Carnet de guerre de Charles NICOLAS
Soldat muletier, au 210è régiment d’Infanterie, 13è compagnie
« Voilà ma vie et ma campagne
d’exilé en Orient pendant vingt mois. »
Publication :
octobre 2007
Mise
à jour : Mai 2024
Charles Antoine NICOLAS au
157e RI avant le 210e RI
Prologue
Bernard JUAN, nous dit en 2007 :
« J'ai numérisé
ce carnet qui m'a été prêté par une habitante de mon village natal : Villeneuve-lès-Béziers
(34) de Mme Annie MOULY/ROQUEBLAVE.
Merci de le mettre en ligne pour qu’il profite à tous les passionnés ! Elle est entièrement d’accord sur le principe. »
Remerciements
Merci à Bernard pour le carnet.
Merci à Philippe S. pour les
corrections éventuelles et certaines recherches.
Nous avons ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes
et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit.
Pour une meilleure lecture, j’ai
volontairement ajouté des chapitres, sinon le reste est exactement conforme à
l’original.
Introduction
Charles Jean Antoine NICOLAS est né en février 1896 à Villeneuve-lès-Béziers. A son incorporation, il déclare être cultivateur et est affecté au 157ème régiment d’infanterie pour effectuer sa formation en avril 1915.
Le 10 juin 1916, le 4ème bataillon du 157ème régiment d’infanterie passe comme 3ème bataillon du 210ème régiment d’infanterie. Ce bataillon est composé d’environ 1000 hommes, 43 voitures hippomobiles et 91 chevaux.
Embarquement pour l’Orient (Albanie).
Nous avons embarqué, à Toulon, sur le « Médié » bateau très grand et à peu près aménagé pour la troupe.
(*) : Seul le 4ème bataillon s’embarque sur ce navire. Les
autres bataillons, état-major et matériel, partent de Toulon (le 6 janvier), de
Tarente (Italie) et 12 janvier et de Marseille le 15 janvier.
Nous avons quitté le port de Toulon ; c’était 11 heures du matin, sans m’en apercevoir, mais une fois être un peu éloigné du port, nous avons le cœur gros de quitter notre belle France.
Nous sommes passés face aux côtés de la Sardaigne, jolis aspects, mais bien tristes.
Nous avons longé les côtes de Tunisie : l’aspect toujours le même. Le voyage était même intéressant, mais à faire en temps de paix.
Nous avons passé les îles de Malte : c’était une heure du matin, j’étais sur le pont avant du bateau, la mer était belle et bonne.
Le matin, j’allais me débarbouiller sur le pont, l’eau était chaude.
Nous étions en pleine mer avec une mer agitée et mauvaise. Je couchais dans la 2ème cale, les mulets étaient au-dessus de nous ; quand le bateau se penchait à droite, on entendait les mulets mener un boucan…ils ne pouvaient se tenir debout.
On ne dormait pas la nuit quand ils se tournaient. Autant enfin, c’était véritablement le roulis.
Le jour, j’avais la tête lourde. Je n’ai mangé que lorsque nous allions chercher la soupe. On ne pouvait pas tenir droit : on ressemblait à de véritables saouls.
Enfin, quand la mer était bien bonne et très calme nous avons aperçu le matin les côtes grecques. Il nous semblait de voir au loin de petites montagnes. Ce jour-là, ils nous ont fait faire un exercice en cas de torpillage.
Après avoir passé six jours en pleine mer, nous sommes rentrés à 7 heures du matin dans le port de Salonique.
Là, les Grecs venaient avec une barque nous apporter des oranges et des figues qui étaient très chères ; ils nous les faisaient passer dans un panier avec une longue corde que nous attrapions par-dessus le pont.
À 3 heures, les compagnies quittaient le bateau et se plaçaient sur les radeaux qui les amenaient au port ; là, je me suis séparé des copains à 11 heures du soir nous avons débarqué tous les mulets du Médié pour les embarquer sur les chalands et les ramener à port.
À minuit, nous étions au port de Salonique : quelle joie et contentement quand nous avons de nouveau mis pied à terre. On est allé mener les mulets à 200 mètres du port.
Ce soir-là, c ‘était mon tour de garde d’écurie.
J’ai passé une nuit blanche, couché sur nos sacs.
Nous sommes restés à Salonique pour attendre les bats de mulets.
Nous sommes allés en ville. On voit que c’est une ville qui se remonte un peu et qui prend l’aspect d’une ville française, mais tous les vivres sont très chers, mais il n’y avait que le fameux vin de Samos qui ne coûtait que 22 sous et qui était bien bon : on le sentait pas passer, mais puis il vous touchait sur la cocarde pendant deux, trois jours
Nous n’avions rien pour croûter et il m’a fallu manger les vivres de réserve.
Après une étape de cinq kilomètres, nous avons rejoint le régiment au camp de Zeitenlik. Là j’ai couché sous les toiles et sur la terre. À 1 km, on avait les abreuvoirs et les lavoirs. Le camp des Italiens était à côté du nôtre.
Je n’ai rien fait : repos.
Très mauvaise journée de pluie et nous étions pleins de boue ; on ne pouvait pas sortir de la cagna.
Nous avons eu froid, et dans la cagna, on couchait dans la boue.
J’ai reçu la 1ère lettre venant de France : cette lettre était de ma cousine Suzanne (lettre qui m’a fait grand plaisir) Tout en lisant les paroles, j’en avais le cœur gros et j’ai versé quelques larmes sur cette lettre là que je garderai comme souvenir.
J’ai reçu les quatre premières lettres de ma chère bien-aimée Antoinette (que j’ai laissé avec tant de regrets) que j’ai lues et relues et m’ont fait souvenir du bon temps que j’ai passé en France. J’en ai aussi reçu une de mon très cher Oncle avec un mandat de 20 francs qui était bienvenu car depuis mon départ, j’étais presque sans le sou. J’ai lu entre les lignes que l’oncle en avait regrets et le cœur gros de n’être pas venu me voir embarquer.
Le soir, avec les copains, nous sommes allés faire un tour à Salonique, mais c’était loin et la route était très mauvaise.
Il fait froid et il pleut ; nous couchons pour faire nouveau, dans la boue et sous les toiles.
Nous avons quitté le camp de Zeitenlik avec une grosse pluie et on a fait une étape de 12 km. Cette étape était bien pénible, de passer à travers champs et dans la boue jusqu’aux genoux. (*)
Le soir, on est arrivé à six heures et après avoir mangé la soupe, nous nous sommes couchés comme nous avons pu. On a monté les toiles et on s’est mis dessous comme nous avons pu : c’était plein de flotte. Enfin, c’est la misère qui commence comme me l’a dit Jules VILLEBRUN.
