Carnets de guerre du sergent-fourrier Alexandre ROBERT

du 204e RI, puis sergent-major au 43e RI.

Années 1917-1919

Mise à jour : octobre 2014

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Alexandre ROBERT en septembre 1915

 

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Sommaire

Le sommaire ne fait pas partie du carnet, il a été rajouté volontairement pour une meilleure navigation

 

Retour sur 1914

Retour sur 1915

Retour sur 1916

 

1917

Ø  Janvier-Février 1917 : secteur de Verdun

Ø  Mars 1917 : secteur de Verdun

Ø  Avril-mai : secteur de Verdun

Ø  Juin : Marne, secteur de Moronvilliers

Ø  Juillet : Marne, Aube, repos

Ø  Août-octobre : Aisne, Juvincourt

Ø  Novembre-décembre 1917 : Aisne, Craonne

1918

Ø  Janvier-février 1918 : Marne

Ø  Mars-avril 1918 : Oise

Ø  Mai-juin 1918 : Aisne

Ø  Juillet-Août 1918 : Aisne

Ø  Septembre 1918 : dissolution du 204e RI, passage au 43e RI

Ø  Octobre-Novembre : Les Vosges

1919

Quelques notes annexes, (Remarques critiques sur des feuilles volantes)

 

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Janvier-Février 1917 : secteur de Verdun

Au 1er janvier 1917

Secteur d’Avocourt. Quartier des Rieux.

Le 3 janvier

Relevés par le 289ème, cantonnons à Jubécourt, où nous arrivons le 4 à 3 heures du matin.

Le 11 janvier

Nous quittons Jubécourt ; en réserve à la Coupure d’Esnes.

Le 19 janvier

La compagnie est relevée et quitte la Coupure d’Esnes et va bivouaquer au camp Nord de la Source.

Le 23 janvier

La compagnie va occuper les tranchées de 1ère ligne au quartier Malleray. Je reste au camp des Pommiers.

Le 26 janvier

Départ du commandant en permission ; attaque des Allemands sur 304 ; gaz.

Le 31 janvier

Nous sommes relevés et allons cantonner à Brocourt.

Le 4 février

Le bataillon quitte le secteur par voie de terre. Nous quittons Brocourt à 11 heures et allons cantonner à Waly.

Le 5

La compagnie quitte Waly à midi et arrive à 16 heures à Le Chemin où nous cantonnons.

Lit. (*)

 

(*) : Alexandre note « Lit », car dormir dans un lit était rare pour un soldat à cette période.

Le 14

Nous quittons Le Chemin à 13 heures ½ et allons à Villers-Daucourt où nous embarquons ; nous débarquons à Verdun à 22 heures ½ ; nous sommes salués dès notre arrivée par 2 obus de gros calibre.

Le 15

Nous quittons Verdun à 16 heures ½ et relevons le 137ème au bois des Bouleaux. Calme.

Le 17

Nous sommes relevés par le 246ème et allons bivouaquer dans les carrières de Montgrignon.

Arrivée à 2 heures le 17.

Le 22

La compagnie quitte Montgrignon et relève quartier Saint-Martin la 22ème compagnie du 289.

Obus, gaz, péripéties, 2 blessés.

 

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ICI COMMENCE LE QUATRIEME CARNET INTITULé :

« du 8 mars 1917 au 29 mars 1919 »

 

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Mars 1917 : secteur de Verdun

Le 8 mars 1917

Ma permission étant terminée, je prends le train à la gare de l’Est et nous partons à 15 heures environ. J’ai pu avoir une place dans un compartiment de 2ème classe qui n’est pas trop abîmé. C’est chauffé et je ne suis pas mal. Je me trouve avec des poilus du 225 et du 20ème qui vont aussi du côté de Verdun. Je constate que l’état d’esprit est le même à peu près dans tous les régiments qui montent aux tranchées, nous avons tous la même manière de voir.

 

A peu près comme au 204, tout le monde en a assez et désire que cela cesse à tout prix.

Nous voulons la victoire par la paix, tandis que d’autres à l’intérieur veulent la paix par la victoire : une victoire lointaine et problématique, une victoire qui sera noyée dans le sang, voilée de deuils et assombrie par des misères et des malheurs incalculables…

 

Le train roule et nous emporte vers cette vie infernale que nous menons depuis déjà près de 3 ans, tandis qu’à la maison on laisse des êtres chers qui se minent dans l’angoisse et dans l’attente. Les restrictions commencent ; la misère a déjà été grande à Paris et l’hiver dur aux pauvres gens.

Faudra-t-il donc en arriver jusqu’à la famine pour que soit terminé cet affreux cauchemar ?

Nous arrivons à Révigny vers les minuit.

 

Le 1er train pour Dugny est à 2 heures 27.

Il fait froid, et dans la nuit noire chacun cherche un endroit où il pourrait attendre l’heure du train sans trop souffrir du froid.

On passe aux cantines, devant la gare, où l’on distribue gratis du bouillon et du café chaud. Je cause quelques instants en anglais avec une « Lady » qui fait la distribution. Les baraquements à l’usage des permissionnaires sont complets, la cantine bondée.

Beaucoup se réfugient dans des wagons qui sont garés. Ils peuvent dormir un peu sur les banquettes.

Le 9 mars 1917

Enfin l’heure du train approche ; il est formé à environ 800 mètres de la gare sur une voie de garage. Quand j’y arrive, il est déjà complet.

Finalement, dans un compartiment de 2ème classe, je réveille un dormeur qui, allongé, tenait deux places, et je m’installe. Nous ne sommes éclairés que par la lune qui brille ; il gèle et le train n’est pas chauffé.

Bientôt, d’un compartiment à l’autre, un vacarme se fait entendre ; on bat la semelle pour se réchauffer.

 

Un grand nombre de permissionnaires arrivent, cherchant des places qu’ils ne trouvent pas, et avant le départ du train, la portière de notre compartiment est ouverte plus de 300 fois.

Enfin nous roulons, et sous le clair de lune la campagne blanche de neige de déroule à droite et à gauche. Notre train avance à une allure d’escargot et s’arrête à toutes les stations. J’ai hâte d’être arrivé pour marcher un peu et me réchauffer les pieds.

 

Nous voici enfin à Dugny à 10 heures ½.

8 heures pour faire ce trajet ! Nous descendons dans la neige un peu avant le village et sommes aussitôt accaparés par les gendarmes qui nous forment en détachement par régiments ou divisions, prennent les noms de tous les gradés et nous accompagnent gentiment jusque de l’autre côté du village de Dugny.

La consigne que j’entends donner par le capitaine de gendarmerie est qu’aucun isolé ne doit s’arrêter dans Dugny et les gendarmes doivent veiller à ce qu’aucun permissionnaire ne puisse se ravitailler ou se reposer un instant chez les habitants.

La police a sa logique mystérieuse.

En tout cas, la plupart de ces gendarmes jeunes devraient bien apprendre leur métier plus près des boches, mais la vie de tranchées leur est interdite : les lauriers ne sont pas pour eux…

 

En arrivant à Verdun, je trouve le bataillon à Jardin-Fontaine dans les casernes où il est au repos depuis le 2 mars.

A mon arrivée, je tombe à pic pour entendre le sifflement et l’explosion de quelques obus : 2 tombent sur les casernes et un homme de la 23ème est blessé. J’ai un tel cafard que je souhaiterais en avoir autant.

 

Le lieutenant GIGOT est en permission depuis le 4 mars ; la compagnie est commandée par le sous-lieutenant Merle.

Je retrouve les camarades ; le bureau est installé dans les sous-sols ; une cave, et je me figure entrer dans un taudis ; ce n’est cependant que le désordre habituel et l’installation luxueusement dégoûtante ordinaire.

En ce moment, mon état d’esprit n’est pas à même de revoir toutes ces choses sans une violente réaction. Mon cafard est formidable.

 

Durant ma permission, le colonel a demandé à voir la comptabilité ainsi que celle de la 23ème ; il a profité de l’absence de 2 sergents-majors pour faire des critiques. Heureusement que celle de ma compagnie était absolument à jour et il n’a pu que jouer sur les mots. Je l’avais mise complètement en règle avant mon départ.

Il a cependant pondu une note critique qu’il a rectifiée par la suite par une note passée au bataillon et disant que ses observations s’adressaient spécialement à la 23ème.

Le 10 mars

Je reprends mon travail ; la compagnie doit monter ce soir aux tranchées ; elle part à 6 heures pour la côte du Poivre, aux mêmes emplacements occupés durant la dernière période.

C’est mon tour de rester aux cuisines et je m’occupe de leur déménagement. Le caporal-fourrier n’est pas monté aux tranchées depuis la cote 304, à part une fois au ravin de la Moué où la compagnie était en réserve au P.C. du colonel.

CAVIN est parti en permission hier au soir ; c’est Polbeau qui fait les fonctions d’adjudant de bataillon.

 

La neige tombée en abondance fond et bientôt ce n’est partout qu’une mer de boue. Je suis heureux de ne pas avoir à monter aux tranchées par ce temps.

 

Dès le départ de la compagnie, nous allons nous installer à l’emplacement qui nous est assigné aux casernes Mihel. La place ne manque pas, mais pour les bureaux et le couchage, c’est plus que rudimentaire pour la bonne raison que ceux qui restent continuellement en bas, comme le 289, accaparent tout.

J’obtiens à grand peine une paillasse. Comme je ne serai probablement pas longtemps ici, je m’en fiche.

Le 11 mars

Des nouvelles nous parviennent que les Anglais avanceraient dans leur secteur. Je fais à peu près toute la comptabilité et m’estime heureux d’être ici.

Je peux travailler. POULET, qui est venu du DD (*) remplacer le sergent-major permissionnaire de la 23ème, est monté aux tranchées.

 

(*) : Dépôt Divisionnaire.

Du 11 au 14

Des bruits circulent que les Allemands auraient abandonné leurs tranchées, et en effet des patrouilles se sont rendues compte qu’elles étaient évacuées. Cela me semble bizarre, et le commandement doit être hésitant.

Le 14 mars au soir

Le bataillon va en réserve à Iéna. Les communiqués annoncent une avance ces jours-ci sur le front de la Somme.

Le 18 mars au soir

Le bataillon remonte en 1ère ligne, je suis un peu étonné qu’on me laisse encore ici ; la compagnie occupe la tranchée Marfa abandonnée par les Allemands qui semblent s’être retirés sur la côte du Talon. Je me demande quel intérêt les y pousse, vu qu’ils avaient de bonnes positions.

Il est vrai que cette mesure semble être générale.

Le 19 mars

Je suis cassé 3 fois dans cette même journée par le major de cantonnement comme responsable des ordures et de la boue qui traînent autour des cuisines. Je ne m’en casse pas la tête.

Les communiqués parlent de victoire.

 

Il a gelé un peu et il fait beau dans la journée.

Ces jours derniers, les avions ont profité du soleil et du calme de l’atmosphère. 3 de nos saucisses ont été détruites par les avions allemands et maintenant, dès que le clairon de garde au poste de police annonce un Taube, tout le monde court aux fenêtres pour voir et jouir du spectacle.

J’ai vu moi-même descendre un observateur en parachute alors que sa saucisse était déjà écrasée par terre dans un tourbillon de flammes.

Le 20 mars

Toujours de bonnes nouvelles qui ne m’enthousiasment guère.

Nous avons repris Noyon, Bapaume, Péronne et plus de 160 villages ; quelques milliers de civils sont libérés. Ce qu’il y a de bizarre, quoi qu’en disent les journaux, et surtout Charles Humbert, qui parlent de la victoire du canon, c’est que nous n’avons pas fait de prisonniers et que l’on ne parle pas de butin pris à l’ennemi : pas la plus petite batterie.

