Mise
à jour : Mars 2020
Toute recopie de ces poèmes, même partielle, doit être soumis à
autorisation de Jean-Claude >>> ici
<<<
Jean-Claude nous
dit :
« C'était mon grand-père maternel, mais ce vocable ne fut pas,
pour moi, ni pour mes frères Bernard et Michel, empreint de l'affection
habituelle dans la mesure où il décéda en mai 1937, à l'âge de 52 ans, bien
avant notre naissance ! Très
affectées par cette disparition, suivie en 1940 par celle de son fils Georges
né en 1911, notre grand-mère Gabrielle, épousée en 1910, et notre mère Jeanine,
née en 1920, n'évoquèrent que très peu ce passé douloureux, en dehors des
commentaires factuels des photos de famille. Ces images attestaient cependant
de sa pratique musicale en amateur (violon et flûte).
Par ailleurs, et en même temps que sa profession de comptable, Lucien
et Gabrielle tenaient, à Montmorency, un commerce voué au plaisir des
sens : la «Marquisette» était d'un côté une
confiserie fine, et de l'autre une enseigne de musique (instruments de
lutherie, phonos et disques, méthodes et partitions, recueils de chansons et
monologues), témoignant ainsi de personnalités plutôt artistiques et
hédonistes. »
« Le talent créatif de Lucien ne nous fut révélé que très
récemment à l'occasion de la succession de nos parents, par la découverte d'une pochette cartonnée contenant un ensemble de
manuscrits datés et signés de sa belle plume, à savoir :
-- 20 poèmes et 6 chansons composés essentiellement en 1908 et 1909,
période de son service militaire dans la musique du 141ème RI et de sa
rencontre avec Gabrielle ROY (qui deviendra son épouse).
-- Un cahier parfaitement calligraphié à la plume, comportant 20 autres
poèmes et chansons, composés au front, entre octobre 1914 et juillet 1918, en
tant que combattant des 10e, 359e, 164e et 124e régiments d'infanterie. »
« Ce fut pour moi une
émotion intense de cerner, à travers ces écrits, toute la personnalité
créative, romantique, hédoniste et enthousiaste de ce grand-père jusqu'alors
méconnue.
« Durant toute cette campagne, Lucien PRADEL semble avoir
entretenu sa passion musicale avec son violon, en animant notamment la
structure culturelle l'«Arche des Poilus» (Les programmes visibles
ici) qui, lors des séjours
en arrière du front, organisait, avec une dizaine de conscrits de la même
compagnie, des spectacles de théâtre et chansons accompagnés par lui au violon
, au moins lorsqu’il était au 10e régiment d’infanterie de fin 1915 au 20
juillet 1916.
Les programmes ronéotés et illustrés de dessins, se trouvaient
également dans la pochette pour des représentations données à
Taillancourt-sur-Meuse les : 12 décembre 1915, 1er et 23 janvier 1916, et 6
février 1916 jour de la visite rendue à «l'Arche des Poilus» par le président
POINCARÉ accompagné des généraux JOFFRE et ROQUES ! »
« Un grand merci à mon fils Denis et à ses amis d'avoir transcrit
les partitions des chansons originales, d'avoir orchestré certaines d'entre
elles et d'avoir redonné vie à tous ces émouvants textes et musiques de ce livret,
qui n'avaient pas été dits ni chantés depuis un siècle. Ils me semblent très
représentatifs de l'état d'esprit romantique et léger de l'avant-guerre puis
grave et engagé pendant la guerre des tranchées.
Ce grand-père est ainsi devenu très présent à mon esprit, et rejoint
l'épopée de notre grand-père paternel, Edmond, Gaston MOCQUOT, également
bourguignon, engagé et blessé, comme brancardier de 1914 à 1918 dans nombre de
batailles de la Somme et de la Meuse...après un service militaire de 3 ans
(1910-1913) comme tubiste dans la musique du 31ème RI. »
Lucien PRADEL est né en mars 1885 à Nolay
(Côte d’Or). Comptable à 20 ans, il s’engage volontairement pour trois ans, en
juin 1906, au 141e régiment d’infanterie de Marseille. Il devient musicien en
septembre 1907. En août 1914, il rejoint le 27e régiment d’infanterie de Dijon.