(*) : Ils arrivent au camp de Samli.
Nous sommes repartis le matin à 8 heures pour faire une autre étape de 16 km mais la journée était meilleure, on avait un peu de soleil, mais l’étape était rude car je commençais à en avoir marre déjà.
(*) : Ils arrivent au camp de Topcin.
Nous avons eu repos car nous avions rattrapé les deux autres régiments de la division ; qui étaient le 157e et le 227ème régiment d’infanterie
Nous avons traversé le Vardar avec de l’eau jusqu’aux genoux : trois jours de merde et de pluie et pour coucher comme on dit des gandars, dans la boue.
Nous avions repos.
J’ai vu le 56è d’Orient : j’ai demandé s’ils ne connaissaient pas un nommé HERMAIN, Logis, ils m’ont dit que oui, mais qu’il n’était pas là.
J’allais justement rendre deux mulets qui étaient enfermés et que je devais en ramener d’autres et comme je traversais la petite rivière et que je grimpais la colline, je vois venir un artilleur, un logis :
« Tiens, çà ne serait pas lui ? »
Bref, quand on est vis à vis, muets je le reconnais et je l’appelle :
« Henri ! »
Lui se tourne et me reconnaît.
On s’embrasse comme des frères. Je te vois dans ce pays inconnu et éloigné des tiens, alors on ne savait pas quoi dire tellement on était content de se revoir.
Il me dit :
« Tu viendras souper
ce soir »
Le soir, j’y vais et quand on a fini de souper, je vois venir Louis GISCARD, alors j’ai été plus que content. Nous avons passé la soirée ensemble à blaguer du pays, ce soir-là, il pleuvait et vers le 9h00 on s’est quittés en se disant au premier jour de repos on se reverra.
Nous sommes repartis à 8h00 du matin et nous avons fait 13 km et nous avons vu les champs incultes : cela avait l’air d’être du bon terrain.
De nouveau, une autre étape de 20 Km.
L’étape était rude et nous sommes arrivés au bord du lac Ostrovo (*) il était 6h00.
Nous avons mangé la soupe à la nuit et nous avons couché sur le sable et sous les toiles toujours notre précieuse habitation.
(*) : Lac Ostrovo (JMO), maintenant
lac Vegoritida (Grèce). Arrivée au camp de Cakon.
Nous avons eu repos au bord du lac : c’était plaisant de voir le joli panorama mais ça ne nous remplissait pas le ventre, on allait faire boire les mulets au lac.
Nous avons fait une autre étape de 22 Km à travers les montagnes de jour. Là, nous avons eu la pluie.
Le terrain était inculte, puis nous commençons à voir des trous d’obus. J’ai vu l’armée serbe avec le 175e R.I. qui avait l’ivresse des grands combats.
Le soir, nous sommes arrivés à 8 heures à Bamika. Nous n’avions rien pour croûter et dans le village, nous n’avons rien trouvé : c’est la vie !
Il y avait Jules VILLEBRUN, mais je n’ai pas pu le voir.
À 8 heures du matin, on s’est mis en route pour Florina, l’étape a été de 18 km mais très rude, car il nous a fallu traverser les champs non travaillés.
Nous sommes arrivés à 8 heures du soir, il tombait de la neige et nous avons monté les toiles de tente à 5 km avant l’arrivée à Florina et sous la neige, nous avons passé la nuit.
Nous avons eu repos dans un bois, mais la neige tombait toujours.
Ce jour-là, j’ai reçu cinq lettres de mon Antoinette qui m’ont fait grand plaisir, car depuis que j’étais parti du camp de Zeitenlik, je n’avais rien reçu. J’en ai reçu en même temps une de ma cousine Suzanne.
Ce jour-là, je suis allé à Florina pour ravitailler en munitions et comme je la « sautais » (j’avais faim) et que nous avions touché un quart de boule de pain et deux biscuits pour chacun, il m’a fallu aller à l’intendance mendier une demi-boule de pain que nous avons mangé avec les copains dans une espèce de café. Cela n’avait le goût de rien, mais en sortant, nous avons vu une charrette qui transportait les sacs de pain et nous y avons barboté une boule.
C’était la faim qui nous le faisait faire.
Nous avons fait trois étapes très rudes.
Le premier jour, nous avons monté une petite crête où il nous a fallu coucher dans la boue.
Le deuxième jour, nous avons grimpé une montagne (rajout : c’était le col de Posideri (*)) où il y avait un grand ravin et là, nous avons vu un tas « d’’arrabas » qui étaient tombés dedans. La côte était dure à monter, puis en descendant, c’était gelé et plein de glace. Les mulets ne pouvaient pas se tenir debout ! Oh ! C’était la vraie misère.
Ce soir-là, nous avons couché dans la boue et sans rien manger.
Enfin, le 12.02.17 après avoir traversé quelques ruisseaux et rivières, nous sommes arrivés à un patelin (**), mais ils nous ont fait coucher sur une montagne qu’il nous a fallu une demi-heure pour grimper. Là, le vin coûtait 56 sous le litre et c’était de l’eau.
Enfin, c’est là que les cuisines nous ont rattrapées et les trois jours suivants, nous avons fait 20 km par jour.
(*) : Il s’agit du col Bigla juste avant d’arriver à Posideri. Ils sont arrivé après à Zélova
(JMO), maintenant Andartiko en Grèce.
(**) : Au camp de Bréznica maintenant Vatochori (Grèce)
Repos sur cette montagne en Macédoine et il nous a fallu coucher dans la neige : on était à 300 mètres du patelin, et c’est là pour la première fois depuis que nous étions en marche, que j’ai eu le temps de me laver.
Une autre étape de 25 km et nous avons couché toujours sous les toiles à 200 mètres d’un patelin (*), sur une petite crête.
Le soir, je suis descendu au patelin où j’ai acheté du tabac, du papier à cigarette, des oignons et des œufs. Je me les suis fait cuire avec de la graisse d’une boite de singe (bœuf) que j’avais ouverte pour souper.
(*) : Le « patelin » est Biklista
(JMO) maintenant Bilisht en Albanie
Après une étape de 25 km, nous avons monté les toiles à 6 km avant d’arriver à Coritza. (*)
Là, j’ai rencontré les copains Martin et Magna et les autres qui m’ont invité à manger une poule qui avait goût d’une paire de vieux souliers.
Ce soir-là, j’étais de garde et il faisait un froid de loup : j’ai fait un feu à la porte de la cagna.
(*) : Le 4e bataillon cantonnait à Neveçisht
(JMO) avant d’arriver à Koritza (ou Coritza) maintenant Korcë en Albanie.
