Notes de guerre du caporal Henri PETIT

mitrailleur au 118e régiment d’infanterie

 

" MON DERNIER COMBAT " - 27 MAI 1918

 

Mise à jour : août 2019

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118e régiment d’infanterie

 

Dominique nous dit en février 2005 :

 « Il semblerait que cette photo ait été prise au printemps 1918, dans le secteur du Chemin des Dames, entre Hurtebise et Vauxaillon.

Il s'agit d'éléments du deuxième groupe de combat de la deuxième compagnie de mitrailleuses du deuxième bataillon du 118ème régiment d’infanterie. L'homme à gauche sur cette photo est le caporal Henri PETIT (mon grand-père). Je vous envoie cette photo libre de tout droit de diffusion et de publication.

Les seuls renseignements en ma possession concernant les autres hommes sont qu'ils ont subi le 27 mai 18 dans le secteur de Hurtebise un terrible bombardement aux gaz et qu'après être montés en ligne peu d'entre eux ont survécus.

Je vous fais parvenir par ailleurs un petit texte écrit par mon grand-père "Mon dernier combat" qui comme vous le verrez relate sa dernière journée au front : le 27 mai 18. Je vous laisse la liberté d'en faire ce qui vous semble utile. »

 

Prélude

Du 22 avril au 25 mai 1918, 2 bataillons du 118e régiment d’infanterie tiennent le secteur d’Ailles au « Plateau des Casemates », le 3e bataillon étant en réserve à Pargnan.

Il semble que ces lignes furent écrites après la guerre.

 

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Début du carnet

 

Alors que nous avions été relevés des premières lignes le 21 mai 1918, nous nous trouvions, depuis cette date, cantonnés dans un petit village du nom de Pargnan situé à proximité immédiate du secteur de combat "Le Chemin des Dames ».

C'est là que j'appris que m'était accordée la permission que j'avais sollicitée à l'occasion de mon mariage (10 jours de détente, plus 2 en raison d'une citation dont je fus personnellement l'objet, plus 3 jours pour mon mariage) mon départ étant fixé au lendemain matin.

Quelle joie de pouvoir, deux semaines durant, m’éloigner du front, du bruit de la mitraille, me retremper parmi les Miens et retrouver celle qui m’était très chère et m’attendait, ma fiancée.

 

Quelles perspectives heureuses, mais hélas !

Quel désenchantement quand dans l’après-midi du 26, survint au cantonnement l'alerte qui nous enjoignait, par ordre de la division, de demeurer sur place en attendant les instructions ultérieures.

 

A 17 heures, nous apprenions la suppression totale des permissions, certains renseignements parvenus à l'état-major laissant prévoir pour la nuit à venir, une gigantesque offensive ennemie.

J'avais encore espéré qu'il ne s'agissait là que d'une fausse alerte, mais à 10 heures du soir tout espoir était consommé, le rassemblement avait lieu et nous prenions la direction des tranchées. Cheminant le long des pistes accidentées nous constations que la nuit était d'un calme exceptionnel, aucun bruit, pas un coup de canon, l’airain toujours grondant marquait un mutisme anormal.

Seules de très nombreuses fusées, lancées à jets répétés, éclairaient le ciel de leur lueur blafarde, nous laissant prévoir qu'une certaine inquiétude se manifestait dans les lignes avancées. Nous sentions que quelque chose d'insolite planait sur nous, plus nous avancions, plus l'angoisse se faisait pesante et grandissante.

 

Nous arrivions à nos positions vers 23 heures 30 ; il était temps, 20 minutes plus tard se faisait entendre un formidable et fracassant bruit de tonnerre. C’était le déclenchement du bombardement adverse. Jamais de mémoire de combattant, une telle intensité de feu ne s'était prononcée sur l'ensemble du théâtre des opérations : 7 000 pièces de canons, à cadence rapide, crachaient un nombre incalculable de projectiles de tous calibres, parmi lesquels des obus toxiques à gaz ypérite et vésicants, bouleversant les tranchées, détruisant les centres de résistance, rompant les fils téléphoniques et supprimant de ce fait toutes communications entre unités, ensevelissant hommes et matériel.

Une chance subsistait encore pour nous, les mitrailleurs, nous trouvant, pour un moment, abrités dans une carrière profonde et spacieuse" les Creutes " (*) aux structures solides et protégées dans sa partie supérieure par une épaisse couche de terre.

Pressé d'en finir avec cette guerre qui durait depuis si commandement allemand avait concentré toutes ces dernières forces en cette partie du front. Il jouait ses dernières cartouches et son ultime atout.

Il lui fallait coûte que coûte percer les lignes ce qui lui permettrait de lancer vers Paris une marche foudroyante et décisive.

 

(*) : Cette creute se nomme « creute de la Somme ». JMO

 

Dès l'aube du 27 mai, les fantassins allemands se ruaient sur nos tranchées de première ligne qu'ils franchissaient avec une pleine facilité, les occupants ayant été décimés et mis hors combat par la violence du bombardement. Il en était de même pour la deuxième ligne et c'est ensuite qu'ils tombaient en contact avec nous.

