleins de boue qui nous monte aux genoux, et le tout n’est fini qu’à 1 h ½ du matin.

Mardi 28 novembre 1916

Je m’éveille le matin à 6 h après avoir dormi comme un sourd, mais je suis encore cruellement fatigué.

D’ailleurs, la journée d’hier n’a pas été une journée ordinaire.

Enfin, ce matin, je vérifie ma ligne de coureurs qui fonctionne normalement et j’en rends compte au lieutenant qui se déclare satisfait.

 

Dans le courant de la journée, je n’ai pas grand chose à faire mais, cependant, il faut encore faire le voyage du colonel à la brigade 3 ou 4 fois dans 30 cm de boue ce qui n’est pas du tout intéressant.

 

Le soir, nous partons pour chercher la soupe car ici, les cuisines ne viennent qu’une fois par jour et la nuit. Nous les trouvons assez vite, mais quand même, nous rentrons que tout est froid, de sorte qu’on ne mange rien de bon.

Mercredi 29 novembre 1916

Aujourd’hui, la vie prend son cours normal.

Les hommes disponibles sont mis à la disposition des pionniers pour le transport des matériaux. Ce travail est très fatiguant car, dans les boyaux, quand on est chargé, on s’enfonce jusqu’au dessus des genoux et ensuite on ne peut plus s’en sortir.

 

Dans le courant de l’après-midi, la pluie recommence à tomber et il faut partir à la soupe et être mouillé jusqu'à la peau.

Vers la nuit, les boches nous bombardent par rafales et continuent ainsi jusqu'à la pointe du jour.

Jeudi 30 novembre 1916

Ce matin, le temps est un peu meilleur. Une équipe de territoriaux travaille dans les boyaux au nettoyage et à enlever la boue. Ils sont jolis les pauvres bougres. Ils sont couverts de boue des pieds à la tête.

Nos grosses pièces commencent à tirer sur l’arrière et ça fait plaisir d’entendre les gros pépères passer au dessus de nos têtes.

Aujourd’hui, nous continuons à transporter du matériel pour de nouveaux abris que l’on est en train de faire.

Décembre 1916

Vendredi 1er décembre 1916

Nous voilà donc à la St Eloi, et ce jour va passer comme tant d’autres déjà passés et encore à passer, c’est à dire passer inaperçu.

Il a gelé assez fort cette nuit de sorte qu’il faut se donner du mouvement pour se réchauffer. Mais c’est quand même beaucoup mieux encore que l’eau, car au moins ici on est au sec.

Les postes de coureurs sont maintenant de 3 hommes : 2 pour porter les plis à tour de rôle, et le troisième pour l’entretien du boyau et le relevage des fils électriques.

Quelques avions survolent nos lignes et plusieurs combats se livrent sur notre tête mais sans résultat ni d’un côté ni de l’autre.

Samedi 2 décembre 1916

Il gèle encore un peu aujourd’hui, mais quand même moins qu’hier.

Le matin avec le lieutenant attaché au colonel, nous allons reconnaître une nouvelle ligne de coureurs car il est fortement question de changer les postes de commandement en vue d’une future attaque. Des abris existent déjà, mais il faut les fortifier et les renforcer, aussi les agrandir.

Ce travail s’effectue sous les ordres de « Monsieur Moi » et les hommes travaillent très volontiers car ils savent qu’ils travaillent pour eux.

 

L’après-midi, nous plaçons des pancartes indicatrices à chaque poste de coureurs avec le numéro du poste et aussi une pancarte pour les WC.

Dimanche 3 décembre 1916 : le travail de pancardier

Il fait moins froid aujourd’hui.

Nous allons reconnaître les tranchées en avant et on me montre où je devrai poser des pancartes indicatrices.

En ce moment, je fais l’office de pancardier. Nous passons en terrain découvert pour mieux s’y reconnaître car aucune tranchée n’a encore de nom et on s’y perd très facilement. Nous sommes à 300 m des boches.

Heureusement qu’ils ne peuvent nous voir à cause du brouillard sans quoi il y a longtemps qu’ils nous tireraient dessus. Le spectacle sous nos yeux est effrayant. Le terrain est tout bouleversé par les obus. Les objets les plus hétéroclites s’y rassemblent : sacs, fusils, cartouchières. Et aussi malheureusement des cadavres, des cadavres qui sont là depuis le mois de juillet et dont il ne reste que les os et les vêtements.

Lundi 4 décembre 1916

Le matin, je commence à placer des pancartes dans les tranchées afin d’indiquer leurs noms. Ce n’est pas bien facile de s’y reconnaître dans ce dédale. Les tranchées ici n’ont de tranchées que le nom.

Les parapets ne sont que des amas de fusils, sacs, équipements et même de cadavres, le tout mêlé dans un enchevêtrement inextricable. Je monte jusqu’en première ligne. Les boches ne sont qu’à 100 mètres et au moindre bruit qu’ils entendent, ils envoient des grenades à fusil de sorte que personne ne cause et tout est très calme.

 

L’après-midi, il me prend une rage de dent comme je n’ai pas eu depuis longtemps. Tout un côté de mon corps est comme paralysé.

 

Vers le soir, cependant, ça se passe un peu mieux.

Mardi 5 décembre 1916

Cette nuit, nous n’avons pas pu fermer l’œil car les batteries qui sont à côté de nous ont tonné toute la nuit. On a envoyé des obus asphyxiants aux boches, 5 à 6 000 pour notre secteur. On nous avait prévenu de crainte que le vent ne vient à tourner et nous les renvoie. Mais rien de semblable n’est arrivé et les boches ont tout gardé pour eux.

On a aussi placé à côté de nous une batterie de pièces énormes, des 400 dit-on. Elles ont commencé à tirer aujourd’hui. Tout ça, ça sent l’attaque. De tous les côtés, il y a des travaux préparatoires. Les parallèles de départ sont presque prêtes. Aujourd’hui, il pleut de sorte que nous sommes de nouveau dans la boue jusqu’aux genoux.

Mercredi 6 décembre 1916

Il pleut encore le matin.

Avec les hommes disponibles, nous allons chercher des caillebotis au parc du génie à Belloy.

Le parc du génie se trouve à côté du cimetière militaire. Les boches ont violemment bombardé ce secteur cette nuit de sorte qu’un spectacle effrayant s’offre à nos yeux. Les croix ont été bousculées par les obus et en certains endroits, les corps sont déterrés et déchiquetés.

 

Dans le courant de l’après-midi, les coureurs de la 1e brigade arrivent.

Vivement, on se passe les consignes et nous voilà partis. Nous arrivons encore à passer la zone très dangereuse de jour et malgré le violent bombardement, tout le monde s’en tire indemne.

Jeudi 7 décembre 1916

Nous sommes arrivés hier soir au camp de Marly.

Après bien des ballades à travers le camp, nous avons enfin trouvé le bureau de la CHR, mais comme il n’y avait pas de place pour nous coucher, nous avons dû nous empiler les uns sur les autres dans un espace très restreint.

 

Enfin, ce matin, un bon chocolat que nous confectionnons nous remet un peu en place. Le nettoyage commence, nettoyage très difficile car il n’y a pas d’eau et l’on ne peut rien laver et plus personne parmi nous n’a encore du linge propre. En outre, pour le reste, le camp est aussi sale que la tranchée, de sorte que, pour ainsi dire, on ne peut donc pas se nettoyer.

En outre, l’infanterie commence à arriver en vue de la prochaine attaque, et les victuailles et le pinard sont devenus introuvables.

Vendredi 8 décembre 1916

Et le nettoyage continue !

Le temps est un peu meilleur aujourd’hui. On peut voir nos braves zouzous en train de racler la boue qu’il y a sur leur capote afin que ça sèche plus vite.

 

L’après-midi, il y a échange d’effets. On me donne une capote neuve, un pantalon neuf, et une bonne paire de chaussures neuves. Malheureusement, il n’y a pas moyen de rien laver faute d’eau. Et dire que les poux nous dévorent et que nous sommes dans l’eau jusqu’aux genoux.

Samedi 9 décembre 1916

Le matin, on se met en quête de pinard car ici il n’y a pas moyen de rien trouver. Nous faisons quelques km à pied et puis nous sautons dans un camion auto et bientôt nous sommes à Amiens. Là, les provisions sont faciles à faire, mais tout est très cher. Mais les civils nous admirent, nous sommes encore pleins de boue.

Nous rentrons bientôt au camp avec les musettes pleines et les bidons aussi, ce qui fait la joie des copains.

 

Le soir à 8 h, comme je dors d’un profond sommeil, on vient m’éveiller et je dois partir le lendemain matin à la première heure.

Dimanche 10 décembre 1916

Le matin à 6 h, je pars avec 4 hommes.

Nous allons d’abord à la prévôté à Chuignolles où on nous remet deux loustics.

L’un pour le conduire à la discipline, l’autre à une compagnie en ligne. Nous partons par une pluie battante sur une route défoncée par les convois. Nous arrivons en ligne par un temps déplorable.

Nous sommes pleins de boue et nous nous enfonçons jusqu'à mi-jambes.

 

Enfin, notre mission accomplie, nous prenons le chemin du retour en passant à Assevillers. Comme il passe un camion vide, nous nous empressons de monter dedans.

Nous arrivons à midi ½, crottés comme des barbets. Mes jolies frusques neuves ont été bien étrennées.

Lundi 11 décembre 1916

Le matin à la première heure, 8 de mes hommes vont travailler au train régimentaire. Ils vont à la gare de ravitaillement de la Division charger les voitures et décharger les wagons qui arrivent.

Ils rentrent le soir vannés. On continue à ramasser les vieux effets et à en donner de neufs. Il paraît que la division a reçu une grande quantité de vêtements neufs...

La pluie continue toujours à tomber et on patauge toujours dans la boue jusqu’aux genoux.

Mardi 12 décembre 1916

Un de mes hommes part le matin à la première heure accompagner la voiture téléphonique et charger dessus des piquets téléphoniques que l’on emmène au parc du génie à Belloy.

Les autres continuent à aller travailler au train régimentaire.

 

Dans le courant de l’après-midi, les boches bombardent violemment l’endroit où nous sommes. Ils tirent dans un grand dépôt de matériel que nous avons là. Un obus tombe en plein sur une locomotive qui fait explosion.

Par un miraculeux hasard, le mécanicien et le chauffeur ne sont que légèrement blessés, mais le chef de train a la tête emportée et 5 autres poilus sont également tués. Les obus ne semblent pas être de très gros calibre, et d’après des officiers compétents, les coups seraient tirés de pièces montées sur des bateaux sur la Somme.

Vraiment, les boches nous en feront voir de toutes les couleurs.

Mercredi 13 décembre 1916

Il fait un froid terrible ce matin et en outre il tombe de la neige, de la pluie et du verglas tout ensemble.

Mes hommes continuent toujours à aller travailler au train régimentaire. Les autres spécialistes sont employés de tous les côtés, mais nous, nous n’avons que cette corvée à fournir. Nous avons ici une grande quantité de troupes indochinoises. Ils sont habillés en kaki comme nous, mais ont une capote bleue. Ce sont de tout petits bonhommes qui me viennent à peine au menton, mais cependant très vigoureux.

Tous paraissent du même âge et ont la même figure, de sorte qu’on ne peut en reconnaître aucun. Ils sont employés aux travaux de l’arrière et travaillent très bien mais peu, à moins d’avoir quelqu’un derrière eux pour les pousser.

Jeudi 14 décembre 1916

Encore un anniversaire aujourd’hui.

Nous voilà depuis deux ans sous l’uniforme. C’est en effet le 14 décembre que nous sommes partis de Cléty, Émile, Emmanuel, Fouache, Demincq.

Hélas, que de tristes événements depuis ce départ de notre cher pays.

Départ presque joyeux avec l’espoir de revenir bientôt en rapportant des lauriers de victoire. Oui, mais deux ans ont passés depuis lors, que de fatigues, que de privations, que d’incidents. Malgré tout, nous avons encore du courage et, pour ma part, j’espère surpasser la gigantesque lutte qui se déroule en ce moment.

Vendredi 15 décembre 1916

Pluie presque toute la journée aujourd’hui.

Le camp est transformé en un gigantesque lac boueux. On ne peut sortir de la baraque sans s’enfoncer jusque la cheville. Un bataillon de la Légion est descendu des tranchées cette nuit, et on les regarde avec surprise tellement ils sont sales. Il y a à peine quelques 24 heures, nous étions dans le même état, sinon pis.

 

Dans le courant de l’après-midi, ne sachant que faire, je vais me promener dans le cimetière militaire. Quelle n’est pas ma surprise en retrouvant là les noms de deux de mes camarades de la 6e qui avaient été versés au 1e bataillon et qui sont là, enterrés depuis deux jours.

Que la vie est peu de choses quand même !

Samedi 16 décembre 1916

Le matin au réveil, on vient m’apprendre que je suis de jour à la compagnie hors-rang, et j’ai pas mal de travail à conduire des corvées de tous les côtés. En outre, dans le courant de la journée, la neige se met à tomber à gros flocons, mais elle fond au fur et à mesure.

Deux de mes hommes sont évacués aujourd’hui. L’un pour grande fatigue, l’autre pour un abcès dans l’oreille. Voilà donc mon effectif de coureurs diminué. Il arrive encore pas mal de matériel dans le camp pour bâtir encore de nouvelles baraques.

Dimanche 17 décembre 1916

Enfin il gèle.

Une nuit a suffi pour transformer le camp en un terrain sec alors qu’hier, on s’enfonçait encore jusqu’au dessus des souliers. Le camp a, ce matin, un curieux aspect. Les indigènes, peu habitués au froid, n’ont guère dormi cette nuit et sont allés de tous les côtés à la recherche de bois pour faire du feu de sorte que, de tous les côtés, il y a des feux d’allumés.

Les avions font du travail aujourd’hui et nous en avons toute la journée au-dessus de nos têtes.

Lundi 18 décembre 1916

Il gèle encore, mais cependant moins fort qu’hier et c’est du bon temps. Vaut mieux ça que la pluie ! Les boches profitent de la clarté pour repérer notre arrière et nous bombarder violemment au cours de l’après-midi.

Heureusement, la plupart des obus qu’ils nous envoient n’éclatent pas et les dégâts sont relativement faibles.

Ce sont surtout les chevaux qui écopent. Un obus tombe également sur la gare où travaillent les annamites et fait quelques victimes.

On nous apprend que nous quittons le camp très probablement demain matin pour aller plus à l’arrière.

Mardi 19 décembre 1916 : Arrivée camp 102 (Wiencourt)

Réveil à 5 h, départ à 8 h.

Notre deuxième couvre-pied est roulé par ballots et chargé sur les voitures ainsi que notre deuxième paire de chaussures et nos sabots, de sorte que le sac se trouve passablement allégé.

Nous partons à 8 h et prenons en partant le drapeau mais sans aucun cérémonial. Il a encore gelé de sorte qu’il fait très bon à marcher et après une étape d’une quinzaine de km, nous arrivons sans guère de fatigue au camp 102 près de Wiencourt.

Nous sommes là à 15 km du front.

Mercredi 20 décembre 1916

Nous voilà donc de nouveau dans ces fameuses baraques où on va prendre un peu de repos. Le camp ressemble à tant d’autres. Une série de baraques éparses au fond d’un vallon avec un point d’eau vers le milieu, des écuries à côté et une quantité de voitures.

Aujourd’hui, nous avons encore repos et nous en profitons pour nous nettoyer un peu et passer une sérieuse inspection de nos armes. On distribue de nouveaux effets et on me donne une nouvelle veste. Me voilà donc de nouveau presque habillé à neuf, mais il n’y paraîtra pas longtemps avec le temps qu’il fait. Il a encore gelé un peu cette nuit, mais moins cependant et le temps se couvre et la neige commence à tomber mais ça ne dure pas longtemps.

Jeudi 21 décembre 1916

Le matin, nous nous apercevons avec déplaisir qu’il a dégelé pendant la nuit et il y a encore de la boue partout. Nous avons une revue d’armes, de chaussures et de vivres par le lieutenant.

 

Vers midi, on entend dans la direction du front une très violente canonnade qui ne dure guère plus d’une demi-heure. Cependant, nous apprenons bientôt par la voie du téléphone que les boches ont attaqué dans notre secteur, mais ont été repoussés avec pertes et fracas. Mais on n’a pas encore d’autres renseignements, et toute la journée on s’attend à partir au cas où l’ennemi essaierait d’attaquer encore.

Mais le reste de la journée et la nuit se passent normalement.

Vendredi 22 décembre 1916

Pour changer, il pleut. De la boue, encore de la boue, toujours de la boue. Voilà la triste vie que nous menons en ce moment.

Dewinck, un de mes coureurs évacués dernièrement, m’écrit qu’il a la typhoïde.

Nous avons enfin des renseignements sur l’attaque d’hier. L’infanterie ennemie est sortie de ses tranchées mais un violent tir de barrage l’a obligée à se retirer en laissant beaucoup de monde sur le terrain. Ils n’ont fait environ que la moitié de la distance qui sépare les deux premières lignes. Mais à notre droite, ils ont pénétré les tranchées et fait prisonnier 1 officier et 30 hommes de l’infanterie.

Ils nous ont envoyé des gaz d’une nouvelle espèce, renfermés dans des torpilles qui n’éclatent pas mais se fendent simplement. Ces gaz sont très toxiques et nous avons eu des morts. Aujourd’hui, on demande aux chefs de groupe les hommes anciens au front pour leur donner la Croix de Guerre.

Je propose 4 coureurs. C’est quand même malheureux de distribuer des décorations ainsi.

Samedi 23 décembre 1916

Il pleut encore.

Le camp n’est plus qu’un gigantesque lac de boue dans lequel on patauge continuellement.

 

L’après-midi, nous allons à l’exercice avec le lieutenant Paris. L’exercice se résume en une leçon de gymnastique suédoise. Ma foi, c’est presque plus intéressant que de faire à droite par 4.

 

Le soir, je vais passer ma soirée avec la 6e compagnie qui n’est pas bien loin de nous et j’ai le plaisir de causer un moment avec de vieux bons camarades, entre autres avec Bernard, caporal-fourrier qui arrive de permission, le veinard, et qui rapporte des nouvelles fraîches de l’arrière.

Dimanche 24 décembre 1916

Aujourd’hui, nous avons repos toute la journée, à part la traditionnelle corvée d’eau et de pommes de terre. Mais quand même, on sent que c’est dimanche et pour bien nous le prouver, on nous fait enlever nos couvre-chéchias et garder nos chéchias rouges.

 

L’après-midi, nous avons concert par la musique du régiment devant la baraque des officiers. Mais la musique a peu d’admirateurs, surtout à cause du mauvais temps et aussi à cause d’autres choses.

J’apprends avec surprise qu’un de mes anciens camarades de la 6e est cassé du grade de caporal pour avoir écrit à Gustave Hervé au sujet de certaines petites choses dans ce régiment qui ne lui plaisaient pas.

Lundi 25 décembre 1916

Noël encore une fois loin du pays, loin de ceux qui me sont si chers. Cependant le réveillon s’est passé un peu mieux que l’an dernier. En effet, en cette nuit de veille de Noël, n’ai-je pas manqué de perdre deux fois la vie !

Une fois à l’écroulement de la baraque, la seconde fois, en essayant de sauver un camarade. Noël se passe bien triste. Pas la plus petite amélioration à l’ordinaire et c’est tout à fait monotone.

 

Le matin, nous avons repos complet mais l’après-midi, nous allons sur le terrain d’exercice et nous y jouons au football pendant deux heures, puis nous rentrons dans nos cantonnements.

Mardi 26 décembre 1916

Grande nouvelle paraît-il ce matin : pas de pain, rien que des biscuits ; pas de viande, du singe en remplacement de la viande, de l’ordinaire et du chocolat en remplacement des légumes. Vraiment, ce n’est pas du tout fameux, aussi il y a pas mal de rouspétance parmi les poilus car nos cuistots nous servent le singe sans l’arranger, brut.

Il paraît qu’on nous fait manger ces vivres là parce que la division va quitter le secteur prochainement et qu’il faut épuiser les stocks de vivres de réserve en dépôt en prévision d’attaques ou au cas où notre ravitaillement soit coupé.

Mercredi 27 décembre 1916

Ce matin, grande distribution de vêtements et contrairement aux habitudes, on n’est pas avare aujourd’hui. Presque tous ceux qui demandent des chaussures ou des vêtements de drap en ont. Des équipements sont distribués même à ceux qui n’en veulent pas. Des chaussettes et des caleçons, tout le monde en touche.

Ce fourbi nous tient toute la matinée.

 

L’après-midi, nous avons revue d’armes et de vivres de réserve par le lieutenant. Six de mes hommes sont punis pour avoir mangé leurs vivres de réserve.

Jeudi 28 décembre 1916

Aujourd’hui, au réveil, à notre grande surprise, il a gelé très fort. Aussi, plus de boue, plus d’eau, tout est sec et ce n’est pas dommage.

Le matin, on nous fait mettre des étiquettes derrière nos sacs avec nos noms et nos matricules au cas d’un départ en auto, pour pouvoir les retrouver. On nous fait également couper les cheveux très ras. Tout ça, ça commence à sentir le retour en arrière.

 

L’après-midi, nous allons en corvée de bois pour nos cuisines.

 

Le soir, le temps se couvre et un fin brouillard couvre tout le sol.

Vendredi 29 décembre 1916

Terrible journée pour les coureurs.

Le départ nous est officiellement annoncé pour demain matin et nous sommes chargés d’embarquer sur les voitures et les autos le matériel du magasin de corps. Vestes, capotes, pantalons, souliers et autres matériels sont chargés en autos et nous ne terminons que très tard dans la soirée.

En rentrant, il nous faut encore étiqueter chaussures et souliers et les empaqueter ainsi que le deuxième couvre-pied que nous emballons prêt pour le départ.

Samedi 30 décembre 1916

Réveil le matin à 5 h ½.

Conformément aux ordres donnés, les sacs sont très allégés. Nous n’emportons dessus que la veste et la toile de tente. Nous chargeons les deuxièmes couvre-pieds sur les voitures d’allégement.

Départ à 6 h 45.

Deux de mes hommes sont désignés pour convoyer avec les autos le matériel du magasin de corps et celui de la CHR. La pluie tombe. Nous faisons au départ 3 km dans les champs labourés.

Ensuite, nous traversons un village où nous avons de l’eau jusqu’au dessus des genoux. La pluie tombe pendant deux heures environ puis ça se passe et un grand vent se lève.

Nous faisons la grande halte après 20 km. Nous mangeons la soupe, puis nous repartons encore 10 km et nous arrivons enfin à Chaussoy-Épagny où nous devons cantonner. Excellent cantonnement.

Dimanche 31 décembre 1916

Terrible nuit, les zouaves heureux de se trouver en arrière ont ramassé une biture phénoménale.

 

Aussi, à 10 h, 4 soûlots sont rentrés et ont chanté et fait la pantomime jusque 3 h du matin.

Mais à 4 h ½, réveil. Les deuxièmes couvre-pieds sont chargés à nouveau sur les voitures et nous partons à 7 h du matin. Nous traversons Breteuil puis Maisoncelle où nous cantonnons à 5 km plus loin à Puits-la-Vallée. Cantonnement tout ordinaire chez une vieille qui me fait le plus mauvais effet.

 

Le soir, les autos arrivent et notre matériel aussi.

 

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Année 1917 

Janvier 1917

Lundi 1er janvier 1917

Voilà donc encore une année d’écoulée.

Qui donc aurait cru que cette année se serait encore écoulée sans avoir une décision dans cette fameuse guerre ? Enfin, espérons que l’année qui naît verra une paix victorieuse sur laquelle se basera le nouvel équilibre européen.

Au réveil, ce sont les ordinaires souhaits : « Bonne année, mon vieux, bonne chance », etc.

 

Le matin est employé au nettoyage de notre personne. On se coud des chiffres dorés, on accroche sa fourragère, on cire ses souliers puisque ce sont là tous nos plaisirs. À la soupe, grande déception, le supplément promis par l’intendance n’est pas arrivé à cause de nos déplacements.

Aussi, nous avons riz et bœuf gros sel à notre dîner. Aussi, on rouspète pas mal, mais le soir, la compagnie nous passe du champagne, une bouteille pour 4, des mandarines et des biscuits.

Mais malheureusement, au pays, on ne trouve absolument rien à acheter.

Cependant, 4 ou 5 joyeux camarades égayent cette triste soirée de quelques couplets.

Mardi 2 janvier 1917

Voilà donc passé ce triste jour de l’an, passé loin de tous ceux qui nous sont chers, loin du pays.

 

Ce matin, aménagement de notre cantonnement. On confectionne une table et un râtelier d’armes, enfin différents travaux qui complètent un peu notre confort qui est loin d’être moderne.

Travaux de propreté également. On commence à laver son linge et à se nettoyer un peu.

Mercredi 3 janvier 1917

Le matin, continuation de l’aménagement des cantonnements et des travaux de propreté. Le lieutenant nous passe une revue de vivres de réserve, d’armes et de détail. Les pertes de matériel ont été presque insignifiantes.

 

L’après-midi, nous avons corvée de bois et nous revenons avec un chargement complet de sorte que demain nous aurons du jus à midi.

 

Le soir, nous allons dans un village voisin à 3 km pour avoir du vin, et nous rentrons juste à 8 h. Un très grand nombre de permissionnaires sont passés ce matin pour aller prendre le train.

Jeudi 4 janvier 1917

Le matin, à bonne heure, nous partons en corvée de bois pour les cuisines et nous revenons avec un superbe lièvre que nous avons trouvé pris dans un collet. Nos cuistots nous paient un excellent repas : mouton en sauce et navets, ce qui est excellent.

 

L’après-midi, nous devions aller jouer au ballon, mais étant donné le mauvais temps, nous restons au cantonnement.

 

À 4 h de l’après-midi, on vient m’apprendre que je pars en permission le lendemain matin. Inutile de dire que cette nouvelle me remplit de joie.

On me donne une paire de molletières neuves, une chéchia, une fourragère.

Vendredi 5 janvier 1917

Je me lève à 2 h ½ du matin.

Mon sac est aussitôt monté et porté à l’emplacement voulu.

 

À 4 h, rassemblement des permissionnaires. Nous partons immédiatement pour nous rendre à la gare de Fontaine-Bonneleau où nous embarquons sur le train de permissionnaires. Nous partons et nous allons vers Paris car nous allons à Survilliers, notre gare régulatrice pour faire timbrer nos permissions. Nous arrivons à Survilliers à midi pour rembarquer à 2 h et reprendre la direction d’Amiens.

Nous venons repasser sur le train à quelques km de nos cantonnements.

Samedi 6 janvier 1917

Nous arrivons à Boulogne trop tard pour avoir le train de Saint-Omer. Nous allons jusqu'à Calais où je prends Anvin et arrive enfin à Remilly à 2 h ½.

Dimanche 7 janvier 1917 au Samedi 13 janvier 1917

Permission

Dimanche 14 janvier 1917

Ca y est, la permission passée, j’embarque à Lumbres, direction Paris.

Mais quand même, ce départ est un peu plus lourd que les autres, les événements s’allongent toujours, et à la fin, ça commence à ennuyer. Nous soupons à Hesdigneul.

Lundi 15 janvier 1917

Le voyage s’effectue lentement car les voies sont encombrées par des troupes. Les troupes françaises en Belgique sont relevées et envoyées vers la région de Paris.

Nous arrivons à St Just-en-Chaussée à 6 h du matin.

Nous sortons en ville et nous trouvons à grand peine le moyen de boire du café à peu près chaud. Nous devons attendre notre train jusque 5 h du soir, mais on nous indique une petite ligne et nous la prenons de sorte qu’à 2 h de l’après-midi, nous sommes rendus dans nos cantonnements.

Je retrouve mon équipe à l’endroit où je l’ai laissée.

Tout le monde est en bonne santé mais passablement fatigué de ce fameux camp de Crèvecoeur. Je reprends tout mon équipement et me voilà de nouveau comme les autres.

Mardi 16 janvier 1917

Le matin, on me laisse au repos.

À la grande joie de tous, le flacon de rhum est entamé ainsi que les provisions. Je reprends complètement mes fonctions à partir de midi.

 

L’après-midi, nous allons en corvée de bois et de bon cœur, car à présent, nous faisons popote et notre cuisine se trouve passablement améliorée.

 

Le soir, nous nous préparons pour la grande manœuvre de demain, car il paraît que nous partons le matin à la première heure.

Mercredi 17 janvier 1917

Réveil à 3 h du matin. À 4 h moins le quart, nous partons pour la manœuvre. Nous passons par Troussencourt, Hardivilliers et nous dirigeons vers Breteuil.

À 4 km de Breteuil, la manœuvre commence tout en revenant vers nos cantonnements. Mais la neige tombe depuis notre départ et il fait tellement froid qu’elle gèle sur nous au fur et à mesure qu’elle tombe.

 

À 10 h, la manœuvre est terminée.

Nous ne sommes qu’à 3 km de nos cantonnements et nous rentrons et ce n’est pas dommage.

 

L’après-midi, même temps et aussi on nous laisse reposer.

Jeudi 18 janvier 1917

Le matin, nous dormons tranquillement jusqu'à 8 h, mais bientôt on m’apprend que je suis de jour. J’accompagne les malades à la visite et le courrier. Puis mon service est pour ainsi dire terminé. La neige est tombée en abondance toute la nuit de sorte que tout est blanc.

Aussi, le matin, grand nettoyage de cantonnement et des environs, puis ensuite, en attendant la soupe, bataille générale à coup de boules de neige.

Vendredi 19 janvier 1917

Le matin, corvée de bois, mais le bois devient rare dans ce pays de malheur.

 

L’après-midi, on nous passe une revue de chaussures par le maître cordonnier.

 

Le soir, nous avons la soupe à 4 h et à 5 h 45, nous partons dans la nuit pour une manœuvre. Il y a environ 10 cm de neige et il fait un vent qui vous coupe en deux.

Après ¾ d’heure, nous prenons nos emplacements puis nous gelons une demi-heure sur place que tout le monde soit placé car c’est toute le division qui manœuvre. Après nous être baladés dans le camp les pieds dans la neige, on nous apprend à notre grande joie que la manœuvre est finie et ce n’est pas dommage.

Samedi 20 janvier 1917

Le matin, on nous laisse dormir jusqu'à 8 h, mais il fait un froid terrible et nous allons aux douches. Mais les douches par un temps pareil, ça n’a rien d’intéressant.

 

L’après-midi, nous avons une revue de cantonnement d’armes et de chaussures par le lieutenant, puis une corvée de bois. Les uns disent que ce serait pour mercredi ou jeudi et ce ne serait pas trop tôt, ce sale bled commence à me dégoûter salement. Et puis le voyage fera peut-être passer un peu le cafard. Et puis le soldat ne se trouve pas longtemps bien au même endroit.

Dimanche 21 janvier 1917

Le matin nous dormons bien tard, car aujourd’hui, nous avons repos complet.

Le matin, il a gelé bien fort, mais quand même il ne fait pas trop froid. Après la soupe, nous apprenons que nous avons théâtre ce soir, aussi je me fais un plaisir d’y assister.

La pièce jouée est intitulée « à la marocaine » et jouée comme par des artistes consommés. Elle représente d’abord la visite d’un député à la DM, puis une scène « la rentrée du permissionnaire » ; puis le camp de Crèvecoeur personnifié qui cherche sa fiancée, la DM. La pièce se termine par un appel aux troupes de la DM. La pièce a été composée de toutes pièces par des zouaves et jouée par eux. 

Lundi 22 janvier 1917

Réveil à 6 h ½ et départ à 7 h ½, après avoir mangé la soupe. Nous partons et allons prendre position à 10 km de nos cantonnements et nous restons là jusqu'à 11 h que commence la manœuvre. Elle dure et se déroule dans la direction d’Hardivilliers pour se terminer à 4 h, mais on voit très bien que cette manœuvre a été faite à coups de pieds.

Nous rentrons à nos cantonnements à 5 h.

 

À 8 h, on nous apprend que la manœuvre a été complètement ratée et qu’on la recommence demain.

Quelle tuile, mes enfants ! Enfin, allons-y pour demain.

Mardi 23 janvier 1917

Il a gelé terriblement cette nuit. Au point que nous avons trouvé, ce matin à notre réveil, nos souliers qui avaient été remplis d’eau hier, complètement gelés.

Nous partons à 10 h ½ après avoir mangé la soupe. Nous reprenons nos emplacements au milieu de la manœuvre d’hier et nous la continuons. Mais ça n’a rien d’intéressant, il faut absolument marcher et ne pas s’arrêter si l’on veut avoir un peu chaud.

 

Nous rentrons de la manœuvre à 3 h ½ de l’après-midi.

Il paraît que c’est la dernière manœuvre de la brigade et ce n’est pas dommage, on commence à en avoir plein le dos de ce fameux camp. On dit que ce serait pour jeudi ou vendredi, direction : un secteur à gauche de celui que nous avons occupé à Lassigny.

Mercredi 24 janvier 1917

Enfin, cette fois, ça y est, nous partons, mais c’est pour aller aux tranchées. En tout cas, ce ne sera pas pis que le camp de Crèvecoeur.

Aujourd’hui, préparation au départ. Nous marcherons une journée à pied et le deuxième jour en auto. Mais pour le premier jour, le sac va être terriblement lourd car on ne nous enlève qu’un seul couvre-pied, tout le reste nous devons le porter sur notre dos. Le magasin du corps est chargé, prêt à partir.

Il continue de geler et il a gelé si fort la nuit dernière que l’encre de mon encrier est complètement gelée.

Jeudi 25 janvier 1917

Départ le matin à 7 h.

Dès le départ, on s’aperçoit que la marche sera très pénible, il fait très glissant et chargés comme on l’est, quand on perd l’équilibre, on ne peut pas le rattraper. Aussi, tout le long de la route, les zouaves s’allongent et on en rigole.

Mais quand même, l’un d’eux réussit à se démonter une épaule. Nous passons par Troussencourt et Breteuil pour arriver, bien fatigués, dans le courant de l’après-midi à Plainville, petit village où nous cantonnons.

Toute la CHR (*) est logée dans une très grande ferme.

 

(*) : Compagnie Hors Rang

Vendredi 26 janvier 1917

Réveil à 6 h ½, toujours le même froid et le même vent qui vous coupe en deux.

 

Nous partons à 7 h ½ et nous allons attendre les autos sur la grande route de Breteuil - Roye. Mais il nous faut attendre plusieurs heures pour avoir les autos, les moteurs sont gelés et la moitié des autos restent en panne.

Enfin, nous partons, nous traversons Montdidier et nous débarquons dans un petit ravin où nous mangeons la soupe. Puis nous partons à pied et nous arrivons à Grivillers, petit village complètement démoli où nous logeons dans un assez bon abri.

Samedi 27 janvier 1917

Il gèle encore et pas pour rire.

Le matin, je vais reconnaître les 2e et 3e  bataillons afin de pouvoir connaître leurs emplacements en cas d’alerte. La route n’est pas trop longue et les lignes se trouvent en avant de Dancourt et Popincourt, villages démolis. Nous montons jusqu’aux premières lignes. C’est assez calme, les boches envoient quelques torpilles à droite de nous. Les tranchées semblent très bien entretenues et très propres. À droite de nous se trouvent un immense parc et un beau château du nom de Tilloloy.

Dimanche 28 janvier 1917

Toujours le même temps, il gèle toujours. Heureusement nous trouvons dans les débris du village un vieux poêle abandonné que nous transportons dans notre cagna pour nous chauffer.

 

L’après-midi, nous allons reconnaître l’emplacement du bataillon de réserve qui vient se placer dans le parc de Tilloloy. Nous revenons à travers champs par Fescamps, où nous trouvons la brigade dans un village encore un peu habité et où l’on trouve encore à peu près tout ce que l’on veut. Nous rentrons vers le soir mais bien fatigués, car nous avons fait pas mal de chemin dans le courant de la journée.

Lundi 29 janvier 1917

Debout le matin à la première heure car il y a 600 artilleurs pour aller faire des travaux et que l’on doit loger. Nous allons donc reconnaître les emplacements pour les conduire immédiatement à leurs abris.

Notre reconnaissance ne prend fin que vers midi et nous rentrons affamés. Juste le temps de manger, les premiers artilleurs arrivent et il faut les conduire. Les derniers ne viennent que le soir assez tard et je ne rentre de les conduire que bien tard dans la nuit.

Toujours le même temps, il gèle à pierre fendre, je crois même qu’il n’a pas encore gelé aussi fort.

Mardi 30 janvier 1917

Ce matin, le temps est au changement. Le temps est couvert et on peut craindre de la neige et de la pluie.

Tout une série de plis viennent pour la brigade et nous devons courir les porter. On signale de l’avant un bombardement assez vif par torpilles lacrymogènes. On craint même un coup de main par les boches dans le courant de la nuit. Aussi, on fait monter en lignes, par la chaîne de coureurs de bataillon, une quantité de fusées rouges et vertes pour en cas d’attaque.

Cependant, la nuit se passe dans le calme le plus complet.

Mercredi 31 janvier 1917

La matinée se passe d’une manière assez calme. Nous faisons corvée de bois pour les cuisines et vers midi, on m’envoie reconnaître des abris un peu en arrière de Dancourt sur la route de Roye à Montdidier. Nous avons la visite d’un officier et d’un sergent de coureurs de la Légion Étrangère qui viennent reconnaître les emplacements, car, paraît-il, la relève se fera demain après-midi ou après-demain au plus tard. Le temps radoucit un peu et il tombe un peu de neige et de verglas.

 

L’après-midi, les boches bombardent un peu notre arrière et nous avons aussi la visite d’un avion boche.

Février 1917

Jeudi 1er février 1917

Le matin, on nous apprend à notre grand plaisir que nous sommes relevés cette après-midi, mais, cependant, il faut aller encore courir de côté et d’autre. Après la soupe, nous montons nos sacs et nous attendons la relève qui s’amène vers une heure de l’après-midi.

On se passe vivement les consignes, nous mangeons la soupe, nous embarquons tout notre fourbi sur nos voitures et nous partons vers 3 h de l’après-midi. Nous avons 12 km à faire et nous arrivons au cantonnement à la tombée de la nuit.

 

Nous sommes cantonnés dans une ancienne sucrerie à Assainvillers, village où il y a encore des civils.

Vendredi 2 février 1917

Ah ! Quelle nuit mes amis.

Nos couvre-pieds sont arrivés au milieu de la nuit. En outre, nous étions dans un cantonnement ouvert à tous les vents où nous avons grelotté toute la nuit. Pour ma part, j’ai été forcé de me lever et de courir pour me réchauffer.

Aujourd’hui, repos sur toute la ligne, mais notre plus grand repos, c’est d’aller chercher du bois pour faire du feu pour nous chauffer. Il gèle toujours à pierre fendre nuit et jour.

Cette nuit, d’après les racontars, le thermomètre serait descendu à –12°. Tout ce que je sais, c’est que j’ai terriblement froid.

Samedi 3 février 1917

J’ai un peu moins froid pour cette nuit que la nuit avant, mais, quand même, comme chaleur, ça était encore très modéré. J’organise avec mon groupe un service de coureurs au PC du colonel.

Quoique le temps n’ait encore rien d’intéressant, il faut quand même se mettre un peu au travail.

 

Dans le courant de l’après-midi, le lieutenant nous passe une revue d’armes, de chaussures graissées, puis nous allons faire une corvée de bois pour nos cuisines.

Aujourd’hui, le même temps.

Dimanche 4 février 1917

Je suis de jour à la compagnie, mais c’est plutôt une distraction par le temps qu’il fait de circuler de côté et d’autre que de rester cloué dans le cantonnement.

Aujourd’hui, nous avons repos.

Dans le village, il y a quelques civils, mais on n’y trouve rien sauf du café chaud et, bien entendu, sans eau de vie. Mais cependant, par le temps qu’il fait, on est bien content d’avoir quelque chose de chaud à se mettre dans le ventre. Il gèle toujours à pierre fendre le jour et la nuit.

Le pis, c’est la nuit. Le jour, on arrive encore à se réchauffer, mais la nuit, c’est terrible. Bon nombre d’hommes sont obligés de se lever la nuit pour allumer du feu pour se réchauffer.

Lundi 5 février 1917

Toujours le même temps quoique aujourd’hui, ce soit un peu couvert.

Le matin, à 4 h, on vient nous sortir de nos lits à grands cris.

 

Départ à 5 h ½ de la moitié des hommes pour aller travailler très près des tranchées à faire des emplacements de batteries. J’ai la chance de ne pas être du nombre de ceux qui marchent, aussi je me dépêche de me recoucher.

Dans la journée, pas grand chose à faire sauf à ramasser bien froid aux doigts toute la journée.

Les camarades rentrent du travail à 5 h du soir bien fatigués par le froid.

Mardi 6 février 1917

Au réveil, on m’apprend que je suis de travail ce matin.

Réveil à 4 h, départ ¾ d’heure après.

Nous avons deux heures de marche pour nous rendre à notre travail. Nous y arrivons à 7 h. Nous devons faire des emplacements de batteries en plaine, mais il faut piocher pendant une heure pour avoir un morceau de terre gros comme le poing.

 

À midi, la soupe vient mi-gelée car il fait toujours un froid terrible.

 

L’après-midi se passe comme la matinée. Nous partons du chantier à 3 h pour rentrer au cantonnement à 5 h bien fatigués, mais plus par le froid que par le travail.

Mercredi 7 février 1917

Le matin, je suis de jour. Aussi il faut me lever en même temps que les travailleurs pour les rassembler et leur donner des vivres pour la journée. On nous distribue des effets et des campements : gamelles, quarts, etc.

Toujours le même froid. Les travailleurs ne peuvent rien faire, les outils cassent comme du verre, tout est gelé. Heureusement que les hommes travaillent à côté d’un bois et peuvent couper du bois pour faire du feu pour se chauffer car ce n’est guère intéressant de rester tout une journée dehors, par ce temps là, sans rien à manger de chaud.

Jeudi 8 février 1917

Cette nuit, grand spectacle : un incendie dû à l’imprudence a mis le feu à une baraque Adrien où logeait la première compagnie de mitrailleuses. 11 hommes ont été brûlés plus ou moins grièvement. 10 pièces ont été détruites.

Les boches ont du voir cet incendie et bien en rigoler. Mais nous on ne rigole pas car on s’attend à des mesures très sérieuses.

 

Vers midi, on nous apprend que nous partons demain matin à 8 h. Aussi, dans le courant de la journée, on nous fait passer une revue en tenue de campagne, prêts à partir. Le matériel est chargé sur les voitures dès ce soir.

Le deuxième couvre-pied est chargé sur les voitures demain matin.       

Vendredi 9 février 1917

Réveil le matin à 5 h ½.

Immédiatement, nous nous mettons à monter nos sacs et à nettoyer le campement. Il fait un froid terrible, un froid qui vous coupe en deux. Nous partons à 8 h mais on peine beaucoup pour marcher par ce temps là car dans la traversée du village, il glisse encore passablement.

Après de nombreuses pelles ramassées, nous arrivons à Wavignies où nous allons cantonner à l’extrémité du village, dans un bistrot, ce qui nous permet de prendre un bon café bien chaud avant de nous coucher.

Demain, redépart encore.

Samedi 10 février 1917

J’ai très mal dormi cette nuit car il faisait très froid dans notre cantonnement. Heureusement que nous nous sommes cantonnés chez un bistrot et qu’il se lève avant notre départ, de sorte que nous pouvons boire un café bien chaud avant de partir vers 8 h ½.

Nous n’avons que 10 km à faire.

 

On arrive cependant déjà bien fatigués car les routes sont très glissantes. Nous mangeons la soupe avant de rentrer dans le village pendant que les fourriers font les cantonnements.

Nous sommes cantonnés vers 2 h chez une bonne vieille qui a l’air assez gentille.

Dimanche 11 février 1917

À peine sommes-nous arrivés qu’on vient me chercher avec deux hommes en armes. Je me demande ce qu’il peut bien y avoir. On nous fait charger nos armes et on nous remet un déserteur qui s’est déjà évadé trois fois, pour le conduire dans un village à 4 km d’ici.

La mission n’a rien d’attrayant, mais cependant nous l’emmenons sans qu’il fasse le moindre geste de rébellion. Nous rentrons dans le courant de la matinée, à temps pour manger la soupe.

 

L’après-midi nous avons repos, le quartier est déconsigné et nous allons nous promener dans les champs et dans les bois. Nous découvrons un bel étang peuplé de superbes canards et aussi un beau bois avec des lièvres et des lapins mais aussi ils ne s’attrapent pas avec du sel.

Lundi 12 février 1917

Toujours le même temps, il gèle toujours. Hier soir, nous aurions cru que le temps couvert allait nous amener un adoucissement de la température, mais il n’en a absolument rien été.

Aujourd’hui, travaux de propreté. Nous en profitons pour aller chercher du bois sec dans le bois et pour faire bouillir notre linge. Mais avant tout, nous commençons par faire un bon chocolat. Nous profitons également de la journée pour nettoyer nos armes, nos chaussures et nos vêtements car le tout en a le plus grand besoin.

Nous sommes ici à Montreuil-sur-Brêche.

Mardi 13 février 1917

Le temps est un peu meilleur ce matin. Il fait moins froid aujourd’hui. Espérons que ça continuera ainsi. Le service de planton chez le colonel reprend dès ce matin. Deux hommes assurent le service de 7 h du matin à 7 h du soir. Les autres ont encore repos.

Nous en profitons pour aménager un peu nos cantonnements et les rendre un peu plus confortable.

 

Échange d’effets dans le courant de l’après-midi : chaussures, capotes, chéchias, etc.

Je suis chargé, avec deux hommes, d’assurer le nettoyage des abords du bureau du colonel.

 

Dans la soirée, un de mes camarades rapporte un superbe lièvre. Quel bon souper en perspective heureusement, ce sera une sérieuse amélioration de l’ordinaire. Demain, grande manœuvre au camp de Crèvecoeur.

Mercredi 14 février 1917

Départ le matin à 5 h ½, ce qui ne va pas sans bon nombre de rouspétances car la perspective d’aller passer une journée au camp de Crèvecoeur n’a rien d’attrayant. Nous arrivons à la limite du camp, à côté de la gare de La Chaussée - Puits où nous déjeunons. Et quel déjeuner !

Une boîte de sardine à 10 et un morceau de viande gros comme le bout d’un doigt.

 

La manœuvre commence à 10 h pour se dérouler tout en s’éloignant de nos cantonnements et pour se terminer à la ferme La Grange à 22 km de nos cantonnements.

 

Nous rentrons le soir à 6 h avec plus de 40 km dans les jambes et éreintés, avec, chacun, 1 sardine et un bout de bifteck. Heureusement qu’un bon souper nous attend à l’arrivée sans quoi je crois fort que ça n’aurait pas marché tout droit.

Jeudi 15 février 1917

Réveil à 8 h.

Quoique très fatigué, je dors peu. La fatigue est trop grande et les jambes me font terriblement souffrir aujourd’hui. Un peu de rhumatismes et de fatigue. Au diable, ce trop fameux camp.

 

Le matin, nous avons repos et ce n’est pas dommage, ça nous remettra un peu. Mais à midi, nous apprenons avec stupéfaction qu’il y a manœuvre après-midi. Nous partons donc à midi, nous manœuvrons à 3 km de nos cantonnements. Quand même, c’est très fatiguant car le soleil a fait dégeler une couche de quelques centimètres de terre qui colle à nos souliers et nous empêche de marcher.

Vendredi 16 février 1917

Le matin, revue de cantonnement par le lieutenant.

 

Le soir, manœuvre encore. Nous partons à 11 h ½.

La manœuvre commence à 5 km de nos cantonnements à travers champs et bois, car ce n’est pas les bois qui manquent. Ici, au cours de la manœuvre, plusieurs fautes sont commises et notre colonel qui aime la perfection fait recommencer jusqu’à ce que ce soit bien ce qui ne nous permet pas de rentrer avant 5 h du soir, juste à temps pour la soupe. Il a bien dégelé aujourd’hui et peut-être bien qu’à la fin, le dégel viendra quand même et ce ne sera pas trop tard.

Samedi 17 février 1917

Aujourd’hui repos et ce n’est pas dommage car je commence à en avoir plein le dos de leurs manœuvres.

Le matin, revue de cantonnement par l’adjudant.

 

Le soir, revue d’armes, de chaussures par le lieutenant.

Enfin, il dégèle et je crois que ça va être le bon coup car cette nuit, il n’a pas gelé du tout et la neige semble complètement partie.

 

L’après-midi, nous trouvons un superbe renard pris dans un collet. Nous le rapportons et je me mets en devoir de l’écorcher, mais un camarade vient me voir et me demande pour l’avoir. Comme il part en permission demain et que par le train, je ne suis pas sûr qu’il arrive à bon port, je lui donne.

Dimanche 18 février 1917

Il a plu en quantité cette nuit. Enfin, cette fois, c’est bien le bon dégel.

 

Le matin, en compagnie de deux camarades et de civils qui sont bien aimables pour nous, nous mangeons le lièvre que nous avons depuis quelques jours déjà. Rien à faire aujourd’hui, rien, rien, rien. Je suis de jour et je ne puis sortir comme je le fais parfois.

Il me semble que cette fameuse journée ne finira jamais.

 

Enfin, le soir vient. Pas de lettre aujourd’hui de personne, ce qui me donne un cafard terrible.

Une quantité de permissionnaires partent ce matin. À quand mon tour ?

Lundi 19 février 1917

Même temps aujourd’hui, le dégel s’accentue. Manœuvre de régiment à travers champs.

Par ce temps de dégel, on fait énormément de mal à la culture, mais malgré cela, on ne regarde à rien, c’est même malheureux.

 

L’après-midi est occupée à différents travaux, en autre à emballer de vieux effets que l’on envoie au magasin d’habillement à l’arrière. La boue a fait son apparition avec le dégel et les zouaves balaient les routes du matin au soir.

Réception d’un joli colis de nœuds d’amour de ma chère sœur. Ils sont excellents et rien que le nom nous divertit toute la soirée.

Mardi 20 février 1917

Aujourd’hui 20 février, Mardi Gras. Que de souvenirs ce jour rappelle. Où sont donc les traditionnelles crêpes ? Il faudra les oublier. Mais on ne passe si facilement outre ces coutumes.

 

Le soir, je me rends dans un cantonnement voisin et je vois avec surprise que l’on y fait les crêpes, mais les zouaves discutent haut et fort pour savoir la bonne manière de les faire. Inutile de dire que tous sont barbouillés de farine jusqu’aux yeux. Néanmoins, elles sont excellentes et j’en mange quelques unes avec eux.

Le matin, nous avons travaux de propreté.

Le soir, la musique donne concert sur la place du village.