Nous avons traversé Coritza et là, nous avons été bombardés par un avion autrichien et le soir, après avoir grimpé les montagnes, nous avons occupé un village, et une heure après, les montagnes. C’était de nuit et pour monter, nous avons mis trois heures.
Enfin, nous sommes arrivés là-haut : je n’en pouvais plus…J’ai enlevé les caisses de munitions et le bat aux mulets. J’ai pris mes couvertures et sans manger, je suis allé me coucher sous la toile de Martin, Magna, Faux et Ménier, qui étaient arrivés avant moi.
Il était 11 heures, nous étions pleins de boue et nous avions fait 18 km.
Nous avons tenu nos positions sur ces montagnes qu’on appelle le Monastir. Là, nous allions dans les patelins acheter des œufs, des poules, des moutons : sans cela, on aurait crevé de faim. Un jour, nous sommes entrés dans une maison albanaise où l’on nous a invités à manger des choux dans le vinaigre qui étaient bien bons.
On était assis au coin du feu : ces habitants-là n’ont pas de table, ni d’assiette, ni de verre, mais enfin, on a été bien reçu.
Le 22.02.17, nous avons quitté les lignes à 9 heures du matin, et après avoir fait une petite étape de 16 km, nous sommes arrivés à Coritza où nous avons couché dans une caserne. Je suis allé acheter deux litres de pinard à 4 sous le litre et du tabac très cher car on n’avait plus rien. Les paysans étaient habillés je ne sais comment ; les femmes, on n’en voyait pas seulement une ; enfin pour tout dire, on était dans un pays perdu.
Nous avons quitté Coritza pour Monastir, mais après une étape de 26 km, nous avons cantonné dans un patelin qui s’appelait Tsangoni : là nous sommes restés du 23 au 2 mars.
Nous étions cantonné dans une baraque albanaise faite de terre et nous avons couché sur du maïs. Depuis que j’avais quitté la France, c’était la première fois que j’étais aussi bien couché.
Dans le patelin, il y avait un paysan qui nous a vendu du pain de maïs qui était bien bon à 50 centimes la demi-boule et on était bien content d’en trouver car on la sautait.
Pendant ces quelques jours de repos, nous avons eu la neige.
(*) : Tsangoni est aujourd’hui Cangonj (Albanie).
Nous avons fait une étape de 32 km, toujours sur la gauche de Monastir. Nous avons gravi un col qui était bien rude pour nous. Nous avons commencé de voir le lac de Prespa et à 10 heures du soir, ils nous ont fait coucher dans la neige jusqu’au ventre.
J’ai passé la nuit au coin du feu et à la belle étoile : nuit très froide et rien à manger.
Nous sommes repartis à 4 heures du matin tout en longeant le lac de Prespa : nous avons couché dans un bois, sous les toiles. On était à 18 km des lignes.
Nous avons eu repos dans les bois.
Nous avons fait 8 km pour rejoindre les autres compagnies qui étaient dans un ravin, au repos, dans un bois à 10 km des lignes.
Là, nous sommes restés du 07 au 10.03, en attendant le coup de Trafalgar.
Là, nous sommes allés acheter deux moutons, car on la sautait vilain. Nous n’avions pas eu de lettre d’un mois, ni de tabac.
À 10 heures du soir, nous sommes partis pour se préparer à l’attaque qui avait lieu le lendemain matin au petit jour.
Ce jour-là, j’avais été très malade : j’avais eu le mal de ventre et des vomissements ; enfin, nous sommes arrivés à 3 heures du matin dans un ravin.
Alors que nous étions dans le ravin et que nous attendions pour aller ravitailler les autres, voilà qu’à 8 heures du matin, on entend la fusillade et le canon de 75 qui faisaient rage.
On nous avait dit que l’attaque était décalée ; en effet, vers 9 heures, j’ai vu des poilus de ma section qui étaient blessés et qui descendaient au poste de secours. (*)
A 10 heures du soir, on me dit que mon camarade Martin est blessé à la jambe. J’attendais pour le voir mais à 11 heures, un ordre vient qu’il nous faut aller ravitailler en ligne en munitions.
C’était en pleine nuit, mais c’était calme.
(*) : Le 11 mars le régiment perd 12 tués et près de 140
blessés.
L’attaque continue de plus en plus forte : les blessés continuent d’arriver au poste de secours. (*)
Nous sommes allés nous ravitailler en munitions à Coritzia, et après avoir fait 30 km, nous sommes allés les monter en ligne ; c’est là que j’ai appris la mort de notre cher abbé D. DUCOMMUN.
Ça m’a fait bien de la peine, surtout qu’avant l’attaque dans le bois, il m’avait touché la main.
(*) : Le 12 mars le régiment perd 8 tués et près de 40 blessés.
(**) : Abbé Joseph Léon DUCOMMUN. Voir
sa fiche.
L’attaque continue encore, mais comme j’étais en train de manger, voilà que le logis me dit que Magna vient de passer sur le brancard et qu’il était blessé.
De suite, je cours au poste de secours qui était à 1200 mètres, mais il était déjà parti quand je suis arrivé.
En remontant, je faisais mauvaise figure : je me disais que si continuait comme çà pour mes copains, j’allais rester seul ; mais encore, il me restait Faux et Menier.
(*) : Le 13 mars le régiment perd 21 tués et 45 blessés.
Le bataillon reste à ¼ de son effectif et ils ne peuvent plus attaquer : ils restent en ligne pour tenir les positions prises à l’ennemi. Le 75 et le 120 font rage sur la montagne et ces sales boches sont durs à prendre : il fallait les déloger à la fourchette et c’était le combat corps à corps sur la montagne.
Depuis le 11.03.17, nous n’avions rien pour manger et être dans la neige jusqu’aux genoux.
(*) : Le 14 mars le régiment perd 11 tués et 26 blessés.
Bombardement.
Toute la journée il a neigé et nous avions une boite de singe pour deux et six biscuits pour la journée ; là, j’ai appris que Meunier d’Orgue avait été blessé à la tête par un éclat d’obus, un fusant.
La 13è compagnie, ma compagnie, vient en réserve à la tranchée prise aux boches : c’était sur une crête à 1503 mètres d’altitude et ce jour, le matin, je suis allé faire du bois pour le soir, le monter en ligne pour chauffer les camarades qui étaient dans la neige.
À 8 heures du soir, je suis à nouveau monté pour les ravitailler en vivres : c’était la première fois depuis le 11.03, que l’on touchait du pain et du pinard.
Il était plus de cinq heures du matin quand nous sommes descendu de là-haut ; il neigeait et il gelait si fort que quand je suis arrivé, la capote tenait debout, tellement elle était gelée sur moi.