Soigné pour maladie de mars à septembre 1915, il passe au 10e régiment
d’infanterie fin 1915 avant de faire plusieurs régiments jusqu’à la fin de la
guerre, les 359e (21/07/1916), 164e (21/04/1917), 124e (19/12/1917), 359e RI
(27/03/1918). Il ne sera ni blessé, ni décoré.
L’Arche
des Poilus du 10e régiment d’infanterie
Un de ces poèmes « Bébé à Noël. A
petit Georges » a été
présenté par Yanis K., élève en troisième dans le cadre d’un devoir de
français. Merci à lui de l’avoir choisi.
Sommaire :
Réponse à la lettre des enfants de France aux soldats français pour noël 1914
Sur l’air du « Petit Grégoire » de Botrel
Épître qu’un poux envoie à une élégante dame
Fait au bois
le 1er octobre 1914 (*)
Quels sont là-bas, ces gars qui vont à la bataille
En chantant des joyeux refrains
Couvrant de leurs chansons le bruit de la mitraille
Sont-ce des lions ou des humains ?
Ce sont de gais lurons et leur joviale trogne
Semble encore rougie de raisin
Je les connais, ce sont les enfants de Bourgogne
Fils de Bacchus, dieu du bon vin !
Ne reculant jamais pour la bonne besogne
Ils ont quitté leurs verts coteaux
Pour être ici, être prêts où ça cogne
Contre les maudits hobereaux !!!
Tel un chien auquel on dispute l’os qu’il rogne
Les Boches fuient, ils sont perdus
Hardi les gars, sus aux brutes qui sans vergogne
De notre vin se sont repus !
Bientôt pour vous, viendra l’heure de la victoire
Alors, reprenant un refrain
Gais Bourguignons, vous vous retrouverez pour boire
Un bon verre de vin du Rhin !
(*) : A cette date, Lucien était au 27e régiment
d’infanterie.
Fait le
19 octobre, en sentinelle au bois
Chanson
sur l’air des mamans de Botrel
Dans l’immensité de la plaine
Témoin d’un furieux combat
A l’orée d’un bois, sous un chêne
Seul, dans la nuit, tu restes là
Petit pioupiou, prête l’oreille
Ouvre bien l’œil, ne t’endors pas
Songe que pour l’instant tu veilles
Sur tes frères qui dorment là !!
Sans doute plus d’un sous la lune
Rêve au pays qu’il a quitté
A sa mère, ou bien à sa brune
Qui l’attend, le cœur attristé !
Tandis que toi, songe à la France
Le beau pays ensoleillé
Eternel berceau de vaillance
Patrie de la vraie liberté
St Agnant, le 25 décembre 1914 (*)
Jusque dans notre exil, la voie mélodieuse
Des cloches, cette nuit, nous a chanté Noël
Noël! Noël ! Noël ! Et la voix monstrueuse
Du canon s’est tue à ce beau chant éternel !…
A tous mes chers enfants, merci du fond du cœur
Pour le gracieux envoi de tant de bonnes choses
Que vous nous avez fait. Sur vos frimousses roses
Nous voudrions bien mettre en de fervents baisers
Tout notre amour et toute notre reconnaissance.
Hélas, bien chers petits, nous sommes exilés
Loin de vous pour défendre notre chère France !
Mais bientôt sonnera l’heure de la victoire
Et nous reviendrons alors couverts de gloire
Le jour est proche où les ennemis exécrés
De notre beau pays se verront tous chassés.
Bravant le froid, le feu, et toute la mitraille
Nous marcherons encore, s’il le faut, au combat.
Pour nous qu’importe les dangers de la bataille
Puisque c’est pour vous tous, chers enfants qu’on se bat.
(*) : Il s’agit de Saint-Agnant-sous-les-Côtes (Meuse),
zone de stationnement du 27e régiment d’infanterie.
En mars 1915, Lucien PRADEL tombe malade. Il part à
Marseille. Hôpital N° 1 du 19 mars au 1e juin, puis hôpital n° 42. Jusqu’au 7
juin. Puis à l’hôpital de Santenay-les-Bains
(Côte-d’Or) jusqu’au 12 septembre 1915.