Mercredi 21 février 1917

Aujourd’hui, Mercredi des Cendres, mais nous nous en fichons un peu. Nous soupons avec un superbe poulet reçu par un camarade ce qui nous régale beaucoup. Nous travaillons au magasin du corps. Une quantité de vêtements neufs sont arrivés et il faut les déballer. On en distribue une partie de suite.

 

Aujourd’hui, manœuvre de la brigade au camp de Crèvecoeur mais les zouaves n’y sont que figure, de sorte que nous n’y allons pas et ce n’est pas dommage. Nettoyage des cantonnements, travaux de propreté, revue en tenue de sortie dans le courant de l’après-midi.

Jeudi 22 février 1917

Aujourd’hui, il pleut, nous allons quand même à la manœuvre. Nous rentrons crottés comme des petits barbets.

 

L’après-midi, repos, mais le dégel continue à s’accentuer, ce n’est pas dommage. Avec le plus grand plaisir, nous apprenons que les permissions de 24 heures continueront à marcher dimanche prochain et les parisiens sont bien contents.

En effet, 24 heures chez soi, c’est beau. Nous assistons dans notre groupe à un pugilat en règle. Nous sommes en train de bien nous habituer à Montreuil et même, on y resterait bien longtemps si on voulait nous y laisser.

Vendredi 23 février 1917

Le matin, exercice toute la matinée.

École de section à rang serré et en ligne déployée. Nous rentrons juste pour la soupe.

 

Le soir, mes poilus vont au magasin charger des chargeurs de fusils-mitrailleurs et moi, je me repose.

Il y a cette après-midi une prise d’armes pour toute la Division, remise de décorations, Légion d’Honneur et Médaille Militaire. Nous n’y assistons pas et nous n’en sommes pas fâchés car cela n’a rien d’intéressant. Les autres rentrent bien fatigués et en rage car on les a fait traîner toute l’après-midi.

La pluie fait de nouveau son apparition aujourd’hui, mais c’est plutôt un fort brouillard que de la pluie. 

Samedi 24 février 1917

Le matin, travaux de propreté, corvée de lavage et repos pour l’après-midi. Une revue est prescrite, mais on nous apprend que nous partons demain matin, à la première heure, pour une destination inconnue.

Les bruits les plus singuliers circulent, mais tout le monde est très surpris de ce brusque départ.

 

Le reste de l’après-midi est consacré aux préparations au départ : chargement des voitures à bagages, démontage du matériel, en un mot c’est le commencement du déménagement.

 

Le soir, tous en cœur, nous dégustons un superbe lapin pour pleurer notre départ de Montreuil, pays aux gens si aimables, mais aussi pays aux belles femmes comme dit la chanson.

Dimanche 25 février 1917

Réveil à 5 h.

À 6 h, le chargement des voitures est complété. Nettoyage du cantonnement, nous partons à 7 h 45.

 

Nous marchons jusqu’à 11 h, puis halte d’une heure pendant laquelle la soupe est distribuée. Puis nous repartons, nous devons traverser Beauvais presque entièrement pendant une heure ¼. Nous marchons baïonnette au canon et musique en tête, drapeau déployé pour traverser Beauvais. Une foule énorme se trouve massée sur notre passage. On nous fait un charmant accueil.

Mais on n’a guère le cœur gai car nous sommes terriblement fatigués.

 

Enfin, nous arrivons à 5 km de Beauvais, dans le village où nous devons cantonner. Tout de suite on s’installe, tout le monde est fatigué, la traversée de Beauvais, l’arme sur l’épaule, nous a esquintés.

Lundi 26 février 1917

Dès 6 h ½ du matin, bien que nous soyons encore très fatigués, il faut se lever afin de donner la main à nos camarades les téléphonistes pour l’installation de leurs lignes.

 

Après-midi, revue à 3 h par les chefs de groupe. On nous apprend, par la voie du rapport, que le général Nivelle, qui nous a vu défiler dans les rues de Beauvais, nous félicite pour notre bonne tenue, notre joli défilé et nous donne repos aujourd’hui.

En outre, un paquet de tabac à 60 est offert à chaque musicien, donc à partir de 3 h, le quartier est déconsigné et il y a concert. Nous sommes ici assez bien logés. Le village s’appelle St Paul et a une église si vieille que je n’en ai encore vu de pareille.

Mardi 27 février 1917

Le matin, nous changeons de cantonnement. Nous étions dans le logement de la pompe à incendie mais nous sommes trop serrés, alors nous allons habiter dans une maison inhabitée où nous sommes très bien : table, foyer, etc.

Toute la matinée, nous travaillons à l’installation du cantonnement.

 

L’après-midi, on nous emmène à l’exercice, mais c’est plutôt un amusement qu’un exercice, nous jouons toute l’après-midi au foot ball, ce qui ne nous empêche pas de rentrer quand même bien fatigués.

Le groupe de coureurs va très probablement être dissout et nous allons rentrer dans nos compagnies respectives. Immédiatement, je fais une demande pour rentrer à la 6e d’autant plus que le capitaine Chappel, évacué à la nouvelle année, vient de rentrer et retournera probablement à son ancienne compagnie.

Mercredi 28 février 1917

À 5 h du matin, alors que nous dormons encore d’un profond sommeil, on vient nous éveiller en sursaut :

 

« Eh ! Là dedans, tout le monde debout, nous partons à 7 h ».

Aux multiples questions posées, l’éveilleur ne peut répondre car il ne sait rien.

 

Enfin, on se lève, on monte les sacs, on charge les voitures et on ne dit pas grand chose.

On se demande :

« Où vont-ils encore nous emmener comme ça ? »

 

Enfin, à 7 h ½, le drapeau est pris avec cérémonie par la CHR au logement du colonel.

Sur la route, nous rencontrons les autres bataillons qui nous attendent. Nous retraversons Beauvais. Nous passons devant l’état-major interallié et c’est le moment de bien se tenir. Mais quand nous arrivons de l’autre côté de Beauvais, nous sommes esquintés car cette marche au pas sur les pavés, baïonnette au canon, est très pénible. Enfin, nous arrivons dans le faubourg de Marissel où nous devons cantonner.

On nous installe au premier étage d’une maison à louer où nous serons très bien. Personne ne peut nous renseigner si nous sommes ici pour longtemps ou seulement pour une nuit.

Mars 1917

Jeudi 1er mars 1917

Nous voilà donc arrivés dans nos nouveaux cantonnements et la matinée est employée à l’aménagement de notre nouvelle demeure.

 

L’après-midi, visite du cantonnement par un officier. Le service reprend comme d’habitude, un planton à la porte du colonel. Les ordres concernant la ville de Beauvais sont très sévères : il est expressément défendu d’y mettre un pied.

Néanmoins, le soir, nous allons nous promener et sans doute, nous prenons une rue qui n’est pas gardée et nous nous retrouvons bientôt comme par inadvertance en pleine ville de Beauvais. Personne ne nous dit rien.

Cependant, nous ne faisons qu’un court stage en ville de peur de nous faire piéger.

Vendredi 2 mars 1917

Le matin, continuation des travaux de propreté et aménagement des cantonnements. La ville de Beauvais est strictement consignée aux zouaves. Mais il faut aujourd’hui un gradé pour accompagner des zouaves dans un hôpital de Beauvais pour leur faire passer une visite oculaire. Nous partons à midi et comme un poilu est tenu jusqu’au soir, j’en profite pour visiter Beauvais qui est une très jolie ville.

La cathédrale est surtout très jolie. Un portail ancien est magnifique. Nous profitons de l’occasion pour nous fournir quelques objets indispensables, et le soir, comme nous avons des laissez-passer, nous retournons en ville.

Samedi 3 mars 1917

Le matin, on nous éveille à 5 h et on nous apprend qu’il y a grande manœuvre. Départ à 6 h, mais les cuisines ne sont pas prévenues. Pas moyen d’avoir rien pour manger en route, ni de café chaud avant de partir.

La manœuvre commence à 2 km de nos cantonnements et nous contournons Beauvais pour continuer de l’autre côté. Mais l’heure avance et nous terminons la manœuvre à midi. Toutes les autres compagnies ont leurs roulantes qui les suivent et vont pouvoir manger la soupe chaude. Mais nous, nous avons encore 8 km à faire avant de manger.

Inutile de dire que nous arrivons esquintés et affamés.

Dimanche 4 mars 1917

Le matin, échange d’effets. On me donne une veste et un pantalon neufs. Aussi, le reste de la matinée est employé à coudre les boutons et les insignes.

 

L’après-midi, le quartier est déconsigné. Nous allons nous promener dans Marissel qui est un charmant petit village. Les civils sont très aimables. Il y a énormément de jeunes filles qui travaillent dans les usines. Aussi, les couples emplissent les rues le soir.

 

Le soir, à 3 h, match de foot ball entre une équipe de zouaves et une équipe de civils. Quoique les zouaves soient plus âgés, ils n’en sont pas moins battus par 7 buts à 0, car les zouaves manquent d’entraînement et ne vont pas assez vite.

Lundi 5 mars 1917

Le matin au réveil, surprise générale : une couche de 10 cm de neige couvre la terre et tout le monde en est stupéfait, dire que nous avons eu du si beau temps hier. Enfin, on se lève et tout de suite, il faut se mettre à nettoyer les rues et les trottoirs, mais on ne tarde pas à voir le soleil se montrer et la neige commence à fondre rapidement.

 

Vers le soir, le temps se découvre et il se pourrait bien qu’il gèle encore à nouveau cette nuit.

 

Dans l’après-midi, toute une série d’autos passent sur la route et on se montre notre général en chef. (*)

 

(*) : Il s’agit du général NIVELLE, commandant en chef des armées françaises.

Mardi 6 mars 1917

Nouvelle promenade à Beauvais.

Dans les rues, nous rencontrons une foule d’officiers de toutes les nations alliées : anglais, portugais, russes, serbes, etc. Nous y rencontrons même notre général commandant en chef en compagnie d’une foule d’officiers supérieurs.

 

Ce matin, il a gelé et le temps est assez beau.

On nous apprend que demain, nous avons une revue par le général en chef et le Prince de Galles.

 

Après-demain, départ pour une destination inconnue, probablement pour les tranchées. Donc il nous faudra déjà quitter Marissel et Beauvais où nous étions si bien, pour retourner vers l’enfer du front.

Mercredi 7 mars 1917

Aujourd’hui, préparation au départ qui aura lieu demain. On commence à emballer le matériel et à le charger sur les voitures.

 

À 8 h, on vient nous dire de monter nos sacs. Le groupe de coureurs est dissout et ils sont renvoyés dans leurs compagnies respectives.

Moi seul, je reste à la CHR. Je me demande ce que l’on veut faire de moi mais je ne puis avoir aucun éclaircissement à ce sujet et j’attends. Nous verrons par la suite. Quand même, ce n’est pas sans une pointe de regret que je les quitte car ils étaient assez gentils.

 

Le soir, le propriétaire où nous logeons vient nous chercher pour nous faire manger des crêpes que sa femme a fait elle même en notre honneur.

Jeudi 8 mars 1917

Réveil à 5 h, chargement des voitures. Notre aimable propriétaire vient nous chercher et nous fait déjeuner avec lui.

Avant de partir, il nous donne chacun une bouteille de vin vieux. Vraiment, les endroits où l’on rencontre des gens si aimables sont rares.

Départ à 7 h 15. Tout le long de la route avant de sortir du village, les gens nous font des signes amicaux. On se montre même au doigt des jeunes filles qui pleurent. Quel dommage que les zouaves partent déjà.

Il fait un vent terrible qui vous coupe en deux. Il gèle à pierre fendre. Nous tirons 28 km et nous arrivons à un petit village à côté de Thieux où nous devons passer la nuit.

Vendredi 9 mars 1917

Réveil à 5 h.

Mais quelle différence de gens et de pays. On est vu comme des chiens et très mal reçu par tout le monde.

Où est donc Marissel ?

 

À 7 h, nouveau départ.

Nous avons aujourd’hui une vingtaine de km à faire. Même temps qu’hier avec un peu de neige. Nous arrivons au cantonnement à 1 h, pas trop fatigués malgré notre voyage et le mauvais temps. Le village s’appelle Sourdon à 9 km à l’ouest de Montdidier.

Le cantonnement sans être parfait est bien mieux que celui de la nuit dernière.

Samedi 10 mars 1917

Déjà les bruits les plus singuliers circulent. Les uns disent que les travaux sont arrêtés et que nous retournons à l’arrière, les autres que nous allons travailler à un autre endroit. Mais il apparaît comme presque sûr dans tout cela que nous repartons demain.

Ici ça sent déjà le front : pas un café d’ouvert. Partout, on vous vend par les fenêtres. Les civils se défient du soldat. Nous voilà rentrés dans la zone du front et ça se voit bien, pas besoin de le demander.

Le temps s’est adouci un peu, et maintenant la neige est toute fondue et il dégèle.

Dimanche 11 mars 1917

Le matin, on se lève à la première heure pour le départ.

Mais bientôt, nous apprenons qu’il y a contre-ordre, nous ne partons que demain matin.

 

À partir de 9 h, nous partons faire un tour car le quartier est déconsigné et nous allons nous promener dans les bois car il fait un temps superbe. Le soleil brille. On sent que le printemps revient.

 

L’après-midi, nous allons au concert que donne la musique sur la place du pays. Tous les indigènes de Sourdon accourent voir et je crois bien qu’il y a bien longtemps qu’ils n’ont pas vu chose pareille.

Lundi 12 mars 1917

Il a fait une nuit terrible. À plusieurs reprises, je me suis éveillé tant il tombait de l’eau.

Au réveil, la cour, les rues, tout est plein d’eau. Nous partons à 8 h du matin. La compagnie hors rang marche seule.

Nous mangeons en cours de route et après la soupe, la pluie recommence à tomber. Les routes sont défoncées par le dégel et couvertes d’une boue liquide qui vous arrange bien !

 

Enfin, après une étape de 20 km, nous arrivons à Lignières, petit village à 6 km des lignes où il y a encore quelques civils, pour la plupart des mercantis ou des femmes de mauvaise vie.

Cantonnement assez bon.

Mardi 13 mars 1917

Nous voilà donc de nouveau dans la zone dangereuse pour faire des travaux dit-on pendant une dizaine de jours. Le pays est très triste ; à peine quelques rares civils qui circulent dans les rues. Les routes sont défoncées et il y a 15 cm de boue dessous et avec ça, il pleut encore. Les compagnies vont déjà au travail ce matin. Vraiment, on ne leur laisse guère le temps de se reposer.

 

Après les marches, ils vont travailler à divers travaux : boyaux, réfection des routes, etc. Nous touchons aussi un peu de paille. Notre cantonnement est assez bon. Nous couchons sur un grenier, au moins c’est sec.

Mercredi 14 mars 1917

Pluie encore toute la journée.

Le matin, on m’envoie au pays voisin chercher deux rouleaux de carton bitumé pour boucher les principaux trous sur nos cantonnements. Nous devons avoir ce matériel au parc du génie, mais nous le cherchons une partie de la journée.

 

Nous rentrons tout juste le soir pour la soupe.

Le reste de la journée est employé à différents travaux de nettoyage du cantonnement et de ses abords, ainsi que de mise en état. Toute la journée, le canon a tonné très fort de part et d’autre dans notre secteur.

La nuit, un avion vient lancer quelques bombes sur Montdidier.

Jeudi 15 mars 1917

Le temps est un peu meilleur aujourd’hui.

À 8 h, on nous apprend que nous partons de suite, à notre grand étonnement car nous nous croyons ici au moins pour une dizaine de jours. Enfin, vivement on charge le matériel et on fait les sacs.

 

Nous partons à 11 h du matin. Nous traversons Montdidier pour aller loger à 8 km de l’autre côté à Cantigny, tout petit village qui regorge déjà de troupes et c’est à grand peine qu’on trouve une place pour loger tout le monde. Ici au moins on ne se saoulera pas car on ne trouve que du café à boire.

Vendredi 16 mars 1917

Nous voilà encore une fois réinstallés dans notre cantonnement.

Aujourd’hui, travaux de propreté : nettoyage des armes, des chaussures, des vêtements car le tout en a le plus grand besoin. Dans le courant de la journée, on apporte un nouvel appareil à l’état-major du régiment pour la signalisation par le son.

 

Dans l’après-midi, nous allons essayer ces nouveaux appareils. L’effet produit est excellent, mais il faut une certaine habilité pour les manipuler car le fonctionnement est assez délicat.

Il fait aujourd’hui un temps superbe, et ce n’est pas trop tôt. Peut-être est-ce le beau temps qui commence.

Samedi 17 mars 1917

Le temps se prépare encore pour une belle journée aujourd’hui.

Le matin, nous partons à l’exercice comme hier pour continuer l’apprentissage de ces nouveaux trucs.

 

L’après-midi également, départ à 1 h. Nous profitons des heures de repos pour nous cueillir une superbe salade de pissenlits qui fera notre régal ce soir.

Mais un cycliste vient nous chercher à l’exercice et nous rentrons immédiatement car il paraît que nous partons dans le courant de la nuit, mais on ne sait pas pour où aller. Immédiatement, nous montons nos sacs et chargeons les voitures.

Nous nous préparons au départ qui, paraît-il, aura lieu demain matin à la première heure.

Dimanche 18 mars 1917

Nous devons dormir sans couverture et avec nos chaussures car il faut s’attendre au départ à tout instant.

Au réveil, deux bruits circulent, d’une part, les Allemands auraient violemment attaqué en Belgique et pris Nieuport et nous partirions pour cette direction de suite, d’autre part, l’ennemi ayant vu les préparatifs de notre attaque ici se serait replié sans tambours ni trompettes.

Enfin, on nous rassemble pour le départ et sur les rangs, on nous lit une courte note :

 

« L’ennemi est en retraite sur tout le front et la DM, réserve d’armée, va prendre ses positions ».

Nous partons.

 

Nous traversons Montdidier et nous allons cantonner à Etelfay, mais une heure après notre départ, nous apprenons que nous allons encore 4 km plus loin, à Laboissière. Mais avant de partir pour ce dernier village, nous mangeons et buvons un vieux verre de vin car les journaux viennent de confirmer les bruits qui couraient.

Lundi 19 mars 1917

Nous sommes cantonnés dans la mairie de Laboissière, mais elle n’a plus de mairie que le nom, car portes et fenêtres n’existent plus.

Enfin, on n’y est pas trop mal quand même.

Dans la journée, nous remontons nos sacs, car il se pourrait bien que nous partions d’un jour à l’autre. Les premières nouvelles de Roye nous arrivent en quantité. Les civils, au nombre de 3 à 400 là-bas, ont fait un accueil enthousiaste aux soldats français. Mais avant de partir, les Allemands ont fait sauter des mines aux carrefours des routes, mais des hommes du génie ont tôt fait de permettre aux autos et aux canons de passer.

La mairie de Roye a également été incendiée. L’ennemi se serait replié après s’être livré à un pillage en règle, ne laissant aux paysans que le strict nécessaire et ce qu’on ne pouvait vous enlever. D’après les derniers renseignements obtenus ici, la marche en avant continuerait et les boches reculeraient en refusant le combat. Jusqu’où iront-ils ainsi ?

Personne ne saurait le dire sans doute.

Mardi 20 mars 1917

Voilà le mauvais temps revenu.

Les zouaves travaillent à la réfection des routes et voies de communication afin de permettre aux trains, aux autos et aux canons de circuler le plus vite possible et librement. Le recul semble continuer.

Noyon, le fameux plateau de Crouy, Ham seraient tombés entre nos mains et notre cavalerie marcherait vers St Quentin. Le moral est excellent, mais quand même, on se mord les doigts ! Tous, nous voudrions aller de l’avant. On n’a pas craint de nous donner des postes dangereux à certains moments, pourquoi ne nous met-on pas un peu à l’honneur aujourd’hui ?

J’ai l’occasion de me rendre à Roye pour le service. Les habitants s’empressent autour de nous et nous fêtent. Mais ils meurent de faim. Ils assiègent nos cuisines roulantes et on se prive volontiers pour ces malheureux.

Mais les boches ont laissé de leur graine là-bas, il y en a de venus et encore à venir.

Mercredi 21 mars 1917

Nous déménageons dans le courant de la matinée.

On disait que c’était pour aller cantonner à Roye, mais c’est simplement pour nous faire occuper une sucrerie environ à 1500 mètres de nos anciens cantonnements. D’abord, on nous loge dans une baraque Adrien bâtie dans la cour de la sucrerie, mais vers le soir, on nous fait encore déménager pour aller occuper le deuxième étage de la sucrerie, une chambre où était le génie et qui est complétement et très bien installée.

Il y a dedans une quinzaine de lits en bois avec un sommier en grillage, une table, une cheminée, des bancs. En effet, c’est un aménagement quasi moderne.

Le reste de l’après-midi est employé au nettoyage de nos cantonnements et à notre installation.

Jeudi 22 mars 1917

De grand matin, on nous envoie au travail à la réfection de la route nationale qui va de Montdidier à Roye vers St Quentin. Mais le travail est assez ennuyant car il passe une énorme quantité d’autos sur la route ce qui fait que le travail n’est pas bien commode. Nous faisons également une piste à côté de la route pour le passage des piétons et des cavaliers. Ca demande assez de temps car il faut boucher les tranchées et ouvrir des passages dans les réseaux de fil de fer barbelés. Triste journée.

Le matin au réveil, il y a de la neige ce qui surprend beaucoup de monde. Mais le soleil se lève bientôt et à midi, toute la neige est fondue. Dans le courant de l’après-midi, nous recevons encore quelques averses qui nous obligent à nous mettre à l’abri.

Le recul ennemi semble s’arrêter un peu.

Probablement qu’ils vont se retrancher sur la ligne St Quentin, Laon, La Fère.

Vendredi 23 mars 1917

Nous continuons la réfection de la route nationale.

Mais artillerie, convois automobiles et hippomobiles ne font que se suivre le long de cette route. Une foule d’autos transportent de grosses légumes : Poincaré, Nivelle, de Castelneau et une quantité d’autres qui viennent rendre visite au pays reconquis.

Les journaux de ce matin annoncent le ralentissement du recul ennemi. Sans doute, ils approchent de leur ligne de repli et commencent à se défendre.

 

À midi, on me met de garde à un dépôt de matériel qui a été abandonné par les artilleurs de 240 qui sont partis depuis quelques jours.

Samedi 24 mars 1917

Triste nuit. Un vent du Nord très froid n’a pas cessé de souffler et ce matin, il a bien gelé.

La sentinelle, cette nuit, a dû allumer du feu pour se réchauffer, et nous, dans notre abri, nous n’avons pas eu bien chaud non plus. Je suis relevé de garde à midi et ce n’est pas dommage.

 

Le reste de l’après-midi se passe en travaux de propreté. J’ai eu aujourd’hui le loisir de causer longuement avec des gens de Roye que la retraite des boches vient de relâcher.

Que ne m’ont-ils pas raconté, que de misères, que de souffrances, quel triste pays maintenant que le leur. Rien n’a été respecté, tous les arbres, même les arbres fruitiers ont été sciés à un mètre du sol.

Dimanche 25 mars 1917

Aujourd’hui dimanche, réveil à 8 h et en nous levant, nous avons le plaisir de voir le soleil qui vient frapper par la fenêtre dans notre chambre. Belle journée qui se prépare. Travaux de propreté. Nous en profitons pour laver une chemise et un caleçon.

 

L’après-midi, repos et nous allons jouer un moment au foot ball avant de nous coucher. C’est donc aujourd’hui que nous reprenons l’heure d’été. Le premier jour, ça semble drôle, mais demain, on n’y pensera même plus. Le canon tonne avec violence toute la journée, mais c’est loin, peut-être est-ce la préparation d’une grande action car il est infiniment probable qu’on ne va pas les laisser s’arrêter comme ça où ils voudront.

Lundi 26 mars 1917

Hier soir, j’ai appris qu’Émile est à quelques km de moi. Je sollicite donc une permission qui fut de suite autorisée.

 

Ce matin, je me préparais à partir quand on est venu me redemander ma permission et m’apprendre que je ne puis pas partir car le régiment fera très probablement mouvement vers midi. Ah ! Bon Dieu, c’est bien là mon éternelle guigne.

Enfin, on se prépare au départ, mais personne ne peut nous dire si nous allons en arrière ou en avant.

 

Départ à 1 h, nous allons vers Montdidier. Nous avons des giboulées et de la neige toute la durée de la marche et nous arrivons à Lignières où nous devons cantonner.

Mercredi 28 mars 1917

Nous avons été terriblement mal logés cette nuit, mais ce matin, nous arrivons dans un cantonnement où nous serons très bien. On dit que nous embarquerons le 30 pour une destination inconnue, du moins inconnue officiellement.

Dans le courant de la journée, nous recevons une quantité énorme de matériel et de vêtements. Il y a de tout, depuis des effets de draps, jusqu’aux plus petits effets d’équipements. Nous allons avoir un matériel formidable.

Aujourd’hui, triste journée, il est tombé des giboulées pendant toute la journée.

Jeudi 29 mars 1917

Aujourd’hui, échange des vieux vêtements et du matériel usagé de toute sorte.

Mauvais temps : gelée le matin et pluie et neige toute la journée. Mauvaise nouvelle : depuis 4 jours, on n’a pas reçu de mes nouvelles à Cléty. Qu’est ce que cela veut dire ? Sans doute que pendant notre avance, notre courrier a été arrêté et a subi plusieurs jours de retard.

 

Au rapport, on nous lit les instructions pendant le trajet en chemin de fer. Cette fois, c’est donc certain que nous allons embarquer sans tarder. Incident imprévu dans la soirée, on sonne le tocsin. On sort mais on ne voit de feu nulle part. On en rit même et on se demande si ce n’est pas pour annoncer la paix.

Enfin, nous apprenons qu’il s’agit d’un commencement d’incendie qui a été vite étouffé.

Vendredi 30 mars 1917

Préparatifs au départ. Nous emportons nos deux couvre-pieds et nos chaussures sur le sac, mais l’intérieur est un peu allégé. Heureusement car ce sac va être rudement lourd. Les voitures sont chargées dès ce soir. Cependant, il n’est pas encore certain que nous partons demain.

Enfin, qui vivra verra.

Triste journée, il a plu toute la nuit et ce matin encore des averses ou plutôt des giboulées : neige et pluie fondue. Tant pis si nous avons ce temps là pour embarquer et surtout pour débarquer.

Samedi 31 mars 1917

À deux heures du matin, on vient me réveiller et m’apprendre que je suis désigné pour me rendre à la gare pour toucher les vivres pour la compagnie. Il faut partir de suite.

Je monte immédiatement mon sac avec deux de mes poilus et nous partons pour Montdidier où nous arrivons à 3 h ½.

Nous touchons quatre jours de vivres : 2 jours d’embarquement, 2 jours de débarquement. Ce travail nous occupe jusqu’au moment où nous embarquons pour partir.

 

À 6 h ½, nous sommes prêts pour le départ, mais nous ne partons qu’à 9 h. Adieu donc l’Oise.

Jusqu’à quand ? Probablement pour longtemps.

Nous passons par Pont-Sainte-Maxence et Creil et ensuite nous descendons vers Paris par Valmondois et Pontoise. Puis nous arrivons dans la Grande Ceinture, mais nous devons faire le tour en dessous de Paris.

À Épluches, nous avons du café. Nous passons par Versailles, Saint-Cyr et Meaux. Mais la nuit vient et on essaie de dormir un peu.

Avril 1917

Dimanche 1er avril 1917

Nous avons eu du café dans une petite gare du nom de Marles, mais nous n’avons pas pu dormir de la nuit car on était trop tassés dans les wagons.

 

Vers 8 h du matin, nous passons à Châlons-sur-Marne. Là on nous dit de nous préparer au débarquement car nous n’avons plus bien loin à aller.

 

Enfin, à 11 h du matin, nous arrivons à St Hilaire-au-Temple où nous débarquons. Après une heure de marche, nous arrivons à St Etienne-au-Temple où nous devons cantonner. Tout le monde est brisé, vanné et on se couche.

Aujourd’hui, nous vivons encore au singe, ce qui est inévitable après un déplacement comme nous venons de faire. Pas de lettres non plus.

Lundi 2 avril 1917

Très mauvais temps aujourd’hui : neige, pluie toute la journée. Nous sommes très mal cantonnés.

Au moment de la retraite de la Marne, les boches ont presque complètement brûlé le village de sorte que nous sommes cantonnés dans des décombres rafistolés avec du papier goudronné. Heureusement que le patron est assez gentil et qu’il nous donne en quantité des tiges de sainfoin battu pour nous coucher.

Ce n’est pas bien doux, mais quand même, c’est mieux que de la paille.

Ici il y a une quantité de troupes indo-chinoises. Ces bonhommes jaunes à qui on donnerait 15 ans travaillent dans les gares, sur les voies et les routes. Ils gagnent 1F 25 quand ils travaillent et 0F 75 quand ils ne travaillent pas.

Pas encore de lettres aujourd’hui. Dieu que c’est long !

Mardi 3 avril 1917

Il a fait une nuit terrible : vent, neige et froid.

 

Dans le courant de la matinée, on nous annonce un départ probable pour l’après-midi.

Nous irions cantonner au camp de Mourmelon-le-Grand où le reste du régiment est déjà cantonné.

Jusque midi, nous sommes employés au chargement des voitures.

 

Départ à une heure. En passant à St Hilaire-au-Temple, nous trouvons le 3e bis. (*)

On me dit même que la CHR où est Émile est cantonné dans le pays. Mais je ne puis m’arrêter et nous traversons le village sans que je le vois. C’est vraiment la guigne complète.

Nous allons cantonner dans les baraques du camp de Châlons à 800 mètres de Mourmelon où nous ne sommes pas trop mal.

 

(*) : 3ème bis régiment de Zouaves

Mercredi 4 avril 1917

Nous sommes logés dans les baraquements qui servaient aux troupes en temps de paix. Nous ne sommes pas mal.

Mourmelon est très sérieusement consigné à la troupe car les russes sont passés par ici et 9 sur 10 des femmes sont atteintes de maladies vénériennes.

 

À midi, on nous dit que nous montons travailler en ligne cette nuit, mais moi, je ne suis pas du nombre des travailleurs. Un groupe de signaleurs est détaché à la ferme de Bouy pour un stage de 4 jours.

 

Dans la soirée, je vais leur porter leur courrier.

Ils m’apprennent qu’un zouave du 3e leur a demandé après moi. Ce ne peut être qu’Émile. Il est parti il y a à peine une heure. Vraiment, ce n’est pas de veine.

Il a dit qu’il comptait venir me voir demain soir, mais il est très probable que demain soir, je serai de travail. Il trouvera visage de bois.

 

Un très violent bombardement se déclenche dans le secteur en face de nous, à 9 h du soir.

Les travailleurs ne doivent pas rigoler. On se demande même ce que ce bombardement là veut dire.

Jeudi 5 avril 1917

Temps mauvais. Pluie et neige toute la journée.

Le soir, c’est avec grand plaisir que je vois arriver Émile avant que nous partions au travail. Nous passons ensemble une partie de la soirée. Puis je vais l’accompagner presque jusque chez lui.

Nous bavardons encore bien longtemps puis je rentre en nous promettant de nous voir encore demain à moins d’événements imprévus. Comme ça fait plaisir quand même, à la veille d’une grande bataille comme nous nous trouvons aujourd’hui, de revoir un ami du pays avec qui on peut causer du temps passé.

Vendredi 6 avril 1917

Ce matin, on m’apprend que je dois aller conduire des artifices au P.A.D.M. pour en toucher d’autres car les signaux sont changés. Mais je ne puis pas partir de suite, le 3e bataillon doit nous rapporter ses fusées et n’arrive pas.

Midi et encore rien.

 

Enfin, ils arrivent jusqu’au milieu de l’après-midi.

Cela m’embête beaucoup, si on m’y envoie quand même ce soir, je ne pourrai pas aller voir Émile. Enfin, j’apprends avec plaisir que cette corvée est remise à demain. Tout de suite, après la soupe, je pars voir Émile qui est cantonné dans un grand entrepôt à côté de la gare de Mourmelon-le-Petit. Je le trouve sans peine, et nous passons encore une bonne soirée tous les deux

Bien entendu, on n’oublie pas d’aller boire un coup puis il vient me reconduire jusqu’au milieu de mon chemin.

Samedi 7 avril 1917

Le matin, je vais conduire ces fameux artifices au parc d’artillerie de la division qui se trouve à 8 km de nous. Nous nous rendons au village et de là, on nous envoie toucher nos nouveaux artifices au SMI (*).

Pendant deux heures, nous cherchons cette fameuse section de division.

Après bien des pérégrinations, nous trouvons enfin. On charge nos artifices, mais nous nous apercevons qu’il est midi et que nous n’avons rien mangé en partant, et rien manger ici. Nous nous adressons aux cuisines d’artilleurs qui nous donnent à manger, au conducteur de la voiture et à moi.

Quand nous sommes bien restaurés, nous prenons le chemin de retour et nous rentrons au camp à 3 h ½.

 

Le soir, Émile vient. Nouvelle soirée passée ensemble qui, comme les autres, nous fait plaisir et qui est trop vite passée. Il promet de revenir demain pour dîner et on se propose de faire une bonne journée demain.

 

(*) : Section de munition d’infanterie. Cette unité fait partie de l’artillerie.

Dimanche 8 avril 1917

Le matin, travaux de propreté. La musique donne, paraît-il, un concert aujourd’hui à Mourmelon-le-Grand, mais nous ne pourrons y assister car le camp est rigoureusement consigné. C’est bien ça l’armée. Notre musique à nous va donner un concert à d’autres troupes et nous, nous n’avons pas le droit d’y assister. Émile arrive vers 10 h.

Il m’apprend qu’il est libre toute la journée. Nous nous mettons à table. Un camarade a trouvé moyen de nous faire un petit dîner épatant : un bout de saucisson, une boîte de thon, quelques tranches de bœuf froid avec une mayonnaise, confitures, biscuits, quelques bons verres de vin.

C’est là un dîner complet pour un jour de Pâques.

 

L’après-midi, quoique n’ayant pas de permission, nous allons faire un tour à Mourmelon. Émile reste avec nous jusqu’à 9 h, puis je vais l’accompagner.

 

Ce soir, je suis seul à seul avec lui et nous pouvons vraiment causer enfin librement du pays. La nuit est si belle et on a tant de choses à se dire que je rentre au cantonnement vers minuit.

Lundi 9 avril 1917

Le matin, je monte aux tranchées reconnaître le secteur et nos postes de commandement qui sont tous les deux très près des lignes afin d’éviter un inutile déplacement de P.C. Nous passons toute notre matinée aux tranchées car le secteur est très difficile à reconnaître et nous rentrons tard dans le courant de l’après-midi.

C’est effrayant et formidable ce qu’il y a de canons, crapouillots et de munitions en ligne.

 

Le soir, en compagnie de deux camarades, nous allons voir Émile chez lui. J’arrive au moment où il montait son sac pour monter aux tranchées, mais en me voyant là, son officier le fait encore rester cette fois. Il montera la prochaine fois mais ce sera peut-être demain. Tous ensembles, nous dégustons un superbe gâteau que j’ai reçu de Cléty. Bonne soirée encore.

Mardi 10 avril 1917

Cette nuit, des avions boches sont venus bombarder le camp. Ils ont jeté une quinzaine de bombes ne tuant en tout et pour tout que 4 chevaux.

Ce matin, exercice de signalisation.

 

L’après-midi, on me donne repos pour me refaire un peu de mes fatigues d’hier. Voilà donc ces fêtes de Pâques passées. Elles n’ont pas été trop tristes. La présence d’Émile ici a amené un peu de gaité, ou plutôt de la joie. Ca ne vaut pas Pâques passées à Cléty, bien loin de là, mais c’est la guerre, estimons nous encore heureux de l’avoir passé ainsi en attendant la grande danse qui, je crois, ne tardera guère.

 

Depuis ce matin, notre artillerie mène grand raffut et il se pourrait que ce soit le commencement du bombardement. En tout cas, les Anglais ont bien travaillé. Leur offensive déclenchée sur un front d’une quinzaine de km leur a rapporté, en une seule journée, près de 6000 prisonniers, ce qui est très joli, ainsi qu’un matériel formidable. (*)

En outre, après les États-Unis, c’est Panama et Cuba qui entrent en lice.

 

(*) : Il s’agit de l’attaque en Artois, déclenchée le 9 avril sur le plateau de Vimy, entre Lens et Arras. Principalement menée par les canadiens, cette attaque limitée a permit de conquérir la côte stratégique de Vimy, qui domine toute la région vers le Nord. Près de 11.000 canadiens y ont été tués.

Mercredi 11 avril 1917

Je n’ai pas vu Émile hier soir. Il est probable qu’il est monté aux tranchées.

Ce matin, je travaille à l’inventaire des artifices du régiment ce qui m’occupe toute la matinée, et aussi à la distribution des artifices réglementaires aux bataillons.

 

À midi, Émile passe me voir, il n’est pas parti aux tranchées comme je le croyais, mais il n’a pas pu venir hier soir. Il fait l’exercice à côté de nos baraques, aussi quand il a fini, il vient me voir et je le retiens à souper. Nous partageons notre ordinaire et nous passons encore la soirée ensemble.

Journée froide, il était gelé ce matin, et toute la journée il a fait un vent froid et il est même tombé quelques averses de neige.

Jeudi 12 avril 1917

Journée encore froide, mais un peu moins qu’hier.

 

Le matin, nous avons manœuvre. Cette manœuvre doit surtout porter sur les liaisons. Nous commençons à 7 h ½ en prévision des futures opérations. Les bataillons sont pourvus du poste émetteur de télégraphie sans fil par la terre et le régiment d’un poste récepteur et d’un autre poste récepteur pour la TSF par avion. L’après-midi, nous sommes prévenus que de nouveaux coureurs sont à notre disposition. On les rassemble et on leur fait une théorie sur leur futur métier.

Vendredi 13 avril 1917

Beau temps aujourd’hui, quoiqu’il ait encore gelé un peu ce matin.

À la première heure, l’aviation commence à travailler. Un avion allemand est abattu ainsi que deux de leurs saucisses.

Toute la journée, le canon fait rage et les boches répondent peu. Avec une bonne longue-vue, on voit les obus éclater sur le Mont-Sans-Nom, objet de nos futurs combats, et plus d’un zouave montent voir les tranchées de loin.

Nous allons aux douches dans le courant de la journée. Les obus commencent à tomber sur le camp. Les boches en envoient 3 qui ne font aucun dégât.

 

Je vais voir Émile le soir.

Nous assistons à l’arrivée et au débarquement de tout un train de tanks, ce qui nous fait le plus grand plaisir et amène un grand nombre de curieux.

Samedi 14 avril 1917

Journée magnifique ici.

Mais dès le matin à la première heure, nous sommes visités par des avions boches.

Une batterie contre-avions leur fait un feu de barrage qui les force à faire demi-tour. Sans doute que ces avions sont venus pour repérer le train blindé qui a tiré toute la nuit.

Nous allons à l’exercice.

 

Aujourd’hui, manœuvre de bataillon avec un avion. La manœuvre porte surtout sur la liaison entre avion et infanterie. Le régiment est doté depuis peu d’une équipe de T.P.S. Mais l’équipe n’ayant pas de suppléants, on nous fait apprendre la manipulation de ces appareils au cas où il y aurait de la casse parmi eux.

 

Le soir, on nous distribue 3 jours de vivres composées d’une boule de pain, 6 biscuits, 1 boîte de singe, une boîte de sardine, un morceau de gruyère et 375 grammes de chocolat. Tout ça commence à sentir salement l’attaque.

Le soir, je ne puis aller voir Émile car nous sommes occupés toute la journée.

Dimanche 15 avril 1917

Il ne fait déjà plus aussi beau qu’hier, mais le temps est encore assez beau. Le bombardement reprend, très violent, dans le courant de la journée.

 

Le soir, le 2e bataillon fait un coup de main sur les tranchées ennemies. On ramasse deux prisonniers qui disent que les boches s’attendent à notre attaque.

Le soir, le lieutenant m’apprend que je dois monter aux tranchées demain pour y installer ma ligne de coureurs. Sans doute que l’attaque ne tardera plus bien longtemps.

Le soir, je me rends à Mourmelon-le-Petit pour y voir Émile, mais eux nous ont déjà devancés, il est déjà monté aux tranchées depuis cette après-midi. Il est donc probable que nous ne nous reverrons pas de sitôt.

Lundi 16 avril 1917

Le matin, derniers préparatifs de départ. Je touche des vivres : un litre de vin d’attaque, 20 centilitres d’eau de vie. Mes coureurs m’arrivent cette après-midi et nous partons de suite. Donc je ne pourrai pas les connaître avant l’attaque.

 

À midi, on se rassemble, quelques camarades qui vont partir chacun dans leur direction et nous vidons tous ensemble une vieille bouteille.

 

À 3 h, mes coureurs arrivent et immédiatement nous partons pour les tranchées. La canonnade fait rage pour tout le secteur. Nous sommes abrutis par le bruit du canon. Nous mangeons nos repas froids avant de prendre les boyaux et nous commençons à la brigade à installer notre ligne de coureurs.

Mais cela demande assez de temps car nous ne connaissons pas le terrain.

Enfin, à 8 h du soir, toute l’installation est terminée. Ils pourront donc commencer la grande danse quand ces Messieurs seront prêts, mais il est très probable que nous n’attendrons pas longtemps.

On dit que c’est pour demain matin. Attendons.

Le canon hurle terriblement et la pluie et la neige commence à tomber.

Mardi 17 avril 1917

Enfin, ça y est, c’est pour ce matin, j’ai porté les ordres d’attaque cette nuit.

Personne n’a été prévenu officiellement longtemps à l’avance.

 

L’attaque se déclenche à 5 h.

Je suis à mon poste à la brigade, mais quand même, ça me fait quelque chose de savoir la 6e compagnie en première vague d’assaut. Nous avons les yeux sur les montres. À 5 h 05, ils sont partis et nous n’avons pas encore entendu un coup de feu. Le canon gronde toujours, devançant la vague d’assaut d’un rideau de feu à 100 mètres en avant. On risque un œil de sur le parapet.

Les zouaves, malgré la pluie, le vent et la neige, sont là, à 500 mètres devant, grimpant la côte. Mais les mitrailleuses allemandes rentrent en action et le terrain commence à se moucheter de kaki. Ce sont là ceux qui ne reviendront pas. Tout disparaît derrière la première crête et plus rien.

 

À 7 h, les premiers renseignements arrivent. Le Mont-Sans-Nom est pris.

Les zouaves n’ont pas trop de casse, mais ils n’ont pas fait de prisonniers, tout a été passé au fil de l’épée sauf 23.

Le colonel se déplace, il faut que j’entre en liaison avec lui. Ma chaîne de coureurs a été disloquée par le cahot de l’attaque.

Je pars avec des ordres très pressés. En arrivant aux anciennes premières lignes boches, je dois traverser un feu de barrage très dense.

Après plusieurs chutes, la moitié de ma capote en moins, un accroc à mon pantalon, un peu de sang à la main, j’arrive. Le colonel est très content, les ordres que j’apportais étaient très pressés.

 

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Schéma de la chaine de coureurs (SGA). Cliquer sur l’image pour agrandir.

Mercredi 18 avril 1917

L’ennemi n’a pas tenté de réagir aujourd’hui, ni cette nuit, aussi la progression a commencé ce matin, mais plus lentement qu’hier. D’ailleurs, il faut enlever notre artillerie et la pousser en avant, rétablir les pistes et aussi réorganiser les éléments.

Cependant, toute la journée encore, la canonnade fait rage et ne cesse pas de la journée.

 

On commence à avoir quelques nouvelles sur ce qui s’est passé hier. Le 8e Zouaves a pris deux batteries d’artillerie, de nombreux ustensiles de toutes sortes. Nos pertes ne sont pas très graves, mais chez les boches, il y en a plus.

Journée effrayante : pluie, vent, neige. Tous les hommes sont couverts de boue et très fatigués.

Deux de mes coureurs sont légèrement égratignés mais aucun d’eux n’est évacué.

Jeudi 19 avril 1917

La canonnade a fait rage toute la nuit.

Ce matin, à la pointe du jour, les boches, après une courte préparation d’artillerie, nous ont attaqués sérieusement avec un effectif de plus de deux régiments. Leur contre-attaque oblige les nôtres à se replier légèrement.

Mais ce n’est qu’un recul provisoire. Car bientôt, nous contre-attaquons et nous reprenons le terrain perdu.

Enfin, de toute la journée, ce n’est qu’une série d’attaques et de contre-attaques sur le front du régiment car entre les deux lignes se trouve une batterie de 105 et on se bat pour l’avoir.

 

Mais le soir, elle est encore toujours au même endroit de sorte qu’elle n’appartient plus ni à l’un ni à l’autre.

Vendredi 20 avril 1917

Nous déclenchons vers le matin une petite attaque qui nous amène quelques prisonniers.

Nous apprenons par eux des choses assez bizarres. Leur contre-attaque d’hier leur a coûté un régiment tout entier, tant en hommes mis hors de combat qu’en prisonniers que nous leur avons fait. Ils ne savent pas que les américains leur ont déclaré la guerre.

Enfin, ils ignorent un tas de choses et ils se montrent très surpris de la rapidité avec laquelle les français se sont emparés du Mont-Sans-Nom. Dans le courant de la journée, j’ai l’occasion d’aller visiter en entier un abri de Losen Veg. Cet endroit était un nouveau poste de commandement boche.

Il est maintenant occupé par le colonel du 8e Zouaves. Il y a là des abris magnifiques comme on en voit peu chez nous. Il y a aussi une installation électrique qui est magnifique et qui nous rendra les plus grands services.

D’ailleurs, nous l’avons déjà mise en usage et ça fonctionne très bien.

Samedi 21 avril 1917

Belle journée aujourd’hui et ce n’est pas dommage car la fatigue commence à se faire sentir un peu chez tout le monde. Pour ma part, je sais très bien que je suis éreinté et je n’en puis plus. Je serai heureux de voir arriver la relève.

 

À midi, la canonnade se déclenche et devient rapidement très violente. On se demande si ce n’est pas encore une contre-attaque boche.

Bientôt, nous apprenons que non.

C’est la Légion Étrangère qui est à notre droite qui a attaqué le Bois Noir. Ce bois depuis le début de l’attaque était contourné par nous sur trois côtés. Nous tenons dedans deux compagnies de boches munies de mitrailleuses. Le travail fut très dur pour les légionnaires car les boches à qui ils avaient affaire sont des troupes d’élite et ils se sont défendus avec une rare énergie.

Malgré cela, le coup nous a rapporté plus de deux cents prisonniers mais beaucoup ont été blessés par le bombardement.

Dimanche 22 avril 1917

Aujourd’hui, le temps est encore un peu couvert mais froid, cependant il fait beau.

Les actions de l’infanterie se ralentissent un peu. Rien aujourd’hui sauf une légère contre-attaque ennemie qui ne parvient même pas à sortir de ses tranchées. En revanche, l’artillerie qui est aidée par l’aviation est, elle, très active. Une de nos batteries de 155 qui est venue s’établir tout près de nos lignes se fait arroser par des obus incendiaires. Ces obus mettent le feu aux poudres et font sauter les dépôts de munitions.

Enfin, c’est la guerre ! Nous avons aujourd’hui la visite d’un général japonais. C’est moi qui doit accompagner cet oiseau là dans sa tournée aux tranchées. Mais sa compagnie est assez agréable car il cause volontiers et aime bien qu’on lui donne des explications sur un peu tout ce qui s’est passé ici.

Lundi 23 avril 1917

La brigade se déplace le matin à la première heure pour aller occuper un nouvel emplacement dans les anciennes premières lignes françaises où nous serons un peu mieux. Le déménagement s’opère rapidement. Ma chaîne de coureurs est installée très rapidement et les liaisons sont rétablies.

Journée belle aujourd’hui, de sorte que l’aviation peut s’en donner à cœur joie. Nous avons le plaisir de voir descendre un avion boche tout en flamme. On commence à parler de la relève.

Des officiers supérieurs viennent voir le secteur pour le reconnaître. Je les accompagne. Peut-être serons nous relevés ce soir ou demain soir.

Je reçois aujourd’hui une lettre d’Émile m’apprenant qu’il était blessé assez fort et qu’il est à l’hôpital à Croyes. Qui aurait pensé à ça quand nous nous sommes vu la dernière fois il y a quelques huit jours.

Enfin, il est toujours à l’abri et c’est l’essentiel.

Mardi 24 avril 1917

Aujourd’hui, beau temps, l’aviation s’en donne à cœur joie. Nous avons le plaisir de voir descendre un avion boche.

Activité des deux artilleries. Nous tirons beaucoup mais les boches ripostent pas mal. Nous avons la visite du colonel commandant la 128e  D.I. et le lieutenant-colonel commandant le 169e régiment qui dit qu’on doit nous relever, mais personne ne sait encore quand, pas même les officiers.

On dit même qu’il faudrait encore faire un autre coup de chien avant d’être relevés.

Il y a 3 pièces de 105 boches qui se trouvent entre nos lignes. On a essayé d’aller les chercher avec des chevaux cette nuit, mais les boches s’y trouvaient aussi et personne n’a pu les emmener.

Il paraît qu’on va recommencer cette nuit en employant une autre méthode. Mais si on recommence, il y aura encore probablement de la casse.

Mercredi 25 avril 1917

Cette nuit, les boches ont failli m’envoyer à l’hôpital.

 

À 1 heure du matin, je suis parti avec un cycliste porter un pli au colonel de chez nous. En arrivant à 500 mètres du P.C., un obus tombe à côté de nous sur un dépôt de matériaux et un madrier projeté par l’explosion m’arrive en plein dans la face.

Sur le coup, je reste tout étourdi, mais ça ne dure pas. J’ai le nez et le front un peu abimés et c’est tout.

 

À 4 h du soir, on nous apprend que nous sommes relevés ce soir, aussi on attend les biffins avec impatience. Ils arrivent bien doucement à 5 h ½ du soir. On se passe les consignes et adieu le Mont-Sans-Nom et nos pauvres camarades qui y dorment pour toujours. Nous prenons la direction de Mourmelon où nous arrivons à 11 h ½ du soir.

Jeudi 26 avril 1917

Comme j’ai bien dormi. Il y avait plusieurs jours que je n’avais pas dormi aussi bien. Aussi, nous nous levons que pour manger la soupe.

 

Dans l’après-midi, nous nous mettons au nettoyage et nous en avons aussi le plus grand besoin. Armes, équipements, vêtements sont en marmelade et pleins de boue, aussi il y a beaucoup de travail à brosser et à coudre. Tous les bataillons sont logés dans le camp de Mourmelon, aussi nous sommes tous à côté les uns des autres.