Le 157ème régiment d’infanterie a de nouveau attaqué pour prendre le piton vert mais ils n’ont rien pu faire, ils ont eu beaucoup de pertes. Des journées de bombardements et il descendait des poilus du 4e bataillon avec les pieds gelés.
L’effectif du bataillon diminue tous les jours, la compagnie où nous étions avant l’attaque, était de 120 hommes, elle reste maintenant à 40 hommes.
C’est la 13ème (compagnie) qui a eu le plus de pertes.
Les boches ont reçu des renforts.
Et le soir ils ont fait une autre attaque ; on venait justement de se ravitailler en munitions à Coritzia, lorsqu’on aperçoit que sur la crête qu’ils envoient des fusées rouges qui demandent de l’artillerie. Alors, de suite les artilleurs se mettent aux pièces et on entendait que le 75 et le 120.
Justement comme nous passions devant une batterie elle se met à tirer, les mulets ne voulaient plus marcher, nous autres qui voulions nous dépêcher dans le cas où il faudrait des munitions, tu parles si on marronné.
Enfin une fois que nous avons dépassé la batterie les mulets ont bien marché.
Enfin nous sommes arrivés à minuit. On passait à travers champs dans ces montagnes dans la boue jusqu’aux genoux, et en plus tous les soirs il nous fallait monter en ligne pour aller ravitailler les sentinelles en vivres et on revient à minuit.
Assez calme.
Je suis allé au ravitaillement, mais ce jour, j’ai pris quelque chose comme trempe : j’ai été mouillé jusqu’aux os de la pluie qui était tombée.
Je suis arrivé de nuit, il était 9 heures du soir ; on venait de la maison frontière et pour me coucher, il m’a fallu quitter et changer chaussettes, chemise et caleçons. Je me suis couché rien qu’en chemise et en caleçons.
Le lendemain, il m’a fallu mettre les pantalons encore tout mouillés et comme toujours, on couchait sur la terre et sous les toiles.
Journées assez calmes et nous allions tous au ravitaillement.
Les boches et les Turcs ont de nouveau contre-attaqué.
Dans la nuit du 1er au 2, ils ont laissé plus de 300 cadavres entre les lignes et le 2 avril, nous avons repris toutes les positions perdues, plus une crête. Je suis parti le matin à 5 heures pour aller au ravitaillement en munition des lignes et le soir, sans avoir mangé, il nous a fallu aller ravitailler à Coritzia qui était à 30 km.
Il était 4 heures du soir lorsque nous sommes retourné, toujours sans avoir mangé : journée de beau temps, mais pénible pour le ravitaillement à travers bois et dans la boue jusqu’aux genoux.
Le secteur a été très calme et nous autres, les muletiers, il nous fallait aller chercher le ravitaillement à 15 km.
Ils ont fait monter en ligne, rejoindre leur compagnie, les plus jeunes muletiers car l’effectif n’était plus en nombre pour tenir les positions conquises à l’ennemi ; alors, je suis revenu à mon ancienne section, la 4è, mais le malheur était que tous mes anciens amis étaient morts ou blessés.
Enfin, sur 6, il ne restait que FAUX et j’étais content de rester avec lui.
Nous sommes allés occuper un piton que l’on appelait le Mali-Sat qui se trouve entre le lac de Prespa et celui d’Okrita (piton à 2050 mètres). D’habitude, nous étions dans la neige jusqu’au ventre, et c’est sur ce piton que j’ai vu les ours pour la 1ère fois.
(*) : Il s’agit du Mali-Sat (col
d’altitude 1569m entre le Marapo et le Tomoros (probablement maintenant le Bajrače),
proches du lac Prespa.
J’ai pris la garde derrière un petit mur qu’on avait fait pour se protéger du vent et on avait une boite de singe trouée qui nous servait de poêle.
Tous les jours, trois Poilus allaient chercher le ravitaillement en bas, à peu près à trois kilomètres, dans la neige, car les mulets ne pouvaient monter plus haut car il y avait trop de neige. On travaillait tout le jour pour faire un petit fortin en cas d’attaque et les nuits, il fallait prendre la garde aux avant-postes.
Jour de Pâques, nous avons mangé 5 tortues, un hérisson, du singe et du riz ; nous avons fumé un cigare à quatre et bu une bouteille de vin vieux à 12. Si ça n’avait pas été le hérisson et les tortues, nous aurions fait une grosse ceinture !
Toujours au Mali-Sat.
J’ai été malade jusqu’au 20. J’avais 39° de fièvre et pendant ces cinq jours, nous avons été engloutis sous la neige. On ne pouvait sortir de dessous les toiles et nous n’avions rien de chaud à manger pendant ces cinq jours sans pouvoir allumer un feu à cause du vent et de la neige. Cinq jours de souffrance et de martyr.
Ils sont venus nous relever dans cette neige. J’étais encore malade, mais j’étais content de voir que nous allions redescendre rejoindre la compagnie qui se trouvait à 1200 mètres d’altitude.
J’étais toujours malade et le 24, j’ai été évacué à l’ambulance de l’escouade. J’avais 40.5° de fièvre.
Le lendemain, le 25, la fièvre a commencé à descendre pour disparaître.
J’ai rejoint ma compagnie
et je suis monté retrouver la section qui était en ligne sur le piton Tomoros à 1800 mètres d’altitude, toujours dans la neige.
Pour aller chercher la soupe aux cuisines, il fallait une demi-heure de
descente et deux heures pour remonter cet à pic.
Nous avons été relevés le 1er mai et sommes redescendus à 1200 mètres : là, pour aller à la soupe, c’était à ¼ d’heure aller-retour.
Il a fait beau temps du 27 avril au 10 mai avec quelques coups de main à donner au 6ème bataillon. (*)
(*) : Le 7 mai, le régiment perd tout de même une quarantaine
d’hommes.
À 4 heures du matin, nous sommes partis pour aller relever le secteur du Mali-Sat, avec les sacs complets : nous avons mis cinq heures pour monter, mais il faisait beau. Nous avons bu un grand jus et je n’en pouvais plus.
Le lendemain, au boulot de fortifier Mali-Sat d’où l’on domine les autres secteurs jusqu’à la plaine ainsi que le lac d’Okrita et de Prespa.
On voit la ville d’Okrita avec ses fumées.
Je retombe malade avec 39. 8° de fièvre.
Je suis redescendu à l’ambulance de l’escouade avec 39. 1°.
Le jour suivant, j’allais mieux.
Il m’est sorti des boutons autour de l’œil gauche.
J’allais mieux, mais le 26, j’avais à nouveau de la fièvre.