Je persiste à croire que ce recul est une savante manœuvre ; où s’arrêtera-t-elle ?

 

La neige et la pluie tombent depuis le matin ; on patauge.

 

Le soir, le communiqué nous apprend que le mauvais temps a empêché les boches de poursuivre leur retraite, tandis qu’ils attaquaient assez fortement du côté d’Avocourt. Les jusqu’au boutistes de l’arrière vont avoir le temps de manifester leur joie de notre victoire en attendant notre prochaine offensive.

 

J’espère encore faiblement que nous pourrons tirer parti des circonstances. Le plateau de Crouy semble avoir été repris de vive force. Tout de même, le commandement allemand vient de faire un coup de maître, et dans une retraite savamment organisée a su détruire sans aucune perte le fruit de plusieurs mois d’efforts de notre part. Je souhaite que ce tour de force ne nous réserve rien d’autre de plus fâcheux.

En tout cas, ce sera dur pour nous ou les Anglais de nous réinstaller en face de leurs lignes de repli préparées de longue main.

 

D’un autre côté, j’ai comme un vague pressentiment que la diplomatie pourrait bien entrer en jeu, et la sortie de Briand dans son apothéose est peut-être un symptôme.

Attendons ce que l’avenir nous réserve.

Le 21 mars

C’est le printemps ; j’y pense tandis que la neige tombe et que je grelotte dans cette grande pièce où j’écris sans feu.

On s’est aperçu qu’en face de nous il n’y a plus d’ennemis ; ils ont dû évacuer leurs lignes depuis déjà quelques jours. Ce qui a donné l’éveil, c’est qu’ils tiraient dans leurs lignes et qu’ils n’envoyaient aucune fusée ni signaux. Une patrouille va en reconnaissance et trouve les tranchées allemandes désertes.

Mais leurs patrouilles venaient quand même de temps à autre et envoyaient des fusées et tiraient des coups de fusil ou lançaient des grenades.

Le 22 mars

Nous apprenons que les Allemands se sont retirés très loin jusque sur la côte du Talon (cote 344). Des patrouilles sont restées toute la journée dans leurs lignes sans voir aucun ennemi.

Quelques hommes sont allés très loin en avant.

Les sous-lieutenants MACARD et Meurot se sont avancés, dit-on, à 1500 mètres en avant et ont visité les carrières et divers points importants qui sont évacués.

Les communiqués sont toujours bons, nous avons libéré un grand nombre de villages. Les journaux ont des manchettes énormes, et les Allemands sont plutôt malmenés. Ils laissent le pays complètement anéanti. J’ai même trouvé un petit entrefilet typique dans Le Matin au sujet de notre avance sur Crouy que l’on disait avoir enlevé de force :

« Nous avancions, dit ce journal, l’arme à la bretelle sur le plateau, mais dans les tranchées allemandes on prit des précautions pour ne pas tomber dans des traquenards.

 

Les Allemands avaient tout déménagé : plus une pelle, pas un sac, un manche d’outil, ils ont tout emporté dans leur fuite (*) avec cet esprit de rapine qu’ils ont toujours montré dans cette guerre. »

 

(*) : On confirmera par la suite que beaucoup d’habitants furent employés, contre leur gré, à ce « déménagement »

Le 23 mars

Les sous-lieutenants MACARD, Meurot et FOULON étaient allés dans les tranchées allemandes, en avant des lignes, contre l’ordre du commandant CHALET qui le leur avait défendu, trouvant inutile d’aller en avant simplement pour le plaisir de se promener.

Les sous-lieutenants Meurot et FOULON sont revenus blessés tous deux, et MACARD a disparu (*), prisonnier sans doute. Une patrouille envoyée la nuit à sa recherche ne l’a pas retrouvé.

Par contre, on s’est rendu compte que les Allemands ont des petits postes de place en place, peut-être même des fortins ou des ouvrages sérieux pour nous empêcher de nous aventurer trop près d’eux.

 

(*) : Sous-lieutenant MACARD Édouard disparu dans un trou d’obus au retour d’une reconnaissance lancée à la faveur du brouillard. Les sous-lieutenants FOULON Charles et MEUROT faisant partie de cette même reconnaissance sont blessés.

MACARD Édouard n’est pas répertorié dans la liste des morts pour la France. Il a du certainement échappé à la mort.

Le 24 mars

POULET est nommé sergent-major à la 23ème compagnie et DEFRANCHI n’a plus de compagnie ; il est désigné pour remplacer les sergents-majors absents ou des chefs de section. Est-ce une suite de l’inspection du cahier d’ordinaire et du cahier de permissions par le colonel ?

Je crois qu’il y a autre chose là-dessous. Peut-être, comme il est jeune, va-t-il être nommé adjudant ou officier.

Je vais à Glorieux voir le dentiste, tandis que POULET monte aux tranchées sur l’ordre du capitaine Café, bien que la relève doive avoir lieu demain soir.

 

A Glorieux, j’apprends qu’un certain Ceccaldi, cousin du député du même nom, qui était sergent dans l’infanterie, a rendu ses galons et est passé dans le G.B.D., où il fait fonction de vaguemestre et ne monte jamais chercher les blessés aux P.S.

Mystère et politique !

Le 26 mars

La compagnie doit descendre ce soir et je prends mes dispositions pour déménager la cuisine et tout le matériel.

Je vais à Montgrignon, où doit cantonner le bataillon. Ma compagnie doit prendre la place de la 14ème aux fours à chaux. Les hommes arrivent par section de minuit à 2 heures ; ils prennent la soupe et le café et vont se coucher. J’attends le lieutenant GIGOT qui arrive très tard.

 

Il est 3 heures passées, quand je vais me coucher.

Le 27 mars

À 6 heures, je suis réveillé par MOUVET et le lieutenant HERMET qui arrivent ; j’indique la guitoune du lieutenant et me lève pour le conduire.

Le 28 mars

Il fait assez beau temps, mais froid ; l’hiver ne veut décidément pas nous quitter cette année.

Dans la matinée, je vois une saucisse brûler, tandis que l’observateur descend doucement en parachute. Cela fait déjà un grand nombre que les boches nous descendent, et toujours au même endroit.

Un peu plus tard, quand le panache de fumée est dissipé, un combat entre avions a lieu. Certains disent qu’un avion allemand a été descendu ; d’autres disent que non, et qu’il est rentré tranquillement chez eux.

 

Des ordres ont paru pour ne mettre dans les voitures que ce qui est réglementaire et les officiers sont spécialement invités à n’avoir que la cantine réglementaire. Ils peuvent déposer le surplus à Blercourt.

Le lieutenant GIGOT me parle de ne caser la comptabilité que dans la sacoche réglementaire. Mais quand il voit ce qui est dans cette caisse, il change de ton et dit que l’on mette une étiquette sur cette caisse.

Ce sont toutes les archives de la compagnie. Son contenu n’est pas absolument indispensable et si on la fait décharger un de ces jours d’inspection, cela nous est égal.

Le soir, la neige tombe.

Le 29 mars

Je suis encore pris une bonne partie de la journée par le lieutenant GIGOT, qui comme d’habitude complique les choses à loisir. Il est chargé par le commandant de prendre les avis des autres commandants de compagnies, et donner des explications, faire des propositions au sujet de l’ordinaire.

En effet, en haut lieu, on s’est aperçu qu’un grand nombre d’hommes se plaignent dans leurs lettres de la nourriture et on cherche le moyen d’y remédier.

 

Je vais à Verdun dans l’après-midi, appelé par l’officier des détails pour 3 fois rien, et je rentre à Montgrignon juste à temps pour ne pas être mouillé.

La pluie se met à tomber sans discontinuer, et tout en travaillant avec Gervais jusqu’à minuit, j’entends le clapotis incessant de l’eau qui tombe tandis que je suis gelé de froid. Nous devons monter aux tranchées demain soir : charmante perspective.

Le 30 mars

Il continue de faire un temps abominable ; neige et froid.

Nous faisons les préparatifs de départ. Le sous-lieutenant HERMET part en permission.

 

Au moment de rejoindre les casernes Niel, j’apprends que Lecoq et Milleriot sont partis et ne sont pas montés aux tranchées.

Ils auraient rencontré Dufour qui rentrait de permission et qui serait reparti avec eux.

 

Ce même soir, Zenzenn qui était pris de boisson se fiche dans le canal avec tout son équipement et ses cartouches pour faire voir qu’il sait nager. On le renvoie à Montgrignon, et je lui fais porter des effets secs le lendemain. J’étais resté avec les autres sergents-majors pour toucher le prêt, le 31.

Je remonte le 31 aux tranchées avec POULET, en même temps que les cuisines.

Avril-mai : secteur de Verdun

Le 1er avril

Nous recevons une instruction ministérielle tendant à faire des économies de vivres. Tous les vivres seront maintenant remboursables et une prime sera touchée. Nous revenons au régime du temps de paix. J’étudie cette circulaire, et je prévois le tintouin qu’elle va nous donner pour son application les premiers temps.

 

Je suis avec le lieutenant GIGOT dans la tranchée de Bade. Bien que je n’aie rien à faire au dehors, je me paye le luxe de regarder un peu le paysage.

Nous sommes au bout de l’éperon et sur les pentes Nord de la côte du Poivre.

En face, un peu à notre droite, après un petit vallonnement où sont installées nos 1ères lignes, est la côte du Talon qui nous surplombe et où sont les boches.

Le 7 avril

La compagnie descend au repos à Montgrignon au four à chaux.

Le 11 avril

Nous remontons en 1ère ligne à la côte du Poivre, tranchée Marfa que les Allemands ont abandonnée.

Le 13 avril

La compagnie, relevée par le 11ème R.I., descend cantonner à Verdun.

Le 15 avril

Nous partons à pied et allons à Jubécourt où nous sommes logés dans les baraquements du camp d’Auxerre.

Le 18 avril

Nous quittons Jubécourt et allons cantonner à Foucaucourt.

Le 19 avril

Nous nous rendons de Foucaucourt à Louppy-le-Petit.

Le 22 avril

Après un agréable séjour, nous quittons Louppy-le-Petit et allons cantonner à Ménil-au-Bois.

Le 23 avril

Nous allons en réserve à Mécrin où nous relevons le 317ème. Gaston Bonnot vient me voir.

Nous partons de Ménil-au-Bois à 20 heures et passons par Sampigny où se trouve le château de Poincaré.

Le 27 avril

La compagnie relève le 5ème bataillon et va en réserve à la Croix Saint-Jean. Nous n’avons qu’une section en 1ère ligne.

Secteur idéal à tous points de vue. Les sergents-majors restent au T.C. au ravin de Boncourt, des difficultés s’étant élevées au sujet de l’ordinaire. Nous avons un travail fou, mais la vie est agréable ici. Je fais quelquefois des balades à cheval.

Le 7 mai

La compagnie va en réserve au ravin Mullot où le colonel me fait demander pour vérifier les cahiers. J’ai une altercation avec le lieutenant GIGOT.

Le 12 mai

Au soir, la compagnie va occuper la 1ère ligne au Quartier Duvernoy.

Le colonel a l’air de vouloir s’occuper des conditions matérielles des hommes, il tombe sur les sergents-majors qui n’ont à son avis qu’une heure de travail par jour.

Il fait du bluff avec les menus de la C.H.R.

 

C.H.R. : Compagnie Hors Rang

Le 21 mai

La compagnie, relevée par le 9ème R.I., quitte les tranchées et va cantonner à Pont-sur-Meuse.

Le 23 mai

Nous partons à 3 heures 15, et allons cantonner à Ernecourt.

Le 24 mai

Nous cantonnons à Chennevières où nous restons au repos. J’ai un bon lit.