Ste
Marthe (*), le 4 avril 1915
Au fond de mon exil, vous m’êtes revenu
Un seul de vos regards a ravivé mon cœur
Comme le premier jour où je vous ai connue,
Mes yeux en vous voyant, ont revu le bonheur
C’est que, comme autrefois, vous êtes si jolie
Que mes yeux, à vous voir ne peuvent se lasser
Et mon âme ressent une joie infinie
A relire tout bas, les pages du passé !!!
Le soleil, en passant, met dans vos boucles blondes
Un lumineux ruban fait d’étincelles d’or.
Vos prunelles sont plus bleues même que les ondes
Et leur reflet d’azur me fascine et m’endort.
Dans vos beaux yeux rieurs, je lis une promesse
Et vos lèvres s’ouvrant, appellent un baiser
Votre voix est pour moi une longue caresse
Une douce chanson que j’adore écouter !
Vois, le joyeux printemps, pour te fêter ma mie
Tout le long du chemin met des bouquets de fleurs
Et de chaque bosquet monte une mélodie
Eternelle chanson de l’amour et des cœurs !
(*) : L’hôpital Sainte Marthe de Marseille existe toujours.
(Sur
l’air de minuit chrétiens)
Fort de
Beauregard, 10 novembre 1915 (*)
Minuit soldat, c’est l’heure ténébreuse
Où le prussien, sortant de son trou noir
Profitant de l’ombre mystérieuse
Cherche à te porter le coup sans espoir
Mais vigilant, à l’affût de la bête
Tu l’aperçois et froidement l’abats.
Pendant qu’au loin une cloche répète
Noël, Noël, de nos petits soldats.(bis)
2ème
A ce doux chant, une ancienne prière
Monte en nos cœurs, vers le ciel étoilé
Notre pensée s’en va vers notre mère
Vers le pays, vers le petit clocher !
C’est que là-bas, en la chambrette close
Dort en son lit, bercé par sa maman
Un petit gars, joli chérubin rose
Noël, Noël, sur toi je veille enfant ! (bis)
3éme
Tout à coup, au milieu des ténèbres
Une clameur s’élève dans les rangs
Et la Marseillaise, aux accents célèbres
Retentit pendant qu’on crie « en avant » !
Partout bientôt, la mitraille fait
De longs éclairs luisent de tous côtés
Hardi les gars, allez plein de courage
Noël, Noël, c’est pour la Liberté !
Noël, Noël, c’est pour la Liberté !
(*) : Le fort de Beauregard de Fénay
(Côte d’Or) fait partie de la défense de Dijon.
C’est logique que Lucien reparte après sa guérison dans
ce fort de la ville de garnison des 10e et 27e régiments d’infanterie avant
d’être affecté dans l’un de ces 2 régiments.
Ce sera le 10e régiment d’infanterie au 9e bataillon.
Le 9e bataillon est un bataillon nouvellement
créé :
« Par ordre du ministre, il doit être créé dans
chaque région (18 bataillons au total), sous le titre de dépôt de passage, un
bataillon (circulaire ministérielle du 13 avril 1915). L'instruction des hommes
qui le compose devra être perfectionnée en vue des opérations futures.Le
bataillon devra être rapproché du front.
Taillancourt. 14 décembre 1915 (*)
Mes chers parents je vous écris
Pour vous parler du beau pays
Que nous avons depuis jeudi
Choisi pour not’ villégiature ;
C’est un chouet pat’lin, croyez moi
Qui vous plairait sur’ment, je crois
Car, sans même sortir d’chez soi
On peut admirer la nature.
D’abord, c’est presque une ville d’Eaux
Grâce à la crue du p’tit ruisseau
Qui découch’ de son lit, l’salaud
Et vient inonder le village ;
Aussi hier, en raison de ça
Pour que l’on puisse se tirer d’là
On a remplacé not’ barda
Par une bouée de sauvetage.
Mais j’oubliais, mes chers parents
De vous parler des habitants
Qui, pour nous se montrent charmants
Et nous lancent maintes œillades
Comm’ sans l’amour, y’a rien qui vaille
Ce matin, le cœur en bataille
J’ai pris une bell’ fille par la taille
Au cours d’une de mes promenades.
La belle avait de jolis yeux
Où se mirait l’azur des cieux
Et cachait quelque chose de mieux
Qui pointait dans sa chemisette,
Etant donné que j’suis pas d’ bois
Ces trésors me mirent aux abois
Et je lui jurai, sur ma foi
Un amour qui n’a pas de bornes.