On va voir si les camarades sont revenus en bonne santé de l’attaque. Je commence par la 6e compagnie. C’est une des compagnies qui ont le plus souffert, il lui reste à peine 40 hommes.

Tous mes camarades sont amochés. Deux tués, un blessé à la tête, un avec une jambe de coupée et un blessé plus légèrement. Tout cela me donne un cafard terrible mais, quand même, après tant d’autres, il faudra bien encore supporter cela.

Vendredi 27 avril 1917

Le matin, on nous distribue une quantité de vêtements neufs. Pour ma part, on me donne une capote et un pantalon.

Ce n’était vraiment pas la peine que je travaille tant à coudre dans la journée d’hier.

 

Cette nuit, nous avons eu la visite de nombreux avions boches qui sont venus jeter des bombes sur le camp et le village de Mourmelon-le-Grand. Une bombe tombe à côté de notre baraque mais ne nous fait aucun mal. Il n’en est pas de même au village où une bombe tombe sur une maison et tue quatre soldats d’infanterie.

 

Dans l’après-midi, on nous apprend que nous partons le soir même, pour la direction de l’arrière.

Nous partons à 6 h du soir, afin que l’ennemi ne voit pas le mouvement de troupes. Nous partons tous biens contents vers l’arrière car tout le monde est fatigué.

Après une marche très fatigante, nous arrivons à 9 h ½ du soir à Aigny où nous cantonnons.

Samedi 28 avril 1917

Arrivés hier soir bien fatigués, nous nous reposons une partie de la matinée puis nous continuons le nettoyage. Mais on nous dit de ne pas nous mettre à décharger nos voitures car il est probable que nous partirons demain pour aller encore plus à l’arrière.

 

Journée magnifique aujourd’hui, un vrai soleil de printemps. Enfin, ce n’est pas trop tôt !

Aigny est un village très joli et assez grand, mais le pire, c’est que nous n’y resterons pas.

 

À 4 h, la musique du régiment donne un concert sur la place mais cela n’est guère intéressant. D’ailleurs, la musique n’est plus aussi jolie qu’elle était avant car pas mal ont été démolis, et puis on n’a guère le cœur à écouter de la musique, on pense encore aux copains restés au Mont-Sans-Nom.

Dimanche 29 avril 1917

Journée magnifique encore. Le soleil se lève à la première heure et il fera certainement bon.

Nous partons à 8 h ½.

 

Il paraît que nous avons 24 à 26 km à faire. Nous marchons jusque 2 h de l’après-midi sous un soleil de plomb. La chaleur n’est pas bien grande, mais on est fatigués et ce sont les premières chaleurs, c’est pourquoi elles paraissent aussi dures.

 

À 2 h, on nous fait rentrer sous bois et on nous fait reposer pendant 1 heure ½. Nous repartons et nous arrivons à Germinon, notre nouveau cantonnement, un peu avant la soupe du soir.

Mais le pays n’a rien d’intéressant. Il n’y a pas d’épicerie ni de marchand de pinard, et on dit que nous serions ici pour un mois ! ! ! Cependant, nous avons quelques avantages. Quoiqu’en pleine pouilleuse et que le pays soit pauvre, les gens sont assez aimables.

Nous avons une rivière à côté de chez nous ce qui nous permettra de nous laver et de nous débarbouiller.

Lundi 30 avril 1917

Décidément, le temps semble se mettre au beau. Encore une journée magnifique aujourd’hui.

Nous en profitons pour nous débarbouiller et laver notre linge. Et puis les zouaves, en gens pratiques, se mettent de suite à l’ouvrage. Tous travaillent dans leur spécialité. Les uns font des arrêts pour mettre dans la rivière, les autres font des collets à lapins pour les bois. Car les bois ne manquent pas par ici, bois de pins et de sapins et le gibier semble y être en grande quantité.

Les permissions reprennent ; les premiers permissionnaires partent aujourd’hui mais le pourcentage est encore faible, 13 % seulement. De cette manière, mon tour n’est pas encore prêt d’être arrivé.

Dans 4 ou 5 jours, j’aurai mes 4 mois réglementaires.

Mai 1917

Mardi 1er mai 1917

Jour de repos aujourd’hui et travaux de propreté et de nettoyage.

Mais aujourd’hui, c’est surtout du repos, et il faut dire que tout le monde fait volontiers la sieste après la soupe dans les prairies. Qu’il fait beau de dormir un peu au beau soleil, mais on ne l’a guère vu ici cette année, le soleil. Cependant, on pense volontiers à ceux du pays, comme ils doivent avoir du travail avec cette saison et ce beau temps. Dire qu’il nous faut rester ici à faire pas grand-chose.

 

Le soir, la musique du 8e donne un concert pour les civils sur la place du pays. Mais je crois que depuis longtemps, ce pauvre bled n’en a pas vu autant.

Mercredi 2 mai 1917

Tiens ! C’est aujourd’hui la foire de Fauquembergues. Sans doute que je n’irai pas encore l’année prochaine.

Journée magnifique, beau soleil avec un peu de vent.

 

Le matin, il y a 3 messes à l’église pour nos pauvres camarades tombés au champ d’honneur mais cela ne les fera pas revenir, aussi je n’y assiste pas.

 

L’après-midi, nous avons exercice de signalisation, mais ça ne dure guère, car on ne peut pas se mettre au travail ainsi tout d’un coup. Mais à partir de demain, il paraît que nous allons nous remettre sérieusement à faire l’exercice.

Pour commencer, demain marche de 2 heures.

Il y a relâche aujourd’hui pour la musique. Les permissions sont portées au taux de 25%. Il en part encore une quantité ce matin. Vivement que ceux-là reviennent pour que je parte à mon tour.

Jeudi 3 mai 1917

Belle journée encore, je suis de jour, mais je n’ai guère de travail.

En tout cas, ça me fait couper à la marche de ce matin et à l’exercice de cette après-midi.

 

On nous distribue quelques paires de molletières car tout le monde en a le plus grand besoin depuis bien longtemps. On vient aussi me demander mon adresse pour aller en perme, ce qui est bien plus intéressant.

Aujourd’hui, une quantité de monde part encore. Le lieutenant commandant le groupe de liaison, le commandant du 3e bataillon, l’aumônier, le colonel partent demain.

Aujourd’hui, nous avons un feu de cheminée dans la maison où nous sommes cantonnés. Mais tout le monde donne la main et l’incendie est vite circonscrit. Pas de suite grave.

Concert encore aujourd’hui, mais plus tard, de 7 h à 8 h du soir de sorte qu’il y a un peu plus de monde.

Vendredi 4 mai 1917

Le matin, repos, et l’après-midi, on me fait prendre le jour à la place d’un sergent qui doit se rendre à un exercice.

 

À midi ½, on vient me chercher et on m’appelle pour me rendre au bureau de la compagnie.

Là, coup de théâtre, on m’apprend que je rentre à ma compagnie. J’accepte le coup sans broncher ce qui étonne beaucoup de monde car on ne s’attendait pas à me voir partir ainsi. On prétexte une revue d’effectifs pour nous renvoyer à nos compagnies. Mais le plus rigolo, c’est que l’on nous renvoie à deux et qu’on en fait venir 98 nouveaux.

Mais je sais très bien d’où vient le coup et pourquoi je quitte la C.H.R. pour rejoindre la 6e compagnie vers 7 h du soir, non sans avoir liquidé de nombreux verres avec les camarades que je laisse.

 

J’arrive à la nuit à Villeneuve où est cantonné le 2e bataillon. Je me présente au bureau de la 6e et après bien des pourparlers, on m’affecte à mon ancienne section à la 16e escouade où je retrouve quelques poilus de connaissance.

Samedi 5 mai 1917

M’y revoilà donc à cette vieille 6e où j’ai débuté, et sans aucun regret de la C.H.R.

On m’apprend que j’ai le n° 22 à la compagnie pour mon départ en permission. À quand ce beau jour ?

 

Journée magnifique aujourd’hui.

 

La compagnie part à l’exercice mais moi, je reste au cantonnement pour me permettre de m’installer un peu. Que de casse ici avec cette fameuse attaque. Comme il est revenu peu d’hommes parmi ceux avec qui j’ai vécu avant mon évacuation.

Le capitaine Chapel qui avait été évacué en même temps que moi revient aujourd’hui aussi avec un renfort de 250 pour le régiment. Mais ce n’est là qu’une faible portion des hommes qui nous manquent.

On nous annonce que nous allons en recevoir d’autres de Sathonay dans quelques jours.

Dimanche 6 mai 1917

Aujourd’hui dimanche, revue par le capitaine.

 

Le matin, il nous passe un par un et nous cause à presque tous ceux qui l’ont connu à la compagnie autrefois. Rapport à 10 h, chose que je n’avais pas eu depuis que j’avais quitté la compagnie.

 

Après la soupe, repos et quartier déconsigné. J’en profite pour me rendre au premier bataillon qui est cantonné à 4 km de nous pour y voir un de mes camarades qui doit venir en permission à Cléty. Mais ce sera très difficile car nous avons entre nous une dizaine de jours d’écart et pas moyen de s’arranger pour partir ensemble. Beau temps une partie de la journée, mais vers le soir il nous vient un orage qui, sans aucun doute, ne nous fera pas de mal.

 

Le soir, concert par la musique du 8e Zouaves sur la place du pays.

Lundi 7 mai 1917

Il a plu une partie de la nuit, mais ce matin, le temps semble être remis. Il faisait déjà très chaud et peut-être que cet orage radoucira un peu le temps.

Le matin, exercice. Nous partons à 6 h. Nous allons manœuvrer sur un terrain vague à quelques km de notre cantonnement.

Arrivés sur le terrain à 6 h 30. Une heure de gymnastique suédoise. Une heure d’école du soldat et une heure de manœuvre de la section à rangs serrés.

 

Rentrés à 10 h, soupe à 10 h ½ puis sieste jusque 1 h ½.

 

À 2 h, nouveau départ pour l’exercice. Jeu de foot ball et instruction individuelle du soldat.

En rentrant, conférence par un officier sur les marques extérieures de respect. Comme manœuvre, c’est plus dur que la C.H.R., mais on y est aussi beaucoup mieux que là-bas du point de vue de la nourriture.

Mardi 8 mai 1917

Il a plu une partie de la nuit, et le matin le temps est encore brumeux.

Aussi nous n’allons pas sur le terrain de manœuvre. On nous rassemble et nous allons dans un champ à la sortie du pays, où nous faisons de la gymnastique suédoise pendant ¾ d’heure, puis du sport : saut, course, etc. pendant ¾ d’heure encore.

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Nous rentrons à 8 h ½ et repos jusqu’à la soupe.

Au rapport, on nous apprend que nous avons cet après-midi une représentation théâtrale donnée par un groupe d’acteurs et d’actrices de Paris. La représentation a lieu à 6 km de mes cantonnements mais quand même j’y assiste. Nous avons là à applaudir des acteurs de l’Opéra, de la Comédie, de l’Eldorado.

La séance dure jusqu’à 8 h ½ du soir aussi nous rentrons tard dans la nuit mais tout le monde est content de sa soirée.

 

La nuit est si belle que le retour est plutôt une ballade nocturne.

Mercredi 9 mai 1917

Aujourd’hui, c’est la fête du régiment, l’anniversaire des combats du 9 mai en Artois en 1915, puis l’anniversaire du coup de main d’Attiche le 5 mai 1916. L’année dernière, les différents dons faits à la compagnie, à la suite du coup de main, nous avaient permis de faire un superbe banquet. Mais cette année, nous n’aurons pas de banquet.

 

Le matin, repos pour tout le monde.

L’ordinaire du matin a subi une bonne amélioration : soupe grasse, ragoût de mouton, veau rôti, salade, confiture, un cigare, café. Vers midi, on rassemble ceux qui veulent assister à la fête sportive, mais comme cette fête se passe à 12 km du pays où nous logeons, il y a très peu de monde qui y va et, pour ma part, je reste au cantonnement car je suis déjà fatigué.

 

Le soir : mouton, rôti encore, bœuf mode, vin, café et cigare.

La soirée se termine par quelques chansons. Quelle drôle de vie quand même, nos pauvres camarades que nous avons laissés au Mont-Sans-Nom sont déjà oubliés.

Jeudi 10 mai 1917

Au lieu d’avoir lieu à 5 h, heure légale, le réveil a lieu aujourd’hui à 6 h ½ pour permettre à ceux de nos camarades qui sont allés hier à la fête sportive de se reposer un peu.

Départ pour le terrain de manœuvre à 7 h ½, une heure d’école du soldat, une heure d’exercice les rangs serrés puis nous rentrons.

Le temps est d’ailleurs très gros et la pluie commence à tomber.

Nous recevons aujourd’hui des renforts de la classe 17. Ces jeunes gens sont déjà depuis un moment dans la zone mais ils faisaient des travaux en arrière du front et étaient cantonnés à Meaux quand ils sont partis pour venir nous rejoindre. Pour ma part, j’en reçois deux à mon escouade.

 

La pluie cesse de tomber vers 1 h et à 2 h nous partons à nouveau pour le terrain de manœuvre.

Rentré à 5 h du soir, bien fatigué.

Vendredi 11 mai 1917

Réveil à 5 h, départ à 6 h.

Sujet de l’exercice : formation et progression de la section au combat, marche sous le feu de l’artillerie ennemie, reconnaissance de patrouille. Nous faisons aussi à l’exercice la connaissance de notre nouveau chef de section le lieutenant Juzot, arrivé hier avec le renfort du 3e Zouaves, car le lieutenant qui commandait la section a été tué aux dernières affaires.

 

Dans l’après-midi, nous allons lancer des grenades au champ de tir à grenades. Mais nous sommes aussitôt rappelés au cantonnement par un cycliste.

Nous rentrons et on nous apprend que nous allons au théâtre ce soir. La troupe théâtrale de la division joue aujourd’hui pour le 2e bataillon. La représentation a lieu à Soudron à 4 km de nos cantonnements. J’y assiste, la représentation est très jolie.

 

Rentré à 9 h au cantonnement.

Samedi 12 mai 1917

Aujourd’hui samedi, le matin, marche manœuvre de régiment. Le bataillon a comme objet de manœuvre une marche sous bois de plus de 4 km. Marche, bien entendu, qui est très fatigante car les sapins sont très serrés et on marche très difficilement. En outre, nous avons le sac et nous sommes en tenue de campagne complète.

Nous rentrons au cantonnement à 10 h bien fatigués car il fait une chaleur étouffante.

 

L’après-midi, travaux de propreté, nous allons laver notre linge à la rivière qui passe au bas du village.

 

Le soir, à 4 h, revue d’armes par le chef de section. Voilà encore une semaine de passée en attendant avec impatience la permission tant désirée et qui est bien longue à venir.

Journée magnifique aujourd’hui mais vers le soir, nouvel orage et la pluie tombe une partie de la nuit.

Dimanche 13 mai 1917

Aujourd’hui dimanche, repos sur toute la ligne et nous en profitons pour faire la grasse matinée.

Nous nous levons assez tard dans la matinée et c’est juste l’affaire pour nous débarbouiller avant la soupe.

 

Aujourd’hui, on nous apprend qu’il y a une battue aux sangliers et on nous invite à ne pas sortir du cantonnement car il est probable que la battue sera faite par des militaires et qu’on se servira de fusils de guerre.

 

L’après-midi, nous partons nous promener un peu dans les champs car il fait un temps magnifique.

 

Le soir, à 7 h, concert sur la place du pays par la musique du 8e. Aujourd’hui, la musique a de nombreux admirateurs, tous les jeunes sont autour pour entendre.

Lundi 14 mai 1917

Belle journée encore.

Le matin, revue en tenue de campagne complète par le lieutenant afin de pouvoir noter et de nous faire toucher tout le matériel manquant, et il manque passablement !

Puis nous allons sur le terrain de manœuvre où nous faisons de l’exercice jusqu’à 10 h ½, heure à laquelle nous rentrons pour manger la soupe.

 

À midi, on nous apprend que nous avons une revue par le général Antoine, commandant la 4e armée.

Alors, nous n’allons pas à l’exercice après la soupe, nous nous mettons à brosser nos vêtements et à cirer nos équipements et on se couche à bonne heure car il paraît que le départ pour la revue aura lieu à une heure très avancée de la nuit.

Moi qui escomptais partir en permission demain, me voilà verni car les permissions sont reculées de manière que tous les hommes assistent à la revue.

Mardi 15 mai 1917

Réveil à 2 h 15, départ à 3 h.

Sac au dos et pour compléter la fête, il pleut ! ! ! Aussi, les zouaves souhaitent toutes sortes de bonheur au général. Nous arrivons au terrain à 12 km de nos cantonnements à 6 h du matin.

Revue par le général Antoine à 7 h. Remise de décorations.

Le drapeau du 8e Zouaves et celui de la Légion reçoivent chacun une palme pour leur citation du 17 avril aux armées qui est revenue il y a quelques jours. Puis il y a aussi remise de décorations aux officiers.

Terminée à 8 h, et nous rentrons au cantonnement à 14 h 30, puis repos jusqu’à 4 h où nous avons distribution de chaussures et reformation de la section.

 

On double les équipes de fusils-mitrailleurs de sorte que sur 46 hommes de la section, 13 sont employés au fusil mitrailleur et répartis en 4 équipes. On nous apprend aussi que nous partirons peut-être en permission demain, mais ce n’est encore que peut-être.

Mercredi 16 mai 1917

Aujourd’hui, je me lève à la première heure, mais le bruit court que nous partons en permission aujourd'hui même.

Mais bientôt surprise, 13 permissionnaires seulement sur 331 s’en vont et, bien entendu je suis du nombre de ceux qui restent. Aussi, cafard terrible qui m’empêche d’avoir goût à rien dans tout le courant de la journée.

Le matin, exercice de compagnie, le soir jeux et sport.

Jeudi 17 mai 1917

Repos aujourd’hui car c’est, si je ne me trompe, l’ascension.

 

Le matin, nous allons aux douches qu’on vient d’installer ici, dans le village même.

 

L’après-midi, nous allons nous promener dans le village.

 

Le soir, avant la soupe, lecture des ordres pour demain car nous avons une manœuvre de régiment et le départ sera probablement à la première heure. Après la soupe, distribution d’effets et de linge de corps ainsi que d’objets de petit équipement.

Vendredi 18 mai 1917

Réveil à 2 h 15 du matin, départ à 3 h.

Nous nous trouvons rendus sur le terrain à 5 h ½ du matin et la manœuvre commence à 6 h.

Objectif : progression du régiment dans les bois. Les mitrailleuses sont représentées par un clairon et un fanion blanc, les abris par des fanions bleus et les centres de résistance par des fanions rouges. Nous progressons jusqu’à 9 h ½, heure à laquelle la manœuvre est arrêtée.

Nous rentrons dans nos cantonnements éreintés, à 11 h du matin.

 

Après la soupe, repos jusqu’à 2 h, puis nous avons théorie sur le fusil mitrailleur, les marques extérieures de respect, la tenue du cantonnement, ce qui nous occupe jusqu’à la soupe du soir.

De 9 h à 11 h, cinéma militaire.

Samedi 19 mai 1917

Encore une journée de passée et on ne nous parle toujours pas de nos permissions. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?

 

Le matin, exercice sur le terrain de manœuvre. Progression de la compagnie au cours d’une attaque, école de compagnie, etc.

 

Le soir, revue de cantonnement et de pieds par le capitaine qui s’assure que tous les hommes ont du linge propre sur eux. Ensuite travaux de propreté, jusque la soupe du soir.

Dans l’après-midi, un violent orage s’abat sur la contrée. Décidément, c’est le pays des orages ici.

Dimanche 20 mai 1917

Aujourd’hui dimanche, repos toute la journée et quartier déconsigné à partir de midi. J’en profite pour aller voir des camarades du 1e bataillon à 4 km de mon cantonnement. Mais quand je suis arrivé d’un moment, on nous apprend que nous partons demain matin à la première heure. Immédiatement, nous rentrons dans nos cantonnements.

J’arrive à temps pour monter mon sac et préparer au départ qui, dit-on, aura lieu cette nuit. Le bruit court que les permissions sont supprimées et que nous montons aux tranchées dans le même secteur. Mais ce ne sont là que des « on dit ».

Lundi 21 mai 1917

Réveil à 5 h du matin, départ à 7 h.

Il pleut au départ, en même temps, il fait une chaleur étouffante aussi la marche promet d’être très fatiguante. Nous faisons la grande halte à 10 h et nous mangeons la soupe.

La pluie cesse.

Nous traversons Châlons-sur-Marne et nous allons cantonner 2 km plus loin à St Martin-sur-le-Pré. Le bruit court que nous repartons demain matin.    

Mardi 22 mai 1917

Nous ne partons pas aujourd’hui dit-on. Nous allons nous reposer un jour ou deux.

Le matin, travaux de propreté.

 

À midi, on me désigne pour travailler avec 4 hommes dans les débris encore fumants d’une ferme où des troupes de passage ont mis le feu par imprudence. Travail très pénible car c’est encore plein de feu partout et plutôt macabre.

Mercredi 23 mai 1917

On reçoit l’ordre de décharger les voitures et cela veut sans doute dire que nous sommes ici pour plusieurs jours. Mais cependant les permissions restent supprimées. Qu’est ce que cela veut dire ?

Le matin, travaux de propreté, le soir, exercice sur un terrain tout à côté de Châlons.

Évolution du bataillon et lancement de grenades d’instruction.

Jeudi 24 mai 1917

Le matin, réveil à 2 h, manœuvre de bataillon que nous allons exécuter à 8 km de nos cantonnements. Prise de points de résistance fortement organisés et progression sous bois.

Rentrés au cantonnement à 10 h ½ bien fatigués.

 

L’après-midi, théorie sur le fusil mitrailleur sur les bords de la Marne et à l’ombre des grands arbres.

Temps superbe, il fait même très chaud depuis quelques jours.

Vendredi 25 mai 1917

Ce matin, manœuvre de régiment.

Réveil à 2 h, départ à 3 h. Mêmes emplacements que pour la manœuvre de bataillon hier. Le colonel est avec nous et il nous fait recommencer à plusieurs reprises. L’objet de la manœuvre est le débouché du bois et l’abordage d’un autre bois après avoir traversé une clairière.

Rentrés au cantonnement à 11 h, éreintés.

Samedi 26 mai 1917

Ce matin, exercice sur le champ de manœuvre à côté de Châlons. Nouvelle organisation et progression de la section au combat avec son nouvel armement. Le colonel vient à nouveau sur le terrain et il nous fait encore prendre la piquette.

Le soir, corvée de bois.

Revue de cantonnement par le capitaine.

Dimanche 27 mai 1917

Aujourd’hui, repos toute la journée. J’en profite pour me mettre à laver mon linge dès le matin à ma première heure, et à midi, vu le vent et le beau temps, il est déjà sec. On dit que les permissions vont reprendre dans un jour ou deux, en tout cas ce ne serait pas trop tôt.

 

Le soir, promenade sur les bords de la Marne. Journée magnifique encore aujourd’hui mais bien chaude.

Lundi 28 mai 1917

Au réveil, sac en service de campagne et nous voilà partis pour l’exercice. Tout le monde croyait avoir repos aujourd’hui mais il n’en est rien. Un de nos malheureux camarades s’est noyé hier en se baignant dans la Marne. (*)

Comme ces baignades sont défendues, comme punition, tout le régiment va à l’exercice aujourd’hui jour férié.

 

(*) : Wanwingen Hermérégild, caporal, s’est noyé dans le canal de la Marne en se baignant (JMO). Il ne semble pas avoir été déclaré « mort pour la France ».

Mardi 29 mai 1917

Le matin, évolution du bataillon sur le terrain de manœuvre à côté de Châlons.

 

L’après-midi, même chose.

 

Le soir à 6 h, on vient m’apprendre que je pars en permission ce soir même.

Nous préparons nos sacs.

 

Départ à 8 h pour nous rendre chez le colonel à Recy où se rassemblent les permissionnaires du régiment.

Départ de Recy pour la gare de Cuperly (18 km) à 9 h.

Mercredi 30 mai 1917

Nous arrivons à la gare de Cuperly à 1 h du matin, bien fatigués.

 

Nous partons à 2 h, nous passons par Châlons, c’est-à-dire que nous venons repasser en chemin de fer à 2 km de nos cantonnements. Nous passons à Château-Thierry, Meaux et arrivons à Paris-Est à 10 h 45.

 

Nous reprenons le train à Paris-Nord à 13 h 15 et nous arrivons à Calais à minuit 43.

Jeudi 31 mai 1917

Je dors une partie de la nuit dans une salle d’attente à Calais et nouveau départ à 7 h pour enfin arriver à Remilly à 11 h.

Juin 1917

Du vendredi 1 juin au dimanche 10 juin 1917

Permission

Lundi 11 juin 1917

3 h de l ‘après-midi, je prends le train à Remilly, et voilà encore une permission de passée.

À quand la grande permission ?

À Calais Fontinettes, nous descendons et nous arrivons à prendre le train de voyageurs pour Paris.

Mardi 12 juin 1917

Nous arrivons à Paris gare du Nord à 6 h du matin.

Là, nous partons pour aller à la gare de l’Est. Nous déposons nos musettes dans un café près de cette gare et nous allons nous promener dans Paris. Nous revenons à la gare de l’Est, et là, des zouaves que nous rencontrons nous apprennent que le régiment n’est plus à Châlons. Nous nous présentons au commissariat militaire.

Notre gare de débarquement est Jonchery. Nous avons un train de suite et nous débarquons à 6 h du soir.

Là on nous donne à manger et un coin pour nous coucher.

Mercredi 13 juin 1917

Le matin, nous nous éveillons à 8 h. Le régiment est aux tranchées, mais nous devons passer par le T.C. prendre nos sacs. Nous arrivons au T.C. à 11 h, nous trouvons les cuisines et nous rendons nos permissions.

Repos le reste de la journée.

Jeudi 14 juin 1917

Je monte en ligne rejoindre la compagnie cette nuit avec la cuisine. Aussi, j’en profite pour dormir une partie de la journée et pour préparer mon fourbi. Mon sac reste ici, car les autres sont montés sans sacs.

 

Départ à 9 h du soir, nous avons encore 14 km pour nous rendre en ligne.

 

À minuit, nous arrivons à l’endroit où les cuisines ravitaillent et je retrouve les camarades de ma section.

Vendredi 15 juin 1917

Je suis arrivé aux abris de ma section à 1 h du matin.

J’ai été étrenné de suite : peu après, les boches déclenchaient un violent bombardement et tentèrent un coup de main qui ratât. Le poulet emporté de Cléty est mangé avec quelques camarades.

La compagnie est en première ligne depuis 12 jours, mais il paraît que nous descendons en réserve la nuit prochaine.

Journée admirable et très chaude, mais quel cafard !

Samedi 16 juin 1917

Nous avons été relevés ce matin à la première heure, et nous sommes descendus en deuxième ligne où nous allons sans doute faire des corvées.

Journée magnifique.

Nous en profitons pour nous nettoyer un peu et brosser nos vêtements qui sont pleins de terre.

Dimanche 17 juin 1917

Cette nuit, nous sommes allés porter la soupe aux compagnies qui sont en première ligne. Mais cette corvée nous tient toute la nuit et nous ne rentrons qu’au petit jour.

À notre tour, nous mangeons la soupe et nous allons nous coucher car nous avons repos toute la journée.

Lundi 18 juin 1917

Même corvée que la nuit dernière.

Mais la corvée est un peu mouvementée : d’abord, au moment où nous touchons le ravitaillement aux cuisines, un avion boche, profitant de la nuit claire, vient nous survoler à une centaine de mètres et vient nous mitrailler, et en cours de route, les boches bombardent violemment le boyau, heureusement personne n’est touché.

Dans la journée, repos comme hier.

Mardi 19 juin 1917

Il a fait un très fort orage au début de la nuit, de sorte que les boyaux sont pleins d’eau et nous pataugeons avec la soupe des compagnies qui sont en ligne avec de l’eau jusqu’aux genoux. Les boches ne sont guère sages ce soir, ils tirent beaucoup sur les boyaux.

Nous rentrons cependant à la pointe du jour. Tout le monde est très fatigué, mais personne n’est blessé.

Mercredi 20 juin 1917

Quoiqu’il ait fait beau toute la journée, l’eau des boyaux n’est pas encore toute séchée et nous pataugeons toute la nuit dans la boue pour aller porter la soupe en première ligne.

Le matin au retour, la pluie recommence à tomber, mais ça ne dure guère et bientôt le soleil se lève. Le bruit court que nous sommes relevés la nuit prochaine pour nous rendre en réserve.

Enfin, on va pouvoir se laver.

Jeudi 21 juin 1917

Nous sommes relevés par la Légion à 2 h du matin et nous descendons allègrement pour aller en arrière.

Nous arrivons vers 5 h du matin dans le petit village de Guyencourt où nous cantonnons dans des baraques Adrian. Mais nous sommes loin d’être bien. D’ailleurs, les obus y tombent presque autant qu’en première ligne.

Vendredi 22 juin 1917

Le matin, après une très mauvaise nuit, nous déménageons encore pour aller rejoindre les 2e et 3e bataillons qui sont à 3 km de nous. Nous arrivons à notre nouveau cantonnement vers le courant de la matinée, mais nous sommes encore beaucoup plus fatigués qu’avant et bien plus mal logés.

Enfin, le nettoyage commence.

Samedi 23 juin 1917

Le nettoyage continue. On brosse molletières, capotes, vestes, armes, équipement, tout le fourbi. On commence à passer des revues et à échanger les objets en mauvais état.

Nous sommes à côté d’un petit ruisseau et nous pouvons nous nettoyer à volonté.

Dimanche 24 juin 1917

Aujourd’hui, ducasse de Cléty si je ne me trompe. Mais où donc est passé ce temps ?

Messe à 9 h à laquelle je n’assiste pas par habitude. En guise de ducasse, on nous parle d’un départ pour Salonique ce qui n’a rien de trop intéressant, et il se pourrait très bien que je sois du nombre à la prochaine fois.

Lundi 25 juin 1917

Dès le matin à la première heure, exercice, mais cet exercice n’a rien de bien intéressant ni de trop fatiguant. Une heure d’école de section et de gymnastique et une heure de manœuvre de compagnie.

 

L’après-midi est laissée à notre disposition pour continuer le nettoyage.

Mardi 26 juin 1917

Tout le bataillon est en rumeur ce matin. Un cas d’insubordination grave a eu lieu hier soir à la 5e compagnie. Un officier de service, étant entré dans une baraque pour inviter les hommes au silence, fut insulté et même menacé par 4 saoulots.

Tout quatre sont en prévention de Conseil de Guerre. Parmi eux, il y a un de mes anciens coureurs.

Même exercice qu’hier.

Mercredi 27 juin 1917

Aujourd’hui, on nous prévient dès le matin que nous avons une revue et que les Croix de Guerre seront remises aux derniers cités. Mais au moment de partir pour être décorés, on nous apprend qu’il n’y a pas assez de médailles pour tout le monde et on en désigne que quelques-uns pour aller à la revue.

 

L’après-midi, théorie par un officier sur les opérations en cours.

Jeudi 28 juin 1917

Le matin, nous allons aux douches qui sont très bien installées.

 

L’après-midi, nous avons une heure de théorie morale sur l’article du général Pétain « Pourquoi nous nous battons », puis théorie sur le fusil-mitrailleur.

 

Le soir, plusieurs avions ennemis viennent survoler notre cantonnement et un combat s’engage sur nos têtes. Deux boches vont atterrir dans leurs lignes, désemparés.

Vendredi 29 juin 1917

Le matin, nous avons une revue d’armes par le chef de section, puis l’après-midi est passée aux préparatifs de départ qui aura lieu, dit-on, demain matin.

Dans l’après-midi, un avion boche vient dans les nuages et incendie une saucisse, ce qui fait une belle flambée. L’observateur saute de sa nacelle et atterrit sans aucun mal.

Samedi 30 juin 1917

Départ le matin à deux heures afin d’éviter que les avions ne nous voient car ils sont venus toute la nuit nous lancer des bombes. Mais, sans doute, c’est encore mal repéré car toutes les bombes sont tombées à côté du camp.

La pluie se met à tomber presque aussitôt notre départ, aussi nous arrivons au camp d’Aougny, où nous cantonnons à 10 h du matin, trempés comme des soupes.

Juillet 1917

Dimanche 1er juillet 1917

Il y a aujourd’hui un an, nous étions dans la Somme, au premier jour de la grande offensive.

Aujourd’hui, repos. Nous sommes tout à côté du tout petit village d’Aougny où l’on trouve à peu près tout ce que l’on veut. Mais on ne peut plus acheter de vin comme on veut, il faut un bon signé du capitaine, et il n’en laisse acheter qu’environ un litre pour deux.

Lundi 2 juillet 1917

Dès ce matin, l’exercice recommence. Réveil à 5 h, départ pour l’exercice à 6 h, rentrés à 9 h. Pendant trois heures, nous allons faire le pantin sur le terrain de manœuvre.

 

L’après-midi est employée à la réorganisation de la compagnie suivant de nouvelles règles.

Mardi 3 juillet 1917

Ce matin, il pleut, aussi nous ne sortons qu’à 8 h pour rentrer à 10 h.

 

L’après-midi, théorie sur le fusil-mitrailleur, revue de cantonnement par le capitaine.

 

Le soir, concert par la musique sur la place d’Aougny. On parle d’un départ d’ici pour la fin de la semaine.

Mercredi 4 juillet 1917

Nous allons au tir ce qui rompt un peu avec l’habituelle monotonie de la manœuvre. Tir à 100 mètres, mais les résultats sont déplorables. D’abord, cibles à peine visibles et on a un peu perdu l’habitude du tir, et puis personne ne connaît son arme.

Pour ma part, je ne mets qu’une seule balle sur huit.

Le soir, corvée de lavage. 

Jeudi 5 juillet 1917

Aujourd’hui, réveil à 4 h, départ à 5 h, manœuvre de bataillon. Chaque compagnie évolue indépendamment des autres. Pour nous, nous sommes consignés comme avant-garde du bataillon sous le feu de l’artillerie ennemie.

 

Le soir, chargement des voitures car nos cuisines et le train de combat partent demain à la première heure.

Vendredi 6 juillet 1917

Toutes les voitures s’en vont dès le matin et nous nous préparons au départ de notre côté. Une revue en tenue de départ est passée par le capitaine dans le courant de l’après-midi.

 

À partir de 1 h, tous les cafés sont consignés afin d’empêcher les hommes de boire et éviter ainsi qu’il y ait des saoulots demain matin comme cela se produit chaque fois.

Samedi 7 juillet 1917

Nous embarquons à 6 h du matin en autos et partons immédiatement.

C’est d’abord le paysage sinueux de l’Aisne, puis nous passons vers Épernay que nous contournons. Alors, nous sommes en plein pays de vignes. Il n’y a d’ailleurs rien d’autre que des vignes dans ces contrées. Puis nous traversons la Champagne Pouilleuse pour débarquer vers 5 h du soir à quelques kilomètres d’Arcis-sur-Aube.

Nous allons cantonner à 4 km plus loin.

Dimanche 8 juillet 1917

Nous sommes cantonnés à Aubigny, tout petit village de 300 habitants, chez de bons vieux qui sont très gentils pour nous.

Le matin, je suis désigné pour aller prendre le service le long de l’Aube qui passe à 1 km du village, pour empêcher les hommes de se baigner. Inutile de dire que toute la journée, je ne vois pas une chéchia à l’horizon, n’ayant d’autre distraction qu’à regarder couler nonchalamment l’Aube.

Lundi 9 juillet 1917

Repos aujourd’hui. Nous en profitons pour aménager nos cantonnements.

 

Après-midi, le colonel passe dans nos cantonnements et distribue de nombreux jours de prison. Chez nous, il est quand même assez gentil.

Mardi 10 juillet 1917

L’exercice recommence aujourd’hui. Nous partons à 6 h et faisons une marche de 3 heures sans le sac, mais ce n’est pas dur.

 

À 9 h, nous sommes rentrés.

 

L’après-midi, sieste jusqu’à 2 h ½, puis une heure de gymnastique suédoise et une heure d’instruction pratique sur le fusil-mitrailleur. Beau temps aujourd’hui, mais très doux.

Mercredi 11 juillet 1917

Exercice ce matin. Réveil à 6 h.

Évolutions de la compagnie sur la lisière du camp de Mailly qui se trouve à 5 km de nos cantonnements.

 

L’après-midi, on nous emmène nous baigner dans un petit affluent de l’Aube où l’on a aménagé un endroit spécial, mais il n’y a pas de danger de se noyer, l’eau nous monte à peine au bas-ventre.

Jeudi 12 juillet 1917

Réveil à 4 h, départ pour le terrain de manœuvre à 5 h.

Mais nous y sommes à peine depuis deux heures qu’on vient nous chercher. Le major veut nous passer une visite car nous devons être à nouveau vaccinés contre la typhoïde demain.

Vendredi 13 juillet 1917

Nous sommes piqués contre la typhoïde à 7 h du matin.

L’opération n’est pas douloureuse par elle-même, mais on passe tous par les mains de la fièvre. J’y passe un des derniers ce qui me permet de rire un moment des copains.

La fièvre ne me prend que vers le soir, mais elle me fait grelotter toute la nuit.

Samedi 14 juillet 1917

Voilà donc la troisième fête nationale que je vais passer au front.

La première, 1915, à Héricourt qui fut bien gaie et où nous reçûmes des mains de Poincaré et de Joffre notre drapeau.

La deuxième, beaucoup plus triste, dans un camp de l’arrière dans la Somme. Nous venions juste d’être relevés de Barleux.

Et à la troisième, nous voici dans un petit village de l’Aube.

 

La classe 17 nous apporte un charmant brin de gaieté. Mais malgré le renforcement de l’ordinaire et le champagne, nous nous sentons un peu tristes. Où sont donc tous ces pauvres camarades avec qui nous mangions il y a deux ans ?

Sur les quarante que nous sommes ici, à peine si j’en retrouve deux ou trois.

 

À midi : jambon, pâté, mouton, rôti, choux-fleurs, pommes sautées, salade, biscuits, café, champagne, cigare, un demi litre de vin.

 

Le soir : bœuf rôti, carottes, haricots verts, pâté, confiture, un demi litre de vin.

Dimanche 15 juillet 1917

Repos encore aujourd’hui. J’en profite pour aller un moment à la pêche dans la rivière de l’Aube, mais je rentre bredouille.

La journée s’achève calme et belle. Demain, nous retournons à l’exercice.

Lundi 16 juillet 1917

Réveil à 4 h, départ à 4 h 45. Nous allons manœuvrer dans les sapins du bois de Mailly.

La manœuvre s’achève à 9 h, nous rentrons à 10 h.

 

L’après-midi, exercice de gymnastique puis théorie sur le fusil mitrailleur.

Mardi 17 juillet 1917

On nous appelle à la même heure qu’hier, manœuvre de brigade aujourd’hui. Nous manœuvrons toujours dans les bois de sapin qui sont très épais et nous rentrons bien fatigués.

 

Le soir, instruction sur la grenade et sur le fusil-mitrailleur. Le drapeau et le détachement partis à Paris pour le défilé du 14, rentrent. Ils rapportent une excellente impression.

Mercredi 18 juillet 1917

Nous rentrons dans la matinée de la manœuvre et bien mouillés. Il ne pleut pas bien fort, mais nous manœuvrons dans des sapins bas qui nous mouillent beaucoup.

 

Le soir, repos ou travaux de propreté.

La pluie cesse et l’après-midi, il fait beau.

Jeudi 19 juillet 1917

Nouvelle manœuvre de régiment, toujours à peu près au même endroit.

 

Le soir, à 5 h, nous avons une représentation du théâtre aux armées. Acteurs et actrices des différents théâtres de Paris viennent nous donner quelques morceaux de notre répertoire.

Triste anniversaire aujourd’hui. Il y a trois ans aujourd’hui, nous n’étions guère aussi gais.

Vendredi 20 juillet 1917

Réveil à 4 h, départ à 5 h. La manœuvre constitue en une marche sous bois à la boussole, les sections à de grands intervalles. Le soir, tir au fusil mitrailleur pour les équipiers. Pour les autres, théorie sur les grenades et instruction pratique sur le terrain de tir. Belle journée, beau soleil.

Samedi 21 juillet 1917

Aujourd’hui, revue de la division par le général Gouraud, commandant actuel notre armée. Le général est très content de la revue et remet plusieurs croix de la Légion d’Honneur et Médailles Militaires.

Au départ, le glorieux mutilé des Dardanelles passe devant nous, descend d’auto pour embrasser notre drapeau et crie à notre colonel :

 

« Très bien Colonel Lagarde, votre régiment est superbe ».

 

Nous rentrons à 10 h du matin pour la soupe, et le soir nous avons repos. Je crois que nous ne l’avons pas volé.

Dimanche 22 juillet 1917

Ce matin, nouvelle prise d’armes, nous allons dans un terrain à côté du village où on décore 30 hommes de la Croix de Guerre. Je suis du nombre.

Quoique cette décoration soit maintenant bien peu de chose, ça fait tout de même bien plaisir.

 

Le soir, repos et arrosage de la Croix.

Lundi 23 juillet 1917

Aujourd’hui, manœuvre de division, mais les zouaves n’y assistent pas. En raison de leur belle tenue à la revue d’avant-hier, ce régiment a encore repos aujourd’hui.

Nous allons le matin faire un peu de gymnastique suédoise et le soir nous allons nous baigner dans l’Aube.

Mardi 24 juillet 1917

Le matin, manœuvre de régiment, nous commençons déjà la représentation de la prochaine séance qui aura lieu au Mort-Homme dans le courant du mois d’août. Nous rentrons assez tôt.

 

Le soir, tir au fusil mitrailleur auquel j’assiste.

Mercredi 25 juillet 1917

Le matin, manœuvre de brigade, mais il paraît que ce serait la dernière.

Nous rentrons vers 11 h.

 

Le soir, il devait y avoir manœuvre de compagnie en formation serrée, mais vu la grande chaleur, il y a repos. J’en profite pour laver mon linge car le meilleur moyen de se débarrasser de la vermine qui nous infeste, c’est de laver son linge deux fois par semaine.

Jeudi 26 juillet 1917

Réveil à 5 h.

À 6 h, rassemblement de la compagnie et exercice de spécialistes : grenadiers, fusils mitrailleurs, V.B., coureurs… sont rassemblés sous les ordres des officiers spécialistes, et moi qui n’ai aucune spécialité, je vais dans ce cas là, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre. Malgré la grande chaleur d’hier, nous n’avons pas eu d’orage cette nuit comme on s’y attendait.

Vendredi 27 juillet 1917

Même exercice qu’hier.

Le soir, nous nous rendons à la baignade dans un petit affluent de l’Aube. Sous la conduite d’un camarade, je prends une leçon de natation et si j’avais l’occasion de prendre quelques leçons, je crois que je ne tarderais pas à savoir nager.

Avec la moisson ici qui arrive à grands pas, beaucoup de nous travaillent aux champs. Pour moi, rien à faire parce que je suis caporal.

Samedi 28 juillet 1917

Toujours le même beau temps.

Le matin, nous allons à l’exercice de spécialités.

 

Le soir, les fusils-mitrailleurs vont au tir et comme d’après la nouvelle dotation, nous en avons un par escouade, j’assiste au tir et je tire même une cinquantaine de balles avec cette arme, chose d’ailleurs relativement facile.

Nous rentrons du tir le soir à 6 h.

Dimanche 29 juillet 1917

Le matin, je me lève à bonne heure car je veux faire une grande lessive. Un camarade qui devait aller cette nuit à la pêche aux engins prohibés nous avait promis de nous offrir à dîner s’il réussissait.

En effet, un superbe brochet, quelques gardons, une omelette, une boîte de veau de conserve, un camembert et quelques litres de pinard font un bon diner aux six gais convives que nous sommes.

Nous ne nous quittons qu’à la nuit.

Lundi 30 juillet 1917

Le matin, réveil à 5 h.

Manœuvres de bataillon aux abords du terrain du camp de Mailly, mais ce n’est pas fatiguant aujourd’hui et à 9 h, nous sommes déjà de retour.

 

Le soir, nous allons aux douches et le soir après la soupe, nous nous rendons avec un lillois de mes camarades chez des évacués de Lille qui nous ont invités il y a quelques jours. Soirée agréable.

Mardi 31 juillet 1917

Le matin, exercice de compagnie pas bien loin de nos cantonnements.

 

À midi, il commence à pleuvoir, une forte pluie fine sans aucun vent, et ça tombe ainsi jusqu’au soir. À midi, on m’apprend que je suis de garde et je passe une partie de l’après-midi à me cirer et à astiquer.

 

Le soir, à 6 h, on m’apprend que ce n’est pas moi qui prends la garde.

Août 1917

Mercredi 1er août 1917

Aujourd’hui, beau temps.

Le matin, exercice sur le terrain habituel.

 

Le soir, nous avons une représentation théâtrale par la troupe de la Division. C’est encore un après-midi passé agréablement.

On parle sérieusement de notre prochain départ. Nous irions du côté de la côte 304 à Verdun.

Jeudi 2 août 1917

Exercice de spécialités : fusil mitrailleur, grenadiers, et V.B. Pour ma part, j’assiste au tir des grenades. Nous recevons un nouveau renfort de la classe 17.

Mauvais temps, il pleut, pluie fine et douce qui trempe bien.

Vendredi 3 août 1917

Il pleut encore. Nous sortons un moment le matin, mais nous sommes obligés de rentrer pour la pluie.

 

Le soir, il pleut toujours. Aussi, nous restons au cantonnement et pour passer le temps, nous passons une revue d’armes et une revue de détail.

Samedi 4 août 1917

Trois ans de guerre aujourd’hui.

Qui nous aurait dit cela le 4 août 1914, alors que nous nous attendions à une campagne de deux mois. Certes depuis les temps ont été durs et nous en avons vu de cruelles. Cependant, nous ne sommes pas encore au bout de nos peines, mais la situation s’annonce sous un jour excellent et est meilleure qu’elle n’a jamais été.

 

Aujourd’hui, pluie encore, ça fait le troisième jour et ça devient ennuyant. Le général en chef vient rendre visite à nos officiers qui sont convoqués à la division dans l’après-midi.

On nous annonce officiellement que le taux des permissions est abaissé à 5%.

Dimanche 5 août 1917

Aujourd’hui repos.

J’en profite pour aller rendre visite à un de mes camarades qui est cantonné dans un village voisin. Nous soupons ensemble ce qui fait paraître la journée un peu moins monotone.

Beau temps aujourd’hui, et ce n’est pas dommage.

Lundi 6 août 1917

Le matin, exercice de compagnie sur le terrain habituel.

 

Le soir, on commence à nous passer des revues qui nous font deviner un départ prochain. Revues de masques, de vivres, de munitions, en un mot de tout le matériel.

Mardi 7 août 1917

Le matin, exercice de spécialités sur les terrains spéciaux désignés à cet effet.

 

À midi, on nous apprend que nous partons demain pour Verdun en autos. Ca fait de l’effet à tout le monde quand on nous apprend ce départ car on se plaisait bien ici, les gens étaient aimables.

 

Le soir, revue en tenue de départ par le capitaine.

Mercredi 8 août 1917

Notre départ est annoncé pour 11 h 30.

La matinée est employée au montage des sacs et au nettoyage de nos cantonnements. Nous partons à l’heure indiquée, nous embarquons en autos devant nos cantonnements, et en route ! Chaleur étouffante.

 

Après avoir traversé Vitry-le-François, nous nous arrêtons pour manger à 10 km de Ste Menehould. Nous arrivons au débarquement à 11 h du soir et nous n’avons que 2 km à faire pour aller à nos cantonnements.

Avant de débarquer, nous sommes assaillis par un orage formidable.

Jeudi 9 août 1917

J’ai dormi comme un mort jusque 10 h du matin. Nous sommes cantonnés dans le village de Vadelaincourt à 15 km en arrière de la côte 304 et 15 km à l’ouest de Verdun.

Le village regorge de troupes, il ne reste presque pas de civils. Il y a en outre un grand hôpital d’évacuation et un grand camp d’aviation que je visite avec un camarade grâce à l’amabilité d’un adjudant pilote qui nous sert de cicérone.

Vendredi 10 août 1917

Repos encore aujourd’hui.

Nos cuisines arrivent et recommencent à nous faire manger comme à l’ordinaire. On enterre ici aujourd’hui deux aviateurs qui se sont tués hier en tombant. Pluie presque toute la journée.

 

L’après-midi, nous avons une revue d’armes par les chefs de section.

Samedi 11 août 1917

Nous partons d’ici ce soir dit-on, pour aller camper dans les bois.

Le matin, nous nous préparons au départ. Il pleut encore.

Nous partons à 7 h pour arriver au bivouac à 8 h où nous campons sous la tente dans les bois.

Dimanche 12 août 1917

Le matin, nous partons à l’exercice dans les bois, mais bientôt nous rentrons car il paraît que le commandant avait oublié que c’était dimanche et nous avait envoyé à l’exercice par inadvertance.

 

Dans l’après-midi, nous recevons un orage formidable.

Lundi 13 août 1917

Il pleut presque toute la journée par orages. Tantôt le soleil luit, tantôt la pluie tombe à flot.

Aussi, nous sommes condamnés à rester sous la guitoune et nous passons le plus clair de notre temps à dormir, passe-temps en somme assez agréable.

Mardi 14 août 1917

Il pleut encore, pour ne pas changer. Les toiles de nos tentes sont trempées et la pluie tombe sur nous.

Sous nous, la terre qui nous sert de lit se détrempe et nous voilà réduits à bientôt coucher dans la boue. Je suis de garde à la prison militaire de la D.M. toute la journée.

Mercredi 15 août 1917

Il a encore plu toute la nuit, et dans la matinée, nous avons eu deux orages formidables. Notre camp se transforme peu à peu en un grand lac boueux.

 

L’après-midi, on m’appelle au bureau du colonel pour m’apprendre que je reprendrai mes fonctions de coureur à la prochaine affaire.

 

Le soir, à 6 h, nous recevons l’ordre de décamper et d’aller reprendre nos anciens cantonnements à Vadelaincourt. Ouf ! Pas trop tôt.

Jeudi 16 août 1917

Il a encore plu toute la nuit, mais on ne s’en est guère aperçu, aujourd’hui nous n’étions plus sous la tente.

 

Le matin, revue en tenue d’assaut par le lieutenant. Cette tenue est en veste, sans capote et sans couvertures, 3 jours de vivres, 4 litres de boisson.

 

Le soir, exercice de coureurs.

Vendredi 17 août 1917

Le matin, au réveil, grande surprise pour tout le monde. Le ciel est très bleu et on ne voit pas le moindre nuage à l’horizon. Aussi l’aviation se met-elle de la partie de bonne heure. Le départ de la compagnie qui devait avoir lieu ce soir est retardé de 24 heures.