Je suis monté en ligne mais je suis resté à la section de réserve pour me reposer jusqu’à ce que ma section soit redescendue de Tomoros. Ils sont descendus le 7 juin, et nous avons passé trois jours en réserve ; puis le 10, on est allé en ligne à 50 mètres et c’est là que les boches devaient attaquer en force pour le col.
Pendant trois nuits nous étions en alerte avant que tout redevienne calme.
Nous avons été relevés et nous avons passé trois jours en réserve avant de monter pour la 3ème fois au Mali-Sat dont je garderai un grand souvenir.
Nous avons eu une attaque turque à la Pyramide, après 24 heures de bombardement. Malgré cela, nous avons tenu.
Depuis ce jour-là, jusqu’au 24 juillet, rien que les bombardements ; mais en revanche, les souffrances des chaleurs accablantes…On travaillait en première ligne, toujours couché sur la dune et sur les cailloux.
Enfin, je ne peux garder que de mauvais souvenir de l’Orient : on allait prendre quelques bains au lac de Prespa mais il fallait 5 heures pour aller et venir et nous n’avions que la demi-journée de libre.
Enfin, voilà que le 29 juillet 17, à 7 heures du soir, l’ordre arrive qu’il me faut redescendre aux muletiers et je suis arrivé en bas à minuit.
J’ai couché dans le bois en plein air et le lendemain, il nous a fallu aller à Gorica-le-Haut, pour reprendre les munitions car nous sommes relevés par les Russes ; ce jour-là, nous ne pouvions pas marcher à cause de la chaleur et nous sommes arrivés à 3 heures du matin.
Maintenant, on attendra la relève russe dans la nuit du 1 au 2 août.
Nous avons été relevés par eux dans la nuit du 3 au 4 août.
Nous avons couché à Sulin (*), d’où nous sommes repartis dans la nuit du 5 au 6 après avoir fait une étape de 18 km, nous sommes arrivés au Tsangoni (**), où nous avons passé deux jours dans un bois (chaleur) et nous en sommes repartis dans la nuit du 8 au 9 août.
Après une étape de 15 km, nous avons campé aux environs de Biklista, au milieu d’un champ et en plein soleil d’orient où l’on ne pouvait pas rester le jour et nous obligeait à aller à 2 km chercher de l’ombre.
Là, nous sommes restés 3 jours, puis nous sommes repartis dans la nuit du 12 au 13 août, et après avoir fait une étape de 25 km, nous sommes arrivés à Breznika où nous avons passé la journée.
Cette étape a été très rude et dans la nuit, il faisait si chaud que la capote en était mouillée. De là, nous sommes repartis dans la nuit du 13 août et nous sommes arrivés à Zélova le 14 au matin après avoir fait 15km. Nous avons campé dans un champ à mi-côte. L’étape n’a pas été si dure que la veille ou il avait fait très chaud dans la journée.
Nous sommes repartis le 15 août à 2 heures du matin et après une étape de 22 km, nous sommes arrivés au col de Pisavirac (6 km avant d’arriver à Florina).
(*) : Sulin est maintenant Diellas.
(**) : Tsangoni, maintenant Cangonj.
Nous avons eu repos et je me suis rendu à Florina, où j’ai pu boire un bon coup (je n’en avais pas bu autant depuis huit mois).
Nous sommes repartis dans la direction de Monastir et après une étape de 15 km, nous avons campé au soleil ; il faisait une chaleur étouffante.
Nous sommes repartis pour une étape de 20 km et traversé les mauvais chemins de la Serbie, pour arriver dans un patelin où l’on a pu mettre les mulets dedans et dormir au-dessus.
Sur la route de Florina à Klestina, nous nous sommes passés devant Klebesnica, puis Kladerop et nous avons couché à Klestina.
De là, nous sommes repartis le lendemain pour passer à Bitunic, en Serbie, pour arriver à Kisovo : il y a 6 km de route et nous étions au repos.
Je suis allé à Florina pour chercher les effets et j’ai appris que Salonique était tout en feu.
Toujours le même climat et les chaleurs accablantes et les mêmes mœurs : ils se cachent toujours, surtout les femmes et les filles. Puis ici, c’est les femmes qui travaillent et les hommes qui fait l’albanque ( ?).
Après avoir passé 17 jours de repos dans ce patelin, nous sommes repartis le 4 septembre pour passer la journée sur la route, puis le 5, dans la nuit, nous sommes repartis pour arriver à 4 heures du matin à Monastir.
Nous sommes allés en ligne sur la gauche de Monastir et le Lt a trouvé un patelin tout démoli qui s’appelle Rastani.
Nous avons monté le ravitaillement en ligne sur une montagne (1248) ; nous sommes dans un ravin où l’on étouffe de chaleur et dans la journée, il faut arroser les toiles si l’on veut y rester.
En passant dans Monastir, l’aspect était comme l’aspect d’une ville française, mais elle a été bombardée et l’on n’y trouve rien à acheter sauf des tomates, des piments et à boire, de la citronnade et de la grenadine.
Nous sommes restés en ligne : le régiment était à 1248 (*) et le T.C. (**), se trouvait dans le ravin de Smolévo, tout près de Bukova et de Lahce ; nous sommes en arrière de Monastir.
(*) : 1248 est le Kjeromarica un peu à
l’ouest de Rastani.
(**) : TC : train de combat.
J’ai vu SANGUI à Monastir: nous avons pu boire un coup ensemble et ce n’était que de l’eau.
Le lendemain, je suis allé le voir à Brusnik, tout proche des lignes et nous avons mangé ensemble et bu un bon coup.
Puis, j’ai vu Henri HERMAIN.
J’ai été appelé par le sergent pour une lettre lui demandant si je n’étais pas celui qu’il cherchait. J’ai été très surpris de le voir derrière moi, mais c’est avec un grand plaisir qu’on a de pouvoir se rencontrer deux du même patelin, surtout ici, si éloigné de son pays natal.
C’est une grande joie de pouvoir passer une demi-journée ensemble et étant si près, je vais souvent le voir.
J’y suis allé le 27 et nous nous sommes retrouvés avec SANGUI : qu’elle joie de se voir à trois du même pays natal car ici, c’est une souffrance : on ne reçoit des nouvelles qu’une fois tous les 10 jours.
L’hiver macédonien commence à se faire sentir et la bise du Vardar, nous passe au papier verre ; nous avons commencé à voir la neige sur les hauteurs des montagnes, puis encore tous les soirs les bombes sur Monastir.