Son mollet m’a paru bien fait
Et sa petit’ bouch’ qui riait
Avait un parfum qui m’grisait
Jusqu’à m’en faire perdre la tête
Mais la mâtine me rit au nez
Et m’dit « monsieur, vous plaisantez
Nous r’causerons d’cà , quand vous aurez
Au menton, quelques brins qui l’ornent ».
Bah ! Que j’lui dis, si ce n’est qu’çà
Qui vous chagrine, mon petit rat
Je connais quelqu’un pas loin d’là
Qui fera sûr’ment votre affaire
Car lui, malgré qu’il n’ait qu’ vingt ans
Port’ tout’sa barbe crânement
C’est un gaillard, assurément
J’vous l’enverrai, c’est mon p’tit frère !
(*) : Ni le 10e RI, ni le 27e RI ne se trouvent à
Taillancourt, mais cela s’explique car il est au 9e bataillon du 10e RI qui se
trouve en arrière du front.
(Sur l’air de la
marche Lorraine). Décembre 1915
Nez au vent, l’air déluré, l’ casque en bataille
Quand nous défilons en chantant un refrain canaille
Dans tous les patelins, chacun se dit Cristi
Les jolis conscrits
Depuis quatorze mois on ne s’amuse guère
En marchant on a fait six fois le tour de la terre
Et en manœuvrant, on a, j’ crois même aussi
Hissé nos fusils
Refrain
C’est nous les gars de la classe seize
Les cadets d’ l’armée Française
Au cri de « Vive la France ! »
Quand on nous invit’ra pour la danse
La baïonnette au derrière
Les sortant de leurs tanières
Nous pouss’rons à la frontière
Tous ces sales croquants d’allemands
Tambour battant
2nd
Quand sac au dos, fourbus, sur la route on s’ traîne
Pour chasser l’ennui, l’cafard, et nous remettre en veine
Tout à coup on entend la voix d’un copain
Qui pousse un refrain
C’est presque toujours le même que l’ vent nous apporte
Mais du moment que ça fait marcher, peu nous importe
Et puis dame ! Ici tout le monde ne peut pas
Chanter d’ l’Opéra.
Au
refrain
3ème
Bientôt là-bas, nous irons voir où ça cogne
Et l’on y fera mordious, de la belle besogne
Faudra bien un jour, qu’ les sujets du Kaiser
Nous en jouent un air !
Pour couvrir le bruit du canon et d’ tout’ la mitraille
Au plus fort de la mêlée et pendant la bataille
Pour qu’aucun de nous autres, jamais n’ait peur
On chant’ra en chœur.
Au refrain
Bois des J. le 18 mai 1916
Après trois jours de voyage
Nous voici rev’nus
Dans un délicieux cottage
Plus près des obus
Armés de pioch’ et de pelles
Dans notre maquis
D’une ardeur toute nouvelle
Nous creusons, hardi ! Hardi !
Hardi ! Les amis
2nd C.
Sous nos coups furieux, la terre
S’ouvre en trous profonds
Nous couvrons l’ bruit du tonnerre
Et d’ tous les canons.
Parfois même, pour nous distraire
Et faire plus de chambard
Comme à la fête, naguère
Nous allumons un pétard
Pour faire du chambard
3ème C.
Ici, près de l’observatoire
On fait d’ temps en temps
Comme jadis à la foire
Un tour d’ toboggan
Puis pour terminer la fête
Et nous r’mettre en train
On se tape un peu la tête
D’une croûte avec les copains
Avec les copains
4ème C
Une fois dans la semaine
Pour nous dérouiller
Les jambes, l’on nous emmène
Un peu patauger
Pour qu’il y ait plus de charme
On prend des chemins
Où sans doute même un gendarme
Y laisserait ses brodequins
Tout comme les copains !
5ème C.
L’commandant est un chic type
Qui n’est pas gênant
Aussi, fumant notre pipe
On s’installe souvent
Tout autour de lui, on s’ range
Pour mieux l’écouter
Il nous dit, chose étrange
Que la guerre peut pas durer
Tout’ l’éternité.