À signaler deux saucisses incendiées par les boches.

Samedi 18 août 1917

Nous partons ce soir pour monter aux tranchées ou plutôt en réserve. La compagnie est dans un bois nommé Bois Bourrus. La journée se passe en préparatifs.

 

Nous partons à 7 h du soir, moi en queue de la compagnie avec mes 10 coureurs.

Nous arrivons au Bois Bourrus à minuit. Mais nous sommes bien fatigués et nous ne sommes pas encore arrivés.

Dimanche 19 août 1917

Après nous être reposés une heure, nous repartons pour monter en ligne avec les coureurs de la 7e sous la conduite de deux hommes qui sont déjà allés au P.C. de la brigade. Mais ils connaissent mal la route, se perdent, et nous traînons dans les boyaux jusqu’à 5 h, où nous parvenons à trouver la brigade.

Nous installons la ligne qui fonctionne dès 6 h, puis nous avons devant nous un peu de repos.

Toute la journée, le canon fait rage, on est à moitié abruti de l’entendre. Les boches répondent peu, et ce qu’ils nous envoient, ce sont des obus à gaz lacrymogène.

Lundi 20 août 1917

Le canon a fait rage toute la nuit et c’est pour ce matin, à 4 h 45, l’attaque.

Le temps est beau, le jour se lève. Je dois suivre les vagues d’assaut à ¼ d’heure pour replacer la ligne de coureurs qu’un sergent qui marche avec la vague égrené. Je suis le mouvement. Les premiers bataillons marchent vivement. Très peu de résistance. Des prisonniers qui sont hébétés et du matériel restent dans nos mains.

Le bois des Caurettes est conquis. À travers monts et vaux, nous arrivons à la lisière du bois des Corbeaux, deuxième objectif qui, chose extraordinaire, est atteint au bout d’une heure.

 

Un moment d’arrêt, puis le sergent m’envoie avec un coureur à la recherche du commandant du 3e bataillon qui est en avant. Nous partons. Nous trouvons une tranchée boche qui est occupée par la 11e compagnie.

Je demande le commandant, on me dit :

 

« Encore plus en avant ».

 

Je repars à travers le bois des Corbeaux.

Tout à coup, un coup de fusil claque à mes oreilles. Je me tourne pour voir d’où vient le coup, un deuxième coup part et mon camarade tombe, touché à l’épaule. Je regarde, une vingtaine de boches sont à 20 mètres de moi.

Je sors mon revolver et leur lâche deux balles. Tous se baissent. Je relève mon camarade et nos jambes à notre cou, nous partons. Nous retrouvons les nôtres. Mon camarade, pansé, s’en va à l’arrière. Je tombe sur le commandant. Des plis venant de l’arrière m’indiquent que ma liaison marche.

Je retourne près de mon sergent. Notre mission est terminée, il est huit heures.

 

Nous cassons la croûte en commentant la bataille ; puis nous revenons vers l’arrière. Tout à coup, les balles pleuvent autour de nous sans que nous sachions d’où elles viennent. 4 sur les 6 que nous sommes tombent. Nous avons le temps de nous blottir et nous voyons que c’est une mitrailleuse boche que l’on n’avait pas trouvée dans le bois des Caurettes qui nous tire dans le dos.

Attaqués à la grenade, les boches rentrent dans leur abri et on ne peut les en déloger.

Mardi 21 août 1917

La nuit a été assez calme.

Deux contre-attaques ont été brisées par nos feux de barrage. Les boches d’hier résistent toujours. Il paraît que leur souterrain communique avec un tunnel dont nous connaissions l’existence avant l’attaque.

 

Le matin, à la première heure, on attaque le tunnel au liquide enflammé. 200 boches et un colonel se rendent et déclarent que le tunnel a été bouché au milieu par un obus de 400, mais, dans l’autre partie, ils disent qu’il doit s’y trouver au moins 300 boches.

En effet, deux heures après, ils se rendent à leur tour et ce n’est pas 300 qu’il sort, mais plus de 600 qui sont accueillis par les zouaves avec des cris de victoire. Notre progression continue et atteint aujourd’hui le ruisseau des Forges, dernier objectif prévu pour le régiment. Nos pertes sont légères.

La bataille d’aviation fait rage sur nos têtes et il se livre là-haut de vraies batailles rangées. 7 ou 8 boches sont abattus et à peu près autant des nôtres, mais boches et français tombent dans nos lignes.

Mercredi 22 août 1917

Le temps continue à être beau.

Nous sommes attaqués à la mitrailleuse par une escadrille d’avions boches. Heureusement, les nôtres arrivent bientôt et les chassent. De tous les côtés, on travaille à l’organisation du secteur. On creuse des boyaux. J’ai l’occasion de monter aujourd’hui jusqu’en première ligne et de voir de près le ruisseau des Forges dont on a tant causé depuis ces derniers jours.

Le calme est grand ici, pas un coup de canon, pas un coup de fusil.

Jeudi 23 août 1917

Je pars dès le matin en reconnaissance de tous les P.C. de compagnie et de bataillon du régiment.

Je rentre à midi, bien fatigué.

 

Mais dans l’après-midi, je n’ai rien à faire, aussi j’en profite pour aller rendre visite au fameux tunnel d’où sont sortis 800 prisonniers. C’est un travail monstre encore tout encombré d’armes, d’équipements et de matériels que les prisonniers ont laissés. C’est une immense voûte longue de plus de deux km contenant de l’eau, un decauville (*) d’un bout à l’autre, un superbe P.S. (**), une installation électrique fonctionnant.

Partout des cuisines et des abris pour les hommes.

Les boches essaient une violente contre-attaque qui est démolie avant de pouvoir arriver à aborder nos lignes.

 

(*) : Petit train

(**) : PS : Poste de Secours

Vendredi 24 août 1917

Il paraît que c’est aujourd’hui mon dernier jour de coureur.

Mon bataillon montant en ligne cette nuit, nous sommes relevés par des coureurs du bataillon de réserve, et nous rejoignons nos compagnies. La relève s’amène en effet le soir à 8 h.

 

Je rejoins la 6e compagnie à 9 h et, en arrivant, on m’apprend que nous montons en lignes à minuit. Juste le temps de nous préparer à partir et de manger la soupe et l’heure est arrivée.

Samedi 25 août 1917

Ma section est en première ligne.

Nous relevons une section de la 11e compagnie. Les boches sont assez loin, on ne sait même pas exactement où. Le coin est assez calme, pas un coup de fusil, à peine quelques obus sur les boyaux qui mènent à notre tranchée.

En avant de nous, deux batteries que l’on croit abandonnées, et le ruisseau.

 

Le soir, je demande à faire partie de la patrouille qui va reconnaître la batterie de droite.

Dimanche 26 août 1917

Départ pour la patrouille à minuit.

Nous sommes 20 avec une mission considérée comme dangereuse. Nous arrivons à la batterie, l’inspectons consciencieusement. Les canons n’y sont plus et il n’y a personne. Nous continuons jusqu’à 800 mètres de nos lignes et nous sommes à peine à 50 mètres du ruisseau et d’une passerelle que nous sommes reçus par des coups de fusil et des grenades tirés à 20 mètres.

Nous nous plaquons dans les trous d’obus et nous attendons. Nous savons à quoi nous en tenir, nous rentrons donc.

Un peu de pluie dans la journée ce qui n’a rien d’intéressant.

Lundi 27 août 1917

Le matin, notre droite fait déclencher un violent feu de barrage, sans doute est-elle attaquée. Nous aussi, nous demandons le tir de barrage. Les boches ripostent et c’est un boucan à devenir sourd.

Mais l’ennemi qui n’a pu atteindre nos tranchées laisse quelques cadavres de plus sur le terrain. Nous avons pendant toute la journée de nombreuses averses.

Mardi 28 août 1917

Nuit calme mais pluvieuse, ce qui n’est guère intéressant car notre première ligne n’est qu’une série de trous d’obus à peine reliés entre eux et dans lesquels il faut constamment se tenir couchés.

 

Le soir, nous devons de nouveau aller en patrouille reconnaître la batterie qui est à notre gauche et le ruisseau sur un autre point.

Mercredi 29 août 1917

La patrouille de cette nuit n’a guère été intéressante. Sans doute nous avons été éventés car un violent feu de barrage nous a empêchés de sortir du petit poste.

Journée pluvieuse, orageuse, avec cependant quelques belles éclaicies. Un renfort part demain pour l’Orient, et entre autres, notre capitaine qui sera bien regretté à la compagnie. Les boches sont très calmes aujourd’hui.

Jeudi 30 août 1917

On dit que nous sommes relevés de première ligne cette nuit pour aller en réserve. Les boches nous bombardent violemment toute la journée. Les obus tapent très près de notre tranchée. Nous avons un blessé.

Même temps qu’hier, pluie presque toute la journée. La relève définitive aura lieu, dit-on, dans un jour ou deux.

Vendredi 31 août 1917

Nous avons été relevés cette nuit des premières lignes par le 1e Tirailleurs. Nous descendons en réserve dans les deuxièmes lignes boches. Nous sommes enfin dans des cagnas. Nous commençons à nous reposer quand on vient m’apprendre que je dois retourner aux coureurs jusqu’à la relève définitive.

J’apprends avec surprise autant qu’avec tristesse que tout l’état-major du colonel a été blessé par un obus. Le sergent Thibault, ancien sergent coureur, est très gravement blessé.

Septembre 1917

Samedi 1er septembre 1917

Temps assez beau.

Nous serons relevés cette nuit dit-on par le 1e Zouaves. En effet, dans le courant de la journée, les officiers viennent reconnaître les emplacements. La relève de la compagnie de réserve commence à 8 h, il fait encore jour mais les boches ne s’aperçoivent de rien.

La 6e part une des premières, mais nous, nous restons là, on ne sait pas quand seront relevés les coureurs. En tout cas, nous restons là en attendant qu’on vienne nous relever.

Dimanche 2 septembre 1917

Nous sommes relevés à une heure du matin, et tous les zouaves sont partis. Heureusement que le commandement m’a donné les instructions nécessaires pour rejoindre.

Nous passons par Chattancourt, Bois Bourrus, Germonville. Enfin ici on peut respirer un peu.

Nous passons ensuite à Sivry et Blercourt pour arriver au grand jour au camp des Clairs Chênes où nous retrouvons la compagnie.

Lundi 3 septembre 1917

Enfin, ce matin, nous recevons nos sacs. Nous avons nos couvre-pieds, nos capotes et nous pouvons enfin dormir à peu près tranquilles. Nous apprenons que nous embarquons ce soir même pour aller en Lorraine du côté de Vaucouleurs dit-on, en repos. Le commandement n’a pas envie de nous laisser moisir à Verdun.

Les permissions reprennent et il en part aujourd’hui une quantité. Mon tour approche.

Mardi 4 septembre 1917

Nous sommes partis de Rampont-Gare où nous avons embarqué hier soir à la tombée de la nuit.

Nous sommes passés par Souilly, ensuite on ne voit plus les gares car il fait nuit, et puis on a envie de dormir.

 

À 9 h du matin, nous débarquons en gare de Pagny-sur-Meuse et nous allons cantonner à 1 km 500 de la gare dans le village même de Pagny. Le village est assez grand et gentil.

À notre grande admiration, nous apprenons que depuis 6 mois, il n’y a pas eu de troupes dans le village, donc nous avons bien des chances d’y être très bien. Beau temps aujourd’hui, les avions boches viennent nous survoler.

Mercredi 5 septembre 1917

Aujourd’hui, réveil à 7 h.

Comme on est heureux de se réveiller frais et dispos dans le gros tas de paille que le civil a mis aimablement à notre disposition. On a dormi là dedans comme des sourds.

Aujourd’hui, travaux de propreté. Nous en profitons pour nous nettoyer comme il le faut. La rivière est à côté. C’est la Meuse qui coule, mais c’est une drôle de rivière car elle se divise en plusieurs bras qui sont peu profonds mais quand même larges.

On dit que des permissionnaires partent cette nuit. Vivement qu’il en parte le plus possible afin que mon tour arrive.

Jeudi 6 septembre 1917

Ca y est, je suis en chemin de fer avec une perme de 7 jours dans ma poche. Je ne m’attendais guère à celle là.

On m’a prévenu à 8 h 10 et je devais partir à 8 h ½. Juste le temps de sauter en chemin de fer et de partir. J’étais au bistrot quand on est venu me prévenir. Nous passons par Bar-le-Duc, Châlons, Épernay, Château-Thierry et Vaires-Torcy, gare régulatrice où nous arrivons à midi pour en repartir à 2 h 50.

 

Mais nous sommes arrêtés à Orry-la-Ville où nous devons attendre jusqu’à 8 h 15, heure de notre départ pour Amiens et Boulogne.

Du vendredi 7 septembre au dimanche 16 septembre 1917.

Permission

Lundi 17 septembre 1917

Et voilà encore une fois la permission terminée.

 

À 10 h et quelques minutes, je prends le train à Lumbres avec le cœur bien gros, mais il faut bien se faire une raison. Nous ne descendons pas à Hesdigneul ; on nous dirige vers Pont-de-Briques qui est en quelque sorte une gare régulatrice pour les permissionnaires du Nord.

Là je rencontre Caroulle de Wizernes qui s’en va lui aussi à Toul donc nous ferons route ensemble un moment.

Départ de Pont-de-Briques à 3 h ½ pour Paris, mais on nous fait descendre à la gare régulatrice de Noisy-le-Sec vers 1 h du matin.

Mardi 18 septembre 1917

Nous passons le reste de la nuit dans une baraque réservée aux permissionnaires. Nous ne nous couchons pas car cet endroit n’a pas l’air très propre.

 

Nous n’avons un train qu’à 9 h aussi nous avons le temps de faire des provisions à la coopérative militaire et de déjeuner.

 

À 9 h, nouveau départ, mais nous n’allons pas loin.

 

À 10 h : Vaires-Torcy, nouvelle gare régulatrice de la banlieue, où nous attendons jusqu’à 2 h pour avoir un train pour Toul. On me dit que la division est changée et que je dois descendre à Toul. Ce train nous mène vivement. Il ne s’arrête qu’à Meaux, La Ferté-sous-Jouarre, Épernay, Châlons, Vitry, Bar-le-Duc, Revigny et Toul.

Mercredi 19 septembre 1917

Nous débarquons à Toul vers une heure du matin, beaucoup plus tôt que nous nous y attendions. On nous prend nos permissions. Le régiment est à 12 km d’ici dans un camp mais on nous conduira en auto vers 8 h du matin.

En attendant, on nous conduit dans un abri réservé aux permissionnaires où une cantine vend à boire jour et nuit. Aussi, nous pouvons nous restaurer en attendant que les autos arrivent.

 

Vers 8 h, les autos s’amènent et nous partons. Heureusement que nous avons cela, autrement la route paraîtrait rudement longue.

Nous arrivons au camp vers 10 h. Immédiatement, on nous colle nos sacs et nos fusils dans nos bras car on attend la revue du général commandant le corps d’armée.

Jeudi 20 septembre 1917

Nous sommes ici dans un immense camp qu’on appelle Camp du Bois l’Évêque. Ca se trouve loin de tout pays aussi n’y voit-on pas un civil.

Ce camp est si grand que toute la division est logée ensemble. C’est très bien installé. Il y a lavabos, salles de bain, douches, cuisines, écuries, remises, le tout en planches. Les baraques sont également bien aménagées à l’intérieur. Il y a des lits pour tout le monde mais il faut que tout soit rangé, pis qu’en caserne.

Ici on ne fait presque rien, sinon des travaux d’aménagement, traçage des allées, construction de parterres entre les baraques que l’on décore le mieux que l’on pense.

Vendredi 21 septembre 1917

Aujourd’hui, il faut bien reprendre un peu position dans les rangs. On m’annonce que je suis de jour ce qui m’aide un peu à chasser le cafard. Le café aux punis le matin.

 

À midi, nous cassons la croûte avec quelques camarades. Le poulet rapporté du pays est excellent.

 

L’après-midi, je vais avec quelques hommes balayer la salle de cinéma car il y a cinéma tous les soirs. Un grand nombre de permissionnaires partent aujourd’hui, il paraît qu’il en part 450 au régiment.

Samedi 22 septembre 1917

Journée magnifique. Travaux de propreté le matin. Nous allons laver le linge à la Moselle qui coule à environ 1 km du camp.

Nous rentrons à temps pour la soupe.

 

L’après-midi, travaux de propreté encore et revue de cantonnement par le commandant de compagnie. Nous avons aussi la visite du colonel qui rentre de permission.

Dimanche 23 septembre 1917

Beau temps toujours. Commencement de la fête sportive.

Le matin, il y a différents concours : grenades, fusils mitrailleurs, etc. Deux hommes de l’équipe de fusils-mitrailleurs de mon escouade remportent le championnat de la division ce qui leur vaut une prime de 45 francs.

 

L’après-midi, commencement des jeux athlétiques : lancement du disque et du poids…Première course de chevaux aussi, 500 m avec haies.

Lundi 24 septembre 1917

Le matin, nous avons une petite manœuvre de bataillon : évolution et formation diverses.

Nous rentrons à 10 h, à temps pour la soupe.

 

L’après-midi, continuation de la fête sportive : concours de saut, courses à pied, lancement du poids, du disque, etc. ; courses de chevaux entre cavaliers et entre sous-officiers. Le général commandant la D.M., celui commandant la place de Toul, un général d’artillerie sont là.

Demain, à l’occasion de la fête du Ramadan, grande pantomime pour les Arabes, mais ma section étant de jour, nous serons probablement consignés. Toujours le même beau temps.

Mardi 25 septembre 1917

Encore un anniversaire. Il y a deux ans aujourd’hui, nous étions devant le bois Sabot.

Le matin, repos.

 

Le soir, contrairement à mon attente, je ne suis pas consigné, aussi je retourne à la fête : foot-ball, cross, boxe et escrime, puis série de danses arabes par des indigènes, et enfin fantasia. Une centaine de chevaux, couverts d’étoffes aux couleurs éclatantes, montés par des cavaliers arabes, galopent ventre à terre à travers la piste. Les cavaliers, tout en courant, tirent des coups de fusil et lancent des fusées.

Vraiment c’est très beau.

Mercredi 26 septembre 1917

La fête des Arabes a duré toute la nuit et ils ont fait cuire des moutons entiers en plein air suivant les rites habituels de leur pays.

Ce matin, prise d’armes. On me fait appeler pour me remettre l’insigne de ma deuxième citation à l’ordre de la division cette fois. Puis le colonel, en me serrant la main pour me féliciter, me laisse entendre qu’il a l’intention de me rappeler à la C.H.R.

 

En effet, l’après-midi, au moment de partir pour les travaux, on me fait appeler pour me dire que je rentre à la C.H.R. à dater de ce soir.

Jeudi 27 septembre 1917

Me voici donc de nouveau à la compagnie hors-rang comme fonctionnaire sergent signaleur. J’ai à m’occuper des signaleurs avec tout ce qui leur a trait : appareils optiques, fusées de toutes sortes, et tous les artifices. Ma tâche sera sans doute lourde ici mais je ferai mon possible pour l’accomplir au mieux. L’avenir me dira si je réussirai.

Aujourd’hui, je profite de la journée pour mettre un peu d’ordre dans mes affaires personnelles et pour prendre connaissance avec mes hommes car outre mes signaleurs, j’ai aussi à m’occuper des colombophiles et des soigneurs de chiens.

Vendredi 28 septembre 1917

Dès ce matin, sérieusement au travail.

D’abord l’inventaire des artifices, ce qui nous prend assez de temps car on a touché ici un lot important d’artifices.

 

L’après-midi, je vais faire promenade avec les chiens afin de les connaître un peu. Puis nous nous mettons au travail qui ne manque pas, surtout qu’on nous apprend officieusement un départ prochain.

 

Le soir, après la soupe, nous allons à l’exercice des chiens sentinelles et j’ai le plaisir de me rendre compte par moi-même que deux de ces chiens sont excellents comme gardiens.

Samedi 29 septembre 1917

Aujourd’hui, dans la matinée, nous passons sérieusement en revue le matériel qui est un peu détérioré.

 

L’après-midi, comme un départ devient de plus en plus probable, nous préparons un stock de fusées que nous allons rendre au P.A.D.M. car leur grand nombre ne nous permet pas de les emporter.

Hier j’ai oublié de signaler la visite du général Pétain qui est venu passer en revue la division et apporter la fourragère jaune et vert au 8e  Zouaves. Il fait également un don de 2000 F au régiment. Le temps qui était très beau depuis quelques jours s’est couvert et l’on peut s’attendre à de la pluie d’un moment à l’autre.

Dimanche 30 septembre 1917

Il paraît que c’est aujourd’hui notre dernier jour au Camp du Bois l’Évêque aussi nous en profitons.

Pour une fois, nous partons vers midi, nous allons dans un village où il y a de grandes forges. On ne dirait pas que c’est la guerre. Dans un café où nous entrons, on joue du piano automatique et de nombreuses demoiselles ne demandent qu’à danser.

 

Nous rentrons le soir juste pour l’appel et le lendemain on nous apprend notre départ à la première heure.

Octobre 1917

Lundi 1er octobre 1917

Nous partons le matin à 6 h ½.

Les voitures sont chargées avant notre départ. Notre adjudant est parti en avant pour reconnaître les cantonnements. Aussi me voilà chef de section pour aujourd’hui.

Après avoir marché 4 heures, nous faisons la grande halte et nous mangeons sur l’herbe puis nous repartons pour arriver à Lucey où nous cantonnons dans un grenier.

 

Le soir, on nous apprend que nous repartons le lendemain matin. Aussi, nous passons une partie de la nuit à ranger nos voitures et à en préparer une pour nous accompagner.

Mardi 2 octobre 1917

Nous repartons à 6 h du matin.

Nous contournons Toul. Nous passons dans le camp retranché et partout ce ne sont que des casernes qui ne sont pas achevées, et on dit qu’on ne se préparait pas à la guerre ! Nous mangeons la soupe à Royaumeix puis nous repartons.

Nous arrivons à Mandres-aux-4-Tours où nous nous arrêtons. On commence à prendre les consignes, mais on nous apprend que nous devons aller à Bouconville où doit être le P.C. du colonel.

Nous arrivons, là on nous dit que c’est changé et que le colonel reste à Mandres. Un voyage inutile, total 18 km.

Mercredi 3 octobre 1917

Nous avons dormi comme des loirs car nous étions tous éreintés.

Aussi, le colonel s’amène à son poste de commandement et nous sommes encore tous couchés. Nous travaillons toute la journée à l’organisation de notre liaison. Tous nos postes sont relevés, mais il reste encore un territorial pour nous mettre un peu au courant.

Nous profitons aussi de la journée pour décharger de la voiture notre matériel qui nous servira tous les jours, et aussi pour nous installer un peu.

Jeudi 4 octobre 1917

Enfin, cette nuit, je me suis vraiment reposé.

Aussi ce matin je me lève frais et dispos. On se met tout de suite au travail. Ce sont des comptes-rendus pour mon exercice d’optique. Puis le déchargement des voitures qui sont arrivées. Nous sommes ici installés dans un village bombardé et nous couchons dans une baraque Adrian, avec notre matériel.

Nous sommes très bien.

 

Le soir, exercice d’optique avec le central optique de Paris.

Vendredi 5 octobre 1917

Boum ! Ce matin, à la première heure, on nous apprend que nous sommes forcés de déménager pour laisser la place aux élèves-caporaux. Comme on vient de créer ici un peloton d’instruction, alors ils nous prennent notre place pour avoir un local pour eux étudier. Le déménagement nous occupe une partie de la journée car nous avons trois voitures de matériel pour changer de place.

Il pleut aujourd’hui. Sans doute voilà la mauvaise saison qui arrive.

 

Le soir exercice optique, comme tous les soirs, avec le central de Paris.

Samedi 6 octobre 1917

Le matin, je monte en première ligne pour voir un peu ce que font mes chiens sentinelles, et aussi pour voir mes différents postes optiques. Je rentre seulement vers midi avec une bonne faim. Mais il n’y a plus rien à manger car on n’a pas pensé à me conserver quoi que ce soit.

Je profite de l’après-midi pour mettre un peu d’ordre dans mes écritures.

La pluie se met à tomber dans le courant de l’après-midi et il pleut jusqu’au soir. Il devait y avoir cinéma, mais ça n’aura sans doute pas lieu.

Dimanche 7 octobre 1917

Un service de planton contre les gaz est pris toutes les nuits au bureau du colonel par un sous-officier, aussi cette nuit c’est mon tour à prendre, et on vient m’éveiller à 3 h. Je suis de garde jusqu’à 6 h, mais avec ce retard de l’heure, je trouve moyen de faire 4 h pour 3.

 

L’après-midi, je vais voir un peu mes postes, tout commence à marcher à peu près. La pluie continue à tomber une partie de la journée.

Lundi 8 octobre 1917

Il a encore plu toute la nuit.

Ce matin, le temps s’éclaircit et il fait beau. Je profite de cette demi journée de liberté pour laver mon linge, chose que je n’ai pas encore eu le temps de faire.

 

L’après-midi, je vais reconnaître les postes optiques du 3e bataillon qui est monté en lignes pour relever un bataillon de tirailleurs. Je crois bien qu’à partir de cette nuit, la liaison optique marchera avec tous les postes.

Je reviens par Bouconville et Rambucourt où j’ai d’autres hommes de détachés. Je ne rentre au cantonnement que vers 8 h, trempé comme une soupe car avec le soir, la pluie recommence à tomber.

Mardi 9 octobre 1917

Avec le jour, la pluie cesse de tomber et il fait beau toute la journée.

 

Dans l’après-midi, nous allons à la recherche d’un observatoire où l’on pourrait établir un poste optique pour communiquer avec la division qui se trouve à 6 ou 7 km d’ici. Nous trouvons finalement uns crête d’où on voit assez bien Royaumeix. Mais je crains que les signaux ne soient pas vus car la distance est très longue.

Nous saurons demain si nos signaux ont été vus.

Mercredi 10 octobre 1917

Pluie encore aujourd’hui. L’eau coule à flot partout. Je me suis piqué il y a quelques jours au poignet avec un fil téléphonique et il est subvenu un énorme abcès qui me fait cruellement souffrir, je ne sais pas ce que cela va devenir.

Les boches nous bombardent un peu aujourd’hui, mais c’est plutôt sur les batteries installées dans le village qu’ils tirent.

Jeudi 11 octobre 1917

Mon mal devient de plus en plus grave. Le poignet enfle et je souffre cruellement. Le major qui m’examine ne me présage rien de bon.

 

Le soir, le temps est calme, aussi on en profite pour envoyer 3 vagues successives de gaz asphyxiants qui leur font sans doute du mal car ces messieurs nous répondent immédiatement avec des obus. Plusieurs tombent sur le village de Mandres, mais il n’y a pas de casse car les obus tombent où il n’y a personne.

Seule une cuisine roulante est endommagée, mais notre artillerie se met de la partie aussi.

Vendredi 12 octobre 1917

Le bombardement continue. Il paraît que ce sont encore des obus à gaz que nous envoyons aux boches et certainement, ils doivent en ramasser plus avec le nez qu’avec une fourchette.

Mon mal devient de plus en plus grave et je ne puis plus me servir ni de mon bras ni de ma main. Je me sers exclusivement de ma main gauche.

Le beau temps est revenu, il fait un temps admirable aujourd’hui.

Samedi 13 octobre 1917

Le mal de mon poignet grossit toujours et me fait de plus en plus souffrir. Aussi, aujourd’hui, je vais trouver le major et lui demande de bien vouloir me l’ouvrir. Il hésite d’abord, puis finalement accepte, mais il me prévient que ce sera long et douloureux.

Quand même, il s’y met, mais me fait passer un quart d’heure que je ne voudrais pas passer tous les jours.

Beau temps aujourd’hui encore.

Dimanche 14 octobre 1917

Journée belle encore aujourd’hui. Le soleil luit, on se croirait au mois de mai ou de juin. Je suis toujours infirme de ma main, malgré tout ce qui a coulé depuis hier. Je souffre toujours cruellement et ne puis absolument rien faire.

Le major parle même de m’évacuer, chose qui ne me plairait qu’à demi. Les boches en profitent pour venir nous rendre visite avec leurs avions.

Lundi 15 octobre 1917

Mieux sensible aujourd’hui ; les doigts commencent à manœuvrer un peu, mais quand même je suis loin d’être guéri.

Depuis plusieurs jours, il faisait beau, mais ce matin la pluie a de nouveau commencer à tomber. Heureusement que nous trouvons moyen d’avoir un poêle et que le bois ne manque pas. Nous pouvons allumer du feu, il commence à faire froid.

Mardi 16 octobre 1917

Je commence à reprendre mon service un peu aujourd’hui, tout en allant rendre visite au major deux fois par jour. Je vais aux postes optiques avec la division, mais je ne sais si la distance est trop longue ou si ces messieurs ne sont pas à l’observatoire, malgré tous nos efforts, nous ne parvenons pas à obtenir de réponse.

La pluie continue à tomber aujourd’hui toute la journée, aussi les routes se transforment en ruisseaux.

Mercredi 17 octobre 1917

Il ne pleut plus ce matin. Les boches reprennent un peu d’activité et nous envoient des obus sur Mandres, mais le bombardement ne fait pas beaucoup de dégâts. En revanche, Beaumont est sérieusement arrosé et une batterie qui se trouve tout à côté est sérieusement amochée.

Ma main continue à aller de mieux en mieux et les soins se bornent maintenant à des bains et à des pansements humides.

Jeudi 18 octobre 1917

La relève du 1e bataillon par le 3e a eu lieu la nuit dernière.

Ce matin, je monte en ligne pour voir les postes et savoir si la relève s’est exécutée dans de bonnes conditions.

Presque aussitôt mon départ, la pluie commence à tomber, aussi mon voyage en première ligne n’a rien d’intéressant. Partout les tranchées sont éboulées et l’eau et la boue ne manquent pas. La nuit dernière, une rencontre de patrouilles a eu lieu et nous avons eu de la casse des deux côtés.

Vendredi 19 octobre 1917

Les soigneurs de chiens qui sont en lignes depuis le premier jour que le régiment est monté, descendent aujourd’hui ici pour se reposer quelques jours.

 

Le soir, concert par des artistes d’occasion recrutés parmi les hommes de la compagnie qui est ici.

Le soir, visite des avions boches, mais ils volent à une très grande hauteur et semblent plutôt préoccupés de s’en aller lancer des bombes vers l’arrière que de s’inquiéter de nous.

Pluie encore aujourd’hui.

Samedi 20 octobre 1917

Cette nuit, nous avons fait des signaux à la division à minuit. Ma main commence à aller bien mieux, et je puis m’en servir couramment. Aussi aujourd’hui, nous allons monter une nouvelle ligne avec un poste de relais qui se trouve près des lignes.

Temps sombre et calme, mais ça sent plutôt la pluie.

Dimanche 21 octobre 1917

Pluie toute la journée. On ne s’aperçoit guère que c’est dimanche car nous travaillons toute la journée à la construction téléphonique d’une ligne sur piquets. Hors, dans ces terrains marécageux, ce n’est guère rigolo car on s’enfonce dans l’eau jusqu’au dessus des chaussures. Les boches sont calmes aujourd’hui, chose extraordinaire car notre artillerie tire passablement.

Peut-être ce calme est le précurseur de l’orage.

Lundi 22 octobre 1917

Ma main va de mieux en mieux. Je vais voir le major encore aujourd’hui et il m’annonce que plus rien de grave n’est à craindre. Je profite de ce qu’il fait beau aujourd’hui pour monter en ligne voir mes postes optiques.

 

Je rentre le soir, bien fatigué, heureusement que le temps a été à peu près beau aujourd’hui.

Mardi 23 octobre 1917

Je travaille toute la matinée sur deux projecteurs du 2e bataillon qui sont cassés. Je les démonte de point en point, mais je m’aperçois bientôt que c’est assez compliqué. Néanmoins, j’arrive à les réparer tous les deux et ils marchent.

Belle journée aujourd’hui.

 

Le soir, je suis de garde jusqu’à minuit pour envoyer un message optique à la division à 24 heures.

Mercredi 24 octobre 1917

Beau temps encore. Les citations du régiment sont sorties. Aussi, notre chef de service nous rassemble et remet la Croix de Guerre à deux des plus anciens du groupe qui ne l’ont pas encore. On profite du temps magnifique pour nous prendre en photo avec le fanion du groupe que nous avons reçu il y a encore peu de temps.

Ma main va très bien, la plaie commence à se fermer.

Jeudi 25 octobre 1917

Cette nuit, nous sommes réveillés en sursaut par une alerte aux gaz, mais nous avons beau sentir de tous les côtés, on ne sent pas les gaz venir.

Bientôt, nous apprenons que les boches ont bien envoyé des gaz, mais à notre gauche et nous n’avons pas à craindre leur venue jusqu’ici.

ujourd’hui, échanges d’effets, principalement de pantalons et de molletières.

Vendredi 26 octobre 1917

Nous montons en ligne pour passer une inspection de tous les postes optiques du 1e bataillon.

On parle aussi sérieusement d’une foule de nominations de gradés pour la réorganisation du service des liaisons, mais je ne puis découvrir si je suis du nombre de ceux qui, d’après les on-dit, seraient promus dans quelques jours.

Les détails commencent à arriver sur le coup de butoir que nous venons de donner aux boches sur l’Aisne et qui, après la perte de leur Zeppelin, n’est pas précisément fait pour leur remonter le moral.

Samedi 27 octobre 1917

Journée magnifique.

Les boches en profitent pour envoyer leurs avions nous rendre visite mais ces Messieurs ne font pas un long stage car notre artillerie les pourchassent sérieusement. Mandres en profite pour nous envoyer quelques obus qui ne font ni dégât ni victime.

Dimanche 28 octobre 1917

Le matin, je pars pour voir tous les postes optiques du point H. Mais à peine parti, la pluie commence à tomber et va tout en augmentant.

En effet, je m’aperçois bientôt que je ne pourrais rentrer que bien mouillé.

 

Aussi, quand je rentre le soir, l’eau coule autour de moi. Heureusement que j’ai tout ce qu’il faut pour me changer, et un bon feu pour me réchauffer et faire sécher mes vêtements mouillés.

Lundi 29 octobre 1917

Aujourd’hui beau temps et je profite de ce que je n’ai pas grand chose à faire pour me reposer un peu et faire sécher mon linge.

 

L’après-midi, je sors pour aller aux lettres et au retour, un officier attaché au colonel m’arrête et me dit que le colonel vient de me nommer sergent.

Bien entendu, je me garde bien de rien dire car personne au groupe n’en sait encore rien.

Mardi 30 octobre 1917

Le matin, le chef de service me fait appeler et me dit que je suis nommé d’hier. Je ne dis encore rien, mais quand même, on voit que ça a fusé car tout le monde me regarde en rigolant.

Un peu avant la soupe, un planton vient réclamer le sergent Nédoncelle. Alors c’est l’explosion.

Je rentre à midi et je trouve sur mon lit ma capote avec mes nouveaux galons cousus. Ca me semble bien drôle ces machins dorés sur mes manches.

Mercredi 31 octobre 1917

La 6e compagnie est cantonnée ici. Aussi, je ne puis faire un pas dans la rue sans être accosté et félicité par des camarades de la compagnie.

C’est aussi la journée des arrosages. Quelques bons camarades viennent tous en cœur m’apporter leurs félicitations. Aussi il faut arroser ces galons car il paraît que sans ça, le fil casserait et qu’ils ne tiendraient pas cousus. Enfin, il faut bien se soumettre à cette habitude.

Belle journée aujourd’hui.

 

Le soir, la 10e compagnie fait un coup de main assez important. Jusqu’ici les incursions dans les tranchées boches n’ont pas donné de résultat car ces Messieurs ont abandonné leurs premières lignes.

Mais les poilus, aidés par un violent bombardement, d’ailleurs très court, ramènent 13 prisonniers dont deux sous-officiers.

Novembre 1917

Jeudi 1er novembre 1917

Ce matin, les renseignements nous arrivent sur le coup d’hier soir : un seul blessé chez nous, 13 prisonniers qui ont d’ailleurs fait « Kamarad » sans la moindre esquisse de défense.

C’est le jour de la Toussaint aujourd’hui. Aussi, nous allons faire un tour au cimetière rendre hommage à nos glorieux camarades enterrés dans le cimetière de Mandres. Entre autres noms, nous y remarquons celui du général Sibylle et celui du célèbre coureur à pied Jean Bouin.

Vendredi 2 novembre 1917

Jour des Morts aujourd’hui.

Nous n’avons encore rien à faire et nous assistons à la messe qui est dite dans les ruines de Mandres-aux-4-Tours, à la mémoire des morts de la 2e brigade.

Journée froide et pluvieuse. Il y a une quantité de nominations. Un sergent ici est nommé adjudant du service, un caporal téléphoniste est nommé sergent téléphoniste. Au 3e bataillon, 4 nouveaux caporaux sont nommés pour compléter les cadres.

 Samedi 3 novembre 1917

Considérant la quantité de galons qu’il y a à arroser, on décide de faire un grand banquet demain soir. La plus grande partie de la journée se passe ainsi à aménager la salle et à s’occuper du menu. Grâce à la bonne volonté de tout le monde, on arrive à décorer la salle d’une manière superbe. On décide aussi que je ne partirai pas au cours demain après-midi comme j’en avais l’intention, mais bien après le banquet.

Dimanche 4 novembre 1917

C’est donc aujourd’hui ce fameux banquet.

Toute la journée, on travaille encore pour mettre la dernière main à tout et tout le monde a l’espoir que ce sera vraiment réussi.

 

À 6 h très précises, on se met à table. Tout le monde est là, au grand complet. Le menu est vraiment magnifique : hors d’œuvres, entrée, légumes, gigot, dessert, 4 sortes de vins, biscuits, enfin champagne et café. Nous sommes 15 convives et la plus franche gaîté règne, amenée par toute une série de chansons.

 

À 11 h ½ on se met à danser.

Lundi 5 novembre 1917

Nous avons dansé comme des perdus jusqu’à 3 h du matin ; vraiment, je me serais cru à la St Hubert en temps de paix.

Il ne manquait qu’une chose, des femmes.

 

À 3 h ½, je pars pour Ménil-la-Tour où je prends le train à 7 h ½. Nous passons par Toul et Nancy et nous descendons à Messein à 1 heure de l’après-midi.

Nous arrivons au chenil, 12 km plus loin, vers le soir, où j’arrive très fatigué et aussi je m’empresse de dormir.

Mardi 6 novembre 1917

J’ai passé une nuit excellente, j’ai dormi comme un sourd. Nous sommes logés à 1500 m de Tonnoy, dans une usine fermée maintenant, et qui servait à faire évaporer de l’eau de source très salée ; on obtenait ainsi du très bon sel paraît-il.

Dans la journée, on nous donne quelques données sur les chiens. Puis nous allons à la promenade et nous allons jusqu’à Tonnoy, village assez grand où il y a pas mal de troupes en repos du 4e Chasseurs.

Mercredi 7 novembre 1917

Le chenil ici compte 150 chiens. Il y en a de toutes les races, depuis le Fox jusqu’au chien de Berger allemand. Presque tous ont leur spécialité et très peu font à la fois la liaison, la sentinelle et l’attaque.

 

Dans l’après-midi, nous assistons à un exercice de liaison entre différents postes qui donne des résultats satisfaisants pour la plupart des chiens qui ont déjà subi un long dressage.

Jeudi 8 novembre 1917

Temps pluvieux aujourd’hui.

Le matin, promenade. Nous en profitons pour pousser jusqu’à Crévéchamps, village voisin où nous faisons quelques achats.

 

Le soir, nous assistons à un exercice des chiens. Un homme habillé en boche et capitonné de partout avec 10 cm d’étoffe représente les boches. Une quinzaine de chiens nous sont présentés et la plupart donnent des résultats excellents, en particulier un Berger allemand qui depuis 5 ans appartient au directeur du chenil.

Vendredi 9 novembre 1917

Ce matin, nous avons la visite du capitaine de l’état-major qui vient nous faire une conférence sur le chien. Sa causerie dure environ 1 heure ½ puis nous allons promener nos chiens sur la route de Flavigny mais nous ne pouvons aller jusque-là car Flavigny est le Q.G. de la 8e armée et on ne peut y entrer.

Le cours doit finir ce soir, mais il paraît qu’il sera prolongé jusqu’à demain soir.

Samedi 10 novembre 1917

Contrairement à ce qu’on nous avait dit, le cours est achevé et nous partons par une pluie battante pour aller prendre le train à Messein où nous arrivons après une marche de 12 km, trempés comme des soupes.

 

Nous prenons le train à midi quarante, nous posons environ 1 heure à Nancy et nous arrivons à Toul à 4 h du soir.

Nous allons souper en ville et nous y passons une partie de la nuit.

Puis, nous revenons coucher à l’abri des permissionnaires.

Dimanche 11 novembre 1917

Ce matin, nous repartons par le tortillard de Toul à 7 h ½.

Nous descendons à Ménil-la-Tour à 8 h ½ et nous avons encore 13 km à faire pour rejoindre le régiment où j’arrive à 12 h, enchanté de mon stage mais cruellement fatigué. Temps admirable aujourd’hui, beau soleil, on se croirait de nouveau au printemps.

Lundi 12 novembre 1917

J’ai passé une nuit excellente aujourd’hui et ce matin je suis reposé.

ussi j’en profite pour mettre un peu d’ordre dans tout le matériel qui a été un peu dérangé pendant mon absence, ce qui m’occupe une grande partie de la journée.

Temps brumeux qui va sans doute dégénérer en pluie dès cette nuit.

Mardi 13 novembre 1917

Je monte dans le secteur voir un peu mes différents postes optiques de Centre J.

Mais les premières lignes sont pleines de boue et d’eau, aussi je rentre crotté jusqu’au cou et bien fatigué car j’ai marché vite, ma tournée étant très longue à faire aujourd’hui.

Mercredi 14 novembre 1917

J’ai plusieurs appareils à réparer aujourd’hui. J’en profite pour me mettre au travail dès le matin et j’en ai pour toute la journée.

Belle journée, beau soleil, mais il a gelé un peu aujourd’hui. Sans doute que c’est là le commencement de l’hiver.

En tout cas, malgré le soleil, il ne fait pas très chaud.

Jeudi 15 novembre 1917

On me donne un revolver aujourd’hui. Depuis mon arrivée ici, on m’avait enlevé mon fusil mais on ne m’avait pas encore donné de revolver. Comme il est tout rouillé, je profite de la journée pour le nettoyer et pour mettre mon courrier à jour, chose qui me donne pas mal de travail.

Vendredi 16 novembre 1917

Le matin, après le réveil, le colonel me fait appeler et me demande de lui donner quelques précisions sur ce que j’ai appris au stage, au chenil militaire.

Puis il me dit que les chiens et leurs maîtres monteront en ligne demain matin. Je pars avec un caporal pour reconnaître les emplacements qu’ils doivent occuper.

Samedi 17 novembre 1917

Le matin, j’écris une grande partie de la matinée.

Tout de suite après la soupe, je pars avec les hommes et les chiens. Je les conduis à Marvoisins où ils doivent être logés, puis je monte en première ligne pour savoir où je dois les placer. Je viens les reprendre dans la soirée pour les conduire à leur poste.

Je ne rentre à Mandres que bien tard dans la soirée.

Dimanche 18 novembre 1917

Je retourne à Marvoisins car un obus est tombé sur le poste optique et l’a complètement démoli et il faut le réparer. Je fais monter des sacs à terre pour le refaire.

Journée froide mais belle, les boches envoient quelques obus sur Mandres. La série de coups de main que nous avons exécutée semble être terminée car on nous a donné aujourd’hui le compte-rendu.

Ca a rapporté une quarantaine de prisonniers boches et nos pertes sont légères : 1 tué et 8 blessés.

Lundi 19 novembre 1917

Aujourd’hui j’ai 22 ans. Encore un anniversaire qui passe sans presque s’en apercevoir.

Il pleut à verse toute la journée de sorte qu’on ne peut pas faire grand-chose.

 

L’après-midi, je sors quand même pour aller promener les chiens qui sont restés ici pendant que leurs maîtres sont partis en permission, car eux n’ont pas encore de permission.

Mardi 20 novembre 1917

Il pleut encore toute la journée.

 

Le soir, dans une maison à moitié démolie de Mandres, nous avons une représentation théâtrale par la troupe de la D.M. qui nous joue la nouvelle revue composée par le lieutenant Gremillet et qui a pour titre : « le système D.M. ».

Malgré les moyens de fortune dont disposent les artistes, la pièce est quand même bien rendue.

Les boches envoient à la tombée de la nuit une rafale d’obus sur Mandres qui coupe un artilleur en morceaux.

Mercredi 21 novembre 1917

Il pleut toujours. À la fin, ça devient agaçant.

 

Le soir, nouvelle représentation, la même qu’hier.

Un accident terrible a eu lieu cette nuit. Une patrouille de chez nous étant sortie cette nuit, il y a eu 5 blessés par des grenades que les hommes avaient sur eux, soit par imprudence, soit par inadvertance de la part d’un patrouilleur.

Jeudi 22 novembre 1917

Décidément, depuis quelques jours, nous n’avons pas de chance.

Cette nuit, un 150 boche est tombé sur un abri de chez nous. Résultat : 5 tués et un blessé ; l’enterrement aura lieu aujourd’hui au cimetière de Mandres.

 

L’après-midi, je monte aux tranchées voir les postes optiques et les postes de chiens sentinelles. Peut-être les boches ont-ils l’intention de faire un coup de main car ils nous bombardent sérieusement.

Vendredi 23 novembre 1917

Le colonel me fait appeler, il a l’intention de faire ramasser tous les chiens d’officiers du régiment pour les remettre au chenil au dressage. Il nous fait aussi installer un nouveau chenil dans une grande baraque en planches où nous faisons des niches à l’intérieur.

 

Le soir, on m’apprend que je suis désigné pour aller faire un stage à l’armée pour la signalisation, ce qui va retarder ma permission au moins d’un mois.

Samedi 24 novembre 1917

Ce matin, on m’apprend que ce n’est pas moi qui va au stage, alors de cette manière, je ne tarderais pas à partir en permission.

Je remonte encore aux tranchées dans le courant de l’après-midi, mais les dernières pluies ont ramassé beaucoup d’eau dans les boyaux de sorte que ce n’est guère intéressant.

 

L’après-midi, je vais à Rambucourt à l’exercice de signalisation avec les signaleurs du bataillon de deuxième ligne, mais la pluie se met encore à tomber.

Dimanche 25 novembre 1917

Où est donc l’heureux temps où tous les ans, le 25 novembre, nous fêtions joyeusement Ste Catherine. Ici, ça passe plutôt inaperçu, et pour cause.

La pluie continue à tomber toute la journée et transforme les routes en rivières. Il paraît que, quand bien même que je ne pars pas en stage, je n’irai guère en permission avant un mois.

Vraiment je n’y comprends plus rien.

Lundi 26 novembre 1917

Les chiens de liaison de la brigade remontent aujourd’hui aux tranchées pour établir une liaison entre un P.C. de bataillon et le P.C. du colonel. Leur installation me tient occupé une partie de la matinée.

 

L’après-midi, nous travaillons à la construction du chenil.

 

Vers le soir, la neige commence à tomber, cette fois c’est bien l’hiver.

Mardi 27 novembre 1917

Je monte établir un relais pour les chiens de liaison, car vu le mauvais temps, la distance est trop longue.

 

Le matin, quand on se lève, tout est blanc, mais bientôt il se met à tomber une pluie glacée qui cependant fait fondre la neige.

 

L’après-midi, nous installons les chiens dans le chenil qui est presque complètement installé. Nous recevons aussi 2 chiens d’officiers pour les dresser.

Mercredi 28 novembre 1917

Aujourd’hui, je reçois encore 2 nouveaux chiens d’officiers que je vais être obligé de dresser. Tout cela va me donner énormément de travail, mais enfin sans doute que j’en sortirai quand même.

La pluie continue à tomber, une pluie fine et glacée. Les boches nous envoient quelques obus sur Mandres, mais ils ne font pas de dégâts.

Jeudi 29 novembre 1917

Je monte aux tranchées chercher un nouveau chien d’officier et je ne redescends que dans la soirée. Mais les routes sont très mauvaises, elles sont partout défoncées et pleines d’eau.

Cependant, aujourd’hui, il fait bien meilleur, il ne pleut plus et le soleil se montre même un peu.

Vendredi 30 novembre 1917

Le temps est beau aujourd’hui, on croirait même qu’il va geler et le soir, le ciel est très clair.

Tous les chiens sont descendus en repos pour quelques jours. Aussi quand on les sort tous, on croirait une véritable armée.

Cette fois, plus de doute, ma permission est réellement remise pour au moins un mois.

Décembre 1917

Samedi 1er décembre 1917

Jour de St Eloi aujourd’hui, foire d’Hucqueliers. L’absence devient si longue que maintenant presque chaque jour rappelle un souvenir. Le temps est encore découvert aujourd’hui, le froid est même piquant.

Les boches bombardent passablement, peut être ont-ils eux aussi l’intention de faire un coup de main.

Dimanche 2 décembre 1917

La neige est tombée toute la nuit, mais ce matin, elle fond peu à peu. Il tombe même un peu d’eau, mais le froid est très vif.

Aujourd’hui, comme tous les jours, exercice avec les chiens de 6 h ½  à 8 h ½, et de 1 h à 3 h.

 

 L’après-midi, exercice de liaison.

Lundi 3 décembre 1917

Il a gelé cette nuit assez fort. Voilà sans doute le commencement de l’hiver.

 

À 8 h du matin, un violent bombardement se déclenche à notre gauche et dure une partie de la matinée pour ne se terminer que vers midi. Nous apprenons bientôt que c’est un coup de main que les boches ont fait contre le 4e Tirailleurs, mais on ne connaît pas encore le résultat.

Mardi 4 décembre 1917

Il gèle toujours. Cette nuit, il a même gelé assez fort.

On connaît enfin le résultat du coup de main d’hier. Les boches ont pénétré un instant dans notre première ligne mais ils n’ont réussi qu’à emmener un seul prisonnier de chez nous tandis que 6 des leurs sont restés entre nos mains.

Mercredi 5 décembre 1917

Il continue à geler et il fait de plus en plus froid. Les étangs portent un homme très facilement.

 

Le soir, exercice de nuit avec les chiens sentinelles. Jour de St Nicolas aujourd’hui qui passe à peu près inaperçu, mais quand même le soir on le fête un peu.