Le soir, en passant pour aller faire le ravitaillement, nous sommes bombardés…
Il y a eu un bombardement et nous devions attaquer, mais le mauvais temps a gêné les opérations : il a mieux valu car à travers les montagnes, ce n’est pas… et pour moi, ça ne me dit rien du tout si ce n’est que des souffrances.
Avant le bombardement, il y avait beaucoup de femmes et de demoiselles à Monastir, habillées à l’européenne, qui ne se cachaient pas. Depuis, tout çà est parti : quand est-ce que l’on pourra avoir une petite perme pour aller voir notre belle France et jolie française ?
Le soir, quand nous ne sommes pas de corvée, on va se mettre dans une cagna de toile et on discute un peu pour faire passer le temps ; nous avons une bougie dans une bouteille au milieu de nous. Nous n’avons que çà pour passer le temps car si on se disait rien, les heures seraient des jours et les jours seraient des années, surtout ici si éloigné de tous ceux qui nous chérissent.
Ah ! Quand cette maudite guerre finira ?
Nous avons été relevés par le 227ème RI et nous sommes allés au repos pour 20 jours à Dragos qui se trouve en Macédoine et à 13 km de Florina où nous avons eu du bon pinard dans un café sur la route de Monastir. Nous sommes cantonnés dans le village et dans les maisons où nous sommes, il y a des gosses qui appellent leur mère toute la journée.
Enfin, tant que nous sommes là, ça va très bien…si ce n’était l’éloignement des parents.
Au matin, nous avons quitté Dragos pour Kissova où nous faisions des corvées tous les jours. Nous avons été vaccinés le 25 novembre 1917. J’ai été malade toute la nuit, et le lendemain, j’avais de la fièvre. Nous sommes toujours au repos ; on est parti à Kissova le 1er décembre ; nous avons cantonné à Holeven. C’est là que j’ai vu Louis PHALIP.
Le lendemain, nous sommes arrivés à Monastir où nous sommes restés 4 jours dans des casernes brûlées, puis dans la nuit de 5 au 6, nous avons relevé le 157è RI. à 1248, au-devant de Monastir. J’étais toujours muletier et on était dans le ravin de Bukova, puis le 15.12. 17 le sergent m’appends la nouvelle que je suis relevé par un des vielles classes tout de suite.
Je suis allé voir SANGUI et j’ai dîné avec lui.
De retour, j’ai vu HERMAIN et à 5 heures du soir, je prenais mon sac pour aller rejoindre les copains en ligne ; malgré cela, je ne m’en faisais pas car ce n’était que de droit et comme j’arrive chez le commandant de la Compagnie, mon sergent qui était monté d’avance me dit : viens, on va le trouver et lui me fait descendre aux cuisines.
Dans le ravin des Italiens, pour assurer le service de l’eau, je suis resté jusqu’au 20.01.18 ; je n’y étais pas trop mal mais les boches nous bombardaient souvent.
Nous sommes allés en réserve à Monastir où l’on faisait les corvées en ligne, dans la plaine, du côté de Pérristéric. La journée, nous n’avons rien à faire et les gens sont toujours pareil et se cachent la figure et on n’y comprend que dalle…
Nous sommes restés à Monastir où nous allions faire les corvées tous les soirs dans la plaine au nord de Monastir. Nous avons eu du beau temps durant toute cette période mais voilà qu’hier, nous avons eu 50 cm de neige.
Nous allons relever ce soir à 1248.
Nous sommes revenus à nos anciens emplacements dans le ravin de Smolévo. Il fait un temps très froid et il neige.
Journées et nuits très froides et toujours la neige ; le soir en allant ravitailler, on s’enfonce dans la neige jusqu’au ventre et on arrive tout gelé.
La neige commence à fondre.
J’ai quitté le ravin pour venir à Zlokukjan, au TC 2 où je suis allé le lendemain chercher du bois dans la neige.
J’étais allé voir le copain SANGUI le jour même de la relève et après avoir mangé un bout, je me suis couché sur le sol.
Là, au camp du général COLIN, nous avons passé la journée et le 19 avril au matin, on repartait pour Krestina où nous sommes arrivés à 5 heures du matin.
Nous avons passé la journée sous les bâches avec la pluie et le soir, à 8 heures, on partait avec la pluie qui tombait à verse.
Cela a continué jusqu’à ce que l’on soit arrivé à Koteric le haut.
Il était 5 heures quand nous sommes arrivés après avoir traversé Florina à 11 heures 30, puis une rivière où nous avions de l’eau jusqu’au ventre. En fin de cette étape, nous n’avions que des dents sèches ; nous n’avions faits QUE 24km.et il était 4 heures et demi du matin quand nous sommes arrivés.
Le soir, j’ai rouscaillé un voleur de vin.
Tous les 100 mètres, on s’arrêtait une demi-heure dans la flotte.
Enfin, arrivés au patelin de Koteric-le-Haut, nous n’avions rien pour coucher et il a fallu le faire à la pluie. Heureusement que j’ai pu trouver une bergerie où nous sommes tous renté ; il a fallu quitter tous nos vêtements car nous étions mouillés : nous n’avons pas eu le courage de débattre et nous nous sommes couché.
ce n’est qu’à huit heures du matin que nous avons débâté et donner de l’avoine.
Dans la même journée du 20, on a trouvé une maison où loger, mais seulement, comme c’était….il a fallu en rechercher une autre.
Nous sommes allés dans une écurie qui était pleine de fumier : les biézimir rouscaillaient ( ?) en disant que c’était pour les bœufs et les bourricots. Malgré cela, nous y sommes restés car nôtre peau vaut celle des bêtes (surtout au repos).
Le soir, j’étais de garde d’écurie et j’ai dû monter un plumard avec deux perches et deux sacs car j’étais le premier, cette nuit-là. J’ai bien dormi car j’en avais bien besoins et le lendemain, le 21, je me suis rendu à Florina gare pour chercher les bagages. On est parti à 11 heures et nous sommes arrivés le soir à 8 heures après avoir fait plus de 30 km.
Le soir, j’étais toujours garde d’écurie et comme j’étais bien mieux qu’à l’autre endroit, j’y suis resté tout le repos.
Au matin nous n’avons fait que le pansage et comme j’allais donner de l’avoine à mes deux mulets, je reçois un coup de pied d’un autre mulet sur la main gauche. Heureusement que j’avais la main à bas ventre, sans cela, il aurait pu me faire plus mal.
Ce soir, je n’ai rien à faire car je reste seul : je vais faire un mot à mon cantarielle ( ?) car depuis la relève, je n’ai pas écrit mais ce n’est pas sans y penser.