Bois de
P. le 17 juin 1916
Mieux que tous les bouquets, votre petite rose
M’a ravi et grisé, j’ai bu tout son parfum
Lentement, lentement, il avait quelque chose
De tous et cependant n’en ressemblait aucun
Chérie je sais pourquoi ou du moins, je devine
C’est qu’amoureusement, vos lèvres ont touché
Cette petite fleur ; votre bouche câline
Dessous chaque pétale a mis un long baiser !
Je veux la conserver, jalousement cachée
Comme si je gardais un précieux bijou
La respirant plus tard, bien que toute fanée
J’y trouverai toujours quelque chose de vous !
Lorsque je souffrirai, pour apaiser ma fièvre
Alors je la prendrai et je serai guéri
Ma bouche en s’y posant, cherchera votre lèvre
Et le divin parfum que vous y avez mis.
Bois de
P. le 20 juin 1916
Comme vous j’ai maudit la guerre
Je me trouvais très bien chez moi
Je payais mon propriétaire
J’étais heureux autant qu’un roi !
J’ai changé d’avis à présent
Et pour moi ce serait dommage
De faire la paix maintenant !
Autrefois, j’avais fait le rêve
De vivre un jour, en vrai bourgeois
Mais hélas, je peinais sans trêve
Sans m’enrichir beaucoup, je crois !
Mais à présent, c’est autre chose
Sans travailler, je vis très bien
C’est l’existence tout en rose
La bonne vie : on ne fait rien !
J’ai tous les bois comme domaine
Et comme château ma cagna
Matin et soir, je me promène
Des soucis ! Je ne m’en fais pas !
Une seule chose m’ennuie
C’est que j’ai de mauvais voisins
Qui ont la coupable manie
De détériorer mes jardins !
A chaque instant de la journée
Ils m’envoient quelques gros obus
Qui, non loin de ma cheminée
Passent, en faisant du chahut !
Ils ne m’ont pas fait grand dommage
Jusqu’à ce jour, mais les bandits
Pour taper avec tant de rage
Ne méritent pas mes « mercis » !
Il est vrai, ça je le confesse
Que souvent nous faisons comme eux
Pour leur rendre leurs politesses
Nous leur en f …. plein les yeux !
On leur envoie à domicile
Gratis, quelques colis postaux
Mais nos envois sont si fragiles
Qu’ils les reçoivent en morceaux !
Les amis que j’invite à table
Me quittent tout à fait ravis
Car le menu est confortable
Et le couvert est bientôt mis !
Ayant reçu force marmites
Je suis on ne peut mieux monté
Aussi, le service va vite
Potage, rôti et café !
Mais hélas, la chose est bien connue
Mon cellier n’est pas très bien garni
Aussi chers amis que d’eau bue (d’obus)
Faute d’avoir du bon Chablis !
Une ta..be, à l’instant passe en trombe
Et l’animal, pour s’amuser
Sur ma cagna, lâche une bombe
Glacée, c’est mon dessert, pardié !
A cause de cet imbécile
Forcément je suis obligé
De transporter mon domicile
En quelque coin mieux abrité !
Je vous jure qu’avant une heure
J’aurai trouvé ce qu’il me faut
Et de ma nouvelle demeure
Je saurai me faire un château !
Comme la guerre se prolonge
Dame !il me faut bien tout prévoir
Pour cet hiver prochain, je songe
A m’installer même un fumoir !
Sitôt mon installation faite
J’enverrai des invitations
Jamais chez moi on ne s’embête
On goûte de vrais émotions !
Oh ! Vous, embusqués que j’admire
Exprès pour vous, j’ai réservé
Un petit coin, où l’on peut lire
En fumant, le communiqué !!!
Bois de P. le 21 juin 1916
C’est donc pour vous, les rois, pour vous ô pales princes
Que des hommes vont s’entretuer
C’est donc pour la conquête de quelques provinces
Que nos enfants sont égorgés !
C’est donc pour vous aussi, les rois de la Finance
Que depuis deux ans, l’Univers
Accepte les dangers, la mort et la souffrance
Et fait de la terre un enfer
C’est donc pour vous aussi, brutes galonnées
Pour vous gagner d’autres galons
Que nos petits soldats sortent de leurs tranchées
Et bouchent la gueule aux canons
C’est donc pour toi aussi, religion sacro-sainte
Que tous nos bras se sont armés
C’est au nom de l’amour qu’on entend une plainte
Monter à chaque instant des sillons dévastés,
C’est donc pour tous ceux-là, que chaque jour on forge
Encore et toujours des canons
Liberté, tu
permets ainsi que l’on s’égorge
C’est sans doute aussi, en ton nom !