Jeudi 6 décembre 1917

Les boches ont fait, la nuit dernière, une brèche dans nos fils de fer barbelés à la cisaille. Aussi, comme on craint un coup de main, 4 chiens sentinelles montent en ligne tous les soirs à partir d’aujourd’hui. Une délégation d’officiers espagnols vient aujourd’hui rendre visite à la division.

Ils passent une partie de la journée dans le secteur.

Vendredi 7 décembre 1917

Le temps se couvre et il dégèle, mais c’est un dégel sec sans une goutte de pluie.

Cette nuit, une rencontre de patrouilles française et boche a eu lieu entre nos lignes. Sans doute les boches ont eu des blessés car une jumelle, un revolver et un calot sont restés sur le terrain. Le calot permet d’identifier ceux que nous avons devant nous, c’est un régiment de la garde.

Samedi 8 décembre 1917

Le dégel continue, mais sans une goutte de pluie. Nous travaillons aujourd’hui à la confection d’un enclos grillagé dans lequel nous pourrons laisser les chiens en liberté.

 

L’après-midi, je vais à l’exercice de signalisation avec les signaleurs du bataillon de soutien à Rambucourt.

Dimanche 9 décembre 1917

Aujourd’hui dimanche, repos. Une partie de la journée, le service des soigneurs de chiens se trouve fortement soulagé car, au lieu de monter en ligne tous les soirs prendre le petit poste, ils ne montent plus qu’une nuit sur deux ce qui sera bien moins fatiguant pour eux.

Beau temps aujourd’hui, le temps se découvre et il pourrait bien que demain il gèle à nouveau.

Lundi 10 décembre 1917

Le matin, il a un peu gelé, mais très peu et le froid vient surtout sur le matin. Nous recevons aujourd’hui encore 5 nouveaux chiens, 3 pour nous et 2 pour le 7e Tirailleurs.

Ce sont des chiens à rats qui nous sont donnés en vue de la dératisation des abris, centres, tranchées, etc.

Mardi 11 décembre 1917

Ce matin, il a de nouveau gelé bien fort. Je monte aux tranchées car on a commencé les travaux de réfection et de renforcement de mon central optique de Rambucourt. Je vais voir à quoi en sont les travaux.

 

Le soir, dans la salle du théâtre de Mandres-aux-quatre-Tours, la troupe de la B.M. joue la nouvelle, « le système D », qui recueille pas mal d’applaudissements parmi les poilus.

Mercredi 12 décembre 1917

Le courrier nous parvient avec plus de 5 heures de retard, chose qui n’est pas encore jamais arrivée depuis que nous sommes ici.

 

Le soir, nouveau programme pour la soirée théâtrale à laquelle je ne puis assister, le colonel m’a demandé aujourd’hui de bien vouloir lui présenter plusieurs chiens sentinelles dans l’exercice de leurs fonctions.

Jeudi 13 décembre 1917

L’exercice des chiens d’hier soir a donné des résultats assez bons. 3 chiens sur quatre ont donné des résultats excellents et celui en qui j’avais la plus grande confiance a donné des résultats absolument nuls.

Il fait de nouveau bien froid. Aujourd’hui, il gèle à pierre fendre et il fait bon d’avoir un peu de feu dans la cagna, ce qui n’est pas commode à trouver car le bois est rare dans ce pays.

Vendredi 14 décembre 1917

Voilà aujourd’hui trois années complètes que j’ai quitté le pays pour faire un soldat. Qui aurait cru alors que mes trois années se seraient passées pendant la guerre. Pourtant voilà mon service fini car dans quatre jours, la loi fera de nous, classe 1915, des réservistes.

Il continue de geler bien fort aujourd’hui encore et au cours de la journée, on souffle plus d’une fois dans ses doigts.

Samedi 15 décembre 1917

Beau temps, mais il a encore gelé pas mal cette nuit.

Revue des appareils de signalisation du premier bataillon qui sont dans un fichu état. Près de la moitié sont à réparer.

 

L’après-midi, j’assiste au dernier exercice de signalisation de ce bataillon car il remonte en ligne demain soir.

 

Dans la soirée, visite de mon ami Rémy qui vient me revoir avant de reprendre les tranchées.

Dimanche 16 décembre 1917

Ce matin, il a gelé très fort et toute la journée, il continue à faire très froid.

Le premier bataillon monte en ligne ce soir pour relever le deuxième qui va venir en soutien. Visite du sergent-signaleur de la division qui vient noter l’emplacement de mes différents postes optiques pour transmettre ses consignes aux autres signaleurs d’une division qui est prête à nous relever, au cas où nous aurions à subir un rude choc de la part des boches, chose qui pourrait très bien se produire avant peu.

Lundi 17 décembre 1917

Il continue à geler et il tombe un peu de neige.

Dans l’après-midi, le soleil se montre un peu mais, quand même, il continue à geler toute la journée.

Le matin et l’après-midi, exercice avec les chiens de liaison.

 

Le soir, de 8 h à 9 h, exercice avec les chiens sentinelles.

Mardi 18 décembre 1917

Je monte aujourd’hui au secteur, monter du matériel de signalisation et rendre visite aux centres optiques du centre H et de Xivray et Rambucourt. Il continue à geler sans arrêt. La troupe théâtrale de la Division vient aujourd’hui nous donner un concert dans la salle de théâtre de Mandres-aux-quatre-Tours. À dater d’aujourd’hui, la loi fait de nous des réservistes ; voilà trois années que nous sommes au régiment.

Mercredi 19 décembre 1917

Nouvelle représentation théâtrale par la troupe de la division ce soir.

Dans la journée, temps doux mais couvert, et quand même il ne dégèle pas.

 

Le soir, exercice de nuit avec les chiens d’attaque de 8 h du soir à 9 h. Les boches nous gratifient d’un copieux arrosage dans le courant de l’après-midi, mais il n’y a pas de casse.

Jeudi 20 décembre 1917

La nuit dernière, la Légion Étrangère qui est à notre droite a fait prisonnière une patrouille boche comprenant un officier et une douzaine de soldats. D’après leurs renseignements, ils ne préparaient pas une attaque ici, mais craignaient plutôt d’être attaqués.

Il continue toujours à geler.

Vendredi 21 décembre 1917

Ce matin, exercice avec les chiens de liaison. Le caporal qui s’occupe des chiens part en permission aujourd’hui en Algérie. Me voilà seul pour près de deux mois.

Un message optique, envoyé des premières lignes au colonel, à titre d’essai, et sans prévenir, arrive ici 22 minutes après, ce qui ne constitue pas un record, mais quand même c’est assez vite.

Samedi 22 décembre 1917

Il continue à geler et aujourd’hui un violent vent du nord souffle toute la journée, il n'arrête pas de geler. Dans le courant de la nuit, aucune communication optique ne peut avoir lieu à cause de la brume.

 

L’après-midi, j’assiste avec les signaleurs du bataillon de réserve à l’exercice de signalisation à Rambucourt.

Dimanche 23 décembre 1917

Aujourd’hui, dimanche, mais on ne s’en aperçoit guère.

Il fait un froid terrible toute la journée. L’adjudant chef de service vient nous rendre visite à l’exercice des chiens, et voir l’exercice des chiens de liaison.

Dans le courant de la soirée, un message optique envoyé des premières lignes à titre d’exercice nous parvient à Mandres et ne met en tout que 20 minutes.

Lundi 24 décembre 1917

Il fait moins froid aujourd’hui, mais vers la deuxième partie de la journée, la neige se met à tomber.

 

Le soir nous faisons réveillon, mais c’est un réveillon très calme. Un souper tout ordinaire suivi peu après d’un peu de vin chaud. Voilà encore un réveillon passé. Les temps se suivent et ne se ressemblent pas. Où est donc le temps où nous jouions aux cartes jusqu’à la messe de minuit.

Mardi 25 décembre 1917

Noël aujourd’hui, mais quel Noël ! Je ne m’en aperçois que le soir en mangeant la soupe car notre chef de popote nous a amélioré passablement l’ordinaire, de sorte qu’on s’aperçoit que c’est fête.

La neige continue à tomber à gros flocons une partie de la journée, et le soir tout est blanc.

La température s’est considérablement abaissée dans le courant de la journée d’aujourd’hui.

Mercredi 26 décembre 1917

La neige est tombée une partie de la nuit. Encore ce matin, c’est arrêté, mais il gèle très fort, ce n’est guère mieux.

Le matin, exercice habituel avec les chiens.

 

L’après-midi, exercice de signalisation à Rambucourt. Dernier jour d’exercice pour le 2e bataillon qui remonte en ligne dans 2 ou 3 jours. Un régiment d’infanterie, le 154e, vient relever le 7e Tirailleurs qui est envoyé à l’arrière pour fêter les fêtes du mouton qui doivent avoir lieu cette semaine, je crois.

Jeudi 27 décembre 1917

Grand débat pour ma permission. On ne veut pas me laisser partir parce que le caporal des chiens est parti en permission en Algérie et s’il me faut attendre sa rentrée, j’en ai encore au moins pour 6 semaines. Violentes rafales de neige qui durent toute la journée. On ne fait pas grand chose aujourd’hui car c’est un temps à ne pas mettre un chien dehors.

Un vent du Nord souffle violemment et la neige tombe toute la journée.

Vendredi 28 décembre 1917

Une couche de neige d’au moins 20 cm couvre la terre. Ca ne tombe plus ce matin, mais il gèle très fort ; jamais je n’ai eu aussi froid que ce matin à la promenade des chiens.

 

À 5 h du soir, on m’apprend que je pars en perme demain matin. Le colonel qui est rentré de permission a jugé que je n’étais pas indispensable pour le moment, aussi, je profite du reste de la soirée pour commencer mes préparatifs de départ.

Samedi 29 décembre 1917

Le matin à 7 h, nous versons nos sacs au magasin du Corps, puis on nous échange nos vêtements de réserve. On me donne un pantalon et une veste.

Rassemblement pour le départ à 10 h. Inspection par le colonel, puis nous allons prendre les autos à 4 km de Mandres qui nous conduisent à Ménil-la-Tour où nous embarquons à 2 h sur le tortillard pour aller à Toul.

À la gare de Toul, on nous distribue nos permissions. Nous partons à 6 h du soir avec un retard de 45 mn.

Dimanche 30 décembre 1917

Nous arrivons à Vaires-Torcy vers 4 h du matin, où il nous faut attendre jusqu’à 8 h 25 avec des abris ouverts à tous les vents.

Il gèle encore fort. Nous partons avec 1 heure de retard. Nous arrivons à Villers-Cotterêts à 2 h 10 et nous en repartons vers 4 h avec 1 heure de retard.

Nous passons encore une partie de la nuit en chemin de fer pour arriver à Pont-de-Briques où nous descendons vers 2 h du matin.

Lundi 31 décembre 1917

Nous reprenons presque immédiatement un train qui nous ramène à Hesdigneul où nous passons le reste de la nuit.

Nous reprenons un train de marchandises à 7 h 45 du matin qui marche à peu près aussi vite qu’une tortue et qui nous amène à Lumbres à 1 h de l’après-midi. De Lumbres à Cléty, je fais la route à pied et j’arrive enfin à la maison vers 3 h de l’après-midi.

 

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Année 1918 

Janvier 1918

Du mardi 1 janvier au dimanche 13 janvier 1918

Permission.

Lundi 14 janvier 1918

Et voilà encore une permission de passée.

La neige est tombée toute la nuit, aussi impossible de sortir un cheval et nous allons à Remilly à pied en compagnie de Papa et Kléber. Serait-ce ma dernière permission pendant cette triste guerre ? Non sans doute, et pourtant, à l’arrière, on cause beaucoup de la paix.

 

Je pars de Remilly à 9h 29 du matin. Nous arrivons vers midi à Pont-de-Briques où nous attendons un train de permissionnaires jusque dans la soirée. Il y a beaucoup de retard sur toutes les lignes à cause d’un déraillement sur la ligne de Boulogne.

Un général vient nous rendre visite, mais il n’est pas bien reçu car personne ne trouve amusant de faire le poireau pendant plusieurs heures sur les quais de la gare de Pont-de- Briques sans pouvoir en sortir.

Mais il nous calme en nous disant de prendre patience, que bientôt il y aura un local pour les permissionnaires.

Enfin ! Après 3 ans et demi de guerre, on éprouve le besoin de mettre les permissionnaires à l’abri.

 

Départ de Pont-de-Briques vers 5 h du soir par une pluie battante.

Mardi 15 janvier 1918

Nous passons toute la journée en chemin de fer pour arriver à Noisy-le-Sec vers 3 h et demi du matin. Dans cette gare, une superbe installation nous permet de nous chauffer et d’attendre 7 h du matin pour prendre le train qui nous emmène à Vaires-Torcy.

 

Ce train part avec une heure de retard et nous arrivons à Vaires-Torcy à 9 h et nous avons encore 1 heure d’arrêt. Enfin nous partons à 10 h pour Toul. Toujours le même temps, pluie battante qui fait fondre la neige.

On nous dit de nous arrêter à Revigny car la Division Marocaine doit faire mouvement.

Mercredi 16 janvier 1918

À Revigny, nous descendons et on nous apprend que c’est une simple erreur d’un employé qui nous a fait descendre ici, et que la D.M. est toujours à Ménil-la-Tour.

Nous repartons pour Toul où nous arrivons à 2 h du matin.

Nous allons nous reposer un peu dans l’abri des permissionnaires jusqu’à 7 h ½ du matin, heure à laquelle nous reprenons le tortillard qui nous amène à Ménil-la-Tour à 8 h ½.

Là, les autos nous conduisent à 3 km de Mandres, et en arrivant, je retrouve tout le monde au même endroit, mais ils sont ici en compagnie des Américains qui doivent nous relever dans quelques jours et qui sont en train de prendre les consignes du secteur.

Jeudi 17 janvier 1918

Et en voilà de nouveau pour 4 mois.

Me revoilà en compagnie de mes hommes et de mes chefs pour bien longtemps. Adieu les beaux jours passés en famille auprès du feu où l’on a tant ri. Tout cela n’existe plus qu’à l’état de souvenirs.

Il faut, dès ce matin, se remettre courageusement au travail car Messieurs les Américains veulent tout savoir et nous ne tarderons plus guère à partir. Ces Messieurs ne causent absolument pas un mot de français et il faut continuellement avoir un interprète pour se faire comprendre.

Vendredi 18 janvier 1918

Départ en ligne dès le matin à la première heure avec un officier américain, un adjudant, des gradés français et aussi un interprète. On commence la relève des postes de l’avant en enlevant la moitié des téléphonistes de chaque poste et en les remplacant par des Américains.

Le matin nous allons à Rambucourt, le soir à Bouconville et en ligne.

Le soir, nous devons encore travailler jusque 11 h du soir pour mettre tout en ordre.

Samedi 19 janvier 1918

Les Américains commencent à arriver en quantité. Autos, camions, troupes, se succèdent toute la journée sans interruption sur la route. Je ne sais même pas comment il se fait que les boches ne tirent pas car certainement ils doivent bien les voir.

Ces Messieurs ont un matériel très chic mais qui n’est pas supérieur au nôtre. Leurs hommes sont bien équipés et bien habillés, mais comme organisation de leurs services, ils sont bien loin de nous égaler. Les officiers eux-mêmes ont été très surpris de voir comment notre service de liaison et notre service médical étaient installés. Ils nous ont très bien dit qu’eux n’obtiendraient cela qu’au bout de quelques temps de guerre et que lorsqu’ils auraient quelques centaines de mille hommes de démolis.

 

L’après-midi, nous nous occupons de charger les voitures car je pars demain avec les hommes de la liaison de disponible.

Dimanche 20 janvier 1918

Nous partons à 6 h 30 pour aller cantonner à Minorville, petit village à gauche de notre secteur et un peu en arrière où nous serons en réserve pendant quelques jours car on n’ose pas abandonner les Américains à eux-mêmes. Le lieutenant et l’adjudant restent encore un peu pour les mettre au courant.

Nous arrivons à Minorville à huit heures ½. L’étape est courte car il n’y a que huit km.

Là nous prenons immédiatement possession du central car ici c’est encore le service des tranchées.

Lundi 21 janvier 1918

Nous commençons à nous installer à notre nouveau cantonnement où il paraît que nous ne sommes que pour quelques jours. Minorville est un petit village tout au fond d’une vallée assez encaissée de sorte que, malgré sa proximité du front, il est très rarement bombardé par l’ennemi et il y a encore ici de nombreux civils. Le pays regorge aussi de troupes.

Dans la matinée, l’adjudant et quelques téléphonistes qui étaient restés à Mandres arrivent. De notre service, il ne reste plus au secteur que 3 ou 4 hommes.

Temps brumeux et même pluvieux.

Mardi 22 janvier 1918

La nuit, un violent bombardement s’est déclenché pendant plus de deux heures. Plusieurs bruits courent, qui ne sont pas confirmés. De ces tuyaux, on peut démêler que les boches ont fait un coup de main sur les Américains. Les uns disent que les boches auraient emmené quelques prisonniers américains, d’autres au contraire disent que les boches ont été pris à revers par une fraction de l’infanterie qui les aurait presque tous fait prisonniers.

Aujourd’hui, travaux de propreté et aménagement du cantonnement.

Temps sombre et pluie par averses.

Mercredi 23 janvier 1918

La matinée de ce matin est encore consacrée au nettoyage, mais le lieutenant nous passe une revue de détail, d’effets, d’armes et de cheveux. Puis, dans la soirée, les exercices de spécialités recommencent : optique pour les signaleurs, liaisons pour les chiens, observations pour les observateurs.

Nous faisons des feux avec les deux bataillons qui se sont éloignés de nous de 4 km environ.

Aujourd’hui, concert par la musique du régiment à 4 h sur la place de Minorville.

Jeudi 24 janvier 1918

Ce matin, repos pour moi, les chiens ne sortent pas et j’en profite pour me nettoyer un peu.

 

Le soir, exercice de tous les signaleurs. On leur apprend l’observation sous la direction du lieutenant Maye.

Temps encore brumeux et pluvieux. Les derniers permissionnaires pour la période d’octobre 1917 à février 1918 partent pour dix jours.

Mon ami Rémy s’en va aujourd’hui à Paris. Nous réinstallons aussi notre popote aujourd’hui.

Les journaux nous apprennent que le Goeben et le Breslau sont coulés.

Est-ce que ce serait vrai cette fois ! 

Vendredi 25 janvier 1918

Aujourd’hui, beau temps encore et, pour ne pas changer, exercice de signalisation et exercice de liaison pour les chiens. Nous sommes pas mal cantonnés ici, mais il y a énormément de troupes de sorte qu’on ne trouve rien pour de l’argent même.

Je suis logé au central téléphonique dans une maison abandonnée où nous sommes très bien.

Samedi 26 janvier 1918

Travaux de propreté le matin. Nous en profitons pour nous nettoyer et commencer le grand astiquage pour arriver tout pimpants et tout neufs au grand repos. Nous devrions partir au repos le lundi 28, mais je crois que notre départ est remis au 30. Nous n’en verrons donc jamais le bout de ce sacré secteur. Il paraît que nous irions dans la région de Vaucouleurs où d’ailleurs, les trois autres régiments de la division sont déjà. Notre popote est réinstallée et nous mangeons chez des civils où nous sommes très bien.

Dimanche 27 janvier 1918

Aujourd’hui dimanche, repos. Cependant comme aussi ce n’est pas repos pour les chiens, il faut bien les sortir quand même ; nous avons deux heures de promenade.

L’après-midi, il fait un soleil magnifique, aussi, en compagnie de l’adjudant-chef qui possède un appareil photographique, nous nous rendons à Manoncourt, village voisin de 3 km pour y photographier le château qui est très ancien et très beau.

Lundi 28 janvier 1918

Temps magnifique encore.

C’est vraiment déplorable que nous ne soyons pas partis aujourd’hui car nous aurions eu un temps magnifique. Il a gelé la nuit, et le jour il fait un soleil magnifique. Le jour, exercice de liaison.

 

Le soir, séance de cinématographe par une troupe cinématographique de l’armée. Mais leurs appareils marchent mal et alors on n’y voit pas grand chose de bien intéressant.

Donc nous partons après demain. Nous avons paraît-il 3 étapes à faire à pied, en tout une soixantaine de km.

Mardi 29 janvier 1918

Aujourd’hui, préparatif de départ, déménagement et emballage du matériel, chose qui nous tient occupés une grande partie de la journée. Puis nous procédons au chargement des voitures, chargement qui doit être très bien fait car pour une aussi longue marche. Demain matin, départ à 6 h paraît-il. Nous aurions en tout une quinzaine de km à faire pour demain.

Mercredi 30 janvier 1918

Rassemblement à 6 h 30, nous partons à 6 h 45.

Nous traversons Royaumeix où était installé auparavant l’État-major de notre division.

Puis nous traversons également Ménil-la-Tour et nous prenons la grande route de Toul. Nous la suivons cependant assez longtemps jusqu’à 3 km de Toul. Puis nous allons loger à Bruley, petit village qui se trouve à gauche de la route. Nous ne sommes pas trop mal cantonnés, d’ailleurs nous n’y sommes que pour une nuit car nous repartons demain matin.

Aujourd’hui, il a fait très bon à marcher, la terre était gelée et un brouillard couvrait la terre. Mais l’étape de demain sera bien plus longue.

Jeudi 31 janvier 1918

Départ à la même heure qu’hier. Nous nous levons à 6 h pour charger à nouveau ce qui a été enlevé des voitures.

Le temps est le même, il a encore gelé cette nuit et un fort brouillard couvre la terre. Les honneurs sont rendus au drapeau avant notre départ et nous passons par Écrouves et tous les petits villages avoisinant Toul. Nous mangeons la soupe quand nous avons fait une vingtaine de km. Nous avons une demi heure de grand halte et nous repartons pour aller cantonner à Rigny-la-Salle, petit village à 4 km de Vaucouleurs. Nous sommes bien cantonnés et nous tombons, l’adjudant et moi, chez des civils qui nous invitent à manger et où nous sommes très bien reçus.

Février 1918

 

Vendredi 1 février 1918

Nous repartons à 8 h du matin.

Nous avons encore 16 km à faire pour arriver au cantonnement définitif mais nous devons défiler à 9 h dans Vaucouleurs devant le général commandant la division. Vaucouleurs est une petite ville bâtie à mi-côte qui est très ancienne, mais quand même assez jolie. Nous faisons la grand halte à 9 h avant d’arriver à notre cantonnement définitif.

 

Enfin nous arrivons à Mauvages qui doit être le lieu de notre cantonnement de repos. C’est un petit village bâti au fond d’une vallée qui compte environ 5 à 600 habitants. Nous y serons ici très bien je crois si nous avons la chance d’y rester un moment.

Samedi 2 février 1918

Nous travaillons aujourd’hui à l’aménagement de nos cantonnements qui ne sont pas trop mauvais et comme nous devons passer un moment ici, nous déchargeons les voitures et nous rangeons le matériel dans une grange.

Mes chiens sont logés dans une vieille écurie où ils ne sont pas trop mal. Tous les hommes sont logés dans des greniers où il y a de la paille à profusion et où il ne fera pas trop froid.

Mauvages, gentil petit pays où l’eau abonde, est rempli d’habitants qui sont tous très gentils pour nous. C’est d’ailleurs également le rendez-vous des alliés. Il y a eu pendant longtemps des américains, puis des russes. Je n’avais encore jamais vu cette armée, aussi, quand j’ai vu les premiers, je me demandais vraiment ce que c’était.

Dimanche 3 février 1918

Aujourd’hui dimanche, repos sur toute la ligne.

Mais, quand même, il nous faut sortir un peu les chiens qui sans quoi nous embêteraient toute la nuit. Nous profitons du congé d’aujourd’hui pour faire une visite en détail de Mauvages. C’est assez joli comme pays et c’est entouré de bois de tous les côtés.

 

Le soir, la musique du régiment donne un concert sur la place du pays où pas mal de civils assistent.

Il paraît que nous avons fait ici une excellente impression à notre arrivée. Jamais on n’a vu paraît-il un régiment avec autant de discipline.

Lundi 4 février 1918

La musique du régiment va aujourd’hui donner un concert dans le cantonnement des troupes russes qui sont, paraît-il, logés à 2 km d’ici. Ils trouvent là-bas chez nos ex-alliés l’accueil le plus cordial et, avant de partir, on leur donne 100 F. Les russes qui sont ici ont été pris parmi ceux qui étaient en France à la révolution et qui ont demandé à combattre dans nos rangs. Pour la plupart, ce sont des Polonais.

Il paraît même qu’on va nous en affecter un bataillon.

 

Le temps ici est magnifique, il fait un soleil splendide et la nuit il gèle, mais cependant nous sommes heureux d’avoir un si beau temps. C’est vraiment réussi pour un mois de février.

Mardi 5 février 1918

Les exercices recommencent aujourd’hui et nous allons sur une côte à proximité du village faire de la signalisation optique et des exercices de chiens de liaison.

Nous allons à l’exercice à partir de 7 h du matin jusqu’à 10 h et nous ne rentrons que pour manger la soupe. Il paraît que demain nous irons à l’exercice avec les élèves caporaux ce qui ne sera guère intéressant car nous n’avons plus l’habitude du maniement d’armes.

Enfin, il faudra bien y aller puisqu’on nous y envoie.

Mercredi 6 février 1918

Temps magnifique. Il fait un beau soleil toute la soirée et nous prenons plaisir à nous chauffer dans un pré, derrière notre cantonnement.

Nous sommes assez bien cantonnés. J’avais espéré avoir une chambre et je pouvais presque y compter, mais un renfort est arrivé aujourd’hui et compte un officier qui, bien entendu, s’empresse de prendre la place qui m’avait presque été promise.

Nous n’allons pas encore à l’exercice avec les élèves caporaux aujourd’hui.

Jeudi 7 février 1918

Aujourd’hui, travaux de propreté, nettoyage et revue, à 9 h 45, d’armes, de cantonnement et d’équipements pour tous les hommes de la section de liaison. On va profiter, paraît-il, de notre séjour ici au repos pour former une autre compagnie complètement distincte de la compagnie hors rangs et qui ne comprendra rien que la liaison.

 

Le soir, repos, mais il faut quand même sortir les chiens qui ne peuvent pas comprendre qu’il y a repos pour tout le monde.

Vendredi 8 février 1918

Enfin, ce matin, nous n’y coupons pas. Il faut partir à 7 h avec Messieurs les élèves-caporaux. Nous allons faire une heure de gymnastique sur un terrain à la sortie du village.

Pour ma part, je rentre éreinté, depuis bien longtemps déjà, je n’ai pas fait de gymnastique aussi je suis un peu raide.

 

L’après-midi, nous allons faire une manœuvre entre Villeroy et Broussey. Nous rentrons éreintés à 4 h de l’après-midi car nous avons fait au moins une vingtaine de km.

Samedi 9 février 1918

Aujourd’hui samedi, nous espérions avoir un peu de repos, mais il n’en est rien. En effet, le matin, tout le monde va au tir.

Nous rentrons vers 8 h ½.

 

L’après-midi, on nous fait conduire les chiens près d’un stand de grenades pour les habituer aux détonations. Nous rentrons et on nous passe une revue d’effets car il y aura probablement échange demain.

Temps magnifique pour un mois de février, c’est vraiment une période de beau temps comme on n’en voit pas souvent.

Dimanche 10 février 1918

Aujourd’hui, échange d’effets. On nous échange que ceux qui sont en lambeaux. Pour ma part, on me donne quand même une capote.

Puis nous avons revue de cantonnement à 8h 45 puis messe à 9 h. Le chef de popote nous a fait acheter aujourd’hui un magnifique poulet qui nous régale tous.

 

L’après-midi, nous avons concert par la musique du régiment sur la place du pays. Le temps est brumeux aujourd’hui et il pleut vers midi, de sorte que c’est un triste dimanche.

Lundi 11 février 1918

Ce matin, repos et travaux de propreté.

 

Le soir, un peu d’exercice, histoire de nous dégourdir un peu les jambes, mais ce n’est quand même pas trop dur.

On m’apprend que je pars à Toul après-demain pour faire un échange de chiens au chenil de la première armée.

Temps vraiment très beau, mais je crains bien qu’il gèle car le temps est très découvert le soir et il fait bien froid. Concert par la musique du 2e bataillon à Delouze où est cantonné ce dernier.

Mardi 12 février 1918

Aujourd’hui Mardi Gras, mais cependant on ne s’en aperçoit guère car il paraît que nos cuisiniers n’ont pas pu trouver de farine, alors il faut remettre les crêpes à l’année prochaine.

 

Cependant, dans l’après-midi, le sergent major trouve de la farine, et le soir on confectionne des crêpes.

Je rentre pour me coucher à 8 h, mais à peine rentré on vient me chercher et, avec mes hommes, nous passons le reste de la soirée chez les civils où nous sommes cantonnés qui ont fait des crêpes tout exprès pour nous.

Mercredi 13 février 1918

Mon voyage à Toul est remis à demain. Nous partirons probablement demain matin, un homme et moi. Aujourd’hui, nous déjeunons encore aux crêpes quoi que ce soit le Mercredi des Cendres, on n’y pense guère.

Beau temps aujourd’hui, je crois même qu’il va recommencer à geler de nouveau cette nuit. En effet car dans la soirée, le temps est beau et froid et le ciel est très découvert.

 

L’après-midi, nous avons quelques exercices pratiques de liaisons, mais nous avons fini notre journée à 3 h de l’après-midi.

Jeudi 14 février 1918

Ce matin, nous partons pour Toul en compagnie de 4 chiens qui ne sont bons à rien et que nous allons rendre au chenil de la première armée. Nous partons de Mauvages avec nos 4 chiens à 11 h.

 

À midi et demi, nous sommes à Toul et nous nous rendons tout de suite au chenil de l’armée où nous rendons nos 4 chiens. Nous sommes reçus par le capitaine qui est très gentil. Puis aussitôt que nous sommes tranquilles, nous nous rendons à Toul où je fais différentes commissions dont on m’a chargé, puis nous allons au cinéma.

Vendredi 15 février 1918

Nous repartons de Toul à 2 h 22 du matin, mais notre train a près d’une heure de retard. Pour comble de malheur, nous nous trompons de gare et au lieu de descendre à Mauvages, nous descendons à la gare de Sauvoy, avant d’y arriver.

Avant que nous nous apercevions de notre erreur, le train est reparti et nous devons faire les 6 km à pied.

 

Nous arrivons au cantonnement à 6 h ½ du matin, ce qui ne nous empêche pas d’assister aux exercices de l’après-midi car on ne veut pas nous accorder notre soirée de repos.

Samedi 16 février 1918

Il continue de geler. Le jour, le soleil se montre un peu sans cependant arriver à faire dégeler, et la nuit il gèle très fort.

 

L’après-midi, nous avons une manœuvre de liaison sur une distance de 4 à 5 km. Déplacement du PC de bataillon et de régiment et de tout ce qui compose ses accessoires. Nous rentrons de la manœuvre complètement gelés à 5 h du soir.

Bien entendu, comme d’habitude, personne n’y a rien compris.

Dimanche 17 février 1918

Aujourd’hui dimanche, repos. Cependant les hommes vont promener un peu les chiens le matin.

 

L’après-midi, concert sur la place de Mauvages par la musique du régiment. Mon ami Rémy vient me rendre visite et nous passons une bonne après-midi.

 

Le soir, un petit festin nous attend. Notre chef de popote nous a acheté un superbe poulet que nous dégustons au repas du soir et qui est excellent, d’autant qu’on en mange pas souvent.

Lundi 18 février 1918

Le temps est moins froid que les jours derniers. Sans doute que le dégel va venir, et ce ne sera pas dommage.

Exercice dans les différentes spécialités des liaisons : téléphone, optique, etc. Nous devions quitter Mauvages demain, mais je crois que notre départ est remis pour quelques temps, mais je ne sais pas jusque quand.

En tout cas, personne ne se plaint de cette décision car tout le monde se plait bien ici ; même, on y resterait bien jusqu’à la fin de la guerre.

Mardi 19 février 1918

Le temps devient de plus en plus doux, cependant il ne dégèle pas encore. Même exercice qu’hier pour tous les groupes de la liaison. On nous annonce que demain nous avons une grande manœuvre de régiment.

Mais contrairement aux autres manœuvres qui ont eu lieu jusqu’ici, celle-ci est une manœuvre de rase campagne. Elle sera certainement longue et durera une partie de la journée car on nous donne un repas froid pour midi et nous devons partir à 6 h du matin.

Mercredi 20 février 1918

Nous nous levons le matin à 5 h ½ et on s’aperçoit qu’il pleut. Mais bientôt on vient nous apprendre qu’à cause du mauvais temps, la manœuvre n’aura pas lieu et est remise à une date ultérieure. Inutile de dire que cette nouvelle fait le plus grand plaisir à tout le monde et personne n’en est fâché.

La journée est consacrée à différents travaux de propreté. On m’apprend que demain je vais à Toul au chenil de la première armée passer 24 heures et chercher 4 nouveaux chiens de liaison.

Jeudi 21 février 1918

Nous partons à Toul aujourd’hui.

Départ à 10 h, mais comme le train qui doit nous emmener a 3 heures de retard, nous ne partons de la gare de Mauvages qu’à 1 heure de l’après-midi.

En arrivant à Toul, nous nous rendons au chenil où on nous annonce que nous sommes libres jusque demain matin. Nous profitons de l’occasion pour nous rendre dans Toul où nous nous promenons jusqu’à 8 h du soir, moment où nous rentrons nous coucher.

Vendredi 22 février 1918

Nous nous levons à 7 h du matin après avoir passé une très mauvaise nuit. Nous nous rendons immédiatement à l’exercice où on fait travailler devant nous une vingtaine de chiens. Je choisis les quatre meilleurs à mon avis et nous allons de nouveau passer l’après-midi à Toul.

 

Nous rentrons vers 3 h, cassons la croûte, et allons prendre notre train vers 6 h pour arriver à Mauvages avec nos chiens à 8 h du soir où tout le monde est couché.

Samedi 23 février 1918

Ce matin, pluie à verse, et ce n’est pas du trop mauvais temps car depuis quelques jours il fait bien froid.

 

Le matin, nous avons travaux de propreté et l’après-midi, nous allons à l’exercice. Mais, comme la manœuvre de cette semaine a eu lieu hier, la manœuvre de liaison qui devait avoir lieu cette semaine n’a pas lieu et est remise à samedi prochain.

Personne n’en est mécontent, ce genre de manœuvre ne plaît à personne.

Dimanche 24 février 1918

Le matin, il fait beau et la pluie recommence à tomber vers le midi. Cependant, je reçois la visite de mon ami Rémy en compagnie de qui je passe le reste de l’après-midi. Nous assistons, en compagnie de quelques camarades, au concert sur la place de Mauvages.

 

Le soir, séance de cinéma par le groupe cinématographique de la brigade à laquelle je n’assiste pas d’ailleurs car cela a rien de bien intéressant. Trois nouveaux cafés sont consignés à la troupe. Le patron de l’un d’eux est arrêté pour insulte au colonel.

Lundi 25 février 1918

Le temps est un peu meilleur sans cependant être bien bon. Les terres sont trempées et il ne fait pas bon à se promener dans les champs.

Cependant, nous nous rendons dans la plaine pour essayer nos nouveaux chiens de liaison que nous avons été chercher à Toul il y a quelques jours. Mais soit que ces chiens ne connaissent pas encore assez leurs maîtres, soit autre chose, les résultats que nous obtenons ne sont pas ceux que nous attendions.

Enfin, dans quelques jours, nous saurons mieux à quoi nous en tenir.

Mardi 26 février 1918

Temps toujours très sombre et pluvieux. Aussi, on ne peut guère faire grand-chose aujourd’hui dehors.

Le matin, nous restons au cantonnement et nous avons travaux de propreté.

 

L’après-midi, nous allons aux douches et puis, ensuite, nous allons faire un peu d’exercices des spécialités.

 

Le soir, exercice de nuit avec les chiens sentinelles par un clair de lune magnifique ainsi que les résultats.

Mercredi 27 février 1918

Le temps est un peu meilleur, mais la boue ne manque pas.

Le matin, nous allons à l’exercice. Nous faisons une heure de gymnastique puis nous rentrons car la pluie recommence à tomber, une pluie très froide qui ressemble plutôt à de la neige fondue.

 

L’après-midi, la pluie cesse et nous allons à l’exercice de spécialités. Mais comme le temps est très sombre, on ne peut pas faire d’optique, aussi nous en profitons pour cueillir une salade de pissenlits.

Jeudi 28 février 1918

La pluie est tombée toute la nuit et avec un vent terrible. Aussi, ce matin, les routes sont pleines d’eau et de boue. Le matin, nous ne sortons pas. Revue de cantonnement par le lieutenant commandant. La liaison à 10 h. L’après-midi, malgré la pluie qui continue à tomber à verse, nous sortons pour promener les chiens. Mais nous rentrons à 2 h complètement mouillés jusqu’à la peau.

Mars 1918

Vendredi 1er mars 1918

Temps déplorable encore le matin à la pointe du jour. La neige commence à tomber, et tombe une grande partie de la journée. Aussi nous ne pouvons pas faire d’exercice dehors le matin.

 

L’après-midi, nous nous en allons à la promenade des chiens mais au bout d’un quart d’heure, un cycliste vient nous dire de rentrer. On se demande ce que cela veut dire. Quand nous sommes arrivés au cantonnement, on nous dit que c’est le colonel qui veut voir un exercice de chiens d’attaque, lequel a lieu aussitôt que nous sommes rentrés.

Le colonel part pleinement satisfait.

Samedi 2 mars 1918

Il tombe encore de la neige toute la journée aussi, le soir, une couche très épaisse couvre la terre. Si ça continue, demain il y en aura 1 mètre.

Le matin travaux de propreté, le soir douches pour toute la liaison du régiment, mais par ce temps là, personne n’est bien décidé à aller se faire doucher car il fait trop froid.

Il y a aussi échange d’effets, mais la quantité à distribuer est si minime qu’on n’en cause même pas.

Dimanche 3 mars 1918

Enfin, la neige s’est arrêtée de tomber mais une très forte couche couvre la terre. Les chasseurs du pays en profitent pour faire une battue au sanglier dans la forêt de Vaucouleurs et les bois environnants.

 

Le soir, ils ont tué une magnifique laie prête à mettre bas 10 petits.

L’après-midi, concert sur la place de Mauvages par la musique du régiment devant un groupe d’officiers russes venus spécialement à cet effet.

Lundi 4 mars 1918

La neige commence à fondre un peu car dans la journée le soleil se montre un peu et il chauffe assez fort.

Cependant, il y en a tant que tout ne fond pas dans la journée. L’eau coule à gros flots de tous les côtés. Aussi, nous ne pouvons pas encore faire d’exercice dehors car le terrain est trop mauvais.

Nouvelle battue au sanglier par les chasseurs du pays qui en tuent deux. La cuisine en achète un de sorte que toute la compagnie hors rang en mange.

Mardi 5 mars 1918

La neige commence à diminuer. En certains endroits, on commence à revoir la terre. Sans doute que ce sera les dernières neiges pour cette année.

Le premier bataillon qui était cantonné à Villeroy (3 km de Mauvages) s’en va aujourd’hui. Ils partent au front pour faire des travaux un peu en arrière afin de compléter les systèmes de défense.

Pour nous, le matin, une heure d’exercice d’ensemble et de maniement d’armes.

 

Le soir, exercice de spécialités dans chaque groupe.

Mercredi 6 mars 1918

Le beau temps revient aujourd’hui. Il fait même un soleil magnifique. La neige est presque toute fondue et il fait bien mouillé dans les champs.

Cependant nous allons faire un peu d’exercice dans les champs, exercice d’optique de T.P.S., de T.S.F., de chiens sentinelle et de liaison. Un des chiens de liaison s’égare et nous le cherchons jusqu’à six heures du soir.

Mais quand nous rentrons après de vaines recherches, nous le trouvons au chenil au milieu des autres.

Jeudi 7 mars 1918

Beau temps encore, quoiqu’il ait gelé un peu pendant la nuit.

Ce matin, soleil magnifique. Toute la liaison assiste au tir aux grenades à environ 1 km des cantonnements. Ce tir nous tient occupés une partie de la journée.

 

L’après-midi, exercice de spécialités dans chaque groupe sur le terrain de manœuvre.

Distribution aux hommes du nouveau masque dernier modèle récemment trouvé et qui correspond à peu près au masque boche.

Vendredi 8 mars 1918

Il a gelé assez fort cette nuit. Cependant le soleil luit de nouveau.

Le matin, exercice comme d’habitude avec le peloton des élèves-caporaux pendant une heure puis nous rentrons et nous avons théorie dans les cantonnements sur les différents instruments de liaison.

 

Le soir, exercice à grande distance des différentes liaisons combinées.

Le soir, de 7 h à 8 h, exercice dans le milieu des champs avec tous les chiens sentinelles.

Samedi 9 mars 1918

Soleil magnifique aujourd’hui. Vraiment, sinon que les nuits sont un peu froides, on se croirait au mois de mai. C’est du temps bien favorable pour l’offensive boche si toutefois les boches se sentent à point pour en faire.

Aujourd’hui, travaux de propreté toute la journée, nettoyage à fond du cantonnement et de ses abords. Douche pour tout le monde dans le courant de l’après-midi.

Dimanche 10 mars 1918

Belle journée encore, quoique très froide, surtout le matin.

Repos aujourd’hui. Comme le soleil se montre l’après-midi, nous en profitons pour aller nous promener un peu dans les environs. Mauvages possède quelque chose de remarquable, le canal, qui y passe à quelques centaines de mètres du village, s’enfonce sous une montagne et suit ainsi par tunnel pour ne sortir que 5 km plus loin.

 

Ce soir, concert sur la place du pays par la musique du régiment.

Lundi 11 mars 1918

Le matin, exercice de maniement d’armes et de lancement de grenades pour tout le monde jusqu’à 8 h, puis théorie dans les cantonnements sur les liaisons.

 

L’après–midi, nous faisons un exercice de liaisons avec les chiens mais l’un d’eux s’égare à nouveau et nous sommes encore obligés de le chercher jusqu’à la nuit. Puis finalement il rentre tout seul.

Beau temps encore aujourd’hui.

Mardi 12 mars 1918

Le 2e bataillon qui était cantonné à Delouze part aujourd’hui pour aller cantonner à proximité du 1e bataillon. Ses hommes vont également être employés à des travaux toujours en prévision de la grande offensive boche.

Mais il semble que cette grande offensive ne vient pas vite. Exercice comme à l’ordinaire, liaison toujours afin de bien nous ancrer les différents procédés dans la tête.

Toujours du beau temps.

Mercredi 13 mars 1918

Le beau temps continue toujours.

Nous assistons tous les matins à un tir réel au fusil Lebel à une distance de 200 mètres. Malgré qu’il y ait déjà par mal que je ne me suis pas servi d’un fusil Lebel, je fais quand même le meilleur tir de tous les hommes du groupe.

 

L’après-midi, exercice à l’extérieur par différents spécialistes sous la direction du lieutenant chef de service. Nous recevons quelques sous-officiers russes qui vont, avec les zouaves, suivre le peloton des élèves-caporaux.

Jeudi 14 mars 1918

Le troisième bataillon qui était encore ici avec nous, cantonné à Mauvages, s’en va aujourd’hui. Il va rejoindre les deux autres bataillons qui y sont déjà et les aider dans leurs travaux. Il paraît que les travaux sont très pénibles ; le terrain est passablement dur et les hommes sont à la tâche et doivent fournir tant de travail par jour.

Nous voilà donc restés seuls à Mauvages, rien que la C.H.R. Jamais nous n’avons été aussi tranquilles mais sans doute que, nous non plus, nous ne sommes plus pour longtemps ici.

Exercices dans les conditions habituelles.

Vendredi 15 mars 1918

On nous apprend ce matin que l’on trouve que notre cantonnement est trop petit pour loger les chiens, alors on nous cherche un autre local et il nous faut déménager. Nous allons loger un peu plus loin.

Il est vraiment inadmissible qu’on nous ait trouvés bien où nous étions pendant six semaines et que, quelques jours avant le départ, on nous fasse déménager. Enfin, ce travail nous occupe une grande partie de la journée et c’est encore autant de passé.

Le beau temps continue toujours.

Samedi 16 mars 1918

Le matin promenade des chiens, mais on vient nous rappeler bientôt. Le colonel commandant la Légion Russe est venu voir les zouaves et serait désireux de voir quelques exercices. Nous rentrons immédiatement et, en sa présence, nous exécutons des exercices de chiens d’attaque et de chiens de liaison.

Il se déclare enchanté des résultats obtenus avant de partir.

 

L’après-midi, douches pour tout le monde. Les chiens sont même lavés dans le ruisseau qui traverse le village.

Dimanche 17 mars 1918

Journée magnifique encore, vraiment on se croirait en plein été. Il est vraiment rare d’avoir une si longue période de beau temps en cette saison. Qu’il fait bon se promener dans les bois où la nature commence à pousser.

C’est à quoi je passe la plus grande partie de la journée en compagnie de mes deux adjudants. Cependant nous rentrons à temps pour assister au concert à 4 h du soir sur la place de Mauvages. On nous apprend que demain il y a une grande manœuvre qui durera probablement 3 jours.

Lundi 18 mars 1918

Nous partons vers midi pour être arrivés pour la manœuvre de demain. Nous mangeons la soupe avant de partir et nous n’emportons avec nous qu’une seule couverture et la toile de tente. Toute la liaison marche et nous emmenons avec nous une voiture de matériel.

Nous passons par Burey-en-Vaux, mais les deux premières heures de marche sont très dures car il fait une chaleur étouffante.

 

Nous arrivons au cantonnement à 7 h du soir à Barisey-au-Plain. Tous les sous-officiers ont un lit pour dormir.

Mardi 19 mars 1918

J’ai dormi comme un loir dans mon lit. En effet, il y a déjà un joli moment que je suis sur la paille.

Nous partons à 8 h du matin pour la manœuvre car à 10 h, tout le monde doit être en place. Trois divisions, c’est à dire un corps d’armée, manœuvrent, mais il n’y a que les liaisons et les cadres.

La manœuvre commence à 1 h pour se terminer à 3 h. En réalité, nous n’y comprenons pas grand chose. Nous rencontrons seulement pendant la manœuvre 7 à 8 généraux qui se baladent sur le terrain.

Vers la fin de la manœuvre, la pluie se met à tomber et nous rentrons à nos cantonnements de la veille, trempés.

Mercredi 20 mars 1918

Réveil à 3 h du matin car nous devons être rentrés à Mauvages pour la soupe du matin.

La pluie tombe.

Heureusement que j’ai encore passé une bonne nuit dans un lit.

Nous partons par une nuit très noire, mais avec le jour, la pluie diminue d’intensité. Cependant nous sommes obligés de prendre la grande route car il y a de la boue, et nous ne pouvons prendre au retour les traverses que nous avons prises à l'aller.

Nous traversons Vaucouleurs et nous arrivons à Mauvages à 12 h après avoir couvert 85 km en 49 heures.

Jeudi 21 mars 1918

Tout le monde est encore bien fatigué aujourd’hui. En effet, cette marche à laquelle on n’est plus habitué a fatigué tout le monde.

Et il faut se mettre au nettoyage car les chaussures, les molletières et les capotes sont pleines de boue, les armes rouillées, les appareils pleins d’eau aussi.

De toute la journée, ce n’est pas le travail qui manque. On ne sait pas même par où commencer. Le lieutenant passe une revue d’armes, de chaussures et de vêtements un peu avant la soupe du soir.

Vendredi 22 mars 1918

Voilà la manœuvre passée et on n’y pense déjà plus sinon comme souvenir.

Ce matin, les exercices reprennent. Lancement de grenades réelles pour tout le monde, mais comme je suis de jour, je n’assiste pas à l’exercice.

Le beau temps revient, la pluie a duré juste aussi longtemps que notre manœuvre de manière à nous tremper pendant que nous étions dehors.

 

L’après-midi, exercices de spécialités dans chaque groupe en dehors des cantonnements.

Samedi 23 mars 1918

Le matin, travaux de propreté, revue de cantonnement et de détails pour tout le monde

 

L’après-midi, lavage des chiens, puis douches pour les hommes.

 

Le soir, concert par la musique du régiment sur la place du pays.

Dans l’après-midi, nous assistons à l’arrivée de troupes russes qui viennent chez nous. Ils sont environ 120. On les arme et on les équipe à la française. On est obligés de les partager et de les grouper par parti. Ceux que nous avons sont des tsaristes.

Dimanche 24 mars 1918

Belle journée encore.

À midi, nous décidons subitement d’aller à Domrémy, un camarade et moi. Nous voici partis en bécane.

Nous visitons la maison de Jeanne qui est très ancienne et très bien conservée, l’église également très ancienne et très riche, puis la basilique élevée à l’endroit où elle entendit ses soit-disantes voix. Cette basilique est une véritable merveille d’architecture et de richesse. Nous rentrons à temps pour manger la soupe à 6 h, donc nous n’avons pas été très longtemps partis.

Lundi 25 mars 1918

Les journaux nous annoncent que les boches bombardent Paris avec une pièce à longue portée. Personne cependant ne croit une pareille chose car la distance : 121 km, paraît un peu longue.

Le bruit court aussi que les boches ont attaqué sur un front de 85 km, depuis Saint-Quentin jusqu’à Arras. Les Anglais auraient perdu pas mal de monde et du terrain. Mais personne n’a encore de nouvelles officielles de sorte qu’on ne peut croire à rien du tout.

Mardi 26 mars 1918

Le matin, à la première heure, nous sommes alertés.

Ordre de monter les sacs, de charger les voitures et de se préparer à l’embarquement. Les bataillons qui étaient aux travaux viennent reprendre leurs emplacements tout autour de nous. Les officiers permissionnaires sont rappelés par télégramme, et tout le monde se prépare au départ qui aura lieu peut–être cette nuit ou demain.

Là-bas, sur le front, les Anglais battraient en retraite sur une profondeur allant, en certains endroits, jusque 30 km.

Mercredi 27 mars 1918

Le matin, on achève les derniers préparatifs de départ, mais je crois que notre départ ne sera pas aussi précipité que nous l’avions cru au début. D’ailleurs, la situation paraît être très sensiblement meilleure qu’hier sur le front anglais. L’avance boche semble être fortement contenue sur notre front.

Après avoir occupé Noyon, les boches seraient arrêtés sur la ligne Roye-Noyon.

Enfin, les nouvelles manquent encore et on ne peut pas encore dire être renseignés.

Jeudi 28 mars 1918

Notre départ sera très probablement remis à dimanche ou lundi. En effet, pour un jour de Pâques, un départ ne nous irait pas mal

 La bataille, d’après les communiqués, bat son plein d’Amiens à Arras. En effet, ces deux villes ont une grande valeur pour les boches, mais espérons que ces messieurs n’y parviendront pas.