Juin : Marne, secteur de Moronvilliers

Le 4 juin

Nous embarquons en autos à 19 heures et débarquons à Verdun à 3 heures le 5. Nous cantonnons aux casernes Anthouard.

Le 8 juin

Des contre-ordres sont arrivés, nous embarquons à la gare de Dugny, partons à 15 heures et débarquons le 9 juin à la gare de Mourmelon à 6 heures.

Le 9 juin

Nous cantonnons à la caserne Zurich.

Le 13 juin

Le bataillon va en réserve à la ferme de Moscou où je conduis les cuisines.

Mauvais secteur.

Le 14 juin

La compagnie occupe les tranchées de 1ère ligne dans le secteur du Casque. Je reste à l’Arsenal et les cuisines sont dans un bois de sapins le long de la piste du Chien. Il fait une chaleur lourde et j’ai mille difficultés à ravitailler la compagnie.

Néanmoins je m’en tire assez bien et la 21ème n’est pas la plus mal nourrie.

 

Le 21 juin, le journal du régiment déclare la perte de 148 hommes (12 tués, 40 blessés et 96 disparus) dans le secteur sud de Moronvilliers.

Le 22 juin, le journal du régiment déclare la perte de 9 tués, 28 blessés et 1 disparu dans le secteur du téton.

Le 23 juin, le journal du régiment déclare la perte 5 tués, 49 blessés dans le secteur du téton.

Le 25 juin

La compagnie va en réserve au bois du Chien non loin du P.C. du colonel. Je monte y payer le prêt.

 

Quelques jours après, au cours d’un bombardement, 17 mitrailleurs sont tués dans un abri. Dans le secteur du Téton, la 18ème compagnie est presque entièrement faite prisonnière.

Une contre-attaque bien réussie reprend les tranchées.

 

Le 29 juin

La compagnie va dans le secteur du Téton et occupe la tranchée de 1ère ligne. Permission le 3 juillet.

 

Le 29 juin, le journal du régiment déclare la perte 17 tués et 2 blessés.

 

Juillet : Marne, Aube, repos

 

Entre mai et juillet, a eu lieu les grandes mutineries, Alexandre n’en fait pas allusion.

Peut-être est il passé à côté ? Mais il a dû en attendre parler.

Vous pouvez lire des récits officiels de ces mutineries  >>> sur mon site ici <<<

Le 5 juillet

La compagnie descend des tranchées à 2 heures et va cantonner à Mourmelon-le-Grand au camp Loans.

Le 6 juillet

Elle embarque à 5 heures 30 à Mourmelon-le-Petit, débarque à Arcis-sur-Aube et se rend à Rhèges où elle cantonne. C’est là que je la rejoins le 13 juillet au soir.

J’écris immédiatement à Jeanne qui vient me rejoindre.

Le 23 juillet

Nous quittons Rhèges à 4 heures 30 et allons cantonner à Origny-le-Sec, bien nommé.

Le 25 juillet

Nous quittons ce pays et allons embarquer à Romilly-sur-Seine, nous partons en chemin de fer à 10 heures.

Nous repassons par Arcis-sur-Aube, Troyes, Sommesous, et après ce circuit nous débarquons à Mézy à 22 heures 30.

Nous allons cantonner tout près à Mont-Saint-Père. Je regrette que nous n’y restions qu’un jour, car nous y étions bien.

Le 27 juillet

Nous allons cantonner à Coulonges-en-Tardenois ; nous logeons dans des baraquements.

Le 28 juillet

La compagnie quitte Coulonges à 4 heures 30 et nous nous rendons à Ventelay, 27 kilomètres.

On nous a allégés du sac et de la capote qui sont transportés par des camions automobiles. Nous sommes affectés au 5ème C.A. et le général Pellé, ancien major-général du général Joffre, nous regarde défiler à notre arrivée à Ventelay. Nous allons cantonner dans un camp sur la route de Bourgogne.

Tous les régiments actifs de la 5ème région sont de ce côté.

Le 31 juillet

Nous avons une remise de décorations dans la matinée.

Je n’y vais pas.

C’est le général Pellé commandant le C.A. qui décore le lieutenant-colonel Lachèvre qui est officier de la Légion d’Honneur.

 

Dans l’après-midi, il pleut.

Nous ne savons pas encore ce que nous allons faire et quel est le secteur qui va nous être affecté. Depuis quelques jours nous avons entendu une très forte canonnade.

Un tas de tuyaux sont lancés auxquels je ne fais nullement attention.

 

Hier, j’ai vu Maréchal, l’ancien fourrier de la liaison, qui était à la 24ème compagnie.

Il avait été évacué à Crouy pour une entorse qu’il s’était faite en chahutant dans le château de Mercin. Il avait profité de l’affaire de Crouy, alors qu’on évacuait tous les petits blessés pour éviter l’encombrement et avait été dirigé sur Pau.

Depuis cette date, il n’est jamais remonté dans les tranchées et est maintenant sous-lieutenant officier des détails au 313ème R.I.

Il peut se vanter d’avoir eu le filon.

 

On a créé un groupe de grenadiers d’élite qui monteront aux tranchées quand le régiment y sera et resteront au P.C. du bataillon.

Au repos, ils iront au D.D. (*) pour s’entraîner et parfaire leur instruction. Le groupe remplace le corps franc qui n’existe plus. Il est d’ailleurs composé des mêmes éléments. Le sergent Dubarry est désigné. Le lieutenant GIGOT quittera la compagnie quand nous monterons dans le secteur et ira au D.D. pour 3 mois comme instructeur au cours des chefs de section.

Le lieutenant Merle le remplacera. Le sergent Bédé passe également au D.D. et est remplacé au C.F. (**) par Minchin.

 

(*) : Dépôt divisionnaire.

(**) : Corps Franc

Août-octobre : Aisne, Juvincourt

Le 3 août

La compagnie va aux tranchées en réserve à la route 44. Les sergents-majors restent en bas. Nous sommes très mal logés avec les sacs.

A peine si nous pouvons travailler, et les allées et venues des permissionnaires nous font perdre bien du temps. Très mauvaise cuisine.

Nous voyons des saucisses dégringoler plusieurs fois. Des avions viennent lancer des bombes qui tombent sur la côte qui descend du F…, non loin des baraquements. Il n’y a par une chance extraordinaire qu’un seul blessé.

Le 13 août

La compagnie quitte la route 44 et va occuper les tranchées de 1ère ligne, non loin de Juvincourt. Je monte payer le prêt le 17.

Le 23 août

La compagnie descend des tranchées et cantonne dans le camp de Ventelay n° 1.

Le 1er septembre

Tout le régiment va à Coulonges-en-Tardenois où nous logeons dans les baraquements. Nous sommes plus mal qu’à Ventelay, et je me demande pourquoi on nous fait faire du chemin ainsi.

Heureusement que chaque compagnie a maintenant un camion automobile pour transporter les sacs et tout le matériel.

Je ne sais comment l’on ferait.

Le 11 septembre

Nous faisons le chemin en sens inverse et cantonnons de nouveau à Ventelay, camp n°1.

Le 12 septembre

Nous montons aux tranchées ; la 21ème est avec tout le 6ème bataillon en réserve au bois des Boches. C’est le caporal-fourrier Bézeault, tout nouvellement arrivé, qui reste en bas.

 

Beau temps, séjour épatant. J’avais installé mon bureau presque en plein air, et je ne descendais dans l’abri où je couchais que tout juste pour dormir.

Ramassage des épaves. Plusieurs alertes.

Le 2 octobre

Nous sommes relevés par le 66ème bataillon de Chasseurs et je pars avec la voiture de compagnie qui est venue chercher le matériel.

Il fait un clair de lune étonnant. On voit comme en plein jour. Les avions en profitent. Ils sont allés jeter des bombes sur Ventelay, les camps et les gares où embarquent les permissionnaires qui partent depuis quelques jours par grands détachements.

 

Nous allons cantonner dans les carrières du Grand-Hameau. C’est dans ces carrières que soi-disant furent extraites les pierres qui servirent à bâtir la cathédrale de Reims.

Il fait là-dedans un froid sépulcral qui vous pénètre, vous enveloppe et vous écrase.

Le 4 octobre

Nous quittons les carrières et allons cantonner au camp d’Arcis-le-Ponsart.

Camp pour 3000 hommes, pas même de lavabos ; 2 ou 3 robinets pour alimenter en eau.

Douches le 13 octobre, c’est-à-dire 9 jours après l’arrivée. On réorganise cependant.

Visite du général Pétain.

Pluie, boue.

 

Arrivée d’un bataillon de Noirs le 14 octobre.

Permission du 18 octobre au 1er novembre. Je tâche d’oublier la guerre.

Novembre 1917 : Aisne, Craonne

Le 1er novembre

Je retrouve la compagnie dans le secteur de Craonne. Je reste à Meurival dans des baraques et Gervais remonte en ligne. Nous assurons d’en bas le ravitaillement de la compagnie et faisons toutes les paperasses.

Repli des boches.

Le 13 novembre

Bombardement par obus vésicants.

Spectacle lamentable dans les journées du 14 et du 15. Les autos ne peuvent assurer l’évacuation des intoxiqués. On en voit des grappes, complètement aveugles, qui sont conduits par l’un d’eux qui voit encore un peu clair.

Ambulances bondées. ¾ de la D.I. (*) évacués.

C’est la pagaïe.

 

(*) : D.I. : Division d’Infanterie. L’attaque aux gaz fait 323 intoxiqués.

 

Le 6ème bataillon descend à Meurival dans la nuit du 14 au 15. Ce qui reste remonte le 21 au même emplacement. Ma compagnie remonte avec 46 hommes et gradés, et tous malades à part les permissionnaires qui sont rentrés dans les derniers jours.

Le 11 novembre, elle comptait 150 hommes en ligne.

Heureusement, nous n’avons à déplorer que 4 décès ; 30 sont restés malades à Meurival et le reste est évacué dans les ambulances. D’ailleurs, par la suite, beaucoup de ceux qui sont restés seront évacués.

Le 28 novembre

Le bataillon descend des lignes et arrive à Meurival à 1 heure du matin le 29. Nous quittons Meurival ce jour même et allons embarquer en autos à Concevreux ; nous partons à 9 heures et à 16 heures 30 nous débarquons à Cocherel où nous cantonnons et restons jusqu’au 3 décembre.

Le 3 décembre

Nous partons à pied et allons cantonner à Chambly. C’est avec une puissante émotion que je revois cette région et le champ de bataille de Barcy où nous avons livré bataille le 6 septembre 14. Je revois l’emplacement où nous sommes montés à la charge et où nous avons laissé tant des nôtres.

Nous ne restons que quelques uns de ce moment-là : POULET, Fransioli, et je m’aperçois qu’eux aussi sont émotionnés de revoir ces champs qui sont maintenant parsemés de tombes.

On se montre les emplacements où tel camarade a été frappé, on se remémore les faits et les fatigues endurées.

Il y a plus de 3 ans de cela, et nous sommes toujours au même point ! Ou plutôt non ; nous sommes un peu plus usés, vieillis, sceptiques et démoralisés.

 

Le commandant CHALET réunit le régiment sur la route presque à l’endroit où ma section l’a traversée le 6 septembre à travers la mitraille. En quelques mots, il retrace le déroulement de la bataille.

Le 4 décembre

Nous cantonnons à Messy.

Le 5 décembre

Nous cantonnons à Gournay, d’où je vais faire un tour à Paris.

Le 6 décembre

Nous arrivons à Sucy-en-Brie, où nous devons rester. La division est disséminée sur une très vaste région. Il n’y a à Sucy que la 21ème et la C.H.R. (*)

Renforts du 315ème dissous.