Après la soupe, c’était 11h 00, je suis allé à Florina gare chercher du matériel quand je suis arrivé à Koteric là-bas où je me suis aperçu que le mulet de derrière était resté en route; il faut dire qu’on marchait tellement vite qu’on ne pouvait pas s’en apercevoir, j’ai donné le mulet à un autre et ensuite j’ai fait demi-tour et je l’ai trouvé dans les champs en train de casser la croûte. Ce jour-là je l’aurais tué.
Je suis arrivé comme les autres partaient et je les ai rattrapés a un 1 Km de la gare après avoir trouvé une rivière que lui ne voulait pas passer dans l’eau et moi j’en avais jusqu’aux genoux.
De bon matin à 8h on est allé aux champs, car le colon est venu et il en a foutu une pleine tartine pour la tenue on connaît bien qu’on est au repos il commence à nous énerver : mais en ligne on le voit jamais !
Le soir je me suis couché car j’avais le noir de voir de belles journées et soirées et se voir tout seul éloigné de tous ceux qu’on chéri, Ah quel fléaux, quel cauchemar cette guerre, quand est-ce qu’elle finira ?
Nous sommes allés à Koteri chercher du matériel pour les cours et on est allé le porter à Belkamen où il a fallu monter 800 marches pour arriver au patelin et il était habité par des Roumains ; on a vu tout de suite que ce n’était plus les même meurs.
De 2 à 4h nous avons eu concert de musique.
On chantait, mais malgré cela, le moral n’y était pas. Cette soirée m’a rappelé le passé (passé inoubliable il me semblait que c’était Cecilien avec ROQUE qui chantaient « s’est-il l’égalité ? »); ce concert s’est fait à Koteri, tout proche d’un monastère, sous les arches.
Nous sommes partis à 3 heures de l’après-midi, avec la pluie, depuis Koteri-le-Haut pour arriver à 5 heures du soir à Mahalla. Nous avons couché dans un bois où nous avions déjà couché l’année dernière, avant d’arriver à Florina où il tombait la neige !
Le lendemain matin, nous sommes repartis de Mahalla à 3 heures pour faire 7 km (on mit 3 heures), traversant Florina 0 7 heures. Nous sommes arrivés au km 6, qui était le camp du général Grossetti, à 12 heures, où l’on a été cantonné sous nos toiles au bout d’un ruisseau.
Corvée sans jour de repos.
Nous avons trouvé du pinard et on a bu un bon coup, puis, nous sommes partis à Monastir où l’on a vu le général GUILLAUMAT en revenant pour souper. On a eu un litre, puis avec FAUX et quelques copains, on a recommencé à boire ; enfin, pour la première fois que je suis en Orient, je marque ma journée par une bonne cuite !
Repos.
On était toujours au repos au camp Grosseti, mais le 157e et le 227e d’infanterie, sont allés en réserve des Italiens, où l’on avait avancé de 11 km.
Nous avons eu une bordelaise de pinard et la musique est venue nous donner un concert rien qu’aux vingt muletiers. Cette P.E.M. et cette bordelaise ont eu mal au ventre. Nous avons fini la soirée avec les copains, Poux, B. René, B. François et nous avons discuté le coup sur la guerre tous les cinq : nous nous sommes couché vers 1 heure du matin !
À trois heures du matin, je suis parti porter les lettres à Kukovani, à 14 km d’ici et je suis revenu en plein midi sous la chaleur. En arrivant, j’ai rencontré les copains qui dînaient à table, voilà que les vieux m’appellent : JALLUE, ROUX, VILTORTE et d’autres, mais eux avaient bu depuis 6 heures….
Vers les 2 heures, un s’est levé pour faire une commission et il faut dire aussi qu’une petite rivière coule à côté de nous.
C’était mon FALLUE, l’équilibre lui manque et il va à la flotte : nous le voyons et on y court et à la place d’être un, ils étaient cinq qui sont remontés à quatre pattes : heureusement qu’il n’y avait que trente centimètres d’eau.
Ah, un film de cinéma de valeur t’aurait eu ! Puis ils se sont mis à m’envoyer des fusées rouges pour le canon de 37m/m.
Enfin, le soir, de nouveau dans la cagna, les cinq de la veille, nous avons recommencé : on était propres et vers les 1 heures du matin, nous nous sommes mis à chanter ! Oh ! depuis, je ne m’en rappelle pas d’en avoir pris autant car ici, en Orient, il faut profiter de l’occasion ; ça ne nous arrive pas souvent surtout depuis un mois que nous sommes au km 6 – camp Grosseti – Nous avons assez souffert depuis 17 mois que c’est bien de juste si l’on peut en profiter pendant ce temps de repos où nous sommes à l’abri des balles et des canons.
La bordelaise a eu mal au cœur : après deux jours et des secousses pareilles, elle était vide. C’était le moment, car ce jour-là, il a fait beau.
Le temps est orageux mais l’on a toujours du pinard, car des coups ici en Orient, cela arrive rarement.
Quelques corvées et port de lettres à Kukoverri (Kukovanic ?) où l’on se mettait 28 km dans les pattes.
J’ai été malade, puis le lendemain, ça m’a passé ; c’était la grippe et presque la moitié du bataillon était aussi comme moi.
Ça m’a repris plus fort et l’estomac était serré comme un étau. Je suis allé à la visite pendant deux jours : j’avais 39.8° de fièvre. Je n’ai mangé rien du tout et le huit, ça allait mieux. Je me suis aperçu qu’en un rien de temps, j’avais maigri, surtout avec cette fièvre et encore, pour le moment, l’appétit n’est pas revenu. Je ne trouve aucun goût au tabac et je ne bois pas de gnole.
Aujourd’hui, j’ai recommencé à boire du pinard, mais je suis resté huit jours sans en boire.
Cela allait mieux et j’ai commencé à manger ; les turcs font ramadan, 40 jours ils vont manger le matin avant que le soleil se lève et le soir, après le coucher du soleil. Ils passeront la journée sans boire, sans manger et sans fumer.
Beau temps et chaleur étouffante. Les permissionnaires doivent partir le 17 jusqu’au 20 novembre : mon tour approche.
Du 15 au 16 juin
Il a fait des chaleurs étouffantes ; en ce moment, je suis de garde d’écurie depuis 6 heures du soir et il est 11h ½ et toutes mes pensées sont loin d’ici.
Enfin, bref, j’ai tellement le cafard de cette vie d’Orient surtout aujourd’hui, dimanche, que nous avons passé à parler des permes pour passer le temps avant que minuit n’arrive et qu’on me relève de la garde d’écurie. je suis obligé de prendre ma plume et de mettre trois mots sur mon calepin : j’en ai marre, marre et plus que marre d’Orient.