Bois de P. le 23 juin 1916
Dans ton rêve insensé, tu croyais ô Guillaume
De la France vaincue agrandir ton royaume,
Faisant taper ta botte aux brillants éperons
Tu partis à la tête de tes bataillons.
Mais la France veillait, et tes hordes sauvages
Mettant partout le feu, et vivant de pillages
Ont su à qui parler dès les premiers combats
Elles ont rencontré tous nos braves soldats
Mais rien que des soldats, et non pas des brigands
La France n’a jamais rougi de ses enfants !
Tandis que ton Kronprinz, lui, s’est fait dans l’histoire
Le bien triste renom de monte-en-l’air notoire !
En vain tes bataillons, en un suprême effort
Voudraient reprendre pied, mais reculent encore
Tu te voyais déjà, et tout ton équipage
Parader dans Paris, pour t’y faire acclamer
Mais tu rêvais encore ! Ce n’était qu’un mirage
Paris ne pouvait pas par toi être souillé
Joffre t’attendait là, montant la bonne garde
Pour te bien recevoir ! Ça n’a pas été long
Nos poilus t’on fait voir en fumant leur bouffarde
Qu’ils ne te craignaient pas ! Notre petit canon
Que tu prenais pourtant pour un fume cigare
A eu, ma foi, tôt fait d’arrêter tes élans
Il chantait clair, et ses obus, sans crier gare
Tombaient drus comme grêle. Et tes fameux uhlans
Qui pensaient galoper ainsi qu’à la parade
Ont mordu la poussière et rebroussé chemin
Non ! Tu ne devais pas faire la cavalcade
Longtemps ainsi ; à ta course il fallait une fin
O moderne Attila ! Tes généraux, sans doute
N’avaient pas tout prévu. Dame ! On peut se tromper
Jamais ils n’auraient cru connaître la déroute
Eux qui avaient si bien savamment préparé.
Depuis, tes fiers soldats, ainsi que la vipère
Qui se cache en un trou, se sont vite creusé
Des abris, et alors, du fond de leur repaire
Ils attendent que nous allions les débusquer
Vrai, il n’est pas besoin de beaucoup courage
Pour se terrer ! C’est face à face qu’on se bat
Mais tes bandits ont peur, ils n’ont que de la rage
La bravoure chez vous, on ne connaît pas ça !
Alors pour vous venger, vos instincts de Vandales
De vous tous ont fait de cyniques bandits
Prenant pour cible les flèches des cathédrales
Vos canons en ont fait d’innombrables débris.
Vos bestiales passions, encore inassouvies
Vous ont poussé à pire, au crime et au forfait
Nos femmes ont subi de vos lèvres impies
L’immonde attouchement et le baiser abject !…
Méprisant à l’envie les traités en usage
Vous avez même osé noyer des innocents
Vos marins ont écrit, la plus honteuse page
Qu’on lira dans l’histoire, ô sinistres forbans !
Après ça vous avez encore l’impudence
De feindre la pitié, et prenez à témoin
Le ciel, votre vieux dieu, vous parlez d’innocence
Quand vous êtes maudits ! Vous n’y songez dons point !
Guillaume l’assassin, le monde entier se lève
Le poing dressé vers toi, et ton règne s’achève
Dans un vol éperdu, les ailes fracassées
Tes noires aigles fuient au loin effarouchées !…
Entends là-bas ce chant que t’apporte l’écho
Du coq gaulois ! C’est le joyeux Cocorico.
Tranchées de N. le 29 juillet 1916 (*)
Depuis longtemps déjà, Madame
A vous écrire j’ai pensé…
Hélas, à mon nom, toute femme
Frémit d’horreur ! Ô préjugé !
Pourtant vous supportez, ma belle
Vous ne pouvez pas dire non !
Que dans vos rubans de dentelle
La puce établit position
Nous sommes de même famille
Ne vous déplaise ! C’est ma sœur
Mais parce que c’est une fille
Elle a su toucher votre cœur !
