Carnet de Claude  RENAUDIER

Sergent au 75e RI

 

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2 Août 1914

La mobilisation !

Elle me trouve aux Aciéries de Firminy où je suis entré depuis 8 mois, après ma libération du service militaire.

Mon angoisse en songeant à notre séparation cruelle d’avec ma jeune femme (mariés depuis avril seulement) et ma pauvre mère veuve depuis un an et demi.

Tous les camarades de bureau sont dans mon cas, sauf cependant S……qui, avec sa simplicité habituelle et excusable d’ailleurs me dit :

« Eh ! il va pas falloir craindre les courants d’air maintenant »

Il fait allusion, le pauvre, à un mal à la gorge dont je souffre depuis plus de 2 mois et qui me fatigue beaucoup.

 

     Le lundi matin après une bien triste séparation, je rejoins Romans avec mes anciens camarades de régiment et allons cantonner dans une usine, couchés sur la paille.

Après une journée de préparatifs nous embarquons pour l’inconnu.

 

Roulons 2 nuits et un jour , en passant par Lyon, Bourg, Belfort, Epinal et débarquons à Bruyères (Vosges)

 

Stationnons 2 jours pendant lesquels nous nous exerçons au service en campagne.

Avançons au col du Bonhomme – 2 kms en deçà de la frontière, la première tombe d’un caporal tué le dimanche par les Boches.

 

Arrivons au col.

L’auberge porte des traces du combat, des blessés y sont soignés.

Dans la nuit du 12, nous allons renforcer des fantassins de Bruyères qui ont quitté leur casernement le dimanche avec une hâte dont nous nous sommes rendus compte par le désarroi qui y régnait quand nous sommes arrivés.

 

       Le 13 au matin nous recevons le baptême du feu, des coups de fusil tirés d’une épaisse forêt, sur notre bataillon qui se trouve en rase campagne, nous causant des pertes sensibles.

Le déploiement en tirailleurs nous permet d’avancer sans trop de casse par bonds successifs.

A notre droite un bataillon du 12e Alpins, avec lequel nous avons manœuvré les années précédentes, dans l’Isère, avance aussi crânement qu’à l’exercice , mais il en tombe, témérité un peu mal placée car nous arriverons au but comme lui avec beaucoup moins de pertes.

A notre gauche un bataillon du 1er d’Artillerie de montagne arrose avec ses obus, le bois où se cache les Boches – nous l’atteignons enfin et obligeons l’ennemi à reculer.

Il nous a tendu de nombreux pièges qui retardent notre avance.

Une méprise dans cette forêt touffue coûte quelques hommes à la 1/2 section que je commande.

 

       Les intrépides Alpins entendant des coups de feu de notre côté nous tirent dans le dos et la rapide utilisation des souches et des emplacements des arbres que l’ennemi a fait sauter à la dynamite nous abrite des tirs des Boches et de nos Compatriotes.

J’appelle ceux-ci et un grand diable bleu de lieutenant vient s’excuser de sa méprise.

Nous pansons les blessés et je cherche à rejoindre ma compagnie.

Quelles difficultés !

Pas de thème de combat, pas de cartes, pas de boussole.

Retrouve enfin le capitaine Brasset d’une compagnie voisine et me joins à lui.

Traversons la forêt, mais dans la prairie les Boches se sont retranchés et le Chef de bataillon nous donne l’ordre de rejoindre notre point de départ, une habile manœuvre devant les déloger avec moins de pertes pour nous.

 

     Le 15 Août, en effet, j’ai assisté, ma compagnie étant de réserve, aux effets causés par notre canon de 75 qui prend les tranchées ennemies en enfilade, poursuit les groupes qui s’enfuient ou se réfugient derrière des fermes qui presque toujours sautent en l’air au 1er coup de canon.

 

     Ce vaillant petit 75 nous donne du cœur au ventre pour les jours suivants et à la mélancolie des journées précédentes, succède un enthousiasme même exagéré !

À tel point que mes hommes préfèrent rester sur les lignes, plutôt que d’aller conduire à Epinal une soixantaine de prisonniers allemands (civils et militaires) qui ont été faits le 15 Août par le bataillon.

 

    Ma section est chargée de cette escorte.