Le beau temps qui avait duré pendant quelques temps se tourne de nouveau en pluie et il fait même très froid.

Vendredi 29 mars 1918

Aujourd’hui : Vendredi Saint. Aussi nous vivons toute la journée avec des œufs.

Le matin, il pleut presque toute la matinée.

 

 L’après-midi, exercice de coureurs avec les hommes qui ont été désignés pour nous servir de coureurs au cours des futures opérations. La pluie qui avait de nouveau cessé, recommence à tomber, de sorte que nous rentrons bien mouillés. Le communiqué d’aujourd’hui nous apprend que la bataille fait de nouveau rage de Moreuil à Lassigny, mais les troupes auraient merveilleusement résisté au choc.

Samedi 30 mars 1918

Le mauvais temps continue, il pleut et vente très fort. Nous nous attendons à partir demain soir ou lundi au plus tard.

Le magasin du corps est transporté aujourd’hui en gare de Vaucouleurs par des voitures civiles réquisitionnées. On distribue également des vivres de réserve et des cartouches à ceux à qui il en manque.

Le deuxième couvre-pied et la peau de mouton sont reversés au magasin du corps pour être réexpédiés sur l’arrière. Tout cela, ça sent fermement le départ.

Dimanche 31 mars 1918

Jour de Pâques aujourd’hui. La pluie tombe une partie de la journée, mais le temps s’éclaircit, et il fait beau.

Pour la dernière fois, j’assiste au concert sur la place de Mauvages. On nous lit au rapport un appel du général commandant la D.M. où il compare le départ de la division de Vaucouleurs avec celui de Jeanne d’Arc il y a 500 ans.

Il nous apprend que la Division s’en va vers la grande bataille. Cela était attendu depuis longtemps et lorsque la lecture de l’appel est terminée, pas un zouave qui n’ait pas les yeux mouillés.

Mon ami Rémy vient encore me voir et nous passons ensemble une partie de la soirée. Au cas où nous serions engagés dès le débarquement, nous nous disons adieu.

Demain, ce sera à Mauvages qu’il faudra dire adieu. Enfin, nous n’étions pas venus pour y rester.

Avril 1918 : Somme : batailles de Villers-Bretonneux et Cachy

Lundi 1er avril 1918

Voilà notre dernière journée à Mauvages. Pour ma part, mes deux mois ici m’ont semblé un rêve. J’ai trouvé dans toutes les familles où je suis allé le plus charmant accueil. Les adieux sont touchants. Pour ma part, je quitte Mauvages avec regret, mais nous n’étions pas venus ici pour y rester, et la guerre n’est pas encore finie et on aura encore besoin de nous.

Nous embarquons à Vaucouleurs à 3 h de l’après-midi, et nous partons à 6 h du soir.

Nous repassons en gare de Mauvages, mais nous ne nous y arrêtons pas.

Mardi 2 avril 1918

Le train a roulé toute la nuit, mais je ne sais pas où nous sommes passés car les portes des wagons à bestiaux où nous sommes étaient fermées et nous avons dormi.

À la pointe du jour, nous passons à Noisy-le-Sec puis à La Chapelle, Le Bourget.

Finalement, vers le soir, nous arrivons à Creil nous sommes arrêtés pas mal de temps car la locomotive qui menait un train de la Légion Etrangère est déraillée sur notre voie.

Nous ne repartons de Creil qu’à la nuit noire.

Mercredi 3 avril 1918

Nous roulons encore jusque 1 h du matin où on nous gare dans une gare qui se nomme, je crois, Grandvilliers.

Là nous débarquons en pleine nuit et après une heure d’arrêt, nous arrivons à Sentelie où nous sommes cantonnés dans une vieille ferme délabrée qui est inhabitée et qui ne tient plus debout. Aussi, nous sommes pis que dehors.

Cependant on s’installe tant bien que mal et nous nous couchons car tout le monde est terriblement fatigué. Nous dormons une partie de la journée.

 

Le soir, les autres bataillons arrivent. Tout le régiment est cantonné dans le village.

Jeudi 4 avril 1918

La pluie est tombée en grande quantité toute la nuit, aussi je plains ceux qui sont dehors.

Le matin repos, nettoyage et travaux de propreté. Sentelie est un village assez grand où on peut cantonner tout le régiment et qui était dernièrement occupé par des troupes anglaises.

Tout y est très cher. Les œufs valent 9 sous, le vin deux francs le litre.

 

L’après-midi, nous allons reconnaître des terrains d’exercice, mais je crois qu’ils ne serviront guère car sans doute que nous ne sommes pas ici pour y moisir bien longtemps.

Vendredi 5 avril 1918

Hier soir, à 10 h, nous sommes tout à coup alertés. Nous partons immédiatement pour prendre les camions-autos mais nous les attendons vainement jusque 3 h du matin.

Là, on nous fait rentrer dans nos cantonnements et on nous dit que nous ne partirons qu’à 6 h.

En effet, à 6 h, les camions arrivent et nous partons à 7 h. Nous traversons Conty qui est encombré par les voitures des évacués et nous débarquons à Hébécourt à 9 km d’Amiens, où nous allons cantonner. Nous sommes empilés les uns sur les autres dans notre cantonnement car le village regorge de troupes.

Enfin, on trouve quand même moyen de se loger tant bien que mal.

Samedi 6 avril 1918

Nous voilà donc à proximité du front, mais la lutte d’artillerie ne paraît pas trop vive. Cependant, avant hier soir, les Allemands auraient attaqué et avancé de 2 km ce qui aurait provoqué notre alerte et notre départ précipité de Sentelie.

Ici le pays regorge de troupes, il y a un peu de tout, même encore des Anglais. Mais ceux ci s’en vont rapidement et prennent la direction du Nord. Il fait beau une partie de la journée mais vers le soir, le temps se couvre et la pluie va sans doute encore tomber une partie de la nuit.

Vraiment le ciel de la Somme n’est guère clément pour la D.M. (*)

 

(*) : Division Marocaine

Dimanche 7 avril 1918

Temps magnifique aujourd’hui. Pour un dimanche, c’est beau.

Le matin nous avons repos, l’après-midi nous avons concert dans le parc du château par la musique du régiment. Les avions boches viennent nous rendre visite dans l’après-midi et la soirée et laissent tomber quelques bombes sur Amiens.

Le 9e Cuirassier est campé à côté de nous. Ce sont eux qui les premiers sont entrés en contact avec les boches et les ont presque arrêtés car les Anglais ne voulaient plus rien savoir à ce que l’on dit.

Lundi 8 avril 1918

Le temps devient plus sombre. Je vais rendre visite à mon ami Rémy, mais nous n’avons guère le loisir de causer ensemble. Nous passons une partie de la journée à réviser le chargement des voitures qui ont été chargées en vitesse en partant de Sentelie. Les trois voitures seront échelonnées en profondeur et nous mettons dans celle qui sera la plus près de nous le matériel dont nous aurons besoin le premier.

 

Le soir, la pluie se met à tomber. Dans la soirée, plusieurs régiments d’infanterie traversent le village.

Mardi 9 avril 1918

La pluie tombe encore une partie de la journée. On nous communique aussi le nouveau code pour la signalisation, les signaux aux avions par fusées et panneaux et aussi les nouveaux indicatifs. Sans doute que nous commencerons à entrer dans la danse sous peu. En tout cas, tout ce qu’il y a à demander, c’est que ce soit le plus vite possible car nous ne sommes pas très bien ici.

 

Le soir, les officiers supérieurs montent reconnaître le secteur. Mais ici, il n’y a pas de tranchées, les hommes sont couchés un peu partout dans les champs.

Mercredi 10 avril 1918

Le matin, on nous apprend que nous déménageons à 1 h de l’après-midi. Nous nous approchons de 5 km.

 

Nous partons à 1 h 15, mais nous n’avons pas loin à aller. Nous croisons sur la route des éléments du 165e d’infanterie qui descendent du secteur ainsi que du 3e d’infanterie. C’est sans doute ceux que nous relèverons.

Nous arrivons à Sains-en-Amiénois où nous cantonnons, mais le cantonnement n’est pas commode à faire car c’est comble de troupes. Pour la première fois, je suis obligé d’acheter de l’eau.

Jeudi 11 avril 1918

Journée assez belle.

On nous communique les plans d’attaque. La Légion attaquera Moreuil. À sa droite, le 4e Tirailleurs ; à sa gauche, le 7e puis les Zouaves. L’attaque aura probablement lieu après-demain 13.

En tout cas, que ce soit le plus vite possible. On nous distribue les fusées que les hommes emporteront sur eux.

 

Le soir, à 6 h, on nous apprend que nous montons ce soir aux tranchées. L’adjudant-chef et moi nous partons puis nous faisons environ 6 km quand un cycliste arrive et nous dit de faire demi tour, que l’attaque est remise.

Vendredi 12 avril 1918

Les journaux nous annoncent de mauvaises nouvelles. Les Allemands avancent vers Béthune et La Bassée.

 

À midi, on remet tout le monde en alerte, prêt à partir et nous attendons les événements. C’est sans doute ce qui a fait remettre l’attaque qui devait avoir lieu ce matin. Il paraît que c’était même assez important. On parle même que c’était là une contre-offensive assez sérieuse.

Mais sans doute que maintenant, on craint d’avoir besoin de toutes les troupes pour arrêter les boches.

Samedi 13 avril 1918

Nouvelle alerte ce matin mais qui ne dure pas et on se demande ce que cela veut dire. Puis tout redevient calme encore pour la journée. Je me rends à Boves, à l’observatoire que le régiment vient d’installer et qui nous permettra de voir une partie du front. J’y installe un poste optique qui nous permettra de faire des signaux à Saint-en-Amiénois qui est distant de 6 km.

Pour l’aller, nous avons du beau temps, mais pour revenir, la pluie tombe à nouveau et nous rentrons mouillés.

Dimanche 14 avril 1918

La pluie continue à tomber presque toute la journée.

Aujourd’hui, les routes sont transformées là-bas en de vrais lacs de boue car jamais, un seul instant, il n’arrête de passer du monde dessus. Les brancardiers divisionnaires et les compagnies de génie qui étaient installées au travail dans le secteur où la division devait attaquer, reviennent aujourd’hui des tranchées, ce qui prouve bien que l’attaque projetée est définitivement remise on ne sait jusque quand ?

 

Vers le soir, la pluie cesse et le temps s’éclaircit.

Lundi 15 avril 1918

Il fait beau ce matin. Aussi nous nous rendons à bicyclette à l’observatoire de Boves, puis nous descendons dans Boves.

Ce village est complétement évacué par ses habitants, aussi le spectacle est vraiment terrible à voir. Toutes les maisons sont évacuées et les portes sont grandes ouvertes. Dans chaque pièce, ce sont des monceaux de vaisselle, de couvertures et de linge ou de mobilier que les Anglais ont retourné pêle-mêle et ils ont pris ce qui leur plaisait.

La pluie recommence à tomber à la fin du jour et nous sommes obligés de rentrer à pied.

Mardi 16 avril 1918

La pluie tombe encore une partie de la journée.

Peut-être ainsi y aura-t-il un peu plus d’eau dans ce pays de malheur où j’ai dû payer pour avoir de l’eau bonne à boire. Un seul puits donne dans le village et il faut y faire la queue pour avoir à boire. Les cuisines sont obligées d’aller chercher de l’eau avec des tonneaux à sept km d’ici pour pouvoir nous faire à manger.

Vraiment, ces choses-là sont déplorables et depuis 15 jours, je n’ai pas pu me laver.

Mercredi 17 avril 1918

Encore un bel anniversaire aujourd’hui. Il y a 1 an aujourd’hui, les bataillons du 8e Zouaves montaient glorieusement à l’assaut du Mont-Sans-Nom et croyaient bien tous que nous marchions vers la victoire et vers la paix. Malheureusement, nous sommes encore là, et cette fois, réduits à la défensive.

Sans doute que dans quelques jours nous aurons, nous aussi, à défendre un coin de notre pays.

Le soleil se montre un peu aujourd’hui, les boches en profitent pour nous envoyer leurs avions à la tombée de la nuit nous lancer des bombes.

Jeudi 18 avril 1918

De nouveau nous allons à Boves.

Une grande quantité de matériel de toute sorte ayant appartenu aux Anglais, et même du matériel téléphonique, traîne de tous les côtés et nous en ramassons une partie. Nous profitons également de l’occasion pour nous munir chacun d’une chemise et d’un caleçon propres. Comme on ne peut pas se laver à Sains, nous sommes obligés d’avoir recours à ce moyen là.

Vendredi 19 avril 1918

Aujourd’hui, l’exercice recommence pour nous. Une partie du régiment travaille sur les routes à les rendre un peu plus praticables car les dernières pluies les ont défoncées et ce ne sont maintenant que des trous dans lesquels on ne pourra bientôt plus passer.

Le temps est beau aujourd’hui quoique froid.

Une division d’infanterie, comprenant le régiment d’Eugène Nédoncelle et revenant d’Italie, vient relever la division que nous devions relever pour l’attaque il y a une semaine.

 

La nuit, visite des avions.

Samedi 20 avril 1918

Belle journée encore aujourd’hui. Le soleil luit même un peu par moment.

Aussi exercice pour toute la liaison l’après-midi. On établit, à titre d’exercice, une liaison par chien avec le deuxième bataillon qui est dans les bois de Boves en train de faire des travaux de terrassage. On établit également avec eux une liaison par chaîne de coureurs et par optique.

La nuit, les avions viennent à nouveau nous rendre visite et nous lancent quelques bombes à proximité du village mais sans faire aucun dégât.

Dimanche 21 avril 1918

Aujourd’hui dimanche, nous avons repos toute la journée ce qui n’arrive plus souvent maintenant. Les éléments d’une division d’infanterie traversent le village pour se rendre à l’arrière, mais ils ne sont pas bien gais car ils ont subi de nombreuses attaques allemandes et ont eu beaucoup de pertes.

En outre, pas mal d’entre eux sont encore malades par les gaz.

 

Le soir, nouveau voyage des avions boches qui lancent quelques bombes. Le bombardement prend aussi une bien plus grande intensité.

Lundi 22 avril 1918

Le temps continue à être beau, mais il fait encore bien froid quand même. De nouveau, nous allons à l’exercice. Nous faisons la même chose que samedi dernier. Toujours des exercices de liaison.

 

Le soir, à la tombée de la nuit, un avion boche vient survoler le village et nos mitrailleuses tirent dessus car il est à une très faible hauteur. Aussi, bientôt, il pique du nez et le voilà qui vient doucement vers la terre. Immédiatement, Zouaves, Russes et Anglais se précipitent et l’aviateur est fait prisonnier par les premiers arrivants.

Le bruit court que les boches attaqueront demain matin.

Mardi 23 avril 1918

Le beau temps continue et les boches sont toujours calmes dans leur coin. Mais sans doute que ce calme n’est que le précurseur de l’orage car ils ne sont pas encore fatigués. Nous allons photographier l’avion allemand qui a été abattu hier soir par le tir de nos mitrailleuses. Il est, pour ainsi dire, indemne.

Le soir, ses collègues viennent à nouveau nous rendre visite, mais sans doute que cela leur a donné à réfléchir, car ils ne restent pas longtemps.

Au loin, le canon gronde avec une grande violence.

Mercredi 24 avril 1918

À 3 h du matin, les canons crachent avec une telle violence qu’on se lève et on commence à faire ses sacs. Jamais encore je n’ai vu une telle dépense de munitions. Quoiqu’on nous ait rien dit, tout le monde a nettement l’intuition qu’il se passe du sérieux et se prépare au départ pour la matinée.

Nous avons des renseignements : un sergent boche s’est rendu hier soir et nous a appris que les siens préparaient une formidable attaque pour ce matin à 6 h.

 

Aussi, à 3 h, nos pièces commencèrent le feu. Cependant l’attaque eut lieu quand même à 6 h, devant nous. La ruée boche fut repoussée complètement. À droite, elle réussit à prendre pied dans nos positions, mais fut immédiatement arrêtée.

À gauche, on n’a guère de renseignements, mais ça irait très mal. En effet, à midi, nous sommes alertés ; une demi-heure après, nous sommes partis. Nous traversons Boves et nous prenons nos formations de combat sur les routes Amiens-Chaulnes et Amiens-Péronne. Nous sommes à 3 km en arrière des Anglais pour couvrir Amiens-Péronne au cas où ces derniers continueraient à reculer.

C’est la première fois depuis trois ans que je vois prendre ces formations de combat dans la réalité.

Jeudi 25 avril 1918

La nuit s’est écoulée sans incident. Une brigade australienne arrivée en renfort aurait réussi à arrêter les boches. Temps magnifique qui permet aux boches de nous bombarder sérieusement à fusants. Quoique nous soyons couchés par terre, nous n’avons pas de casse.

Le soir, on nous apprend que nous déménageons pour prendre le secteur.

 

Départ à 6 h.

À 5 h ½, on nous communique les ordres d’attaque car nous attaquons demain matin. Nous arrivons au P.C. du colonel à minuit.

Comme P.C., ce n’est qu’un trou d’obus. Tous les hommes sont couchés dans la plaine. Pour nous, ce n’est pas la pause, il faut installer toutes les liaisons : téléphone, optique, coureurs, etc.

Vendredi 26 avril 1918

À 1 h du matin, le colonel me fait appeler et me remet un pli pour le commandant du 2e bataillon :

 

 « Secret et urgent me dit-il ».

En somme, je me doute bien que ce qu’il contient, c’est certainement l’heure de l’attaque.

 

Après deux longues heures de recherche, je trouve le bataillon massé dans un ravin. Mais le commandant est parti en avant en reconnaissance.

Je pars à sa suite pendant 800 mètres. Je le cherche entre les lignes sur un plateau battu par une mitrailleuse et couvert de boches et de blessés anglais. C’est à quelques 50 mètres des boches que je le trouve.

Il lit à la lueur d’une lampe électrique le pli. C’était bien l’heure H. C’est 5 h 15 et je suis arrivé à temps, il n’est que 4 h ½.

Mais les boches nous ont vus et nous canardent sérieusement. Nous regagnons cependant nos lignes sans mal. Je rentre au P.C. pour l’heure H. Le canon fait rage.

 

Une demi-heure après, les premiers blessés passent. Progression, mais combats très durs disent-ils. Bientôt les coureurs apportent les premiers renseignements. Progression au prix de lourdes pertes et toute la journée, ce n’est qu’un sanglant défilé de blessés qui atteste à quel prix la D.M. a payé son succès. (*)

La nuit se passe, mais quelle nuit ! L’eau tombe et le canon n’est qu’un immense roulement.

 

(*) : Les pertes du régiment seul furent de 205 hommes tués, blessés et disparus.

Samedi 27 avril 1918

Nous commençons à avoir les renseignements sur les opérations. Nos troupes ont contourné Villers-Bretonneux qui avait été neutralisé par les gaz, et ont atteint le monument, observatoire important. Mais les pertes sont lourdes.

Le commandant Cadiou est blessé, le capitaine Munon, le lieutenant Dubreuil, l'adjudant Bergeaux sont glorieusement tués en donnant l'assaut à un tanck boche qui, finalement, reste entre nos mains.

Hélas ! Combien de malheureux zouaves sont encore tombés cette fois. Ici, la T.P.S. surtout a grandement souffert ainsi que les téléphonistes et les coureurs.

 

Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Carte des opérations Villers-Bretonneux 28 avril 1918

 

Carte des opérations Villers-Bretonneux et Cachy, fin avril 1918. Cliquer pour agrandir

 

Dimanche 28 avril 1918

Dès le matin, la bataille d’artillerie recommence avec une violence inouïe. Les lignes téléphoniques sont hachées par les obus boches et il ne nous reste comme moyen de liaison que les coureurs.

Les gaz font leur apparition. Pour ma part, je suis gravement indisposé car on ne s’aperçoit de leur présence que lorsque le malaise commence. Les yeux me pleurent et sont irrités et je commence à cracher le sang.

 

L’après-midi, malgré la pluie qui tombe depuis trois jours, je pars en première ligne vérifier une ligne de coureurs.

Lundi 29 avril 1918

Ce matin, à la première heure, les boches esquissent une contre–attaque qui ne réussit pas à aborder nos lignes.

Toute la journée, nous battons le terrain conquis à la recherche d’observatoires, de postes optiques, etc. Quel spectacle : chevaux, voitures, autos, bicyclettes, canons, caissons et hommes gisent pêle-mêle.

Jamais depuis le 25 septembre 1914, je n’ai vu autant de morts. Les Australiens, dans leur recul, en ont perdu beaucoup, et les boches pendant notre attaque ont préféré se faire tuer plutôt que de se rendre.

Mardi 30 avril 1918

Les boches continuent à nous arroser sérieusement, toujours à gaz.

Vers midi, une rafale de 6 obus s’abat sur le P.C., blesse l’ordonnance du colonel, tue 2 de ses cyclistes et un lieutenant.

En tout, nous avons 500 hommes hors de combat au régiment et nous sommes ceux qui avons le moins souffert de la division. Les légionnaires et les tirailleurs ont perdu chacun plus de 1500 hommes.

Aussi, sans doute que bientôt ce sera la relève car nous ne sommes plus guère de taille à subir un choc ou à en recevoir un.

Mai 1918 : bataille de Berzy-le-Sec

Mercredi 1er mai 1918

La pluie cesse un peu et ce n’est pas dommage car nous sommes tous cruellement fatigués par ces quelques longues journées. Les officiers du 3e Tirailleurs viennent reconnaître le secteur, il paraît qu’ils vont nous relever la nuit prochaine.

Alors, dans ce cas, à eux tout le bonheur.

Cependant, comme dernier jour, nous trouvons encore le moyen de perdre quelques hommes, en outre, un officier, le sous-lieutenant Rémy, un des plus charmants que le 8e Zouaves comptait.

 

Vers la nuit, les premiers éléments de la relève arrivent, et tous sont les bienvenus car les hommes sont très fatigués.

Jeudi 2 mai 1918

Voilà, ça y est, la relève est complète. Je reste le dernier avec quelques hommes, chargé de passer les consignes des différents services, et nous quittons l’emplacement à 8 h du matin. Nous allons rejoindre le reste du régiment dans la région de Boves, dans un bois, où nous campons sous la tente.

Mais, quand même, on se sent vivre ici, on peut au moins se brosser et se laver car il fait un soleil radieux qui nous met de bonne humeur.

 

L’après-midi, nous allons aux voitures charger notre matériel et nous recevons un bon accueil par les camarades qui sont restés à l’arrière.

Vendredi 3 mai 1918

Malgré que mon lit fut encore par terre, je dormis comme un loir cette nuit.

 

Le matin, les chants des oiseaux nous éveillent et nous nous levons car on dit que nous partons à nouveau cette après-midi.

 

À 1 h, le colonel passe une revue à toute la C.H.R. et me félicite pour les résultats obtenus par les coureurs au début de l’attaque.

Le 1e bataillon qui n’a pas attaqué reprend aujourd’hui le secteur au bois de Hangard et nous allons occuper un ravin entre Saint Nicolas et Hangard.

Samedi 4 mai 1918

Le beau temps continue.

Nous n’y sommes pas trop mal mais cependant les obus tombent assez dru. Comme habitation, nous avons la terre dessous et le ciel dessus. Enfin, c’est toujours mieux que rien.

 

Dans l’après-midi, nous avons un orage ; le premier de cette année sans doute mais assez pour que la terre où nous couchons soit bien mouillée. Cependant, je crois bien que nous n’y dormirons pas plus mal pour cela.

Enfin, le bruit court que nous partons définitivement après-demain.

Dimanche 5 mai 1918

Le soleil luit.

Comme il ferait bon de vivre en dehors de cette zone désertique. Heureusement que nous allons bientôt y aller. Nous allons à la pêche dans un étang voisin, et nous prenons une bonne friture ce qui nous permet d’améliorer l’ordinaire.

 

Le soir, on nous apprend que nous déménageons cette nuit et nous partons définitivement à l’arrière. Cette fois, c’est la relève et ce n’est pas dommge.

C’est sans regret que nous partirons d’ici.

Lundi 6 mai 1918

Nous quittons nos emplacements à 2 h du matin.

Nous traversons d’abord Boves, puis nous marchons jusqu’à 7 h du matin pour arriver à Prouzel, village où nous devons rester en attendant que les voitures arrivent nous prendre pour nous emmener dans la banlieue de Paris paraît-il.

Mais sans doute qu’ils ne nous mèneront pas si loin. Mais comme ils n’arrivent pas aujourd’hui, nous nous préparons à faire une bonne nuit après avoir fait un peu de nettoyage à nos armes et nos vêtements.

Mardi 7 mai 1918

On nous éveille à 2 h ½ du matin pour embarquer.

La pluie tombe comme si on la versait à grands seaux, et nous avons 4 km à faire pour aller prendre les autos. Nous passons par Amiens, St Omer-en-Chaussée et Beauvais.

 

Là nous changeons d’autos pour continuer par Creil, Senlis, et Nanteuil-le-Haudouin où nous débarquons à 8 h ½ du soir, brisés de fatigue, et où nous devons cantonner.

Nous logeons chez la concierge du château.

Mercredi 8 mai 1918

Je dors jusqu’à 8 h du matin sans m’éveiller. Le soleil luit dans nos fenêtres, les oiseaux chantent. Quel magnifique spectacle !

La maison que nous occupons se trouve à l’entrée du parc magnifique, dans des bois immenses, avec de nombreux ruisseaux et étangs qui regorgent de poissons. Le château lui même est inhabité. Un seul concierge habite le tout et nous autorise gentiment à nous promener, à chasser et pêcher.

Quel bon temps nous allons passer ici !

Jeudi 9 mai 1918

Fête de la D.M. aujourd’hui en souvenir des glorieux combats du 9 mai. Mais la fête n’est signifiée que par un repos complet pour les hommes et une sensible amélioration de l’ordinaire.

Je dois partir en perme aujourd’hui, mais je demande qu’on me retarde de 24 heures pour attendre l’arrivée des voitures.

Je passe la journée à me promener dans le parc et dans la forêt qui est vraiment magnifique, surtout que le temps est superbe.

Du Vendredi 10 mai au Mercredi 22 mai 1918

Permission

Jeudi 23 mai 1918

Voilà encore une permission de passée. Il faut partir aujourd’hui pour rejoindre Nanteuil.

Départ de Remilly à 2 h ½ de l’après-midi, direction Calais où un train de voyageurs pour Paris passe quelques minutes après mon arrivée.

Je réussis à le prendre, il ira sans doute un peu plus vite que les trains de permissionnaires. Et puis, on y est un peu moins tassés.

 

Mais la route est longue car après Abbeville, notre train suit la côte et va passer par Le Tréport, de sorte que nous ne sortons du Tréport qu’aux premières lueurs du jour.

Vendredi 24 mai 1918

Après être partis du Tréport, je m’endors dans le wagon et ne me réveille qu’à Paris où on ne nous fait aucune difficulté pour nous laisser passer dans Paris. On m’apprend à mon grand plaisir que je n’ai qu’un seul train ce soir. Immédiatement, j’achète un plan de Paris.

 

À pied, je traverse une grande partie de la capitale pour me rendre rue d’Alésia où j’arrive seulement à midi. Je trouve ma cousine chez elle et nous causons un moment ensemble.

Puis je repars pour venir reprendre le train à la gare du Nord à 6 h pour arriver à Orry-la-Ville à 7 h.

Samedi 25 mai 1918

J’ai couché dans une chambre, chez des civils, à Orry-la-Ville, avec un autre camarade, où nous avons été très bien

 Nous reprenons le train à 10 h pour Crépy-en-Valois où nous arrivons à 11 h.

 

Là, on nous annonce que nous devons encore attendre jusqu’à 5 h ½ du soir pour avoir un train. Vraiment, c’est à se demander si nous rentrerons.

Enfin, l’heure arrive, nous reprenons le train et une demi-heure après, nous arrivons à Nanteuil où les zouaves sont toujours à la gare.

On m’annonce que je suis proposé pour une citation à l’armée.

Dimanche 26 mai 1918

Nanteuil est toujours au même endroit, mais sa population s’est considérablement augmentée depuis mon départ car beaucoup de parisiens ont fait venir leurs parents, leur femme ou leur marraine.

Le plus charmant accueil m’est réservé parmi mes camarades. Nous avons même des invités car plusieurs camarades ont fait venir leurs marraines ou leurs parents.

 

L’après-midi, fête sportive du régiment à laquelle nous assistons. On croirait un vrai champ de course du temps de paix tant il y a du monde.

Lundi 27 mai 1918

Enfin, me voilà remis et il faudra me réinstaller. L’adjudant-chef est lui aussi en permission et il doit rentrer dans deux ou trois jours.

Temps magnifique.

 

À midi, tout le monde vaque consciencieusement à ses occupations quand un coup de téléphone nous apprend que nous sommes alertés : sans doute que la fameuse offensive qu’on nous annonçait depuis quelques jours est enfin commencée.

 

L’après-midi, nous travaillons de toute ardeur à charger nos voitures et à ranger le matériel. Mais il paraît que nous ne partons que demain.

Mardi 28 mai 1918

Journée magnifique encore qui est consacrée aux derniers préparatifs car nous partons ce soir. En autos paraît-il.

Les marraines et les femmes commencent à quitter Nanteuil, aussi les adieux sont touchants et quand vient 6 h du soir, que les zouaves traversent Nanteuil pour aller à l’embarquement, on remarque, en rigolant, beaucoup de larmes sur les figures des jeunes filles.

Le régiment est porté sur une route à 1 km environ de notre cantonnement et là nous attendons les autos qui doivent nous emmener.

Mercredi 29 mai 1918

Toute la nuit, nous avons grelotté sur le bord de la route en attendant les autos qui ne nous arrivent qu’à 5 h du matin. L’adjudant-chef arrive de permission juste à temps pour prendre les autos avec nous.

Nous embarquons et nous partons pour aller débarquer sur la route de Soissons-Paris à 8 km de cette première ville.

 

Là, tranquillement, nous nous mettons à casser la croûte quand, tout à coup, le 75 se met à cracher tout à côté de nous. On se demande ce que cela veut dire quand on nous apprend que les boches ne sont qu’à 6 km d’ici.

Le régiment se porte à Missy-au-Bois, village voisin où on laisse tous les sacs puis immédiatement nous prenons nos formations de combat et nous marchons en avant. Pendant 3 km, nous avançons puis, en descendant les pentes de Berzy-le-Sec, nous apercevons les boches qui, comme nous, descendent les pentes de Belleu.

Zouaves et boches prennent contact dans le ravin entre les deux villages précédemment cités. On échange quelques coups de fusil puis tout le monde s’arrête. Mais on se demande où sont les troupes françaises.

Finalement, on trouve quelques fantassins saoults comme des Polonais dans les caves de Berzy. Les autres seraient prisonniers.

 

Carte du JMO

Jeudi 30 mai 1918

La nuit s’est passée à peu près calme, mais quand même les boches ont tâté notre front un peu partout sur toute la ligne. Nous avons cependant réussi à nous emparer de quelques prisonniers, mais aucun d’eux ne veut causer de leurs intentions.

Cependant, nous savons très bien qu’ils vont très probablement employer tout leur savoir pour passer ici car nous formons la charnière de leur front d’attaque qu’il faut absolument qu’ils fassent sauter s’ils veulent pouvoir s’enfoncer en profondeur.

 

La journée est à peu près calme, nous la passons à l’installation de liaisons et en reconnaissances sur le terrain. Cela me tient même jusque 2 h du matin car il faut que tout soit prêt car nous devons nous attendre ici à une nouvelle poussée boche.

Quelle drôle de guerre !

Tout le monde est couché dans la plaine. Pas de tranchées, pas de réseaux de fil de fer barbelés, rien. On se bat parmi les civils.

Berzy-le-Sec qui se trouve entre les deux lignes est complétement abandonné, mais Ploisy à deux kilomètres des lignes compte encore au moins une soixantaine d’habitants.

Vendredi 31 mai 1918

Dès le matin, l’ennemi commence une formidable préparation d’artillerie qui nous montre réellement ses intentions. Aussi je monte jusqu’en première ligne pour vérifier une dernière fois nos liaisons.

Là, j’apprends que l’attaque est déclenchée sur le 4e Tirailleurs qui faiblit un peu sous le choc. Peu après, les boches attaquent à notre gauche sur la Légion et ce n’est que quelques heures plus tard que se déclenche l’attaque contre les Zouaves.

Les premiers assauts sont rejetés avec de sanglantes pertes pour l’ennemi, mais en ne regardant pas à la vie de ses hommes, il jette sur nous des masses en colonne par quatre qui, finalement, parviennent à enfoncer la Légion.

Profitant de ce succès, l’ennemi profite d’un ravin et s’infiltre entre les Zouaves et la Légion. Le 3e bataillon s’aperçoit bientôt qu’il est tourné et doit se replier. Le premier bataillon qui fait maintenant une pointe dans les lignes ennemies est obligé de suivre le mouvement.

Mais l’ennemi continue à jeter sur nous ses masses compactes. Cependant, chaque position est défendue jusqu’à ce que tous ses défenseurs soient hors de combat.

Finalement, nos trois bataillons sont engagés.

 

À 4 h, les boches s’amènent à 400 mètres de la route de Soissons à Paris. Immédiatement, le colonel rassemble tous les hommes de l’État-major et nous voilà partis, lui en tête. Il faut absolument arrêter l’ennemi car derrière nous, il n’y a plus personne et les renforts n’arriveront que ce soir. (*)

C’est à coups de revolver qu’il faut faire le coup de feu. Mais enfin, l’ennemi est arrêté, la situation est tragique, aussi c’est avec joie qu’aux premières ombres de la nuit, nous voyons arriver les renforts et la relève.

 

(*) : Le 8e Zouaves et la Légion russe perdent 135 tués, 338 blessés et 421 tués ou blessés, laissés sur le champ de bataille. Total 894 hommes.

Un compte rendu dans le JMO signale que des soldats du 7e tirailleurs fuyaient en désordre (Source : SHDGR 26N842 004 0245). Des soldats français sont laissés avec eux pour éviter qu’ils s’enfuient à l’arrivée des Allemands.

Juin 1918

Samedi 1er juin 1918

Le régiment est descendu cette nuit en deuxième ligne en avant du village de Missy-au-Bois. Le P.C. du colonel se trouve dans les maisons même de Missy. Comme on est heureux de se sentir vivre encore après une journée comme celle d’hier.

 

En effet, pauvre régiment, qu’es-tu devenu ?

Nos pertes furent énormes. La 10e compagnie est réduite à quelques hommes. La 2e compagnie et la 11e comptent chacune 35 hommes. Mais au moins notre sacrifice n’aura pas été inutile car la charnière a tenu bon, ce qui est l’essentiel. Les braves Zouaves se sont défendus avec un courage vraiment exceptionnel.

On cite des exemples vraiment extraordinaires.

Tel groupe n’ayant plus de cartouches s’est défendu à coups de cailloux. Une compagnie fut cernée dans le ravin de Ploisy, ils se défendirent jusqu’à ce que leur effectif fût réduit à quelques hommes.

Les derniers survivants furent pris par les boches, désarmés, rassemblés contre un talus et tués à coup de mitrailleuses boches. Ce trait montre bien la lâcheté du boche et sa rage de se voir infliger des pertes aussi cruelles.

Le capitaine Paris, ancien officier de liaison, trouve une mort glorieuse, en défendant avec quelques hommes un point important. Il refusa de partir quand il fut blessé et resta jusqu’au moment où il fut tué à bout portant. Des centaines et des centaines d’exemples montrent comment les Zouaves se sont défendus. Malheureusement nous restons encore tout juste quelques centaines d’hommes.

Dimanche 2 juin 1918

La nuit a été assez calme aujourd’hui. Sans doute que l’ennemi, fatigué par son effort d’hier, veut souffler un peu pour amener de nouveau des troupes fraîches.

Le temps est toujours superbe.

 

À 10 h, le régiment reçoit l’ordre de contre-attaquer à midi avec un bataillon, le 2e, en liaison avec l’infanterie qui est arrivée cette nuit.

Le mouvement se déclenche à midi, accompagné de quelques chars d’assaut.

L’ennemi qui est surpris cède un peu de terrain, mais bientôt, une forte résistance s’accuse nettement et notre progression s’arrête. Nous avons cependant réussi à regagner les hauts des pentes ouest du ravin de Ploisy.

Là, nous trouvons un cochon abandonné qui pèse environ une centaine de kilos. Nous nous empressons de le tuer et de le faire emporter par les cuisines quand elles viennent nous apporter la soupe à la tombée de la nuit.

Lundi 3 juin 1918

Le régiment, relevé par l’infanterie, quitte Missy-au-Bois dans la nuit. Mais comme d’habitude, moi je ne pars qu’à la levée du jour car je reste sur le terrain pour donner à nos remplaçants les dernières consignes du secteur.

 

Je pars à 4 h du matin.

Nous traversons St-Pierre-Aigle et Dommiers et nous rejoignons le régiment qui est campé dans un bois au-dessus de St-Pierre-Aigle.

 

Là, nous commençons à nous débarbouiller et à nous nettoyer un peu. Puis on nous remet un morceau du cochon d’hier pour le faire cuire. Mais hélas, tout à coup, grand branle-bas, nous partons immédiatement. On mange la soupe et le cochon à coups de pied dans les marmites.

Bientôt les bruits les plus fantaisistes circulent : les boches sont à Château-Thierry et nous sommes cernés. En effet, les boches ont crevé notre front vers Longpont et ont réussi à établir un poste sur notre route. Mais une patrouille de Chasseurs d’Afrique les déloge et nous pouvons passer.

D’ailleurs, des troupes arrivent déjà pour contre-attaquer.

Mardi 4 juin 1918

Toute la nuit, le régiment a campé dans les bois près de Vivières, mais je ne me suis pas couché une minute car nous sommes allés à la D.T. à Vivières, et puis nous avons chargé nos voitures et remplacé le matériel pris à l’ennemi.

 

À 6 h du matin, nouveau départ. Nous faisons partie de la défense de Villers-Cotterêts et nous allons prendre position vers Taillefontaine.

Nous arrivons dans le village abandonné par ses habitants depuis quelques heures seulement, puis nous allons nous installer dans la lisière du bois à proximité du village pendant que nos bataillons prennent position sur les crêtes en avant de nous pour la défense du village.

 

(*) : D.T. : Division Territoriale ?

Mercredi 5 juin 1918 (*)

On commence enfin à être renseignés sur ce qui se passe. Les Allemands ont en effet percé notre front et se sont réellement avancés jusqu’à Château-Thierry. Heureusement que la charnière de l’attaque que nous occupions devant Soissons a tenu bon car sinon cela aurait été la grande débâcle.

Nous passons la journée à nous reposer un peu. Je crois que nous l’avons bien gagné.

Un convoi de 500 permissionnaires qui avaient été groupés à Nanteuil et qui étaient chez eux pendant ces quelques cruelles journées nous rejoignent.

 

(*) : 8 déserteurs du 17e RI sont capturés par le 2e bataillons du 8e Zouaves. Les noms sont écrits dans le JMO : Servanin Marius, Casse Dominique, Martin André, Lacroix Joseph, André Gustave, Chamousset Louis, Vidal Léon et Dallennes Louis.

Le colonel LAGARDE dit :

« J’estime qu’il est nécessaire de faire des exemples pour arrêter la débandade et je n’hésiterai pas à en faire moi-même, le cas échéant. Il faut que le commandement donne à choisir entre les balles boches et les balles françaises. »

Jeudi 6 juin 1918

Aujourd’hui, nous allons de nouveau déménager pour aller occuper un ravin entre Coeuvres et Soucy, position d’une importance capitale et que nous devons défendre à tout prix.

 

Nous partons vers 4 h de l’après-midi.

Nous passons à côté d’un terrain d’aviation que les boches bombardent furieusement et, pendant que nous sommes juste à hauteur du camp, un obus tombe en plein dans un dépôt de munitions ou de bombes d’avion.

Alors se produit la plus formidable explosion que je n’ai jamais entendue. Bien que nous trouvant encore à plus de 600 mètres du lieu de l’explosion, nous sommes tous jetés par terre comme des fétus de paille.

Vendredi 7 juin 1918

Le colonel Lagarde nous quitte aujourd’hui. Il va commander la brigade pendant quelques jours, et le régiment est provisoirement commandé par un chef de bataillon du 4e Tirailleurs.

Tout le monde travaille à l’aménagement de la position. Nous occupons un plateau en avant duquel se trouve un ravin. Dans ce ravin se trouve Soucy. Nous occupons le bord est de ce plateau.

À gauche, un ravin également qui est perpendiculaire aux boches. En cas d’attaque ils ne manqueront pas, sans doute, de venir par là pour contourner le plateau.

Alors c’est ce ravin qu’il faut tenir à tout prix pour que nous puissions conserver le plateau.

Samedi 8 juin 1918

Les sacs du régiment ont été versés à St Pierre-Aigle, mais on nous apprend que les boches se sont emparés de ce dernier village. Par conséquent, ils auraient nos sacs.

Mais bientôt, nous apprenons qu’ils sont simplement aux lisières du village. Alors on va essayer de les déménager ce soir si toutefois cela est possible.

 

Dans l’après-midi, nous apprenons que nous descendons en réserve aujourd’hui. Nous partons dans la soirée et nous allons nous installer dans des tranchées faites depuis 1914 en avant de Hautefontaine.

Dimanche 9 juin 1918

Nous ne sommes pas mal ici mais cependant la nuit a été bien froide car ce matin, il y a un peu de brume

 La journée, nous ne pouvons pas nous montrer car aussitôt qu’un homme se fait voir, nous recevons des obus sur la figure.

 

Le soir, je vais aux voitures chercher une chemise pour me changer.

À mon retour, tout le monde est déménagé. L’état-major du régiment est parti occuper le Château de Hautefontaine où nous serons sans doute un peu mieux qu’ici où nous sommes en ce moment. Tout au moins, il y fera toujours moins froid la nuit.

Lundi 10 juin 1918

Enfin cette nuit nous nous sommes bien reposés car nous avons dormi dans une étable où nous étions très bien. Nous sommes ici dans le château de Hautefontaine presque en pays de connaissance.

En effet, c’est ici que le régiment fut envoyé en repos en 1915. Nous étions à Retheuil et à Chelles.

 

Hier, en allant aux voitures, je suis repassé devant mon cantonnement à Retheuil où nous avons failli être tués dans un éboulement le 24 décembre 1915.

Mais ce pauvre petit village a perdu pas mal de son prestige. Il ne reste plus que quelques habitants. Les autres ont fui, craignant l’avance ennemie.

Mardi 11 juin 1918

Hier soir, à la nuit, nous avons été alertés car on craignait une attaque boche. Nous avons fait quelques prisonniers qui nous ont annoncé que les boches attaqueraient très probablement ce matin. Mais il n’y a rien eu.

Il est vrai que notre artillerie a exécuté un tir de contre-préparation qui fut épatant. Enfin, nous en sommes quittes pour passer une partie de la journée dans une immense carrière, dans les bois de Montigny-Lengrain.

 

Mais vers le milieu du jour, comme il n’y a toujours rien, nous partons pour aller de nouveau coucher au château de Hautefontaine où nous passerons sans doute encore la nuit.

Mercredi 12 juin 1918

Ce matin à 2 h, réveil en grande pompe. La canonnade fait rage. Aussi, nous sommes immédiatement alertés et nous partons. Tous les ravins sont criblés de projectiles. On me charge d’établir une chaîne de coureurs entre le P.C.D.M. et la carrière de Montigny où se trouve le colonel.

Mais les abords de la division sont intenables. Les entrées de leurs carrières sont à moitié bouchées par les obus. La route est jonchée de voitures démolies et de chevaux tués.

Néanmoins, je réussis à passer là avec 20 hommes sans qu’un seul soit touché. Nous passons une partie de la journée aux carrières de Montigny. Nous apprenons que l’ennemi a attaqué avec des forces monstres mais que sur la Légion, il n’a pas pu avancer.

À droite, l’infanterie a reculé.

 

Aussi, vers le soir, nous montons pour contre-attaquer, accompagnés de chars d’assaut. Mais, en route, nous recevons contre-ordre. Le régiment tient les abords de la ferme de Pouy.

Toute la nuit nous marchons. Quelques agents de liaison, le colonel et moi, nous nous couchons à 3 h du matin dans le bord d’un fossé.

Jeudi 13 juin 1918

À cinq heures du matin, je m’éveille.

Stupéfaction : tout le régiment est parti pendant les deux heures que nous avons dormi. Nous restons 3 ici. Un cavalier qui passe nous apprend qu’ils ont été reprendre leurs emplacements dans le ravin de Soucy car un trou de 1500 mètres s’est produit dans le front. Aussi nous sommes venus le boucher. Nous voici donc, de nouveau, en contact avec les boches. Cependant ils ne sont guère méchants car le secteur est tout à fait calme aujourd’hui.

La nouvelle grande ruée boche a reçu un choc terrible et la voilà déjà arrêtée.

Vendredi 14 juin 1918

Le temps continue à être beau et nous commençons à nous installer. Nous espérons être ici pour quelques jours.

Mais voilà qu’à midi, on nous apprend que nous sommes relevés cette nuit par des éléments du 20e corps.

Vers la tombée de la nuit, les gradés de la relève arrivent, on se passe les consignes. Mais notre enchantement tombe vite car nous apprenons que nous allons demain soir relever la 1e brigade qui est en ligne depuis déjà au moins une dizaine de jours.

 

À 10 h, les premiers éléments de la relève arrivent et on commence. C’est le 9e Zouaves qui nous relève.

Samedi 15 juin 1918

Nous arrivons en queue, bons derniers comme toujours.

Nous nous installons à 3 h du matin dans les carrières de Montigny où nous devons passer la journée et nous commençons à dormir consciencieusement car nous n’avons pas dormi de la nuit.

 

À 5 h du soir, on m’apprend que je pars immédiatement pour le P.C. de la Légion que nous devons occuper afin que j’aie le temps de reconnaître les P.C. et les P.O. ainsi que différents autres éléments de liaison.

Nous arrivons à 8 h au P.C. de la Légion qui se trouve dans une carrière à proximité de St Bandry.

Dimanche 16 juin 1918

La relève nous a occupés toute la nuit et dès l’aube les Zouaves se trouvent en place, prêts à faire face aux boches. Le régiment occupe des positions importantes à gauche de Coeuvres.

Il bouche les entrées de deux ravins importants. Dans l’un d’eux se trouvent le village de St Bandry et notre P.C.

Deux de nos bataillons sont en ligne. Le troisième est en réserve vers Ressons-le-Long.

Lundi 17 juin 1918

Toute la journée nous occupe encore à travailler de côtés et d’autres, de sorte que notre journée ne nous laisse pas encore de repos.

 

Dans l’après-midi, on me fait installer une liaison par coureurs entre le 3e bataillon et le P.C. du colonel. Ce bataillon se trouve très loin de nous car il est à disposition de la Brigade et est en ce moment en réserve derrière le 7e Tirailleurs. Ce travail m’occupe encore jusqu’à minuit et je rentre aux carrières éreinté.

Heureusement que nous avons un bel endroit pour nous coucher.

Mardi 18 juin 1918

Les boches sont calmes aujourd’hui, quoique cette nuit notre artillerie leur a plutôt passé quelque chose. En effet, nous avons tiré près de 1200 coups.

À la tombée de la nuit on nous signale, du poste d’observation, un vif mouvement d’allées et venues chez les boches. Ils ont sac au dos de sorte que c’est probablement une relève. Aussi, immédiatement, le 75 se met de la partie et bientôt on voit l’ennemi courir de côté et d’autre dans le plus grand désarroi.

 

Je me couche le soir avec l’intention de faire une bonne nuit, mais à 10 h on vient m’éveiller car un renfort vient d’arriver et je dois le conduire au 3e  bataillon car moi seul connaît son emplacement exact.

Mercredi 19 juin 1918

Hier soir, un peloton de chez nous a occupé un village un peu en avant de nos lignes que les boches tenaient d’ailleurs très faiblement.

 

Mais le matin, ils exécutent un violent bombardement et font une reconnaissance dans nos lignes. Mais elle n’obtient pas de résultat, quelques hommes hors de combat de chaque côté et c’est tout.

Bientôt on nous apprend que nous sommes relevés cette nuit même. En effet, nous voyons bientôt arriver les gradés qui sont venus pour reconnaître et nous les pilotons sur les différentes liaisons.

 

La pluie tombe dès le matin mais bientôt le soleil se montre et le beau temps revient.

Jeudi 20 juin 1918

Enfin, nous voilà arrivés au repos, mais on ne sait si c’est encore le bon repos car nous avons bien fait une étape de 20 km ; mais nous l’avons faite parallèlement au front de sorte que nous ne sommes encore qu’à 4 km des lignes.

Nous sommes à Attichy, chef lieu de canton de l’Oise, mais il n’y a plus un habitant. Aussi nous occupons les maisons abandonnées par les habitants il y a quelques jours. Pour ma part, nous avons un superbe pavillon pour 4 sous-officiers, avec dedans chacun un lit complet.

Nous sommes très bien, mais les boches ne sont pas bien loin de nous, à peine 4 km.

Vendredi 21 juin 1918

Aujourd’hui, travaux de propreté. Je me rends au train de combat pour m’assurer si tout notre matériel est bien en place et aussi pour prendre du linge et me changer de manière à pouvoir laver celui que je traîne depuis mon départ de Cléty.

Nous allons faire une cueillette de pommes de terre, de petits pois et de salades de manière à améliorer un peu notre ordinaire.

Pendant notre séjour là-haut, nous avons tous perdu pas mal de graisse au point que je me suis regardé dans une glace, ce matin, et j’en étais suffoqué.

Samedi 22 juin 1918

Encore travaux de propreté aujourd’hui. Une de nos voitures se rend près de nous pour que nous ayons toujours notre matériel à notre disposition.

Les boches nous bombardent sérieusement aujourd’hui. Le point le plus près d’ici qu’ils occupent, c’est Moulin-sous-Touvent, mais ils ne peuvent voir le village d’Attichy qui se trouve sur les bords de l’Aisne et, par conséquent, au fond d’une vallée.

Dimanche 23 juin 1918

Le matin, nous déménageons. Nous allons encore 4 km plus à droite à Berneuil. C’est, paraît-il, à seule fin d’éviter les bombardements car Berneuil se trouve plus près de la colline qu’Attichy et nous avons ainsi plus de chance d’éviter les obus boches. Le temps est toujours très beau ici.

Depuis quelques temps, nous n’avons pas eu une goutte de pluie de sorte qu’il fait très sec, mais nous ne nous en plaignons pas, au contraire.

Nous faisons une rafle complète de pommes de terre, pois, etc. car nous recommençons à faire popote à partir d’aujourd’hui.