 

(*) : Compagnie Hors Rang

(**) : Le 315ème régiment d’infanterie a bien été dissous. Une partie de ces hommes intègrent le 204e RI.

Le 22 décembre

Nous repartons par voie de terre et allons cantonner à Pontcarré.

Le 23 décembre

Nous cantonnons à Mortcerf.

Le 24 décembre

Nous cantonnons à Aulnoy.

Le 25 décembre

Nous cantonnons à Sammeron, où nous restons les 26 et 27.

Le 28 décembre

Marigny-en-Orxois.

Le 29 décembre

Rocourt-Saint-Martin.

Le 30 décembre

Saponay, où nous restons le 31.

Janvier-février 1918 : Marne

Le 1er et le 2 janvier 1918

Mont-Saint-Martin. Nous entrons dans la zone des baraquements.

La neige et le froid ne nous ont pas quittés.

Le 3 janvier

Nous allons cantonner dans les carrières de Roucy.

Le 4 janvier au soir

Le bataillon monte en 1ère ligne dans le secteur de Ville-au-Bois ; je vais d’abord à la Butte aux Marchands, où doit être le T.C., puis enfin à Ventelay au camp de la Croisette. Les bureaux des détails et du colonel ainsi que tous les services sont à la ferme du Chêne.

Le 12 janvier

La compagnie descend en réserve à la route 44.

Le 19 janvier

La compagnie monte en 1ère ligne dans le secteur de Juvincourt.

Le 25 janvier

La compagnie se porte en réserve de 1ère ligne.

Le 29 janvier

La compagnie est relevée par le 127ème R.I. et quitte les tranchées dans la nuit du 29 au 30 et vient cantonner dans les baraquements du camp de Bourgogne. Je rejoins avec la cuisine et fais tout déménager.

Le 31 janvier

Nous faisons mouvement et allons embarquer à Fismes, où nous arrivons à 10 heures. Notre train part à 17 heures.

Nous débarquons à Betz à 20 heures et allons cantonner à May-en-Multien. Nous trouvons des cantonnements très bien installés.

 

Durant le séjour, le colonel vient souvent au bureau de la 21ème pour un motif ou un autre. On dit qu’il est au mieux avec une dame voisine. Cette dame est en instance de divorce, mère de 2 enfants, dont le plus jeune est contesté par le mari. Les habitants disent que cette dame était très bien avant la guerre et qu’elle avait une belle situation.

Je couche chez le boucher, avec les 2 adjudants et l’aspirant. Je pars en permission de May le 23 février et rentre le 6 mars.

Mars-avril 1918 : Oise

Le 12 mars

Nous quittons notre cantonnement de repos et allons cantonner à Troème.

Le 13 mars

Nous allons cantonner à Cutry.

Le 14 mars

Nous arrivons à Vrégny, dans les régions qui ont été évacuées par les boches. Je revois le chemin creux de Crouy et toute cette région où nous étions en 1914. C’est bien changé et il y a un peu plus de ruines.

Tous les arbres à fruits sont sciés et les maisons ne sont plus que des tas de pierres. La compagnie va faire des travaux. Nous sommes avec les Américains.

Le 23 mars

Le bataillon va embarquer en autos à Missy-sur-Aisne.

Nous avons eu quelques échos de l’offensive qui s’est déclenchée, et le canon s’est fait entendre avec intensité ces jours derniers. Les autos partent à 17 heures.

Nous débarquons à Blérancourdelle à 22 heures.

 

Là, nous trouvons des Dragons qui quittent le village. Après que le cantonnement a été fait, l’ordre arrive d’aller à Bretigny : une douzaine de kilomètres.

 

Nous y arrivons à 5 heures le 24.

On se sent dans une atmosphère de bataille. Il y a beaucoup d’Anglais, nous apprenons leur recul. On se couche au petit bonheur. Je trouve une grange remplie de foin et j’y emmène Gervais et Salmon.

 

A 8 heures, on nous donne l’ordre de partir ; nous déposons une couverture, on distribue des cartouches. Nous devons aller à Neuflieux, mais l’ordre arrive en route de rester à Dampcourt.

Neuflieux est occupé par les Allemands.

En passant à Quierzy, nous voyons une pagaïe indescriptible, des convois de toutes sortes, de T.C., de l’artillerie qui passe l’Oise et se retire à l’arrière. Nous voyons quelques éléments de la 10ème division, et les T.C., C.R. qui déménagent.

Des isolés qui reviennent font circuler des bruits fantastiques.

De la 10ème division entière, il ne resterait que celui qui nous parle ; puis en arrivent d’autres qui disent la même chose. On se rend compte d’une chose : les Anglais n’ont pas tenu le coup, se replient et nous les relevons.

Pendant ce temps, les Allemands avancent très vite.

Cela va être charmant.

 

A Dampcourt, je demande au capitaine Prudon pour les cuisines. Les cuisiniers sont avec nous et la compagnie ne mangera pas. Il soumet la question au commandant CHALET qui donne l’ordre que tous les éléments qui sont d’ordinaire au T.C. le rejoignent.

Nous alors faire la cuisine à Quierzy.

 

Pour le ravitaillement, nous partons à 5 heures du soir, mais ne trouvons pas la compagnie. Nous passons avec la roulante 3 fois l’Oise et nous rentrons enfin après avoir ravitaillé aux portes de Marest, à 2 heures du matin.

 

J’apprends que l’adjudant Levacq et le sergent Dubarry ont été faits prisonniers. (*)

Ils croyaient que des Anglais étaient devant eux et se sont fait cueillir gentiment.

 

Le 24 mars, le journal du régiment déclare la perte 7 tués, 64 blessés et 83 disparus.

 

(*) : LEVACQ Léonce était adjudant-chef, DUBARRY Henri, quant à lui, sergent.

Le 25 mars

À 4 heures du matin, nous recevons l’ordre de quitter Quierzy et d’aller à Morlincourt. Je venais à peine de m’allonger sur un lit ; j’étais harassé, n’ayant pas dormi depuis 2 jours, et toujours en route. Les obus tombaient tout autour de nous. Ils cherchaient probablement une batterie anglaise qui tirait sans interruption à 300 mètres de nous.

 

Nous attelons et nous remettons en route ; nous passons par Blérancourt ; la route est certainement plus sûre, mais elle nous allonge terriblement. Pour comble, nous sommes embouteillés par l’artillerie qui revient de ce côté de l’Oise et se met en batterie derrière les bois.

 

Le jour se lève, et dans les villages où nous passons c’est la même impression de tristesse. Les habitants fuient en hâte en emportant ce qu’ils peuvent.

A peine sont-ils sortis de chez eux que les soldats y entrent et ce qui est resté est saccagé. Quelle horreur que la guerre !

 

Nous arrivons à Varesnes où nous passons les ponts de l’Oise. Je fais la réflexion que nous nous engageons du mauvais côté. La fusillade crépite devant nous sur les hauteurs. Nous suivons les convois et atteignons enfin Morlincourt, où nous trouvons les T.C. de la D.I.

Il est environ 10 heures du matin.

 

A peine arrivés, nous recevons l’ordre de partir au plus vite. Nous repassons l’Oise et allons bivouaquer au nord de Caisnes. Je n’en peux plus et mes jambes ne peuvent plus me porter.

Pendant ce temps, la compagnie, qui avait creusé des tranchées près de Marest, recevait l’ordre de se replier de l’autre côté de l’Oise. Le bataillon était presque tourné, et la situation était critique.

Pourtant, la compagnie s’en est tirée sans trop de pertes : lieutenant GIGOT (*) et 1 soldat tués ; 3 blessés ; lieutenant Merle (**), 2 capitaines et 7 soldats disparus, probablement prisonniers.

Le soir, la compagnie se rassemble à la ferme neuve où nous allons la ravitailler.

 

Le 25 mars, le journal du régiment déclare la perte 10 tués, 33 blessés et 28 disparus.

 

(*) : Le  lieutenant GIGOT François Xavier commandait la 21e compagnie. Il est mort pour la France entre Marest et Dancourt le 25 mars 1918, disparu, tué à l’ennemi. Il était né à Coiffy-le-Haut, le 1e avril 1873.

 

(**) : Le lieutenant MERLE Samuel, disparu le 25 mars 1918, était lui aussi de la 21e compagnie.

Le 26 mars

La compagnie prend les avant-postes sur la rive gauche de l’Oise en aval de Bretigny.

Le T.C. 1 change de place ; il était en pleine vue de Noyon ; il va à l’ouest de Caisnes ;

Le T.C. 2 part à Moulin-sous-Touvent.

Le 28 mars

La compagnie vient à Cuts en réserve de la ligne. Je la rejoins avec la cuisine roulante.

Le pillage qui a été fait dans toutes les maisons de ce village où les Allemands ont séjourné 2 ans et demi et laissé tout en ordre, soulève le cœur.

Le 30 mars

La compagnie remonte en ligne à l’ouest de Quierzy.

Je vais avec le T.C. 1 au bois des Cailleux.

Le 4 avril

La compagnie est relevée par la 19ème du 204 et va en réserve de ligne à la ferme des Bruyères.

Le 5 avril 18

La compagnie descend en réserve à Lombray, ferme S.O. du village où elle arrive à 2 heures du matin le 6. Nous rejoignons le C.R.

Travaux de nuit de 0 à 6 heures du matin.

Le 10 avril 18

La compagnie quitte Lombray à 20 heures et va en 2ème ligne à la ferme des Bruyères, bois de Bretigny, où elle relève la 17ème compagnie.

Je retourne avec la C.R. rejoindre le T.C. 1 au bois des Cailleux et reprends ma place dans le P.C. en béton armé fait par les boches.

T.C. 2 à Moulin-sous-Touvent.

Le 14 avril 18

La compagnie va occuper les 1ères lignes à l’ouest de Quierzy.

Le 19 avril 18

La compagnie descend en réserve de 1ère ligne au bois de Bretigny.

Le 20 avril 18

Relevée par la 14ème compagnie, la 21ème vient cantonner dans les carrières de Blérancourdelle.

Le 30 avril 18

La compagnie remonte et va en réserve au bois de Bretigny. C.R. et T.C. 1 bois des Cailleux.

Mai-juin 1918 : Aisne

Le 5 mai

La compagnie relève la 13ème en 1ère ligne.

Le 15 mai

Relevée par la 19ème, la compagnie vient en réserve au bois de Bretigny.

Le 20 mai

La compagnie, relevée par la 13ème compagnie, vient en réserve à Blérancourdelle (creute des Abencérages).

Le 28 mai

à 14 heures, la compagnie fait mouvement par voie de terre et va bivouaquer dans la creute de Villers-la-Fosse. Nous arrivons dans un air de bataille. T.C. 1 à Cuisy, C.R. avec la compagnie.

Le village est déjà abandonné par le major du cantonnement lui-même. C’est après plusieurs ordres reçus en cours de route que nous arrivons enfin à cette destination. Nous sommes détachés à la disposition de la 164ème division.

Le 29 mai

À 9 heures, la compagnie va occuper des emplacements de combat sur la ligne Chavigny-Juvigny.

Nous partons à midi de Villers-la-Fosse et nous rejoignons le T.C. 1 à Osly. Le T.C. 2 est à Pierrefonds.

Le 30 mai

La compagnie occupe la 1ère ligne de combat Villers-la-Fosse/ferme Valpriez. Nous sommes dans l’indécision avec le T.C. 1 et les roulantes. Les choses ont l’air de se gâter pour nous.

De tous côtés, on sent les boches qui appuient fortement.

Pas d’ordres.

Nous traversons l’Aisne et allons à la Maladrerie.