À ce moment-là, n’ayant subi que peu de pertes, nos éléments se trouvaient encore presque au complet. Nous pouvions encore offrir une solide et efficace résistance à l'ennemi et c'est ce qui se produisit.

Malgré des assauts répétés nous tenions tête, mais des renforts continuels parvenant à l'ennemi et ne formant plus nous même qu'un îlot de résistance, la lutte devenait inégale ; nos ailes se trouvaient débordées et l'encerclement total ne se fit pas attendre. Nous abandonnions cependant pas, pour autant le combat ; submergés de projectiles de toutes sortes, minenwerfer, torpilles, balles, grenades à fusil et à main et ultime atrocité ; jets de liquides enflammés.

 

L'ordre avait été donné de rester ; coûte que coûte, sur place aucun repli n'étant toléré ; faire face à l’ennemi jusqu’au dernier. Cette consigne a été scrupuleusement observée, mais nos pertes devenant énormes et nos munitions épuisées nous ne pouvions plus poursuivre la lutte au moment où les assaillants parvenaient à mettre en batterie une mitrailleuse qui nous prenait d'enfilade sous son tir.

J'ai dû mon salut à ce que j'ai pu me soustraire à son tir en me couchant pour ramper et me protéger derrière des cadavres et aussi des mourants pour atteindre l'escalier où comme une boule j'ai roulé jusqu'en bas me retrouvant dans la carrière où déjà se groupaient les derniers rescapés.

Étant monté le premier, en tête de notre section de mitrailleurs pour occuper ce centre de résistance, j’en redescendais le dernier.

Des grenades furent bientôt lancées, à l’entrée, par nos assaillants auxquels finalement nous nous rendions mais la tête haute quand même, avec le sentiment du devoir accompli ainsi qu'il en est relaté page 85 de l'historique de mon régiment et où figure page 93 le rôle joué par le 2ème bataillon ; auquel appartenait la 2ème compagnie de mitrailleuses dont je faisais partie.

 

Un spectacle épouvantable s'offrait à la vue, en considérant cette tranchée, que nous abandonnions jonchée de cadavres, certains d'entre eux restés les yeux grands ouverts, d'autres levant les bras et les mains au ciel. Une certaine émotion nous étreignait en entendant les dernières plaintes des mourants auxquels aucun secours ne pouvait être apporté.

 

Cependant, alors qu'ils nous avaient groupés pour nous diriger vers le lieu de notre internement, les Allemands, obéissant quand même à un certain sentiment d'humanité et de pitié, décidèrent de nous laisser emporter les blessés. Bien entendu, nous ne disposions pas du matériel dont se trouvent dotés les brancardiers mais à l'aide d'une couverture ou d'une toile de tente il devenait possible à trois ou quatre camarades, de transporter un blessé.

Celui que nous avions pris en charge était un jeune, nouveau à la compagnie parmi les derniers renforts et j'ignorais son nom. La veille il rentrait d'une permission passée en sa Bretagne natale et au cours de laquelle il s'était marié. Il portait sur le corps des empreintes noires de liquides enflammés, mais le plus graves pour lui était l'affreuse blessure que présentait son côté gauche où avaient pénétré plusieurs balles de mitrailleuse.

Voyant qu'on ne l'abandonnait pas ses yeux semblaient exprimer un certain espoir. Ne faisant entendre que faiblement ses plaintes se montrant héroïque c'est courageusement qu'il supportait son abominable blessure.

Parfois nous le déposions à terre pour constater son état, qui hélas, allait en s'aggravant, et tout à coup plus rien, plus un geste, plus une plainte, pour ce pauvre être meurtri tout était bien fini, la mort, encore une fois, avait accompli son œuvre.

 

Ma première pensée allait vers sa jeune épouse, là-bas en sa dune bretonne, le cœur sans doute rempli d’espoir, croyant la vie sereine, attendant le retour mais ignorant hélas ! La tragédie fatale qui en cet instant cruel se déroule à nos yeux, témoins pleins d’amertume ; mariée depuis quelques jours et si soudainement veuve. Jour après jour, elle attendra.

Et cette horrible nouvelle quand donc l'apprendra-t-elle et qui la lui dira ?              

Je regardais ce corps inerte, ses yeux étaient fermés, son âme l'avait quitté. La couverture sera son linceul, on le roule dedans, recouvrant son visage et puis on le dépose sur le bord du chemin. Un ultime et dernier regard avant de repartir, dans votre ciel ô mon Dieu, veuillez donc l’accueillir ... c’est Lui mon dernier mort. Peut-être me dira-t-on, le combien était-il ? Je ne les ai pas comptés, mais ils furent nombreux et je me souviens d'Eux.

Pauvres martyrs, pour eux aussi c'était leur dernier combat. En eux demeurait l’espérance, ils parlaient souvent de la fin de la "grande tourmente", la cessation des hostilités, du joyeux retour au sein de la famille. Mais un impitoyable destin s'est montré fort cruel et au foyer qu'ils chérissaient, ils ne sont pas revenus.