Lundi 24 juin 1918

L’exercice recommence dès aujourd’hui. Notre nouveau lieutenant que nous avons seulement depuis deux ou trois jours a l’air très gentil. Cependant, il faut qu’il exécute les ordres et nous partons, nous aussi, à l’exercice.

Mais moi je n’assiste à aucun exercice de maniement d’armes ni de gymnastique car le matin je vais à l’exercice des chiens de liaisons et le soir à l’exercice avec les signaleurs T.P.S. et téléphonistes.

Malgré cela, quand même, nous ne sommes pas trop embêtés.

Mardi 25 juin 1918

Nouvel emploi du temps ici.

Heureusement que j’écrivais hier que nous n’étions pas trop embêtés, en effet, réveil à 4 h 30, départ pour l’exercice à 5 h 30, rentrée à 9 h.

De 9 à 10 : rapport journalier, travaux de propreté ; 10 h 30 : soupe et sieste de 11 h à 1 h. Nouvel exercice de 1 h à 5 h 30, soupe à 6 h.

Tout le monde obligatoirement couché à 9 h. Ben, si on se plaint avec un emploi du temps comme ça, c’est qu’ils ne seront vraiment pas raisonnables.

Moi, pour ma part, je sais bien que je préférerais remonter aux tranchées de suite.

Mercredi 26 juin 1918

Le nouvel emploi du temps est mis en vigueur à partir d’aujourd’hui. Inutile de dire qu’il cause un mécontentement et une stupéfaction générale.

Cependant il faut bien s’y plier.

Nous trouvons ici un phonographe que nous mettons en marche et nous pouvons ainsi faire de la musique à discrétion.

 

L’après-midi, le lieutenant commence l’instruction de la T.S.F. et, en même temps, la lecture au son pour tous les signaleurs et les téléphonistes. Toujours le même temps, pas une goutte de pluie.

Jeudi 27 juin 1918

Même emploi du temps qu’hier. Temps toujours magnifique.

 

Le soir, à 9 h, le régiment est alerté, mais on s’aperçoit vite que ce n’est pas pour de bon, car on annonce vite que les téléphonistes ne montent pas. Aussi, moi je pars, nous allons occuper comme P.C. une carrière à environ 1500 mètres de Berneuil et les bataillons prennent position en avant de nous.

Il faut alors établir des chaînes de coureurs dans la nuit, ce qui n’est ni intéressant ni bien facile. Pour comble, la pluie se met à tomber.

Vendredi 28 juin 1918

À 1 h du matin, tous les bataillons sont en place.

Aussitôt, on leur dit de rentrer, l’alerte est terminée. Nous rentrons dans nos cantonnements à la pointe du jour, bien fatigués et un peu trempés. Je me couche jusqu’à midi et à mon réveil, le soleil luit très bien. Ce n’est pas encore aujourd’hui que nous aurons de l’eau.

Les boches envoient quelques obus sur le village de Berneuil sans d’ailleurs faire aucun dégât. La canonnade se fait entendre, très violente, une partie de la journée vers Coeuvres et Soucy.

Samedi 29 juin 1918

Même emploi du temps que les jours précédents.

Mais ce réveil à 4 h 30 tue les hommes. Très peu font la sieste car s’ils veulent écrire à leur famille, ou se nettoyer, c’est pendant ce temps là qu’il faut qu’ils le fassent.

 

Le soir, remise de décorations. Je dois aussi y assister pour recevoir mon étoile de Villers-Bretonneux. Mais comme je dois aller à l’exercice, je ne puis y aller. Aussi, on fait sans moi. Toujours le même soleil et le même beau temps.

Dimanche 30 juin 1918

Aujourd’hui dimanche, travaux de propreté et repos toute la journée.

Le matin à Berneuil, dans l’église, service commémoratif pour les morts pendant les dernières affaires.

 

L’après-midi, je me rends aux voitures pour porter un peu de matériel ce qui fait ma journée employée car elles sont à 6 km de notre cantonnement, dans les bois.

Quelques civils reviennent aujourd’hui voir leurs maisons, mais ils ne retrouvent plus grand chose car leur mobilier a presque tout été déménagé.

Juillet 1918

Lundi 1er juillet 1918

Nous reprenons aujourd’hui les exercices comme précédemment.

Même travail.

 

L’après-midi, lavage des chiens sur les bords de l’Aisne.

 

Le soir, il commence à passer dans les rues de Berneuil une grande quantité de tanks qui vont vers les tranchées du côté de Moulin-sous-Touvent. Il paraît que la division qui occupe ce secteur (division Mangin) fait une attaque locale demain matin.

Nous sommes d’ailleurs prévenus que nous serons très probablement alertés demain matin à la première heure.

Mardi 2 juillet 1918

Le matin, à la première heure, la canonnade se déclenche tout à coup et commence à faire rage.

Immédiatement on nous alerte de manière que nous puissions évacuer le village au cas où les boches voudraient le bombarder. Mais nous ne sommes pas obligés à cela car l’opération a été vivement menée et a rapportée, paraît-il, 450 prisonniers. Nous en voyons d’ailleurs défiler une partie dans Berneuil.

 

Le soir, la canonnade redouble de violence et le régiment va occuper ses emplacements du jour de l’alerte.

Mercredi 3 juillet 1918

Nous occupons nos positions de combat.

Tout d’abord, nous croyons que les boches ont violemment réagi, mais au contraire, c’est nous qui avons attaqué à nouveau et encore cueilli près de 500 prisonniers.

Bientôt on nous apprend que nous sommes ici pour 24 heures mais que ce n’est encore une fois qu’un simple exercice. Nous retournerons à Berneuil ce soir.

 

L’ordre vient à 9 h du soir.

Immédiatement, nous débranchons et nous rentrons au cantonnement à 10 h ½.

Jeudi 4 juillet 1918

À 7 h du matin, on vient m’arracher de mon profond sommeil pour me communiquer une note qui dit :

« Le régiment se tiendra prêt à relever la D.I. la nuit prochaine ».

 

Vainement, je me frotte les yeux pour m’assurer que j’ai bien vu. Mais oui, c’est bien cela. Où est donc le repos qu’on nous a promis depuis bien longtemps déjà.

La journée, nous nous préparons. Nous faisons, à la tombée de la nuit, une étape de 15 km et nous allons cantonner à Roy-St-Nicolas.

Vendredi 5 juillet 1918

Nous avons couché la nuit dans les bois de St-Nicolas.

 

À huit heures du matin, il faut me préparer à monter au secteur pour reconnaître. Nous partons immédiatement.

En arrivant à la ferme de Vauberon, nous nous asseyons pour faire la pause. Mais sans doute, un obus à hypérite est tombé par là car, lorsque je me lève pour marcher, je ne puis me remuer et je suis pris par les gaz et je commence à enfler.

Je me traîne tant bien que mal jusqu’au P.C. du colonel où un major me voit. Il veut m’évacuer mais je refuse.

Alors, il me soigne et me fait coucher.

Samedi 6 juillet 1918

J’ai dû rester couché toute la nuit. L’enfle n’augmente plus. Ce sont surtout les parties, les cuisses, la main et le bras gauches qui sont atteints.

Cependant, maintenant je ne souffre plus, sauf quand je veux me remuer mais le major me dit que je n’ai rien de grave. L’intérieur n’est pas atteint ce qui est l’essentiel et, en étant bien soigné, je serai sur pied dans deux ou trois jours

 En attendant, je suis tranquillement couché au fond de ma grotte car le P.C. du colonel se trouve dans une grotte.

Dimanche 7 juillet 1918

Toujours sur le dos, mais ça va de mieux en mieux.

Plus aucune douleur pourvu que je n'essaye pas de marcher. Le colonel s'informe souvent si je vais mieux mais je ne pourrai sans doute pas assurer mon service avant après-demain.

 

Le régiment est monté cette nuit.

Nous avons relevé les Tabors marocains. Nos premières lignes se trouvent sur une crête à 2 km environ de Coeuvres. Ce dernier village et cette crête ont été repris il y a quelques jours seulement par les Tabors marocains.

Lundi 8 juillet 1918

Les boches ont violemment bombardé cette nuit, par obus à gaz, le ravin de Coeuvres-Cutry-Laversine, ravin qui se trouve entre le P.C. du colonel et les premières lignes. Aussi, ce matin, il ne fait pas bon y passer. Quand à moi, je commence à aller mieux. L’enfle s’en va et ce n’est pas dommage car je commence à en avoir assez d’être reclus au fond de ma grotte. Un de nos commandants vient d’être nommé colonel aujourd’hui. Le beau temps continue toujours.

Mardi 9 juillet 1918

Il paraît que je vais tout à fait bien aujourd’hui. Presque plus d’enfle aussi, dès le matin, je pars faire les différentes reconnaissances que j’aurais dû faire le premier jour.

D’abord le 3e bataillon qui est en première ligne au-dessus de Cutry et de Coeuvres, ensuite le 1er qui est en soutien à hauteur du P.C. du colonel, et enfin, le 2e bataillon qui est bien en arrière de nous vers la ferme de Vauberon où il est considéré comme en réserve et en repos.

Mercredi 10 juillet 1918

Journée magnifique aujourd’hui, chaleur étouffante même, qui pourrait bien nous amener un orage un de ces jours.

Les boches sont assez calmes aujourd’hui, aussi nous en profitons pour nous rendre à Laversine où nous trouvons un dépôt de matériel abandonné par les boches et qui nous rend le plus grand service car en ce moment, nous manquons absolument de matériel.

L’artillerie ennemie se montre très active. Un combat se déroule au dessus de nos têtes, qui se termine par l’écrasement à terre des deux combattants, le Français et le Boche.

Jeudi 11 juillet 1918

Toujours le même beau temps. Le soleil luit bien fort mais nous sommes quand même à peu près au frais dans notre carrière où, aujourd’hui, nous sommes sérieusement bombardés.

Maintenant, on va peut-être pouvoir souffler un peu ici car nos liaisons commencent à être installées et nous n’avons guère eu la pause jusque maintenant.

Les boches inondent à nouveau le ravin de Laversine-Coeuvres de gaz, mais toutes les précautions sont prises et nous n’avons plus aucune perte à déplorer sauf un ou deux imprudents ce qui est d’ailleurs insignifiant.

Vendredi 12 juillet 1918

Le soleil luit encore, mais vers midi, un orage formidable éclate. Nous sommes presque inondés. L’eau tombe comme si on la versait par seaux, mais cela ne dure qu’une heure ou deux. Bientôt ça se passe et le soleil se montre à nouveau.

Les boches bombardent avec une violence extrême l’entrée de notre grotte, mais il n’y a pas de victime. Ils bombardent également les villages de Coeuvres, Cutry, Laversine, et la ferme de Riverseau où, d’ailleurs, il n’y a pas âme qui vive.

Ils s’acharnent même sans qu’on puisse en deviner la cause.

 Samedi 13 juillet 1918

Beau temps quoique accompagné de quelques ondées, suite inévitable de l’orage d’hier. Un événement singulier s’est passé cette nuit mais sans suite cependant.

Au cours de la nuit, un homme s’est approché de nos lignes, ne s’arrêtant pas aux sommations d’usage. On a tiré dessus et on l’a tué. Son accoutrement était bizarre : un pantalon boche, une veste de fantassin français, un calot d’artilleur français et, enfin, des papiers boches et français.

Tout cela est sans doute un mystère que l’on n’éclaircira jamais.

Dimanche 14 juillet 1918

Nous voici donc à l’anniversaire de la fête nationale française que nous allons fêter face aux boches. Quand donc la fêterons-nous de nouveau en pleine gaieté ?

L’ordinaire est sensiblement amélioré aujourd’hui : saucisson, dessert, café, 1 litre de vin par homme, une bouteille de champagne à 4.

Ajoutons à cela quelques victuailles que nous nous sommes fait apporter de l’arrière et même quelques chansons par ceux qui cherchent à oublier la guerre, et le tableau est complet.

Lundi 15 juillet 1918

Relève de bataillon cette nuit. Le premier bataillon monte en ligne cette nuit, le deuxième vient en réserve à côté du colonel.

Enfin le troisième descend à la ferme de Vauberon où il sera considéré comme en repos.

 

Le matin à la première heure, les boches déclenchent un barrage formidable sur nos lignes. On se demande même si toutefois ils n’ont pas l’intention d’attaquer. Mais c’est sans doute tout le contraire. Ils craignaient une attaque de notre part.

Après quelques heures d’un vacarme formidable, tout rentre dans le silence.

Mardi 16 juillet 1918

Le beau temps continue toujours.

À 9 h du matin, on apprend que le bataillon de première ligne vient de recevoir l’ordre de verser ses sacs.

Mais deux heures après, nous apprenons que nous sommes relevés par les Américains cette nuit même. Mais comme les Américains ne peuvent arriver aujourd’hui, c’est d’abord le 265e d’infanterie qui nous relève pour 24 heures.

Il paraît d’ailleurs que nous-mêmes, nous remonterions au secteur demain soir pour attaquer après demain matin. Mais tout cela, ce n’est que des « on-dit ».

Mercredi 17 juillet 1918

Nous arrivons à Mortefontaine vers midi et nous campons dans les bois. Nous nous reposons un peu puis nous commençons à nous préparer pour notre nouveau départ car nous partons ce soir même.

 

Départ à 9 h du soir.

Nous avons 14 km à faire pour nous rendre à nos emplacements. En cours de route, nous sommes pris au milieu des bois par un orage formidable.

L’eau tombe comme par seaux et il fait tellement noir qu’on n’y voit plus à quatre pas devant soi.

Jeudi 18 juillet 1918

Nous arrivons dans une grotte près de Valsery vers deux heures ½ du matin, mais ça n’a pas été sans mal. Les routes sont presque impraticables par la pluie et par l’encombrement. Pas un coup de canon n’a été tiré dans la nuit, c’est le calme complet.

La Légion et les Sénégalais attaqueront devant nous, puis nous passerons devant eux au cours de l’action.

 

Nous partons à 4 h 15 pour traverser le ravin avant le bombardement.

 

À 4 h 30, des milliers de pièces se mettent à cracher ensemble.

 

À 4 h 35, l’infanterie précédée des tanks attaque, et la marche en avant commence. Le Boche, surpris, réagit peu. Nous passons à côté de St-Pierre-Aigle.

Nous traversons Dommiers puis nous atteignons la route de Soissons où nous avons déjà combattu il y a pas même un mois. Nous voici aux premières batteries.

Alors nous prenons le combat à notre compte, c’est à dire que nous passons devant la Légion. La ferme de Maison Neuve, le village de Chaudun, le ravin qui se trouve derrière ce village et où se trouve un P.C. de colonel boche tombent entre nos mains après avoir été âprement disputés, mais que nous occupons sans grandes pertes grâce aux tanks qui font un travail excellent.

 

À la tombée de la nuit, la division américaine qui était à notre droite, reprend sa progression et nous suivons le mouvement ce qui fait que nous nous emparons à nouveau de 2 km de terrain.

Nous nous portons au-delà de la route Vierzy-Charentigny.

Vendredi 19 juillet 1918

Le régiment occupe une position à environ 800 mètres de la route qui va de Charentigny à Vierzy. Le tunnel de chemin de fer qui passe à peu près sous cette route tombe lui aussi entre nos mains.

Mais entre nous et les Tirailleurs, un vide s’est produit. Les boches occupent encore le ravin de Léchelle-Charentigny et sont presque encore derrière nous.

Alors le régiment fait un face à gauche complet et, après un brillant assaut, nos troupes prennent tout ce ravin et les deux villages précédemment nommés. Dans une grotte, un sergent et 4 hommes du 2e bataillon s’emparent de 140 boches qui d’ailleurs se défendent faiblement.

 

Vers midi, notre progression reprend, un peu plus difficile que la veille car les boches ont déjà reçu des renforts en infanterie et en artillerie.

 

Vers le soir, notre ligne a atteint les abords de Villemontoire, village qui se trouve sur la route de Soissons à Château-Thierry.

Samedi 20 juillet 1918

Ce matin, à la première heure, les boches poussent une violente contre-attaque sur tout notre front, mais elle échoue.

Cependant, peu après, les boches recommencent à essayer de progresser. Ils parviennent même à rétablir une mitrailleuse sur la crête que nous occupons.

Mais une énergique contre-attaque des Zouaves et des Sénégalais rétablit intégralement notre position. Si les journées précédentes ne nous ont pas coûté beaucoup d’hommes, par contre cette journée nous a coûté chaud.

Nos pertes sont sensibles. (*)

L’artillerie boche, qui est arrivée cette nuit, a pas mal réagi et ils n’ont pas ménagé leurs obus. Voilà encore une fois ce pauvre 8e démoli. Nous serons relevés cette nuit paraît-il.

Cependant nous ne pouvons qu’admirer tous ceux qui sont tombés et aussi nos vaillants amis les Américains. Ce sont de rudes soldats.

Si toutes les divisions américaines qui sont en France sont à la hauteur de celles qui nous encadraient, je crois que les boches ne tarderont pas à sentir gravement le poids de leur force.

 

(*) : Le régiment perd 653 hommes tués, blessés, intoxiqués et disparus.

Dimanche 21 juillet 1918

Nous avons été relevés cette nuit par le 72e d’infanterie. Mais comme le régiment est encore placé un peu grosso-modo, cette opération demande du temps et, pour ma part, la relève de la liaison n’est terminée que vers 5 h du matin.

 

Nous partons et en passant vers 8 h, nous mangeons la soupe dans Dommiers reconquis. Cette soupe est d’autant meilleure que nous n’avons rien touché depuis 3 jours.

Nous nous rendons ensuite, à Mortefontaine où nous campons dans les bois.

Lundi 22 juillet 1918

J’ai dormi cette nuit comme un loir, sous la tente, bien que nous soyons quand même campés dans un endroit qui est marécageux.

 

Aussi ce matin, quand nous nous éveillons, il est 9 h ½ du matin.

Nous nous levons et nous apprenons que nous embarquons aujourd’hui même en autos mais nous ne savons pas pour où aller. Les uns disent au repos, les autres dans un secteur. Nous prenons les autos à midi et nous voilà partis.

Nous passons par Verberie puis par Clermont et enfin nous prenons la direction d’Amiens. Où donc allons-nous ?

Mardi 23 juillet 1918

Nous sommes débarqués, hier soir, au beau milieu de l’ancien camp de Crèvecoeur, à 3 km de cette dernière bourgade. La C.H.R. et le 1er bataillon sont cantonnés à Le Gallet, le 3e à Viefvillers et le 2e à Saulchoy-Gallet. Nous y revoilà donc dans ce pays de malheur où nous sommes déjà venus trois fois. Mais ce fameux camp n’existe plus et ce n’est pas avec regret que nous voyons les récoltes pousser aux endroits où autrefois nous faisions ces si terribles manœuvres.

Temps nuageux avec pas mal d’averses.

Mercredi 24 juillet 1918

La journée d’aujourd’hui est consacrée à l’installation de nos cantonnements. Mais, quand même, cette installation est vite faite car nous sommes logés dans de vieilles granges qui tombes en ruines.

La moitié de ce pauvre village a été démolie par la troupe. Aussi inutile de dire que nous avons, de la part des populations, un accueil qui est loin d’être chaleureux. On croirait l’arrivée d’une troupe française au milieu des indigènes de l’Afrique occidentale.

Rien n’est changé depuis que nous y sommes venus, le pays est bien encore le même.

Jeudi 25 juillet 1918

Le temps continue à être un peu brumeux. De nombreuses averses tombent toute la journée. Elles ne mouillent pas beaucoup, mais ça ennuie plutôt dans le courant de l’après-midi.

 

Remise de décorations dans une des rues de Le Gallet. Le général remet une croix de la Légion d’Honneur, deux médailles militaires, et trois croix de guerre avec palme. Pour la cérémonie, le drapeau est sorti.

Le lieutenant-colonel Lagarde commande provisoirement la brigade.

Vendredi 26 juillet 1918

Le lieutenant-colonel Cadiot, nommé depuis quelques jours, prend le commandement du régiment en remplacement du commandant Callais qui a été évacué au cours des dernières opérations.

Les Russes nous quittent aujourd’hui, ils vont à la première brigade. Ces malheureux restent à peine à une soixantaine. Les autres ont été tués ou bien ont déserté.

Cependant leur départ a lieu en grand cérémonial. Ce n’est pas sans un serrement de cœur que nous voyons partir ceux qui se sont si vaillamment battus à nos côtés à Villers-Bretonneux, Missy-au-Bois et ici.

Samedi 27 juillet 1918

Il a fait un temps horrible toute la nuit. La pluie n’a cessé de tomber que ce matin et elle a été accompagnée, toute la nuit, d’un vent formidable.

L’exercice reprend dès ce matin sur les mêmes bases qu’à notre dernière période de repos.

 

Le matin, j’assiste à l’exercice avec les chiens sentinelles, et le soir aux exercices de signalisation.

Demain dimanche c’est, paraît-il, la fête de Le Gallet mais comme c’est la guerre, on ne s’en apercevra sans doute pas.

Dimanche 28 juillet 1918

Aujourd’hui dimanche, repos toute la journée. Le temps semble un peu meilleur aujourd’hui et il ne tombe pas d’eau, enfin ce n’est pas trop tôt.

 

Le matin, messe militaire à 9 h pour les soldats qui sont tombés au cours des derniers combats.

 

Le soir à 6 h, concert sur la place du pays où d’ailleurs je n’assiste pas. Jamais je ne me suis ennuyé autant qu’aujourd’hui, car de toute la journée, je n’ai rien eu à faire et on s’ennuie vraiment quand on ne sait à quoi se mettre.

Lundi 29 juillet 1918

Le temps est lourd, le soleil se montre de bon matin et ça ne dure pas car il fait une chaleur étouffante et bientôt le temps devient orageux.

 

Le matin, exercice et instruction des chiens de liaison. Les services rendus par ces chiens au cours des derniers combats étant important, on va sans doute augmenter le chenil.

 

L’après-midi, je passe à tous les signaleurs du régiment une revue avec tout le matériel de signalisation et je change ce qui est mauvais.

Mardi 30 juillet 1918

Marche-manœuvre pour tout le régiment à laquelle nous n’assistons pas d’ailleurs. Nous travaillons sans relâche à la réparation de nos bicyclettes qui en ont le plus grand besoin. Le temps se tourmente et la pluie commence à tomber vraiment. Cette saison de moisson ne s’annonce pas comme devant être bien chaude ni pleine de soleil. Ici les premiers blés étaient coupés depuis aujourd’hui seulement, mais ce mauvais temps arrête tout.

Mercredi 31 juillet 1918

Aujourd’hui, remise de décorations pour le régiment. Faute de place dans les champs, cette cérémonie a lieu en plein milieu des rues, dans la rue principale. Mais cela n’empêche pas qu’on lui donne toute la grandeur et les honneurs qui sont dus à ce genre de cérémonie.

 

L’après-midi, exercice de signalisation avec les signaleurs de compagnies et de bataillons de tout le régiment.

Mais la pluie se met bientôt de nouveau à tomber et nous sommes obligés de rentrer au cantonnement.

Août 1918

Jeudi 1er août 1918

On m’apprend que je suis une nouvelle fois cité à l’ordre du régiment pour les affaires de Missy-au-Bois. Ceci me fait donc ma quatrième citation.

Le temps continue à être déplorable ici, de sorte que l’après-midi, nous ne pouvons sortir et nous faisons de l’exercice à l’intérieur des cantonnements, principalement de l’exercice pratique de lecture au projecteur et d’émission.

Les nouvelles du front continuent à arriver régulièrement bonnes, ce qui, sans doute, va les amener à un repli général jusqu’au Chemin des Dames ou même peut-être à la Vesle.

Vendredi 2 août 1918

L’exercice continue, cette vie a repris, monotone et régulière.

 

Le matin, exercice de liaison avec les chiens de liaison dont nous en remettons 6 au dressage.

 

L’après-midi, revue complète du matériel de signalisation que possèdent les compagnies et les bataillons du régiment.

Pour changer, la pluie continue à tomber avec une cadence monotone et régulière. On se croirait au mois d’octobre ou de novembre tant ça tombe beaucoup et de bon cœur.

Samedi 3 août 1918

Ce matin, marche-manœuvre de 12 km pour tout le régiment. Mais je réussis à ne pas y assister car j’ai du travail ailleurs.

 

Vers midi, on nous apprend que nous partons demain matin à la première heure pour une nouvelle destination. Nous irions dans la région de Montdidier mais un peu en arrière du front où d’ailleurs nous ne serons pas plus mal qu’ici car ce fameux village de Le Gallet ne me dit rien qui vaille.

Comme c’est triste ici, c’est toujours Crèvecoeur comme avant.

Dimanche 4 août 1918

Voilà aujourd’hui quatre années de guerre d’écoulées. Combien de temps cela durera-t-il encore ?

Au moins encore une année. Mais à quoi bon nous perdre en doléances, prenons ce qui est inévitable.

 

Départ à 6 h du matin, nous allons cantonner à Catillon, mais le cantonnement ne sera pas libre avant 9 h du soir, nous sommes obligés d’attendre cette heure dans les bois autour du pays.

Marche très fatigante à cause de la chaleur qui est très forte, mais nous nous en tirons quand même sans pluie.

Lundi 5 août 1918

Nous voilà donc à Catillon. C’est presque en pays de connaissance. En effet, nous avons été cantonnés à Nourard-le-Franc en 1916 et qui n’est qu’à 3 km d’ici. Nous ne sommes pas mal ici surtout que le pays possède une coopérative de Caterpillars où on trouve tout ce que l’on veut.

Le temps continue à être mauvais. Il pleut aujourd’hui une grande partie de la journée, mais, quand même, on essaie de faire un peu d’exercice.

Mais nous sommes obligés de rentrer à cause de la pluie.

Mardi 6 août 1918

L’exercice reprend ce matin dans toute sa rigueur

Réveil à 4 h ½, exercice à 5 h 15. Le régiment fait encore une marche à laquelle je n’assiste pas car je m’en vais à l’exercice avec les chiens.

 

L’après-midi, il fait un temps déplorable, mais quand même, malgré la pluie, je vais reconnaître un terrain pour l’exercice de signalisation qui commencera demain après-midi.

Mercredi 7 août 1918

Nous partons ce soir paraît-il. Les voitures sont chargées à 7 h. Elles partent à 8 h. Notre journée est consacrée aux travaux de propreté.

Nous partons à 8 h du soir car le mouvement doit avoir lieu la nuit. Ce n’est pas bien fatiguant, nous n’allons qu’à Montreuil-sur-Brêche, 12 km, où nous arrivons la nuit.

Demain sans doute, nous y retrouverons des connaissances car nous avons déjà été cantonnés ici pendant trois semaines.

Jeudi 8 août 1918

Le sort a voulu que nous soyons cantonnés à l’autre bout du village où nous étions en 1917. Nous sommes maintenant à la place qu’occupaient en ce moment les Tirailleurs.

Mais Montreuil est bien changé depuis lors. On ne s’y reconnaît même plus tant il y a du nouveau. Une blanchisserie militaire y est installée et on a aussi aménagé la Brêche sur presque toute la traversée de Montreuil pour y installer des abreuvoirs, des lavoirs.

Il y a même jusque des bassins de natation.

Vendredi 9 août 1918

La journée est encore consacrée à l’aménagement car on s’aperçoit que nous sommes cantonnés dans une ferme où il y a la fièvre aphteuse. Alors on nous fait déménager immédiatement et on nous met dans un autre local un peu plus loin.

Les chaleurs reviennent, le temps est très chaud, mais cependant le vent souffle un peu de sorte que l’orage n’est pas trop à craindre.

Une liaison par chiens est installée entre le 1er bataillon, qui se trouve à Fresneaux, et le colonel qui se trouve à Montreuil.

Samedi 10 août 1918

Aujourd’hui, manœuvre de liaison pour la brigade.

Nous partons à 10 h du matin et nous devons être en place pour midi. Le thème consiste en une progression des régiments d’environ 10 km et de maintenir la liaison le mieux possible.

La manœuvre commence à 12 h ½ et la progression commence. Nous retraversons Montreuil pour aller nous arrêter aux abords immédiats de Thieux.

Nous rentrons à 6 h du soir brisés de fatigue et mourants de soif.

Dimanche 11 août 1918

Aujourd’hui dimanche, repos complet toute la journée, aussi je reste tranquillement couché jusque 8 h ½.

Le temps est magnifique quoique un peu lourd, mais cependant mieux vaut cela que la pluie.

 

Nous passons notre après-midi à aller voir nos anciens propriétaires où nous étions cantonnés en 1917.

Ils nous font un très bon accueil et nous invitent à revenir les voir. Ils nous annoncent certaines nouvelles des personnes que nous connaissions autrefois.

Lundi 12 août 1918

Aujourd’hui, l’exercice reprend avec toute son ampleur habituelle.

Le matin, exercice de liaison avec les chiens, le soir avec les coureurs et les signaleurs. La moisson bat son plein ici, on commence même à rentrer un peu de blé.

Mais pendant que les paysans moissonnent le grain, les poilus font aussi du bon travail dans la Somme, dans l’Oise et dans l’Aisne. 1200 canons et 70 000 prisonniers, voilà le bilan officiel depuis le 18 juillet.

Mardi 13 août 1918

Le beau temps continue, il fait encore très chaud le matin. Cependant le soir le temps se couvre puis un bon vent se lève qui rafraîchit un peu la température.

 

L’avance Franco–Britannique semble se ralentir un peu vers Roye et Chaulnes. Cela était à prévoir, mais cependant nous sommes encore de force, je crois, à leur refaire la même chose quand nous le jugerons utile. Et tout cela grâce à nos amis les Américains qui arrivent en grande quantité chaque jour.

L’année prochaine, les boches pourront très bien recevoir la pilule.

Mercredi 14 août 1918

Il fait encore très chaud aujourd’hui et sans doute que cela va encore nous amener de la pluie ou plutôt de l’orage. La moisson bat son plein et on commence à rentrer un peu de blé aujourd’hui.

Le matin, exercice dans les conditions habituelles.

 

Le soir, de 2 h ½ à 4 h ½, instruction des signaleurs de campagne.

Demain, repos toute la journée paraît-il puisque d’ailleurs c’est fête. 

Jeudi 15 août 1918

Le matin, messe militaire à 9 h puis repos. Chaleur très forte aujourd’hui.

 

L’après-midi, une fête sportive qui dure de 5 h à 9 h est organisée pour le régiment. Il constitue toute une série de concours : sauts, courses, lancement du poids, différents matchs, le tout accompagné de nombreux prix qui donnent certainement beaucoup plus d’éclat à la fête.

 

Mais vers le soir, nous avons la visite de nombreux avions boches qui viennent nous survoler et laissent tomber des bombes aux environs de Montreuil sans cependant faire de dégâts.

Vendredi 16 août 1918

Nous travaillons depuis plusieurs jours déjà à la mise au point d’un nouveau plan de liaison car on s’est aperçu au cours des dernières opérations que la liaison, telle que nous la comprenions, ne donnait pas d’excellents résultats dans la guerre de mouvement.

Aussi, il s’agit de mettre au point de nouveaux procédés. Un premier essai aura lieu demain. Le temps continue à être beau et nos troupes continuent à faire du beau travail un peu partout.

Samedi 17 août 1918

Nous partons pour la manœuvre à 4 h du matin, à 6 h le colonel arrive et nous sommes juste prêts au fonctionnement. Notre nouveau plan s’effectue et s’échelonne en suivant une progression rapide pendant 10 km et à tous les moments, les résultats obtenus sont excellents.

Nous rentrons à midi après avoir fait en tout une trentaine de km, mais nous sommes contents du résultat obtenu.

 

 L’après-midi, travaux de propreté et nettoyage du cantonnement.

Dimanche 18 août 1918

Il a tombé un peu d’eau la nuit, mais le temps est quand même superbe.

Le soleil se lève le matin de bonne heure et il fait bientôt aussi chaud que les jours précédents.

Repos toute la journée.

 

Le soir, nous assistons au concert donné par la musique du régiment sur la place de Montreuil. Une escadrille d’avions qui est, elle aussi, au repos par ici, vient évoluer au dessus de Montreuil et nous émerveille par ses tours d’acrobaties.

Lundi 19 août 1918

Nouvelle manœuvre de liaison en employant le même procédé qu’avant-hier, mais aujourd’hui nous avons en plus à notre disposition cavaliers et coureurs. Quelques canards se produisent au moment des déplacements des bataillons dans les chaînes de coureurs. C’est assez difficile de maintenir la liaison dans ces conditions au cours d’un déplacement long et rapide.

Nous rentrons encore une fois à midi mais bien fatigués car le soleil tape dur et il fait très chaud.

Mardi 20 août 1918

Il y a un an aujourd’hui que nous attaquions la côte de l’Oie, le Bois des Corbeaux et le Mort-Homme. Journée mémorable encore. Qui aurait cru alors que la guerre durerait encore un an après.

 

Ce matin, exercice de liaison dans les conditions habituelles, c’est-à-dire comme les jours précédents.

 

Le soir, repos, pour nous préparer à la marche-manœuvre de demain. Le départ aura lieu avant le jour paraît-il.

Heureusement qu’à 10 h du soir on vient nous apprendre que nous n’y assistons pas.

Mercredi 21 août 1918

Le régiment est parti en marche ce matin à 3 h 45. Nous, nous faisons dans la matinée un nouvel exercice de liaison et nous rentrons un peu plus tôt que les jours précédents.

 

L’après-midi, exercice de signalisation avec les signaleurs de compagnies. Mais au retour, on nous apprend que nous partons après-demain matin.

Nous avons, paraît-il, deux étapes à faire à pied. Nous irions à la limite de la Seine Inférieure.

Jeudi 22 août 1918

Travaux de propreté et préparatifs de départ. Nous versons les sacs dans un magasin, car ils sont emportés par des camions auto. Nous avons, paraît-il, environ 25 km à faire à chaque étape.

Nous irions à proximité d’une grande ligne de chemin de fer où nous pourrions embarquer à la moindre alerte.

 

L’après-midi est passée au chargement du matériel sur les voitures.

Départ à 1 h ½ du matin car le mouvement s’effectue de nuit à cause des avions et de la chaleur.

Vendredi 23 août 1918

À 11 h hier soir, on est venu nous annoncer que nous ne partions pas. Tout le monde se demande ce que cela veut dire.

Le matin, nous restons quand même prêts à partir et tout le matériel reste chargé. Revue en tenue de campagne et en tenue de départ à 9 h par les chefs de groupe.

Enfin, nous apprenons un peu plus tard que notre départ est remis à une date ultérieure. Mais sans doute que l’on prévoit autre chose et qu’au lieu d’aller embarquer, nous partirions dans une autre direction.

Samedi 24 août 1918

Nouvelle manœuvre ce matin ce qui nous prouve bien que notre départ est sans doute bien remis. Jusqu’à quand ?

Ma foi, nous n’en savons rien, mais ce ne sera sans doute pas pour 6 mois. La manœuvre a lieu dans les conditions habituelles. Nous réussissons à nous faire mouiller car la pluie se met à tomber peu de temps après notre départ. Mais ce n’est guère grave car dans l’après-midi, on revoit de nouveau le beau soleil

 Le bruit a couru que le régiment était à nouveau cité, mais cela est erroné.

Dimanche 25 août 1918

Repos aujourd’hui comme c’est dimanche et attractions habituelles, c’est-à-dire messe le matin et concert l’après-midi.

Nouvelle manœuvre des cadres prévue pour demain.

Vraiment, ils vont tant nous en faire faire de manœuvres qu’à la fin on en sera dégoûté. Le temps est très beau aujourd’hui, mais quand même un peu orageux et, vers le soir, la pluie tombe à nouveau, mais ça dure très peu de temps.

Lundi 26 août 1918

Départ pour la manœuvre à 4 h du matin et nous sommes sur nos emplacements avant le lever du jour.

La manœuvre commence à 9 h ½ et dure jusque 11 h, de sorte que nous ne rentrons du cantonnement que vers midi et demie, bien fatigués car il fait une chaleur étouffante. L’après-midi nous avons travaux de propreté mais nous allons, paraît-il, recommencer la manœuvre après-demain car aujourd’hui il paraît que ça n’a pas été très réussi.

En tout cas demain, pour commencer, nouvelle manœuvre de liaison.

Mardi 27 août 1918

On nous a appris ce matin, ou plutôt cette nuit, que nous partons ce matin en autos. En effet, vers 6 h, les autos arrivent et nous embarquons.

Adieu Montreuil et aussi adieu le repos, il est certain que nous remontons au front. Nous traversons Compiègne, puis la forêt et nous débarquons un peu plus loin qu’Attichy où nous étions cantonnés dernièrement. Mais nous sommes ici pour attaquer sans doute car il y a affluence de tanks et de troupes.

Nous allons cantonner à Croutoy.

Mercredi 28 août 1918

Nous quittons Croutoy vers 2 h du matin et nous traversons Vic-sur-Aisne pour aller vers Berny où nous arrivons vers le lever du jour.

On nous campe dans les bois voisins du village. Nous repartons cette nuit paraît-il, pour prendre nos positions de combat qui sont encore distantes d’ici d’une dizaine de km.

 

Dans l’après-midi, distribution de vivres de réserve et de vivres frais pour la journée de demain

 Le temps est brumeux, mais pas de pluie quand même.

Jeudi 29 août 1918

L’attaque est pour ce matin.

Nous partons de nos emplacements et nous commençons à marcher en avant. Nous avons devant nous une division américaine qui attaque en profondeur et nous devons prendre l’attaque à notre compte qu’après une progression des Américains de 10 km.

 

Nous marchons jusqu’à environ 2 km de nos lignes puis nous nous arrêtons. Nous passons là le reste de la journée.

Nous sommes en position à hauteur et au sud de Bieuxy. Sans doute que l’attaque n’a pas marché dans les conditions prescrites.

Vendredi 30 août 1918

Nous avons passé la nuit sur les mêmes emplacements. Il paraît que les Américains sont tombés sur des Chasseurs saxons qui les ont reçus chaudement. Ils devaient même nous attaquer quelques heures plus tard. Mais quand même, les Américains n’ont pas pu atteindre leurs objectifs.

 

Le temps est très très sombre et sans doute aurons-nous de la pluie cette nuit. Cela ne sera pas intéressant car nous n’avons ni capote ni couvre-pieds, tout juste une toile de tente pour nous couvrir.

Samedi 31 août 1918

Nous avons encore passé la nuit au même endroit. On dit que les Américains qui ont de nouveau attaqué ce matin ont quand même pu s’emparer de Juvigny. Mais leurs pertes sont rudes dit-on.

 

Le soir, on nous apprend que nous partirons sans doute cette nuit, aussi nous restons levé jusqu’à 11 h ½ du soir mais comme rien ne vient, on se couche quand même.

Il ne fait pas bon à rester levé, il fait un froid terrible qui nous coupe en deux.

Septembre 1918

Dimanche 1er septembre 1918

Nous avons encore passé la nuit ici et la journée, mais quand même, il paraît que c’est pour ce soir que nous partons vers les premières lignes.

La cuisine nous apporte un repas de vivres froid et on nous apprend que nous partons vers 11 h du soir.

 

La journée a été calme, mais cependant marquée par une assez grande activité d’aviation pendant les éclaircies.

L’artillerie a aussi pas mal tiré pendant la deuxième partie de la nuit.

Lundi 2 septembre 1918

Nous sommes partis à 11 h ½ et nous sommes sur nos emplacements à 3 h. Je marche avec le deuxième bataillon qui est d’assaut.

Nous sommes de réserve à hauteur et légèrement à gauche du village de Juvigny. Nous apprenons que l’attaque a lieu à 14 h et à la même heure, nous commençons nous aussi à progresser.

La Légion est en première ligne. Elle enlève assez rapidement le village de Terny-Sorny mais se trouve arrêtée par les pentes au-delà de Terny. Le Boche résiste avec un acharnement qu'on lui connaît peu souvent.

Mardi 3 septembre 1918

On essaie, dès le matin, de continuer la progression, mais nous ne réussissons tout au plus qu’à prendre quelques éléments de tranchées, et au prix de pertes très élevées. Les tanks eux-mêmes, malgré tout l’acharnement qu’ils y mettent, ne peuvent plus nous aider et sont obligés de revenir vers leurs positions de départ.

En attendant, la lutte d’artillerie se fait des deux côtés d’une violence inouïe et les gaz nous font beaucoup de pertes.

Mercredi 4 septembre 1918

J’étais parti hier avec le bataillon d’assaut mais aujourd’hui, sur l’ordre du colonel, on me fait rentrer au P.C.

 

Vers midi, l’adjudant-chef est blessé et cela provoque un peu de panique car beaucoup parmi nous ignorent les petits ressorts de la liaison et voilà le principal chef qui disparaît. Un camarade pour moi beaucoup plus qu’un supérieur.

La lutte d’artillerie continue avec un acharnement inouï.

 

Le soir, à la tombée de la nuit, un obus tombe près de moi et tue le camarade avec qui je causais. Par une chance exceptionnelle, je n’ai rien du tout.

Jeudi 5 septembre 1918

On nous apprend que demain aura lieu une grande attaque générale.

En attendant, nos pertes deviennent tous les jours de plus en plus fortes. Mais tout à coup, vers midi, un bruit court : attaque immédiate. Les boches s’en vont et se replient sur la ligne Hindenburg.

 

La progression commence.

Les Zouaves talonnent l’ennemi qui voit sa retraite beaucoup plus précipitée qu’il ne l’aurait voulu. Nous atteignons et dépassons Neuville-sur-Margival avant la nuit et le colonel y installe son P.C. pour la nuit.

Vendredi 6 septembre 1918

La nuit a été calme à part un grand mouvement de notre artillerie qui se porte en avant. Dès le lever du jour, notre progression continue. Nos troupes atteignent la voie ferrée, La Fère-St Quentin et le tunnel que les boches ont d’ailleurs eu soin de faire sauter.

Puis Laffaux à droite et Vauxaillon à gauche tombent entre nos mains et nos troupes se portent sur les crêtes en avant de ces villages et trouvent là les premiers éléments de la ligne Hindenbourg où d’ailleurs nous nous heurtons à une résistance acharnée.

Samedi 7 septembre 1918

La journée a été à peu près calme.

Chaque unité reprend son emplacement, sa formation. Le P.C. du colonel se porte en avant de Neuville-sur-Margival dans des abris boches. La lutte d’artillerie recommence avec la dernière violence.

Nous recevons pas mal de gaz, mais ce qui nous console, c’est que toute notre artillerie crache aussi bien fort.

 

Le temps s’assombrit un peu et sans doute aurons-nous bientôt de la pluie. Vivement la relève car tout le monde commence à être bien fatigué.

Dimanche 8 septembre 1918

À trois reprises différentes dans le courant de la journée, nos troupes, fortement appuyées par l’artillerie, essayent de progresser un peu, mais ils ne peuvent même pas sortir la tête.

La lutte d’artillerie fait rage. Ici, un ravin très profond nous sépare de nos bataillons et il a l’avantage d’être intraversable 23 heures sur 24 tous les jours. On ne peut y tenir aucune liaison.

Cependant nous essayons une liaison par chiens qui fonctionne assez bien une partie de la journée.

Lundi 9 septembre 1918

Nous installons une liaison optique au-dessus du fameux ravin car c’est effrayant ce qu’il y a eu de blessés hier en essayant de traverser ce fameux ravin. Cette liaison marche très bien et elle évitera sans doute à pas mal d’hommes de passer le ravin.

Un de mes chiens de liaisons est blessé par un éclat d’obus à la tête et je suis obligé de le renvoyer à l’arrière.

Violent bombardement par obus à gaz. De nouveau, plusieurs blessés dans mon groupe.

Mardi 10 septembre 1918

Nos éléments avancés livrent pendant toute la journée un violent combat à la grenade dans un dédale de boyaux qui nous mène au haut de la crête.

Mais nos pertes sont à nouveau sérieuses. Un des hommes du chenil est blessé à son poste et deux autres chiens sont également disparus et un blessé.

On nous apprend que nous devons encore attaquer dans deux jours paraît-il pour une progression d’environ deux km, mais je me demande si nous aurons encore cette force là. Nous n’avons presque rien à manger et nous ne dormons pas.

Mercredi 11 septembre 1918

Le P.C. du colonel se déplacera sans doute demain matin pour passer de l’autre côté du ravin. Ce n’est pas dommage car ce fameux ravin ne nous disait rien qui vaille.

La pluie tombe depuis hier. Nous sommes tous trempés et remplis de boue, et on cause beaucoup plus de nous faire attaquer encore après-demain que de nous relever. Je me demande à quoi ils pensent.

La lutte d’artillerie continue toujours avec la même violence.

Jeudi 12 septembre 1918

À la levée du jour, nous nous portons tous, avec le P.C. du colonel, de l’autre côté du fameux ravin de Vauxaillon. D’après les documents et les instructions, nous allons probablement attaquer demain, et puis ensuite la relève viendra-t-elle ?

Et ce ne sera pas dommage.

Un malheureux obus nous met hors de combat tout le poste de T.S.F. sauf le caporal. Vraiment, ce n’est pas tenable ici. Presque rien à manger, pas dormir et beaucoup travailler.

Et pendant ce temps, la pluie tombe.

Vendredi 13 septembre 1918

Le matin, à la première heure, se déclenche une violente attaque boche. L’ennemi réussit à s’infiltrer entre les Zouaves et les Chasseurs et parvient jusqu’à 150 m du P.C. du colonel.

Nous prenons les armes et nous nous apprêtons à défendre le P.C. Mais une énergique contre-attaque repousse l’ennemi à sa position de départ.

Il laisse néanmoins entre nos mains quelques prisonniers et de nombreux morts.

Violent bombardement à gaz.

Samedi 14 septembre 1918

La préparation d’artillerie a duré toute la nuit et nous attaquons ce matin à la première heure. La droite atteint rapidement le premier objectif, mais à gauche le 2e bataillon se heurte à une forte résistance sur la tranchée de Lorient.

 

Il ne parvient à s’en emparer qu’en fin de journée au prix de pertes très élevées ce qui nous oblige à interrompre notre progression.

On m’envoie établir un poste optique, mais nous nous trompons de boyau, nous allons chez les boches qui nous reçoivent plutôt mal. Mais nous nous en tirons sans casse.

Dimanche 15 septembre 1918

Toute la nuit, un violent bombardement à gaz a eu lieu et les hommes sont à moitié morts. Nos pertes sont très lourdes. Les boches essaient quand même de contre-attaquer mais ne peuvent pas réussir.

 

Vers midi, les reconnaissances de relève arrivent et nous serons sans doute relevés la nuit prochaine. Vraiment, ce n’est pas dommage. Nous sommes hors d’état d’opposer une sérieuse résistance à l’ennemi si celui-ci voulait attaquer un peu sérieusement.

Toujours le même bombardement à gaz.

Lundi 16 septembre 1918

La relève s’effectue dans des conditions très difficiles. Plus que jamais, l’ennemi a envoyé des obus à gaz la nuit dernière et notre relève n’est enfin terminée que vers 7 h du matin.

Nous prenons la direction de Juvigny et nous allons cantonner dans les bois au sud de ce village. Nous passons là la journée et nous repartons paraît-il demain matin pour nous aller plus à l’arrière.

On peut enfin manger un peu à son appétit et se changer de linge. Après 18 jours de tranchées, c’est appréciable.

Mardi 17 septembre 1918

Un orage formidable nous a assailli cette nuit. En un rien de temps, nous nous sommes trouvés dans l’eau.

Nous partons à la pointe du jour et nous allons, paraît-il, cantonner à Ressons-le-Long. Ce village était bombardé mais depuis l’offensive du 18 juillet, il se trouve bien loin des lignes.

Quelques civils commencent à venir réhabiter les coins qui ne sont pas trop abîmés. Nous arrivons à l’étape brisés de fatigue. On sent bien que nous sommes tous très faibles.

Mercredi 18 septembre 1918

Nous passons la journée d’aujourd’hui à Ressons-le-Long pour reprendre un peu de force car nous partons demain, paraît-il pour aller au repos. Mais le déplacement qui comprend au moins trois étapes se fera à pied.

Les dames de la Croix Rouge américaine qui installent un hôpital ici viennent rendre visite au chenil et demandent à assister à quelques expériences.

La pluie tombe un peu dans le courant de la journée, mais ça ne dure pas.

Jeudi 19 septembre 1918

Départ à 5 h du matin.

La pluie tombe au départ, cesse ensuite, puis vient de nouveau à tomber comme nous arrivons à l’étape. Nous passons par Dommiers, St-Pierre-Aigle.

Nous retraversons en biais ce terrain que nous avons reconquis il y a juste deux mois. Mais aujourd’hui le calme commence à y régner. Nous cantonnons dans les ruines de Corcy, village qui a lui aussi été occupé par les Allemands il y a deux mois et dont il ne reste plus grand’chose debout.

Vendredi 20 septembre 1918

Nous quittons Corcy à 6 h du matin.

Enfin, nous entrons dans la zone qui n’a pas été démolie par l’ennemi. On commence à revoir les civils. Nous traversons La Ferté-Milon et Mareuil-sur-Ourcq pour aller cantonner à 18 km de Meaux.

C’est la bonne direction que nous prenons, mais il est temps que nous arrivions car je ne tiens plus debout. Je suis très pris de la poitrine et souffre pour marcher. Je tousse aussi beaucoup.

Samedi 21 septembre 1918

Demain, étape de 12 km pendant lesquels nous longeons l’Ourcq puis la Marne. Joli point de vue.

Après trois heures de marche, nous arrivons à Germigny-L’Evêque où nous cantonnons. Nous sommes ici très bien, à 6 km à peine de Meaux, à 40 km de Paris. Mais il paraît que nous n’y resterons pas encore bien longtemps.

 

La pluie tombe aujourd’hui une partie de la journée, aussi on ne peut guère sortir. Je loge dans une jolie chambre au premier sur les bords de la Marne.

Dimanche 22 septembre 1918

Belle journée aujourd’hui, aussi j’en profite pour aller faire un tour à Meaux à 6 km de nos cantonnements. Ici, on trouve à peu près ce que l’on veut, mais tout devient d’un prix exagéré. La Légion est cantonnée ici à Meaux.

 

La pluie commence à tomber vers le soir et je rentre bien mouillé, mais quand même, je ne suis pas fâché de ma promenade. Meaux, comme ses alentours d’ailleurs, est une jolie petite ville où on resterait volontiers.

Mais malheureusement nous partons ce soir.

Lundi 23 septembre 1918

Nous embarquons ce soir paraît-il, et nous irions aux environs de Gondrecourt.

La matinée est passée au chargement des voitures et du matériel. Nous mangeons la soupe à 4 h du soir et nous quittons Germigny-L’Evêque à 5 h, musique en tête. Nous avons 9 km à faire pour nous rendre à la gare d’embarquement où nous arrivons à 7 h ½. Nous embarquons peu après, mais notre train ne part qu’à 11 h du soir.