Le 31 mai

Le bataillon s’est replié dans la nuit et la matinée. Il se rassemble au Moulin de Fontenoy, le pays commence à être bombardé. Nous passons tout de même au travers.

Il y a d’autres victimes le long de la route.

 

A midi, le bataillon se reporte en avant sur Osly. Il est maintenant sous les ordres du colonel du 74ème R.I.

 

Le soir, il passe l’Aisne à Fontenoy-Port et prend position sur la rive gauche de l’Aisne au nord de la ferme de Pontarcher.

Le T.C. 1 et la C.R. se portent sur Ressous-le-Long où un obus tue Galpin (*), le conducteur de la C.R., et ses 2 mulets.

Nous allons ensuite à la cote 140.

 

Le JMO du régiment signale la perte de 6 hommes tués, 23 blessés et 10 disparus.

(*) : GALPIN François, soldat, mort pour la France à  Nampcel (Oise) le 31 mai 1918, tué à l’ennemi.

Il était né à Beaufoy (Sarthe), le 13 décembre 1884. Il est inhumé à Vic-sur-Aisne (02), tombe 12.

Le 1er juin

Le commandant du bataillon ne reçoit plus d’ordres.

Nous nous portons avec le T.C. à 800 mètres au sud de Coeuvres.

 

Le JMO du régiment signale la perte de 11 hommes tués, 39 blessés et 198 disparus.

Le 2 juin

À 20 heures, le bataillon ayant reçu des ordres du colonel de rejoindre le régiment, se rassemble à Maison-Blanche au S.E. d’Attichy.

Le T.C. 1 et les C.R. viennent au même point pour ravitailler, mais quand nous arrivons, le bataillon est reparti.

Le 3 juin

Le jour commence à poindre, et nous allons à Cuise-la-Motte.

Le T.C. 1 va dans le ravin de la Faloise où le bataillon est en réserve.

 

Arrivés à Cuise-la-Motte, nous repartons presque aussitôt pour ravitailler.

 

A 21 heures, la compagnie va occuper les 1ères lignes au N-E de Moulin-sous-Touvent.

Le 5 juin

Le T.C. 1 va à la ferme Navet, C.R. et Vne de compagnie à Vieux-Moulin.

Le 14 juin

La compagnie relevée par le 4ème bataillon va en 2ème ligne.

Le T.C. 1 et les C.R. se portent à la sortie ouest de Trosly-Breuil où tout est rassemblé dans le bois.

Le 22 juin

Des avions jettent des bombes sur l’artillerie 230 : 4 bombes, une centaine de chevaux tués et blessés ; 12 hommes tués et une trentaine blessés. Le capitaine rapporteur près le C.G. vient le 23 pour faire disséminer les C.R. et le T.C.

Juillet-Août 1918 : Aisne

Le 3 juillet 1918

Attaque par le 4ème et 5ème bataillon. Elle avait été préparée avec l’appui de l’artillerie marocaine. Elle réussit très bien et il y a peu de pertes.

Les 2 bataillons restent sur leurs positions.

 

Le JMO du régiment signale, quand même, la perte de 34 hommes tués et 77 blessés.

Le 4 juillet

Le T.C. 1 va bivouaquer à Berneuil, au nord de l’Aisne, les cuisines roulantes restent à Trosly-Breuil.

Le 13 juillet

La compagnie va en réserve de 1ère ligne. Grotte Mouton et abords de la ferme de Puisieux.

Le 21 juillet

La compagnie descend en 2ème ligne au ravin des Bouleaux.

Le 3 août

La compagnie prend les avant-postes au nord de Moulin-sous-Touvent.

P.C. ferme Puisieux.

Le 11 août

La compagnie relevée par la 19ème compagnie va au ravin de la Coopérative.

Le 17 août

La compagnie monte aux positions d’attaque ; chemin des Francs, près de la ferme Puisieux.

Le 18 août

La compagnie est en réserve du bataillon qui attaque.

 

Le soir, les objectifs sont atteints. La compagnie occupe la tranchée Koloméa au nord de la chaussée Brunehaut.

 

(*) : Le JMO du régiment signale, pour cette attaque, la perte de 17 hommes tués, 188 blessés et 4 disparus.

Le 19 août

La compagnie est relevée par la 17ème compagnie du 4ème zouaves et va occuper la tranchée du Tibia au nord de la chaussée Brunehaut.

Le 20 août

La compagnie va occuper à 0 heure 20 les emplacements pour l’attaque. La compagnie est à la disposition du colonel.

 

L’attaque se déclenche à 7 heures 15. Progression. La compagnie suit et bouche un vide entre les tirailleurs à gauche et le 5ème bataillon à droite.

Le 21 août

Progression ; la compagnie est en 1ère ligne.

 

Le soir, arrêt à Saint-Aubin.

Le 22 août

Progression de nuit ; départ à 0 heure 15.

La compagnie atteint Trosly-Loire et se place au nord de ce village.

Le 23 août

Nouvelle progression du bataillon qui atteint le soir Guny. La compagnie est au sud dans les bois ; relève le soir par la 15ème compagnie.

Le 24 août

La compagnie va occuper la carrière au nord de Trosly-Loire.

Le 25 août

La compagnie est relevée par la 6ème du 9ème R.I.

Le 27 août

La compagnie occupe les creutes des Tous Couleurs à Blérancourdelle.

Elle embarque le matin à 12 heures.

Le 28 août

La compagnie débarque à Villemareuil (Seine-et-Marne).

Septembre 1918 : dissolution du 204e RI, passage au 43e RI

Le 6 septembre

Dissolution du régiment. (*)

Les hommes rejoignent le 43ème R.I. Matériel versé à Crécy-en-Brie.

Sergent-major et 2 hommes au centre de ralliement à Esbly pour la liquidation.

Bon séjour.

 

(*) : La majorité des soldats du 204e RI sont affectés dans les 127e RI, 327e RI, 43e RI et 344e régiment d’infanterie. Un total des pertes est indiqué dans le JMO :

Du 9 août 1914 au 6 septembre 1918, le régiment a perdu 954 tués, 4377 blessés et 1042 disparus.

Le 25 septembre

Nous partons pour le C.I.D. du 43ème ; Noisy-le-Sec ; Le Bourget ; Creil, où nous arrivons à 4 heures du matin.

 

Nous y passons la journée et reprenons le train de ravitaillement pour Pierrefonds à 3 heures 45 du matin. Arrivée à Pierrefonds le 26 septembre à midi.

Réception glaciale par les sergents-majors du C.I.D.

Je devais partir en permission le 1er octobre, mais elles sont arrêtées.

Octobre-Novembre : Les Vosges

Le 2 octobre

le C.I.D. part pour Vaumoise, où nous arrivons vers les midi.

Le 3 octobre

À 3 heures, embarquement.

Réveil à 1 heure et le train ne part qu’à 7 heures du matin. Rien de changé.

Nous passons par la ceinture ; halte à Nogent-sur-Seine ; puis nous filons sur l’Est.

 

Débarquement le 4 octobre à 13 heures environ à Saulxures, dans les Vosges, près de la frontière.

Cantonnement à Thiéfosse ; gare précédente à 5 kilomètres. Paysage magnifique et très pittoresque. Nous sommes en pleine montagne ; l’eau coule en cascades de partout ; des maisons sont disséminées sur les flancs des montagnes ; chacune d’elles est entourée d’un pâturage et de quelques ares de terrain cultivé, où l’on trouve surtout des pommes de terre.

La plupart des montagnes qui nous entourent sont boisées, à part 2 ou 3 qui ne sont qu’un amas de rochers sur lesquels poussent les bruyères, les mousses et les myrtilles.

J’ai trouvé un lit chez une bonne vieille, et je couche avec Derlange. Je fais connaissance avec les lits à la Vosgienne qui n’ont qu’un seul drap. Celui du dessus est formé d’une sorte d’édredon qui couvre tout le lit.

 

Nous faisons popote chez des dames qui ont l’air peu recommandables ; 3 sœurs ; la plus jeune a 17 ans et est plutôt naïve. Les Américains sont passés par ici.

 

Le soir, même de notre arrivée, les idylles sont déjà ébauchées.

 

Le 6 octobre, presque tout le C.I.D. part en renfort.

Le sergent-major est en difficulté au départ. Nous allons à pied à Le Thillot. Départ midi ; arrivée à la nuit.

L’étape se fait à travers les montagnes. Je suis ravi de voir ces paysages si pittoresques.

 

A Le Thillot, attente de 2 heures devant le bureau du colonel. Pourquoi ? Mystère et administration.

 

Finalement, on loge tout le monde dans 3 baraquements libres. L’affectation se fera demain à 8 heures ½.

Avec POULET, nous tâchons alors de nous caser. Nous trouvons un lit, non sans difficulté. Beaucoup d’hommes étaient partis à l’avance et s’étaient logés eux-mêmes un peu partout dans le pays.

Le 7 octobre

Après une bonne nuit, nous allons au rassemblement. Tous les hommes sont affectés où ils le demandent. Je suis à la 11ème compagnie cantonnée à Le Fresse qui est attenant à Le Thillot.

Réception un peu plus cordiale qu’au C.I.D. POULET est à la 9ème et Derlange à la 3ème. Il est beaucoup remarqué que l’on nous a affectés tous les 3 dans les 3 compagnies où les sergents-majors sont les plus jeunes. Je me laisse mener par les événements et ne m’occupe de rien.

Le commandant de compagnie me parle très gentiment.

Le 9 octobre

Départ en camion à 6 heures. Nous passons par Saulxures, Ventron, La Bresse, Gérardmer, et débarquons au Collet, point terminus d’un tramway qui vient de Gérardmer.

 

Les sacs sont chargés sur des voitures traînées par des bœufs ou de forts mulets. Nous nous engageons alors dans la montagne et arrivons dans le secteur de Metzeral où nous relevons les Américains.

Les communications sont difficiles et le ravitaillement se fait par câble aérien. Secteur de tout repos à part quelques patrouilles ou coups de main. Des territoriaux sont ici depuis un an.

Je suis la 1ère section qui est en soutien du 2ème bataillon dans un camp sur le bord de la Fecht qui descend de la montagne.

On peut se ravitailler, paraît-il, à Mittlach, à environ ½ heure d’ici. En tout cas, nous sommes bien perdus dans la montagne.

L’air est vif ici ; l’hiver doit y être rude.

Le 9 et le 10 octobre

On me laisse absolument à l’écart ; je mange à la popote des S.O. qui sont très gentils.

De mon côté, je n’entreprends rien qui me fasse sortir de l’oubli. J’attends ma permission. Ensuite nous verrons.

Les 11 et 12 octobre

Je me promène un peu dans le secteur et me familiarise avec la montagne. Je descends au village de Mittlach, à environ 3 kilomètres des lignes. Tous les habitants sont restés au pays, sauf les hommes qui combattent dans les rangs allemands.

Peu de personnes parlent le français, et avec difficulté ; on ne parle que l’alsacien. Le drapeau tricolore flotte sur la mairie et un sergent territorial fait la classe aux enfants.

Les habitants ont l’air de se moquer de redevenir Français ou de rester Allemands ; ils demandent la fin de la guerre. Je crois que les sentiments français de toutes ces populations sont grandement exagérés par les journaux bourreurs de crânes.

Le gendarme et l’autorité militaire ont l’air tout puissant dans la localité. On voit, on sent la soumission à un règlement sévère.

 

Comme pays, ce doit être pauvre, il n’y a que des pâturages ; pas de culture. Le terrain qui n’est pas accaparé par la forêt ou les rochers est d’ailleurs très restreint et se réduit à l’étroite vallée. Le tout est en pleine vue des boches. Il y a un cimetière militaire très bien entretenu où sont déjà beaucoup de tombes, principalement des chasseurs alpins qui sont tombés en juin 1915 à l’attaque de Metzeral. Le ravitaillement se fait principalement par câble aérien, comme pour les troupes de ces régions.