Du col du Bonhomme où nous avons passé la nuit, nous descendons nous embarquer à Plainfain pour Epinal où nous arrivons à la tombée de la nuit.

 

    Sur notre parcours, acclamations nombreuses de la foule qui hue au contraire nos prisonniers. Le général Commandant la Place et les officiers d’Etat Major, nous demandent forces renseignements sur nos premiers combats – un vent de victoire (hélas bien passagère) souffle sur les Vosges.

 

Nous devons sur la route de Strasbourg prendre le fort de Mutzig, Strasbourg elle-même, et ramener ainsi à nous notre chère Alsace Lorraine.

 

    C’est avec cet esprit que nous allons retrouver nos camarades en ligne et occuper les premières tranchées creusées en avant de la frontière.

De fortes pluies rendent cette occupation pénible,.2 jours après, nous allons en marche forcée (de 9 h. du soir au lendemain soir 8 heures) renforcer des unités en avant du col de Salles, dans la vallée de la Bruge.

 

Marche très, très pénible.

Nous laissons, après avoir marché toute la nuit et une partie de la matinée, beaucoup de trainards. Le sergent de l’autre 1/2 section reste bien en arrière vers Salles.

Je suis moi-même très fatigué et souffre de plus en plus, après les nuits passées dehors à la pluie, du mal à la gorge qui me faisait souffrir à la mobilisation.

 

    Je ne veux pas néanmoins quitter ma compagnie, où j’ai de nombreux amis et nous arrivons pour camper près de Bourg-Bruge, le soir à 8 heures.

 

    Avec l’adjudant Bouvard, nous aidons nos hommes à faire popote, car ils sont eux-mêmes si fatigués qu’ils n’ont pas le courage de se préparer à manger.

 

    Le lendemain après une nuit passée dans la forêt, nous allons en ligne et sommes pendant 2 jours aux prises avec un ennemi que nous apercevons à peine, les combats se déroulent en pleine forêt.

 

    Les jours suivants nous trouvent au col du Hanse, les effectifs diminués d’un bon quart par les pertes des combats précédents, ma compagnie couvre la retraite de plusieurs bataillons qui ont reçu l’ordre d’aller attaquer de flanc l’ennemi qui avance du côté de Sarrebourg et nous nous trouvons nous-mêmes à Moyenmoutiers le 24 Août.

Je retrouve là mon ancien capitaine de la 7ème compagnie qui m’explique le plan de bataille et je dois avouer que depuis le début je n’avais jamais été aussi bien renseigné sur la situation de combat de ma compagnie.

 

    La bataille semble faire rage du côté de Raon-l’Etape et nous apercevons le soir de vives lueurs qui dénotent des incendies de cette ville.

 

    Nous nous couchons exténués de fatigue, moi souffrant toujours beaucoup de la gorge et le lendemain à l’aube des caravanes d’habitants fuyant avec leurs biens les plus chers, nous réveillent en hâte.

 

  Spectacle douloureux !

Que ces femmes et ces enfants quittant leur toit pour aller vers l’inconnu mais échapper à ces Allemands dont nous évoquons la vision avec horreur.

 

    Nous quittons notre campement sans avoir pu manger quoi que ce soit, le ravitaillement n’étant pas venu de 2 jours et nous devons pour dégager le 13ème corps, attaquer l’ennemi de flanc.

 

    Nous gravissons un coteau boisé, pour aller surprendre le Bôche, marche pénible, sans danger ; ma section avant-garde de la Compagnie.

Arrivés à la cime le commandant de bataillon fait fouiller les abords.

Nous apercevons à la lunette des Boches en train de camper.

Nous voulons les surprendre et partons en colonne par 2 sans nous occuper de la crête A ce moment un avion nous survole, nous cachons nos culottes rouges et en étions encore à nous dissimuler le plus possible quand une fusillade nourrie partant de la crête que nous avions quittée une heure auparavant, jetait le désarroi parmi nous.

Nous occupons en tirailleurs les gros sapins de la forêt, ce qui n’empêche pas les nôtres d’être atteints.

 

    Notre Commandant qui s’appuie crânement sur son sabre est atteint près de moi par une balle en pleine tête, au moment où il donne des ordres que je vais transmettre, sans être blessé aux compagnies qui sont derrière et qui ont tendance à abandonner le haut du coteau.