Nous pourrons sans doute dormir un peu car nous ne sommes pas tassés dans les wagons.

Mardi 24 septembre 1918

Nous nous réveillons à 6 h du matin à Bar-le-Duc.

Nous passons ensuite à Revigny, puis on nous arrête deux gares avant Gondrecourt. On croyait débarquer mais on repart à nouveau. Nous passons par Toul et Nancy puis St-Nicolas-de-Port. Nous débarquons à Einvaux un peu avant d’arriver à Bayon.

Je suis déjà venu dans cette région quand nous étions à Toul, suivre un cours au chenil de l’armée. Nous allons cantonner à Clayeures.

Mercredi 25 septembre 1918

Nous commençons à nous installer dès le matin, car hier soir, vu l’heure tardive, nous nous sommes casés n’importe où. Les cantonnements sont assez bien. Le village est tout petit, mal bâti et sale, mais les gens y sont aimables, et c’est déjà un grand point.

On commence le nettoyage complet et ce n’est pas une petite affaire car nous en avons grandement besoin.

Tout le monde souffre encore des gaz. On peut à peine causer et on tousse énormément, surtout la nuit et le matin.

Jeudi 26 septembre 1918

Aujourd’hui, je suis de jour.

Le travail ne manque pas. Ce sont des revues de matériel, des compléments d’armes, d’équipements, des distributions d’effets. Ca n’arrête pas de toute la journée.

En surplus de cela, il faut encore établir une liaison optique et une liaison par chiens avec la brigade.

 

Le temps est très beau aujourd’hui, mais quand même, les nuits sont très froides, surtout à la pointe du jour. Les champs sont encore pleins de raisins, les vendanges ne sont pas faites encore.

Vendredi 27 septembre 1918

La journée d’aujourd’hui est encore laissée aux hommes pour se nettoyer et aménager leurs cantonnements.

 

L’après-midi, je passe une revue de matériel de signalisation aux 1e et 2e bataillons et je leur complète le matériel manquant.

 

Le soir, revue de cantonnement, d’armes, d’équipements, de chaussures et de vêtements un peu avant la soupe. Je continue à tousser énormément, aussi je vais voir le major qui me soigne un peu.

Temps sombre aujourd’hui.

Samedi 28 septembre 1918

Revue de cantonnement, d’armes, de matériel, de munitions, de vêtements, en un mot ce que doit avoir le soldat en campagne, afin de s’assurer de ce qui est bon ou de ce qui a été détérioré.

 

L’après-midi, douches pour toute la compagnie Hors Rang en commençant par la liaison.

 

Le soir, à 5 h, concert sur la place du pays, mais cela n’a rien d’attrayant car il ne reste plus guère de musiciens, beaucoup ayant été touchés au cours des dernières affaires.

Dimanche 29 septembre 1918

Aujourd’hui dimanche, repos toute la journée mais je suis de jour et je passe presque toute la journée au cantonnement à la réparation de ma bécane qui est en mauvais état depuis les dernières affaires. Elle a traîné un peu partout et a besoin de réparations.

 

Le soir, avec quelques camarades, nous allons manger du raisin dans les vignes autour du pays.

Temps sombre toute la journée, mais contrairement à nos prévisions, il ne pleut pas.

Lundi 30 septembre 1918

La matinée est constituée à la réorganisation de C.R. Je deviens chef du C.R.O. Nous recevons aussi quelques hommes de renfort qui nous permettent de recompléter nos équipes les plus démolies.

Puis rassemblement de sous-officiers pour les propositions de citations avec motif et pour les propositions de nomination aux grades de caporal et de sergent. Demandes de matériel également.

Temps un peu meilleur aujourd’hui mais quand même bien froid surtout le matin et le soir.

Octobre 1918

Mardi 1er octobre 1918

Le temps continue à être très beau aujourd’hui et nous commençons les exercices de la manière suivante :

Le matin, lecture au son pour tout le monde sauf pour le chenil. Le soir, tous les jours, manœuvre de liaison. Cela commence aujourd’hui.

Je commence le matin l’organisation d’un réseau optique qui nous permettra de faire de l’optique à grande distance en évitant aussi de faire faire des kilomètres inutiles à ceux des signaleurs de bataillon qui sont loin de nous.

Mercredi 2 octobre 1918

Le matin, nous nous conformons au programme donné il y a quelques jours.

L’après-midi, manœuvre de liaison à laquelle je n’assiste que pendant la première partie, puis je rentre au cantonnement où je passe un examen à tous les signaleurs de compagnie, de manière à prendre les plus qualifiés pour combler les vides dans les états-majors de bataillon. Ce travail me tient occupé jusque bien tard dans la soirée. Belle journée aujourd’hui.

Jeudi 3 octobre 1918

Brouillard intense ce matin, de sorte que nous ne pouvons faire d’optique. Il fait également très froid. Cela n’est pas étonnant paraît-il en ce pays. Nous sommes près des Vosges ce qui sans doute nous amène ce froid.

Même travail qu’hier pour la matinée.

 

Le soir, manœuvre de liaison et j’y assiste tout du long aujourd’hui. Ce n’est pas trop fatiguant et surtout très intéressant car comme paysage, ce pays très accidenté et très boisé est vraiment bien joli.

Vendredi 4 octobre 1918

Encore un peu de brouillard aujourd’hui, mais quand même une belle journée.

 

Le matin, programme habituel. Nous recevons un renfort de T.P.S. et T.S.F. qui va nous permettre de mettre nos équipes à peu près au complet.

 

Le soir, travaux de propreté car il y a marche de nuit.

Départ à 6 h paraît-il. Nous nous rassemblons, mais la pluie commence à tomber de sorte qu’on nous fait rentrer et cette fameuse marche est remise à une date ultérieure. Je souffre de nouveau passablement de la gorge et de la poitrine.

Samedi 5 octobre 1918

Soleil magnifique qui nous fait oublier les frimas du matin.

Le matin, revue d’appareils et échange ou réparation de ceux qui sont détériorés au D.T.D.M. Je vais voir le major cette après-midi car je tousse énormément.

Il m’ausculte soigneusement et finalement me fait appliquer 20 ventouses. C’est un traitement peu douloureux et je souhaite qu’il soit efficace, mais j’ai peine à y croire.

Le groupe passe dans la chambre à gaz aujourd’hui à Einvaux, à 2 km de Clayeures.

Du dimanche 6 octobre au mercredi 23 octobre 1918

Permission

Jeudi 24 octobre 1918

Déjà, voici ma permission de passée. Il faut reprendre le chemin de la bataille car c’est aux tranchées que je vais retrouver le régiment que j’ai quitté au repos. Je reprends le train à Remilly à 9 h ½.

Dès Lumbres, je rencontre un camarade du 8e qui vient de convalescence et nous faisons route ensemble. Nous arrivons à Hesdigneuil à 1 h de l’après-midi et nous devons attendre jusque 8 h du soir le train de Paris.

Vendredi 25 octobre 1918

Nous avons voyagé toute la nuit et nous nous éveillons à Rouen. Nous avons bien dormi car nous n’étions que 3 dans un wagon de première et nous avons pu nous allonger. Nous arrivons à Noisy-le-Sec à 7 h du soir.

Là, on nous apprend que nous n’avons pas de train jusqu’au lendemain à 8 h ½ du matin.

Donc nous voici encore obligés de passer une nuit sur une planche dans la gare. Il est absolument défendu de sortir.

Samedi 26 octobre 1918

Nous quittons Noisy-le-Sec vers 9 h du matin et le voyage recommence. C’est Meaux, Château-Thierry, Épernay, Châlons, Vitry-le-François puis Favresse, nouvelle gare régulatrice où tout le monde descend.

C’est déjà tard dans l’après-midi quand nous y arrivons, mais nous avons grandement le temps de nous restaurer. Notre train ne repart que vers le milieu de la nuit avec plusieurs heures de retard.

Dimanche 27 octobre 1918

Enfin, à 10 h du matin, après 3 fois 24 heures d’un voyage éreintant, on nous débarque à St Nicolas. Nous mangeons, puis à 2 h ½, nous prenons un Duneuville qui nous conduit jusqu’à Réméréville, puis 2 km à pied et nous voilà à Erbéviller à 3 km des lignes où se trouve le P.C. du colonel.

En cours de route, j’ai rencontré Théophile Bonnière qui portera à Cléty la nouvelle de mon retour à bon port car il s’en va en permission.

Lundi 28 octobre 1918

Et de nouveau, m’y revoilà, au milieu de ceux qui sont mes camarades de souffrance et de plaisir. Secteur d’un calme complet.

À peine quelques coups de canon pour faire voir, des deux côtés, que l’on est là. Nous sommes à environ 3 km des premières lignes, et depuis 1914, le village n’a jamais été bombardé.

Quant à moi, j’habite avec mes collègues dans un abri au milieu des bois où nous sommes très bien.

Mardi 29 octobre 1918

La journée d’aujourd’hui, je la passe en reconnaissance dans le secteur. Reconnaissance des postes optiques, des postes téléphoniques et de tous les moyens de liaison. Mais à loin près, je ne verrai pas tout aujourd’hui car il y en a énormément.

Je monte jusqu’en première ligne et avec une bonne jumelle, on voit très facilement les boches se balader. Mais c’est un calme vraiment complet.

J’ai rarement vu de secteur ainsi.

Mercredi 30 octobre 1918

Toute la nuit, nous avons entendu sur les routes ce mouvement qui rappelle les préparatifs d’attaque.

Au réveil, quelle n’est pas notre surprise de voir que, dans tous les coins, à la faveur de la nuit, on a amené des canons. Ce grand calme ne serait-il donc que le précurseur de l’orage ?

En tout cas, je continue ma reconnaissance un peu partout et je m’assure moi-même des liaisons pour que tout marche au moment voulu.

Jeudi 31 octobre 1918

Cette nuit, comme la nuit dernière, les camions n’ont pas cessé d’amener canons et munitions. Un coup de main assez fort, paraît-il, doit avoir lieu sous peu.

Peut-être est ce là la cause de tous ces préparatifs.

Je ne sais si les boches s’en sont aperçus ; mais ils ont fortement hypérité le village de Moncel qui se trouve en première ligne et nous ont forcé à l’évacuer. Mais notre artillerie répond vertement à ces Messieurs qui jouent avec les gaz.

Novembre 1918

Vendredi 1er novembre 1918

Le matin de bonne heure, je suis appelé au bureau du colonel qui m’envoie à Clayeures pour chercher son chien qui s’est égaré au cours de notre séjour là-bas.

Je pars en bicyclette le matin à 9 h.

La route est longue : 42 km mais les routes sont bonnes et après deux heures de bécane, j’arrive à Einvaux où je commence mes recherches qui seront sans doute infructueuses.

Samedi 2 novembre 1918

J’ai couché à Clayeures chez des civils où j’ai dormi comme un loir.

Mais le matin au réveil je commence mes recherches.

J’explore tous les villages environnants, voit les autorités civiles et militaires et ne trouve absolument rien. La pluie commence à tomber. Je pousse jusque Bayon car je suis obligé de chercher du pain dans les coopératives militaires car on refuse de m'en vendre partout où je passe, ailleurs que dans les coopératives.

Dimanche 3 novembre 1918

Il pleut.

Cependant, je reprends mes recherches. Toujours rien. Je les pousse même jusqu’à Épinal, charmante petite ville.

 

Le soir, à mon retour, je casse une pédale à ma bécane et je serai donc obligé de rentrer par le train.

À mon retour à Clayeures, je suis invité à passer la soirée chez la personne où nous mangions lors de notre passage ici.

Bonne soirée agrémentée par la présence de plusieurs demoiselles et sous-officiers d’artillerie cantonnés dans le village.

Lundi 4 novembre 1918

Je quitte à nouveau Clayeures pour rejoindre mon régiment cette fois.

Il pleut toujours.

Je reprends le train à la gare d’Einvaux à 9 h ½ du matin pour descendre à St Nicolas une heure après.

Je fais un tour dans la ville, mais comme il n’y a rien de bien intéressant, je reprends ma bécane à la main et je m’en vais vers Erbéviller où j’arrive dans la soirée, à temps cependant pour me mettre à table.

Mardi 5 novembre 1918

Me voilà de nouveau ici.

Dès le matin, je vais rendre compte que mes recherches sont restées sans résultat et je reprends immédiatement mon service. Un coup de main a lieu cette nuit. La division réclame des prisonniers car elle veut identifier les troupes devant nous.

Je vais, à la tombée de la nuit, installer un téléphone jusque l’endroit où sera la passerelle qui permettra aux hommes du coup de main de traverser la Loutre.

Mercredi 6 novembre 1918

Les succès des armées alliées deviennent tous les jours de plus en plus conséquents. L’Autriche en révolution s’est retirée de la lutte en acceptant toutes nos conditions.

 

Pendant ce temps, les Français sont à Sedan, aux portes de Mézières et de Maubeuge, et dans quelques jours une nouvelle grande offensive va se déclencher ici. Le coup de main d’hier n’a pas donné de résultat, aussi on recommence ce soir, mais les boches nous reçoivent à coup de grenades.

Bredouilles encore une fois.

Jeudi 7 novembre 1918

Réveil en sursaut à 5 h du matin. On m’apporte le texte d’un radio boche capté par notre poste de T.S.F. annonçant que l’Allemagne envoie des parlementaires pour traiter un armistice. Comment ?

Serait-ce donc déjà la fin ?

L’Allemagne laissée seule se résignerait-elle déjà à la capitulation ?

Alors bientôt la réponse française, puis les boches envoient à nous. Enfin, on apprend que les plénipotentiaires viendront cette nuit.

Vendredi 8 novembre 1918

Les parlementaires boches sont arrivés.

Ils ont demandé une suspension d’armes qui leur a d’ailleurs été refusée. Puis ils sont repartis en Allemagne avec les conditions de l’armistice. Ils devront être de retour lundi avant 11 h du matin.

Pendant ce temps, ce sont toujours ici les préparatifs les plus enragés.

Peut-être attendra-t-on quand même la réponse allemande mais ce sera tout juste.

Samedi 9 novembre 1918

La journée est sans doute une de celles les plus longues de la guerre. Et dire que cette attente anxieuse durera encore jusque après-demain.

On se demande si vraiment c’est bien possible que ce soit la fin de cette vie affreuse d’où nous sortirons à l’état d’abrutissement complet. Cependant, de part et d’autre, on se sent nerveux.

On tire pas mal de coups de canon et les boches répondent. Pendant ce temps, on prépare toujours l’attaque.

Dimanche 10 novembre 1918

Quelle journée, Bon Dieu !

On se demande si vraiment c’est la fin ou si nous allons de nouveau bondir en avant. Mais vaudrait mieux tout plutôt que cette incertitude. On se regarde comme des chiens de faïence sans pour ainsi dire se causer.

Tout le monde a la même pensée : la fin ! ! !

Depuis que l’on cause de cela, on y pense réellement. Auparavant, on se figurait que la guerre aurait toujours duré.

Lundi 11 novembre 1918

Que d’émotions aujourd’hui !

Quelle journée !

Réveil à 3 h du matin. On se demande ce que cela veut dire. Nous attaquons à la pointe du jour. Donc, plus de doute possible, l’Allemagne a refusé les conditions de l’armistice.

On se prépare.

Nous rejoignons chacun notre poste, non sans avoir fait le serment de passer par les armes le premier boche que nous rencontrerons.

L’attaque est à 6 h ½. Déjà le long de la Seille, au milieu d’un profond brouillard, le bataillon est massé. J’attends leur départ pour suivre.

 

Tout à coup, on me remet un pli. Oh ! Surprise ! : « Armistice signé ». L’attaque n’a pas lieu. Vite, nous rejoignons Erbéviller où, avec les copains, un bon déjeuner arrosé d’une bouteille de champagne nous attend.

 

À 11 h, cessation des hostilités. Enfin fini, c’est fini. On ne se bat plus, est-ce bien possible ? Ne sommes nous pas en train de rêver ?

Mardi 12 novembre 1918

Je me réveille et je me demande ce qui s’est passé. Partout on chante, on crie, on joue. Le calme partout, puis le soleil lui même a voulu être de la fête.

Peu à peu, je me rappelle. En effet, c’est fini, bien fini cet affreux cauchemar. On se demande si cela se peut. Quatre mois à peine se sont écoulés depuis le jour où commença la série des victoires des Alliés.

Ce 18 juillet, où commença l’offensive française est inoubliable.

Mercredi 13 novembre 1918

Plus un coup de canon, plus de casque sur la tête, plus l’inséparable masque au côté. Cartouches, fusils, grenades sont reversés dans les dépôts et nous voici prêts à partir en troupes d’occupation.

Mais je crois que ce ne sera pas encore avant quelques jours car l’armistice donne à l’Allemagne un assez long délai pour évacuer la rive gauche du Rhin. Nos conditions sont assez lourdes paraît-il.

Jeudi 14 novembre 1918

Que vais-je mettre maintenant sur les feuilles vierges de mon carnet de route ? Je me le demande. Il me faudrait un livre pour détailler toutes les impressions ressenties depuis le début de la guerre, mais surtout depuis que c’est fini.

Et au pays eux aussi ne doivent-ils pas être en joie : Papa, Maman, Julienne, Kléber, Malvina, Marie-Louise. Maintenant ils sont sûrs que je leur reviendrai un jour.

Vendredi 15 novembre 1918

Le bruit court que nous partirons d’ici après-demain pour commencer à marcher en avant et pour aller faire de l’occupation.

Enfin, ce n’est pas trop tôt, on commence à en avoir assez d’Erbéviller. Mieux vaut aller voir un peu de l’autre côté comment ça se passe. Nous allons voir les travailleurs sur la Loutre qui sont en train de fabriquer des ponts. Ces ponts peuvent déjà permettre le passage des voitures et de la troupe.

Belle journée mais froide.

Samedi 16 novembre 1918

À 4 h du matin, réveil en vitesse. On nous annonce immédiatement que nous partons à 5 h, alors que j’ai au moins pour 3 heures de travail pour le chargement des voitures. Mais on travaille ferme et c’est encore vite terminé.

Mais on attend vainement jusque 10 h du matin, heure à laquelle on nous annonce que nous partons que le lendemain.

Vraiment ce n’était guère la peine d’aller si vite ce matin. 

Dimanche 17 novembre 1918

Ca y est, aujourd’hui, nous partons à 9 h du matin.

Nous traversons Sornéville puis Moncel, puis enfin le pont fait sur la Loutre Noire et nous voilà chez eux. Nous marchons et nous trouvons à peu près la même chose que chez nous.

Nous traversons quelques petits villages qui sont pour ainsi dire déserts et où on voit à peine un drapeau français, puis nous voici devant Château-Salins. Féérique le spectacle : pas une maison qui ne soit ornée d’une multitude de drapeaux. La foule entonne la Marseillaise sur notre passage. Nous défilons devant le général.

Partout, on entend que crier : « Vive la France ! » et « Vive l’armée », puis la foule nous suit. Chaque Zouave a un civil de chaque côté de lui qui lui demande une foule de choses. Nous sommes ainsi escortés jusque Wuisse où nous cantonnons et où nous recevons de la part des civils le même accueil.

Lundi 18 novembre 1918

Le matin, à la première heure, nous repartons.

Même enthousiasme partout. De tous les côtés, ce ne sont que des drapeaux et des cris de « Vive la France ». Nous arrivons à Bendorf où nous devons cantonner.

Dans le village, même enthousiasme, mais ma compagnie loge à la gare où nous devons organiser un service d’ordre et surveiller le personnel.

Moi, pour ma part, je suis spécialement chargé de la surveillance de la Poste car tout le personnel est franchement allemand.

Mardi 19 novembre 1918

Nous passons la journée d’aujourd’hui ici. Il arrive à la gare plusieurs trains de militaires prisonniers qui reviennent et aussi des boches qui sont démobilisés et qui reviennent chez eux.

Un train venant de France arrive également et nous amène notre ravitaillement. C’est le premier train venant de France depuis la guerre.

 

Dans l’après-midi, un bataillon s’en va pour un autre pays où des émeutes auraient eu lieu.

Mercredi 20 novembre 1918

Nous partons à 6 h du matin de Bendorf que je quitte sans regret car nous avons été pendant 48 heures au milieu de ces employés boches qui m’ont fait mauvaise impression.

 

Au bout de 10 km, nous arrivons en vue d’un village. Les cloches se mettent à sonner et nous voyons arriver vers nous 160 jeunes filles costumées en lorraines qui viennent vers nous et chantent la Marseillaise. Nous avons le meilleur accueil dans le village.

Le groupe de jeunes filles nous accompagne encore pendant 2 km et arrêtant le régiment, demandent qu’on leur joue la Marseillaise.

 

Puis nous arrivons à Sarralbe.

Là comme accueil, c’est encore pis. Le régiment est arrêté, les civils emmènent chez eux deux ou trois Zouaves par le bras et les font marcher.

Pour ma part, un souper merveilleux m’attend, et ensuite un bon lit pour la nuit ce qui est très intéressant.

Jeudi 21 novembre 1918

Jour de fête aujourd’hui.

À midi, cérémonie officielle. Remise de la ville au général qui en prend possession au nom du gouvernement. Puis concert. Dans les rues, Zouaves, hommes, femmes et enfants se promènent bras dessus, bras dessous. Les gens que vous rencontrez vous crient :

 

« Bonjour, frère de France ».

 

Quelques-uns vous embrassent. Des vieux aux cheveux tout blancs se promènent avec des cocardes à leurs chapeaux et sur leurs habits la médaille de 1870.

On danse partout, à chaque coin de rue, au son des accordéons. De jeunes Lorraines se promènent dans les rues avec des brassées de lauriers qu’elles offrent à tous les Zouaves.

 

À la nuit, on entend chanter dans chaque maison. Les cafés regorgent de monde et on danse dans chaque café.

 

Le soir à 7 h, retraite aux flambeaux.

Des milliers de personnes, hommes, femmes, enfants, Zouaves se promènent dans les rues en chantant avec des torches allumées, et cette vie là dure jusqu’à 2 ou 3 h du matin.

Vendredi 22 novembre 1918

Et voilà, ce matin il nous faut partir vers de nouveaux horizons. Plus d’un joli minois laissera couler une larme en voyant partir les Zouaves ce matin, mais nous ne sommes pas encore au bout de notre voyage et il faut continuer.

Froid terrible et plus d’un Zouave doit certainement avoir mal aux cheveux ce matin et un cafard terrible.

Pour ma part, je me suis bien amusé ; mais sérieusement, ces Lorraines sont adorables, blondes comme les blés, mais elles ne valent pas Marie-Louise. Nous arrivons à Bettviller dans l’après-midi, même accueil que partout.

Samedi 23 novembre 1918

On s’éveille à 5 h et on apprend que nous ne partons pas aujourd’hui. J’ai dormi chez un Boche qui a fait campagne pendant quatre ans, mais quelle amabilité et quelle platitude. Le matin, on nous apporte une table couverte de gâteaux, de confiture, de beurre, et du café au lait. Je ne refuse pas car je pense qu’ils ont fait bien des repas en France pendant ces 4 ans. Froid terrible, il gèle à pierre fendre.

Dimanche 24 novembre 1918

Nous ne partons pas encore aujourd’hui. On dit même que nous resterons encore ici au moins 3 ou 4 jours. Repos aujourd’hui.

 

Dès le matin, on vient allumer du feu dans notre chambre et on nous sert, comme hier, du café au lait, de la confiture, du beurre et des gâteaux. Vraiment, si c’est cela qu’on appelle faire de l’occupation, c’est vraiment intéressant, mais sans doute que dès notre entrée en Bavière, ça changera un peu.

Lundi 25 novembre 1918

Sainte-Catherine aujourd’hui.

Sans doute que dans un an, nous serons tous au pays pour la fête. Il continue à geler aujourd’hui, mais sans doute que ça ne durera pas longtemps. Ici même vie qu’hier, café au lait matin et soir.

Nous sommes même honteux et nous amenons un interprète pour leur dire qu’ils ne sont nullement tenus à cette largesse, mais ils nous disent qu’ils prétendent continuer ainsi.

Mardi 26 novembre 1918

Il pleut et il dégèle aujourd’hui. Revue d’armes, de vivres, pour s’assurer que tout le monde est propre.

 

Le soir, on reconstitue de nombreuses équipes pour l’entraînement de tous les sports et je rentre dans une équipe de football. Nous commençons l’entraînement aujourd’hui même. Nous n’avons toujours pas reçu de journaux depuis notre départ de sorte que nous ne savons pas ce qui se passe.

Il paraît que les permissions sont à 20 jours.

Mercredi 27 novembre 1918

La pluie continue à tomber. On ne cause même plus du tout de notre départ. Sans doute que nous ne resterons pas toujours ici.

Je vais faire un tour en Bavière à 6 km d’ici, mais je crois que nous n’aurons plus le même accueil là-bas car on nous regarde passer derrière les carreaux avec des mines peu engageantes.

Rentrée à Bettviller à la nuit tombante.

Dans la journée, coupe de cheveux obligatoire pour tout le monde.

Jeudi 28 novembre 1918

Toujours du mauvais temps.

Les civils préparent une grande fête pour le jour de notre départ. Ils ont même été sortir un vieux drapeau français d’environ une centaine d’années et qu’ils comptent promener devant nous le jour de notre départ.

Toujours pas de journaux. Les trains marchent très mal paraît-il. Le ravitaillement ne nous parvient qu’en partie et encore très irrégulièrement. Les lettres font la même chose. On se demande ce qui peut en être la cause.

Vendredi 29 novembre 1918

L’adjudant chef de service part en permission ce matin et il nous promet de nous envoyer des journaux pour nous mettre un peu au courant de la situation.

Le fritz chez qui nous logeons est toujours aussi aimable pour nous. Je me demande quelle est leur véritable façon de penser ?

Il gèle aujourd’hui.

Aussi, une partie de la journée est passée à jouer au foot-ball et aussi un peu d’exercice l’après-midi.

Samedi 30 novembre 1918

Il continue à geler assez fort même aujourd’hui.

Préparatifs de départ. Nous nous en allons demain, mais nous ne sommes pas les seuls qui nous préparons. Les civils eux aussi se préparent à nous accompagner jusqu’au delà de la frontière de Bavière.

Demain, nous quittons donc la Lorraine qui nous a si bien reçu pour entrer en Bochie. Quel accueil nous réservent les boches ? Vraiment on se le demande car tous les soldats de la rive gauche du Rhin sont rentrés chez eux.

Décembre 1918

Dimanche 1er décembre 1918

Nous partons à 7 h du matin.

Une escorte de 20 bécanes, 30 chevaux et une centaine de civils nous précédent. Tous, y compris les chevaux et les vélos, sont couverts de fleurs et de cocardes tricolores. Le poteau frontière entre la Bavière et la Lorraine gît sur le côté de la route, arraché par nos avant-gardes.

Curiosité chez les civils. Plus de drapeaux, plus d’acclamations. Nous arrivons à Zweibrücken. Après un défilé de plusieurs km, nous allons cantonner dans les casernes du 22e R.I. boche.

Lundi 2 décembre 1918

La ville nous a accueillis avec calme, sans hostilité. Les 4 régiments qui ont défilé ici ont sans doute donné l’impression de la force Française.

Hier, j’ai passé ma soirée à visiter la ville, édifices publics et ces fameuses tavernes boches où on boit la bière dans des verres d’un demi-litre. Nous repartons aujourd’hui et nous allons cantonner à 8 km de Zweibrücken dans un petit village où j’ai un bon lit. Ca vaut certainement mieux que la paillasse de Zweibrücken.

Mardi 3 décembre 1918

Nouveau déménagement ce matin.

Nous allons cantonner à 5 km d’ici dans un petit village. Encore un lit bien entendu.

Les boches nous accueillent sans enthousiasme, mais aussi sans antipathie. Ils offrent volontiers du café au lait aux soldats. Les démobilisés sont les plus avenants. Chose curieuse cependant, tous viennent de Russie ou tout au moins, ils le disent.

À quel mobile obéissent-ils ?

Crainte ou platitude ?

Je crois qu’il serait difficile de le dire.

Mercredi 4 décembre 1918

Nous repartons le matin à la première heure.

Marche assez fatiguante, car nous avons pas mal de boue sur la route et aussi des côtes à monter et à descendre. Nous cantonnons à Landstuhl, ville de 6000 habitants située dans un cirque entouré de hautes montagnes couvertes de sapins qui donnent un joli aspect à la ville.

Je couche encore cette nuit dans un lit excellent. Vraiment, il fallait que je vienne en Bochie pour coucher dans des lits.

Rien à manger aujourd’hui, pas même de pain. Le ravitaillement ne vient pas.

Jeudi 5 décembre 1918

Encore une étape aujourd’hui. Nous cantonnons à Kaiserslautern, ville de 60 000 habitants. Beaucoup d’industries.

Je passe ma soirée à visiter la ville. C’est grand, mais pas joli. Maisons énormes sans art, sans goût. Visite aussi de quelques brasseries où des filles blondes et rouges nous servent de la bière dans des verres où on peut se noyer.

C’est bien la ville boche telle que je me l’étais figurée. Propreté méticuleuse partout même dans les rues.

Remarque : je n’ai pas vu un seul marchand de victuailles.

Vendredi 6 décembre 1918

Nouveau départ ce matin.

Nous cantonnons ce jour à 9 km de Kaiserslautern. Nous sommes bien ici. Jolie marche aujourd’hui. Nous commençons à aborder les Vosges et nous marchons à travers les hautes cimes couvertes de sapins.

Les cultivateurs n’ont pas trop souffert de la guerre, mais en ville, c’est plutôt triste. Nombre de familles ne vivent que de pommes de terre, de lait et d’une sorte de jus d’orge grillée. Pas de viande ou presque : 225 grammes par semaine.

Samedi 7 décembre 1918

Nouveau départ ce matin, 20 km à travers les Vosges.

Nous entrons à Dürkheim où aucune troupe n’a encore pénétré, ayant à notre tête le général commandant le 1er C.A.C. Nous cantonnons dans la ville et nous buvons de ce fameux vin du Rhin.

C’est le pays ici.

La ville du côté du Rhin est couverte de vignobles et ce vin est excellent. Mais il coûte cher : 8 marks le litre. Temps brumeux, beaucoup de boue mais pas de pluie.

Dimanche 8 décembre 1918

Repos aujourd’hui.

Je suis dans une chambre excellente où je me suis reposé comme un loir. Ballade dans la ville, visite aux principaux monuments. Rien d’intéressant, c’est grossier, ni grâce, ni élégance. C’est bien là l’architecture boche telle qu’on nous l’avait dépeinte. Même accueil de la part de la population : crainte d’abord, puis surprise et curiosité.

Pas d’actes hostiles. Les démobilisés sont les plus empressés.

Lundi 9 décembre 1918

Enfin ! ! ! Dernière étape.

Je pars en avant faire les cantonnements. Nous allons à Mutterstadt, ville de 6 à 7000 habitants, industrieuse et commerçante. Nous faisons les cantonnements, mais dès l’arrivée des hommes, presque tous trouvent des lits pour se loger. Dans la ville, même accueil que dans les pays précédents.

Pour ma part, je suis logé chez le Bourgmestre qui cause couramment le français.

Mardi 10 décembre 1918

Installation des cantonnements aujourd’hui, travaux de propreté, repos. J’ai dormi comme un loir pendant toute la nuit, et vraiment, il fallait que je vienne en bochie pour être logé dans une aussi belle chambre.

 

L’après-midi, jeu de foot-ball sur un terrain du club du pays. Concert sur la place de la gare par la musique des régiments.

On parle déjà de nous faire déménager demain pour aller dans une usine. Nous étions trop bien ici.

Pas de courrier depuis 3 jours.

Mercredi 11 décembre 1918

Temps brumeux. Organisation des liaisons. Nos postes avancés sont sur le Rhin et nous devons les relier téléphoniquement avec nous, ici. Il y a au moins 15 km de fils à installer, ce n’est pas un petit travail.

Les premières permissions de 20 jours partent demain, paraît-il.

Toujours pas de journaux de France et presque pas de lettres.

Jeudi 12 décembre 1918

Pluie toute la journée, ce qui ne nous donne guère le courage de sortir. La moitié de la compagnie hors rang va cantonner à Friendsau, dans une sucrerie.

Il ne reste ici que la liaison et la musique. Revue d’armes et de cantonnement par le commandant de compagnie. On continue à organiser le secteur au point de vue liaisons téléphoniques.

Dans la journée, plus de 15 km de fils sont installés et nous avons des communications directes avec les bords du Rhin.

Enfin, aujourd’hui, nous recevons un courrier assez important.

Vendredi 13 décembre 1918

Le temps est un peu meilleur. Je suis de jour aujourd’hui.

Un vendredi et un 13 : heureusement que je ne suis pas superstitieux.

Pas grand’chose de nouveau. La population est très aimable vis-à-vis du soldat. Beaucoup plus même que je ne l’aurais cru. Ces gens si arrogants dans leurs victoires sont devenus vils et bas dans leur défaite.

Continuation des organisations téléphoniques du secteur et enfin, ça se termine. Bilan : 22 km de fils étendus.

Samedi 14 décembre 1918

Voilà 4 années que j’ai quitté Cléty. 4 années déjà où nous courions vers le combat, vers la victoire, vers la gloire.

Mais hélas ! Cela fut bien plus long à venir que je ne le croyais. Et nous partîmes 7. Où sont mes malheureux camarades. Je suis, après ces 4 ans de guerre, le seul combattant qui reste.

Enfin sans doute que ce sera en civil que je fêterai le 5ème anniversaire. Belle journée, à peine quelques gouttes de pluie sur la soirée.

Dimanche 15 décembre 1918

Un dimanche en bochie.

Joli aspect, beaucoup mieux fêté qu’en France. Pour certains cependant, car les Juifs ont fêté leur Sabbat hier. Assistance nombreuse au culte.

 

L’après-midi, les brasseries sont remplies de monde, autant de femmes que d’hommes, et le plus rigolo, c’est que des tables entières boivent dans le même verre à tour de rôle.

Lundi 16 décembre 1918

Visite du général Gouraud qui passe en revue le 2e bataillon. Il paraît que c’est lui qui viendra nous relever dans une dizaine de jours.

Quelques civils assistent de loin à la revue et sont tout surpris de voir cet homme boîteux et manchot avec des étoiles de général sur les manches.

Un peu d’exercice aujourd’hui, foot-ball surtout. On réorganise une équipe qui a assez bonne tournure.

 

Le soir, exercice à la salle de gymnastique.

Mardi 17 décembre 1918

Il pleut aujourd’hui, mais quand même, nous allons un peu à l’exercice et nous réussissons à rentrer bien trempés.

Enfin aujourd’hui nous recevons des lettres, ce n’est pas dommage, depuis 4 jours, nous n’avions rien reçu. Vraiment, on se demande comment cela se fait. Sans doute que Messieurs les postiers sentent maintenant que la guerre est finie, aussi ils en profitent pour faire souvent la pause.

Mercredi 18 décembre 1918

La pluie cesse, mais il tombe encore quelques flocons de neige dans la soirée.

Toute la matinée c’est, à travers les rues de la ville, un défilé ininterrompu de canons lourds trainés par des tracteurs ce qui excite beaucoup la curiosité des civils et leur donnera sans doute à réfléchir.

Journée de repos à peu près complet pour tous les hommes. Cela ne leur arrive pas souvent.

Jeudi 19 décembre 1918

Nous sommes réveillés de très bon matin par la sonnerie « Au feu ». C’est un atelier de scierie qui brûle, incendie allumé par un court circuit. Pas d’accident de personnes, seulement des dégâts matériels. Le temps est devenu très froid et il continue à geler.

Le matin, exercice ; le soir, jeu de foot-ball sur le terrain du club de Mutterstadt.

Vendredi 20 décembre 1918

Il continue à geler.

La viande nous arrive aujourd’hui complètement pourrie de sorte que le sergent major est obligé de la refuser et nous ne vivons toute la journée qu’avec des légumes.

On commence aussi à causer de notre départ pour entre Noël et le jour de l’An et aussi notre retour en France et notre défilé à Paris. On nous promet une belle fête pour ce jour là. Le fils de la maison, officier de hulans, démobilisé, arrive aujourd’hui.

Il se figure encore être le maître, mais nous ne tarderons pas à le détromper.

Samedi 21 décembre 1918

Travaux de propreté, douches dans l’établissement de bains de Mutterstadt qui a été réquisitionné à cet effet. Plusieurs camarades partent en permission.

Ce sont les premiers sous-officiers qui partent pour 20 jours. À quand mon tour ?

La neige se met à tomber en abondance et quand nous nous couchons, une forte couche couvre déjà la terre. Joli Noël qui se prépare.

Dimanche 22 décembre 1918

La neige s’est transformée en pluie avec le matin et elle ne tarde pas à disparaître complètement. Triste dimanche aujourd’hui.

Temps sombre et froid, aucune distraction sauf celle d’aller vider d’énormes bocks de bière dans une taverne quelconque. Pas de concert car la musique va tous les jours à Ludwigshafen jouer avec les musiques de la division pour s’entraîner pour notre prochain défilé à Paris.

Lundi 23 décembre 1918

Il continue à pleuvoir de sorte que nous restons chacun de notre côté soigneusement cachés dans nos chambres, jusqu’à la soupe.

 

Le soir, on nous apprend à 8 h que nous partons demain matin pour aller occuper Mannheim. Aussi, il me faut travailler jusqu’à 1 h du matin pour charger nos voitures et le matériel.

Je crois que nous ne regretterons pas Mutterstadt.

Mardi 24 décembre 1918

Ce matin, on nous annonce que nous ne partons pas.

Nous pourrons donc réveillonner comme il faut. Nous commençons la fête à 7 h du soir. Chevreuil, oie, lièvre, défilent successivement sur notre table. Monsieur le hulan nous regarde de travers, il est obligé, avec sa mère et sa fiancée, de faire réveillon dans son salon car nous occupons sa salle à manger.

Il comprendra peut-être que nous sommes les maîtres.

À minuit, nous allons à la messe.

Mercredi 25 décembre 1918

Nous rentrons de la messe couverts de neige qui tombe maintenant en abondance et nous continuons notre fête. Gâteaux, vin du Rhin et champagne font leur apparition sur notre table. Nous nous quittons au jour non sans avoir fait entendre au propriétaire nombre de chansons patriotiques.

 

L’après-midi, concert sur la place du pays par notre musique. Ici aussi on fête beaucoup Noël.

Jeudi 26 décembre 1918

Voici Noël passé. Nous l’avons beaucoup fêté. C’est le premier que nous pouvons fêter tranquille entre camarades. C’est aussi le dernier car sans doute que nous aussi, nous serons dans nos foyers dans un an.

Nous devions de nouveau partir ce matin, mais encore une fois, c’est remis. Il a gelé fort cette nuit, et toute la journée, le soleil luit ce que nous n’avons pas encore souvent vu depuis que nous sommes dans ce pays.

Vendredi 27 décembre 1918

On ne cause plus de notre départ.

Sans doute que nous sommes encore ici pour un joli moment. Puisque maintenant nous ne devons plus retourner en France de suite, autant ici qu’ailleurs.

Le temps s’assombrit et vers midi la pluie commence à tomber très fort et ça dure toute la journée. Un peu de neige même vers le soir, voilà l’hiver sans doute.

Samedi 28 décembre 1918

Mauvais temps, impossible de sortir, aussi nous restons tranquillement à nous chauffer dans nos chambres et l’après-midi, nous jouons à la manille jusqu’au soir.

 

Le soir, à la dernière heure, on nous apprend que le 1e bataillon part cette nuit pour aller occuper Mannheim.

Aussi nous travaillons jusque tard dans la soirée pour préparer le matériel de l’équipe qui doit partir.

Dimanche 29 décembre 1918

Le départ du 1er bataillon qui devait avoir lieu cette nuit n’a pas eu lieu et l’occupation de Mannheim est remise pour plusieurs jours sans doute.

Le beau temps est revenu aujourd’hui et l’après-midi, il y a concert sur la place du pays devant une nombreuse assistance. Le général Giraud visite nos cantonnements, mais il ne vient pas où je loge.

Lundi 30 décembre 1918

Temps assez beau.

Exercice le matin ; le soir, entraînement au foot-ball. Après-demain, l’équipe première du régiment jouera contre les Chasseurs d’Afrique.

Le bruit court maintenant avec insistance que nous serions encore ici jusqu’au 20 mars. Oh là là ! ! ! À quand donc reverrons-nous la France ?

Pas de courrier encore une fois depuis trois jours, ce qui est singulièrement ennuyeux.

Mardi 31 décembre 1918

Dernier jour de la dernière année de guerre, ce n’est pas dommage. Le 1e bataillon part pour Mannheim à 2 h du matin. L’équipe de T.S.F. s’en va avec lui, mais ils sont tellement saouls que je n’ose pas me coucher et je présiderai au départ moi-même. Ils ont voulu bien enterré la dernière année de guerre. Ils ont bien fait.

 

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Année 1919

Mercredi 1er janvier 1919

Le jour de l’An se passe d’une manière assez calme, plutôt triste. Je n’ai pas dormi de la nuit et suis bien fatigué.

À 1 h, match de foot-ball entre l’équipe de régiment et celle des Chasseurs d’Afrique. À 2 h de l’après-midi, on trouve moyen de me mettre en garde. C’est très intéressant pour un jour de nouvel an.

Cependant, vers le soir, on vient me relever.

Jeudi 2 janvier 1919

Voilà une année de commencée.

Sans doute, ce sera celle de la libération, et ce ne sera pas dommage. Journée très calme, tout le monde est très fatigué de toutes ces fêtes. Il pleut presque toute la journée de sorte que nous ne faisons pas grand-chose.

Nous recevons des nouvelles du bataillon parti à Mannheim.

Leur voyage s’est accompli sans incident et les civils les ont trouvés installés au jour.

Vendredi 3 janvier 1919

L’officier payeur nous fait appeler pour nous payer notre première solde mensuelle. Vraiment, ça nous change un peu avec nos 32 sous par jour. Le régiment relève le 7e tirailleur à Ludwigshafen dans deux jours paraît-il. C’est une très jolie ville, mais sans doute, nous, nous regretterons Mutterstadt car nous y étions très bien, au moins au point de vue cantonnement.

Samedi 4 janvier 1919

Dès le matin, je suis envoyé à Ludwigshafen pour prendre les consignes du régiment de Tirailleurs que nous devons relever. Mais nous ne pouvons pas faire grand chose dans la journée d’aujourd’hui car nous sommes arrivés tard et il y a beaucoup de travail.

Nous retournons coucher à Muttertadt en bicyclette.

Très beau temps toute la journée, mais un peu froid.

Dimanche 5 janvier 1919

Je repars à Ludwigshafen le matin à la première heure pour la prise des consignes. Toute la journée, j'ai un travail effrayant car il y a beaucoup de liaisons. Je n’ai même pas le temps de manger.

 

Le soir, éreinté, je rentre à Mutterstadt où je vais coucher pour la dernière fois car le régiment fait mouvement demain matin à la première heure.

Lundi 6 janvier 1919

Je pars avec une équipe téléphonique une heure avant le régiment de manière à occuper les postes avant l’arrivée des troupes. Tout se passe normalement et à 9 h, la relève est terminée dans de très bonnes conditions. La foule, nombreuse, nous a regardés curieusement. Toute la journée, il me reste une quantité de questions à régler car l’adjudant sert en ce moment d’interprète.

Mardi 7 janvier 1919

Nous sommes cantonnés dans de grands docks le long du Rhin. Le fleuve coule à nos pieds. C’est vraiment joli à voir.

 

Nous sommes au milieu des immenses usines d’aniline, les seules qui existent en Europe. Elles occupent les deux rives du Rhin et comptent plus de 25 000 ouvriers.

C’est ici aussi que se trouvent les fameux laboratoires où furent travaillés les premiers gaz.

Mercredi 8 janvier 1919

Une fièvre intense m’a assailli toute la nuit et ce matin je suis presque dans l’impossibilité de me lever et je dois rester couché toute la journée.

Une forte dose d’aspirine et de quinine me donne cependant un peu de repos mais je me demande avec anxiété ce que j’ai bien pu avoir.

Le major vient me voir dans l’après-midi et me dit que ça ne sera rien.

Jeudi 9 janvier 1919

Je vais un peu mieux, mais quand même, ça n’est pas encore ça.

Enfin, j’ai assez bien dormi et je reste levé presque toute la journée. Nous sommes assez bien cantonnés ici, chaque homme a une couchette et une paillasse de paille, mais tout le monde regrette Mutterstadt où tous couchaient chez les civils, dans de bons lits.

Vendredi 10 janvier 1919

Me voici aujourd’hui complètement rétabli et ce n’est pas dommage car ce n’est guère intéressant d’être malade ici.

Tous nos hommes sont employés. Il reste à peine 4 ou 5 disponibles pour assurer la garde aux voitures. Les uns sont au téléphone, les autres cyclistes, secrétaires ou plantons. Tout le monde a son emploi, ce qui nous évite d’aller à l’exercice.

Samedi 11 janvier 1919

Je suis de jour aujourd’hui.

Dans la matinée, échanges d’effets.

 

Le soir, à 5 h ½, on vient m’apprendre que je dois partir immédiatement pour aller accompagner un détachement de rapatriés Alsaciens-Lorrains à Strasbourg.

Nous embarquons à 6 h. Nous changeons de train à Landau et nous arrivons à Wissembourg, première gare lorraine, où nous devons passer le reste de la nuit.

Dimanche 12 janvier 1919

Nous arrivons à Strasbourg à 8 h du matin.

Je remets mon convoi entre les mains de l’autorité militaire et me voici libre. Une imposante manifestation a lieu place Kléber puis je visite un peu la ville, en particulier la cathédrale, vrai joyau d’architecture.

 

Puis le soir, on voit des groupes d’Alsaciennes se promenant en costume du pays, c’est très joli.

Lundi 13 janvier 1919

Je reprends le train à 6 h.

J’emporte de Strasbourg une excellente impression et il faut reconnaître que cette ville est vraiment française. Je change de train à Wissembourg puis à Neustadt où je dois attendre 3 heures.

Enfin, j’arrive à Ludwigshafen à 2 h, bien fatigué, mais quand même très content de mon voyage.

Mardi 14 janvier 1919

Aujourd’hui, je suis envoyé au bataillon qui est à Mannheim pour voir comment ils sont installés.

Je pars par la canonnière. Nous descendons le Rhin puis nous remontons le Neckar. Le bataillon est cantonné en caserne et il a à assurer le service d’un camp de rapatriement de prisonniers.

Bien que ce soit défendu, nous faisons quand même un tour dans Mannheim qui est très jolie.

Mercredi 15 janvier 1919

Le temps est un peu meilleur aujourd’hui, on croirait même qu’il veut geler un peu.

C’est le marché de Ludwigshafen aujourd’hui, mais on n’y vend pour ainsi dire que des légumes. Le mark continue de baisser et il est aujourd’hui à 67 centimes.

Distributions d’effets, de chaussures, de molletières dont tout le monde a le plus grand besoin. Depuis la paix, les distributions d’effets sont bien rares.

Jeudi 16 janvier 1919

Le temps continue à être beau, aussi nous décidons un voyage à Mutterstadt dans le courant de l’après-midi, à bicyclette.

Nous recevons là-bas le meilleur accueil. Ils nous regrettent beaucoup, les troupes qui y sont loin d’être aussi bien vues que nous.

Je rentre juste à temps pour prendre à nouveau le train pour aller à Strasbourg.

Vendredi 17 janvier 1919

Nous arrivons à Strasbourg avec le détachement qui est remis de suite entre les mains de l’autorité militaire, puis j’ai de nouveau toute la journée pour visiter la ville.

Je vais voir sonner midi à l’horloge de la cathédrale. C’est, paraît-il, un spectacle unique au monde que celui du coup de midi.

Aussi, tous les jours, il y a pas mal de visiteurs.

Samedi 18 janvier 1919

Je repars ce matin pour arriver à Ludwigshafen dans l’après-midi.

En arrivant, un nouveau travail m’attend. Il s’agit de reverser immédiatement à l’armée tous les chiens de guerre. Ils doivent être mis en route de suite et être dirigés sur Nancy.

Je ne les accompagne pas dans leur voyage car je suis fatigué de me promener.

Dimanche 19 janvier 1919

Belle journée.

Ce sont les élections ici aujourd’hui, aussi de grandes précautions sont prises au cas où il y aurait une émeute. Mais tout se déroule dans le calme le plus absolu. Hommes et femmes s’en vont vers l’urne, bras dessus, bras dessous, car les femmes votent ici.

À peine le soir remarque-t-on un peu plus d’animation que les jours précédents. Quatre partis sont en présence : Catholique, Social Démocrate, Bayern Parti et Bolchevistes.

Lundi 20 janvier 1919

Les élections sont terminées, c’est paraît-il le parti Social Démokratic qui aurait remporté un énorme succès, et peut-être que cela va permettre de donner un gouvernement dans l’anarchie boche.

Les permissions sont supprimées jusqu’à la classe 2, et la démobilisation jusqu’à la classe 1906 sera terminée avant le 31 mars.

Mardi 21 janvier 1919

Temps très froid. Peut-être va-t-il enfin geler un peu.

 

Ce soir, retraite aux flambeaux qui dure environ une heure. Elle comprend un peloton de Chasseurs, la musique et 200 torches. Cela attire l’attention des habitants.

Au moment où la retraite passe devant la gare, un train de prisonniers rapatriés débarque au chant de la Marseillaise.

Mercredi 22 janvier 1919

Journée très froide encore.

Distribution de vêtements neufs, de graisse, savon, etc.

 

Le soir, on vient m’annoncer que je repars à nouveau pour Strasbourg, mais un camarade me demande pour y aller à ma place, ce à quoi j’acquiesse de suite car à la fin, ces voyages sont très fatiguants.

Et puis j’ai mal aux dents et une joue passablement enflée.

Jeudi 23 janvier 1919

Il continue à geler assez fort.

Prise d’armes dans l’après-midi pour une remise de décoration et en particulier pour la remise d’une étoile au drapeau du 5e régiment de Chasseurs d’Afrique.

 

L’après-midi pour nous se passe à déménager car une infirmerie vétérinaire s’installe à proximité de nous et il faut de la place pour loger les hommes qui s’occupent des chevaux malades.

Vendredi 24 janvier 1919

Il continue à geler comme les jours précédents. Un de mes camarades s’en va en permission.

Je suis maintenant le premier à partir, mais cependant, je ne puis prévoir le jour où je partirai.

 

 

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Voir des photos sur mon site de groupe de soldats du 8e Zouaves

 

Je désire contacter le propriétaire du carnet de Marceau NEDOUCELLE

 

Vers d’autres témoignages de guerre 14/18

 

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