Le 13 octobre

La compagnie va au travail de 6 à 8 heures du soir : pose de fil de fer dans Metzeral. Je monte au camp Benoît pour donner mes renseignements au sergent-major.

Le 16 octobre

8 permissionnaires partent à la compagnie.

Je suis étonné de ne pas être du nombre et en parle au commandant de compagnie. Je ne partirai probablement que lorsqu’un sous-officier de la compagnie sera rentré.

Le commandant de compagnie me demande si je préfèrerais travailler au bureau. Sur ma réponse affirmative, il me dit que si toutefois on lui demandait un sergent-major pour suivre les cours de chef de section, ce serait vraisemblablement Maselet qui serait désigné comme étant le plus jeune, et il préfèrerait que je sois au courant auparavant.

Comme il est allé la veille au colonel, j’en conclus que la question a été posée. En attendant, comme la compagnie monte en ligne le lendemain et qu’il y a peu de sous-officiers à la compagnie, je vais reconnaître.

Le poste G.C. 1 m’est affecté où je relève un caporal.

Le 17 octobre

Je laisse mon sac aux territoriaux pour ne pas avoir à le traîner et nous allons relever un peu avant la tombée de la nuit. Un peloton de la compagnie est au Braunkopf sur les pentes est ; l’autre peloton est dans le ravin entre le Braunkopf et Metzeral.

Le G.C. 1 (sergent Roy avec 8 hommes et 1 caporal, le plus près du Braunkopf) domine le ravin.

Le G.C. 2 (moi avec 1 caporal et 7 hommes, non loin du pont du chemin de fer) et le G.C. 6 (adjudant Brosseau avec une partie de sa section en arrière à Altenhof) : chaque poste agit pour son compte et doit résister par ses propres moyens.

Il n’y a à compter sur aucune aide, pas plus que sur l’artillerie.

 

Ce qui est surtout à craindre dans ce secteur, ce sont les coups de main et les embuscades.

Aussi le soir, à la tombée de la nuit, on ferme hermétiquement les G.C. et il n’y a qu’à lancer des grenades si qui que ce soit approche. Les G.C. qui sont assez éloignés les uns des autres ne communiquent pas entre eux à partir de 17 heures.

La cuisine se fait pour mon peloton non loin de notre emplacement dans une maison détruite d’Altenhof. Les 2 cuisiniers viennent le matin avec les hommes de corvée pour le café et retournent coucher à G.C. 6.

Les agents de liaison ne circulent que 2 à 2 et armés entre les postes dans la journée par crainte des embuscades, et la consigne est formelle à ce sujet. Quand les Américains étaient dans le secteur, l’ennemi serait allé pour des embuscades jusque sur le chemin de Mittlach où des agents de liaison ont été enlevés et tués en plein jour.

Le 18 octobre

La nuit et la journée se passent sans incident. J’étais allé reconnaître les alentours immédiats de notre poste.

Comme nous ne sommes que peu de monde, le commandant du 2ème bataillon avait fait retirer les sentinelles dans la tranchée même et un petit poste avancé qui communiquait par un souterrain et qui était destiné à prendre d’enfilade le ravin du chemin de fer qui vient aboutir à 20 mètres du G.C. avait été abandonné.

Dans ces conditions, l’ennemi pouvait venir sans être vu ni entendu jusqu’au faîte du rebord du ravin, d’autant plus qu’une brèche existait dans le réseau de fil de fer, d’ailleurs très faible ; de là, en un seul bond, il était dans notre tranchée.

 

Dans la journée du 18, je fais donc chercher du matériel, et à la tombée de la nuit nous obstruons la brèche et nous confectionnons un réseau de fortune sur le rebord du ravin.

De cette façon, il n’y a guère moyen d’être surpris. Comme nous rentrions dans le poste, un F.M. du pied du kiosque (10ème compagnie probablement) nous tire dessus une rafale de 2 cartouches qui passent en bourdonnant non loin de nous.

 

Je vais alors me coucher, le caporal Hérault prenant le quart la première partie de la nuit. Mais il m’est presqu’impossible de fermer l’œil, les rats dansant une sarabande effrénée et la vermine se mettant à table.

Le 19 octobre

La nuit s’est passée sans incident.

 

Dans la matinée, je fais un peu de toilette et je fais la chasse aux poux : une vingtaine de pièces au tableau.

 

J’ai la visite du commandant de compagnie qui me fait des compliments comme chef de section parce qu’il voit affichées des notes concernant la tenue, le port du masque, etc., instructions qu’il m’a fait parvenir depuis que nous sommes ici.

Il m’apporte le communiqué annonçant la prise de Roubaix et Tourcoing.

 

Je prends le quart la 1ère partie de la nuit. Il fait un temps idéal, doux et clair de lune. J’en profite pour faire renforcer un peu le réseau de fil de fer à l’aide d’un rouleau de fil barbelé que j’ai trouvé sur le terrain.

Le 20 octobre

Petite pluie dans la journée, calme complet.

Le 21 octobre

Matinée froide, mais belle après-midi ensoleillée. Je reçois des instructions pour se replier au reçu de l’ordre :

 

« Prenez les positions d’alerte ! »

 

C’est-à-dire en cas d’attaque ennemie, la résistance se ferait sur une ligne déterminée, à l’arrière ; notre emplacement de combat serait sur le SillackerKopf. Il est vrai que dans le ravin où nous sommes, dominés de partout et pris d’enfilade, la position ne serait pas brillante.

 

Vers les 4 heures du soir, les boches lancent des torpilles à 80 ou 100 m cherchent la batterie de 75 de tranchée qui tire de temps à autre, la nuit principalement.

Une vingtaine de torpilles tombent en une heure de temps.

 

A la tombée de la nuit, le secteur semble un peu plus agité que d’habitude. Quelques obus, des rafales de mitrailleuses et des fusées. Je prends le quart la 1ère partie de la nuit.

Tout le secteur redevient très calme ; il fait un clair de lune splendide.

Le 22 octobre

Le commandant de compagnie vient nous voir ; il me parle d’une note qui demande des interprètes pour l’armée américaine. Il ne cherche pas à se rendre compte de la situation du G.C. au point de vue défensif. Il m’a tout l’air de passer par ici pour la forme.

Les hommes qui vont chercher le café le matin rapportent la nouvelle d’une incursion ennemie dans nos lignes. Les boches sont allés tendre une embuscade sur le chemin de Mittlach et ont emmené 2 brancardiers qui revenaient de mener un blessé à l’ambulance. Un 3ème qui était avec eux a pu s’échapper et donner l’alarme, mais trop tard.

Dans les petits postes, on n’a pas entendu passer cette patrouille.

 

Dans la journée, on a suivi sa piste. On a retrouvé quelques grenades, un fusil boche cassé et un calot boche. Cette patrouille avait dû passer entre le poste de Roy et le reste de la compagnie sur cette pente abrupte un peu boisée.

Je vais dans l’après-midi au bureau de la compagnie pour faire ma demande d’interprète. Il fait une chaleur étouffante.

Le 23 octobre

Journée de brouillard ; une bonne partie de la journée, nous sommes à l’extérieur du poste pour poser des fils de fer et arranger les défenses accessoires.

 

Le soir, il fait une nuit opaque.

 

Vers les 7 heures, Duhamel, un jeune qui était de garde, prend peur d’une fusée. Il vient me dire que les boches lancent des fusées dans le boyau.

Précisément en avant de nous, les boches ont déclenché un tir très nourri de Minenwerfer.

Je saute immédiatement de ma couchette (le caporal Hérault était de quart) et je sors.

Je trouve Duhamel qui était resté à la porte de l’abri et qui avait peur. Je le renvoie immédiatement à son poste de combat et je m’aperçois que la cause de sa frayeur est simplement une fusée qui a été lancée de G.C. 2.

Je rentre donc me coucher, car je ne prends le quart qu’à 2 heures ½ ; nous sommes 3 maintenant pour nous partager la nuit.

Le 24 octobre

La nuit s’est passée sans autre incident.

 

Au matin, j’entends du bruit sur la ligne du chemin de fer et environ ¼ d’heure après un sifflement caractéristique. Les hommes partent ensuite chercher le café.

Le 27 octobre

L’ordre arrive enfin que je parte en permission. Je prends mes affaires et quitte alors le P.P. avec joie.

Je passe au P.C. de la compagnie. Le commandant de compagnie m’annonce que ma demande pour passer dans l’armée américaine est partie.

Je vais ensuite au rassemblement des permissionnaires au P.C. du bataillon. Le commandant qui me reconnaît me demande quelques renseignements sur l’emplacement et les abords du P.P.

 

Nous partons ensuite au camp Nicolas où se trouve le colonel. Le fourrier de la compagnie est parmi nous ; il est heureux de partir lui-aussi.

Si seulement la guerre pouvait prendre fin durant notre permission !

 

A Saint-Nicolas, les sacs des permissionnaires sont chargés sur une voiture à bœufs qui doit les emmener au Collet ; par la route, il y a au moins 16 kilomètres.

Nous partons à travers la montagne par un sentier muletier ; au bout de 2 heures d’une marche pénible, nous arrivons enfin au haut du Honneck ; nous passons l’ancienne frontière ; il fait froid sur ces hauteurs ; nous n’avons plus qu’à descendre jusqu’au Collet ; là, nous nous restaurons un peu, les sacs arrivent, et la plupart prennent le tram électrique qui les descend à Retournemer.

Je prends avec quelques autres camarades le sentier et nous arrivons avant le tram.

 

Nous cherchons à nous loger pour la nuit dans les baraques du T.R. Je m’aperçois de la perte d’une grande partie de mes affaires : couvertures, trousse de toilette, linge, etc.

Le 28 octobre

Après avoir remis nos sacs au gardien, nous prenons le train qui nous conduit à Gérardmer, puis c’est la ligne de Paris après passage à la gare régulatrice de Favresse.

Cette gare, dont l’installation n’est pas terminée, a l’air d’être bien organisée.

 

J’arrive à Paris le 29 à 13 heures.

 

Durant toute ma permission, je suis anxieux de toutes les nouvelles qui ont cours. Nos ennemis ont l’air de s’effondrer : la Bulgarie, la Turquie, puis l’Autriche cèdent.

L’Allemagne reste seule.

Elle ne pourra tenir longtemps.

Dans Paris, c’est du délire. On se prépare à pavoiser et à fêter la cessation des hostilités. C’est alors l’abdication du Kaiser.

Les Allemands souscriront-ils aux dures conditions qu’on leur impose ? Je voudrais avoir la réponse avant mon départ.

Le terme fixé expire le 11 novembre à 11 heures et je pars le matin du même jour à 8 heures ½.

Novembre 1918

J’apprends la nouvelle en gare de Dormans où les territoriaux tirent des coups de fusil au passage de notre train et sautent de joie, comme des enfants de 5 ans.

Puis sur le parcours, on voit les gares pavoiser.

 

A Favresse, on nous apprend la signature de l’armistice d’une façon officielle, vers les 19 heures. Je reprends le train vers les minuit et nous n’arrivons à Nancy qu’à 11 heures le 12 novembre.

Il y avait d’énormes mouvements de troupes, et entre Toul et Nancy les trains se suivaient ; nous avons mis au moins 8 heures pour aller de Toul à Nancy.

Je descends dans cette ville pour déjeuner avec un sergent-major de la C.H.R. 43.

Les rues sont pavoisées de belle façon ; une animation extraordinaire y règne. Miss Wilson vient d’arriver.