Il me tarde d’aller voir mes parents et ma chère Antoinette car c’est honteux de voir ce qui se passe après 18 mois d’Orient et surtout 4 ans de guerre. Ils veulent tous nous faire zigouiller, ce n’est pas possible et tout le temps les même à se la faire casser…Quand est-ce qu’elle finira cette guerre ? Quand est-ce que ses vrais bouchers auront fini ses carnages ?
Enfin, je m’arrête là car le carnet ne serait pas assez grand pour contenir tout ce que je pense !
C’est super, minuit, l’heure de la relève. Le copain va venir me remplacer et je vais aller me coucher mais pas avec un bon moral ; espérons que demain le cafard m’aura un peu passé, ainsi que les jours suivants.
Aujourd’hui, oui, je peux marquer la journée à l’encre rouge car jamais encore depuis que je suis en Orient, (voilà 18 mois sous peu) je n’avais eu le « noir » comme ce soir.
Le copain POUX m’a quitté à 10h et je suis seul dans une cagna, sous une toile, car le copain qui était avec moi, m’a quitté pour une perme et notre sous-off. nous quitte demain : GAIE Albert.
Oh ! Quand est-ce qu’elle viendra ma perme !!!! Et vivement la paix…
Il a fait très chaud et nous avons été obligés de mouiller les couvertures et les mettre sur la toile de tente si on veut y vivre ; malgré cela, on s’en fait pas trop car on est toujours au repos mais on commence à se faire vieux car il y a dix-huit mois qu’on n’a pas vu la France et le cafard travaille surtout que voilà deux courriers que je n’ai rien reçu.
On s’attendait à ponter en ligne. Dans la nuit du 2 au 3 juillet 18, on a fait une étape sur Monastir et nous avons cantonné à SVECTA au km 90. Le lendemain, dans la nuit du 3 au 4 juillet, on a cantonné dans les casernes : en deux jours, nous avions fait 35 km ; le lendemain soir, dans la nuit du 4 au 5 juillet 18, on est de relève dans la plaine de Prilepente, Monastir et 1050.
On a relevé le 44è Colonial et tous les mulos sont venus à Bistrica, dans la plaine.
Nous nous sommes montés les cagnas et dans la nuit du 6 au 7, je suis allé monter les sacs des Poilus ; je suis parti à 8 heures du soir pour rentrer à 5 h. du matin. J’étais vanné, j’en pouvais plus, et de suite arrivé, je me suis couché sur une meule de foin.
Je ne suis pas monté en ligne car j’avais le dessous du pied gauche plein de boutons et je faisais le fonctionnaire en calot (pas avoir voulu les galons).
Toujours le même boulot et le 29 au soir, nous avons embarqué à la gare d’Holevein à 10 heures, 11h. Florina, 1 h. du matin, Banica d’où nous sommes partis à 8 h .pour Ostrovo le jeudi 30 à 11h. du matin.
Nous sommes repartis à 9 h. du camp et nous avons attendu jusqu’à midi le train de Vertekope et Njausta où nous sommes restés trois jours ; nous sommes allé au boulot, mais le bouleau que l’on faisait était bien petit surtout quand l’on pensait revoir nôtre Belle France, nos fiancées et nos parents.
Tous ces trois soirs, avec mon ami Louis, nous sommes allé nous promener dans les champs et parler de cette belle perme que nous allons passer…
Enfin, au bout de ces trois jours de cauchemar ou de cafard, on est parti de Njausta : nous étions le 4 août, 5 h. du matin pour aller prendre le train, il a fallu faire deux kilomètres et avec la chaleur et le gros sac, la sueur nous coulait.
A 7 h. du matin, Flavy ; départ à 11h. 11 h./6h., Larissa.
Sept h. du matin, Bralos. Nous avons pris des autos pour traverser le col jusqu’à Itéa ; la route était à peu près jolie, mais les tournants étaient brusques ; on s’est même demandé si l’on n’allait pas descendre dans un ravin. On se cramponnait pour ne pas dégringoler de l’auto. Nous avons eu une panne, mais pour rattraper le convoi dans lequel nous étions, nous faisions au moins 90/km heure.
On voyait la plaine avec les oliviers et la mer : à 3 h. on est arrivé à bon port, à Itéa, mais avec une chaleur étouffante et un mal de tête.
Nous avons embarqué sur l’Odessa, et quitté le port d’Itéa à 4 h. du matin. Tout le temps de la traversée, passée en 2è cale, j’ai été malade. Nous sommes arrivés à Tarente le 7 juillet 18, où nous sommes restés trois jours.
Nous avons quitté Tarente le 10 août à 3 h. de l’après-midi pour être à Foggia le 11 au matin : ville assez grande où nous avons bu un jus. Nous sommes passés à Benevento, Caserta, Rome, Livorno, Gènes, Sanova, San Rémo, Bordighéra, Ventimille (14/08/1918). En traversant Livorno, nous avons vendu pour 70 francs de singe. Des gosses venaient dans nos poches prendre de l’argent.
Nous sommes passés à Menton, Monaco, Nice, Cannes, Toulon, Marseille (3h ½ du matin le 15.08.18) Je suis allé voir mon cousin le commandant où j’étais bien reçu.
J’y ai soupé deux fois mais j’ai manqué le dernier train et je suis descendu avec lui à la plage de Marseille. ALEIX m’attendait, mais j’étais en retard et nous avons pris une voiture et le 16 à 10 heures du soir, je prenais le train pour Tarascon, Lunel, Nîmes, Montpellier, Sète, Adge (17/08/18) et enfin, j’arrivais à la gare de mon beau petit Villeneuve-lès-Béziers que j’avais quitté depuis vingt mois.
Quelle joie, lorsque j’ai vu à la gare, ma chère fiancée, ma cousine Suzanne et René, ma sœur Annette et mon père. Je ne savais pas comment faire tellement j’étais content…Je les embrasse tous, et nous allons à la maison. Ensuite, je suis allé voir mon oncle Marius, Etienne, et Pierre.
Voilà ma vie et ma campagne d’exilé en Orient pendant vingt mois.
Un Poilu, qui sans rien dire, a souffert de toutes les privations pendant vingt mois.
Le 27 août, nous nous sommes mariés ; la bonne vie recommence…
C’est sans regret que j’ai quitté l’Albanie, la Serbie, et la Grèce dans l’espoir de ne jamais plus les revoir !
LE POILU DU 210è Inf.
13è compagnie S.P.156
Charles NICOLAS
FIN
Contacter le propriétaire
du carnet de Charles NICOLAS
Voir
des photos du 210ème régiment d’infanterie
Suivre
sur X (Twitter) la publication en instantané de photos de soldats 14/18
Vers d’autres témoignages
de guerre 14/18