Vous permettez à la coquine
De se cacher dans vos jupons
Et qu’en s’amusant, la mâtine
Jette des regards polissons
Même (la faveur n’est pas mince)
Sans trop récrier, bien des fois
Vous acceptez qu’elle vous pince
Tout à elle est permis ! Pourquoi ?
Eh bien, je crie à l’injustice
Que diable ! Je le crie bien fort
Oui, vous encouragez le vice
Ma belle et ça vous avez tort.
Rappelez-vous belle marraine
Quand arriva votre poilu
Qui venait passer sa semaine
Auprès de vous ! Vous avez su
Le rendre heureux, le brave gosse
Arrivant tout droit de Verdun
Oubliant la guerre féroce
Il fut content comme pas un !
Quand vous vîtes sur sa poitrine
Briller la croix de nos héros
Votre voix se fit plus câline
Un baiser lui cria « bravo ! »
Puis alors dans votre chambrette
Le conduisant comme un gamin
Vous lui fîtes faire toilette
Il s’habilla de linge fin.
Devant cette métamorphose
Le pauvre resta confondu
Il sembla regretter la chose
Qui faisait de lui un poilu !
C’était sa chemise plus sale
Que le plus vieux de vos torchons
Son caleçon de teinte pâle
Sa défroque, ses pantalons !…
Dans ce tas de vielles guenilles
Il laissait tant d’heureux instants
De regrets ! Oui tout ça fourmille
Dans ces chiffons si répugnants
C’est aussi sous cette défroque
Madame, que je partageai
Son sort !et c’est pourquoi j’invoque
Le droit de me faire admirer !
Vieux briscards, à la barbe grise
Tout comme le petit conscrit
Vous diront, ma belle Marquise
Que je suis leur meilleur ami !
(*) : Depuis le 21 juillet 1916 Lucien est au 359e
régiment d’infanterie, qui est secteur Verdun.
En ligne, le 27 août 1916
Parmi l’herbe à demi hachée
Par la mitraille et les obus
Une fleur se tenait cachée
Vers elle, mon bras s’est tendu
Pour vous, j’ai violé sa cachette
Alors j’ai vu qu’elle pleurait
Sur mes doigts, une gouttelette
De rosée humide, coulait !
C’était un bluet, son bleu tendre
Est pareil à celui des cieux
C’est l’azur à s’y méprendre
Celui que j’ai vu dans vos yeux !
Il est parti à votre adresse
Ce sera mon doux messager
Vous y trouverez la caresse
Dont mes lèvres l’ont effleuré !
Témoin de nos heures moroses
Petit bluet !tu diras tout
Va ! Tu peux raconter les choses
Que tu as vues ici, vers nous !
Montre l’horreur de la mêlée
Lorsque dans la nuit, on se bat
Sans voir, sous la lune voilée,
Dans la neige, sous le frimas !
Redit la chanson qu’on fredonne
Parfois pour dissiper l’ennui !
Dis que lorsque le canon tonne
On sait chanter plus fort que lui !
Ah ! Dis surtout que l’espérance
Reste malgré tout en nos cœurs
Que bientôt de la chère France
Les drapeaux flotteront vainqueurs !
Poste d’écoute n°8, le 14 septembre 1916
C’est un trou devant la tranchée
Un peu de terre remuée
Par la chute d’un gros obus
Tout juste grand pour qu’un poilu
S’y tienne !
Sitôt que du soir tombe l’ombre
On peut voir une forme sombre
Doucement, sans bruit, s’y glisser
Gare au boche mal avisé
Qu’il vienne !
Le guetteur donnera l’alarme
Il a déjà pointé son arme
Tout à coup, un éclair a lui
Son œil alors, fouillant la nuit
Regarde
Tout à ses pieds le plomb ricoche
Tandis qu’un léger bruit s’approche
D’un bond il est sur l’ennemi
Comme à la parade, il s’est mis
En garde !
M… Le 2 novembre 1916
L’automne a déjà jeté sur la terre
Son sombre manteau d’ombre et de mystère
Sur tous les chemins le vent qui gémit
Jette sous nos pas un épais tapis
De feuilles.
Après les buissons, plus de vert feuillage
Les oiseaux ont tu leur gai babillage
Les jardins n’ont plus leurs vives couleurs
Car sous l’aquilon, le reste des fleurs
S’effeuillent.