Nous nous dirigeons place Stanislas où il y a un monde fou à la préfecture où a lieu la réception. Impossible de pénétrer, tellement il y a foule.

Je vois dans le vestibule quelques spécimens de projectiles, notamment un 420, un 400 français, une torpille géante, etc.

 

Nous allons alors dans un café où nous avons beaucoup de mal à trouver une place. Toutes les personnes rencontrées rayonnent de joie.

Les journaux de Paris arrivent. Pour s’en procurer, il ne faut pas avoir peur d’être bousculé.

 

Le soir, nous reprenons le train pour Épinal, où nous couchons à l’hôtel du Chemin de fer après un bon repas.

Le 13 novembre

Au matin, nous partons pour Gérardmer ; nous y couchons à l’hôtel des Vosges et partons le 14 pour le Collet. Nous avons vu à Gérardmer arriver les premiers prisonniers qui viennent du camp de Colmar.

Journées inoubliables !

Je retrouve ma compagnie aux mêmes emplacements au camp de Krantz. Le colonel s’est posté au village de Mittlach. Il n’y a plus de canon, plus de balles de mitrailleuses qui traversent l’espace, plus de gaz.

 

C’est incroyable !

Le 1er novembre, c’est-à-dire 3 jours après mon départ en permission, les Allemands ont déclenché un bombardement de torpilles à gaz à l’aide de leur « Projektor ».

Ces gaz étaient leur dernière création : à l’oxychlorure de carbone et tout ce qu’il y a de plus nocif. Tous les occupants du P.P. dont j’avais la garde ont été atteints : 5 sont morts, les autres évacués sauf un, Bousquet, qui s’était sauvé et était monté sur le toit d’une maison voisine.

Le retard qui a été apporté dans ma permission m’a probablement sauvé la vie (j’aurais dû partir fin août).

Le 15 novembre

Le bataillon va faire des travaux pour permettre le passage sur les routes. Les civils viennent de Colmar. Les Alsaciens sont libérés. On nous fait tout emporter, comme si nous devions faire une étape en avant, mais l’après-midi nous revenons à nos emplacements.

Le 16 novembre

Préparation de notre entrée triomphale en Alsace : distribution d’écussons, de signes distinctifs de bataillon et autres menus détails.

Le 17 novembre

Départ ; nous allons cantonner à Zimmerbach.

Réception enthousiaste. Les populations mettent tout ce qu’elles ont à notre disposition. Beaucoup de soldats couchent dans des lits. Un vieux a revêtu un ancien uniforme français : tunique avec épaulettes, képi et pantalon rouges. Comment a-t-il gardé cela jusqu’à maintenant ?

Il crie et se démène comme un beau diable. Il est porté en triomphe par des jeunes gens du village.

Ces derniers, avec les jeunes filles, organisent une retraite aux flambeaux. La Marseillaise vole par les rues et des chansons françaises et des vivats s’entendent dans toutes les maisons.

Les poilus sont heureux et prennent leur bonne part de la fête. Des couples se promènent bras dessus, bras dessous. La plupart du temps, chacun parle une langue différente, mais ils se comprennent tout de même.

Le lieutenant ayant remarqué que je parlais allemand me désigne pour aider le fourrier à faire le cantonnement le lendemain.

Le 18 novembre

à 4 heures du matin, je pars donc avec le campement. On nous a fait partir avant le jour pour que l’on ne voie pas des groupes circuler dans Colmar avant l’entrée officielle des troupes.

Mais malgré l’heure matinale, nous sommes vus et entendus. Il fait jour quand nous arrivons dans la ville et les portes et les fenêtres s’ouvrent malgré le froid, et les hommes, les femmes, les enfants, la plupart en chemise, nous acclament au passage. On sort les drapeaux en vitesse.

 

Tout le long de la route, c’est une véritable procession de gens qui vont voir l’entrée des troupes françaises à Colmar. Je ne me serais jamais attendu à une pareille réception.

Il est vrai que les gens ont beaucoup souffert depuis la guerre. C’est à peine s’ils avaient de quoi ne pas mourir de faim, comme me l’expliquait un instituteur en retraite, là où je suis allé faire le cantonnement.

Il nous a lui-aussi très bien reçus et nous a offert un bon déjeuner. Il avait encore des provisions cachées depuis 1914.

Pour tous ces gens, notre arrivée signifie la fin de leurs misères. Finies les réquisitions de cuivre, de laine, d’effets, etc., et ils auront peut-être un peu plus que leurs 125 grammes de viande par semaine.

Le 21 novembre

Nous revenons cantonner à Niedermorschweier, et le 22 nous allons défiler à Colmar pour l’entrée du général Castelnau. Il y a moins de monde que le 18 et l’enthousiasme est moins débordant.

Le 22 novembre

Exercice auquel je me garde d’assister, de 14 à 15 heures. Il y a eu à Colmar quelques échauffourées, soi-disant contre des maisons boches. Il y a toujours des gens qui savent mettre à profit de telles occasions pour détruire ou piller.

Au rapport, le commandant de compagnie nous a lu les citations du 204 au C.A. et des 5ème et 4ème bataillons du 204 à l’armée.

 

Depuis ma rentrée de permission, il a fait un temps splendide, mais froid. Nous ne restons que quelques jours et allons cantonner à Wettelsheim, puis à Reichenweier.

Je fais toujours les cantonnements.

A l’heure où le campement arrive, toute la municipalité attend le 127ème et une table est dressée où l’on voit un grand nombre de bouteilles poussiéreuses. Le 127 fait la grand’halte dans le pays. C’est tout vignoble et les caves s’ouvrent toutes grandes. Aussi, le 127 repart en chantant.

 

Pour faire le cantonnement, nous avons beaucoup de difficultés, car il faut presque de force descendre dans la plupart des caves d’où l’on ne sort jamais sans avoir bu au moins 2 ou 3 verres d’un très bon vin.

 

Dans toutes les maisons, la cave est la pièce la plus importante, et elle est soignée. On y voit d’immenses tonneaux, dans l’un desquels on peut loger la récolte d’un vignoble. Riquewihr, comme la plupart des petites villes de la région, a ses portes à chaque bout du bourg.

Les habitations sont toutes au 1er, et l’on y accède généralement par des escaliers ou plutôt des échelles de meunier peu commodes.

 

Après avoir placé la compagnie, nous allons manger le soir chez M. Schmitt où est le bureau. La rumeur veut qu’il ait été favorable aux boches. En tout cas, on lui a mangé un bon filet de bœuf, entouré de pommes de terre cuites à l’eau et avec de la salade, un copieux dîner à l’Alsacienne.

Je couche chez M Kiener Graff, une très bonne maison où j’ai un bon lit.

Le lendemain

à 7 heures, je pars faire le cantonnement pour Saint-Hippolyte. Quoique bien reçus, nous ne retrouvons pas là le vin et l’enthousiasme de Riquewihr. Nous sommes néanmoins très bien.

Nous partons pour Nothalten, puis Bernardsweiler. Beaucoup moins de vignes.

Puis Dachstein, Neugartheim, Eskartsweiler, Brauvillers ; nous traversons la montagne, passons aux portes de Saverne, célèbre par les incidents d’il y a quelques années.

Nous sommes en Lorraine.

 

En haut de la montagne, on jouit d’une vue magnifique ; nous traversons Phalsbourg. Je loge chez de braves gens, M. Thiebaut, dont la fille est sage-femme.

Le 14 décembre, la 11ème compagnie seulement va à Heringen, où l’on doit rester quelque temps. J’ai fait les cantonnements la veille. On y va bien, mais il n’y aura pas beaucoup de distractions. Pas même un bistro. Il est vrai que le village a seulement 150 habitants.

Dans presque toutes les maisons, il y a au moins une personne qui parle français. Je loge chez le Maire qui est la seule maison je crois où personne ne parle français.

Nous avons donc parcouru une bonne partie de l’Alsace, en suivant le pied des monts. Cette contrée est vraiment riche et elle est sillonnée par un important réseau de fils électriques. Dans tous les villages il y a l’électricité.

Le 17 décembre

Nous allons à Phalsbourg, où nous logeons dans les casernes. La note me parvient à 2 heures du matin pour partir au campement à 6 heures.

Rien de changé. Bien que non autorisés, nous logeons les sous-officiers en ville.

Durant tout le séjour dans cette ville, nous sommes admirablement bien. Les dames de Phalsbourg organisent une réception pour tous les hommes présents dans la ville. Charmante petite matinée et distribution de bière et de gâteaux par les dames de Phalsbourg.

Puis il y eut des bals.

Le 31 décembre

Je pars en permission.

Je prends les autos qui vont à Sarrebourg, et là je prends l’express Strasbourg-Paris. Mais les lignes de chemin de fer sont obstruées.

Il paraît que c’est la réception du matériel boche qui en est la cause. Nous mettons presque 24 heures pour aller de Lunéville à Nancy, et le train est archibondé.

 

Enfin, j’arrive à Paris le 1er vers les 11 heures ½.

Avec ma permission à une destination, je vais à Puyravault, Tronchoy, Amiens et Paris.

 

Je repars de cette ville le 25 à 10 heures ½ du matin et rejoins mon régiment le 27 à 18 heures à Büttelborn.

 

Je m’aperçois immédiatement que la réception n’est plus la même qu’en Alsace.

On nous subit.

Malgré tout, nous ne sommes pas trop mal, et l’on ne nous refuse rien de ce que nous demandons.

Il tombe de la neige. Je reprends mon service comme avant ma permission et continue à ne pas faire grand-chose au bureau.

Nous devons partir à Lille vers le 11 février ; nous serons certainement plus mal qu’ici.

1919

11 février

Le 11 février se passe et nous ne partons pas. Il y a toujours des tuyaux, mais c’est toujours reculé.

Le 2 mars

Nous nous déplaçons et allons à Ginsheim. Nous sommes remplacés à Büttelborn par le 1er R.I.

Je pars le matin avec Polbeau et nous arrivons avant le campement sans beaucoup de fatigue. J’aide à faire le campement.

Ginsheim est un pays très ouvrier. La plupart des habitants travaillent à la fabrique de Gustavburg qui avant la guerre occupait 200 ouvriers et maintenant 5 à 6000.

Je continue mon travail, c’est-à-dire rien du tout.

Je tâche d’être ignoré le plus possible et j’y réussis complètement. Je fais de nombreux voyages à Mayence et passe mon temps à faire de la photo et de la sténo.

Le 10 mars

Il y a une excursion sur le Rhin ; j’y vais comme de juste.

Le bateau, un vieux coucou, nous emmène jusqu’à Sankt-Goar ; le temps n’était pas très beau, mais pas de pluie. C’est avec plaisir que je revois les vieux châteaux qui dominent les 2 rives du Rhin, ces coteaux couverts de vignes au pied desquels les cités florissantes sont comme autant de fourmilières.

La statue de la Germania sur les hauteurs de Rüdesheim est toujours là ; le rocher de la Lorelei également, mais rien ne trahit la légende qui l’entoure.

 

Au retour, notre bateau fait à peu près du 5 à l’heure et il s’arrête à Assmanhausen pour changer une pièce de machine et chercher un laissez-passer, car après 7 heures du soir la navigation est interrompue.

J’en profite pour tâcher de prendre le train à la gare.

Pas de train avant 5 heures 45 et il n’est que 4 heures.

 

Je pars alors le long de la berge avec l’intention de passer le pont à Rüdesheim. Avant d’y arriver, une barque nous traverse juste en face Bingen où nous prenons le train à 5 heures 15.

 

A 7 heures ¼, nous étions à Ginsheim, où le canard, cuit en l’honneur de Plantin, nous attendait. Le bateau n’est rentré qu’à 10 heures à Ginsheim.