 

A ma mémoire ; ils resteront toujours présents ; je me rappelle leurs traits et de presque tous je me souviens de leurs noms.

Oui, GIRY (*), ce jour-là alors que les Allemands, dans leur progression s'étaient rapprochés de toi, tu considérais, de ce fait la partie perdue ; levant les bras, tu te rendais à eux et c'est à ce moment que je vis l'un de ces soudards te transpercer de sa baïonnette pendant que deux autres retournant leur fusil, t’achevaient à coup de crosse.

Fou de rage à ce spectacle horrifiant je sautais de la tranchée et, relativement peu protégé par le parapet, je faisais feu sur eux tirant, pour te venger jusqu'à la dernière cartouche de mon chargeur.

 

(*) : GIRY Maxime Alexandre, soldat au 118e régiment d’infanterie, est mort pour la France le 30 mai dans un hôpital allemand comme l’indique sa fiche.

 

Pendant ce temps, SIALELLI (*), la tête traversée par une balle, donnait lui aussi, le sacrifice de sa vie et, l’hécatombe ne s’arrêtant pas là, tombaient à mes pieds, mortellement blessés, DABLIN et GLÉHEN. (**)

 

(*) : SIALELLI (Jean) Baptiste (de Corté, Corse), caporal au 118e régiment d’infanterie, mort pour la France le 27 mai 1918. Voir sa fiche.

(**) : DABLIN Germain Désiré (de Ponthévrard, 78), soldat au 118e régiment d’infanterie, mort pour la France le 27 mai 1918. Voir sa fiche.

GLÉHEN Pierre-Jean (de Tréguennec, 56), soldat au 118e régiment d’infanterie, mort pour la France le 27 mai 1918. Voir sa fiche.

 

Et toi aussi, anonyme d'une autre compagnie, tombé près de moi, l’artère carotide tranchée par une balle ; son menton raclait le sol à chaque saccade où le sang, à grands flots, jaillissait de sa plaie béante et mortelle. Je ne pouvais t'apporter aucun secours, rien te faire, qu’entendre avec effroi tes plaintes et recueillir ton dernier soupir. Tu as versé jusqu'à la dernière goutte, ton sang qui sur une très large marque rouge imprégnait cette terre que tu as défendue jusqu'au plus noble des sacrifices et qui t'a enseveli.

Et vous l'équipe des voltigeurs, surpris de dos par ces deux lance-flammes ennemis qui dirigeaient vers vous leurs jets meurtriers de liquides enflammés vous brûlant vifs ; certains d'entre vous recevant la pulvérisation en plein visage et poussant des cris atroces.

De la tranchée, une nouvelle fois, je sortais pour mieux viser vos agresseur ; dans le champ de mon tir je vis deux corps chanceler puis se contorsionner mais je tirais encore, Dieu me pardonne, c’était pour vous venger.

 

Je ne vous oublierai pas frères d’armes, glorieux héros tombés pour que survive la France.

" BOCABARTEILLE, CAYRON, BOURDON, MARCHANT, LE GUINER, AMBLARD, BILLOT, JULIEN " (*)

Et tant d'autres…

 

(*) :

BOCABARTEILLE Louis Bonaventure Sébastien (de Latour-de-France, 66), soldat au 118e régiment d’infanterie, mort pour la France le 13 décembre 1916 à Vaux (55). Voir sa fiche.

CAYRON Cyprien Jean-Marie (de Samouillan, 31), soldat au 118e régiment d’infanterie, mort pour la France le 30 mars 1918 à Mortemer (60). Voir sa fiche.

BOURDON Yves (de Pouldreuzic, 29), soldat au 118e régiment d’infanterie, mort pour la France le 7 avril 1917 à Laffaux (02). Voir sa fiche.

MARCHANT Marcel (d’Orléans, 45), soldat au 118e régiment d’infanterie, mort pour la France le 7 avril 1917 à Laffaux (02). Voir sa fiche.

LE GUINER François Pierre (de Ploujean, 29), aspirant au 118e régiment d’infanterie, mort pour la France le 7 avril 1917 à Laffaux (02). Véritable héros, l’historique du 118e régiment d’infanterie y consacre 2 pages… Voir sa fiche.

AMBLARD Jean François (de Pusignan, 38), soldat au 118e régiment d’infanterie, mort pour la France le 27 mai 1918 à Hurtebise (02). Voir sa fiche.

BILLOT Louis (de Paris), caporal au 118e régiment d’infanterie, mort pour la France le 9 octobre 1918 à Sainte-Marie-à-Py (51). Voir sa fiche.

JULIEN Pierre Marie Victor Louis (de Saint-Jacques-de-la-Lande, 35), soldat au 118e régiment d’infanterie, mort pour la France le 27 mai 1918 à Ailles (62). Voir sa fiche.

 

 

 

 

Les pertes du 118e régiment d’infanterie du 27 mai 1918. (JMO)

 

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