 

    Nous bataillons pendant plus de deux heures, harassés de faim, de soif  et de fatigue et ce n’est que devant le nombre que nous battons en retraite, arbre par arbre, dans un désordre bien compréhensible.

 

    Du bataillon, nous nous retrouvons à peine 300 dans la vallée, l’ennemi qui a eu aussi beaucoup de pertes est retourné sur ses positions.

Nous en profitons pour ramasser les blessés que nous laissons à Moyenmoutiers et notre Colonel dont la douleur fait peine à voir rassemble les 2 bataillons et nous repartons vers l’inconnu.

 

    Une fièvre brûlante me fait chercher de l’eau tant la soif est ardente – j’en trouve un peu ainsi que du pain et un morceau de lard fumé que je ne puis manger, malgré la faim, tant ma fatigue est grande.

 

    L’adjudant Bouvard m’engage à rester à Moyenmoutiers, mais je ne veux pas comme à Salles quitter ma compagnie

Je suis péniblement le défilé mais à moment donné les forces m’abandonnent et je m’évanouis sur le bord de la route.

 

    Je me retrouve dans la nuit dans un bon lit de ferme, entouré par deux de mes bons soldats que l’on a laissé pour veiller sur moi.

Au matin, ils réussissent à trouver un major qui me fait transporter à l’hôpital de St-Dié.

    27 Août.

Ce dernier vient d’être évacué par les blessés français sous la menace de l’avance ennemie.

On nous y installe néanmoins et nous y étions depuis quelques heures seulement, que le bombardement de la ville commençait.

 

Je me rends à peine compte du danger que nous courons tant ma fièvre est grande.

 

Le lendemain ou le surlendemain,(mes souvenirs sont imprécis en raison de ma grande faiblesse) la ville se rend aux Allemands.

Ils amènent à l’hôpital leurs blessés et évacuent ceux des nôtres qui sont transportables, sur l’intérieur de l’Allemagne.

 

    Malgré de violents combats, la ville ne pût être reprise que vers le 9 Septembre.

Pendant ce temps ses occupants raflaient méthodiquement tout ce que possédait la ville et joignaient  à leurs convois de vivres raflés, les prisonniers qui pouvaient supporter le voyage.

 

   L’espérance, que nous avions eu depuis l’occupation de St-Dié de nous voir libérer devait crouler un jour.

Le 9 Septembre tout l’hôpital fut vidé, à l’exception de quelques mourants.

 

Je pus avant ce triste départ remettre une carte pour ma chère femme dont je n’avais plus eu de nouvelles  depuis le 15 Août et nous fûmes évacués en ambulance-auto sur Salles où l’on nous parquât dans la cour de l’église.

 

   Nous y passâmes toute la journée sans rien recevoir, les pansements de certains blessés qui venaient du front dégageaient une odeur nauséabonde ; finalement on nous fit rentrer vers  9 heures du soir dans l’église pour y passer la nuit et recevoir un bol de café avec un peu de pain.

 

    Le lendemain on nous embarque en gare de Rothau.

Où allions-nous ?

Telle était l’angoissante question que nous nous posions.

 

Strasbourg nous accueillit bien  - malgré nos grotesques sentinelles, les habitants essayaient de nous faire parvenir des vivres – notre train nous emporte un jour et une nuit à travers une Allemagne momentanément victorieuse et je pensais à l’escorte des premiers prisonniers Allemands que nous avions conduits à Epinal, il y avait à peine un mois.

Triste revers des choses !

Les félicitations de nos compatriotes étaient remplacées par des paroles haineuses d’une foule ennemie grisée par les succés momentanés.

 

    Notre train s’arrêta enfin à Ulm où on nous installa dans des baraquements ayant déjà servi parait-il en 1870-71.

 

    Le lendemain, notre premier souci fût de demander si nous pouvions donner de nos nouvelles à nos familles mais rien encore n’était organisé.

Tristes journées passées dans l’infirmerie du coup où j’ai été admis et quelle affreuse convalescence !

Sans avoir même de quoi se nourrir et à plus forte raison, de quoi se guérir.

 

FIN DU CARNET