Au petit clocher, une cloche tinte
Et son carillon semble être une plainte
C’est le jour des Morts, jour du souvenir
Au champ du repos, on voit accourir
La foule.
La plus humble pierre est encore fleurie
Car pour remplacer la gerbe flétrie
Une main a mis un nouveau bouquet
Une larme vient sous le voile épais
Et coule !
Conty le 24 décembre 1916
Ce poème « Bébé à
Noël. À petit Georges » a été présenté par Yanis K., élève en troisième dans le
cadre d’un devoir de français. Merci à lui de l’avoir choisi.
Tout comme autrefois, dans la cheminée
Bonhomme Noël, viendra cette nuit
Et, lorsque la cloche à toute volée
Chantera Noël, petit Géo dis-lui :
Bon petit Jésus, je veux comme étrenne
Non plus des jouets, non plus des bonbons,
Mais ce que je veux, c’est que tu comprennes
Sans qu’on te l’ait dit, ce que nous voulons !
Depuis trop longtemps je vois pleurer mère
Car petit papa n’est point revenu !
Pourtant chaque soir, dans une prière
Je te réclame, ô gentil Jésus !
Ah si tu savais, comme la tranchée
Est triste le soir par ce vent glacé !!!
Papa nous l’écrit, sa lettre est mouillée
Parfois, on dirait qu’il a bien pleuré ?…
Bon Noël, fais que le canon
Se taise bientôt, tu n’es pas méchant ?
Reprends tes jouets, tes bonbons, mais donnes
Mon petit papa, je serai content !!
Laval (*).
Le 28 septembre 1917 (**)
J’irai pour vous, au bout du monde
Si vous me dites d’espérer
Je remuerai le ciel et l’onde
Si de vous, je sais être aimé !
Car je veux pour vous, mes mains pleines
D’or, et des bijoux les plus beaux
Je veux vous voir comme les reines
Le front constellé de joyaux !
De vos mille feux qui scintillent
Jolies étoiles du ciel bleu
Je ferai des colliers qui brillent
Et des diadèmes de feu,
Puis, au temps où le soleil dore
Des blés les épis frémissants
J’en prendrai les rayons encore
Pour en tresser de longs rubans.
Parmi les fleurs à peine écloses
Au souffle embaumé du printemps
Je cueillerai toutes les roses
J’en prendrai le parfum troublant
Puis, les papillons qui lutinent
En voltigeant de fleurs en fleurs
Me prêteront leurs ailes fines
Chamarrées de vives couleurs !!!
(*) : Laval-sur-Tourbe (51).
(**) : Depuis le 21 avril 1917 Lucien est au 164e
régiment d’infanterie, qui est dans la Marne.
Laval, le 16 octobre 1917
Tu sais, d’une bouffée, rendre l’âme gaillarde
Et c’est en te serrant entre mes doigts transis
Que je ris du froid, tout au fond des gourbis !
Aussi je t’aime bien, ô ma bonne bouffarde !
Lorsqu’en volutes bleues s’envole ta fumée
Une douce gaîté revient prendre mon cœur
Je songe au beau passé, aux longs jours de bonheur
Que j’ai vécu jadis près de ma bien aimée.
Dans mon cruel exil, tu es ma douce amie
C’est à toi que j’ai dû, même aux plus tristes soirs
De conserver toujours mes suprêmes espoirs.
Sois donc, petite pipe, à tout jamais bénie.
Car si j’ai le cafard, ainsi que tous les hommes
Grâce à toi, oh jamais ! Je crois, cafard n’a homme !
Courcelles,
le 4 juillet 1918
Sous l’ouragan de fer qui s’abat sur la plaine
Le tank bondit plus fort, fantastique bélier.
Il va droit devant lui, roule sans prendre haleine,
Crachant de tous côtés des rafales d’acier.
De trou en trou, de tranchée en tranchée
Il va, semant la mort dans les rangs ennemis.
Tour s’écroule sous lui ; dans l’horrible mêlée
Sa masse confond tout dans les mêmes débris !
Puis le voilà, soudain, Qui se cabre et s’arrête
Un obus, dix obus l’on frappé droit au cœur…
Dans ses flancs entr’ouverts, son gros moteur halète
Mais avant de mourir, il lance un feu vengeur !
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