Le 12 mars

Le départ pour Lille est annoncé officiellement pour le 17 prochain. Je vais donc être démobilisé à Lille où je ne ferai qu’un court séjour.

Polbeau part le 12 au matin.

Le 17 mars

Nous quittons la région. J’embarque avec le 2ème bataillon pour faire le campement de la compagnie.

Partis de Bischofsheim à minuit dans la nuit du 17 au 18, nous débarquons à Rexpost le 20 vers 22 heures ½.

 

Je vais à Bambesque pour faire le cantonnement. Nous sommes très mal reçus. Le bataillon arrive le 21 à 10 heures.

Il pleut, tombe de la neige et fait très froid.

Le 22 mars

Nous partons à Houtkerque.

Des postes sont installés tout le long de la frontière. Il reste à peine quelques hommes au village. Les Anglais sont restés toute la durée de la guerre ici ; aussi il faut voir ces mœurs !

24 bistros dans le village et tous munis de pianos et de poules ; ce sont des maisons publiques.

 

Léchevin part le 26 pour Lille avec le commandant de compagnie, soi-disant pour encadrer les hommes qui sont au dépôt et rétablir la discipline qui, paraît-il, n’existe plus.

Rien d’étonnant.

Les hommes qui restent après 4 ou 5 années de vie de tranchée ou de captivité doivent être écœurés de ce qu’ils voient dans leur pays.

Le 27 mars

L’adjudant Brosseau est démobilisé. On boit ces jours-ci de nombreuses tournées, et l’on a fait hier tous les estaminets.

Le 28 mars

Lafon est démobilisé à son tour.

Je pars demain avec Bisson. Heureusement que je quitte ce pays, car je m’y ennuie à mourir.

Peu de gens nous sont sympathiques, ce qui n’est pas fait pour enlever la mauvaise impression produite.

Le 29 mars 1919

DEPART POUR LA VIE CIVILE.

 

 

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5)     Quelques notes annexes,(Remarques critiques sur des feuilles volantes)

 

Croix de guerre :

Citations au bon plaisir des commandants d’unités et de ceux qui les demandent.

Portées par ceux de l’arrière dès l’apparition de la circulaire ministérielle dans les premiers jours de mai. A quand l’insigne qui distingue le vrai combattant ?

 

Le 20 mai 1916, on s’aperçoit que l’explosion des obus dégage de l’oxyde de carbone qui peut être funeste dans les abris.

Note à la décision en ce sens.

 

Liaison :

Elle n’est jamais bien assurée avec l’artillerie. Un officier observateur devrait être dans chaque sous-secteur, par exemple avec le Chef de bataillon, et des sous-officiers dans chaque compagnie en 1ère ligne. L’officier devrait être relié avec les batteries par une ligne directe, qui existe en certains cas, et par un poste optique ou T.S.F.

 

En cas d’urgence absolue, on lance des fusées, ce qui engendre parfois des erreurs ; il est impossible de faire tirer quelques coups sur un point déterminé, si l’on a remarqué quelque chose. En ce cas, la salve arrive ½ heure ou une heure après, souvent beaucoup trop tard.

La liaison au moyen des avions sera surtout utile en cas d’attaque, quand toutes les communications sont coupées, pour déterminer exactement l’emplacement des troupes et empêcher que notre artillerie nous tire dessus. Dans le régiment, la liaison est bien assurée par coureurs, téléphone, etc. ; mais pour les tirs d’artillerie cela demande trop de temps. Les compagnies au bataillon, le bataillon au colonel, etc.

 

Le dimanche 21 mai 1916,

Messe dite au P.C. du bataillon en 1ère ligne. Bois de la Mine.

Journaux du 21 mai 1916 :

Ils annoncent qu’en vertu d’une circulaire du Ministre du travail la loi sur les retraites ouvrières s’applique aux ouvriers mobilisés comme aux autres salariés. C’est très juste, mais pour les mobilisés combattants, qui sont entièrement au service de l’état, que fait-on pour leurs vieux jours ?

Non seulement l’état ne les paie pas, n’assure pas leurs versements, mais encore il leur fera payer sous forme d’impôts les bonifications payées par l’état aux ouvriers mobilisés qui, eux, n’auront pas couru les risques des combattants et auront durant la guerre gagné leur salaire et mené une vie normale.

 

Le 24 mai 1916 :

Les journaux annoncent que nos parlementaires s’occupent de redonner du prestige à la Croix de Guerre. On a enfin reconnu qu’il y avait eu des abus criants qui jetaient le discrédit sur cette décoration, et l’on reconnaît aussi qu’il est impossible de faire une révision générale. Maginot va peut-être mettre tout le monde d’accord avec son projet d’agrafe pour les véritables combattants.

Ce même jour, note au sujet de la formation de sections de canons de 37 à raison de 1 par bataillon.

Note au sujet des munitions d’infanterie :

 Après 22 mois de la guerre de tranchées, on en arrive tout de même à s’apercevoir que tous les états fournis étaient archifaux et ne répondaient aucunement à la réalité.

Les hommes cesseront de traîner leurs 200 cartouches des tranchées au cantonnement et vice-versa. 88 seulement.

Dépôts dans des C.R. et tranchées. Dotation 230 par homme. Bataillon à 1000 hommes.

Le 8 juin 1916, coopératives :

Excellente initiative qui a fait baisser les prix de toutes les marchandises que les mercantis vendaient aux soldats 4 fois leur valeur. Celle du 289 est installée dans les tranchées à la lisière du bois Marteau.

Le 15 août 1916

Coups de trique à tort et à travers. Des héros cela !

Section de discipline. Quelques cas.

Travaux et abris :

Si dans les grandes lignes les travaux de défense sont quelquefois exécutés suivant un plan d’ensemble, par contre les travaux de détails sont modifiés à chaque relève suivant le bataillon ou le régiment qui prend le secteur. Il n’y a aucune suite dans ces travaux. C’est ainsi qu’un grand nombre d’abris ne sont pas terminés et finissent par s’écrouler d’eux-mêmes. D’où un gâchis de matériel et de main d’œuvre.

 

Les abris pour les hommes ne sont pas l’objet de la préoccupation des chefs qui sont absorbés par leur guitoune particulière.

Ils accaparent pour eux-mêmes la plus grande partie du matériel et de la main d’œuvre, si bien que les hommes n’ont même pas le temps de faire leurs abris. Un colonel ou un commandant est-il plus précieux que toute une section ?

 

Souvent même ils font faire des travaux importants qui n’ont même pas l’excuse d’être des travaux utiles à leur préservation ; tels des cuisines, des terrasses ; le mobilier des villages proches est transporté dans les tranchées : lit de milieu, armoires, tableaux, etc. (abris du capitaine Noël au début, bois de la Mine, cuisine du commandant coffrée, abris de section 21ème)

Paperasse :

C’est effrayant le nombre de rapports, d’états qu’il y a à fournir, et cela à quelques mètres de l’ennemi :

Ø  Rapport journalier de 10 heures à 10 heures fourni par les compagnies avant 7 heures du matin.

Ø  Demandes de matériel.

Ø  Compte-rendu de l’artillerie, de la direction et de la force du vent, de l’état du matériel contre les gaz.

Ø  Nombreux états néant.

Ø  Demandes pour des catégories d’hommes dont on sait pertinemment qu’elles n’existent pas au régiment.

Ø  Rapports de toutes sortes avec la formule traditionnelle R.A.S.

 

Tous ces états fournis par la compagnie qui demande déjà dans les sections, puis par le bataillon, qui condense dans un seul ceux des 4 compagnies, par le Colonel pour les 2 bataillons, etc.

Il doit y avoir à l’arrière des monceaux de paperasse. La nécessité de faire des rapports force les chefs à faire des opérations.

Officiers :

Pour les cantonnements, il faut leur trouver des lits ; il leur est impossible de coucher comme leurs hommes, il faut leur trouver une maison où ils font leur popote et où ils règnent en maîtres.

Il y a un peu d’exagération.

Et quand dans un village il n’y a pas assez de lits pour tous, ils se disputent à qui les aura, ou même ils font valoir leur ancienneté pour avoir la meilleure chambre.

Popotes :

Irrégularités.

Au début surtout, frais très élevés payés sur le cahier d’ordinaire.

Les officiers ne se rendent généralement pas compte de la vie de leurs hommes. Ils en sont trop séparés.

Ils forment une caste à part, surtout quand nous nous trouvons un peu à l’arrière ; car au combat, quand tout le monde est logé à la même enseigne, ils se rapprochent naturellement de leurs hommes.

2 août 1917 :

Listes noires pour la correspondance.

Jubécourt :

Tapis de bridge confectionnés avec des couvertures bordées de cravates.

Mai 1918, relève des sergents fourriers :

Celui de la C.H.R qui est le plus ancien (du début) n’est pas relevé ; de même pour les caporaux-fourriers ; Sauzé du début au bureau du Colonel, Vermillard du début au bureau du Colonel, Ledeuil du début au bureau des détails. Etc.

 

La veille de partir de May-en-Multien, Laborie, ancien de la 21ème compagnie, a un accident d’auto occasionné par le capitaine Loiselet revenant de Paris.

Il est emmené par le général Mangin, revenant en auto de Paris également, tout s’arrange.

Laborie a reçu un coup de pied dans le derrière de la part du colonel Lachèvre pour avoir dit qu’il faisait partie de la compagnie du père GIGOT (à Craonne, alors qu’il avait rencontré un officier et qu’il causait avec lui).

 

Le colonel, sur le refus de Laborie de l’emmener dans son auto, monta dans celle d’un des camarades de Laborie et lui donna 25 Francs.

Le colonel Lachèvre racontait à May-en-Multien à l’adjudant Levacq qu’il avait entendu dire qu’un des sous-officiers de la 21ème se vantait de le faire cocu.

Rien d’étonnant, car la poule qui le faisait venir si souvent au bureau de la 21ème ne se contentait peut-être pas seulement avec de la galette.

Nominations, juin 1918 :

Cadres jeunes, des enfants pour en faire ce que l’on veut.

Il est entendu que, n’ayant guère de conscience, ils ne regarderont pas si ce qu’on leur demande de faire nous coûtera plus cher que le résultat à prévoir ne vaut, et que le haut commandement les mènera à sa façon et se tressera des lauriers faciles.

Mais seront-ils bien suivis par les vieux rats de tranchées ?

L’audace est parfois utile, nécessaire, et peut donner des résultats, mais elle peut aussi provoquer des désastres irréparables.

Nous ne devons pas nous battre pour accrocher des croix de guerre après des croix de bois, pas plus que pour mettre des feuilles de chêne sur les képis qui n’ont été faits que pour porter des galons, mais bien pour la France.

Le 10 juillet 1918 :

Conduite du colonel Lachèvre vis-à-vis des prisonniers boches. D’après ce que l’on me raconte, il aurait dit à un officier allemand qu’il était indigne d’être officier et que les Français ne se rendent pas, qu’ils préfèrent se faire tuer sur place. (Il oublie donc sa fuite éperdue du plateau de … ?)

 

Il aurait, dit-on, pris le casque d’un prisonnier en lui disant :

 

« Tu mériterais que je pisse dedans et que je te recoiffe avec. »

 

Sont-ce là les propos d’un colonel ?

Naturellement, son entourage renchérit et le capitaine Loiselet lui-même donnait des coups de pied dans les jambes des prisonniers, tandis les cyclistes et secrétaires les fouillaient et leur enlevaient ce qui leur faisait plaisir : montres, argent, etc.

L’un d’eux voulait enlever la croix de fer à un prisonnier.

 

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Vers d’autres témoignages de guerre 14/18

 

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